Loxias | 60. Hommage à Michel Butor | I. Hommage à Michel Butor 

Nicole Biagioli  : 

Pour une sémiotique butorienne de la photographie

Résumé

La photographie a joué dans la vie et l’œuvre de Michel Butor un rôle central que nous analysons d’un point de vue sémiotique. Une sémiotique butorienne de la photographie ne peut être qu’une intersémiotique, Butor n’ayant cessé depuis Les Mots dans la peinture (1969) de revaloriser et de développer l’intermédialité dans la pratique et la théorie artistiques. La photographie sera donc envisagée dans ses différentes fonctions de médiation : reproduction des œuvres, support de correspondances et outil d’exploration du monde. Son rôle dans les collaborations de Butor avec des photographes, des peintres, des graveurs et des écrivains sera mis en valeur, en revenant sur les différentes entrées qu’il a pratiquées, comme modèle, photographe, collagiste et commentateur, et en insistant particulièrement sur les Universos paralelos (2011) parcourus avec sa femme, Marie-Jo. La théorie de la photographie sous-jacente à ces œuvres collaboratives sera ébauchée et comparée à celle, contemporaine, de Roland Barthes.

Abstract

Photography has played a central role in Michel Butor’s life and work, which we analyze from a semiotic point of view. A Butorian semiotics of photography can only be intersemiotic, as Butor, since Les Mots dans la peinture (1969), has continuously reevalued and developed intermediality in artistic practice and theory. Photography will be considered in its various mediating functions : reproduction of works, support of correspondences and tool of exploration of the world. His role in Butor’s collaborations with photographers, painters, engravers and writers will be highlighted, going back to the various entries he experienced, as photographers’model, photographer, collagist and commentator, with special emphasis put on the Universos paralelos (2011), visited together with his wife, Marie-Jo. The theory of photography underlying these collaborative works will be sketched out and compared to the contemporary one of Roland Barthes.

Index

Mots-clés : interartialité , intermédialité, Michel Butor, photographie, sémiotique

Keywords : interartiality , intermediality, photography, semiotics, shared creativity

Plan

Texte intégral

Introduction

1La présente étude vise à étayer l’hypothèse que la photographie forme un sous-système autonome dans l’œuvre de Butor, une sémiotique originale mettant en relation deux univers : la photographie et l’œuvre de Butor. Cette rencontre ne relevant pas uniquement du hasard, il nous faut, avant de la décrire, en évoquer les prémisses. Nous le ferons en nous appuyant sur deux ouvrages qui ont marqué la réflexion esthétique de la deuxième moitié du XXe siècle : Le musée imaginaire d’André Malraux (1947), et Photographie et société de Gisèle Freund (1974).

2Malraux s’intéresse à la photographie pour son rôle décisif dans la métamorphose de l’expérience esthétique. L’essor de la photographie est inséparable de celui d’une institution muséale que Malraux décrit comme :

3- défonctionnalisante : « Un crucifix roman n’était pas d’abord une sculpture, la Madone de Cimabue n’était pas d’abord un tableau, même l’Athéna de Phidias n’était pas d’abord une statue1 » ;

4- intellectualisante : « Le musée impose une mise en question de chacune des expressions du monde qu’il rassemble, une interrogation sur ce qui les rassemble2 » ;

5- épistémologisante : instituant un socle commun des connaissances artistiques.

6Comme Malraux, Butor commence à s’intéresser à la photographie en tant que moyen de reproduction des œuvres d’art : « Si je voulais décrire la structure aujourd’hui de toute expérience picturale, il me faudrait naturellement préciser comment l’œuvre d’art elle-même est le noyau, parfois déjà détruit […] d’un ensemble de reproductions plus ou moins fidèles, autrefois fort clairsemé, souvent très dense maintenant3 ».

7Photographe et sociologue, Freund retrace l’évolution esthétique et technique de la photographie. Elle montre comment son invention a ravivé la problématique romantique de l’originalité versus imitation, et comment la photographie a progressivement pris conscience de ses possibilités techniques en les explorant dans deux voies opposées : la reproduction et la création artistique.

8En bonne épistémologue, Freund sait que» toute invention est conditionnée, d’une part par une série d’expériences et de connaissances antérieures, et d’autre part par les besoins de la société4 ». Au milieu du XIXe siècle, la vogue du portrait photographique artistique lancée par Nadar détrône le portrait pictural chez les artistes, les intellectuels et les bourgeois5. À la fin du siècle, le succès de la carte postale, dû à l’invention de la photocollographie6 qui en abaisse le prix de revient et au développement du tourisme accélère l’expansion de la photographie. Avec la naissance du photojournalisme au début du XXe siècle, la photographie change de statut. D’illustration, elle devient medium indépendant : « l’image devient elle-même l’histoire qui raconte un événement dans une succession de photos, accompagnée d’un texte souvent réduit aux légendes seules7. ». Enfin la deuxième moitié du XXe siècle est marquée par l’invention de l’appareil photographique instantané qui démocratise la pratique photographique. L’électronique finit de la mettre à la portée de tous. La simplification du procédé jointe au besoin d’expression de l’homme contemporain, « réduit à n’être qu’un minuscule rouage dans une société de plus en plus automatisée, et auquel « faire des photos donne l’illusion de satisfaire son besoin de création8 », explique l’apparition de la génération des « photomateurs9 ».

9On retrouve trace de ces étapes dans l’œuvre de Butor. La photographie y met en relation vie privée et vie publique. Il photographie comme un simple particulier mais aussi comme un nouveau romancier. Il envoie à ses amis des cartes postales découpées qui réinventent le medium. À partir des années 2000, il se montre de plus en plus préoccupé par la problématique éthico-esthétique que pose la démocratisation de la pratique photographique : celle de l’interculturalité, non seulement entre les cultures qu’elle met en contact de par le monde, mais entre la culture des élites et la culture de masse.

10Nous avons organisé notre étude en trois parties explorant respectivement la lecture sémiotique de la photographie effectuée par Butor, les pratiques qui lui ont permis de se l’approprier, et la théorie en acte qu’il en a tirée, en nous servant pour les deux dernières, de la théorie de la photographie de Barthes comme contrepoint et outil heuristique.

1. Exploration du fonctionnement sémiotique de la photographie

11À l’origine de l’intérêt de Butor pour la photographie, on trouve sa saturation sémiotique. Elle est indice, puisqu’elle repose sur la présence de son référent (qui impressionne le support), icône puisqu’elle en reproduit des structures, et signe puisqu’elle sert à le désigner. Elle peut donc s’analyser en signifiant (Sa) et signifié (Sé) dans le métalangage de la linguistique, plan de l’expression (E) et plan du contenu (C) dans celui de la sémiotique. Mais il y a aussi son extension sémiotique. Signe économique (un clic suffit), c’est un interprétant universel, une sémiotique de métalangage qui peut servir de plan de l’expression à n’importe quelle sémiotique sans en modifier le contenu. Et elle a la capacité de se reproduire : la sémiotique dénotative E (photo) R (désignant la mise en relation) C (contenu représenté), est alors incluse dans un nouveau dispositif E (reproduction R ERC (original).

1. 1 La reproduction photographique, interprétant universel

12Avec sa fonction reproductive, perfectionnée au gré des mutations technologiques et sociologiques, la photographie en est venue à concurrencer la langue naturelle, seule sémiotique à laquelle Hjemslev reconnaissait la propriété d’interprétant universel10. Pour Butor elle fait partie des « procédés de pédagogie picturale11 » qui ont contribué à « la transformation du musée classique en établissement de spectacles audiovisuels ». Si l’omniprésence des reproductions ne lui inspire qu’un enthousiasme modéré, il n’en reconnaît pas moins leur nécessité et en tire les conséquences théoriques qui s’imposent. La reproduction, qui maintient la communication esthétique même lorsque l’original disparaît12, constitue une extension de l’œuvre. Périphérique, elle se nourrit du noyau original mais lui rend la pareille en le maintenant dans l’orbite des échanges culturels lorsqu’il vient à disparaître.

13La distance entre reproduction et original est pour lui une felix culpa qui stimule l’imagination : « si j’ai moi-même une reproduction par trop infidèle d’une œuvre que je veux étudier, j’écris à côté ou dessus quelles sont les erreurs les plus graves. À partir de l’image que je vois, les mots me permettront d’en imaginer une autre meilleure13 ». Mais il ne dit mot des avantages descriptifs et explicatifs de la reproduction photographique alors qu’il l’utilise pour comparer en les juxtaposant la Joconde de Vinci et celle de Magritte14, ou le Portrait de la vicomtesse de Senonnes et le détail grossi du carton coincé dans la glace sur lequel Ingres a signé avec les trois premières lettres de son nom15. Il ne retient donc des propriétés sémiotiques de la photographie que celles qui concernent son sujet : la simplification du catalogage et l’outillage de l’analyse picturale.

14L’intermédialité qui relie les interprétants universels que sont l’image et la langue est une ressource naturelle aussi bien pour l’artiste que le public. Dans Les Mots dans la peinture, Butor passe alternativement du point de vue de l’artiste : « lorsque je dessine une toile future, je puis préciser par des notes la couleur de telle partie », à celui du public : « partition picturale : le compositeur écrit avec des notes et des mots ce que doit faire le pianiste (moi-même si j’en suis capable) pour nous faire entendre telle œuvre, le peintre ce que je dois faire (ou quelque interprète pour nous faire voir telle autre16 ». Les trois postulats qui vont sous-tendre son projet artistique global sont déjà en place :

15-l’intermédialité est toujours déjà là, il est vain d’opposer la langue et l’image, elles se renforcent l’une l’autre, et cette interaction ne s’arrête pas à elles mais inclut les autres canaux de communication ;

16- les arts sont interdépendants eux aussi car tous exigent la combinaison des points de vue de l’émetteur, du récepteur et du message, décentrement difficile à atteindre si l’on ne pratique pas l’alternance des rôles et des mediums ;

17- intermédialité et interartialité se relaient dans une dynamique qui constitue la créativité.

1. 2 L’artialisation de la photographie scientifique

18Butor rencontre la photographie botanique lorsqu’il collabore avec Goschka Charewicz pour la seconde édition de l’Herbier Lunaire (1984). Comme toute illustration scientifique, elle est impliquée dans deux types de transformations sémiotiques. Le premier est le passage de la sémiotique dénotative E R C (photo E d’une plante C), à la sémiotique de connotation ERC1 (photo d’un spécimen) R C 2 (espèce à laquelle appartient le spécimen). Le profane voit la photo d’une plante quelconque là où le botaniste repère les critères définitionnels d’une espèce. Butor se situe lui-même dans l’entre-deux. Il se dit « botaniste amateur17 » dans Errances Botaniques, évoquant une tradition familiale18.

19Le deuxième type de transformation sémiotique propre à l’illustration scientifique est l’inclusion de la sémiotique de connotation ERC1 R C2 de l’image scientifique dans le système illustratif où elle reprend le contenu de la description scientifique en redoublant la signification, comme un métalangage E2 R E1RC, la description faisant de même pour l’image. Le diptyque texte-image de l’herbier est donc une métasémiotique (sémiotique dont chaque plan est une sémiotique) qui regroupe les deux opérations : RC1R C2 R E2 R E1RC, et s’applique aussi bien au texte qu’à l’image.

20C’est cette métasémiotique que la seconde édition de l’Herbier Lunaire pastiche. Dans la première, déjà sous-titrée poèmes et illustrée par trois eaux-fortes de Julius Baltazar, le principal effet poétique provenait des dissonances entre la conformité générique à la description botanique, le respect de la topographie lunaire et le référent science-fictionnel : la flore lunaire.

21La version Charewiz renforce la conformité générique en reprenant le modèle de l’herbier annoncé dans le titre : chaque description a son illustration. Mais elle introduit surtout un hypertexte photographique remarquable. Certaines des planches de Charewicz reprennent des photographies de Karl Blossfeld, sculpteur et photographe allemand (1865-1932), notamment le dessin de la Malva nubium19, contretype (blanc avec dessin gris) de la photographie par Blossfeld (noire avec reflets blancs) de la Blumenbachia hieronymi (capsule séminale grossie 18 fois)20 ».

22Blossfeld n’est pas un photographe botaniste, même s’il utilise les procédés de l’illustration botanique : préparation des spécimens (durcissement, vernissage) et grossissement de détails imperceptibles à l’œil nu. Il photographie les végétaux pour fournir des modèles aux dessinateurs de fabrique. Ce faisant, il les défamiliarise. « Aujourd’hui, le sentiment qui prédomine lorsque l’on regarde ces photos est la conscience que nombre des plantes qu’elles présentent sont perdues, oubliées, passées à tout jamais21 ». L’hypotexte blossfeldien a donc enrichi la poétique butorienne d’une nouvelle possibilité de parallèle entre l’image et le langage, reposant sur le mécanisme de retournement de la reproduction en production qui transforme une sémiotique scientifique en sémiotique artistique lorsque la précision de la reproduction excède un certain seuil.

1. 3 L’intégration intermédiale et interartiale

23On peut considérer que cette seconde version de l’Herbier lunaire a servi de déclencheur à l’application par Butor des trois postulats esquissés dans Les Mots dans la peinture : l’interdépendance des médias (présente dans le système illustratif), l’interdépendance des arts (puisque Charewicz était parvenue à enrichir le texte de Butor par son seul dispositif hypertextuel), l’interdépendance des arts et des médias dans un modèle unique de créativité (puisque cette prise de conscience avait été provoquée par un medium absent, la photographie, et une artialisation involontaire (le projet originel du photographe étant de fournir des modèles facilitant la reproduction industrielle).

24Butor les approfondit dans deux ouvrages, Errances Botaniques (2003) et Épîtres florales (2005), dont nous avons montré qu’ils constituaient un diptyque22, aussi bien par leurs thèmes : des explorations botaniques dans les Alpes, que par leurs structures. Peintre et écrivain entrelacent leurs interventions dans un dispositif qui met en valeur l’histoire et l’épistémologie de leurs disciplines artistiques respectives et les ponts qui les relient. Parmi ceux-ci, la photographie. À la différence de l’Herbier lunaire illustré par Charewicz, la médiation exercée par la photographie n’est plus indirecte ni confidentielle, mais explicite et exhaustive. Elle est mise en valeur par la variation systématique des paramètres plastiques :

25- pour l’écriture : manuscrit VS imprimé ;

26- pour la peinture : fond (carte postale, imprimé, papier), technique (dessin, encre, gouache) ;

27- pour la photographie : format ; format, pellicule noir/couleur.

28Chaque discipline est représentée par des sous-genres : paysage et la peinture de fleurs pour la peinture, poésie et promenade d’inspiration rousseauiste pour la littérature, paysage, nature morte florale et carte postale pour la photographie.

29La construction intermédiale et interartiale repose sur l’alternance des écrits, des gouaches, des dessins et des photographies, leur agencement illustratif et leur superposition. Les portraits de fleurs apparaissent sur des fonds constitués dans Errances Botaniques par des feuilles de traités du XVIIIe siècle et dans Épîtres florales, par des cartes postales anciennes. Tout ceci grâce à la photographie, mais le secret n’est dévoilé que dans Épîtres florales, par des photos des fleurs fraîches posées sur les agrandissements des cartes postales sur lesquelles elles vont être peintes.

30L’introduction de la photographie comme tiers dans le partenariat peintre- écrivain est une façon de rappeler au lecteur ce qu’il oublie généralement lorsqu’il feuillette un livre d’artistes où sont reproduits des textes manuscrits, des gouaches ou des dessins : ce ne sont pas les originaux qu’il voit mais leurs reproductions (une autre façon étant de ménager, dans Errances botaniques, un tirage de tête de 35 exemplaires avec une gouache de Ernst). Cheville ouvrière du système intermédial et interartial, la photographie dans le diptyque alpestre n’est pourtant pas complètement assumée comme expérience artistique. À preuve : aucune des photos contenues dans les deux ouvrages n’est signée.

2. Pratique(s) de la photographie, Butor/Barthes

31Contrairement à Barthes, qui avoue « je ne suis pas photographe, même amateur : trop impatient pour cela : il me faut voir toute de suite ce que j’ai produit (Polaroïd ? Amusant, mais décevant sauf quand un grand photographe s’en mêle 23 », Butor a pratiqué la photographie et ne nourrissait aucun préjugé à l’égard du polaroïd. Mais l’essence contradictoire de la photographie que pointe Barthes : « Ce que la Photographie reproduit à l’infini n’a eu lieu qu’une fois : elle répète mécaniquement ce qui ne pourra plus jamais se répéter existentiellement24 », lui paraît une ressource précieuse pour l’extension interartiale du projet néo-romanesque, basé, rappelons-le, sur la dialectique reproduction/production.

32La contemplation des photos qu’un proche disparu a posées (mère de Barthes), ou réalisées (femme de Butor25) est un biographème commun aux deux auteurs. Plus généralement, leur sensibilité aux conséquences de la contingence de la photographie justifie le parallèle que nous allons mener, ainsi que son point de départ, les pratiques :

J’observai qu’une photo peut être l’objet de trois pratiques […] : faire, subir, regarder. L’Operator c’est le photographe. Le Spectator, c’est nous tous qui compulsons […] des collections de photos. Et celui ou cela qui est photographié, c’est la cible, le référent [...] que j’appellerais volontiers le Spectrum de la Photographie, parce que ce mot garde à travers sa racine un rapport au « spectacle » et y ajoute cette chose un peu terrible qu’il y a dans toute photographie : le retour du mort26.

2. 1 Butor photographié

33Des trois types d’expérience que permet la photographie, celle de référent est la plus complexe, celle qui, d’emblée, révèle l’interdépendance des actants photographiques : photographié, photographe et spectateur. En effet, si la photo volée cloisonne les trois actants, l’autoportrait les réunit dans la même personne. Et modèle et photographe ont tendance à empiéter l’un sur l’autre, soit que le modèle dirige son portrait, soit que le photographe dirige le modèle, sans compter les aléas de la reproduction dont se plaint Barthes dans L’Empire des signes : « Ce conférencier occidental [lui], dès lors qu’il est cité par le Kobé Shinbun, se retrouve japonisé, les yeux élongés, la prunelle noircie par la typographie nippone27 ».

34L’actant peut être un non animé. La loi considère l’objet le paysage ou le monument photographié comme le prolongement de leur propriétaire : « Le paysage lui-même n’est-il qu’une sorte d’emprunt fait au propriétaire du terrain ? D’innombrables procès, paraît-il, ont exprimé cette incertitude d’une société pour qui l’être était fondé en avoir28 ». La propriété s’entend aussi au plan culturel. Un groupe humain peut se sentir attaqué ou valorisé par la photographie d’un lieu ou d’un objet lié à son identité symbolique. Et l’actant photographe peut être une caméra automatique.

35Barthes ne retient que deux situations : celle où le référent est photographié malgré lui et celle où il pose. Il évoque la première à propos de la distinction entre le punctum, détail qui bouleverse le spectateur en entrant en résonance avec son moi intime, et le choc des photos-choc :

J’imagine […] que le geste essentiel de l’Operator est de surprendre quelque chose ou quelqu’un […], et que ce geste est donc parfait lorsqu’il s’accomplit à l’insu du sujet photographié. De ce geste dérivent ouvertement toutes les photos dont le principe (il vaudrait mieux dire l’alibi) est le « choc » car le « choc » photographique (bien différent du punctum), consiste moins à traumatiser qu’à révéler ce qui était si bien caché, que l’acteur lui-même en était ignorant ou inconscient29.

36La seconde le concerne directement : « Dès que je me sens regardé par l’objectif, tout change : je me constitue en train de « poser », je me fabrique instantanément un autre corps, je me métamorphose à l’avance en image30 », et il l’analyse : « Devant l’objectif, je suis à la fois : celui que je me crois, celui que je voudrais qu’on me croie, celui que le photographe me croit, et celui dont il se sert pour exhiber son art31 ». Qu’il soit sujet ou émanation d’un sujet, le photographié est donc voué à être objectalisé soit par le photographe qui lui vole son identité pour la transformer en signe, soit par lui-même lorsqu’il collabore à la construction dudit signe. Il se trahit alors au deux sens du terme : il révèle son inconscient et se met en contradiction avec ses convictions.

37Une vision tragique à laquelle les propositions de Butor fournissent une alternative. Une photo de Cent instants japonais le montre de dos, se dirigeant vers un petit temple en bois dont le perron est gardé par deux petits renards en pierre. Trois indices prouvent que la photo n’est pas posée :1) il assez loin de l’objectif, du moins hors de portée de voix ; 2) il est situé à l’extrême gauche et ses jambes sont coupées ; 3) c’est un instantané : le 89-6-19 (dans l’ensemble du livre les numéros des instantanés ont été reproduits sur les photos pour rappeler le titre de l’ouvrage. Le commentaire : « Le Français vu de dos contourne précautionneusement l’annexe, que l’on peut trouver dans tout grand sanctuaire ancien pour se rendre favorables les inquiétants renards, Izumo, 19 juin 198932 » confirme que la photographe a saisi l’instant qui révélait le mieux sa posture de touriste éclairé : curieux mais n’ignorant pas qu’en Extrême-Orient, les temples doivent se visiter en respectant le sens des aiguilles d’une montre : de gauche à droite. Elle ne l’a pas surpris, elle l’a compris.

38Butor a également posé de face. Les portraits qui accompagnent les notices biographiques d’Errances botaniques33 et Épîtres florales34 ont chacun leur stratégie pour prendre à revers la mythologie du portrait officiel. Le premier exhibe les attributs d’un patriarche des lettres à la retraite, confortablement installé dans un fauteuil, avec casquette, barbe, gilet, un verre à eau et un verre à vin à moitié pleins devant lui. La légende : « Michel Butor dans son jardin à Lucinges, été 2003 » renvoie à la sémiotique photographique dénotative et passe sous silence les trois niveaux de connotations qu’elle supporte : genre (portrait) sous-genre (portrait d’écrivain), contestation du genre (satire). Si, comme le disait Barthes, « la photographie ne peut signifier (viser une généralité) qu’en prenant un masque35 », il suffit d’outrer les traits du masque pour lui redonner du mystère.

39Sur le second, Butor, le visage légèrement incliné vers nous, se penche pour caresser son chien. La pose provoque un jeu de rimes plastiques entre son dos et celui de l’animal, le groupe et son ombre portée, et dévoile au second plan la pancarte qui porte le nom de la maison : à l’écart. La légende rappelle celle du précédent portrait : « Michel Butor et son chien Oban, à l’Ecart, Lucinges, 2005 ». Mais elle n’est dénotative qu’en apparence, car, en focalisant l’attention sur le chien et sur la pancarte, les rimes plastiques invitent à lire Au Ban (autrement dit « mise à l’écart ») sous Oban. Cette fois, ce n’est pas l’exagération des marques stéréotypiques qui annule leur effet, mais la mise en écho des deux sémiotiques de métalangage, celle de l’image qui s’auto-désigne grâce au nom de la maison photographié, celle du texte qui s’auto- désigne grâce au calembour sur le nom du chien.

2. 2 Butor photographe

40Butor a commencé jeune la photographie. Il a cessé lorsque sa femme a décidé de s’y consacrer, durant leur voyage au Japon en 198936. Pour illustrer sa pratique, nous avons choisi une photo de 195237 (il a 26 ans, Passage de Milan paraîtra en 1954, La modification en 1957). Elle est signée dans le coin droit de son prénom et du monogramme de son nom  il l’a donc assumée sur le plan artistique  et intitulée dans le coin gauche Sienne. C’est une vue plongeante d’une portion de place en quinconce, dans laquelle tout habitué reconnaîtra la Piazzo del Campo où a lieu chaque année la course du Pallio. La pente caractéristique du lieu est masquée par la perspective, le cadrage, et des rangées d’auvents diédriques, toiles d’un marché dont on n’aperçoit pas les étalages mais seulement les chalands. Le téléobjectif transforme le détail en énigme. Le studium « champ d’intérêt culturel » comme le définit Barthes38 se dérobe, mais ce n’est pas sous l’effet du punctum, « cette zébrure inattendue qui vient parfois traverser ce champ » créant ce que Barthes appelle un « champ aveugle39 ». Au lieu de remettre en cause l’évidence du « ça a été », Butor s’en sert pour inciter le spectateur à faire des hypothèses de lecture. Il lui donne un indice pour identifier le lieu : l’ombre d’une haute tour, la Torre del Mangia (102m) du Palazzo Pubblico, et lui permet grâce à un procédé auto-référentiel transposé de la technique néo-romanesque, de le retrouver au sommet.

2. 3 Butor spectateur de la photographie

41Mener de front plusieurs activités artistiques exige de la disponibilité et des moyens. À mesure qu’il limite sa pratique de la photographie, Butor développe ses interactions avec les photographes. Pour lui la posture de Spectator inclut un visionnage actif et un échange avec l’Operator et son opus qui trouvent leur aboutissement dans l’écriture du commentaire. Nous avons classé les produits de ces collaborations en tenant compte du genre du texte produit, de la posture interprétative et des relations établies entre le texte et la photo, des plus collaboratives aux plus intrusives. Nous avons obtenu trois catégories qui rappellent trois genres populaires : l’album photo, le photoreportage et la carte postale. Les aménagements apportés par Butor et ses partenaires relèvent de ce qu’on pourrait appeler la secondarisation, au sens bakhtinien du terme40, des genres premiers.

42Comme genre, l’album photo résulte du croisement de l’invention de l’appareil photographique instantané et du tourisme de masse. Il regroupe les souvenirs photographiques de son propriétaire qui en légende les photos avec des indications spatio-temporelles et souvent un détail qui l’aide à fixer le souvenir du référent photographié dans sa mémoire. C’est un vecteur de socialisation. Les photos ne sont pas seulement des traces mémorielles, elles prouvent la présence du propriétaire de l’album sur les lieux photographiés et lui servent aussi d’arguments pour inciter ses interlocuteurs à l’imiter, directivité que seul l’échange des albums peut corriger.

43Au plan énonciatif, le locuteur l’emporte sur l’allocutaire ; au plan sémiotique, le référent sur le signe photographique. Pour compenser ces déséquilibres, Butor relativise la portée de ses légendes en optant pour l’écriture manuscrite. Il respecte le type discursif de son modèle populaire : descriptif-explicatif, mais introduit des éléments d’information sur le signe photographique, signifiant (lignes, directions, couleurs, formes) et signifié (connotations culturelles, subjectives) :

Dans la cour de ce monastère-musée à Cuernavaca, les palmes, les dahlias, les bougainvilliers, les cactus et la lumière qui descend en rideau comme une cascade de vigne-vierge réservant une fenêtre pour la croix de fer forgé sur le mur ocre rouge sous les épines de pierre d’où l’on espérait surveiller l’approche des démons41.

44Seul un album complet peut donner une idée globale du processus de secondarisation. Universos paralelos (2010), avec ses 24 photos souvenirs d’un voyage en Inde effectué en 2008, affiche dans le titre l’objectif de la secondarisation : paralléliser les domaines des deux artistes, et dans le sous-titre : « Uma viagem fotoliteraria » la référence au genre premier : Les scènes de rue y alternent avec les topoi touristiques. La description du Taj Mahal 42 décalque le boniment des guides. La conclusion rappelle que Sha Jehan a été déposé par un de ses fils qui l’a enfermé « dans un pavillon du fort rouge, la plus belle prison du monde, d’où il pouvait contempler son œuvre maîtresse au-delà des eaux ». Seul un familier des lieux remarquera que pour réaliser sa photo, Mari-Jo Butor s’est postée au même endroit.

45Le photo-reportage est le genre premier transposé dans Jardins de rue au Japon. Dans l’introduction, Olivier Delhoume, le photographe, présente les jardins de rue comme des « révélateurs sociologiques », qui « apparaissent comme l’expression d’une revendication collective : reprendre à la ville un territoire urbanisé et le redonner à ses habitants43 ». Photos et poèmes développent en écho le parallèle entre la photographie et le jardinage de rue comme expressions artistiques du quotidien : « Autant de soin dans ce balcon/minuscule que dans les parcs/des monastères les plus saints/où l’on vient surveiller la suite/des vénérables floraisons 44 ». Ils sont répartis selon une règle de 4 : 40 photos, 4 succédant à l’introduction, les 36 autres réparties par 4 dans 9 divisions, précédées chaque fois de 2 pages de textes dans lesquelles alternent quatrains et stances de huit vers, les deux en octosyllabes, dans l’ordre 1 quatrain, 1 octave, 2 quatrains, 1 octave, 1 quatrain, soit autant de vers dans les quatrains (4 x4), que dans les octaves (8x2). La contrainte numérique et l’arbitraire du rapport entre les titres et les contenus des photos, déjouent le réflexe illustratif et dirigent l’attention vers les rapports intra-artiaux, textes entre eux, photos entre elles. Le lecteur peut ainsi varier ses trajets tout en continuant à percevoir, même s’il n’en a pas conscience, le rythme de la composition.

46La carte postale découpée45 (et collée) est la secondarisation la plus invasive pratiquée par Butor, car elle modifie profondément le support et ne résulte pas d’une collaboration directe avec les photographes ou les auteurs des autres matériaux utilisés. Ses témoignages et ceux de ses destinataires insistent sur l’authenticité de la relation épistolaire. Leyla Perrone-Moisès précise : « les cartes annoncent toujours où il sera dans les mois suivants. […]. Cette année-là il m’annonce qu’il est grand père et m’invite à nouveau chez lui 46 ». Michel Sicard en parle comme « d’une sorte de carnet de bord qui permet de faire le point sur l’ensemble des problèmes familiaux, d’édition, de travail, de création47 ». Butor explique : « Du fait que je découpe des cartes postales, j’écris beaucoup plus de lettres, de correspondance que je ne ferais autrement. C’est l’essentiel ; et ça amuse les gens », ajoutant : « ce besoin d’écrire des lettres est lié au fait que j’écris par ailleurs, mes lettres étant avant tout un moyen de garder un contact avec des lecteurs48 ».

47La carte postale est à la fois prétexte et support de l’artialisation, et, grâce à la symétrie qui caractérise la communication épistolaire, invite à relever le défi en répondant par une composition similaire. L’artialisation est assurée parfois par le texte (« parfois le texte de la carte est un poème, comme « Le soir à Norman », envoyé d’Oklahoma en 198149 »), toujours par l’image. La carte initiale est soit reconstruite à partir de plusieurs exemplaires, avec des effets de rythme et de redéploiement en 2 ou 3 dimensions, soit pliée, découpée, juxtaposée ou superposée à d’autres matériaux au moyen de pattes colorées. On retrouve cette dernière technique dans un item reçu par Peyrone-Moisès qui est aussi un hommage à la photographie50. Il affiche en son milieu, superposée à deux reproductions d’extraits d’œuvres conjointes de Butor et d’Alechinsky qu’elle semble écarteler, une carte postale représentant un photographe de rue bolivien (si l’on se fie aux couvre-chefs) prenant en photo une jeune femme en présence de sa famille. La mise en abyme matérielle souligne l’intention métareprésentative. Elle rappelle que toute carte postale, même si elle n’est pas signée, est une photographie et prend acte de l’universalisation des pratiques photographiques.

48Limitée au premier cercle des amis de Butor, cette communauté de pratiques est restée confidentielle. Pourtant elle a servi de banc d’essai à la mondialisation de la pratique interartiale à laquelle Butor se consacre à partir des années 2000.

3. La théorie butorienne de la photographie, une théorie en acte

49D’un point de vue sémiotique, une théorie est une sémiotique de métalangage E2 R E1RC qui permet de passer de la désignation d’un objet particulier à sa généralisation. Quand on lui demande en 1984 « Comment concevez-vous l’écriture de la théorie aujourd’hui ? », Butor répond :

Je ne sais pas. On a fait beaucoup de théorie dans ces dernières années. Cette théorie d’il y a une dizaine d’années, elle semble déjà un peu creuse, souvent parce qu’elle n’est pas nourrie par une connaissance véritable des textes. C’est toujours précieux quand ce sont des praticiens qui réfléchissent sur ce qu’ils font ou sur ce que les autres ont fait. Pour nous, aucun critique du début du siècle ne peut entrer en comparaison avec les quelques articles que Proust a écrits51.

50Il n’a donc tenté ni de théoriser de la photographie, fût-ce comme Barthes, de façon déceptive : « Mais la Photographie du jardin d’hiver, elle, était bien essentielle, elle accomplissait pour moi, utopiquement, la science impossible de l’être unique52 » ; ni de l’enfermer dans une définition, fût-elle alternative :

Folle ou sage ? La Photographie peut être l’une ou l’autre : sage si son réalisme reste relatif, tempéré par des habitudes esthétiques ou empiriques ; folle, si ce réalisme est absolu, originel, faisant revenir à la conscience amoureuse et effrayée la lettre même du Temps […] : mouvement que j’appellerai pour finir l’extase photographique53.

51Pourtant, Barthes part aussi d’une pratique, sa pratique de Spectator. Tous les deux ont aussi en commun une filiation intellectuelle existentialiste et phénoménologique, même si ce n’est pas tout à fait la même. Sartre pour Barthes dont La Chambre claire porte la dédicace : « En hommage à l’Imaginaire de Sartre » ; Bachelard et sa reprise critique de la phénoménologie husserlienne pour Butor. Sicard attribue à Butor, en l’opposant à l’option constructiviste, dans laquelle « tout est calculé comme un jeu de formes décidées à l’avance », une « option, plus existentielle », qui « consiste à essayer de capter une forme inventive […] phénoménologique, parce qu’elle ne préjuge en rien des résultats à trouver » et « mise tout [...] sur l’expérimentation54.

52Ce que confirme Butor dans le même numéro de Texte en Main :

Lorsque j’emploie des structures très claires, je vois comment ça marche. Parfois ça marche, parfois non. Si ça ne marche pas, je change. Je change jusqu’à ce que ça marche. Pourquoi ça marche ? Eh bien, à ce moment-là je ne peux pas vous le dire ! […] En étudiant le texte, on doit pouvoir le dire, mais moi, sur le moment, non55.

53Pour Barthes, le signe photographique s’abolit dans l’extase en donnant un accès direct au référent, tandis qu’il devient omniprésent pour Butor comme outil-fétiche de la création interartiale56. Dans les coordonnées de Barthes, Butor se situerait du côté de la photographie sage, dont il épouse « toutes les habitudes esthétiques et empiriques ». Pourtant, loin d’être insensible à l’insensé photographique, il l’exacerbe dans la carte découpée, dans « un moment intense, rapide, non pas de virtuosité, mais de trouvaille insensée, issue du court-circuitage des formes disponibles 57 ». La folie de la photographie telle que la conçoit Butor a une autre caractéristique : elle est contagieuse. Nul n’y réchappe, d’où la place qu’il lui attribue dans sa stratégie interculturelle. En faisant de la littérature une composante culturelle parmi d’autres : « On écrit dans la littérature. La littérature est là, qu’on l’ait lue ou pas. Même si on ne l’a pas lue directement, on l’a lue à travers toutes sortes de choses 58 », il la déclasse, mais l’intègre dans une conception élargie de la culture qui est celle de Bachelard et des sciences humaines. En haussant la photographie, moins intimidante que la littérature et insensible aux barrières linguistiques, au niveau de l’art, il brise un tabou culturel. En associant les deux, il démocratise l’expérience esthétique.

54La pratique artistique ne peut se nourrir de la culture et la nourrir en retour que dans la mesure où elle ne relève pas d’un savoir sur l’action, produit pas l’analyse et extérieur à elle, mais d’un savoir produit par et dans l’action. Pour cela, Butor combine trois approches. La première vise à intégrer l’hétérogénéité culturelle comme dimension de la réception de la photographie. La seconde à vulgariser la culture photographique à travers la fiction. La troisième illustre le fonctionnement interculturel du processus photographique avec une étude de cas qu’il partage avec Barthes : celle du Japon.

3. 1 La réduction des gaps culturels dans la réception de la photographie

55L’opposition entre studium et punctum dans La Chambre claire s’explique en grande partie par la défiance de Barthes à l’égard de la culture. Cette défiance n’est pas nouvelle. Elle remonte à Mythologies. Calvet montre comment Barthes, après avoir démonté le fonctionnement du langage de la culture de masse en appliquant la structure de la sémiotique de connotation aux messages mass-mediatiques, finit par en faire porter la responsabilité à la culture petite-bourgeoise : « le centre d’intérêt se déplace vers l’émetteur (dont le message devient signe), et cette approche réclame un instrument heuristique. C’est l’origine de l’intérêt de Barthes pour la sémiologie59 ». Une démarche scientifique peut donc avoir comme origine un comportement idéologique, en l’espèce la stéréotypification de la bourgeoisie par l’avant-garde artistique, qui remonte aux « bohêmes » du XIXe siècle. Elle transparaît aussi bien dans le clivage opéré par Barthes entre l’écriture intransitive des écrivains, pour qui l’écriture est un but, et celle transitive des écrivants, « dont la parole n’est qu’un moyen60 », que dans sa caricature de la littérature autoréférentielle en héroïne racinienne : « notre littérature est […] comme cette héroïne racinienne qui meurt de se connaître mais vit de se chercher (Eriphile dans Iphigénie)61 ».

56La pratique et l’engagement de Butor reposent sur une représentation de la création littéraire en rupture avec le mythe de l’inspiration romantique. Le Nouveau Roman se réclame de précurseurs (Flaubert, Mallarmé, Valéry, Proust, Roussel) qui ont affiché et explicité leur travail. En mettant à jour la relation dynamique de la lecture et de l’écriture dans le processus de création, il en a ouvert a priori l’apprentissage à tous. Butor ne voit donc aucun antagonisme entre l’écriture intransitive et l’écriture transitive, puisque tout texte, pour être compris, nécessite des explications :

Dans tous les textes, beaucoup de choses passent. Seulement, souvent, c’est dans une bouillie qui fait que nous ne pouvons pas, à partir de là, les retrouver. Tandis que chez moi […] les choses vont être soigneusement étudiées, précisées, de sorte qu’on puisse aller à la recherche, avoir ces filons, ces strates distingués62,

57pas plus qu’entre texte et métatexte :

Oui, quand on écrit un texte, on réfléchit aussi un peu sur ce qu’on fait et ça passe dedans. Dans tout texte, il y a donc aussi quelque chose sur le texte Le sujet du texte, c’est aussi le texte. La sottise, c’était de dire que le sujet du texte ce n’était que le texte. Ça a été Tel Quel à un certain moment, puis c’est tombé en poussière63,

58puisqu’ils s’articulent dans l’action : tout problème posé à la lecture peut se résoudre par l’écriture. Lui oppose-t-on le risque de fracture culturelle avec le public non lettré :

vos textes sont le produit d’un travail intertextuel intense et […] demandent au lecteur un savoir culturel très étendu Pensez-vous que la (re)connaissance de l’intertexte soit nécessaire ? […]Allez-vous pouvoir échapper aux accusations d’élitisme si vous ne donnez pas à celui qui lit les moyens de s’emparer de la culture à partir de laquelle vous écrivez ?64

59il répond : « Cette idée d’élitisme doit être entièrement balayée. Mes textes sont plus faciles à lire pour des gens simples, qui ont une culture encore fraîche65 », et met en cause, non le niveau culturel, mais la posture sociale :

Il y a des livres de pure consommation dans lesquels les gens qui ont ou estiment avoir une culture vont jouir de la culture qu’ils ont déjà. Ils trouveront mes livres élitistes. D’autres, au contraire, avides de culture, vont aller à la recherche de la culture, vouloir lire d’autres livres. Pour ceux-là, mes livres sont des talismans qui ouvrent toutes les portes66.

60Dans le débat entre une conception monoculturelle et une conception interculturelle de la culture, la photographie, idéologiquement et sociologiquement, se situe plutôt du côté de la seconde. Toutefois, son statut artistique reconnu fait qu’elle n’est pas étrangère à la première. Elle va donc servir de passage, passage qui s’effectue grâce à la transposition des règles de l’écriture néo-romanesque à la création photographique, et à leur extension à l’écriture du commentaire de la photographie.

61L’accès à l’information est le premier facteur de compréhension. Butor n’hésite pas à expliciter ses références même lorsqu’il écrit des poèmes ou commente des photographies. Avant de comprendre, il faut avoir commencé à lire : l’immersion du lecteur passe par l’identification au narrateur et/ou aux personnages et la mise en intrigue du propos. Enfin, si l’on veut qu’il accède à l’autonomie, il faut lui faire prendre conscience de la façon dont le texte et/ou la photographie ont été produits et de l’intérêt qu’il y a à les produire.

62Nous avons vérifié l’application de ces règles sur deux items d’Universos paralelos. Le premier est une scène de rue montrant une grand-mère gardant ses petits-enfants sur le seuil d’un atelier. Tous sourient à l’objectif sauf une fille dans le fond, « assise en tailleur, l’air assez soucieux67 ». Au début, comme pour Barthes, l’embrayeur descriptif est le détail qui ne « colle » pas avec l’ensemble, d’ailleurs proche de celui que Barthes repère sur une photo de Savorgnan de Brazza par Nadar : « Le punctum, pour moi, ce sont les bras croisés du second mousse68 ». Mais très vite le commentaire dévie sur les personnages chaussés et ceux qui ne le sont pas, les pointures des sandales qui traînent, et se termine par une série de questions : « Où donc ira dormir tout ce petit monde, dans quel logis, de quelle ruelle, à quel étage ?69 ». En faisant appel à des ressources interprétatives universelles : connaissance des liens de parenté, comptage élémentaire, intérêt des habitants et des touristes les uns pour les autres dont témoignent les sourires des photographiés, Butor implique le lecteur. Le punctum devient embrayeur de relecture et d’écriture.

63Le second item70 est auto-métareprésentatif. La photographe a ciblé le reflet convexe de son mari, d’elle-même et du guide, sur une des deux citernes en argent de 3m de haut qui ornent le vestibule du palais du maharadjah de Jaïpur. Après avoir fait l’historique de l’objet, Butor décrit le dispositif photographique en partie fourni par la situation : « soigneusement entretenues […] elles [les citernes] permettent aux visiteurs d’admirer leurs anamorphoses comme dans une galerie des mirages », en partie imaginé par la photographe : « la photographe au centre, flanquée de son compagnon et de leur guide si malheureux d’avoir à se marier bientôt à une jeune fille qu’il n’aurait jamais vue. A gauche plusieurs autres touristes. A droite le reflet d’un miroir sur le mur, ce qui donne à cette Inde un parfum de Hollande71 ». La description est technique, le style soutenu. Le punctum provient de la déformation comique des silhouettes par l’anamorphose. L’élucidation se fait par des références à d’autres anamorphoses, tirées l’une de la culture populaire (la foire), l’autre de la culture savante (l’allusion à la Hollande72). L’implication du lecteur est assurée à la fois par la confidence autobiographique (le voyage d’un couple d’âge mûr, les Butor) et son travestissement burlesque (l’ébauche du roman matrimonial du guide).

64Le dispositif de guidage interculturel de la lecture photographique de Butor se précise : raconter son expérience de témoin-spectateur pour la faire partager au lecteur, avec des embrayeurs d’immersion fictionnelle et des embrayeurs de réflexivité combinant culture lettrée, culture populaire, et culture intermédiaire.

3. 2 La vulgarisation de l’histoire et de la culture photographique à travers la fiction

65Mythes, contes et légendes sont des universaux-singuliers que l’on retrouve dans toutes les cultures. Ils permettent de situer les spécificités de chacune tout en fournissant des cadres d’interprétation communs. Butor les intègre souvent à ses commentaires, soit explicitement (ex : les divinités maléfiques que sont les renards japonais), soit implicitement (ex : le jeune guide qui n’arrive pas à voir sa fiancée, avatar du mythe de Psyché).

66Cette fonction médiatrice de la fiction prend une dimension plus personnelle lorsque son univers est réaliste et l’énonciation assumée par un narrateur. Pour peu que l’intrigue se développe sur plusieurs épisodes, il devient alors possible de mettre la progression narrative au service d’un projet didactique. C’est ce que fait le diptyque alpestre qui, sous couvert de pérégrinations botaniques, met en scène l’épistémologie et l’histoire de la photographie.

67D’un volet à l’autre, l’énonciation change. Errances botaniques est une autobiographie ; Épîtres florales une fiction autobiographique. Le narrateur est un esthète parisien qui séjourne dans les Alpes et envoie des cartes postales à une amie chère restée à Paris. Mais cette différence énonciative est remise en cause par :

68- la proximité dans le temps des deux ouvrages ;

69- les similitudes entre le protagoniste d’Épîtres florales73, d’ailleurs anonyme, et Butor ;

70- l’écriture manuscrite de Butor dans les textes narratifs et poétiques du premier ouvrage et les textes narratifs du second (y compris celui reproduit sur la quatrième de couverture, signé par Butor, alors qu’il est endossé par le personnage).

71Dans une précédente étude, nous montrions que deux principes : la mise en tension de la représentation et de la métareprésentation, et l’échange interculturel entre auteur et lecteur, suffisent à rendre compte du fonctionnement de l’ensemble74. Nous allons voir ici que cela vaut également pour la gestion de la relation énonciative.

72La photographie de l’écriture manuscrite est la traduction matérielle de la tension entre représentation (personnage et narrateur) et métareprésentation (auteur). Interrogé en 1984 sur l’apparition de l’écriture manuscrite dans certaines de ses œuvres collaboratives, Butor expliquait :

Lorsqu’il y a peu d’exemplaires, il est plus simple de prendre l’écriture manuscrite. Elle a des propriétés tout à fait différentes de l’écriture imprimée. Il y a une marque personnelle beaucoup plus forte […]. J’aime bien faire des choses manuscrites. Mais c’est très long, surtout lorsque le livre est entièrement manuscrit et à plusieurs exemplaires. J’en ferai certainement de moins en moins75.

73La solution retenue par Butor pour le diptyque et ensuite Universos Paralelos répond à trois préoccupations : transposer la démarche interculturelle et interartiale des livres d’artistes dans une production grand public, afficher l’intérêt personnel qu’il accorde à la photographie, tout en restant cohérent avec l’ancrage médial et intermédial de son interartialité grâce au clichage final.

74S’agissant de l’échange interculturel, nous nous sommes jusqu’ici surtout intéressée à la culture florale à laquelle Butor recourt en tant que facteur de rapprochement entre continents et civilisations. Mais un champ culturel large a aussi l’inconvénient de renforcer l’évidence des stéréotypes76. Nous voudrions maintenant mettre l’accent sur ce qui en contrebalance l’effet dans l’œuvre de Butor : la distance historique. Connaître une culture n’est possible que si l’on a accès à son histoire et que l’on prend conscience de ses limites spatio-temporelles. Même sur ce point, Butor introduit une variation interculturelle, puisque dans le premier volet, il choisit le discours historique mais à petites doses, et dans le second la fiction historique.

75Le lecteur est invité à s’approprier l’histoire de la photographie à travers deux objets : la photographie botanique (dans le premier volet), et la carte postale (dans le second), et par deux voies, celle, banale, de l’identification fictionnelle au narrateur ou au personnage, et celle, plus sophistiquée, de la variation du point de vue historique provoquée par un mode narratif qu’on pourrait qualifier de rétrofuturiste77.

76Dans Errances botaniques, l’identification au narrateur fait endosser au lecteur le réflexe de la production photographique, d’abord dans une perspective esthétique : « Je m’arrête tous les deux pas, tentant vainement de photographier dans ma mémoire, ces découpures de l’horizon, ces rayons qui s’insinuent entre deux masses. Emporterai-je un appareil la prochaine fois ?78 » ; puis dans une perspective scientifique où la photographie, à l’instar de l’herbier, facilite la classification du spécimen en le pérennisant : « Les plantes me font des signes de plus en plus insistants. Mais si j’obéis, […], elles deviennent de plus en plus énigmatiques. Je n’arrive plus à les reconnaître79 ». La contextualisation rétrofuturiste prend comme point d’ancrage la fin du XVIIIe siècle. Elle alterne rétrospection (références aux Rêveries du promeneur solitaire) et rétroprospection. La citation de la table des matières d’un traité paru en 1796 se conclut par cette réflexion : « Quel voyage ! Dans l’espace et dans le temps. La Révolution ; après la Terreur [..], le Directoire, bientôt le Consulat et l’Empire. L’Angleterre avec ses pâturages […], l’Espagne avec ses déserts, les colonies de tous les états européens d’alors, avec les leurs. Quelle flore !80 ». Les connaissances réactivées sont celles du temps historique long, mais à partir d’une période qui a marqué l’imaginaire national, européen et mondial. L’expansion coloniale qui a suivi a permis d’étendre les connaissances naturalistes à la flore et la faune de tous les continents. La petite photo de vallée alpine située sous le texte et le dessin gouaché de la touffe de gentianes qui le jouxte mettent en contact l’espace- temps mondialisé et celui de la double-page.

77Dans Épîtres florales, l’identification au personnage permet au lecteur de se réapproprier l’histoire de la carte postale .Le point d’ancrage de la rétronarration se situe au moment où le tourisme alpestre devient à la mode. Le passage suivant donne un aperçu des rétrospections et rétroprospections qui acheminent le lecteur du futur faussement improbable du personnage à la mise en perspective historique de son quotidien :

Certains parlent de téléphériques. Il s’agirait de cabines suspendues à des câbles qui franchiraient les ravins en étant soutenues par des pylônes métalliques » et des rétrospectives qui resituent le contexte de l’émergence du medium : « le tourisme n’est ici qu’à ses débuts. On bâtit de nouveaux hôtels. Il y a déjà des boutiques qui fournissent tout le matériel nécessaire : alpenstocks, chaussures cloutées, raquettes, cordes, jumelles, même des livres comme le Joanne ou le Baedeker, et naturellement des cartes postales comme celle-ci81.

78L’illustration à laquelle renvoie le texte n’est pas la vraie carte postale ancienne mais son artialisation : la reproduction sur laquelle Ernst a peint des fleurs de silène dioïque. Or sur l’original déjà, la vue d’Argentière et du Mont-Blanc qui occupe le verso est recouverte par le message du destinateur, ce qui la date d’avant 190482. Jusque là en effet, la règle postale voulait que l’on écrive au verso sur la photographie et que l’on réserve le recto à l’adresse. Ce choix n’est pas seulement informatif, il est aussi symbolique. Il montre que les règles, postales ou autres, ne sont pas immuables et met l’accent sur la créativité des pratiques ordinaires. Il illustre l’affirmation de Butor en 1984 : « Il y a du culturel fané, pourri, etc., mais il y a du culturel qui peut revivre83 ».

3. 3 Interculturalisation du processus photographique : Butor, Barthes et le Japon

79Le Japon a joué un rôle crucial aussi bien dans l’histoire de la photographie que dans celle de Butor, de sa collaboration avec les photographes et de ses rapports avec Barthes. L’histoire de la photographie explique pourquoi le stéréotype du touriste japonais mitraillant de son appareil photo les lieux touristiques sans les regarder est si tenace. Le Japon a développé son industrie photographique à une époque où la réussite technologique était un baume pour l’honneur national mis à mal par la défaite de 1945 : « Dès la fin de la guerre, le Japon s’est lancé à fond sur le marché de la photographie et du cinéma. En moins de quinze ans, il a réussi à conquérir la première place mondiale84. » Les Japonais ont ensuite été supplantés sur le marché asiatique par les Coréens et les Chinois. Mais l’influence de ce boom technologique sur la culture japonaise moderne, que Freund constatait en 1974 : « Les amateurs japonais sont légion. Ils achètent les appareils les plus compliqués car ils sont bon marché et presque à la portée de toutes les bourses85 », ne s’est pas démentie.

80Toutefois, cet engouement a d’autres sources que la fierté nationale et la technoculture. Au Japon, tradition et modernité sont étroitement mêlées. La saisie de l’instant était la préoccupation majeure des peintres et des calligraphes bien avant l’apparition de la photographie. On la trouve également dans le haï-ku86, seul genre poétique à s’être exporté en Occident.

81Butor découvre le Japon, en 1966, lors d’une tournée de conférences. Des années plus tard, Toru Shimizu, traducteur de nombre de ses ouvrages, dont La modification, lui « parle d’un éditeur qui avait l’intention de faire un livre inspiré des Sentiers de la création, collection chez Skira, [lui] proposant d’écrire sur un sujet japonais87 ». Butor décide alors de présenter « 21 classiques88 » de l’art japonais : estampes, jardins, paravents, monuments, rouleaux illustrés.

82De ce recueil, nous ne connaissons que les extraits publiés dans le n° 338, mars 1981, de La Nouvelle Revue Française et dans le n° 2, été 1984, de Texte en main, mais les œuvres que Butor a consacrées par la suite au Japon se sont toutes conformées à l’objectif interartial et interculturel de ce premier projet :

Je me voudrais quelque peu intercesseur entre le Japon et la France, comme l’ont été les organisateurs des expositions que j’ai vues, et surtout [...] les artistes dont les œuvres ont alors voyagé, intercesseur entre le Japon et le Japon, pour pouvoir l’être entre la France et la France, entre moi et moi grâce aux maîtres de l’archipel89.

83Dès cette époque, il se sert de la photographie pour relayer l’action muséale, faire dialoguer dans un même espace des arts bi- et tridimensionnels, et assurer l’accès aux œuvres non exposées, ainsi qu’aux parties d’œuvres disparues : « J’ai vu toutes les œuvres dont je parle, mais pas toujours directement. Ainsi je n’ai réussi à voir ni l’original du grand rouleau de Sesshu ni ceux des fragments du Roman du Prince Genji. Ce sera pour une autre fois, sinon ce sera pour certains de mes lecteurs90 ».

84Il se heurte aux apories de mise en page que connaissent les éditeurs occidentaux d’ouvrages d’art japonais, puisque « la première page des livres occidentaux est la dernière des livres japonais et vice-versa91 ». Il rêve « d’un livre franco-japonais imprimé dans les deux écritures et combinant les deux physiques, le texte japonais vertical se lisant de page de gauche en page de gauche, le français horizontalement, sur celles de droite », les chapitres « pouvant se suivre dans les deux sens, et le livre se feuilleter indifféremment de gauche à droite ou de droite à gauche selon que l’on est japonais ou français, l’oscillation, le flottement devenant d’autant plus fort que l’on navigue mieux dans l’autre culture92 ». Rêve qu’il réalisera dans Jardins de rue au Japon avec sa couverture bilingue et la disposition en miroir du texte français, de gauche à droite et du texte japonais de droite à gauche, et dans l’ouvrage double qui renferme côté français Cent instants japonais de Marie-Jo et Michel Butor, et côté japonais Le temps du Japon de Delhoume, Butor, Boesch et Curzi. La démarche s’étendra à Universos paralelos bilingue lui aussi, le texte français manuscrit étant reproduit sous chaque photo avec sa traduction en portugais imprimée sur la page suivante.

85De cette époque aussi date la découverte du jardin du Pavillon d’argent à Kyoto, dont le commentaire :

Un abbé du temple […] admirant la lune depuis la véranda, trouva qu’elle éclairait de façon si émouvante un tas de sable laissé par des ouvriers qui travaillaient à la reconstruction d’autres bâtiments qu’il décida de le conserver […]. Ce tronc de cône est soigneusement entretenu depuis près de quatre siècles. […]. Il représente le mont Sumeru, le centre et sommet du monde, et aussi le Fuji qui en est l’écho. Est-ce le même abbé qui a décidé d’étaler à côté un autre tas de sable, plus grand, de l’aplanir et ratisser en bandes pour reproduire la mer de l’ouest qui mène à la Chine ?93

86éclaire rétrospectivement celui de la photo prise par Marie-Jo en 1989 : « C’est un pays si photographié, où l’on se photographie tellement, qu’il est difficile d’échapper à certains grands classiques sur lesquels il est rare d’apporter du nouveau. Ici la mer et la montagne de sable au Pavillon d’argent94 ». La culture est toujours une œuvre anonyme, à laquelle le photographe et le spectateur de la photographie apportent modestement leur obole, en communiant à la même émotion esthétique que les acteurs culturels du passé.

87Cette approche du Japon et de la photographie tranche avec celle pratiquée par Barthes dans L’Empire des signes. Deux rappels avant d’amorcer la comparaison. D’abord le décalage historique : 1970 pour L’Empire des signes, 2013 pour Cent instants japonais. Barthes, plus âgé que Butor (il est né en 1915, Butor en 1926) est mort plus jeune (en 1980 à 64 ans, Butor en 2016 à 90 ans). Ensuite les échanges entre les deux hommes, amicaux mais rien moins que consensuels, ambivalence perceptible dans la dédicace de Flottements d’est en ouest :

J’ai dédié cet ouvrage au premier Japonais qui ait eu l’audace de traduire un texte français dans sa langue, et aussi à Roland Barthes, à cause de son Empire des signes qui a pu surprendre bien des lecteurs de l’archipel, mais certainement nous a apporté, outre la chaleur de son amour pour ce pays, beaucoup d’aperçus parfois discutables mais toujours neufs et aigus. Il était allé au Japon avant moi, et nous en avions beaucoup parlé. Il avait eu le projet que nous fassions un livre ensemble à ce sujet, mais nos occupations nous ont trop séparés. Je voudrais qu’on puisse considérer ce livre comme un complément au sien, qu’on les relie comme un diptyque. Aucune des illustrations de son ouvrage ne se trouve dans celui-ci ; ce n’est nullement un hasard, je l’ai conçu pour que cela soit impossible, mais parmi les œuvres que j’ai retenues, je me suis souvent demandé laquelle aurait pu lui plaire le plus95.

88En 1984, Butor ne considère pas la photographie comme une voie d’entrée dans la culture japonaise, mais plutôt comme une voie d’accès aux œuvres d’art. C’est le médium qui l’intéresse. Durant le voyage de 1989, elle devient un vecteur d’immersion culturelle et interculturelle, moyen de faire connaissance avec les classiques japonais, mais aussi avec les Japonais. Ce sont les photographes qu’il accompagne qui sont les intercesseurs culturels : de photographes à photographes, car il y a bien plus de touristes japonais au Japon que de touristes étrangers, et tous prennent des photos : « Sur les marches du grand sanctuaire d’Amida […], les pèlerins venus de tous les quartiers de Tokyo, se photographient courtoisement96 ». La photographie apparaît alors à Butor comme un art populaire qui assure une sorte d’autogestion collective de la transmission patrimoniale, au niveau national, mais aussi, potentiellement, au niveau mondial.

89En 1970, Barthes se refuse absolument à photographier le Japon : « L’auteur n’a jamais, en aucun sens, photographié le Japon. Ce serait plutôt le contraire : le Japon l’a étoilé d’éclairs multiples ou mieux encore : le Japon m’a mis en situation d’écriture97 ». On pourrait penser que leur situation n’est pas si différente, puisque Butor laisse à sa femme ou à Olivier Delhoume le soin de photographier et se contente de se laisser « mettre en situation d’écriture » par leurs photographies. Mais d’une part, le projet commun crée d’emblée une interdépendance de la photographie et de l’écriture, inexistante chez Barthes qui collecte des photographies sans se concerter avec les auteurs ni même les connaître. D’autre part, les postures culturelles des deux auteurs sont très différentes.

90Ceci apparaît dès le traitement sémantique de la différence culturelle. Le titre du premier projet de Butor « Flottements d’est en ouest », démonte le piège de la bipolarisation en substituant aux désignations culturelles les directions géographiques. Le jeu de sens sur « flottement » (indécision mais aussi mouvement des flots qui relient les continents) fait du déplacement physique et intellectuel la condition de réalisation de la construction interculturelle.

91En opposant Orient et Occident, Barthes reconduit la fracture stéréotypale, tout en la dénonçant : « l’Orient et l’Occident ne peuvent donc être pris ici comme des réalités que l’on essaierait d’approcher et d’opposer98 ». Prolongeant la mise en accusation de l’idéologie petite bourgeoise, le procès de l’européanocentrisme produit les mêmes effets. Le Japon devient le prétexte à une sémiologie de l’Occident inversée : « l’Orient me fournit simplement une réserve de traits dont la mise en batterie, le jeu inventé, me permettent de « flatter »l’idée d’un système symbolique inouï, entièrement dépris du nôtre99 ». Les illustrations sont autant d’occasions de prouver l’impossibilité de déchiffrer les visages, les comportements, l’écriture, l’espace. Affectées d’un degré 0 de la signifiance, elles perdent leur caractère : « On dirait qu’une technique séculaire permet au paysage ou au spectacle de se produire dans une pure signifiance, abrupte, vide, comme une cassure. Empire des signes ? Oui, si l’on entend que ces signes sont vides et que le rituel est sans dieu100 ».

92Toutefois, Barthes assume la subjectivité de son entreprise en employant l’écriture manuscrite. Il écrit à côté, sous et sur les photos, reprenant la règle postale antérieure à 1904, à laquelle il fait allusion quand il commente la carte postale ancienne représentant une femme s’apprêtant à écrire une lettre reproduite sur la couverture101. On aura remarqué que Butor s’est soigneusement abstenu d’utiliser l’écriture manuscrite dans ses deux ouvrages sur le Japon (2010 et 2013), alors qu’il le fait dans Universos paralelos en 2011.

93Nous avons traité dans un précédent article de la différence des points de vue sur le Japon de Barthes « sémiologue qui découvre dans le Zen l’autre de soi » et de Butor « visiteur qui ne cherche ni à interpréter ni à définir 102 ». En réalité, Butor, s’il n’impose pas d’interprétation, choisit quand même les photos avec ses photographes, ce qui constitue en soi une sémiotique. Celle-ci s’organise autour d’un principe : l’équilibrage des relations intra- et interculturelles.

94Butor et ses photographes mettent en valeur les contrastes de la société japonaise : modernité et tradition, jeunes et vieux, campagnes et villes, vitesse et repos, intérieur et extérieur, microcosme et macrocosme, non pour les opposer mais pour souligner leur complémentarité. Ils s’intéressent à la culture « noble » mais aussi aux croyances populaires, comme celui d’insérer une pièce de monnaie dans l’écorce d’un arbre sacré pour s’attirer fortune et bonheur103.

95Ils ne diabolisent pas les stéréotypes mais montrent au contraire leur rôle dans le processus d’appropriation culturelle. La France vue par les Japonais fait pour eux partie de la culture japonaise : « La France est renommée pour ses juristes. On l’appelle le Pays du Droit. On apprécie aussi sa boulangerie, ses eaux minérales, ses vins et naturellement sa couture104 » (la photo montre l’enseigne d’une boutique de prêt-à-porter : RuiKo Miyoshi, PARISIEN). En retour, ils se servent de leurs formants culturels pour comprendre des pratiques qui leur échappent : « ce toit maintes fois reconstruit à l’identique, est assuré contre le vent par ces poutres et ces lattes qui nous font penser à une antenne de télévision105 ». « Leur » Japon est plus divers, ouvert, et vivant que celui de Barthes ; leurs commentaires plus respectueux (surtout comparés aux pages106 dans lesquelles Barthes oppose « l’œil occidental » à « l’œil japonais »). Les photos sont toujours prises à une certaine distance, alors que Barthes fonde ses observations physiques sur les gros plans de visages d’acteurs, de sumos et d’enfants.

96Nous terminerons cette comparaison par le point sur lequel Butor et Barthes sont à la fois le plus proches et le plus distants : leurs textes. Ceux de Barthes se répartissent en trois catégories : le commentaire zéro, laissé au lecteur ; le commentaire péritextuel en imprimé italique, à fonction explicative (ex. : De son côté, le jeune acteur Teturo Tanba, citant Anthony Perkins, y perd ses yeux asiatiques Qu’est-ce donc que notre visage, sinon une citation ?107) ; et le commentaire manuscrit. Forme brève, ce dernier, inspiré du haï-ku, est organisé comme une séquence conversationnelle minimale : ouverture liée au punctum qui a fait choisir la photographie (ce qui fait qu’elle peut être implicitée), expression de l’indécision interprétative, clôture (qui peut également être implicitée si elle revient sur le punctum). Ainsi « Renversez l’image, rien de plus, rien d’autre, rien » sous la photo du corridor de Shikidai où le plafond se reflète dans le plancher108 est complet, mais « Où commence l’écriture ? Où commence la peinture ? », sous une photo de La cueillette des champignons, de Yokoi Yayû109, n’actualise que l’indécision.

97Butor cède rarement à la tentation de pasticher le haï-ku. Lorsqu’il le fait, c’est soit avec humour, par exemple lorsqu’il commente une photo « ratée » : « Dans leur précipitation soudaine, il ne reste de ces jeunes filles que quelques pétales d’un drapeau110 », soit avec préméditation. Impossible en effet de ne pas comparer111 la photo de Marie-Jo montrant un bout de parc, avec son gravier ratissé, égayé par une azalée en fleurs, glosée par Michel : « Sur la page de sable, les fleurs/ de l’azalée dessinent en tombant/ une constellation idéographique 112 », avec la photo du jardin zen « classique », avec la photo de rochers cernés d’une mer de sable sur laquelle Barthes écrit : « Jardin zen » : « Nulle fleur, nul pas :/ Où est l’homme ?/ Dans le transport des rochers,/ dans la trace du râteau,/ dans le travail de l’écriture113 ». Une fleur perd ses pétales sur le sable ratissé, la nature mime l’écriture. Au plan textuel comme au plan photographique, l’hypertexte de Butor déconstruit les stéréotypes affichés par l’hypotexte de Barthes : vide, silence, minéralité. Le cadrage de Marie-Jo, volontairement décentré, laisse deviner le hors champ. Il est relayé dans le montage par d’autres photos qui exhibent les traces de vie dont Barthes soulignait l’absence : les outils de jardin « on se méfie des instruments de métal tous les râteaux sont en bambou114 », les jardinières, durant leur pause « Le balai reste si propre qu’il peut servir à s’asseoir ; les chaussures restent très blanches pour ne pas salir le gazon115 ».

98Les commentaires sont donc dépendants à la fois des photographies et du montage. Celui- ci établit une syntaxe souple qui laisse une grande latitude aux trajets de lecture tout en permettant d’explorer tous les niveaux et tous les types de combinaison. Le relais se fait à distance, mais aussi dans la contiguïté. Une photo montre une jeune maman qui vient présenter son bébé au temple116. La suivante montre un bébé assis par terre et le commentaire « Celui-ci a sûrement été montré, il y a quelques mois117 », passe de l’histoire individuelle à la geste collective. Mais il peut aussi guider le lecteur à l’intérieur de la photo, en le faisant passer alternativement de la scène représentée à la scène représentante : « La carpe blanche saute entre les ombres des fougères et la dispersion des nuages. Les carpes rouges se faufilent entre l’iris et son reflet118 ». Errance textuelle et errance touristique se complètent et se relancent.

Conclusion 

99Nous avions initialement prévu de faire une étude de sémiotique textuelle, élargie à la problématique des textes interartiaux de Butor, tâche qui a été facilitée par la convergence entre la stratégie culturelle ouverte de Butor et les modèles interprétatifs également ouverts postulés par certains sémioticiens119.

100Mais deux facteurs ont considérablement infléchi l’exercice : le premier est l’introduction dans le protocole de création néo-romanesque de la photographie. Elle nous a replongée dans les débats des années 1970, entre les extensionnistes, qui pensaient que les modèles qui s’appliquaient à la littérature pouvaient rendre compte d’autres fonctionnements artistiques, et les puristes, littéraires comme non-littéraires, qui s’y refusaient, arguant de la différence de structuration entre les arts du langage et les arts non verbaux. Depuis, le groupe Mu a résolu la plupart des questions relatives à l’existence d’un langage de l’image, de ses mots, de sa syntaxe, de ses langues, et de sa rhétorique120. Et dans la foulée, l’antithèse entre l’opacité de la photographie artistique et la transparence de la photographie documentaire a été résorbée par un modèle sémiotique stable « transparence-cum-opacité121 ». Mais ce qui nous a étonnée, c’est l’avance que la théorisation de l’action par les acteurs pouvait prendre sur la théorie scientifique, avance qui tient à la façon dont les questions sont posées, jamais en termes de catégories, toujours en termes de faisabilité. La sémiotique pragmatique122 décrit les caractéristiques de ce raisonnement, mais ne saurait s’y substituer puisqu’il est lié à la singularité de chaque situation.

101Ce qui nous renvoie à la seconde surprise que nous a réservé cette étude : la minutie de l’enquête historique qu’il nous a fallu mener pour approcher au plus près les raisons de l’action. Nous avons alors pris la mesure de la puissance de la théorie-en-acte, lorsque, comme c’est le cas avec Butor, elle est conçue non pas solitairement mais dans une coopération incessante avec les autres acteurs de la communication esthétique, garantissant au système la possibilité de se réguler et de s’adapter. D’où l’hommage que Butor rend à ses partenaires photographes sur la quatrième de couverture d’Universos paralelos : « À l’aube d’une transformation radicale du livre et donc de notre civilisation, certains photographes savent que leur art est une charnière fondamentale dans les aventures du texte ».

102C’est sur ce savoir commun que nous allons conclure, car il apparaît, à l’issue de nos analyses, que l’interartialité, largement documentée par l’histoire des arts et l’histoire littéraire, reste encore à explorer pour la sémiotique. Un vaste chantier s’ouvre donc à la sémiotique interartiale, avec deux objets d’investigation prioritaires et interdépendants : l’auto confrontation croisée intra- et inter-artiale, qui assure le renouvellement des opportunités créatives dans le champ de la production artistique, et le dialogue interculturel entre créateurs « professionnels » et créateurs « ordinaires », qui évite que les fractures culturelles n’inhibent les potentialités créatives des individus.

Notes de bas de page numériques

1 Malraux, Le Musée imaginaire, 1965, p. 9.

2 Malraux, Le Musée imaginaire, 1965, p. 11.

3 Butor, Les Mots dans la peinture, 1969, p. 9.

4 Freund, Photographie et société, 1974, p. 24.

5 Freund, Photographie et société, 1974, p. 41.

6 Freund, Photographie et société, 1974, p. 96.

7 Freund, Photographie et société, 1974, p. 107.

8 Freund, Photographie et société, 1974, p. 199.

9 Freund, Photographie et société, 1974, p. 195.

10 « Une langue est une sémiotique dans laquelle toutes les autres sémiotiques peuvent être traduites, aussi bien toutes les autres langues que toutes les structures sémiotiques concevables », Hjemslev, Prolégomènes à une théorie du langage, 1943, p. 138, cité par Rey-Debove, Le métalangage, 1978, p. 18.

11 Butor, Les Mots dans la peinture, 1969, p. 7.

12 Cf. Le « panneau des « justes juges » du retable de « l’Agneau mystique » par les frères ? Van Eyck volé à Gand, jamais retrouvé, et remplacé par une copie », Butor, Les Mots dans la peinture, 1969, p. 9.

13 Butor, Les Mots dans la peinture, 1969, p. 149.

14 Butor, Les Mots dans la peinture, 1969, p. 12.

15 Butor, Les Mots dans la peinture, 1969, p. 98.

16 Butor, Les Mots dans la peinture, 1969, p. 149.

17 Butor, Ernst, Errances botaniques, 2003, p. 12.

18 « Je me souviens de belles boîtes métalliques à herboriser [...]. Ma grand-mère en avait conservé une qui avait servi à son propre grand-père, et aussi quelques-unes de ses flores, quelques pages de son herbier, un peu de papier buvard gris d’autrefois », Butor, Errances botaniques, 2003, p. 40.

19 Butor, Charewicz, Herbier lunaire, 1984, p. 46.

20 Biagioli, « Le trait botanique dans l’œuvre de Michel Butor », 2007, p. 227, et Sachsse, Karl Blossfeld, 1996, p. 93-94.

21 Sachsse, Karl Blossfeld, 2007, p. 19.

22 Biagioli, « La poétique florale de Michel Butor et Catherine Ernst », 2013, p. 206-207.

23 Barthes, La Chambre claire, 1980, p. 23.

24 Barthes, La Chambre claire, 1980, p. 15.

25 Les deux se trouvant réunies dans la légende du portrait de femme âgée reproduit p. 108 de La Chambre claire : « Nadar : mère ou femme de l’artiste ».

26 Barthes, La Chambre claire, 1980, p. 22-23.

27 Barthes, L’Empire des signes, 1970, p. 120.

28 Barthes, La Chambre claire, 1980, p. 28-29.

29 Barthes, La Chambre claire, 1980, p. 57.

30 Barthes, La Chambre claire, 1980, p. 25.

31 Barthes, La Chambre claire, 1980, p. 29.

32 Marie-Jo Butor, Michel Butor, Cent instants japonais, 2013, p. 86.

33 Butor, Ernst, Errances botaniques, 2003, p. 110.

34 Butor, Ernst, Épîtres florales, 2005, p. 113.

35 Barthes, La Chambre claire, 1980, p. 60-61.

36 Comme le rappelle Delhoume dans la préface à Cent instants japonais : « Vous avez parcouru l’archipel durant trois mois et Michel se garda bien d’influer sur vos prises de vues. Il cessa alors de photographier pour respecter votre nouveau domaine », p. 5.

37 Michel Butor à Nice, 2004, p. 16.

38 Barthes, La Chambre claire, 1980, p. 148.

39 Barthes, La Chambre claire, 1980, p. 90.

40 Les genres premiers (simples), sont issus de la culture populaire, les genres seconds (complexes) résultent du détournement des premiers par la culture lettrée. Selon Bakhtine, « Les genres premiers, en devenant composantes des genres seconds, s’y transforment et se dotent d’une caractéristique particulière : ils perdent leur rapport immédiat au réel existant et au réel des énoncés d’autrui » (Bakhtine, Esthétique de la création verbale, 1984, p. 267).

41 Mexique 1993/photographie de Marie-Jo Butor, texte manuscrit de Michel Butor (Coll. Part.), Michel Butor à Nice, 2004, p. 17.

42 Michel e Marie-Jo Butor, Universos Paralelos, 2011, p. 33.

43 Butor, Delhoume, Jardins de rue au Japon, 2010, p. 7.

44 Butor, Delhoume, Jardins de rue au Japon, 2010, p. 32.

45 Nous empruntons le terme à Michel Sicard, qui a analysé cette pratique à partir de la correspondance reçue de Butor durant l’année 1978. On se reportera à son article « En carte » (Texte en Main, n° 2, Écrire avec Butor, p. 51-70), pour une description exhaustive des techniques et des effets présents dans ce corpus.

46 Perrone-Moisès, « Sur les cartes postales de Michel Butor », 2012, p. 224.

47 Sicard, « En carte », 1984, p. 57.

48 Butor, « Pourquoi ça marche », 1984, p. 16.

49 Perrone-Moisès, « Sur les cartes postales de Michel Butor », 2012, p. 224.

50 Perrone-Moisès, « Sur les cartes postales de Michel Butor », 2012, p. 240.

51 Butor, « Pourquoi ça marche », 1984, p. 11.

52 Barthes, La Chambre claire, 1980, p. 110.

53 Barthes, La Chambre claire, 1980, p. 183.

54 Sicard, « A la carte », 1984, p. 58.

55 Butor, « Pourquoi ça marche », 1984, p. 10.

56 Voir Giraudo, Michel Butor, le dialogue avec les arts, 2006, chapitre II : Les collaborations artistiques, une exploration des gestes de la création, p. 69-99.

57 Sicard, « A la carte », 1984, p. 58.

58 Butor, « Pourquoi ça marche », 1984, p. 13.

59 Calvet, Roland Barthes, 1973, p. 52.

60 Barthes, « Écrivains et écrivants », 1964, p. 151.

61 Barthes, « Littérature et méta-langage », 1964, p. 106.

62 Butor, « Pourquoi ça marche », 1984, p. 12.

63 Butor, « Pourquoi ça marche », 1984, p. 12.

64 Butor, « Pourquoi ça marche », 1984, p. 11.

65 Butor, « Pourquoi ça marche », 1984, p. 12.

66 Butor, « Pourquoi ça marche », 1984, p. 12.

67 Michel e Marie-Jo Butor, Universos Paralelos, 2011, p. 42.

68 Barthes, La Chambre claire, 1980, p. 85.

69 Michel e Marie-Jo Butor, Universos Paralelos, 2011, p. 42.

70 Michel e Marie-Jo Butor, Universos Paralelos, 2011, p. 61.

71 Michel e Marie-Jo Butor, Universos Paralelos, 2011, p. 61.

72 L’allusion est ambiguë. On trouve dans la Leçon de musique de Vermeer (1662-65), représentant le plus connu de la peinture hollandaise, un miroir qui reflète le visage d’une joueuse d’épinette que l’on ne voit que de dos, mais il est plat. Ici la situation évoque plutôt en l’inversant celle des Époux Arnolfini (1434) de Van Eyck dont le dos est reflété par un miroir convexe, mais Van Eyck est flamand et de deux siècles antérieurs. La mémoire culturelle procédant souvent par amalgame métonymique (la Flandre est voisine de la Hollande), ou métaphorique (dans les trois cas, le miroir produit un effet tridimensionnel), une telle confusion, si elle n’est pas volontaire, est plausible.

73 Que l’on infère de deux confidences : « je m’efforce de crayonner à votre intention quelques croquis de sites entrevus, mais j’ai perdu beaucoup de cette ancienne habileté qui réussissait à vous plaire », p. 40, et : « Je me hasarde aussi à tracer des poèmes dans lesquels je m’abstiens de rimer », p. 104.

74 Biagioli, « La poétique florale de Michel Butor et Catherine Ernst », 2013, p. 209.

75 Butor, « Pourquoi ça marche », 1984, p. 15.

76 Biagioli, « Des racines aux rhizomes, l’œuvre botanique de Michel Butor », 2012, p. 71.

77 L’article de wikipedia sur le rétrofuturisme le définit comme traversé par deux tendances, décrivant l’une « l’avenir tel qu’on le voit dans le passé » et l’autre « le passé tel qu’on le voit du futur ». Même si Butor ne s’inscrit pas à proprement parler dans le cadre générique de cette catégorie science-fictionnelle, sa démarche narrative relève du même principe, sauf qu’il utilise les deux tendances alternativement, et non comme des constructions d’univers, mais comme des constructions de points de vue : au niveau de la narration donc, et pas de la fiction.

78 Butor, Ernst, Errances botaniques, 2003, p. 102.

79 Butor, Ernst, Errances botaniques, 2003, p. 102.

80 Butor, Ernst, Errances botaniques, 2003, p. 52.

81 Butor, Ernst, Épîtres florales, 2005, p. 48.

82 Butor, Ernst, Épîtres florales, 2005, p. 49.

83 Butor, « Pourquoi ça marche », 1984, p. 12.

84 Freund, Photographie et société, 1974, p. 198.

85 Freund, Photographie et société, 1974, p. 199.

86 En France, Schaeffer, 1995, p. 675-676, s’en sert pour montrer qu’« une forme fixe n’est […] pas basée nécessairement sur des schémas de rime ou sur des strophes : le haï-ku japonais est formé d’une simple suite de trois vers (5,7 et 5 syllabes) sans rime ; il s’est formé au XVIIe siècle par détachement des trois premiers vers d’une autre forme fixe, plus longue, appelée waka […], de structure 5, 7, 5-7, 7 ».

87 Butor, « Flottements d’est en ouest » [extraits], 1984, p. 33.

88 Butor, « Flottements d’est en ouest » [extraits], 1984, p. 25.

89 Butor, « Flottements d’est en ouest » [extraits], 1984, p. 30.

90 Butor, « Pourquoi ça marche », 1984, p. 18.

91 Butor, « Flottements d’est en ouest » [extraits], 1984, p. 23.

92 Butor, « Flottements d’est en ouest » [extraits], 1984, p. 23.

93 Butor, « Flottements d’est en ouest » [extraits], 1984, p. 25.

94 Marie-Jo Butor, Michel Butor, Cent instants japonais, 2013, p. 45.

95 Butor, « Pourquoi ça marche », 1984, p. 19.

96 Marie-Jo Butor, Michel Butor, Cent instants japonais, 2013, p. 8.

97 Barthes, L’Empire des signes, 1970, p. 10.

98 Barthes, L’Empire des signes, 1970, p. 7.

99 Barthes, L’Empire des signes, 1970, p. 7.

100 Barthes, L’Empire des signes, 1970, p. 145.

101 « Verso d’une carte postale qui m’a été adressée par un ami japonais. Le recto est illisible : je ne sais pas qui est cette femme, si elle est peinte ou grimée, ce qu’elle veut écrire : perte de l’origine en quoi je reconnais l’écriture même », Barthes, L’Empire des signes, 1970, p. 145.

102 Biagioli, « L’intersémiotique florale de Michel Butor », 2016, p. 301.

103 Marie-Jo Butor, Michel Butor, Cent instants japonais, 2013, p. 17.

104 Marie-Jo Butor, Michel Butor, Cent instants japonais, 2013, p. 33.

105 Marie-Jo Butor, Michel Butor, Cent instants japonais, 2013, p. 83.

106 Barthes, L’Empire des signes, 1970, p. 134-138.

107 Barthes, L’Empire des signes, 1970, p. 121.

108 Barthes, L’Empire des signes, 1970, p. 64-65.

109 Barthes, L’Empire des signes, 1970, p. 31.

110 Marie-Jo Butor, Michel Butor, Cent instants japonais, 2013, p. 21. La photographe ayant augmenté le temps de pause à cause du manque de luminosité, le mouvement des jeunes filles qui dévalaient l’escalier était trop rapide pour qu’on les voie, et comme elle a légèrement bougé, certaines lignes (toit de la pagode, troncs des arbres) ont été dédoublées. Revenir sur les erreurs d’une pratique, c’est aussi la montrer, posture métareprésentative donc.

111 Cf. Biagioli, « L’intersémiotique florale de Michel Butor », 2016, p. 300.

112 Marie-Jo Butor, Michel Butor, Cent instants japonais, 2013, p. 75.

113 Barthes, L’Empire des signes, 1970, p. 102-103.

114 Marie-Jo Butor, Michel Butor, Cent instants japonais, 2013, p. 43.

115 Marie-Jo Butor, Michel Butor, Cent instants japonais, 2013, p. 77.

116 Marie-Jo Butor, Michel Butor, Cent instants japonais, 2013, p. 81.

117 Marie-Jo Butor, Michel Butor, Cent instants japonais, 2013, p. 82.

118 Marie-Jo Butor, Michel Butor, Cent instants japonais, 2013, p. 70.

119 Voir Eco, 1988, p. 121 : qui, à la suite de Putnam, montre que la capacité interprétative repose indistinctement sur les connaissances communes et les connaissances scientifiques et que « cette distinction, purement hypothétique, peut changer selon les contextes culturels ».

120 En 1992, avec Traité du signe visuel.

121 Voir Lauzon, 2002, La Photographie malgré l’image.

122 Voir Esquenazi, 1997, « Éléments pour une sémiotique pragmatique : la situation comme lieu de sens ».

Bibliographie

BUTOR Michel, Les Mots dans la peinture [1969, Genève, Skira, Les sentiers de la création], Paris, Flammarion, « Champs », 1980.

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Pour citer cet article

Nicole Biagioli, « Pour une sémiotique butorienne de la photographie », paru dans Loxias, 60., mis en ligne le 13 mars 2018, URL : http://revel.unice.fr/loxias/index.html?id=8909.


Auteurs

Nicole Biagioli

Nicole Biagioli, professeur à l’Université Nice Sophia Antipolis, sémioticienne et didacticienne, a écrit une thèse sur les Sémiotiques de la fleur, consacrée aux codes (langues, botanique, chimie, littérature, peinture, photographie, etc.) qui structurent la fleur comme objet naturel. Elle a créé et dirigé de 2011 à 2017 le laboratoire I3DL, Interdidactique, didactiques des disciplines et des langues, et mené des recherches sur la didactique du français, de la littérature et des arts, et le rôle de la fiction dans les apprentissages. Membre du CTEL, elle y a dirigé des colloques sur L’influence de Poe sur les pratiques et les théories des genres, Les genres dans la correspondance des écrivains, et Les nouvelles tendances du calligramme contemporain. Articles sur Butor : Des racines aux rhizomes : Le trait botanique dans l’œuvre de Michel Butor (2007), L’œuvre botanique de Michel Butor (2012), La poétique florale de Michel Butor et Catherine Ernst (2013), L’intersémiotique florale de Michel Butor (2016).Université Côte d’Azur, CTEL

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