Loxias-Colloques |  19. Autour d’Henri Bosco : voyageurs et expatriés en Afrique du nord. Textes et images 

Valerio Vittorini  : 

Le Maroc dans les récits de voyage de Maddalena Cisotti Ferrara et Luigi Barzini

Résumé

En 1907 paru en Italie Sotto la tenda, impressioni d’un giornalista al Marocco récit d’un voyage au Maroc de Luigi Barzini, un journaliste déjà célèbre à l’époque. Cinq ans plus tard, en 1912 paru Nel MaroccoRicordi personali di vita intima, un récit de voyage peu connu et presque tombé dans l’oubli de nos jours, de Maddalena Cisotti Ferrara qui résida trois ans au Maroc entant qu’épouse du Commandant Eugenio Ferrara qui y dirigeait la Regia Missione Militare. Les deux récits, bien que très proches d’un point de vue chronologique, ne pourraient se révéler plus différents et, pour étrange que ça puisse paraître, ce n’est pas le point de vue féminin qui gagne dans la comparaison.

Abstract

In 1907, an account of travels in Morocco, Sotto la tenda, impressioni d’un giornalista al Marocco by Luigi Barzini, a renowned journalist at the time, was published in Italy. Five years later, Nel Marocco - ricordi personali di via intima, a little-known account of travels totally forgotten until recently, by Maddalena Cisotti Ferrara who lived in Morocco for three years with her husband, Commander Eugenio Ferrara, head of the Regia Missione Militare, was published in 1912. The two accounts, although chronologically very close, could not be more different, and as strange as it may seem, it is not the female perspective that prevails in the comparison.

Index

Mots-clés : Barzini , Cisotti Ferrara, littérature de voyage, littérature italienne, Maroc

Texte intégral

1Depuis la chute de l’Empire Romain d’Occident en 476 apr. J.-C., la péninsule italienne a été fragmentée en une multitude de petits États jusqu’en 1861, date de la proclamation du Royaume d’Italie. Pendant quatorze siècles la péninsule a donc été divisée en petits États indépendants sans aucune possibilité concrète de voir se réaliser une unification politique du pays. Cette situation particulière, si différente de celle des Royaumes de France, d’Espagne ou d’Angleterre, n’est pas sans conséquences sur la nature profonde de la culture italienne. Tout au long du Moyen Âge, la langue, la culture et la littérature se sont développées au sein de cette fragmentation.

2L’Humanisme, né en Italie au XIVe siècle, n’est pas un phénomène culturel national comme pouvaient l’être d’autres cultures déjà établies dans chacun des grands pays d’Europe mais il devient rapidement un phénomène universel qui rayonne au-delà des frontières, capable de produire des images, des langages et une pensée nouvelle que le monde entier veut partager. L’Italie, berceau de l’Humanisme, attire alors les plus grands intellectuels européens, dont Erasme qui, en premier, se rend en Italie pour parfaire sa formation.

3L’absence d’une véritable vocation à devenir un état national jusqu’à la moitié du XIXe siècle, confère à la culture italienne et, par conséquent, à la littérature de voyage italienne, une dimension différente et particulière par rapport aux littératures de voyage françaises et anglaises. N’ayant pas d’intérêts nationaux à défendre ni aucune soif de conquête, les voyageurs italiens portent, en principe, un regard assez désintéressé et leurs observations peuvent donc être considérées comme plutôt fiables1. Même lorsqu’ils sont en quelque sorte liés à certains des états régionaux italiens, comme c’est le cas pour nombre de voyageurs vénitiens, liés aux intérêts commerciaux de la Sérénissime, véritable puissance maritime et commerciale, leur regard sur le monde de l’autre rivage de la Méditerranée, est incomparable à la vision « impérialiste2 » qui caractérise les regards des voyageurs français et anglais du XIXe siècle.

4Cette heureuse particularité de la littérature de voyage italienne a tendance à s’estomper au cours du XIXe alors qu’en Italie se répand l’idée d’une unité nationale, ce long processus qui aboutira, en 1861 à la proclamation du Royaume d’Italie. Le passage entre état national et nationalisme est en Italie très rapide, beaucoup plus rapide qu’ailleurs comme si l’Italie avait hâte de combler un retard. L’attitude humaniste qui avait caractérisé les récits de voyages italiens pendant des siècles, attitude d’ailleurs conforme à la plus ancienne et profonde mouvance culturelle italienne, est vite abandonnée pour la plus « moderne » attitude impérialiste. L’absence d’un regard « impérial » vers des civilisations que les Italiens avaient côtoyées et avec qui ils échangeaient depuis des siècles, est perçue, par nombre de voyageurs italiens, comme un retard qu’il faut s’empresser de combler au même titre que l’absence d’un état national, d’un système scolaire ou d’un réseau de chemin de fer.

5Avant même la proclamation du Royaume d’Italie, et peu après l’apparition sur la scène politique italienne de tendances expansionnistes et impérialistes, la vision française et anglaise des rapports entre « Occident » et « Orient » avait déjà fait son chemin dans les comptes rendus de voyages italiens. Les modèles étrangers, plus incisifs et « modernes » ont l’avantage d’offrir une vision plus séduisante des rapports entre « occidentaux » et « orientaux » car, en créant une dichotomie essentielle et inédite entre les deux rivages de la Méditerranée, ils offrent aux Italiens une possibilité bon marché de combler le retard, de s’identifier à la civilisation « supérieure » en radicalisant et en institutionnalisant la séparation avec l’autre rivage de la Méditerranée. Le premier texte qui présente une image très négative des Arabes suivie d’une exhortation adressée aux puissances européennes à conquérir militairement les côtes nord-africaines est Avventure e osservazioni sopra le coste di Barberia (1816) de Filippo Pananti, un Italien établi en Angleterre qui avait probablement mûri dans sa nouvelle patrie ses idées « modernes » de conquête.

6Peu après la proclamation du Royaume d’Italie paraît l’œuvre Marocco3 (1877), de Edmondo De Amicis, peut-être le premier écrivain professionnel italien auteur de récits de voyage. Il voyagea au Maroc à la suite de la première mission diplomatique du jeune Royaume d’Italie auprès du Sultan Moulay el Hassan. Dans cette œuvre l’auteur finit par donner une image d’ensemble du monde arabo-marocain qui ne s’éloigne pas beaucoup des stéréotypes offerts par la littérature de voyage anglaise et française depuis près d’un siècle. Toutefois, dans quelques passages du texte on peut percevoir de rares moments pendant lesquels il nous est possible de voir, au-delà des représentations et des projections stéréotypées, la « réalité » de l’« autre », une de ces rares « zones de contact » dont parle Claude Reichler4.

7Vingt-deux ans après le voyage de De Amicis, en 1897, vint s’installer pendant quelques années à Fez, Maddalena Cisotti Ferrara, épouse du Commandant Eugenio Ferrara qui y résidait depuis 1889 et y dirigeait la Regia Missione Militare au Maroc, une usine, bâtie par l’armée italienne dans l’enceinte même du palais royal de Fez, destinée à produire des armes pour l’armée chérifienne. Rentrée en Italie en 1900, Maddalena Cisotti publia, en 1912, un récit de voyage : Nel MaroccoRicordi personali di vita intima5 (Au Maroc – Souvenirs de vie intime) œuvre peu connue et presque tombée dans l’oubli de nos jours.

8On ne sait pas grand-chose de la vie de Maddalena Cisotti Ferrara. Son père, Lodovico Cisotti, issu d’une noble lignée de Vicenza (Vénétie), était colonel de l’armée italienne et directeur de la Rivista Militare Italiana (Revue militaire italienne). Maddalena s’est donc formée dans un milieu aristocratique, mais peut-être pas aussi cosmopolite que celui de la princesse de Belgiojoso, et surtout pas aussi libre, son père étant un membre éminent de la classe dirigeante du nouveau Royaume d’Italie.

9Dans la préface l’auteure déclare que, si elle a la « présomption » d’écrire sur le Maroc après les œuvres de De Amicis, Pierre Loti, Luigi Barzini et tant d’autres, c’est parce qu’elle croit pouvoir offrir un regard original : les écrivains qui ont précédemment décrit le Maroc n’ont fait que traverser à la hâte le pays pendant quelques semaines ; pour cette raison « on n’a pas encore pu pénétrer dans l’intime nature de ce peuple qui, comme les peuples anciens, est, en même temps, sauvage et raffiné6 ». L’auteur, au contraire, y a séjourné des années et a fait plusieurs fois le long trajet entre Fez et Tanger. Elle a donc pu connaître de près la vie des Marocains, leurs us et coutumes, et surtout, en tant que femme, elle a pu accéder aux harems de Fez, ce qui constitue l’originalité de son regard.

Personne, je crois, n’a pu soulever le voile qui cache, aux yeux des profanes, les harems marocains, très différents des harems turcs et égyptiens désormais bien connus. Les harems marocains, toujours fermés et inaccessibles, gardent intacts le charme de leur mystère : seules les femmes peuvent y pénétrer et, par conséquent, seule une femme les ayant vus peut en écrire7.

10En fait on pouvait connaître les harems turcs grâce à l’œuvre de l’Italienne Cristina de Belgiojoso8 écrite en français et publiée à Paris dans la Revue des deux mondes en 1858 ainsi qu’à travers l’œuvre, très célèbre, de l’Anglaise lady Montagu9. On pouvait déjà découvrir les harems égyptiens à travers l’œuvre de l’Italienne Amalia Nizzoli10, mais personne n’avait encore décrit les harems marocains.

11Toutefois on chercherait en vain dans les pages de Maddalena Cisotti la voix des femmes arabes qu’on peut parfois entendre dans les pages de Cristina de Belgiojoso et Amalia Nizzoli. Au contraire la femme musulmane représentée dans les pages de Maddalena Cisotti confirme tous les stéréotypes anciens et nouveaux sur les femmes « orientales ». Dans le chapitre dédié aux femmes de l’Islam nous pouvons lire :

[Les femmes turques et égyptiennes] ne peuvent plus se considérer comme de pures femmes de l’Islam puisque, bien qu’elles sortent toujours voilées, elles sont toutefois libres d’aller où elles veulent et quand elles le veulent, en voiture ou en bateau, et elles entreprennent souvent des études, même les plus difficiles. La femme marocaine est la vraie femme du Coran : créature belle et sans volonté, instrument passif dans les mains de l’homme qui, selon la classe sociale à laquelle il appartient en fait une bête de somme ou un ornement de son harem. […] L’apparence [de la femme marocaine] est presque toujours charmante de volupté et de langueur, mais son âme est inexistante ou bien elle en a juste assez pour donner vie à son corps et permettre ainsi de la distinguer d’une magnifique poupée. […] Extérieurement rien n’est plus séduisant que ces petites personnes dont la splendide enveloppe ne recouvre qu’une matière brute et primitive11.

12Aucune indulgence, aucune empathie, aucun sens de la perspective historique. Le propre de la femme musulmane, figé par le Coran, c’est donc la « passivité », le « manque de volonté », la « mollesse », la « langueur », etc. Ces femmes ne peuvent évoluer, comme ce fut le cas en Égypte ou en Turquie, qu’au prix de leur « pureté ».

13On peut lire encore :

Parmi les Arabes, l’homme est le maître, la femme est l’esclave dont il se sert pour toutes les nécessités de sa sensualité. L’épouse arabe n’est pas la femme de son mari dans le sens élevé et complexe que les Européens donnent à ce mot : elle est une chose, de l’argile qu’il façonne à sa guise.
Les riches aiment la voir dans le décor splendide que permet l’aisance, pour les pauvres elle n’est qu’un animal domestique, semblable au bœuf ou à l’âne.
À Fez, les femmes du peuple supportent, dans leurs maisons, les lourdes charges auxquelles se soustrait son indolent époux, et elles ne rêvent jamais d’une quelconque rébellion, dans leur nature atavique de bestioles douces, habituées à obéir aveuglément12.

14En fait Maddalena Cisotti Ferrara tient ses promesses, l’image qu’elle offre des femmes marocaines est sans doute très particulière : elles ne sont que « des bestioles douces » et tout est dit. C’est vrai qu’on ne retrouve nulle part ailleurs des propos aussi violents et méprisants.

15Madame Cisotti nous relate deux visites qu’elle a faites dans les harems de deux personnages assez éminents de la ville. Le premier, étant un « Arabe progressiste » n’avait qu’une seule épouse et deux esclaves, « une Soudanaise à la peau très noire, aux pupilles rondes et étincelantes, au visage simiesque et au corps sculptural ; l’autre était une mulâtresse, au teint doré par un soleil trop ardent, souple et charmante13 ». Elles ne prennent la parole qu’une seule fois :

Sachant que je n’avais pas encore d’enfants, les femmes de M. Mocry demandèrent à Caterina [la servante de Maddalena], qui m’accompagnait : « Tu n’en as pas non plus avec ton maître ? » C’est dire à quel point leur paraissait logique une question pour nous inadmissible14.

16Les femmes de M. Mocry ne prennent donc la parole que manifester leur inconvenance. Les femmes du deuxième harem que l’auteure a pu visiter ne prennent pas du tout la parole. Cependant elles déshabillent Maddalena, étudient attentivement ses habits et l’habillent en femme arabe, avec une djellaba jaune et un caftan parfumés à l’eau de rose et de fleurs d’oranger, un grand foulard de soie sur la tête, une haute ceinture, des bracelets aux chevilles, etc.

Quand je revêtis mes vêtements, je dus reconnaître que mon tailleur habituel, très pratique pour la vie active que nous menions, par rapport aux larges et séduisants habits des femmes musulmanes, paraissait rigide, mesquin, inesthétique. Mais les parfums dont j’avais été imprégnée, l’atmosphère saturée d’encens et le poids de toute la marchandise qu’elles m’avaient mise sur la tête m’avaient procuré une forte migraine et je ne tardai pas à prendre congé de M. Benani et ses femmes et à quitter le charmant mais trop enivrant monde oriental pour rentrer dans mon apaisant chez moi, presque civilisé15.

17C’est le seul moment, dans tout le récit, où l’absence totale d’identification et la parfaite divergence entre l’auteure et les Marocains subissent une brèche, bien que très limitée. Mme Cisotti doit reconnaître que les vêtements des femmes musulmanes, dont nous ne connaissons même pas les prénoms, sont plus séduisants que le siens. Elle ose nous avouer cela, peut-être parce que De Amicis nous dit à peu près la même chose dans son récit de voyage :

J’ai honte de moi-même quand passe à côté de moi un de ces beaux Maures en habits de gala. Je compare mon vulgaire chapeau à son large turban de mousseline, ma misérable jaquette à son cafetan couleur de jasmin ou de rose, l’étroitesse enfin de mon habillement gris et noir à l’ampleur, à la blancheur éclatante, à la noblesse simple et élégante du sien, et je me fais l’effet d’un scarabée à côté d’un papillon16.

18Tandis que De Amicis éprouve un sentiment de honte, ce qui démontre la possibilité d’une ouverture envers la civilisation marocaine, chez Maddalena Cisotti la brèche est vite refermée : les parfums, l’encens, le poids qu’on lui a posé sur la tête, la poussent à prendre congé rapidement. La migraine est le signe d’une fermeture soudaine face à la peur de l’« enivrement » oriental.

19D’ailleurs il n’y a pas que les femmes à être la cible d’un tel mépris, les hommes n’y échappent pas non plus. On peut lire à ce sujet :

L’Arabe, peu actif pour des raisons ethnographiques et climatiques, dans sa ruse innée et grossière qui le pousse à donner une raison plausible à ce que sa nature désire, profite de toutes occasions pour s’éloigner du travail ; il ne comprend pas la passion qui, parfois, pousse les artisans européens à travailler toute la nuit afin de voir accomplies leurs œuvres. L’infériorité de la race se manifeste dans l’infériorité des instincts ; l’air incroyablement doux et parfumé, enveloppe la mentalité marocaine dans une éternelle et délicieuse somnolence dont elle ne se réveille qu’à l’appel du Prophète, le seul ressort capable de secouer ses fibres engourdies17.

20Le mot « race » apparaît de nombreuses fois dans le récit ; la supériorité de la « race » européenne et l’infériorité de la « race » arabe sont des faits escomptés, des vérités évidentes capables de tout expliquer. Le rigide déterminisme de cette idéologie est à peine mitigé par l’origine non génétique de l’infériorité raciale qui serait due à des « raisons ethnographiques et climatiques » ; parmi les raisons ethnographiques, la religion musulmane toujours qualifiée de « fanatique » aurait son influence ainsi que le climat. Pour elle :

Le climat explique la nature des habitants ; même quand il ne fait pas trop chaud l’air est mou, lourd et il affaiblit lentement les forces physiques et morales. La langueur orientale pénètre aussi dans le corps des Européens, et, avec le parfum des orangers et des roses, on savoure un immense désir de ne rien faire et de passer sa vie doucement dans le rêve18.

21L’idée que le climat ait une influence déterminante sur le caractère des habitants d’un pays n’est pas nouvelle, elle remonte à Aristote19, Hippocrate, mais aussi Vitruve20, puis Jean Bodin dans son ouvrage Les Six Livres de la République (1576), par Montesquieu21 et l’Encyclopédie, mais elle s’est surtout répandue, au lendemain de la proclamation du Royaume d’Italie, dans les journaux piémontais pour expliquer la « diversité » des Italiens du Sud de la péninsule22. Les stéréotypes négatifs sur le Sud de l’Italie remontent à la seconde moitié du XVIIIe siècle, alors que les transformations de l’Europe et de ses relations avec le reste du monde reléguèrent l’Italie au rang de périphérie du continent. Dans ce nouveau cadre le sud de l’Italie devient la frontière extrême de l’Europe. Le centre de la Méditerranée, jadis berceau de la civilisation, est désormais beaucoup plus proche de l’Orient et de l’Afrique. Après la chute du Royaume de Naples et son annexion au nouveau Royaume d’Italie, aux anciens stéréotypes vinrent s’en ajouter de nouveaux. On retrouve, dans les journaux piémontais, les mêmes stéréotypes sur les méridionaux qu’on retrouvera plus tard attribués aux Africains : ignorance, indolence, refus du travail, des nouveautés, de la modernité, tempérament sensuel, voluptueux, rêveur, fantasque, etc.

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23Aujourd’hui encore, un véritable débat sur le racisme dans l’histoire d’Italie peine à s’ouvrir car l’opinion formulée il y a cinquante ans par Renzo De Felice prévaut : « En Italie, la culture populaire et même la culture moyenne n’ont jamais vraiment connu de ferveur raciale ni de racisme. Et non seulement les Italiens ne les ont jamais connus, mais ils n’en ont jamais porté en eux le moindre germe23 ». Ce jugement hâtif et absolutoire ne tient pas compte du fait que le racisme « colonial » du nouveau Royaume se propagea dans la péninsule et se lia étroitement à l’antijudaïsme catholique et aux images négatives des habitants du Sud de l’Italie. Après 1870, dans le Royaume d’Italie, les juifs et les habitants du Sud bénéficièrent, certes à part entière, du statut de sujets et ne furent jamais objet de violences (pogroms, etc.). Toutefois une partie de la société italienne approuva toute proposition directement ou indirectement discriminatoire à leur égard.

24Par exemple, d’un côté les catholiques essayèrent de rétablir une sorte de ghetto symbolique, des formes de contrôle sur les activités des Juifs (interdiction d’exercer certains métiers, etc.). De l’autre côté une partie de l’opinion publique italienne approuva les mesures exceptionnelles adoptées par les gouvernements pour faire face aux différentes crises dans le Midi (état de siège, militarisations, etc.) ainsi que le projet d’adopter, pour le Sud, un « régime spécial » davantage autoritaire que dans le Nord du pays.

25À l’instar des images de la barbarie africaine, la représentation d’une nature spécifique, inférieure et menaçante, des juifs et des méridionaux et d’un fossé insurmontable entre eux et l’idéal d’italianité était courante dans les journaux du Nord de l’Italie. Il s’agissait bien de racisme dans les faits, mais pas dans les termes car il n’y avait pas encore une théorie biologique des races. L’accumulation massive de stéréotypes a préparé le terrain, dans l’imaginaire italien, au vrai racisme qui verra le jour plus tard, même au niveau juridique, dans les colonies et en métropole envers les Juifs.

26Maddalena Cisotti est issue d’une famille aristocratique du nord de l’Italie et elle a vécu toute sa vie dans le milieu de l’armée, c’est-à-dire un des plus conservateurs et impérialistes de la société italienne ; rien d’étonnant si on retrouve dans les pages de son récit de voyage tous les stéréotypes qui circulaient à l’époque en Italie et qu’elle partage sans hésitation. On y retrouve même l’antijudaïsme catholique traditionnel. Dans un chapitre dédié entièrement au quartier juif de Fès (Il Mellah), on lit ceci :

L’usure est le plus grand tort des juifs de Fès. Parmi tant de qualités, la race sémitique possède aussi, dans son propre instinct, une excessive avidité d’argent ; d’autant plus que dans ces pays cette avidité n’est retenue par aucune loi ni par aucune idée de justice et d’équité24.

27L’usure, le péché que les chrétiens reprochaient aux Juifs déjà depuis le Moyen Âge, est due à une « avidité d’argent » qui est, selon l’auteure, propre à la « race » juive, une tare génétique dirait-on de nos jours. Madame Cisotti inaugure une forme de véritable racisme à partir d’un stéréotype ancien.

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Figura - Foto di Luigi Barzini. Si ringrazia la Fondazione Corriere della Sera per il materiale tratto dall’archivio storico.

28Luigi Barzini voyagea au Maroc en 1906, quelques années après le retour de Mme Cisotti en Italie, mais son récit de voyage, Sotto la tenda, impressioni d’un giornalista al Marocco25 parut en 1907, bien avant le récit de voyage de Maddalena Cisotti (1912). Dans la préface de ce dernier les éditeurs nous informent que l’œuvre a été composée d’après les lettres que la dame avait écrites à son père pendant son séjour au Maroc et d’après ses souvenirs personnels. Cette publication serait « très opportune pour illustrer us et coutumes d’une région dont les plus grandes puissances européennes se sont disputé le contrôle. La publication est d’autant plus opportune pour les Italiens pour qui le monde musulman va acquérir dorénavant un nouvel intérêt26 ». L’événement qui aurait éveillé chez les Italiens ce « nouvel intérêt » pour le monde musulman n’était autre que la conquête de la Lybie réalisée par l’Italie après une guerre avec l’Empire Ottoman en 1911.

29Luigi Barzini, qui était déjà un journaliste renommé à l’époque de son voyage au Maroc, n’a pas eu besoin d’attendre la guerre de Libye pour publier son récit. Né en 1874 à Orvieto Barzini se fit remarquer par Luigi Albertini, directeur du Corriere della Sera, le plus important journal italien alors qu’il travaillait pour le Fanfulla, petit journal politique à diffusion modeste. Après une année passée à Londres pour apprendre l’anglais et la technique du journalisme moderne, en 1900 il fut envoyé par Albertini en Chine lors de l’expédition internationale chargée de réprimer la rébellion des Boxers. Ses reportages révélèrent au grand public une représentation intéressante et véridique de la Chine sans pour autant cacher les comportements cyniques et parfois cruels des Européens auxquels Barzini avait assisté. À ses qualités d’observateur le journaliste ajouta ses qualités d’écrivain. Bien qu’il n’ait pas achevé ses études, Barzini savait raconter les faits avec spontanéité et simplicité ; son style, qui le rendit très vite très populaire parmi les lecteurs, était clair, brillant, aimable, plus proche de l’essentialité de l’anglais que de l’italien.

30En 1904-1905, Barzini était à nouveau en Orient pour suivre la guerre entre la Russie et le Japon. Comme il était le seul journaliste européen à s’être rendu sur le champ, son reportage de la bataille de Mukden fut très apprécié dans toute l’Europe.

31En 1906 il fut envoyé à Algésiras où s’étaient réunis les représentants des États-Unis, du Maroc ainsi que de onze puissances européennes (Allemagne, Autriche, Italie, France, Russie, Royaume Uni, Espagne, Portugal, Belgique, Pays-Bas, Suède). La conférence, qui eut lieu du 16 janvier au 7 avril 1906, avait pour but de décider ce qui devait être fait pour le Maroc, l’un des rares pays africains qui n’étaient pas encore tombés sous la domination d’une puissance européenne. Mais les mystères et les subtilités de la diplomatie n’étaient pas du goût de Barzini qui décida d’aller voir le Maroc de ses propres yeux. Dans la Préface de son récit de voyage Barzini nous explique les raisons de son escapade au Maroc :

J’étais à Algesiras attaché à la Conférence internationale en qualité de correspondant du Corriere della Sera et, après avoir entendu répéter pendant des mois par les diplomates (et après avoir transmis par le biais du télégraphe) les opinions les plus disparates, après avoir recueilli sur ce pays, dont on discute beaucoup, les opinions les plus variées, j’ai éprouvé le légitime désir de savoir ce que le Maroc était vraiment27.

32Ce n’est donc pas le hasard qui pousse Barzini à traverser le Détroit de Gibraltar mais un profond désir de connaissance. Un peu plus loin, Barzini avoue son faible intérêt pour les jeux diplomatiques :

Une conférence est un monument de bavardages, un tournoi d’intrigues ; pour arriver à se faire une opinion, il faut nécessairement croire sur parole quelqu’un qui n’a peut-être pas raison mais qui est des plus habiles. Comme le public lors d’un procès, on juge plus facilement l’éloquence des avocats que les faits et on finit par acclamer l’assassin. Qui dit la vérité à Algesiras ? La réponse se trouve de l’autre côté du Détroit, au Maroc. Voilà pourquoi je suis parti. Tous les dossiers du monde ne parlent pas de la question marocaine, ce que peut en revanche vous révéler un simple coup d’œil sur la foule du Suk de Tanger28.

33Barzini n’est pas dépourvu d’intelligence politique ni de courage intellectuel. Déjà en 1902, en tant que correspondant du Corriere della Sera, lors d’un voyage en Russie dans la suite du roi d’Italie Vittorio Emanuele III, il fut choqué par la misère des paysans au point de devenir un « nihiliste ardent et militant » n’hésitant pas à critiquer, dans les lettres qu’il adressait à son épouse, le « gouvernement paternel mais sans foi ni loi de l’empereur sacré Nicolas29 ». De sa jeunesse un peu rebelle il a gardé une grande lucidité et d’un sens remarquable de la synthèse. On le voit par exemple dans le passage suivant :

Le Maroc est peut-être aujourd’hui le pays le plus intéressant du monde ; l’anarchie qui le déchire a bouleversé ses énergies, ainsi que le prisme décompose la lumière et les offre à la vue de l’observateur. Cette anarchie n’est pas tant un déchaînement de haine et d’ambitions sauvages qu’un déchaînement d’avidité. Le Maroc se dévore lui-même. Depuis cinq cents ans cet empire se corrompt et se défait, mais l’Europe ne l’a pas remarqué ; elle est accourue aussitôt qu’elle a entendu le bruit du pillage, qu’elle a senti la proie. La voilà à la chasse. Les puissances sont assez civilisées pour comprendre qu’il faut procéder dans l’ordre pour ne pas trop se nuire les unes aux autres ; il ne faut pas « dévorer » le Maroc, elles doivent décider comment se partager ses ressources avec discipline : cela s’appelle « appliquer des réformes ». Le même projet a échoué en Chine. Réussira-t-il au Maroc30 ?

34Dans les pages de Sotto la tenda, Barzini déploie ses qualités d’observateur subtil et plutôt désintéressé. En fait on ne trouve pas dans son récit la nette divergence que l’on trouve au début de Marocco de De Amicis et dans presque toute l’œuvre de Mme Cisotti. Barzini n’est pas un solide bourgeois comme De Amicis et ne provient pas d’un milieu aristocratique et conservateur comme Mme Cisotti. Barzini note d’abord ce qui rapproche les Marocains des Italiens, pas ce qui les sépare. On le voit, par exemple, dans le passage suivant :

Les anciennes foules de nos villes ne devaient pas différer beaucoup, en apparence, des foules indigènes de Tanger. Les ordres monastiques qui nous ont transmis les grossiers costumes populaires du Moyen Âge, montrent encore dans nos rues des habits singulièrement semblables aux djellabas des Marocains – qui sont de véritables soutanes. Les Gebala, les montagnards de la campagne de Tanger, ressemblent à des moines capucins, les Arabes à des moines dominicains. Dans les marchés on peut rencontrer des paysans du sud dont la longue coiffure en pointe tombe en ruban sur leurs épaules ; on croirait reconnaître dans leurs robes le « lucco » florentin. Les « selham » – des manteaux de laine épaisse avec un grand capuchon – si courants ici, nous les avons vus dans les tableaux de l’école vénitienne sur les épaules de marchands et de marins. Les têtes des dignitaires chérifiens qui sont coiffées de riches turbans dont la « rezza » magnifiquement brodée retombe avec élégance sur les épaules et entoure le cou, rappellent vivement les nobles coiffures des mécènes peints à côté des Madones du XIVe siècle. Ce peuple, si différent de nous dans l’apparence et dans l’âme, a dû être semblable à nous jadis31.

35Pendant son voyage entre Tanger et Fez, Barzini est obligé de demander l’hospitalité à un célèbre brigand, El-Bushaib En-Saraui Beni-Hesen. Voici ce que Barzini explique :

…au Maroc le brigand n’est pas hors la loi, puisqu’il n’y a pas de lois, et il n’est poursuivi que s’il menace les intérêts du Gouvernement ; il exerce une fonction administrative normale ; d’ailleurs tout le monde, au Maroc, est un peu brigand, en proportion de ses forces. […] Le bandit européen est féroce, inutilement féroce comme une bête menacée, chassée, poursuivie. […] Le brigand marocain, au contraire, ne se sent pas marqué d’infamie. Il est plutôt un entrepreneur du braquage. Il tue si cela lui convient (comme un fabricant de mauvais produits alimentaires), mais il ne perd pas la sérénité de l’homme qui n’a pas de remords. Nous l’appelons « brigand » puisqu’il serait pendu chez nous, mais ici il est Sidi, « Seigneur ». D’ailleurs, soyons justes, si on juge avec ces critères, nous serions obligés de gratifier du titre de « brigand » tous les plus grands hommes du Moyen Âge. Au moins jusqu’à la Renaissance – et même au-delà – laquelle des gloires italiennes aurait-elles échappé au Code Pénal32 ?

36La familiarité avec ses hommes rudes ne le gêne pas trop et bien qu’il les qualifie souvent de « barbares » il a avec eux des rapports francs qui n’excluent pas des moments d’empathie. On le voit par exemple dans le passage suivant :

Au-delà de la haie, les hommes s’étaient rassemblés, et à genoux en plein air, ils avaient longuement prié. Dans la nuit calme et étoilée, le chant lent et grave de tous ces gens forts et prostrés, jetés sur la terre par une puissance mystérieuse, vaincus et implorants, ce chant acquit un ineffable accent de douleur. Il y a, dans les prières de tous les peuples et de toutes les religions, une intonation commune qui les rend similaires, qui les confond, qui vous fait ressentir dans la récitation du Sutra la répétition haletant de la Litanie et dans le refrain monotone de la Fatiha les notes tristes du Seman. Les larmes des hommes sont toujours les mêmes33.

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Figura - Jeunes de la tribu des Udeya, foto de Luigi Barzini. Si ringrazia la Fondazione Corriere della Sera per il materiale tratto dall’archivio

37Comme De Amicis avant lui, Barzini observe et décrit avec maîtrise et vivacité, une quantité de personnages qu’il rencontre et qui représentent un large éventail social. Lors de sa rencontre avec le Sultan Abd-El-Aziz, Barzini se montre moins admiratif que ne l’avait été De Amicis vis-à-vis du Sultan Mulay Hassan, son père. De Amicis avait surtout décrit l’apparence noble du Sultan (« le jeune homme le plus beau et le plus sympathique dont une odalisque puisse rêver. Grand et mince, avec de grands yeux très doux, un beau nez aquilin, le visage brun d’un ovale parfait, orné d’une courte barbe noire ; une physionomie tout à fait noble et pleine d’une douce tristesse34 ») ; Barzini se penche davantage sur la personnalité de Abd-El-Aziz, sur les circonstances de son ascension au trône, sur les limites de son autorité, sur ses insuffisantes capacités politiques (« Il a grandi parmi les intrigues et les ruses et, inconsciemment, il s’est toujours laissé pousser et guider par d’autres volontés que la sienne. Il n’avait pas été éduqué pour devenir Sultan, n’a pas été initié à la ruse et à la violence35 »). Toutefois Barzini aussi nous livre, à la fin de son colloque avec le Souverain marocain, un bref portrait :

Il a un très beau sourire qui révèle les dents blanches ; mais dans son sourire, dans sa voix douce et dans son attitude gracieuse et molle, dans sa façon de parler en baissant un peu son visage d’un côté, il y a quelque chose de féminin qui ne déplaît pas, mais rend triste. Cette attitude rend triste parce que c’est la révélation d’une faiblesse condamnée à se briser, là où il faudrait la férocité de la volonté la plus virile pour résister et triompher des circonstances36.

38Le machisme et le césarisme qui apparaissent dans ces lignes sont des éléments très répandus dans la culture italienne de l’époque, qui se retrouveront dans le fascisme. Barzini aussi adhérera au fascisme à l’instar de la majorité de la classe dirigeante libérale italienne et son soutien sera récompensé, en 1934, par Mussolini avec un fauteuil de Sénateur. Bien que son adhésion au fascisme ne soit pas sans équivoques et malentendus, elle lui coûtera très cher, après la guerre : sa carrière touchera à sa fin et son œuvre tombera presque entièrement dans l’oubli.

39Le tournant professionnel de Barzini a eu lieu pendant la guerre de 1911. Envoyé comme correspondant en Libye, Barzini se retrouve cette fois à devoir rendre compte non pas d’une guerre lointaine mais bien d’une guerre dans laquelle l’Italie était directement impliquée.

Maintenant on combattait pour la patrie et la presse acquérait une nouvelle tâche qui modifiait son ADN originel : d’organe d’information libre et critique, elle devenait un instrument pour façonner et orienter l’opinion publique en faveur du conflit. Les journalistes se transforment en « techniciens du conditionnement et organisateurs du consensus » ; les journaux deviennent bureaux de propagande de nouvelles en provenance directe du quartier général de l’armée, filtrées par la censure, passée au crible par les directeurs selon leurs orientations politiques37.

40Barzini traverse des moments très difficiles, d’incertitude et d’angoisse. Lui-même l’avoue dans une lettre à sa femme :

Je passe de très longues journées dans une incertitude angoissante parce que je devrais dire tant de choses importantes qui ne sont pas belles et j’ai peur de ma responsabilité. Je pense que je peux faire du mal à me taire autant qu’à parler. Je ne peux pas me consacrer sereinement à faire des descriptions de « couleurs » alors qu’il y aurait tant des choses à dire38.

41Barzini, qui n’avait pas une culture historique et politique très solide, finira par se conformer à ce que tout le monde (ou presque) s’accordait à considérer comme le bien de la patrie. Son style aussi finira par perdre les qualités sur lesquelles s’était construite sa notoriété : « Cette prose ample, mordante, rapide, devenait de plus en plus lourde dans l’exaltation patriotique des brillants exploits que tous les journalistes au front décrivaient exactement avec les mêmes adjectifs et les mêmes tours de phrases39 ».

42Au Maroc toutefois le style de Barzini est encore très brillant et son regard sans préjugés. Il décrit le Sultan, comme nous l’avons vu, mais aussi les foules de misérables qu’il croise sur son chemin. Il arrive même, dans le passage suivant, à donner la parole à une femme du plus bas niveau de la hiérarchie sociale. L’épisode se déroule aux alentours de Larache où sa caravane a installé un camp pour y passer la nuit.

Pas loin de nous, une tribu d’Arabes que la famine avait chassée de la campagne et que la ville ne voulait pas accueillir à l’intérieur des remparts, était campée pour vivre des restes du Souk – c’est-à-dire des ordures. Une véritable Cour des Miracles vivait parmi des misérables tanières de boue, d’excréments et de fagots. Les affamés se sont approchés en groupes, silencieux, lentement, avec précaution, craignant d’être chassés. Je les voyais apparaître soudainement à l’entrée de ma tente et je sursautais comme à des apparitions funèbres. Ils étaient des squelettes à moitié nus. Ils restaient immobiles à me regarder, sans rien demander, avec un reste de fierté dans leur attitude ; mais leurs yeux étaient pleins d’une imploration désespérée, et seuls les yeux remerciaient de l’aumône : leurs bouches restaient muettes. Les malheureux n’osaient pas parler, ils avaient peur de tout, ils avaient été chassés et battus tant de fois qu’ils avaient acquis la timidité sauvage des chiens errants ; la condamnation unanime les avait persuadés qu’ils étaient coupables, coupables d’avoir faim.
Depuis la tente-cuisine, Alì, notre cuisinier, leur a jeté les
entrailles d’un poisson. Les mendiants se sont précipités sur cette proie, se battant les uns contre les autres pour l’obtenir. C’était un enchevêtrement rapide de nudités hideuses ; et pas un cri, pas une voix. Au bruit de l’échauffourée mes hommes se sont manifestés et Mustafa a hurlé à ces pauvres bêtes humaines : « Allez-vous-en ou je vous fais manger le bâton ! » – « Faire manger le bâton » est une expression populaire qui signifie tout simplement donner des coups de bâton. Adressée aux affamés, elle prend un sens de moquerie atroce. Les entrailles étaient restées à une vieille femme qui les tenait contre sa poitrine nue pour mieux les défendre, et ils pendaient entre ses doigts décharnés. Elle s’est éloignée un peu, puis s’est retournée, tout ébouriffée et haletante, et, en levant un bras étrangement tatoué, elle s’est exclamée avec la solennité qu’on retrouve toujours chez les vieux : « Tremble, Allah t’écoute et te juge ! ». Les Marocains sont superstitieux, la colère de Mustafa s’est calmée soudainement40.

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Figura - La caravane au bord de l’Atlantique, photo de Luigi Barzini. Si ringrazia la Fondazione Corriere della Sera per il materiale tratto dall’archivio storico.

43Il s’agit, à mon avis, d’un passage tout à fait remarquable dans lequel Barzini fait preuve d’une compréhension humaine très rare dans les récits de voyage européens de l’époque. Et son style est encore, comme le dit Prezzolini :

…énergique, direct. Beaucoup de choses, beaucoup de mots. Il est à mi-chemin entre le télégramme et l’histoire, entre le traité scientifique et la poésie lyrique, entre la recette de cuisine et la nouvelle : enfin, le style du journaliste parfait. Il est le Kodak de la plume qui surprend les personnes qui marchent les pieds en l’air. Un impressionnisme, un impressionnisme photographique tout en noir et blanc et au contour net. Une de ces plaques qui font s’extasier les amateurs lorsqu’ils la sortent de l’eau pour la regarder à contre-jour41.

44Son fils Luigi, lui aussi journaliste, comparaît la révolution qu’il avait apportée à l’écriture à celle que les impressionnistes avaient apportée à la peinture :

Lui aussi, comme eux, avait introduit le plein air, le soleil, l’inattendu, la couleur incongrue de la vérité vue impitoyablement avec de nouveaux yeux là où il n’y avait, avant, que la lumière froide et académique des ateliers fermés, la répétition de formes et de modèles acceptés et conventionnels42.

45Cette nouveauté n’est pas, à mon avis, la seule qualité de Sotto la tenda. Dans son récit Barzini exprime son goût pour le « plein air », assez rare dans la littérature italienne, qui s’accorde à la nature profonde du paysage marocain. On le voit dans le passage suivant :

Au Maroc il n’y a pas de routes ; il n’y a que des chemins tracés par les larges pieds des chameaux. Ces chemins sont capricieux, ils tournent, se croisent, se perdent, ils aident plutôt à s’égarer qu’à trouver son chemin. On suit les lits de torrents de montagne parmi des roches étranges lissées par les eaux ; on avance à travers des steppes immenses en zigzagant parmi de luxuriants bouquets de palmiers nains et d’iris fleuris, on traverse des plaines fertiles teintées de vives floraisons, rayées par le blanc des marguerites, par le jaune des primevères, par l’azur des campanules, des plaines toutes envahies par la vie silencieuse et fervente des plantes dont le touffu laçage nous rappelle la lente et incessante lutte pour la survie, pour élever chacune au plus haut sa fleur comme un drapeau éblouissant. Pendant des heures on marche sans autre guide que les cimes des montagnes lointaines, on se dirige tout droit vers un point à l’horizon, comme si on naviguait dans la végétation. On croit apercevoir sur son visage l’haleine chaude de la terre piétinée par les chevaux dont le pas s’amortit dans la douceur parfumée des herbes. On est saisi par une ivresse étrange, par la joie d’un réveil, par un sens de liberté reconquise.
Sans doute, au fond de nos mémoires instinctives, il y a quelques souvenirs inconscients de vie nomade, endormis depuis des siècles, qui se réveille parfois ; il y a une corde ignorée de notre sensibilité qui, soudainement, au milieu des vastes solitudes lumineuses de ce pays primitif,
se remet à vibrer et comble notre âme de sa voix sauvage43.

46Si le style d’écriture des articles journalistiques de Barzini est plus proche de l’essentialité de la langue anglaise que de l’italien, ce n’est pas le cas du style de Sotto la tenda, très baroque et poétique, très italien, riche de métaphores originales, parfois extravagantes, qui ne proviennent pas de la tradition littéraire et que, pour cette raison, les hommes de lettres de l’époque n’ont probablement, pas beaucoup aimé. Néanmoins l’intelligence naïve, sans trop de références intellectuelles et littéraires, et le talent sans préjugés de Barzini nous offrent une image très originale d’un pays, le Maroc, encore très peu connu à l’époque.

Notes de bas de page numériques

1 Luca Clerici, Viaggiare e raccontare, vol. premier 1700-1861, dans Scrittori italiani di viaggio, Milano, A. Mondadori Editore, 2008, p. XVII.

2 Mary Louise Pratt, Imperial Eyes, London and New York, Routledge, 1992.

3 Edmondo De Amicis, Marocco, Milano, Fratelli Treves Editori, 1877.

4 Claude Reichler, « Littérature et anthropologie, De la représentation à l’interaction dans une Relation de la Nouvelle-France au XVIIIe siècle », L’Homme, Éditions de l’E.H.E.S.S., n° 164, 2002/4, pp. 37-55.

5 Maddalena Cisotti Ferrara, Nel MaroccoRicordi personali di vita intima, Milano, Treves, 1912.

6 Maddalena Cisotti Ferrara, Nel MaroccoRicordi personali di vita intima, Milano, Treves, 1912 p. IX ; « ..non si è ancora penetrato nell’intima essenza di questo popolo, che a somiglianza dei popoli antichi, è a un tempo selvaggio e raffinato » (notre trad.).

7 Maddalena Cisotti Ferrara, Nel MaroccoRicordi personali di vita intima, Treves, Milano, 1912, p. XI ; « Nessuno, credo, ha potuto alzare ancora del fitto velo che nasconde agli occhi profani gli harem marocchini, molto diversi dagli ormai ben noti harem turchi ed egiziani. Ognor chiusi ed inaccessibili, i primi conservano intatto il fascino del loro mistero : solo una donna può penetrarvi, e di essi, quindi, solo una donna che li abbia veduti può scrivere » (notre trad.).

8 Cristina Trivulzio Belgiojoso, Asie Mineure et Syrie ; souvenirs de voyage par Mme la princesse de Belgiojoso, Paris, Michel Lévy frères, 1858.

9 Mary Wortley Montagu, Letters of the Right Honourable Lady Mary Wortley Montague written during her travels in Europe, Asia and Africa, London, 1763.

10 Amalia Nizzoli, Memorie sull’Egitto e specialmente sui costumi delle donne orientali e gli harem, Milano, Tipografia e libreria Pirotta e c., 1841.

11 Maddalena Cisotti Ferrara, Nel MaroccoRicordi personali di vita intima, Milano, Treves, 1912, pp. 168-171 ; « Giacché non più chiamarsi (Islamite pure) le Turche e le Egiziane, le quali, se escono tuttavia col volto coperto, vanno però dove vogliono e in qualunque tempo ; si fanno trasportare in vettura, in canotto e in automobile ; non ignorano talvolta gli studi più difficili e più svariati. La donna marocchina è la vera donna del Corano : creatura bella e senza volontà, strumento passivo in mano dell’uomo, che, a seconda della classe sociale a cui appartiene, ne fa bestia da fatica o adornamento del suo harem. […] La sua forma è quasi sempre affascinante di mollezza e di languore ; ma la sua anima è nulla e si può dire ch’essa ne abbia appena quanto basta per dar vita alla materia e farla distinguere da un fantoccio magnifico. […] Esteriormente, nulla di più seducente di queste personcine, dallo splendido involucro, che racchiude una materia greggia e primitiva ». (notre trad.).

12 Maddalena Cisotti Ferrara, Nel MaroccoRicordi personali di vita intima, Milano, Treves, 1912, pp. 172-173 ; « Tra gli Arabi, l’uomo è il padrone, la donna è la schiava, di cui esso si serve per tutti i bisogni dei suoi sensi. La moglie araba non è per quello con cui è unita la sua donna, nel senso elevato e complesso che noi Europei diamo a questa parola : è la sua cosa ; una creta ch’egli plasma come vuole. I ricchi amano vederla in tutta la cornice splendida dell’agiatezza ; peri meno abbienti è un animale domestico da fatica, come il bue o l’asinello. A Fez, le popolane sopportano le più dure fatiche della casa, a cui volentieri si sottrae l’indolente consorte, e non sognano mai una ribellione, nella loro atavica natura di bestiole mansuete, abituate a obbedire ciecamente ». (notre trad.).

13 Maddalena Cisotti Ferrara, Nel MaroccoRicordi personali di vita intima, Treves, Milano, 1912, p. 190 ; « una Sudanese, dalla pelle nerissima, dalle pupille tonde e scintillanti, dal volto scimiesco e dal corpo scultorio ; l’altra era una mulatta, dalla carnagione dorata da un sole troppo ardente, flessuosa e affascinante ». (notre trad.).

14 Maddalena Cisotti Ferrara, Nel MaroccoRicordi personali di vita intima, Milano, Treves, 1912, p. 192 ; « Sentendo ch’io non avevo ancora figli, le donne del Mocry domandarono a Caterina, che mi accompagnava : “E neppure tu ne hai col tuo signore ?” Tanto ad esse sembrava ovvia e logica un’interrogazione, per noi inammissibile » (notre trad.).

15 Maddalena Cisotti Ferrara, Nel MaroccoRicordi personali di vita intima, Treves, Milano, 1912, p. 199 ; « Quando ripresi le mie vesti, dovetti riconoscere che il mio abituale tailleur, pratico per la nostra vita di attività, paragonato con le ampie e suggestive vesti delle musulmane, appariva rigido, meschino, antiestetico. Ma i profumi di cui ero stata cosparsa, l’atmosfera satura d’incenso e l’insolito peso di tutto l’emporio che mi avevano posto sul capo, mi avevano fatto venire una grande oppressione di testa, e non tardai molto a congedarmi dal Benani e dalle sue donne, e ad abbandonare l’affascinante e troppo inebriante mondo orientale per rientrare nel mio riposante ambiente semicivile » (notre trad.).

16 Edmondo De Amicis, Le Maroc, trad. de l’italien par Henri Belle, Paris, Les lettres modernes, 1879, http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k84619n.r=de+amicis+maroc.langFR , p. 151.

17 « L’Arabo, poco attivo per ragioni etnografiche e climatiche, nella innata furberia grossolana, che lo spinge a dare una ragione plausibile a ciò che è desiderio della sua indole, approfitta d’ogni occasione che gli si presenta per allontanarsi dal lavoro, di cui non comprende quella passione, che talvolta fa vegliare fino a tarda notte un artefice europeo in una prepotente smania di veder compiuta l’opera iniziata. L’inferiorità della razza si manifesta nell’inferiorità degli istinti ; l’aria indicibilmente dolce e profumata involge la mentalità marocchina in una perenne sonnolenza deliziosa, da cui essa non si risveglia che a un appello del Profeta, sola molla capace di scuotere le intorpidite fibre ». Maddalena Cisotti Ferrara, Nel MaroccoRicordi personali di vita intima, Milano, Treves, 1912, p. 153 (notre trad.).

18 « Il clima spiega l’indole degli abitanti ; anche quando non fa un caldo eccessivo, l’aria è molle, pesante e lentamente affievolisce le forze fisiche e morali. Il languore orientale penetra anche nelle membra europee, e, col profumo degli aranci e delle rose, si beve un desiderio immenso di non far nulla e di passare la vita dolcemente sognando », Maddalena Cisotti Ferrara, Nel MaroccoRicordi personali di vita intima, Milano, Treves, 1912, p. 124 (notre trad.).

19 Politique, Livre VII, chap. VI.

20 De architectura, VI, 1.

21 « Les peuples des pays chauds sont timides comme les vieillards le sont ; ceux des pays froids sont courageux comme le sont les jeunes gens. […] Dans les pays froids, on aura peu de sensibilité pour les plaisirs ; elle sera plus grande dans les pays tempérés ; dans les pays chauds, elle sera extrême. […] Il en sera de même de la douleur : elle est excitée en nous par le déchirement de quelque fibre de notre corps. L’auteur de la nature a établi que cette douleur serait plus forte à mesure que le dérangement serait plus grand : or il est évident que les grands corps et les fibres grossières des peuples du nord sont moins capables de dérangement que les fibres délicates des peuples des pays chauds, l’âme y est donc moins sensible à la douleur. Il faut écorcher un Moscovite pour lui donner du sentiment. […] La chaleur du climat peut être si excessive que le corps y sera absolument sans force. Pour lors l’abattement passera à l’esprit même ; aucune curiosité, aucune noble entreprise, aucun sentiment généreux ; les inclinations y seront toutes passives ; la paresse y fera le bonheur ; la plupart des châtiments y seront moins difficiles à soutenir que l’action de l’âme, et la servitude moins insupportable que la force d’esprit qui est nécessaire pour se conduire soi-même ». Montesquieu, De l’esprit des lois [1751], Paris, Gallimard, 1995, Troisième partie, Livre XIV, I, II, III.

22 Voir à ce sujet : M. Nani, Ai confini della nazione, Stampa e razzismo nell’Italia di fine Ottocento, Roma, Carocci, 2006.

23 « Tanto la psicologia popolare quanto la cultura (neppure quella media e più provinciale) non hanno mai veramente conosciuto in Italia l’eccitamento razziale e il razzismo. E non solo non li hanno mai conosciuti, ma non ne hanno mai portato in sé neppure i germi », R. De Felice, Storia degli ebrei italiani sotto il fascismo, Torino, Einaudi, 1993 (notre trad.).

24 Maddalena Cisotti Ferrara, Nel MaroccoRicordi personali di vita intima, Treves, Milano, 1912, p. 227 ; « Questa dell’usura è il più gran torto degli Ebrei di Fez. In mezzo a molte buone qualità, la razza semitica ha in sé stessa, per istinto, un’eccessiva avidità del denaro ; in quei paesi poi essa non è moderata da nessuna idea d’equità e di giustizia », (notre trad.).

25 Luigi Barzini, Sotto la tenda, impressioni d’un giornalista al Marocco, Milano, Casa Editrice L. F. Cogliati, 1907.

26 Maddalena Cisotti Ferrara, Nel MaroccoRicordi personali di vita intima, Treves, Milano, 1912 ; « …la cui pubblicazione torna opportunissima ad illustrare usi e costumi di una regione, il cui dominio si sono contese le maggiori Potenze d’Europa. Tanto più opportuna per gli Italiani or anche il mondo musulmano acquista un nuovo interesse agli occhi nostri », (notre trad.).

27 « Ero ad Algeciras attaché alla famosa Conferenza internazionale nella mia consueta qualità di corrispondente del Corriere della Sera, e laggiù, dopo avere per dei mesi sentito ripetere dai diplomatici (ed aver trasmesso telegraficamente) le più disparate opinioni sul Marocco, dopo aver raccolto su quel paese tanto discusso le più varie opinioni, ho finito per sentire il legittimo desiderio di sapere cosa è veramente il Marocco » Luigi Barzini, Sotto la tenda, impressioni d’un giornalista al Marocco, Milano, Casa Editrice L. F. Cogliati, 1907, p. 5 (notre trad.).

28 « Una Conferenza è un monumento di chiacchiere, un torneo di intrighi ; per farsene un’opinione sulle questioni bisogna sempre credere sulla parola a qualcuno, che forse non è chi ha più ragione, ma chi ha più abilità. Si giudica sovente, come il pubblico d’un processo, la eloquenza degli avvocati e non il fatto e si finisce con l’applaudire l’assassino. Chi dice la verità ad Algeciras ? La risposta è su quest’atra sponda dello Stretto ; è al Marocco. Ecco perché sono venuto. Tutti i Libri Gialli e i Libri Bianchi del mondo non vi dicono della questione marocchina quello che vi rivela una sola occhiata alla folla del Soko di Tangeri », Luigi Barzini, Sotto la tenda, impressioni d’un giornalista al Marocco, Milano, Casa Editrice L. F. Cogliati, 1907, p. 7 (notre trad.).

29 « il paterno governo forcaiolo del sacro imperatore Nicola », Barzini a Mantica, 24 dicembre 1903, ACS, Fondo Barzini Luigi, b. 1, fasc. 1903, (notre trad.) ; cité dans S. Colarizi, Luigi Barzini, Venezia, Marsilio Editori, 2017.

30 « Il Marocco è forse oggi il paese più interessante del mondo ; l’anarchia che lo dilania ha scomposto le sue forze come il prisma scompone la luce e le offre all’esame dell’osservatore. Questa anarchia non è tanto uno scatenamento di odii e di selvagge ambizioni, quanto uno scatenamento di cupidigie ; il Marocco divora se stesso. Da cinquecento anni questo impero imputridisce e si sfascia, ma l’Europa non se n’è accorta ; essa è accorsa solo quando ha udito il gridio del saccheggio, quando le è giunto un odore di preda. Eccola alla caccia. Le potenze sono abbastanza civili da comprendere che bisogna fare le cose con ordine per non nuocersi troppo a vicenda ; non si deve sbranare e divorare il Marocco, ma soltanto succhiarlo e occorre mettere una disciplina alla utile operazione : questo si chiama “applicare le riforme”. Lo stesso gioco è fallito in Cina. Riuscirà in Marocco ? », Luigi Barzini, Sotto la tenda, impressioni d’un giornalista al Marocco, Milano, Casa Editrice L. F. Cogliati, 1907, p. 7 (notre trad.).

31 « L’antica folla delle nostre città non doveva differire molto all’apparenza dalla folla indigena di Tangeri. Gli ordini frateschi, che hanno tramandato fino a noi le rozze foggie popolari di abiti medioevali, mostrano ancora per le nostre vie dei saji singolarmente simili ai jellaba dei Marocchini – che sono delle vere tonache. I Gebala, montanari della campagna Tangerina, sembrano cappuccini ; gli Arabi sembrano domenicani. Nei mercati si incontrano contadini del sud il cui cappuccio puntuto e lunghissimo ricade a nastro sulle loro spalle : pare di riconoscere nel loro abito il lucco fiorentino. I selham – mantelli di grossa lana muniti d’un gran cappuccio – tanto comuni qui, noi li abbiamo veduti nei quadri della scuola veneziana sulle spalle dei mercanti e dei marinai. In testa a dignitari sceriffiani s’avvolgono ricchi turbanti la cui rezza ricamata ricade fastosamente sulle spalle e circonda il collo : ricordano vivamente nobili acconciature di mecenati raffigurati ai lati delle madonne del trecento. Questo popolo, così diverso da noi per l’aspetto e per l’anima, doveva essere una volta simile a noi », Luigi Barzini, Sotto la tenda, impressioni d’un giornalista al Marocco, Milano, Casa Editrice L. F. Cogliati, 1907, p. 11-12 (notre trad.).

32 « …al Marocco il brigante non è fuori della legge, poiché non v’è legge, ed è combattuto solo quando minaccia gl’interessi del Governo ; egli compie una funzione normale ; ognuno è qui un po’ brigante, in proporzione delle sue forze. […] Il bandito nostrano è feroce, inutilmente feroce, come una bestia minacciata, cacciata, inseguita ; […] Il brigante marocchino no ; egli non ha la sofferenza atroce di sentirsi infame. Egli non è che un industriale della rapina. Ammazza se ciò è nel suo interesse (come un semplice fabbricante di cattivi prodotti alimentari), ma non perde la serenità dell’uomo che non ha rimorsi. Siamo noi che lo chiamiamo brigante col pretesto che le sue azioni sarebbero nei nostri paesi compensate con la forca, ma quaggiù egli è Sidi, è un “Signore”. E, siamo giusti, giudicando con i nostri criteri, se sfogliamo la storia dovremmo gratificare del titolo di brigante tutti i nostri più grandi uomini del Medioevo. Fino al Rinascimento – e anche alquanto dopo – quale gloria italica sarebbe sfuggita al codice Zanardelli ? » L. Barzini, Sotto la tenda, impressioni d’un giornalista al Marocco, Milano, Casa Editrice L. F. Cogliati, 1907, p. 108 (notre trad.).

33 « Al di là della siepe s’erano affollati gli uomini del Bushaib, e genuflessi all’aperto hanno lungamente pregato. Nella notte calma e stellata il canto lento e grave di tutta quella gente forte e prostrata, gettata sulla terra da una potenza misteriosa, vinta e implorante, quel canto acquistava un ineffabile accento di dolore. V’è nelle preci di tutti i popoli e di tutte le religioni un’intonazione comune che le rende simili, che le confonde, che fa risentire nella recitazione della Sutra l’affannosa ripetizione della Litania, e nel monotono ritornello della Fatiha fa risuonare le tristi note del Seman. È che il pianto degli uomini è sempre quello », Luigi Barzini, Sotto la tenda, impressioni d’un giornalista al Marocco, Milano, Casa Editrice L. F. Cogliati, 1907, p. 117 (notre trad.).

34 « …il più bello e più simpatico giovane che possa brillare alla fantasia d’una odalisca. È alto di statura e snello, ha gli occhi grandi e soavi, un bel naso aquilino, il viso bruno d’un ovale perfetto, contornato d’una corta barba nera ; una fisionomia nobilissima e piena di dolce mestizia », Edmondo De Amicis, Marocco, Milano, Fratelli Treves Editori, 1877 (notre trad.).

35 « E’ cresciuto tra le trame dell’inganno, e inconsciamente si è lasciato sempre spingere e guidare da altre forze e da altre volontà che non la sua. Egli non era stato educato per essere Sultano, non è stato iniziato al raggiro e alla violenza », Luigi Barzini, Sotto la tenda, impressioni d’un giornalista al Marocco, Milano, Casa Editrice L. F. Cogliati, 1907, p. 191 (notre trad.).

36 « Egli ha un sorriso bellissimo che scopre i denti bianchi ; ma nel sorriso e nella voce dolce, nell’atteggiamento aggraziato e molle, nel modo di parlare reclinando un po’ il volto da un lato, c’è qualche cosa di femminile che non spiace, ma attrista. Attrista perché è la rivelazione di una debolezza condannata ad infrangersi, dove sarebbe necessaria la ferrea gagliardia della più maschia volontà per resistere e trionfare », L. Barzini, Sotto la tenda, impressioni d’un giornalista al Marocco, Milano, Casa Editrice L. F. Cogliati, 1907, pp. 198-99 (notre trad.).

37 « Adesso si combatteva per la patria e la stampa acquistava un compito nuovo che ne alterava il DNA originario : da organo di informazione libera e critica a strumento per plasmare e indirizzare l’opinione pubblica a sostegno del conflitto. I giornalisti si trasformano in “tecnici del condizionamento e organizzatori del consenso” ; i quotidiani diventano uffici di propaganda di notizie attinte direttamente dai comandi militari, filtrate dalla censura, vagliate rigorosamente dai direttori in armonia con il loro orientamento politico […] », S. Colarizi, Luigi Barzini, Venezia, Marsilio Editori, 2017.

38 « Passo lunghi giorni in angosciosa incertezza perché dovrei dire di tante cose importanti che non sono belle e ho paura della mia responsabilità. Penso che posso fare molto male a tacere e molto male a parlare. Non posso dedicarmi con anima serena a fare delle descrizioni di “colore”, quando c’è ben altro da dire », Barzini a Mantica, 8 fevrier 1912, ACS, Fondo Barzini Luigi, b. 1, fasc. 1903, (notre trad.) ; cité dans S. Colarizi, Luigi Barzini, Venezia, Marsilio Editori, 2017 (notre trad.).

39 « Quella prosa ariosa, frizzante e rapida si appesantiva nella continua esaltazione del patriottismo e delle imprese mirabolanti che tutti i giornalisti al fronte descrivevano esattamente con gli stessi aggettivi e con uguali giri di frase », S. Colarizi, Luigi Barzini, Venezia, Marsilio Editori, 2017, (notre trad.).

40 « Poco discosto una tribù di arabi che la carestia aveva scacciato dalla campagna e che la cittadinanza non voleva accogliere entro le mura, stava accampata per vivere degli avanzi del Sok vicino – cioè delle immondizie. Una vera Corte dei Miracoli fra miserabili tane fatte di fango, di sterco e di fascine. Gli affamati si sono avvicinati a gruppi, silenziosi, piano piano, con la cautela di chi teme di essere scacciato. Me li vedevo comparire improvvisamente davanti all’apertura della mia tenda, e sussultavo come alla vista di apparizioni funebri. Erano degli scheletri seminudi. Rimanevano immobili a guardarmi, senza chiedere nulla, con un resto di fierezza nel loro atteggiamento ; ma i loro occhi erano pieni di implorazione disperata, e solo i loro occhi ringraziavano dell’elemosina : le bocche restavano mute. Quegli infelici non osavano parlare, avevano paura di tutto, erano stati tante volte respinti e battuti che avevano preso la timidità selvaggia del cane randagio ; la condanna unanime le persuadeva d’essere colpevoli, colpevoli d’aver fame. Dalla tenda-cucina Alì, il cuoco, ha gettato fuori gl’intestini d’un pesce. I pezzenti si sono precipitati verso quella preda, lottando fra loro per carpirla. È stato un rapido aggrovigliamento di nudità orrende ; e non un grido, non una voce. Al rumore della colluttazione i miei uomini sono comparsi e Mustafà ha urlato a quelle povere bestie umane : - Via ! via ! o vi faccio “mangiare il bastone !” – “Far mangiare il bastone” è una buffonesca espressione popolare che significa semplicemente bastonare. Detta agli affamati acquista un significato pieno di scherno atroce. Gl’intestini erano rimasti ad una vecchia che li stringeva contro al petto nudo per difenderli meglio, e pendevano tra le sue dita scarne. Allontanatasi un poco si è volta, tutta scapigliata e ansimante, e levando un macero braccio stranamente tatuato, ha esclamato, con quella solennità che è sempre nelle parole dei vecchi : “Trema ! Allah ti ascolta e ti giudica !” I Mori sono superstiziosi ; l’ira di Mustafà s’è calmata per incanto », L. Barzini, Sotto la tenda, impressioni d’un giornalista al Marocco, Milano, Casa Editrice L. F. Cogliati, 1907, pp. 67-68 (notre trad.).

41 « …energico, immediato. Tante cose, tante parole. Stava tra il telegramma e la storia, tra il trattato di scienza e la lirica, tra la ricetta di cucina e il bozzetto : insomma lo stile del giornalista perfetto. Era il Kodak della penna che sorprende la gente che cammina con i piedi in aria. Un impressionismo. Un impressionismo da fotografia, tutto neri e bianchi e disegno netto. Una di quelle lastre che fanno andare in visibilio i dilettanti quando la tolgono dall’acqua per guardarle in controluce », G. Prezzolini, La fine di Barzini, dans « Il resto del Carlino », 19 agosto 1912, cité dans E. Magrì, Luigi Barzini : una vita da inviato, Firenze, Pagliai, 2008, p. 169.

42 « Anche lui come loro aveva introdotto l’aria aperta, il sole, l’inaspettato, il colore incongruo della verità vista spietatamente con occhio nuovo dove prima era la luce fredda e accademica degli studi chiusi, la ripetizione di rigide forme e di modelli accettati e convenzionali », L. Barzini junior, L’antropometro italiano, Milano, Mondadori, 1973, pp. 240-241.

43 « Al Marocco non ci sono strade ; vi sono al più dei sentieri tracciati dal largo piede dei cammelli. E questi sentieri sono capricciosi, girano, s’intersecano, si perdono, aiutano a smarrire la via più che a trovarla. Si seguono letti di torrenti montani fra roccie bizzarre pulite dalle acque, si va per steppe immense zigzagando in mezzo a rigogliosi ciuffi di palme nane e di iris fiorite, si attraversano pianure ubertose tinte da vivide fioriture, striate dal bianco delle margherite, dal giallo delle primole, dall’azzurro delle campanule, pianure tutte piene della vita silenziosa e fervida delle piante i cui folti allacciamenti fanno pensare ad una lenta e sterminata lotta per sopraffarsi, per levare ognuna più in alto il suo fiore come una bandiera smagliante. Per ore ed ore si cammina senz’altra guida che le cime die monti lontani, si taglia dritto verso un punto dell’orizzonte, come navigando nel verde. Pare di sentire sul viso l’alitare caldo della terra, appena calpestata dai cavalli, il cui passo si attutisce nella morbidezza profumata delle erbe. E si è presi da un’ebbrezza nuova, dalla gioia di un risveglio, dal senso di libertà riconquistata. Certo in fondo alle nostre memorie istintive v’è qualche incosciente ricordo di una vita nomade, addormentato da secoli, che si ridesta talvolta ; v’è una corda ignorata della nostra sensibilità, che all’improvviso, in mezzo alle vaste solitudini luminose d’un paese primitivo, torna a vibrare e ci riempie l’anima della sua voce selvaggia », L. Barzini, Sotto la tenda, impressioni d’un giornalista al Marocco, Milano, Casa Editrice L. F. Cogliati, 1907, pp. 20-21 (notre trad.).

Bibliographie

Corpus

Barzini Luigi, Sotto la tenda, impressioni d’un giornalista al Marocco, Milano, Casa Editrice L. F. Cogliati, 1907.

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De Amicis Edmondo, Marocco, Milano, Fratelli Treves Editori, 1877.

De Amicis Edmondo, Le Maroc, trad. de l’italien par Henri Belle, Paris, Les lettres modernes, 1879, http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k84619n.r=de+amicis+maroc.langFR

Autres textes

Trivulzio Belgiojoso Cristina, Asie Mineure et Syrie ; souvenirs de voyage par Mme la princesse de Belgiojoso, Paris, Michel Lévy frères, 1858

Montesquieu, De l’esprit des lois [1751], Paris, Gallimard, 1995

Wortley Montagu Mary, Letters of the Right Honourable Lady Mary Wortley Montague written during her travels in Europe, Asia and Africa, London, 1763.

Études

Barzini junior Luigi, L’antropometro italiano, Milano, Mondadori, 1973

Clerici Luca, Viaggiare e raccontare, vol. premier 1700-1861, dans Scrittori italiani di viaggio, Milano, Mondadori, 2008.

Colarizi Simona, Luigi Barzini, Venezia, Marsilio Editori, 2017.

Magrì Enzo, Luigi Barzini : una vita da inviato, Firenze, Pagliai, 2008.

Nani Michele, Ai confini della nazione, Stampa e razzismo nell’Italia di fine Ottocento, Roma, Carocci, 2006.

Nizzoli Amalia, Memorie sull’Egitto e specialmente sui costumi delle donne orientali e gli harem, Milano, Tipografia e libreria Pirotta e c., 1841.

Papa Catia, Sotto altri cieli – L’Oltremare nel movimento femminile italiano (1870-1915), Roma, Viella, 2009

Pratt Mary Louise, Imperial eyes, London and New York, Routledge, 1992.

Reichler Claude, « Littérature et anthropologie, De la représentation à l’interaction dans une Relation de la Nouvelle-France au XVIIIe siècle », L’Homme, Éditions de l’E.H.E.S.S., n° 164, 2002/4.

Pour citer cet article

Valerio Vittorini, « Le Maroc dans les récits de voyage de Maddalena Cisotti Ferrara et Luigi Barzini », paru dans Loxias-Colloques, 19. Autour d’Henri Bosco : voyageurs et expatriés en Afrique du nord. Textes et images, Le Maroc dans les récits de voyage de Maddalena Cisotti Ferrara et Luigi Barzini, mis en ligne le 11 juin 2022, URL : http://revel.unice.fr/symposia/actel/index.html?id=1875.


Auteurs

Valerio Vittorini

Valerio Vittorini, jadis professeur de Langue et littérature italienne dans les lycées italiens, docteur en Littérature comparée, est actuellement chercheur associé au CTEL, Université Côte d’Azur.