Loxias-Colloques |  19. Autour d’Henri Bosco : voyageurs et expatriés en Afrique du nord. Textes et images 

Odile Gannier  : 

« Guide pour le voyageur », « Un guide pour celui qui sait ». Edith Wharton, Voyage au Maroc (1920), Henri Bosco, Des sables à la mer (1950)

Résumé

Plusieurs voyageurs, militaires ou fonctionnaires coloniaux, ont décrit le Maroc entre la fin XIXe et 1950. Leurs descriptions ont servi de compte rendu de leurs activités et de référence aux voyageurs qui ont marché sur leurs traces. Charles de Foucauld (Reconnaissance au Maroc, 1888), Pierre Loti (Au Maroc, 1890) René de Segonzac (Au cœur de l’Atlas. Mission au Maroc, 1904-1905, 1910) Edmond Doutté (En tribu. Missions au Maroc, 1914), Augustin Bernard (Le Maroc, 1916), par exemple, sont cités par la voyageuse Edith Wharton (1862-1937), invitée dans ce pays par le général Lyautey en 1917. Elle « commence ce livre en affirmant qu’il n’existe pas encore de guide du Maroc », et racontant son propre périple, elle se propose aussi de procurer des éléments d’art, d’histoire, de géographie, et en quelque sorte de servir de guide de voyage culturel à son tour. C’est l’occasion pour elle de réfléchir aussi au processus de colonisation selon son regard de voyageuse. Ce point de vue porté sur un itinéraire rapide est nécessairement différent chez Henri Bosco (1888-1976), dans les Pages marocaines, publiées en 1948 et reprises chez Gallimard en 1950 sous le titre Des sables à la mer : il y présente des réflexions poétiques sur le Maroc où il a longtemps vécu, en y marquant en particulier sa méfiance vis-à-vis du touriste. « Guide pour le voyageur », « Un guide pour celui qui sait » sont deux chapitres du volume : mais ils sont aussi représentatifs de ce genre hybride, cette forme d’essai à tendance lyrique que peut prendre la relation de voyage lorsqu’elle est inspirée par ce que la critique appellera ensuite la « géopoétique ». Dans les deux cas, les récits illustrés (photographies ou dessins) montrent leurs auteurs en correspondance avec les paysages, respectueux des habitants, et désireux de conserver au Maroc son authenticité : même si Wharton chante les louanges de Lyautey, dans le contexte de l’affrontement avec l’Allemagne, on comprend que l’emprise coloniale – qu’elle s’exprime par la force, l’organisation ou le tourisme – n’est pas le meilleur moyen d’y parvenir.

Abstract

Several travellers, military or colonial officials, described Morocco between the end of the 19th century and 1950. Their descriptions were used as an account of their activities and as a reference for the travellers who followed in their footsteps. Charles de Foucauld (Reconnaissance au Maroc, 1888), Pierre Loti (Au Maroc, 1890) René de Segonzac (Au cœur de l'Atlas. Mission au Maroc, 1904-1905, 1910) Edmond Doutté (En tribu. Missions au Maroc, 1914), Augustin Bernard (Le Maroc, 1916), for example, are quoted by the traveller Edith Wharton (1862-1937), who was invited to this country by General Lyautey in 1917. She “begins this book by stating that there is no guide to Morocco yet”, and recounting her own journey, she also proposes to provide elements of art, history, geography, and in a way to serve as a cultural travel guide in her turn. It is also an opportunity for her to reflect on the process of colonisation from her perspective as a traveller. This point of view on a rapid itinerary is necessarily different in Henri Bosco’s (1888-1976) Pages marocaines, published in 1948 and reprinted by Gallimard in 1950 under the title Des sables à la mer (From the Sands to the Sea): he presents poetic reflections on Morocco, where he lived for a long time, in which he expresses his distrust of the tourist in particular. “Guide pour le voyageur” (A Guide for the Traveller) and “Un guide pour celui qui sait” (A Guide for the the one who knows) are two chapters in the volume: but they are also representative of that hybrid genre, that form of essay with a lyrical tendency that the travel report can take when it is inspired by what critics will later call “geopoetics”. In both cases, the illustrated accounts (photographs or drawings) show their authors in correspondence with the landscapes, respectful of the inhabitants, and eager to preserve Morocco’s authenticity: even if Wharton praises Lyautey, in the context of the confrontation with Germany, one understands that colonial control - whether expressed by force, organisation or tourism - is not the best means to success.

Index

Mots-clés : Bosco Henri , expatrié, guide de voyage, Lyautey, Marquet Albert, Tranchant de Lunel, voyageuse, Wharton Edith

Géographique : Maroc

Chronologique : XXe siècle

Plan

Texte intégral

Il y a deux façons de juger un pays étranger : au premier regard, à la manière impressionniste d’un voyageur de passage ; ou, après y avoir résidé, d’une manière « sobre et avisée », et avec toutes les vaines précautions dictées par de graves événements.
De ces deux façons, la première est souvent la plus fructueuse, même en temps ordinaire. L’observateur, s’il a des yeux et de l’imagination, est d’abord frappé par les dissemblances superficielles, et elles donnent à son tableau le caractère aigu et suggestif d’une bonne caricature. S’il s’installe au milieu des objets de son étude, il devient peu à peu insensible à ces dissemblances, et, s’il sonde au-dessous de la surface, il s’aperçoit qu’elles puisent à la même source que bien des caractéristiques apparemment différentes de son propre peuple. Suit alors une période de confusion où il oscille entre des contradictions, et son dessin précis devient tout brouillé par ce que les peintres appellent des « repentirs ».
De ce demi-jour il n’est guère possible au jugement d’un étranger d’émerger pour parvenir de nouveau à une pleine clarté1.

1Pour le voyageur, comme le remarque en 1920 la romancière Edith Wharton (1862-1937), l’essentiel est la clarté du regard porté sur d’autres paysages et d’autres peuples. Elle-même, née à New York, a fait la traversée et vécu en France à partir de 1907, soit les 30 dernières années de sa vie, plus ou moins, cherchant à élucider les « mœurs françaises et comment les comprendre » (French Ways and their Meaning, 1918) en particulier au Castel Sainte-Claire à Hyères : elle s’est aussi fait connaître par des récits de voyage comme La France en automobile, paru en 1908, et son Voyage au Maroc, commencé « un lumineux matin de septembre 19172 » dans les derniers soubresauts de la guerre, et publié en 1919-1920. Elle aime la célérité et le confort que lui procure ce nouveau moyen de transport. Henri Bosco (1888-1976), lui, est de ceux qui s’attardent : arrivé en 1931 au Maroc, il y reste un temps long jusqu’en 1955, près d’un tiers de son existence ; il revient également en Provence et son nom est attaché à Lourmarin. Son œuvre se partage entre ces deux lieux, mais les nombreux ouvrages sur le pays que compte sa bibliothèque montre son intérêt réel, son attachement profond au Maroc.

2Ils ne s’y sont pas croisés, mais ont écrit tous deux à leur façon sur l’Afrique du nord : Edith Wharton, dans son Voyage au Maroc (1920), sillonne commodément les routes et les pistes en voyageuse de marque, dont la qualité première est le pragmatisme ; Henri Bosco, dans les Pages marocaines (publiées en 1948 et reprises chez Gallimard en 1950 sous le titre Des sables à la mer), présente des réflexions poétiques sur le Maroc où il a longtemps vécu, en y marquant en particulier sa méfiance vis-à-vis du touriste.

3Wharton y passe, Bosco y reste. Et il semble que deux titres de chapitres de ce volume correspondent à deux attitudes : Wharton souhaiterait écrire un « Guide pour le voyageur », tandis que Bosco offre « Un guide pour celui qui sait ». Leur modèle est en réalité fort différent, même si l’on peut considérer que des livres d’orientation « géographique », d’un pays qui n’est pas leur patrie originelle, assortis selon les éditions de photos ou de dessins, relèvent du même imaginaire odéporique. Tous deux sont des exotes dans l’âme, puisque leur vie est marquée par le décentrement, mais d’un tempérament différent, et dans des conditions très dissemblables.

4Peut-on parler de littérature de voyage ? Wharton est parfaitement consciente du biais qui affecte sa perception puisqu’elle n’a que peu de temps devant elle, dans une période encore troublée, marquée par la difficulté de franchir le détroit de Gibraltar : « S’il fut riche en surprises et en pittoresque, mon voyage se déroula dans des conditions qui n’étaient guère propices à une étude sereine des lieux visités3. » Elle n’est donc pas affectée par la présomption du touriste, qui consisterait à s’imaginer connaître parfaitement le pays après un si rapide itinéraire : elle sait que son voyage a été trop expéditif, comme un survol. Mais elle pense en avoir vu assez pour donner une impression utile aux visiteurs pressés. Bosco lui se déplace avec lenteur et observe un pays qui l’accueille depuis des années quand il écrit son récit. Cette disparité a pour conséquence de livrer un récit de tout autre facture.

Une inspection coloniale/une résidence d’expatrié : l’alibi de l’écriture

5Même si leur objet peut être identique, il est en effet perçu selon des perspectives distinctes, avec une posture différente vis-à-vis du pays : lorsque Wharton le visite en 1918, le Maroc est passé depuis peu (le 30 mars 1912,) sous protectorat français, et Bosco, arrivé treize ans plus tard, repart du Maroc en 1955, juste avant l’indépendance en 1956 : ces deux textes se détachent évidemment sur un arrière-plan politique qui impose au pays une situation coloniale. Jean Jaurès lui-même avait protesté devant la Chambre des députés contre ce « traité de Fès » :

Et d’abord, je vous demande de quel droit prenons-nous le Maroc ? Où sont nos titres ? On prétend que c’est pour rétablir l’ordre... N’ajoutez pas, Messieurs, que c’est pour promouvoir la civilisation... Il y a une civilisation marocaine capable de révolution et de progrès, civilisation antique et moderne [...]. C’est pour cela qu’au nom du droit bafoué, moqué mais qui est la grande réalité de demain nous protestons contre le principe même de ce traité de protectorat4.

6Wharton ne conçoit pas les mêmes réserves et, reconnaissante de l’accueil qui lui a été réservé, elle dédie son récit à celui qui se trouve à la tête du système colonial régissant alors le Maroc :

AU GÉNÉRAL LYAUTEY
Résident général de France au Maroc
et à Mme Lyautey
qui par leur amabilité ont fait que ce voyage
a surpassé tout ce dont j’avais rêvé5.

7Elle a en effet bénéficié de l’invitation et des soins du gouverneur. Son discours est un panégyrique de l’œuvre colonisatrice de la France (Lyautey lui-même étant sans doute plus nuancé6), et particulièrement du premier résident, dont elle chante les louanges.

Tout cela fit que je n’eus qu’un mois pour visiter le Maroc, de la Méditerranée jusqu’au Haut Atlas, de l’Atlantique jusqu’à Fès, et, quand bien même j’aurais pu voyager sur un tapis volant, la multiplicité des impressions aurait rendu difficile toute observation approfondie.
Ce qui existe de mieux après un tapis volant, une voiture de l’armée, se trouvait à ma disposition chaque matin ; mais la guerre imposait des restrictions et le souci de limiter la consommation d’essence rendit impossible une seconde visite qui seule aurait permis d’avoir une impression précise et détaillée7.

8D’après certains critiques, comme Redouane Abouddahab, « Wharton déclare dès l’incipit l’objectif “professionnel” du récit, comme pour désamorcer toute confusion entre son récit et ceux écrits habituellement par des voyageuses. Or, on peut se demander si l’idée de guide du Maroc n’émane pas de Lyautey lui-même, souhaitant faire la promotion du Maroc8. » De fait, un chapitre entier, à la fin de l’ouvrage, est consacré à « l’œuvre du général Lyautey au Maroc » : il s’est montré le sauveteur de ce pays, selon elle, en vertu d’une « longue expérience coloniale et une combinaison inhabituelle de talents militaires et administratifs [qui] l’avaient préparé à cette tâche presque impossible9. » En outre, il aurait été fin connaisseur de la culture marocaine :

Un sens aigu de la beauté lui fit apprécier tout ce qu’il y avait de plus exquis et de plus vénérable dans l’art arabe du Maroc, et alors qu’il eut d’emblée à se débattre avec les pires problèmes politiques et militaires, il trouva le temps de s’entourer d’archéologues et d’artistes qui eurent pour mission d’inspecter et d’entretenir les monuments nationaux et de faire revivre un artisanat local languissant10.

9On se croirait revenu à l’exépdition d’Égypte orchestrée par Napoléon. Cela dit, malgré ces relents qui sonnent aujourd’hui comme particulièrement colonialistes, Lyautey – qui a sans doute réussi dans la mission qui était la sienne, quoi que l’on pense évidemment de cette entreprise– avait créé le Service des antiquités, beaux-arts et monuments historiques du protectorat du Maroc. Parmi ces savants et administrateurs, Maurice Tranchant de Lunel11 s’est particulièrement illustré, et le Voyage au Maroc le cite explicitement, entre Charles de Foucauld et Loti.

10Mme Lyautey se trouve citée également par Edith Wharton, tout acquise à sa cause, pour ses actions de bienfaisance ; Wharton ne ménage pas ses éloges à son égard, dans un article de France-Maroc, cinq pages tout à la gloire de son activité de dame-patronesse, s’affairant sans relâche et courant de dispensaire en maternité.

Rien, au cours de mon éblouissant voyage, ne m’a intéressée davantage. J’ai constaté, dans ces paisibles maisons de repos, la présence d’une énergie dirigeante de la même trempe que celle qui non seulement a gardé le Maroc pour la France pendant cette longue et douloureuse crise, mais qui a su en faire une magnifique source de ravitaillement pour la patrie éprouvée.
De part et d’autre, j’ai vu le même souci passionné de bien faire, de tout faire, de ne négliger aucun détail, et de s’assurer que tout le monde fait de même. J’ai appris bien des choses au Maroc, et entre autres qu’il faut à peu près les mêmes qualités pour bien gouverner une colonie et pour bien diriger une œuvre. Dans les deux cas, il faut surtout aimer sa besogne.
Edith Wharton
France-Maroc, 2 (15 October-15 November 1918), 306-30812

11Certes, dans un contexte de guerre où l’élan patriotique l’emporte sur la liberté d’aller et venir, et de rêver devant des ruines, les questions se posent sans doute différemment. Mais l’entreprise coloniale à la Lyautey, qui se surajoute aux enjeux du conflit mondial, se trouve présentée comme le résultat d’une véritable passion philanthropique, malgré l’évidente difficulté de compréhension entre Européens et Marocains : « rares sont les points de contact entre la large ouverture d’esprit occidentale et des êtres prisonniers d’une conception de la vie sexuelle et domestique fondée sur l’esclavage et l’espionnage incessant13. » « En effet, il est question de contact et nullement de rencontre comme l’observation obtuse de Wharton le suggère nettement14. »

12Porte-t-elle un regard particulier sur les femmes marocaines ? Pas le moins du monde, malgré son affirmation que la visite des dispensaires a été le clou de son voyage ; ce qui souligne par contraste l’activité débordante de Mme Lyautey – pour autant qu’on puisse en croire la visiteuse dans son article de France-Maroc aux relents manifestes de propagande : toutefois cette prise en main de l’hygiène locale semble justifiée en creux par les jugements peu amènes, dans son récit, sur la vie des Marocaines.

Ces femmes languissantes sur leurs coussins de mousseline ne font rien, pas même du tissage. La femme marocaine n’a que peu de connaissances en cuisine, en couture ou en tout autre art de la maison. […] Toutes ces vies de femmes, incolores et plates, dépendent du bon vouloir d’un gros homme tyrannique, bouffi par la bonne chère et boursouflé par l’autorité, presque aussi inerte et sédentaire qu’elles, et habitué à ce qu’elles satisfassent ses caprices depuis que, petit garçon en barboteuse, il a commencé à trotter dans ce même patio15.

13Son jugement est peut-être féministe – il serait souhaitable que ces femmes vivent une vie autonome – mais idéalement cette existence nouvelle serait une vie d’action, où les femmes assumeraient des attitudes plus viriles. Wharton n’a pas grand-chose à leur dire. Sa philosophie est en réalité calquée sur le regard colonial, qui s’impose presque naturellement de mettre bon ordre à l’indolence et à l’incurie16.

14Sur le plan personnel, Wharton semble adhérer pleinement à une organisation qui lui permet de voyager confortablement jusqu’où elle peut aller, et peut-être se donne-t-elle bonne conscience en valorisant le système idéologique qui lui permet de visiter le pays sans effort – mieux encore, qui redonne aux « ruines » pittoresques le charme de curiosités qu’un touriste peut admirer ; sous peu, prophétise-t-elle, à la manière de Chateaubriand ou de Segalen, les visiteurs vont arriver en hordes et ruiner le plaisir des véritables esthètes.

Le Maroc est trop étrange, trop beau, trop riche dans ses paysages et son architecture et, par-dessus tout, trop neuf pour ne pas attirer les grandes migrations de printemps, dès le rétablissement du trafic maritime en Méditerranée […] et quand le flot arrivera, plus aucun œil ne pourra voir Moulay-Idriss, Fès ou Marrakech comme je les ai vues17.

15Cela dit, elle n’hésite pas une seconde, forte de cette conviction, à transformer son récit en guide à l’intention de touristes :

Monter à bord d’un vapeur dans un port espagnol et débarquer trois heures plus tard dans un pays pour lequel il n’existe pas de guide touristique produit une sensation de nature à éveiller l’appétit du voyageur le plus repu18.

16Évidemment, elle exagère : en fait il n’existe pas de guide en anglais ! Selon Michel Rousset, il existait depuis 1915, sous l’égide de L’Écho du Maroc « un “Guide pratique illustré du touriste” consacré à la “zone nord du Maroc français”, en fait à Rabat, Kénitra, Meknès, Fès et leurs régions. […] Cet opuscule de “soixante pages de texte et vingt-neuf pages de publicité”19 » était en effet destiné au voyageur francophone « pour la satisfaction de ses besoins professionnels, de ses loisirs ou tout simplement de sa curiosité20. » Pour modeste que soit ce livret en comparaison des guides Baedeker que Wharton emporte habituellement en voyage, il n’en est pas moins idéologiquement marqué ; Redouane Abouddahab suggère que la chroniqueuse aurait pu en effet être chargée d’attirer les touristes anglais et américains par son récit, ce qui aurait justifié les commodités et les égards dont elle a profité durant son séjour. En tout état de cause, elle affiche dès les premières lignes son désir de se rendre utile et de transformer le récit de son propre périple en guide de voyage. « Puisque je commence ce livre en affirmant qu’il n’existe pas encore de guide du Maroc, j’aurais souhaité pouvoir remédier quelque peu à cette absence21. »

17Elle qui, en France, avait sillonné les routes en suivant les indications du Baedeker, elle organise son récit « In Marroco » (Au Maroc) selon la logique de l’itinéraire – la traversée, Tanger, Rabat, Volubilis, Meknès, Fès, Marrakech – : il y a des choses à voir et il y faut un ordre. Ses propres visites ont sans doute été plus aléatoires qu’il n’y paraît puisque Lyautey mettait autant que possible une voiture à sa disposition, mais que l’essence était rare : elle a probablement « rayonné » souvent autour de sa base, plutôt qu’effectué une longue boucle. Pour compléter les « impressions de voyage » personnelles, le contexte historique est brossé grâce à des références bibliographiques précises qui permettent de se documenter avant de partir ou de poursuivre la visite. Plusieurs voyageurs, militaires ou fonctionnaires coloniaux, avaient décrit le Maroc entre la fin du XIXe et 1915. Leurs descriptions ont servi de compte rendu de leurs activités, et de référence aux voyageurs qui ont marché sur leurs traces. Charles de Foucauld (Reconnaissance au Maroc, 1888), Pierre Loti (Au Maroc, 1890), René de Segonzac (Au cœur de l’Atlas. Mission au Maroc, 1904-1905, 1910), Edmond Doutté (En tribu. Missions au Maroc, 1914), Augustin Bernard (Le Maroc, 1916), Albert Cousin (Le Maroc, 1905…).

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Albert Marquet, « Le port d’Alger sous la brume », 1943, Musée des Beaux-Arts de Bordeaux, https://www.pop.culture.gouv.fr/notice/joconde/000PE022968 . Albert Marquet a peint aussi des paysages du Maroc dans les années 1910.

18D’ailleurs certains de ces ouvrages figuraient dans la collection personnelle d’Henri Bosco22 : comme Le Maroc de Bernard Augustin, ou Louis Châtelain, Les Fouilles de Volubilis. Certes Bosco a vécu manifestement heureux dans un Maroc sous protectorat. Mais l’usage que fait Bosco de ces ouvrages est sans doute tout autre : ils l’aident à entrer en sympathie avec une géographie, un relief, une terre qu’il décrit à partir du début, comme Wharton, depuis la mer. Mais là où Wharton voit quais, ports, activités, échanges, Bosco voit la mer et les tempêtes de l’ouest.

Quelques comptoirs ont pu s’y accrocher mais peu de chaleur humaine. […]
L’espoir vient de la mer, le danger aussi. En face d’elle, le Moghreb offre une figure obstinée de grave méfiance.[…]
Si de nos jours enfin un grand port a surgi sur le flanc rétif de ce pays rude et l’a ouvert au monde, c’est par l’intervention d’une volonté étrangère. La terre qui le porte ne l’exigeait pas23.

19Wharton en excursion palabre pour arriver à ses fins, décrit, commente, juge, organise en vue de rectifier à sa façon l’entretien des monuments, les rapports sociaux : elle est d’avant le tourisme, mais elle incarne déjà le touriste – tel que le décrit Bosco dans son chapitre « Plein Sud » :

Le tour peut être long, coûteux, difficile, dangereux même. Le touriste affronte tout, et même le tourisme. Il est pressé. C’est sa loi, qui est aussi celle de notre bel âge. Même quand il flâne, quelque chose en secret le presse. Il n’est qu’exceptionnellement un oisif pur. […] Le touriste est un évadé, qui regarde vers sa prison. Le tracé coloré de ses itinéraires les plus délicieux se double toujours d’une ligne d’ombre, visible de lui seul, qui est sa ligne de soucis…24

20Là où Wharton se met pratiquement dans le cas de faire le tour des lieux essentiels du pays en un mois et rendre compte d’une mission, sachant que son regard sera superficiel mais confiante dans la certitude qu’il est acéré et juste – précisément parce qu’elle ne se lie avec personne –, Bosco se situe dans un espace autre : certes il n’est pas marocain, mais il appartient discrètement à un autre règne intermédiaire, présent, accordé au paysage, vibrant de ses mystères. Une ironie peut surgir vis-à-vis de ces passants face à la troupe desquels il n’est que spectateur :

Il existe donc dans les grandes villes, des sanctuaires du voyage, où le voyageur raisonnable, prudent, aimant ses aises, peut prendre connaissance de ces rites. Ce sont les Offices du Tourisme. Dieu me garde d’en médire ! […] Aussi vient-on à vous ; on vous allèche ; vous êtes pris, charmé par les prestiges de l’affiche, de la photographie, de la formule incantatoire : « Vingt siècles d’histoire en vingt jours ! »25

21Le pays offert au touriste (dont il se désolidarise soigneusement grâce à l’emploi grammatical de la deuxième personne, rejetant le lecteur à sa piètre condition, lui qu’il a fait rêver à la terre africaine) se déguise sous des faux semblants, un clinquant qui attire l’œil inaccoutumé. Il faut la patience d’un « résident » pour attendre que les voiles se lèvent, que les portes s’entr’ouvrent et laissent entrevoir leurs mystères.

22L’un des derniers chapitres du Voyage au Maroc d’E. Wharton, « Harems et cérémonies », est consacré aux femmes marocaines : mais l’intimité des habitants n’a guère l’évanescence fascinante qu’elle a chez Bosco. Chez Wharton, les maisons s’ouvrent pour, à première vue, révéler un vide relatif. Au regard du passant ne se livre rien, ou pas grand chose. Dans Des sables à la mer, ce sont les portes, ouvragées et lourdement closes, qui interdisent au simple passant de contempler l’intérieur des maisons, avec leur lumière propre26. Mais la patience les fait s’ouvrir.

Là, mur énorme ; passage voûté ; demi-jour. On frappe. On frappe et on attend. Personne ne vient. Mais il faut attendre. Nous a-t-on entendus ? Peut-êre ; en tout cas il est poli d’attendre ; d’attendre assez pour se rendre bien compte qu’on attend, et qu’on vous fait attendre. Le coup de heurtoir a porté dans le silence ; et il est nécessaire que s’apaisent les mouvements qu’il a fait naître ; on doit reprendre ses esprits, disposer sa pensée à la parole, préparer l’accueil, écarter les bruits, ordonner un nouveau silence… Enfin un pas. […] Lentement s’entre-bâille la porte27.

23C’est donc un éloge de la lenteur : un mois pour la touriste, vingt-six ans pour le résident. Elle a tout passé en revue tambour battant, il a pris le temps de commencer à sentir. Et lui aussi a le temps de voir passer les étrangers, et se dissimuler comme les habitants.

Le touriste ne sait même pas qu’ils lui sont invisibles. Là où il ne voit rien, ni personne, il n’y a rien…
« Ne pourrait-on imaginer des écoles pour les touristes, où on leur apprendrait à découvrir ce rien, ou du moins à en soupçonner la présence secrète et passionnée ? Des écoles où enseigneraient de simples monteurs d’âmes ?… »28

24Wharton illustre son texte de photos (dont certaines sont dues au service des Beaux-Arts au Maroc) évidemment en noir et blanc et de composition géométrique lorsqu’il s’agit de monuments, sans émotion esthétique particulière, comme celles que l’on s’attend à trouver dans un guide.

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Edith Wharton, « Rabat – interior court of the Medersa of the Oudayas, From a photograph by Schmitt, Rabat », In Morroco, après la p. 20.

25Tranchant de Lunel, « director of the French School of Fine Arts in Morocco29 », qu’elle remercie en préface a évidemment, avec ses pinceaux et ses couleurs, une autre vision des bâtiments en général.

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Maurice Tranchant de Lunel, « Tombeaux saadiens, intérieur » (domaine public)

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Edith Wharton, « Meknez, gate “Bab-Mansour”, From a photograph from the Service des Beaux-Arts au Maroc », In Morroco, après la page 58.

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Maurice Tranchant de Lunel, (domaine public), consultable sur https://marocpluriel.com/coups-de-coeur/maurice-tranchant-de-lunel/#FlaGallery_sc1_1-1

26Le visiteur n’est pas le voyageur : Wharton pourtant décrit et apprécie les paysages, établit des rapprochements avec des peintres, les Mille et une nuits, et ne voyage pas aveuglément. Mais son récit est le déroulé de ses impressions d’observatrice objective et précise, selon sa propre perspective en mouvement ; elle n’a pas le temps ni le loisir de s’arrêter et ne peut se permettre le luxe de parler de ce qui ne vit pas, de ce qui n’attire pas la curiosité. Elle y cherche souvent le « point de repère », plus que l’anecdote, elle valorise ce qui peut faire comprendre immédiatement, comme le ferait un croquis.

Entre ces campements de nomades s’étend le bled, cet immense espace de jachère et de désert de palmiers : une terre aussi dépourvue de vie que, au dessus d’elle, le ciel l’est de nuages. Le paysage est toujours le même, mais si l’on aime les grands espaces vides et le jeu de la lumière sur ces longues étendues de terre parcheminée et de rocher, alors la monotonie fait partie de l’enchantement. Dans un tel paysage le moindre point de reprère est d’une importance extrême. […]
Une ville enfin – dont la proximité est annoncée par la multiplication des ornières de la piste, les haies de cactus et les figuiers croulant sous le poids de la poussière au-dessus de murs de terre en ruine30.

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Maurice Tranchant de Lunel, « Vue d’une Kasbah de l’Atlas » (Maroc, vers 1919), aquarelle (collection privée).

27Wharton écrit donc un « Guide pour le voyageur », celui qui ne sait pas mais veut s’instruire. À cette fin, il peut consulter les ouvrages dont elle dresse une liste bibliographique à la fin de son voyage31, et dont elle évalue les mérites en préface : sa préférence va aux livres accessibles, traduits en anglais, concis et denses, dans lesquels l’information se trouve rassemblée commodément. Wharton y puise probablement une science qu’elle n’a pu acquérir elle-même sur le terrain.

Dernièrement, un livre étonnant résume, avec cette clarté et cette cohérence dont seuls sont capables les savants français, tout ce qui peut être dit sur tous les sujets, à l’exception de l’art et de l’archéologie. C’est le volume de M. Augustin Bernard, Le Maroc, un petit livre concis mais en même temps le plus complet et le mieux informé depuis le temps où Léon l’Africain décrivait les bazars de Fès. M. Augustin Bernard traite toutefois seulement de l’ethnologie, de l’histoire sociale, religieuse et politique, ainsi que des caractéristiques physiques du pays ; et il néglige l’aspect visuel et anecdotique, sauf quand son livre traite de la vie courante, toujours pittoresque32.

28Ce « petit livre » savant (ou portable et compact) ne comporte toutefois pas moins de 420 pages dans sa 4e édition, en 1916, édition mentionnée par la bibliographie finale de In Morocco. La documentation est en effet extrêmement précise, avec des exposés de géographie et d’histoire précédant le chapitre final sur l’heureuse « mise en valeur du Maroc » par le protectorat français, « couronnement de notre œuvre coloniale33 ». Il y tresse aussi des lauriers au général Lyautey.

L’œuvre qu’il a ainsi accomplie depuis le début du conflit européen demeurera pour la France un titre impérissable de gloire au milieu de tous ceux dont cette période tragique a enrichi notre histoire34.

29On sent que pour Edith Wharton, cette façon pragmatique d’envisager la colonisation et la commodité que les voyageurs peuvent en attendre sont un atout à signaler aux futurs visiteurs britanniques ou américains.

Par conséquent, pour l’usage des heureux voyageurs qui projettent d’aller au Maroc, j’ai ajouté au récit de mes propres impressions un rapide panorama de l’histoire et de l’art du pays. Si je devais le justifier, je dirais que le principal mérite de ce panorama est de n’avoir aucune originalité35.

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Tranchant de Lunel, https://marocpluriel.com/wp-content/uploads/2012/10/3-TRANCHANT-DE-LUNEL.jpg

30Henri Bosco va proposer une vision toute différente dans son approche sensible du pays. « Guide pour le voyageur » et « Un guide pour celui qui sait » sont deux chapitres du volume Des sables à la mer : mais ils sont aussi représentatifs de ce genre hybride, cette forme d’essai à tendance lyrique que peut prendre la relation de voyage lorsqu’elle est inspirée par ce que la critique appellera ensuite la « géopoétique ».

Une maison qui n’émet pas de sortilège n’est bonne qu’à la halte. C’est une hôtellerie, non point une demeure. On ne s’arrête et l’on ne reste qu’aux lieux où l’on est pris.
Une demeure c’est, dans sa pensée, un retard imposé au temps, une durée plus résistante et plus concrète, et une mesure opposée à l’incommensurable espace, à l’infini. Qu’il le sache ou non, cela est, et de là vient cette vertu de la maison d’épandre un charme. Sortie des mains de l’homme où résident tant d’âmes inconnues, elle est le refuge magique, et, que le signe en soit le soleil ou la nuit, sur le seuil veille un être36.

31Dans cette forme de description géopoétique, cette patience, cette rêverie sur les atmosphères des lieux, cette politesse de la rencontre, naît le savoir.

On appelle mes livres des romans, mais, sauf Le Mas, ils ne sont pas ce qu’on désigne d’ordinaire sous ce nom. Et je n’y tiens pas. J’ai écrit des récits. Le récit m’est indispensable pour atteindre directement à la poésie. C’est la poésie que je cherche, c’est-à-dire la création de fictions, tirées du fond de l’âme, et dont la vie fictive, analysée avec soin, me permette d’étudier et de connaître cette âme elle-même, par cette sorte de reflet37.

32Même les lieux dialoguent entre eux : Rabat et Lourmarin échangent leurs puissances évocatrices.

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Henri Bosco, fin du Manuscrit du Mas Théotime https://humazur.univ-cotedazur.fr/omeka-s-dev/s/humazur/ark:/17103/mnq, 724/741

33Pour saisir la dimension de la sensation liée à un environnement propice à la rêverie géopoétique, les pages tirées Des sables à la mer rappellent celles de Tipasa chez Camus, qui veut aussi considérer ses « récits » comme des « essais38 » :

Au printemps, Tipasa est habitée par les dieux et les dieux parlent dans le soleil et l’odeur des absinthes, la mer cuirassée d’argent, le ciel bleu écru, les ruines couvertes de fleurs et la lumière à gros bouillons dans les amas de pierres. À certaines heures, la campagne est noire de soleil. Les yeux tentent vainement de saisir autre chose que des gouttes de lumière et de couleurs qui tremblent au bord des cils. L’odeur volumineuse des plantes aromatiques racle la gorge et suffoque dans la chaleur énorme. À peine, au fond du paysage, puis-je voir la masse noire du Chenoua qui prend racine dans les collines autour du village, et s’ébranle d’un rythme sûr et pesant pour aller s’accroupir dans la mer. […]
Debout dans le vent léger, sous le soleil qui nous chauffe un seul côté du visage, nous regardons la lumière descendre du ciel, la mer sans une ride, et le sourire de ses dents éclatantes. Avant d’entrer dans le royaume des ruines, pour la dernière fois nous sommes spectateurs39.

34Il faut donc s’arrêter pour laisser le monde le traverser.

En nous flotte et sommeille un « plus profond que nous », que ce nous usuel dont nous n’avons d’ailleurs qu’une connaissance pratique. Un « nous plus profond », et meilleur ou pire, qu’importe ? mais inconnu. Du moins à beaucoup d’hommes. Il arrive pourtant qu’il se révèle. Il arrive parfois qu’on en puisse surprendre l’existence secrté quand on parle de soi doucement à soi-même, mais non pas avec complaisance. Car, il faut alors confier à sa voix ce je ne sais quoi d’insolite et de tendre qui a l’air de répondre à quelqu’un qui nous aime et dont nous aurions oublié l’amour.

Diaire – 1963 40

Des livres et des guides

35Wharton avait donc parfaitement raison d’opposer celui qui passe, comme sensible à la différence, et celui qui réside, comme sensible aux correspondances et aux invariants humains. Reste qu’elle se décrivait elle-même, visiteuse pressée et sûre d’elle, tentée de régenter le monde à sa façon, à l’aurore des voyages touristiques au Maroc : dix, vingt ans plus tard, l’étap était franchie et il fallait tout le regard alenti et complice, pour dépeindre l’atmosphère d’un autre état du pays, celui qui ne se laisse pas saisir du premier coup d’œil. On comprend mieux a posteriori l’épigraphe savante et mystérieuse des Sables à la mer :

… παρ’ οἷς ἐμείναμεν
ἄχρι τινὸς φίλοι
γενόμενοι.
ΑΝΝΩΝΩΣ ΠΕΡΙΠΛΟΥΣ41

36Cette citation peut se traduire par « chez qui nous sommes restés jusqu’à devenir amis de quelqu’un. (Le Périple d’Hannon) ».

37Même si Wharton chante les louanges de Lyautey, dans le contexte de l’affrontement avec l’Allemagne, on comprend que l’emprise coloniale – qu’elle s’exprime par la force, l’organisation ou le tourisme – n’est pas le meilleur moyen de parvenir à rendre justice à un pays et ses paysages. Vivant au Maroc plus de vingt-cinq ans, et dans les derniers moments de l’emprise du Protectorat, Henri Bosco ne peut qu’avoir une vision différente. Le dessin et la prose poétique, mieux que la photo et le journal d’itinéraire sur le modèle du Baedeker, sont un « guide pour celui qui sait ».

Ami, qui connais les mystères, avance, les yeux clos, ne tremble pas : tu sais. Le tout est de franchir la porte et je n’ignore pas que celle-ci t’inquiète. […]
Mais, la porte franchie, il n’y a rien. Pas un toit. Un vide imprévu : l’air, le ciel, les étangs, le fleuve dans la plaine.
Le rempart ne cachait qu’un paysage : on est enivré et déçu.
Le terrain cède et glisse dans un gouffre aérien pour s’enfoncer en bas sous un énorme fouillis d’arbres, d’où monte une petite tour aussi friable que les beaux remparts.
C’est là qu’il faut descendre.
Mais tu as fait le pas. Tu l’as bien fait. […]
Et maintenant je repose et je songe42.

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Cahiers de l’Amitié Henri Bosco, n° 1972-1, page de couverture, https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k9761461j/f1.item

Notes de bas de page numériques

1 Edith Wharton, Les mœurs françaises et comment les comprendre [1919], trad. Jean Pavans, Paris, Payot, pbp/voyageurs, Préface, p. 20. « There are two ways of judging a foreign people: at first sight, impressionistically, in the manner of the passing traveller; or after residence among them, “soberly, advisedly,” and with all the vain precautions enjoined in another grave contingency.// Of the two ways, the first is, even in ordinary times, often the most fruitful. The observer, if he has eyes and an imagination, will be struck first by the superficial dissemblances, and they will give his picture the sharp suggestiveness of a good caricature. If he settles down among the objects of his study he will gradually become blunted to these dissemblances, or, if he probes below the surface, he will find them sprung from the same stem as many different-seeming characteristics of his own people. A period of confusion must follow, in which he will waver between contradictions, and his sharp outlines will become blurred with what the painters call “repentances.” // From this twilight it is hardly possible for any foreigner’s judgment to emerge again into full illumination. » Edith Wharton, French Ways and their Meaning, Appleton and Compagny, 1918-1919, p. vi-vii.

2 E. Wharton, Voyage au Maroc, trad. Frédéric Monneyron, Gallimard, « L’Imaginaire », 1996, p. 22.”that brilliant morning of September, 1917”, In Morocco, London, Macmillan, 1920, p. 6.

3 E. Wharton, Voyage au Maroc, p. 11. « But the conditions in which I travelled, though full of inexpected and picturesque opportunities, were not suited to leisurely study of the places visited. », In Morocco, p. vii.

4 Pierre Vermeren, « Lyautey au Maroc en 1912 : ambitions, jeux de pouvoir parisiens, environnement politique et enjeux géopolitiques », Cent ans d’Histoire des Outre-Mers, Paris, Société française d’histoire des outre-mers, Publications de la Société française d'histoire des outre-mers, 9, 2013, pp. 81-92, ici p. 88. https://www.persee.fr/doc/sfhom_0000-0003_2013_ant_9_1_1121 (consulté le 15 mai 2021).

5 E. Wharton, Voyage au Maroc, p. 9. « To / General Lyautey / Resident general of France in Morocco and to Madame Lyautey / Thanks to whose kindness the journey / I had so long dreamed of / surpassed what I had dreamed », In Morocco, p. v.

6 Voir Pierre Vermeren, « Lyautey au Maroc en 1912 », art. cit, passim.

7 E. Wharton, Voyage au Maroc, p. 12. « This left me only one month to visit Morocco from the Mediterranean to the High Atlas, and from the Atlantic to Fez, and even had there been a Djinn’s carpet to carry me, the multiplicity of impressions received would have made precise observation difficult. // The next best thing to a Djinn’s carpet, a military motor, was at my disposal every morning; but war conditions imposed restrictions, and the wish to use the minimum of petrol often stood in the way of the second visit which alone makes it possible to carry away a definite and detailed impression. » In Morocco, p. viii.

8 Redouane Abouddahab, « Wharton au Maroc . La Jouissance, le monstration, le principe de fiction », Sociocriticism 2014, vol. XXIX, 1-2, pp. 25-72, ici p. 29. revues.univ-tlse2.fr/sociocriticism/index.php?id=941&file=1

9 E. Wharton, Voyage au Maroc, p. 174. « A long colonial experience, and an unusual combination of military and administrative talents, prepared him for the almost impossible task of dealing with them. » In Morocco, p. 213.

10 E. Wharton, Voyage au Maroc, p. 179. « A keen feeling for beauty had prepared him to appreciate all that was most exquisite and venerable in the Arab art of Morocco, and even in the first struggle with political and military problems he found time to gather about him a group of archœologists and artists who were charged with the inspection and preservation of the national monuments and the revival of the languishing native art-industries. » In Morocco, p. 221.

11 Maurice Tranchant de Lunel, architecte, peintre et illustrateur, né en 1869, vécut à Nice entre 1900 et 1905. Il se rendit plusieus fois au Maroc : à Fès en 1902, puis en 1908 à Tanger, Meknès, Rabat, Marrakech, dont il fit des aquarelles. Revenu au Maroc en 1911, il fut nommé en 1912 à la tête du Service des antiquités, beaux-arts et monuments historiques du protectorat du Maroc, que Lyautey venait de créer. Il y fut chargé de la conservation des monuments et eut pour mission d’établir une liste de classement des monuments historiques du Maroc. Son poste fut supprimé en 1923. En tant qu’architecte, il participa à la conception de la Grande Mosquée de Paris et fut élu membre correspondant de l’Académie des sciences coloniales dès sa fondation en 1923. On lui doit entre autres Au pays du paradoxe : Maroc (Fasquelle, 1924), avec une préface de Claude Farrère. D’après la notice d’autorité du catalogue général de la BnF, il serait décédé en 1944. L’histoire de l’art n’est, curieusement, guère diserte à son propos. Mylène Théliol déplore le fait que « [j]usquà l’indépendance, l’emploi de personnel actif autochtone n’a jamais été envisagé au sein du Service des beaux-arts, antiquités et monuments historiques. Finalement, l’histoire nationale du Maroc a été écrite par les Français et montrée par des munuments types et des villes-musées classés. » (Mylène Théliol, « Le Service des beaux-arts, antiquités et monuments historiques, clef de voûte de la politique patrimoniale française au Maroc sous la résidence de Lyautey (1912-1925) », Outre-mers, t. 98, n°370-371, 1er semestre 2011, Le contact colonial dans l’empire français : XIXe-XXe siècles, Maria Romo-Navarrete et Sarah Mohamed-Gaillard (dir.), pp. 185-193, ici p. 193. www.persee.fr/doc/outre_1631-0438_2011_num_98_370_4545 (cons. 5 juin 2021).

12 Edith Wharton, « Les Œuvres de Mme Lyautey au Maroc », Tulsa Studies in Women’s Literature, Vol. 17, n° 1 (Spring, 1998), pp. 23-27, ici p. 27. Published by University of Tulsa, https://www.jstor.org/stable/464322 (cons. 10 juin 2021).

13 E. Wharton, Voyage au Maroc, p. 160. « there are few points of contact between the open-air occidental mind and beings imprisoned in a conception of sexual and domestic life based on slave-service and incessant espionage. » In Morocco, p. 193.

14 Redouane Abouddahab, « Wharton au Maroc », art. cit., p. 50.

15 E. Wharton, Voyage au Maroc, p. 160. « These languid women on their muslin cushions toil not, neither do they spin. The Moroccan lady knows little of cooking, needlework or any household arts. […] And all these colourless eventless lives depend on the favour of one fat tyrannical man, bloated with good living and authority, himself almost as inert and sedentary as his women,and accustomed to impose his whims on them ever since he ran about the same patio as a little short-smocked boy. » In Morocco, p. 193.

16 « Aujourd’hui, nos colonies sont de vastes chantiers en plein travail et presque tous en plein rendement. Tout un monde créé par nous vit et agit au loin, sous les tropiques. Les réseaux de voies de communication, quoique s’étendant chaque année, ne peuvent suffire encore aux besoins qui s’intensifient, au transport des richesses produites. […] Grâce à l’hygiène, à une belle organisation médicale, l’activité humaine s’exerce avec une sécurité qui parait miraculeuse aux pionniers d’autrefois » (La Croix, 21 août 1931). Cité par Alain Ruscio, « L’Exposition coloniale de 1931, apogée du discours colonial », 13 mai 2021, Histoire coloniale et postcoloniale, https://histoirecoloniale.net/L-Exposition-coloniale-de-1931-apogee-du-discours-colonial-par-Alain-Ruscio.html. (cons. 8 juin 2021). Maurice Tranchant de Lunel rédige sur un ton léger un petit livret à l’occasion de l’Exposition de Paris en 1931, Le tour du monde en un jour à l'Exposition coloniale, qu’il illustre lui-même en en noir et blanc, à la mnière d’une bande dessinée.

17 E. Wharton, Voyage au Maroc, préface, p. 12. « Morocco is too curious, too beautiful, too rich in landscape and architecture, and above all too much of a novelty, not to attract one of the main streams of spring travel as soon as Mediterranean passenger traffic is resumed […] and once that deluge is let loose, no eye will ever again see Moulay Idriss and Fez and Marrakech as I saw them. » In Morocco, p. viii-ix.

18 E. Wharton, Voyage au Maroc, p. 19 (italiques dans le texte). « To step on board a steamer in a Spanish port, and three hours later to land in a country without a guide-book, is a sensation to rouse the hunger of the repletest sight-seer. » In Morocco, p. 3.

19 Michel Rousset, « La promotion de Meknès à travers les guides marocains de tourisme (1915-1935). » Conférence présentée le 27 octobre 2006 lors du colloque « Dialogue social et interculturel », organisé par l’association Formidec, les 26, 27 et 28 octobre 2006 à Meknès. Cité par Redouane Abouddahab, « Wharton au Maroc », art. cit., p. 69.

20 Michel Rousset, cité par Redouane Abouddahab, « Wharton au Maroc », art. cit., p. 69.

21 E. Wharton, Voyage au Maroc, p. 11. « Having begun my book with the statement that Morocco still lacks a guide-book, I should have wished to take a first step toward remedying that defiency. » In Morocco, p. vii.

22 La bibliothèque personnelle d’Henri Bosco est conservée à la Bibliothèque Universitaire du campus « Lettres » de Nice, qui porte son nom.

23 Henri Bosco, Des sables à la mer. Pages marocaines, Gallimard, « nrf », 1950, p. 15.

24 H. Bosco, Des sables à la mer, op. cit., p. 114.

25 H. Bosco, Des sables à la mer, op. cit., p. 115.

26 Voir H. Bosco, Des sables à la mer, op. cit., p. 158.

27 H. Bosco, Des sables à la mer, op. cit., p. 119-120.

28 H. Bosco, Des sables à la mer, op. cit., p. 118.

29 E. Wharton, In Morocco, p. xii.

30 E. Wharton, Voyage au Maroc, p. 24-25. « Between these nomad colonies lies the bled, the immense waste of fallow land and palmetto desert: an earth as void of life as the sky above it of clouds. The scenery is always the same; but if one has the love of great emptiness, and of the play of light on long stretches of parched earth and rock, the sameness is part of the enchantment. In such a scene every landmark takes an extreme value. […] A town at last – its nearness announced by the multiplied ruts of the trail, the cactus hedges, the figtrees weighed down by dust leaning over ruinous earthen walls. » In Morocco, p. 10-11.

31 Cette bibliographie, certes datée et incomplète, n’est pas reproduite dans la traduction publiée dans la collection « L’imaginaire Gallimard ».

32 E. Wharton, Voyage au Maroc, p. 14. « Lastly, one striking book sums up, with the clearness and consecutiveness of which French scholarship alone possesses the art, the chief things to be said on all these subjects, save that of art and archæology. This is M. Augustin Bernard’s volume, “Le Maroc,” the one portable and compact yet full and informing book since Leo Africanus described the bazaars of Fez. But M. Augustin Bernard deals only with the ethnology, the social, religious and political history, and the physical properties, of the country; and this, though “ a large order,” leaves out the visual and picturesque side, except in so far as the book touches on the always picturesqye life of the people. » In Morocco, p. xi.

33 Augustin Bernard, Le Maroc, 4e éd. Paris, Félix Alcan, 1916, p. 390.

34 A. Bernard, Le Maroc, op. cit., p. 391.

35 E. Wharton, Voyage au Maroc, p. 14. « For the use, therefore, of the happy wanderers who may be planning a Moroccan journey, I have added to the record of my personal impressions a slight sketch of the history and art of the country. In extenuation of the attempt I must add that the chief merit of this sketch will be its absence of originality. » In Morocco, p. xi-xii.

36 H. Bosco, Des sables à la mer, p. 159.

37 Henri Bosco, Lettres à Jean Steinmann, in Littérature d’hier et d’aujourd’hui, Desclée de Brouver, 1963, p. 216 ; cité dans les Cahiers de l’Amitié Henri Bosco, Nice, mars 1973, n° 2, p. 3.

38 Albert Camus, Noces suivi de L’Été, Gallimard, 1959, « Folio », 1982, p. 8.

39 A. Camus, « Noces à Tipasa », op. cit., p. 11-12.

40 H. Bosco, Cahiers de l’Amitié Henri Bosco, Nice, octobre 1973, n° 3, p. 3.

41 H. Bosco, Des sables à la mer, « Sanctuaire », p. 9. Nous avons corrigé le texte grec mal typographié.

42 H. Bosco, Des sables à la mer, « Sanctuaire », p. 53-55.

Bibliographie

Corpus

BOSCO Henri, Des sables à la mer. Pages marocaines, Paris, Gallimard, « nrf », 1950

BOSCO Henri, Lettres à Jean Steinmann, in Littérature d’hier et d’aujourd’hui, Paris, Desclée de Brouver, 1963

BOSCO Henri, Diaire (inédit, 1963), in Cahiers de l’Amitié Henri Bosco, Nice, octobre 1973, n° 3, p. 3, gallica

WHARTON Edith, French Ways and their Meaning, New York, Appleton and Compagny, 1918-1919 ; Les mœurs françaises et comment les comprendre, trad. Jean Pavans, Paris, Payot, pbp/voyageurs

WHARTON Edith, In Morocco, London, Macmillan, 1920 ; Voyage au Maroc, trad. Frédéric Monneyron, Paris, Gallimard, « L’Imaginaire », 1996

WHARTON Edith, « Les Œuvres de Mme Lyautey au Maroc », Tulsa Studies in Women’s Literature, Vol. 17, n° 1 (Spring, 1998), pp. 23-27, published by University of Tulsa, https://www.jstor.org/stable/464322 (cons. 10 juin 2021).

Autres textes

BERNARD Augustin, Le Maroc, 4e éd., Paris, Félix Alcan, 1916

CAMUS Albert, Noces suivi de L’Été, Paris, Gallimard, 1959, « Folio », 1982

TRANCHANT DE LUNEL Maurice, Le Tour du monde en un jour à l'Exposition coloniale, texte et illustrations de Maurice Tranchant, Paris, Studio du Palmier nain,1931.

Études

Site Henri Bosco: https://henribosco.org/

Cahiers de l’Amitié Henri Bosco, Nice, 1972, n° 1, https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k9761461j/f1.item

Cahiers de l’Amitié Henri Bosco, Nice, mars 1973, n° 2, gallica

Cahiers de l’Amitié Henri Bosco, Nice, octobre 1973, n° 3, gallica

ABOUDDAHAB Redouane, « Wharton au Maroc . La Jouissance, le monstration, le principe de fiction », Sociocriticism 2014, vol. XXIX, 1-2, pp. 25-72. revues.univ-tlse2.fr/sociocriticism/index.php?id=941&file=1 (cons. 15 mai 2021)

RUSCIO Alain, « L’Exposition coloniale de 1931, apogée du discours colonial », 13 mai 2021, Histoire coloniale et postcoloniale, https://histoirecoloniale.net/L-Exposition-coloniale-de-1931-apogee-du-discours-colonial-par-Alain-Ruscio.html. (cons. 8 juin 2021)

THÉLIOL Mylène, « Le Service des beaux-arts, antiquités et monuments historiques, clef de voûte de la politique patrimoniale française au Maroc sous la résidence de Lyautey (1912-1925) », Outre-mers, tome 98, n°370-371, 1er semestre 2011, Le contact colonial dans l’empire français : XIXe-XXe siècles, Maria Romo-Navarrete et Sarah Mohamed-Gaillard (dir.), pp. 185-193. www.persee.fr/doc/outre_1631-0438_2011_num_98_370_4545 (cons. 15 mai 2021)

VERMEREN Pierre, « Lyautey au Maroc en 1912 : ambitions, jeux de pouvoir parisiens, environnement politique et enjeux géopolitiques », Cent ans d’Histoire des Outre-Mers, Paris, Publications de la Société française d'histoire des outre-mers, n° 9, 2013, pp. 81-92. https://www.persee.fr/doc/sfhom_0000-0003_2013_ant_9_1_1121 (cons. 15 mai 2021)

Pour citer cet article

Odile Gannier, « « Guide pour le voyageur », « Un guide pour celui qui sait ». Edith Wharton, Voyage au Maroc (1920), Henri Bosco, Des sables à la mer (1950) », paru dans Loxias-Colloques, 19. Autour d’Henri Bosco : voyageurs et expatriés en Afrique du nord. Textes et images, « Guide pour le voyageur », « Un guide pour celui qui sait ». Edith Wharton, Voyage au Maroc (1920), Henri Bosco, Des sables à la mer (1950), mis en ligne le 11 juin 2022, URL : http://revel.unice.fr/symposia/actel/index.html?id=1879.


Auteurs

Odile Gannier

Odile Gannier est professeur de littérature générale et comparée à l’Université Côte d’Azur, laboratoire CTEL. Elle travaille en particulier sur la littérature de voyage et sur la littérature de mer, ayant publié de nombreux articles et ouvrages sur le sujet (La Littérature de voyage, 2001, rééd. 2016) ; Le roman maritime, PUPS, 2011) ; ainsi que l’édition du voyage autour du monde fait par Marchand : Journal de bord d’Etienne Marchand. Le voyage du Solide autour du monde (1790-1792), CTHS, 2005.

Université Côte d’Azur, CTEL