XVIIIe siècle dans Loxias
Articles
Loxias | Loxias 4 (mars 2004) | Identité générique: le dialogue
Ecriture de soi et récit de voyage : Chateaubriand et Rousseau à Venise
Chateaubriand s’est cru plus grand par la pose moralisatrice, par le sermon. A Venise il fait la leçon à Rousseau et à Byron. Heureusement, il laisse au lecteur des Mémoires d’outre-tombe, texte avant tout autobiographique, la possibilité d¹entrevoir la déréliction et la contingence de l’homme attaché à une cause perdue et peu enthousiasmante. René devient le fidèle paladin de ce qu’il sait être une chimère. Il offre ainsi la figure paradoxale du perdant de génie. Par cette posture le Vicomte séduira la jeune génération romantique. Il devient par l’écriture de soi le semblable d'autres voyageurs autobiographes, leur frère, même s’il feint de les ignorer par affectation.
Aux origines de la presse littéraire française
La mauvaise réputation de la presse et des journalistes ne date pas du XIXe siècle. Si un Balzac et un Maupassant ont peint ce milieu de l’intérieur, les siècles précédents eurent leur lot de caricatures et de portraits au vitriol. Qu’on se souvienne de Voltaire et de son portrait-charge de Fréron. Un Renaudot ou un Donneau de Visé ne furent pas épargnés, le second ayant eu la malencontreuse idée de se quereller avec Molière, de ne pas aimer Racine et d’irriter La Bruyère. Journaux et journalistes français de l’Ancien Régime pâtissent dans l’imaginaire collectif de cette image de serviteurs zélés du pouvoir et de la convention sociale : le théâtre du temps ne fit pas faute de le souligner, avec plus ou moins de discrétion selon les scènes. Dans ses « Conseils à un journaliste », Voltaire leur faisait la leçon et leur indiquait, sans trop d’illusion, comment il fallait faire « pour qu’un tel journal plaise à notre siècle et à la postérité » : belle illusion sur la pérennité d’une écriture dont, précisément, la volatilité faisait le prix relatif. Seule la presse du Refuge, hollandaise, ou des marches - Avignon, Liège, Clèves -, avait cet air de liberté que nos contemporains aiment trouver dans le passé, avec le parfum d’opposition qui l’embellit encore. Les travaux enfin entrepris depuis quelques décennies permettent de nuancer fortement ce jugement.
Loxias | Loxias 10 | I.
Du modèle féminin de la soumission à la prise de parole de la femme : le devenir littéraire de la Griselda de Boccace et Pétrarque dans les Lettres de Milady Juliette Catesby de Mme Riccoboni
Le personnage de Griselda, modèle de patience et de vertu, est présent à la fois dans l’œuvre de Boccace et dans celle de Pétrarque. Qu’en est-il de cette figure féminine au XVIIIe siècle ? Il s’agira de partir à la rencontre d’une de ses représentations dans les écrits d’un auteur-femme de cette époque, Mme Riccoboni, dans son roman épistolaire les Lettres de Milady Juliette Catesby (1759). Parce que ces lettres ont été rédigées au Siècle des Lumières, et de surcroît par une femme, leur héroïne ne peut être l’exacte réplique de la Griselda des auteurs italiens : davantage qu’un parangon de l’obéissance aveugle et de la soumission à toute épreuve, Juliette Catesby apparaît peu à peu comme distanciée de Griselda puisqu’elle s’exprime dans sa correspondance, en tant qu’être à part entière, en tant que femme libre de ses décisions.
L’œuvre offerte : esthétique de la transposition et littérature comparée (traduction, réécriture, illustration)
La transposition permet de passer d’un contexte, d’un domaine ou d’un niveau à un autre. Nous voudrions donner ici quelques points de repère pour évaluer le champ de la transposition aux XVIIe et XVIIIe siècles, qui constituent une période de transition : ce n’est que progressivement que la propriété intellectuelle et, partant, l’autorité et l’autonomie de l’œuvre littéraire se sont imposées. Nous nous interrogerons sur le statut de l’œuvre d’art elle-même ; elle s’épanouit, au-delà de l’esthétique de la « réception », dans l’approche proprement « comparatiste » de l’art . Deux exemples centraux pour l’époque qui nous intéresse peuvent permettre de prendre la mesure du phénomène : L’Astrée d’Honoré d’Urfé (1607-1610, 1619, quatrième partie et suite de Balthazar Baro, 1632-1633) et Clarissa de Samuel Richardson (1747-1748).
Loxias | Loxias 3 (févr. 2004) | Constellation du bonheur
Altérité, mythe et bonheur
L’intérêt des récits de voyage du XVIIIe siècle dépasse la seule thématique littéraire, le passionnant récit d’aventuriers ou celui pittoresque d’explorateurs. Abordant l’histoire ou l’économie coloniale, nombre d’ouvrages s’attachent surtout au concept problématique d’anthropologie historique. C’est ce pari que relève en particulier l’abbé Raynal qui, définissant l’homme à la fois comme être historique et comme production de la nature, offre la possibilité de mesurer les rapports d’altérité, dans le cadre d’une spatialisation de la pensée anthropo-historique. Le mode d'intelligibilité de l'altérité exotique, consistant à comparer systématiquement mœurs sauvages et mœurs policées, prend toute sa mesure dans une gradation sociale, anthropologique et géographique du bonheur.
Loxias | Loxias 14 | Doctoriales
De la Scène au Salon. La Réception du modèle français dans la comédie allemande des Lumières (1741-1766)
La comédie allemande des Lumières est souvent qualifiée de « théâtre à la française » ; nous nous proposons donc de l’étudier du point de vue des transferts culturels, pour déterminer dans quelle mesure la réception du modèle français a réellement influencé la production allemande. Dans un premier temps, la comédie française se révèle être omniprésente en Allemagne, aussi bien dans la théorie que dans la pratique des auteurs et les répertoire des troupes. Par ailleurs, l’analyse comparée de la dramaturgie et des thèmes de la satire permet de mettre en lumière les rapports étroits entre comédie allemande et française. Cependant, on observe aussi un phénomène très clair de choix parmi les modèles et une orientation militante de la scène allemande au service des idées des Lumières, ce qui fait sa spécificité. Enfin, la France est à l’époque aussi un modèle de civilité, et la comédie doit être une « école des bonnes mœurs » : par conséquent, cette question des mœurs constitue un élément clé de ces pièces, qui jouent un rôle important dans la constitution de l’identité nationale allemande. Il ressort donc de cette analyse une image nuancée de la réception du modèle français, qui révèle le rapport complexe de l’Allemagne à la France, entre admiration et rejet. From Stage to Salon. The reception of the French model by the German Enlightenment comedy (1741-1766)The German Enlightenment comedy has often been labeled as theatre « a la française », or Frenchlike ; the present article aims at studying these comedies under the perspective of cultural transfers, in order to measure the extent of the French influence over the German production. First the actual presence of French comedy in Germany appears to be extremely important, from a theoretical and practical point of view. We then turn to comparative analysis of dramatic art and satirical themes, so as to underline their links to the French tradition of comedy as well as their specificity. German authors do not imitate blindly: they choose carefully their models, and their comedies serve the ideas of the Enlightenment. Last, since France at that time was also a role-model in civility, and comedy a « school of good manners », we concentrate on this aspect, which is so central to German national identity. These analyses qualify the reception of the French model, which is revealing of the complexity of Franco-German relationships, oscillating between admiration and rejection.
Loxias | Loxias 15 | II. | Naissance du roman moderne: Rabelais, le Tiers Livre, Cervantès, Don Quichotte, Sterne, Tristram Shandy
Le Voyage selon Laurence Sterne et Chateaubriand : le héros et le bouffon (Tristram Shandy, Voyage sentimental, Itinéraire de Paris à Jérusalem)
Sterne effectue deux séjours en France, au cours desquels il expédie des lettres à ses amis. Le récit de ses voyages se distribue ensuite, pour le premier, dans le livre VII de Tristram Shandy, paru en janvier 1765 ; pour le second, en une page, au livre IX, chapitre 24, sorti en janvier 1767 puis dans A sentimental Journey, publié en février 1768. Chateaubriand, partant pour l’Orient en juillet 1806 et de retour à Paris en juin 1807, publie son Itinéraire de Paris à Jérusalem à partir de son journal de voyage. Ces deux voyages révèlent des façons de voyage pratiquement aux antipodes l’une de l’autre : Chateaubriand donne de lui l’image du grand voyageur, cultivé, attentif à l’écriture d’une œuvre littéraire, Sterne propose précisément la satire de ce genre de relation, se moquant des conventions, de l’érudition, et de tout ce qui compose ordinairement les relations de voyages de son époque.
Loxias | Loxias 24 | Pour une archéologie de la théorisation des effets littéraires des rapports de domination
Sur la France et ses littératures. Une approche interculturelle
L’histoire des littératures de la France et des francophonies hors de l’Hexagone, lorsqu’on l’envisage dans l’optique des études interculturelles, révèle l’opposition de deux discours présents en filigrane depuis plusieurs siècles et s’exacerbant au cours du XXe. Le premier discours insiste sur la normalité et la modernité d’une culture française s’identifiant à un héritage richissime de valeurs universelles, alors que le deuxième dénonce une longue tyrannie exercée par cette même culture portant l’empreinte d’une centralisation excessive. Or, il semble qu’une historiographie littéraire s’inspirant de l’interculturel et refusant à la fois les partis pris d’ignorance et les polémiques faciles, peut faire apparaître les textes et leurs contextes sous un jour nouveau et de plus, apporter une contribution importante aux recherches d’autres sciences humaines qui s’interrogent sur la façon dont les communautés humaines organisent leur mémoire et construisent leur identité. C’est en évoquant l’exemple de quelques « grands auteurs » des littératures française et occitane que l’on tâchera de rendre compte de la façon dont deux productions de textes s’éclairent mutuellement. If inspired by the idea of interculturality, studies on literatures in France (for instance literature in French and in Occitan) and in “francophone” countries reveal the opposition of two discourses being effective since several centuries but appearing during the Twentieth in a more aggressive way. One of these discourses emphasizes the modernity and the universal values of French culture while the second condemns the tyranny of just this culture on which an excessive centralization has left its mark. A literary historiography without bias and superficial polemics can facilitate a better understanding of the social and cultural processes making way for the emergence of such discourses. So this kind of study on literature is offering possibly interesting contributions to humanities reflecting upon the way communities organize their memory and build their visions of identity. A comparison of two “French” texts of the Eighteenth Century (one taken from Rousseau’s Nouvelle Héloïse and another from L’Història de Joan-l’an pres, a novel written in Occitan by Jean-Baptiste Fabre) shall shed some light of the contrasts and the complementarities between two neighbouring cultures of France.
Loxias | Loxias 27 | II.
De l’usage des notes dans le Discours sur l’inégalité de Rousseau : récits de voyages et ethnographie
Le Discours sur l’inégalité a jeté les bases d’un système qui devait comprendre aussi l’Essai sur l’origine des langues et le Contrat social. Il repose sur un raisonnement de type anthropologique, qui prend en particulier pour exemple et pour hypothèse l’homme sauvage dont il a découvert les descriptions dans les récits de voyage qui circulent largement à son époque. Ces relations fournissent ainsi le matériau initial et la légitimation de ses spéculations. Mais il faut observer plus précisément l’usage que Rousseau fait de ces observations ethnographiques, et en particulier comment il les utilise dans son Discours : souvent en note, ces références anthropologiques affectent d’être secondaires alors qu’elles conditionnent l’équilibre de tout l’édifice.
Loxias | Loxias 30 | Doctoriales VII
Entendre ou lire un récit dans La Paysanne parvenue du Chevalier de Mouhy
Dans le contexte des attaques portées contre le roman dans les années 1730, Mouhy, romancier prolifique à succès, dans son roman-mémoires La Paysanne parvenue (1735-1737), met en scène à plusieurs reprises la réception de récits. Il propose de la lecture des représentations contradictoires. Ces représentations dialoguent avec trois champs discursifs : les discours sur le roman, les traités pédagogiques et le langage de la sensibilité. Nous voudrions montrer ici que ces représentations, qui récupèrent l’ensemble des conceptions de la lecture disponibles dans la tradition littéraire comme dans les discours contemporains du roman, ne construisent pas un modèle ou une conception cohérente de la lecture, mais s’inscrivent dans une perspective à la fois apologétique, séductrice et romanesque : coexiste chez Mouhy la volonté d’inscrire les images de lecture dans un dialogue avec les débats contemporains, de séduire ses différents lecteurs et de tirer un parti romanesque des images de lecteurs qui circulent à son époque.
Le Doyen de Killerine : entre hasard et providence ?
Au XVIIIe siècle, où la matière romanesque expose une collusion privilégiée entre le hasard et le démiurge, l’œuvre prévostienne loin de déroger à la tendance, regorge de ces signes organisateurs du destin. Dans le Doyen de Killerine (1735-1740), le partage qui s’impose entre hasard malheureux et Providence met singulièrement en exergue l’existence des personnages, tributaire du caractère exceptionnel de la destinée romanesque. Dans une architecture du roman qui tend à organiser les apparitions du hasard comme une menace essentielle pour les personnages, le brouillage des repères tant actantiels que spatio-temporels la systématise. Dès lors, les opérateurs optiques et les occasions qui se font les alliés de l’arbitraire et du sort, la force des contradictions qui contraint les existences à envisager le retournement funeste d’un bonheur assuré rendent a priori toute prévention caduque. À travers l’intrusion répétitive du hasard, qui entre dans la composition d’épisodes parallèles, l’auteur nous éclaire sur la démarche de personnages soumis à l’imminence du destin.
Loxias | Loxias 34 | Doctoriales VIII
Le non-dit dans Point de Lendemain
Le « Non-dit dans Point de Lendemain de Vivant Denon » se propose d’étudier le jeu herméneutique auquel l’œuvre nous invite dès l’épigraphe empruntée à la Seconde épître aux Corinthiens de Saint Paul : « La lettre tue et l’esprit vivifie ». Cette épigraphe se présente comme le modèle interprétatif du texte, dont les significations multiples sont moins à rechercher dans ce que la « lettre » exprime que dans les silences qu’il appartient à « l’esprit » du lecteur de combler. Une énonciation subtile se met en place où le narrateur désolidarisé du personnage ingénu laisse des indices qu’il appartient au lecteur de retrouver. L’article étudiera tout particulièrement le rôle de la Comtesse de…, rôle voilé mais néanmoins central puisque son absence dans l’action du récit est contrebalancée par son omniprésence dans le discours des protagonistes, de sorte qu’elle apparaît comme le lien érotique indispensable entre eux. Et si le secret du jeu libertin était moins à rechercher dans le verbe séducteur que dans les silences du texte ? « The Unspoken in Point de Lendemain by Vivant Denon » examines the hermeneutic game that the story invites us to play from its very epigraph, taken from the Second Epistle of Paul to the Corinthians: « The letter kills, but the Spirit gives life ». This article advances the claim that the epigraph id a reader’s guide to the text, whose multiple meanings are to be sought not in what the text means, but rather in the textual silences the reader must interpret. By dissociating himself from the naïve protagonist, the narrator provides subtle clues that the reader must find. In particular, the article focuses on the role played by « la Comtesse de… » – a role at once veiled and nevertheless central – since her absence in the story’s action is counterbalanced by her omnipresence in the characters’ dialogues, in such a way that she becomes the necessary erotic link between them. What if the secret to the libertine game were to be sought not in its seductive discourse but rather in the silences of the text?
Loxias | Loxias 39. | Autour des programmes d'agrégation 2013
Le sentiment, fondement de l’écriture autobiographique de Jean-Jacques Rousseau
Ouvrage unique, Les Confessions postulent leur adéquation parfaite avec leur auteur, et justifient ainsi leur fonction de témoigner à l'avenir de l'innocence de Rousseau. Pourtant, cette adéquation proclamée entre l'homme et le texte est mise à mal par l'opacité du langage. Dès lors, ce qui permettra la manifestation de la vérité pour Rousseau, et ce vers quoi s'orientera de plus en plus sa pratique de l'écriture de soi, ce sera l'énonciation, non des faits, mais du sentiment. C'est donc autour de cette notion centrale que s'articule la genèse de l'écriture de soi chez Rousseau.
Loxias | Loxias 39. | Travaux et publications
René-Charles Guilbert de Pixerécourt, Mélodrames
“Tome I – 1792-1800Classiques Garnier, 2012collection « Bibliothèque du théâtre français » dirigée par Charles Mazouer, 20 Qualifié par ses contemporains de « Corneille des boulevards », Guilbert de Pixerécourt apparaît pour beaucoup comme le fondateur du mélodrame moderne. Dramaturge fécond, directeur de théâtres, mais aussi premier « metteur en scène » au sens moderne, Shakespirécourt, comme le nommait Charles Nodier, demeure la figure la plus marquante du paysage théâtral des années 1792-1835. Cette édition rassemble l’intégralité de ses mélodrames. Le 1er tome, consacré à la période révolutionnaire, présente des pièces pour la plupart inédites et enrichies de...”
Loxias | Loxias 42 | Doctoriales X
Tieck et Hoffmann lecteurs de la fiction encadrée renaissante : du Décaméron aux contes nocturnes romantiques
Cet article propose de se pencher sur un aspect typique de la Novelle allemande romantique, à savoir que beaucoup des textes de l’époque se présentent comme enchâssés dans un cadre nocturne. Les prosateurs de l’Allemagne romantique empruntent ce dispositif à une tradition extrêmement ancienne, celle de la fiction à récit-cadre, très fréquente dans la littérature antique et tout particulièrement renaissante, et dont les deux matrices sont Les Mille et une nuits et Le Décaméron (qui ne se déroule pas dans un cadre nocturne, mais s’y apparente structurellement). La communication se concentre sur le modèle renaissant, et cherche à montrer, à travers l’étude d’Eckbert le Blond [Der Blonde Eckbert, 1797] de Ludwig Tieck et de La Maison déserte [Das Öde Haus, 1817] d’E. T. A. Hoffmann, comment certains auteurs déconstruisent le protocole renaissant du récit nocturne pour mieux souligner la spécificité de la nuit romantique, qui repose sur l’envahissement du monde humain par la « face nocturne de l’existence » (Gotthilf Heinrich von Schubert). Chez Tieck et chez Hoffmann, il ne s’agit pas de séparer des ordres pour témoigner de la puissance d’organisation du discours, mais au contraire de mélanger les niveaux du récit et des sphères de la réalité que le lecteur pensait séparés, et que les narrateurs croyaient séparer par leur art de la parole, afin de souligner l’activité de ce monde nocturne qui ne laisse pas domestiquer.
Loxias | Loxias 43. | I. Questions de Littérature comparée à l'agrégation de Lettres modernes
Thalie au miroir : héroïsme féminin et métathéâtralité
Cet article fait l’hypothèse d’une métathéâtralité spécifique à la comédie dans laquelle la question du genre revêt une importance significative. Induite par les conditions concrètes de la représentation sur la scène antique et élisabéthaine où les rôles féminins sont joués par des hommes, la part de jeu inhérente à la comédie interfère avec le topos du théâtre du monde, dont les incidences sur la métathéâtralité ont été soulignées d’emblée par l’inventeur de la notion de métathéâtre. Lorsque des protagonistes féminins occupent le devant de la scène, l’interrogation sur le jeu de l’acteur semble l’emporter sur la lecture métaphysique de la métaphore qui privilégie les fonctions de l’auteur et du spectateur, confondues en Dieu dans la lecture chrétienne du topos. Sous le signe du féminin, la comédie semble plutôt interroger les rôles sociaux et remettre en question la naturalité du genre.
Loxias | 50. | Doctoriales
Du suicide et de la morale dans L’Orphelin de la maison de Tchao de Ji Junxiang, L’Orphelin de la Chine de Voltaire et The Orphan of China de Murphy
Cet article a pour objectif d’étudier la question du suicide dans le domaine théâtral à travers trois pièces emblématiques : L’Orphelin de la maison de Tchao de Ji Junxiang, L’Orphelin de la Chine de Voltaire et The Orphan of China de Murphy. Dans L’Orphelin de Ji Junxiang, les personnages commettent un suicide pour remplir leur obligation de moral. Dans L’Orphelin de Voltaire et The Orphan de Murphy, au moment où les personnages tentent de se tuer ou de se faire trucider, ils empruntent un ton déclamatoire, pour livrer des justificatifs philosophiques de leur acte. Pourtant, il s’agit d’une tentative de suicide, et non d’un suicide effectif. Cette étude essaie de mettre en lumière le phénomène moral dans ces trois tragédies et la situation à l’égard du suicide.
Loxias | 52. | I.
Rousseau, la romance et la nature : ou la culture de la sensibilité devant la civilisation des Muses
Auteur de la première histoire verte du monde (selon J. Bate), Rousseau apparaît comme patron de la réflexion écocritique actuelle. Dans cet ordre, un de ses mérites est de percevoir les rapports entre le travail conceptuel et ses retombées sensibles – et d’en tirer des conséquences artistiques. Partant de ce constat, cet article met en lumière les soubassements de la réflexion rousseauiste sur le genre de la romance. Porteuse d’une anthropologie autant que d’une esthétique, celle-ci s’avère détenir un pouvoir performatif qui la propulse en moyen de promouvoir un espace culturel soustrait à la préséance du rationalisme et des représentations qu’il nourrit.
Loxias | 55 (déc. 2016). | II.
Les Dégoûts de Voltaire. Exploration d’une sensibilité complexe
“Oxford University, Studies in the Enlightenment (previously SVEC), janvier 2017 ISBN 978-0-7294-1190-5, xii+312 pages Les œuvres de Voltaire, et particulièrement sa correspondance, recèlent une thématique inattendue peu analysée par la critique : l’expression de ses dégoûts. Voltaire y dévoile ses dépits et déboires devant l’oppression politique et religieuse, ses exigences d’homme de lettres et d’historien, ses désillusions, exprimant ainsi sa vision pessimiste de la condition humaine. La révélation par Marie-Hélène Cotoni de l’i...”
Loxias | 56. | I.
Crèvecœur, Chateaubriand, and the Twilight of Native American Civilizations
Cet article compare la représentation des peuples amérindiens dans l’œuvre de deux auteurs français ayant voyagé en Amérique à la fin du dix-huitième siècle : Saint-John de Crèvecœur et Chateaubriand. Ces deux auteurs partagent une même conviction : bientôt, les civilisations amérindiennes seront anéanties. L’article analyse les stratégies adoptées par ces deux auteurs afin de collecter et transmettre à la postérité des fragments appartenant aux cultures amérindiennes. Dans la lignée de L’Écriture de l’histoire de Michel de Certeau, il s’interroge également sur le « logocentrisme » dont cette entreprise témoigne et sur les rapports conflictuels entre cultures de l’oralité et cultures de l’écrit. This article compares the representation of Native American people in the works of two French writers who visited America at the end of the eighteenth century: Saint-John de Crèvecœur and Chateaubriand. These two writers share a similar conviction: soon, Native American civilizations will be destroyed. This article studies the strategies adopted by Crèvecœur and Chateaubriand in order to collect and pass on to posterity cultural fragments of Native American civilizations. In line with the The Writing of History by Michel de Certeau, it questions the “loogocentrism” inherent in this undertaking as well as the conflictual relations between oral and written cultures.
Loxias | 58. | I.
Catégories du « féminin » dans le Yaohua zhuan : relations remarquables entre un esprit-renard princesse et des femmes marginales dans un roman chinois fantastique de la dynastie Qing
Cet article étudie la relation spécifique entre la protagoniste esprit-renard et des femmes remarquables dans le roman fantastique ancien en chinois vernaculaire Yaohua zhuan 瑤華傳 [L’Histoire de Gloire de Jaspe] de 1803 de Ding Bingren. Selon moi l’esprit-renard se fait, dans ce texte et dans plusieurs romans en vernaculaire de l’époque, « signifiant » du discours refoulé de ces femmes, caractérisées à la fois par leur talent et leur marginalité, et d’autres personnages hybrides qu’on peut qualifier de féminins, au sens du concept anthropologique de « féminin polluant », véhicule d’hétérodoxie et de subversion. Cette « voix dissonante » est cruciale pour comprendre celle qui est selon moi la véritable portée du personnage d’esprit-renard dans ce contexte romanesque fantastique et en vernaculaire : non seulement de transgression sexuelle, comme les études en chinois classique le montrent bien, mais aussi de subversion sociopolitique. This paper enquires the specific relationship between the fox-spirit protagonist and many remarkable women in the ancient fantasy vernacular Chinese novel Yaohua zhuan 瑤華傳 [The Story of Jasper’s Glory] written in 1803 by Ding Bingren. In my opinion, in this text and in other vernacular novels of this period, the fox-spirit becomes a « signifier » in the psychoanalytical sense: it carries the repressed discourse of these women, connoted by their talent and by their marginality at the same time, and of other hybrid characters, which can be called feminine in the sense of « pollutant feminine » anthropological concept expressing heterodoxy and subversion. This « dissonant voice » is crucial to get what’s for me the truly scope of the fox-spirit character in this kind of fantasy vernacular novels: not just sexual transgression – as classical Chinese studies have already shown – but also sociopolitical subversion.
Écrire la peinture d’histoire : Jacques-Louis David dans la fiction de Pierre Michon
Cet article propose d’explorer la dimension intermédiale du roman Les Onze de Pierre Michon. Cette approche consistera non pas à comparer l’apport de l’image dans cette narration qui met en scène le peintre fictif François-Élie de Corentin représentant les onze pères de la Révolution française, mais plutôt à comprendre comment l’utilisation de références picturales réelles, comme celle à Jacques-Louis David, permettent de créer une œuvre d’art fictive dont le dialogue avec l’histoire de l’art propose d’explorer une dimension critique à travers la littérature. Michon, grâce au récit qu’il tisse autour des Onze, suggère cette relecture historique, cette exploration de l’autre côté de la narration, derrière ce qui est officiel, voire institutionnel en proposant une médiation culturelle qui sort du musée afin d’investir l’accessibilité que lui offre le médium littéraire. Dans cet article, on s’attardera à ce qui relève directement de la peinture, autant d’un point vue historique, que sociologique ou historiographique. This article will explore the intermedial dimension of Pierre Michon latest novel: The Eleven. Instead of comparing the contribution of the image on the narrative text, which is set around the fictional painter François-Élie de Corentin representing the eleven fathers of the French Revolution, our approach will rather try to understand the use of real pictural references. The allusion to Jacques-Louis David allows to create a fictional work of art inside the novel, where the dialogue with art history suggests to explore literature’s critical dimension. With the narrative he weaves around The Eleven, Michon offers an historical rereading, an exploration on the other side of the narrative, behind what is official, or even institutional, by proposing a cultural mediation that leaves the museum to invest the accessibility offered by literature. In this article, we will focus to what directly results from painting, from historical, sociological and historiographical perspectives.
Loxias | 59. | I.
Réminiscences lucrétiennes chez André Chénier
Souvent mentionnée, l’importance de Lucrèce pour Chénier n’a guère été étudiée alors qu’elle peut ouvrir sur l’œuvre du poète une perspective féconde et unifiante car elle est perceptible dans tous les registres de son activité littéraire et pas seulement dans sa poésie scientifique. Le dialogue que Chénier engage avec le De rerum natura est peut-être plus profond que celui de nombre de ses contemporains, en raison d’une relation privilégiée avec la littérature antique mais aussi de réelles affinités avec la philosophie épicurienne.
Loxias | 59. | II.
Alain-René Lesage, Œuvres diverses. Lettres galantes d’Aristénète, Une journée des Parques, La Valise trouvée
“Œuvres complètes t. 12, édition scientifique, Paris, Champion, 2017, collection « Sources Classiques » n° 128. Le dernier volume de la collection des Œuvres complètes de Lesage réunit quatre ouvrages atypiques : Lettres galantes d’Aristénète (1695), Une Journée des Parques (1735), La Valise trouvée (1740) et Mélange amusant de saillies d’esprit et de traits historiques des plus frappants (1743). Ces textes font découvrir un Lesage méconnu, adepte d’une poétique de la brièveté qui s’inspire et se nourrit de la pratique de la forme épistolaire, du conte, de l’anecdote, de l’allégorie, de la nouvelle ou encore du trait d’esprit. On y retrouvera le goût d...”
Loxias | 63. | Agrégation de Lettres
Les balances de toile d’araignée du moderne Marivaux : du stéréotype critique à la métaphore heuristique
L’image des balances de toile d’araignée de Marivaux fait partie des poncifs tenaces, inlassablement repris depuis le XVIIIe siècle et rarement interrogés. Un retour aux sources précises de l’image ainsi que la prise en compte de la symbolique qui lui est attachée dans le contexte de la querelle des Anciens et des Modernes permet de montrer qu’elle est susceptible d’être renversée, comme l’a été la figure de l’araignée, passant du statut d’anti-modèle à celui de modèle pour la création poétique. Elle pourrait dès lors cristalliser tout ce qui fait la modernité de l’écrivain dont témoigne l’intérêt constant que son théâtre a rencontré chez les metteurs en scène depuis le milieu du XXe siècle.
Loxias | 66. | I.
Quelle méthodologie pour une édition critique numérique d’un texte imprimé du dix-huitième siècle ? Le cas du Fragment sur Shakespeare de Martin Sherlock
Les éditions critiques numériques sont de plus en plus nombreuses dans le monde académique. Cependant, des points restent obscurs et peu clairs concernant leur nature et les processus mis en jeu dans leur réalisation. Cet article, loin d’avoir l’ambition de résoudre les nœuds liés à ce nouveau champ de recherche, offre un panoramique des réflexions apportées au champ des éditions critiques numériques jusqu’à aujourd’hui. En outre, en partant d’un discours plus large sur les éditions numériques, ce travail porte une réflexion sur les possibilités et les contraintes de porter en ligne une édition critique de l’œuvre de Martin Sherlock, Fragment sur Shakespeare (1779), en présentant aussi cet auteur méconnu et le contexte de réception de son œuvre. Scholarly Digital Editions (SDE) are nowadays a fertile ground for a newer approach to the texts. However, their nature is not yet defined and many questions about practices and methodologies are posed. This study has not the ambition to solve those pending issues but provides an overview of the theories and studies about the SDE until this moment. Moreover, the realization of a SDE of Martin Sherlock’s work Fragment on Shakespeare (1779) could be a prime example of the difficulties and the future possibilities of the digital field.
Loxias | 67. | I. | Agrégation de Lettres
La question du hasard dans Zadig, Candide et L’Ingénu
Au XVIIIe siècle l’idée de hasard fait l’objet d’un rejet unanime : incompatible avec l’idée de Providence comme avec celle de lois de la nature, elle apparaît comme un scandale aussi bien pour la raison que pour la foi. Voltaire ne fait pas exception à la règle mais le recours à la fiction soumet, dans ses récits philosophiques, l’exclusion théorique du hasard à une relativisation ironique : nié dans le discours, le hasard triomphe dans la narration. La fiction s’y révèle ainsi comme l’antidote le plus efficace au didactisme, confrontant le lecteur à des questions laissées sans réponse.
Loxias | 67. | I. | Agrégation d'anglais
Cook et la découverte de l’indigénéité : entre utopie et dystopie coloniale
Cet article s’attache à démontrer que la construction imaginée des populations autochtones rencontrées lors des voyages de Cook se développe conjointement à la création d’une « communauté imaginée » britannique mais aussi européenne. En effet, la première conséquence des descriptions des populations alors rencontrées pour la première fois était de construire la communauté de l’observateur par ricochet. Paradoxalement, la comparaison avec l’utopie ‒ tout comme avec celle de son contraire, la dystopie ‒ appelle à l’affirmation en parallèle de l’identité nationale. En effet, il n’est tout d’abord pas tant question de construire l’autre que de s’affirmer en tant que nation dominante, puissante et moderne, à la pointe du progrès. When James Cook explored the Pacific, the populations he met were living in a seemingly prelapsarian state, but their encounter with the Europeans marked their fall into a world dominated by the craving for progress. Indeed, the Enlightenment was founded on humanist principles which encompassed the belief in progress and its emancipatory dimension. However, questions and criticism arose : progress also dehumanized individuals, enslaving them to the machines. As a consequence, another school of thought, led by Rousseau, looked into the discoveries made during the voyages and focused on the encounter with native populations : these were truly happy and free, whereas progress and its consequences debased European society. Thus, this article aims at showing that the first encounters with the Indigenous peoples took place in a context in which British society also craved for self-definition : indeed, the first descriptions of the populations indirectly led to the creation of the community of origins of the explorers who were relating those encounters. Paradoxically, the analogy between this new world and utopia ‒ as well as its contrary, dystopia ‒ called for a simultaneous demand for national identity. Such narratives did not merely stage the construction of the Other but they also led to creation of a dominant and powerful nation.
Le legs de James Cook à la navigation à voile
Les trois voyages de James Cook de 1768 jusqu’à sa mort tragique en 1779 ont donné lieu à une littérature extrêmement abondante et variée. Se référant aux journaux de bord originaux rassemblés dans l’édition en quatre volumes de Beaglehole, cet article propose le point de vue de navigateurs d’aujourd’hui questionnant l’héritage laissé par James Cook. James Cook’s three voyages from 1768 until his death in 1779 have generated a very large body of literature. Sourced from Cook’s original journals collected in Beaglehole’s four-volume edition, this article attempts to put into perspective the experience of sailors of the twenty-first century who analyse and question James Cook’s legacy.
Loxias | 70. | I.
« L’incivile élégance » de Marianne et Jacob : les narrateurs de Marivaux face à la norme conversationnelle
La civilité est une notion que l’on ne trouve plus dans nos grammaires et pourtant, sous l’Ancien Régime, elle constitue une norme comportementale mais aussi conversationnelle et linguistique essentielle. Dans les romans phares de Marivaux, La Vie de Marianne et Le Paysan parvenu qui souffrent aujourd’hui d’une image lisse et convenue, l’incivilité affleure dans le texte, notamment parce que les êtres déplacés à l’identité mouvante que sont Jacob et Marianne ne peuvent que brouiller les pistes d’un système fondé sur une convenance entre interlocuteurs et espace-temps de l’interlocution. Nous nous proposons donc d’étudier dans cet article, à la suite de notre travail de thèse, la place des narrateurs par rapport à l’incivilité ; des narrateurs qui se présentent d’abord comme des remarqueurs, mais des remarqueurs qui infléchissent la grille de lecture commune vers une grille personnelle, surprenant le lecteur autant dans le choix des mots épinglés que dans la formulation de la remarque et des narrateurs qui vont eux aussi enfreindre les règles par une utile franchise, questionnant les usages, sans lever jamais l’ambigüité sur le moteur profond de ce parti pris. Nowadays, we don’t think about civility as a grammatical tool, but during the 17th and the 18th century in France, civility was considered as an important system of rules to regulate behaviour so much as speeches. Despite of their images, La Vie de Marianne and Le Paysan parvenu written by Marivaux count plenty of rude moments underlined by both narrators. Because of their identity, Jacob and Marianne, socially displaced, without noble origin, always seem inappropriate. They point out the inappropriate words towards them, using a subjective terminology and a subjective scale to judge an offensive word. In reaction, they are also rude towards their interlocutor, using an honest speech which breaks the conversational rules.
Loxias | 75. | I.
La Nouvelle Héloïse, roman politique
La dimension politique de La Nouvelle Héloïse est manifeste : affirmée dès la préface, elle s’exprime particulièrement dans les lettres qui décrivent la bonne organisation de la petite société de la famille Wolmar. Mais y a-t-il une pensée politique du roman ? Comment ces discours appartiennent-ils à une trame narrative qui les suscite et dans laquelle ils prennent sens en même temps qu’ils l’éclairent ? Quel est le sens politique de ce scénario romanesque qui prend son point de départ dans la différence irréductible des conditions dans une société d’ordre ? L’impossible amour de la noble Julie et du roturier Saint-Preux pourrait être un lieu commun romanesque ; il s’agit d’abord un authentique problème politique. La conversion de Julie, et de tout le roman, à partir du mariage de l’héroïne, consiste en un effort pour passer du refus à l’acceptation de cette différence irréductible des conditions et à travailler autant que faire se peut à produire les modalités objectives de son acceptation subjective. Cette pensée politique du roman, délibérément conservatrice, est cependant travaillée par un doute que toute la fin exprime : il n’est pas du tout certain que le domaine de Wolmar soit seulement vivable.