Loxias | 69. Génération Beauvoir

Sous la direction de Odile Gannier

15 juin 2020

Avec constance, envers et contre tout, la génération des femmes nées dans le premier tiers du siècle a été à l’origine d’une véritable floraison intellectuelle dans tous les domaines. L’après-guerre connaît une production littéraire féminine jusque-là sans exemple, à l’image de Simone de Beauvoir, née en 1907. Si Beauvoir est aujourd’hui surtout connue pour le Deuxième Sexe – qui suscite actuellement une résurgence d’études parce qu’elle a révolutionné le panorama intellectuel de l’époque vis-à-vis de la condition féminine et de la place des femmes dans la société et les arts –, elle n’est ni la seule ni la première à écrire : selon Sylvie Chaperon, « la toute jeune génération néo-féministe s’est nourrie de sa lecture faisant d’elle “le mouvement d’avant le mouvement”, l’explication de cette littérature est à rechercher plus en amont. La percée significative des femmes et de leurs questionnements dans le champ du savoir est à mettre en rapport avec l’évolution de l’enseignement. » Les femmes de cette génération sont aussi devenues, entre autres, journalistes, avocates, enseignantes, éditrices, écrivaines, artistes, et ont créé ainsi la place nécessaire à la reconnaissance de cette expression féminine.

Cependant, si l’on s’en tient aux œuvres de fiction publiées à cette époque par des romancières, peut-on y voir une veine spécifique, marquée au coin de l’émancipation militante ? Dans les romans de Françoise Sagan (1935-2004) comme Bonjour tristesse ou dans les œuvres de Christiane Rochefort (1917-1998), Christine Arnothy (1930-2015), Claire Etcherelli (1934-), Benoîte Groult (1920-2016), par exemple, peut-on lire l’expression ou l’écho de revendications féministes précises ou simplement la possibilité, pour une génération de femmes, d’accéder à l’écriture, à l’édition et aux prix littéraires ? Violette Leduc (1907-1972), Gisèle Halimi (1927-), Hélène Cixous (1937-), Annie Ernaux (1940-), Pierrettte Fleutiaux (1941-2019), par exemple, ont-elles en commun d’avoir publié à peu près dans les mêmes années ou partagent-elles la force d’une génération solidaire et cohérente ? On peut se demander, dans l’œuvre de chacune de ces écrivaines, comment fonctionnent les fictions par rapport aux essais – si les nouvelles de La Femme rompue de Simone de Beauvoir, en 1967, sont de la même veine que son essai ; si le roman Les Vaisseaux du cœur de Benoîte Groult est de la même encre que Ainsi soit-elle – et comment ils ont été reçus à l’époque. Leurs romans, pour être « féminins » sont-ils nécessairement « féministes » ? Sont-ils inscrits dans un contexte général de libération des femmes ou marqués par les combats de leurs autrices ? Peuvent-ils, dans certains cas, rester assez conventionnels pour sembler même aller jusqu’à contredire les positions défendues par les écrivaines elles-mêmes ?

Ce numéro se situe dans le cadre du projet IDEX d’Université Côte d’Azur UCAJedi « ExFem » « Cent ans d’Expressions Féminines : 1918-1968-2018 ».