Loxias | 53. Littérature et communauté III | I. Paroles singulières 

Flora Devatine  : 

« L’écriture féminine, Vahine papa’i parau : un élément de diversité culturelle »

Index

Mots-clés : écriture féminine , langues polynésiennes

Géographique : Polynésie , Tahiti

Chronologique : Période contemporaine

Texte intégral

1Aujourd’hui1 ma pensée s’ancre, tutau, en même temps qu’elle s’encre, à la source des mots de la langue tahitienne, y puisant, en en extrayant l’essence,

2Mots d’apanage, mots d’accueil, fari’ihau, face aux mots écueils de :

3          Écriture féminine
          Vahine papa’i parau
          Diversité culturelle

4Qui nous mènent d’un tau à l’autre,

5To’apu, to’ahotu, pâté de corail, récif frangeant d’un taimoana et a’au ha’oa’oa,

6A un ‘a’au huihuimania, pour une navigation contemporaine, intitulée

7          « Femmes et écritures ».

8Objet du débat d’aujourd’hui,
Objet d’un ‘anara’a, râpage de coco, raclage d’écorce, tressage de cordes,
Battage sur la peau, battage de tapa, ta’iri tapa, à partir de notre écorce de mati, de ‘uru, de aute, de ‘ora, … et d’autres espèces et couleurs d’écorce,
De peau à tutu, à tutuha’a, à battre, à frapper avec un maillet,…
Pour rester dans les termes des activités des femmes, dans le passé !

9Ailleurs, des chercheurs, universitaires, se rencontrent,
Pour battre leurs neurones, leur réflexion,
Et débattre sur ces questions de l’écriture, de l’écriture des femmes, entre autres, sur celles de savoir :

10Écrire !

11Qu’est-ce qu’écrire ?
Pourquoi écrit-on ? Qui écrit ?
Pourquoi les femmes écrivent-elles ?
Qu’est-ce qui les fait écrire ?
Qu’écrivent-elles ?
Quand, comment écrit-on ?
Et dans quelle langue écrire ?
N’y a-t-il pas danger à écrire,… ??? etc.

12À ces questions, les réponses sont diverses, et particulières à chaque individu comme à chaque société,
C'est-à-dire à l’histoire et à la culture de chaque peuple,
Que ce peuple soit de l’oralité ou qu’il soit de l’écriture.

13Mais ces questions, effectivement essentielles, utiles à se poser,
Et qu’il nous faut également nous poser et nous reposer, mais tout en agissant, c'est-à-dire tout en écrivant, d’autant plus qu’elles prennent à l’âme et au corps, et pas seulement à l’esprit et à la lettre, de la personne qui écrit.

14Les tupuna n’ont pas laissé d’écrits, en dehors des transcriptions de ce que certains parmi eux ont pu raconter des récits mythiques et autres poèmes de la création, de la naissance des dieux, des étoiles,… etc.

15Il n’y a pas d’écrits de leur part qui puissent être considérés comme des mémoires du pays, des éléments d’histoire, et des sources de réflexion de la société polynésienne,
Témoignages mémoriels, historiques, indispensables à la structuration de la pensée, à la construction de la personnalité de leurs descendants,
Des matériaux nécessaires pour la compréhension de la vie, de ce que nous vivons, pensons, faisons, comme nous sommes, ici où nous vivons, en Polynésie.

16Tout comme, il n’y a pas d’écrits de nous, ou pas tant que cela, à laisser aux générations à venir,
D’écrits de nos pensées, des émotions en nos entrailles, de nos vies, de nos réflexions qui constitueront un patrimoine essentiel à transmettre,
Pour que les descendants des générations futures puissent se construire,
S’en nourrir fondamentalement, structurellement, langagièrement, symboliquement, mentalement, métaphoriquement, intellectuellement, spirituellement, philosophiquement.

17Cette dernière longue liste de mots donne une idée des vides profonds et des manques à combler, et dont les conséquences apparaissent dans les disfonctionnements comportementaux en société.

18Jusqu’ici, nous nous formons aux écrits, c'est-à-dire au corps, à l’âme, à la pensée, à la lettre et à l’esprit d’autres sociétés, d’autres cultures, d’autres langues.
Il ne s’agit pas ici de les rejeter, de les renier,
Car ils font partie de notre histoire et de notre patrimoine social, familial, culturel, d’aujourd’hui, ils contribuent à notre formation, à notre construction.

19Mais, si importants soient-ils, ils ne répondent pas à tous les besoins fondamentaux des gens vivant ici, ils ne comblent pas les blancs de la mémoire et de l’histoire dans la société d’aujourd’hui,
Le vide des matériaux de vie, et des mots, des pensées, et de la langue, âme des gens du lieu,
Dont toute génération a besoin pour ne pas se sentir désenracinée, étrangère chez elle, en son pays, dans sa société.

20Alors, qu’est-ce que l’« écriture féminine »,

21          L’« écriture féminine »,

22L’écriture des femmes, cet objet de battage, dans le passé et de nos jours, des chercheurs, et qui devient le nôtre aujourd’hui ?
Pourquoi écrivent-elles ?

23Nous avons fait état de ces voix féminines dans l’écriture, dans le n° 2 de la revue Littérama’ohi, en 2002 :

« Parmi les voix qui s'expriment, il y en a de douloureuses, d'agacées à cause des souffrances marquantes mal enfouies dans les terres des ancêtres héritées dans l’indivision, à cause des souffrances dans l’acte d’écrire et qui remontent le temps par le filon de l'écriture,
Des souffrances qui s’apaisent à la sortie de la passe étroite de la rivière de bonne inspiration et à la réécriture dans ses sonorités, ses formes d’expression particulières à chacun, à chacune,
Une fois libéré des courants contraires et le cap dépassé.

Des voix qui se donnent à lire, à entendre, à manifester leur présence,

Des voix s’écriant, et honorant, dénonçant, fuyant et affrontant tout à la fois ses tupapa’u…

Blessure polynésienne,
Sensibilité polynésienne,

Écho polynésien du fossé, du vide entre ce que l'on pensait et pense encore du Polynésien, et ce qu’il est, en ressent,

Des voix qui se libèrent peu à peu des discours silencieux, si vrais et si faux tout à la fois…
Pour se reconquérir soi, avec une meilleure idée de soi,

Des voix de révolte, de honte de faiblesse de n’avoir pas eu la force de réagir, de parler, de dire,

Des voix qui se cachaient, se taisaient, feignaient l’indifférence devant ce qui est entendu dire, ou écrit,
Des voix qui ne voulaient pas s’écrier, encore moins s’écrire,
Des voix qui se révoltaient en silence,..

Des voix qui osent enfin s’exprimer, aller vers l’autre, rencontrer l’autre, échanger avec l’autre,
A la suite du changement du regard porté enfin sur son dit, sur ses cris, et sur son écrit,
Des voix qui écrivent leur histoire « au présent », dans la contemporanéité polynésienne … »

« Et chacun de le faire selon sa stratégie, en chantant, en dansant, en peignant, en sculptant, en écrivant, en criant, en politiquant ou en politisant, en s’opposant, en agressant, en violentant, en se battant, se débattant, en débattant ,

En intimidant, en imposant, en transperçant du regard, en trichant, en trompant, en s’en foutant, en criant, en postillonnant, en fuyant, en courant, en coupant court, en coupant tout contact, en se taisant, en déprimant, en se terrant, se suicidant, en s’emmurant…

Mais aussi, en priant, en méditant, en sermonnant, en suppliant, en s’exaltant,
En souriant, en massant, en lissant, en adoucissant, anesthésiant, esthétisant,
En cherchant à transformer les chagrins en sourires, les noirceurs en couleurs, les laideurs en beautés,
En se sacrifiant pour payer la dette des souffrances passées, et pour produire les prémices des joies et du bonheur futur.

C’est l’expression diverse des êtres qui, pour survivre, ne peuvent se taire, n’en peuvent plus de se taire, Et chacun à sa manière, se donne un espace, un lieu, un temps, un instant, et une langue, pour dire, pour faire, pour s’exprimer, pour renouer avec la vie, pour se créer de la vie, pour s’attacher à la vie….

C’est la recherche du rétablissement de l’équilibre entre les extrêmes.

L’écriture est féminine, de souffrance,
De sentiment de vide, et de manque,…

Les femmes exhument, balaient les pehu en leur demeure intérieure, par leurs écrits,
Les femmes mettent au feu et mettent sur le grill, par l’écriture, les scories de la vie.

Et ce faisant, les femmes font le ménage à l’intérieur des têtes de la collectivité.
Les femmes écrivent la détresse de leur réalité, et l’espoir à reconquérir, à réaliser.

Les femmes époussettent, plantent, fleurissent, artisanent, mettent de la couleur à la vie,
Les femmes s’engagent dans une lutte littéraire,
Les femmes brandissent le féminisme littéraire, affirmant, affinant, affilant leur langue, et leurs pensées. »

24Écrire,
C’est désamorcer les tensions dans la société.
C’est un acte social et politique.
Écrire,
C’est équilibrer la vie politique.

25L’acte d’écrire est un acte qui va au-delà de celui ou de celle qui écrit. C’est un acte qui se place dans une vision de reconnaissance et d’avancée de la société.

26 

27Et

28          La « diversité culturelle »,

29Sur quoi ces mots nous ouvrent-ils ?
Sur la différence, sur la nouveauté et l’inconnu, ou l’étranger,
Et sur ce qui s’ensuit, sur le métissage,
Métissage des sociétés, des peuples, des cultures, des langues,

Littérama’ohi

Clapotis
De haikus
Éclaboussures
De poétrie

Poétrie

Mots métis de mes tissages
Soumis à m’étaiements…

30Sur tout ce qui est accueilli ici, et qui est ce qui nous caractérise aujourd’hui,
Et qui nous oblige à agir, en vue d’un nouvel et futur équilibre social, culturel, humain à réaliser.

31La société pirogue, dans laquelle nous sommes embarquées, est une société tout en maillage, en liens, en réseaux,
Avec des lieux, des temps, des tau, des ‘aere, des espaces, et des personnes, carrefour de cultures.

32          « L’écriture féminine, un élément de diversité culturelle »,

33Oui ! Et de rencontre, de confluence multiple !

34Et

35          Femmes et écritures - Te Vahine papa’i parau ?

36Écrire, écriture, papa’i, papa’ira’a,
Je m’attarde là-dessus.

37Le Fa’atoro Parau du Fare Vana’a, qui se fonde en partie sur le dictionnaire tahitien-anglais de John Davies, nous donne plusieurs sens du mot papa’i, dont l’un est « écrire »,
Et, entre les divers sens de ce mot, apparaît la logique interne de la langue, donc, celle de la pensée tahitienne,
Pour peu que l’on se donne le temps d’un peu d’attention, pour aller à la rencontre de la langue, à la rencontre de celui dont c’est la langue, à la découverte de sa façon de penser le monde, et de s’y maintenir en vie.

38Ce papa’i, « écrire », n’est pas papa’i, « frapper, battre, fouetter,… », bien qu’il y ait des liens entre eux.
Malheureusement, du sens fondamental à la naissance des mots, de l’essence des mots, utile à la société, on en retient souvent, au cours de l’évolution de la société, que le sens dérivé, péjoratif, négatif, néfaste, des mots,
Ainsi, est davantage retenu : papa’i i te tamari’i, « frapper, battre un enfant ».

39          Les sens de papa’i, papa’i,…

40Papa’i, en reprenant les termes du Fa’atoro Parau Tahiti-Farani, signifie :

41     papa’i : « écrire », « tatouer » ; synonyme, ta, tapa’o, taparau, (taparau : « plume à écrire » ; aujourd’hui, « écrivain »)
        papa’i : tatouer, synonyme, nana’o, ‘oti’oti, tatau…)

42On y relève aussi :
        papa’i : « faire un filet », « utiliser un filet » ; synonymes, ene, ta.
        papa’i i te ‘upe’a
, ta i te ‘upe’a.

43Et il y a :
        papa’i : « les douleurs ressenties par une femme quelque temps avant l’accouchement ».
Un sens que je ne connaissais pas ; synonyme, ‘iti’iti, tu’i.

44Et nous voilà ramenées, replacées au centre du débat,
Dans « les douleurs » de « l’accouchement » de l’écriture, en l’occurrence chez les femmes.

45Pour en revenir à :

46     papa’i, « écrire »,

47Différent, nous l’avons dit, de :

48   papa’i : « bâton », « verge » ; « celui qui frappe »,
        « cloison », « mur de maison »,

49Différent de :
        papa’i ; « frapper », « battre », « fouetter »,

50Mais les deux termes ont un lien entre eux, quelque chose en commun :
        pa’i : « frapper avec le plat de la main »,

51Mais c’est
        pa’i : « frapper avec le plat de la main »,
Pour en sortir rythme et sonorité, pour créer musique, chant, poème, et danse,
Comme dans les textes de la littérature orale traditionnelle.

52Mais aussi, et aujourd’hui,
Pour écrire,
Pour écrire, et créer des textes qui constitueront notre littérature moderne écrite, de demain,

53   par le ta,
        par le pa,
        par le pa’i

54Pa’i : qui signifie aussi « envelopper soigneusement (par exemple du poisson) dans des feuilles »

55Mais malheureusement, l’écriture, parau, papa’i, papa’ira’a, dans les esprits, a davantage pris une connotation négative, en plus de celle de « battre, fouetter »,
À partir de pa’i :

56     pa’ipa’i : « une méduse » ; synonyme, mehameha, signifiant par ailleurs et de façon plus connue, « effrayant », « terreur »…

57Qui est en lien aussi avec
        pa’ipa’i, pa’i mato : « falaise », « falaise rocheuse »,

58Effrayant, également, quand on doit se lancer, se jeter à l’eau, par exemple, pour écrire.

59Mais pa’ipa’i,
C’est aussi
        « taper légèrement et de manière répétée avec le plat de la main, pour arranger un lit, ou pour apaiser un bébé » et « battre des ailes, battre des mains »

60De même que ta, ta’iri, ta’iri pohue, « frapper », « saut à la corde », frapper le sol avec la corde, la fouetter pour pouvoir sauter à la corde,
De même que ta, « se balancer à la balançoire »,
Des jeux, et des plaisirs de petites filles,

61Tout comme papa’i, ta’iri tapa, était un plaisir des femmes qui se retrouvaient à plusieurs devant une grande poutre pour le battage des étoffes, ou seule sur sa pierre plate.

62Donc, pour en revenir à
        papa’i : « écrire », « bâton à frapper »,

63Il faut retenir sa parenté, son lien, quelque chose de très ancien, avec :
        papa’i : « travailler à la construction d’une maison », son lieu de vie ; « travailler à la construction d’un bateau », d’un pahi, d’une grande pirogue, son moyen de transport, moyen de communication avec l’extérieur, c'est-à-dire avec l’autre et avec le reste du monde.

64Ainsi :
        papa’i, papa’i,
C’est travailler à une construction en vue de ses navigations présentes et futures, de sa traversée des terres et des mers,

65     Avec sa pirogue,
        Sa maison sur la pirogue,
        Et lui, te ta’ata nei, être humain, dans sa maison sur sa pirogue
        Et dans sa société pirogue polynésienne.

66Donc, de ce que je saisis de l’esprit de ces mots tahitiens autour de pa’i, papa’i, pa’ipa’i, ta, ta’iri, tatau, taparau, des mots créés par les tupuna, et que je partage, ici,
C’est le sens profond que ces mots ont, et ont sens pour moi aujourd’hui,
Et l’exhortation qui va avec, et qui est :

67     Écrire,
        C’est construire sa propre maison,
        C’est construire sa pirogue, là où l’on est, avec ce que l’on a, et ce que l’on est.

68Et aujourd’hui,

69Écrire,
C’est se construire soi avec sa vision, sa culture, sa langue, de toute son âme de ma’ohi du moment, et dans sa diversité sociale, familiale, culturelle d’aujourd’hui.

70Écrire,
C’est commencer à préparer, à assembler des matériaux qui serviront au ha’apa’arira’a, à la réflexion, à la construction de la société de demain,

71Pour que le voyage de la pirogue-société polynésienne continue.
C’est un travail à la fois de solitaire et de groupe,
C’est l’affaire de chacun, et de toutes, de tous.

72Il faut envisager l’écriture, avec les mots de chacune, avec la langue de chacune, celle avec laquelle ou avec lesquelles chacune se sent à l’aise,
Avec ses bribes de mille histoires à dire, à raconter, à chanter, à prier, à danser, à coudre en tifaifai, à graver, à sculpter, à peindre, sur les matériaux à notre portée et qui nous inspirent.

73Il faut envisager l’écriture avec plaisir, avec un plaisir de petite fille sautant à la corde, et heureuse de sauter à la corde, ou se balançant sur la corde de sa balançoire.

74Par ailleurs, si l’on revient à l’expression :
        Papa’i i te ‘upe’a : « faire un filet »,

75     Écrire,
        C’est ouvrir un réseau,

76Ce que permet une bonne pirogue, avec à son bord, une bonne construction,
Et un bon peperu, un bon « barreur », pour diriger la pirogue.

77Mais là, avec
        peperu : « barreur de la pirogue »,
Nous voilà de nouveau en lien, feti’i avec, rattachée, ramenée à
        peperu : un « rouleau d’étoffe », un « coupon » ou un « ballot d’étoffe » !

78Et du même coup à
        Vahine ta’iri tapa, vahine papa’i tapa : « Femmes et battages de tapa »,
Et à
        Vahine papa’i parau : « Femmes et écritures »,

79Avec les mots, papa’i, ta, papa’i parau, taparau, « écrire », qui, lancinants reviennent,
Et peut-être métaphoriquement nous « frappent » pour que nous nous y mettions !

80Que nous nous y mettions à papa’i, pour ene, tafai, « fabriquer », « réparer », « raccommoder » les filets, et autres cordes entre le passé, le présent et le futur,

81Tout cela que nos parents savaient faire et que nous ne faisons plus, ou presque plus,
Mais que nous avons à faire, à un autre niveau, dans notre monde d’aujourd’hui.

82Nos ancêtres avaient accepté, contre vents et marées, l’évangélisation et la colonisation, et tout le métissage social, culturel, spirituel qui s’ensuit, et qu’ils avaient finalement choisi pour nous, et qu’ils nous l’ont transmis, à nous leurs descendants.

83Et nous, aujourd’hui, que faisons-nous, que décidons-nous de transmettre, à notre tour, aux générations à venir ?
C’est là notre responsabilité d’aujourd’hui.

84Donc, l’acte d’écrire,
C’est notre engagement et notre responsabilité, aujourd’hui en Polynésie,
Par rapport aux générations futures, et à ce qu’il y a à leur transmettre.

85L’écriture est présente en Polynésie, depuis plus de 222 ans, avec la Bible,
Où en sommes-nous, aujourd’hui, par rapport à cette question de l’écriture, 222 ans après ?

86Les femmes, par nos mères et nos grands-mères, sont passées de la mer à la terre, puis de la terre dans un monde réel ou imaginaire, choisi par les ancêtres,

87Sans parler du domaine virtuel qui est là, et dans lequel nous sommes entrées,
et que nous laisserons aux futures générations.

88Donc, les femmes de nos îles de Polynésie sont passées
De l’ère des vahine rava’ai, vahine papa’i ‘upe’a, tafa’i ‘upe’a, et ta’iri tapa, fabricantes, réparatrices, raccommodeuse de filets de pêche, et batteuses de tapa, d’étoffes végétales,

89À l’ère des vahine papa’i parau, des vahine taparau, tatoueuse de mots,
À celle des vahine traceuses, tresseuses, glaneuses de mots,
Des vahine artisanes, couseuses, batteuses, écriteuses de mots,

90Pour dire soi, avec ses mots (maux, mots)
« Ses » mots qui sont la projection de soi, en l’occurrence des femmes, dans le futur,
Et par lesquels les femmes jettent leur filet d’un genre nouveau sur le monde et dans le futur,
Des mots qui sont d’un ‘upe’a fa’ahei, pour y encercler les poissons qui serviront à nourrir le présent,
Mais aussi
Des mots de ‘upe’a nati, avec le net, par lesquels entrer en contact avec le monde entier,
Dans une logique et une dynamique du langage, outils d’expression des mots, des langues de la pensée de l’être de la société d’aujourd’hui en Polynésie.

91Parler, écrire,
C’est se projeter vers l’illimité, vers l’autre, vers l’humain, vers la diversité et la richesse culturelle.

92Dans le passage de ta’iri tapa, (papa’i tapa), à taparau, (papa’i parau),
Il y a ta,

93Ta, « frapper, écrire »,
     Ta, « instrument pour tatouer »,
     ta , « faire les mailles d’un filet de pêche »,
     ta, « être étale, comme la mer »,
     ta, le « Mouvement d’une enfant dans le sein de sa mère lorsque la mère se trouve affectée par une nouvelle inattendue »
     ta, « corde qui permet aux enfants de se balancer ou de sauter à la corde ».

94Et dans le passage de papa’i ‘upe’a à papa’i parau
Il y a l’écrivain qui tisse de nouveaux réseaux d’alliance,
Au niveau social, culturel, intellectuel, créatif, littéraire, artistique, poétique, philosophique.

95Les Tablettes – Te Hiapo – et Tata’u sur Tapa de Vaitiare,…
« Mur, pierre ou falaise, sur lesquels viennent frapper et s’imprimer des mots » ne disent rien d’autre que ces :

« Rugissements de vagues au large,
Rabattements sur les récifs,

96Déferlements, déferlements, roulements et frappements,
Battements, battements, et tapements,

Sonores, saccadés, sur le rivage !

    Ta,
            Tata,
                   Tata'u !
            Ta’u

     Ta’u’u

Des batteurs de tariparau tatoueurs d’identité de Irimiro,
Batteuses d’étoffes aux gais battoirs de Mau'oro,
Taparau sur hiapo d'écorce trempée,

Pilons, pilons, des herbes médicinales au breuvage anesthésiant,

97Des hommes, des femmes, instruments de la nature et de la culture à l’œuvre,

    Sur la poutre à pata'u ,

        Sur la peau à tata'u,

              Sur la pierre, sur le bois,

        Sur le to’o,

    Sur le ta’o

De la fibre à nana'o,
À imprimer !

Ti,
Tt, Tt, Tt, Tt, Tt,…
Ta !
Patiti,
Patoto,
Pa !

      … E piritoti to Titaina

     To Tete, to Toti,
        To Teta, to Titi
        To Tite, to Titu,
        To Tutana iti, to Tita ! …

98Frappements, cognements, martèlements, martèlements, et défoulements,

   Sonores, sans fin, à l'âge avançant…

   Ô la grande et profonde pirogue !

Et toi, quel est ton nom ? …

Îlot de Fenua’ino, au vent salé et agréable du Pari !...

99Grattages, raclages et creusements de crayons-épines de fetu’e de la grotte Vaitomoana par tous les temps, « o te miti o te Pari » :

   « – Aue te miti o te Pari e
   Te ra'e e pa'a'ina noa mai
   Ua feto'ito'i ua ha'apo'opo'o
   Ua fati ta'ue noa mai ! »

Des tiare en arbustes nourris au calcaire des coraux blanchis sur le rivage exhalent la senteur suave, enivrante de leurs pétales blancs et charnus,

Au vent régulier, vivifiant, toujours renouvelé du Pari ! …

Grappes de fines fleurs des arbres à papillons, tohinu, aux feuilles odoriférantes et veloutées,

Tumu 'atae, aux fruits orange et fleurs rouge écarlate se détachant sur fond de sable blanc et de bleu marin,
Champ de farero friables crissant au passage des pirogues des hommes,
Aire d’évolutions et d’abris des maito, para'i, manini,... et poissons bleus !

Hava'e aux œufs d'or d'inspiration infinie, et délectation !

Trésors d'enfance de source intarissable ! … »

100Écrire,
C’est
Notre ha’a,
Notre tutuha’a,
Notre battage de tapa,
Notre papa’i ‘upe’a,
Notre tâche d’aujourd’hui,
Pour fabriquer, par le battage, le débattage, un vauvau, une terre,
Pour ouvrir de nouvelles terres à habiter, pour les générations à venir.

101Écrire est entré désormais dans le rôle traditionnel des femmes de notre pays,
Qui, comme d’autres femmes ailleurs,
S’occupent du futur, et prennent soin du présent.

Notes de bas de page numériques

1 Cette communication a été présentée lors des Journées « Femmes et écritures », « Vahine papa’i parau », Assemblée de la Polynésie française, les 14-15 septembre 2010. Flora Devatine a été invitée au séminaire de l’axe 3 « Littérature et communauté » le 4 avril 2012, (CTEL, Nice).

Bibliographie

Académie tahitienne, Dictionnaire Tahitien-Français, Fa’atoro-parau Tahiti-Farani, Fare Vanaa, 1999

Association Groupe Littérama’ohi, revue Littérama’ohi, n° 2, Papeete, 2002

Devatine Flora, Les Tablettes – Te Hiapo – Tata’u sur Tapa de Vaitiare, 2004

Pour citer cet article

Flora Devatine, « « L’écriture féminine, Vahine papa’i parau : un élément de diversité culturelle » », paru dans Loxias, 53., mis en ligne le 19 juin 2016, URL : http://revel.unice.fr/loxias/index.html?id=8375.


Auteurs

Flora Devatine