Loxias | Loxias 42 Doctoriales X |  Doctoriales X 

Nejib Selmi  : 

Idylle, altérité et religion. Floire et Blanchefleur ou l’histoire d’une croisade pacifique

Résumé

Le Conte de Floire et Blanchefleur, rimé, au milieu du XIIe siècle, met en scène un amour juvénile entre le fils d’un roi païen et une captive chrétienne. Deux grandes lignes thématiques structurent l’œuvre : l’idylle et la soumission de l’Orient. Dans Le Conte, le clerc romancier remplace le climat antagoniste des croisades par une conquête pacifique qui se réalise par la force de l’amour. L’assimilation de l’Orient sarrasin aux idéaux occidentaux, la conversion finale, à la fois individuelle et collective, ainsi que le mariage des enfants scellent à jamais la soumission religieuse et politique de l’Orient tout en marquant la réduction de l’Autre oriental à une figure du Même.

Abstract

The romance of Floire et Blanchefleur, a French idyllic poem of the Twelfth Century, recounts the childhood love of Floire, a heathen prince, for Blanchefleur, a Christian slave-girl. Two main themes structuring the romance are: the courtly love relation and the submissiveness of the Orient. The poet has replaced the antagonistic atmosphere and tension of the Crusades and forced conversion with a peaceful conquest which is achieved by the power of love. The assimilation of the Saracens to western and occidental culture, the final conversion ; both individual and collective, as well as the marriage between the two children sealing forever the religious and political yielding of the Orient, as a whole marking the diminution of the Other as a figure of the Same.

Index

Mots-clés : altérité , conversion, exotisme, idylle, Occident, Orient

Géographique : France

Chronologique : XIIe siècle

Plan

Texte intégral

1Jusqu’au douzième siècle, les Églises et les monastères étaient – du moins en France – les seuls foyers d’érudition. Profondément empreinte d’idéologie chrétienne, la pensée médiévale reposait sur la foi absolue, et la vision de l’Autre était déterminée par le dogme religieux. Il y avait parmi les clercs médiévaux une forte propension à s’adonner à des activités littéraires avec, comme source d’inspiration première, le christianisme. Les œuvres de ces clercs-romanciers, souvent anonymes, se sont formées sous l’influence d’un certain nombre d’événements. Le roman de Floire et Blanchefleur, daté souvent aux environs de 1150, autrement dit à la suite de la Seconde Croisade, met en scène un amour idyllique entre le fils d’un roi païen et la fille d’une captive chrétienne. Sur le chemin de Compostelle commence ainsi une des histoires d’amour les plus populaires du Moyen Âge occidental. L’idylle, conclue par l’évangélisation de l’Espagne médiéval, remplace le climat antagoniste des croisades par une conquête pacifique et idéologique.

2Dans la présente étude, nous essayons, brièvement, d’exposer le « pourquoi » et le « comment » de la rivalité Orient-Occident. Nous analysons, dans la deuxième partie, la façon dont le romancier a pu traiter la question de l’altérité. Nous nous focalisons beaucoup plus sur les personnages, leurs mœurs et leurs coutumes, que sur l’exotisme matériel de l’espace oriental. Nous terminerons notre analyse par une étude consacrée à la question de la conversion religieuse finale, à la fois individuelle et collective.

L’entrée de l’Orient dans le roman médiéval français

3Au douzième siècle, le contact entre l’Occident et l’Orient est avant tout marqué par la violence. Or, avec les Croisades, un nouveau type d’affrontement apparaît : la guerre sainte. La chrétienté prêche la Croisade pour reprendre le Saint-Sépulcre aux musulmans. La volonté de défendre la chrétienté justifie l’utilisation de la violence et procure le salut à ceux qui s’y livrent. La Croisade représente donc une des manifestations les plus achevées de l’engagement chrétien dans le siècle, même si des facteurs économiques et politiques expliquent aussi son déclenchement. En tout, l’historiographie moderne occidentale comptabilise huit croisades marquées souvent par les multiples échecs des Croisés.

4Durant des siècles, l’Occident chrétien a transmis une image négative, diabolisée voire burlesque des « agents de Satan1 ». Dans la littérature, de nombreuses études sérieuses2 consacrées à l’histoire sociale et culturelle de l’époque médiévale se sont focalisées sur cet Orient – lieu de tous les rêves, tous les possibles et tous les fantasmes – qui a fasciné l’Occident et les Occidentaux. Gaullier-Bougassas, qui affirme vouloir étudier la « genèse de l’« orientalisme » romanesque3 », rappelle dans son introduction que bien peu de genres littéraires cultivés dans l’Occident latin ont échappé à des références à l’Orient, les Sarrasins sont abondamment évoqués.

5L’exploitation de l’espace oriental, et des Maures en particulier, a souvent renvoyé au lecteur l’image d’un Autre qui suscite la terreur. La peur de l’autre païen est légitimée par tous les défauts qu’on lui prête. Il cumule les traits inquiétants, voire monstrueux. La férocité diabolique de ces vilains est construite le plus souvent selon la même logique : ils sont « barbares », « violents », « cruels », « laids » et parfois « animalisés ». Le manichéisme des chansons de geste, en particulier, cantonne l’action diabolique au seul camp sarrasin. Merton Hubert resume parfaitement la situation en rappelant que

the authors of the chansons de geste had regularly viewed Islam as the great enemy, and described the Moslems in anything but flattering terms : they are foes of the Christian faith, bent on the extermination or the enslavement of adherents of the true religion of western Europe. They appear as savage, brutal, treacherous and menacing. Though their great wave of conquest had been halted, and the Crusades had carried on an effective counter-attack, they still held Spain, and the threat of the Moors still hung over Christianity4.

6Réalité et fiction se trouvent donc en interaction. L’œuvre littéraire présente une reproduction du réel sur un mode idéalisé ou inversé, comme le remarque Robert Bossuat pour qui « le poète de la version aristocratique semble évoquer des faits réels, soit qu’il les ait vécus lui-même, ce qui n’est pas impossible, soit qu’il les tienne de témoins oculaires5 ». On sait aussi que dans son article « Floire et Blancheflor : du chemin de Compostelle au chemin de la Mecque6 », Charles François soutient l’idée selon laquelle l’intrigue de l’idylle n’est qu’un produit de la réalité historique de l’époque contemporaine de la première moitié du XIIe siècle. L’auteur admet que le Guide du Pèlerin de Saint-Jacques de Compostelle aurait inspiré le clerc-romancier de l’idylle. Selon le critique, il suffit d’observer le roman pour s’en convaincre : l’attaque menée par Félis contre les pèlerins, les scènes de pillage en Galice et l’enlèvement de la jeune veuve chrétienne après le meurtre de son père en témoignent. Encore serions-nous bien inspirés de prendre en compte l’observation de Jeanne Lods qui rappelle que « l’écrivain, contrairement à ce que nous pourrions penser, ne s’évade pas de la vie journalière7 ». Et que « le badinage est en effet courant sous des formes variées. Floire et Blanchefleur commence par le récit des razzias d’un roi païen qui dévaste les campagnes et dévalise les pèlerins8 ». S’appuyant sur l’hypothèse selon laquelle certaines scènes qu’on trouve dans le roman reflètent des réalités historiques, Lods a interprété la scène où il est question du raid sarrasin mené par les cruels pillards contre les pèlerins, comme un aspect de la vie quotidienne de l’époque9. Quant à J-L. Leclanche, il semble voir dans le Conte une allusion à la mort du père d’Aliénor d’Aquitaine, Guillaume X, mort en 1137 sur la route de Compostelle10.

7Centrale dans l’actualité de l’époque médiévale, la question de l’altérité est apparue souvent sous le voile de la fiction. Certaines productions littéraires de l’époque médiévale, dont l’intrigue se déroule dans les deux univers, comme la Chanson de Roland ont contribué à renvoyer cette image de rivalité interminable. D’autres romanciers ont su prendre leur distance par rapport à des telles généralisations. Ainsi la représentation de l’Autre sarrasin va évoluer au fil des siècles. Des fictions romanesques comme Cligès, Partonopeus de Blois, et, dans une moindre mesure, Athis et Prophilias ont traité la question prudemment. Ces romans s’éloignent du motif de la Croisade et de l’ennemi sarrasin pour valoriser un Orient délicat, somptueux et aux mœurs raffinées. Présentant le plus souvent des intrigues dont les protagonistes sont des représentants de certaines contrées orientales ou du moins des occidentaux se trouvant dans ces contrées, ces romans changent le décor et témoignent d’une certaine rupture avec l’image de l’Autre véhiculée par les chansons de geste. Ils reflètent l’image d’un Orient qui suscite, curieusement, l’émerveillement, la peur et la haine.

Idylle, exotisme et altérité

L’Orient, c’est le grand réservoir du merveilleux, l’Orient, c’est le grand horizon onirique et magique des hommes de l’Occident médiéval11.

8Dans Floire et Blanchefleur, cet Orient plus ou moins proche, plus ou moins merveilleux, devient le lieu privilégié de l’amour. Car « ces amours enfantines ne semblent d’ailleurs pouvoir prendre place qu’en terre infidèle, parmi les Sarrasins d’Espagne ou dans la lointaine Babylone12 », comme le rappelle bien Charles Méla. L’intrigue se déroule entièrement en Orient13, représenté à la fois par l’Espagne et l’Égypte, où on passe à chaque fois d’un Orient de cauchemar à un Orient de rêve, et où l’étranger finit par devenir familier.

9Comme nous allons le voir, la « rhétorique de l’altérité » dans le roman engendre deux images différentes : soit l’Autre oriental est sujet de curiosité qui éveille dans l’imaginaire des romanciers certains fantasmes, soit il est aux antipodes de l’Occident chrétien et de ses normes et pratiques.

10Sur le plan matériel, l’Espagne, terre natale des enfants, est représentée uniquement à travers le verger de la cour royale. Aucune description de la cité sarrasine n’est donnée dans le roman. Babylone d’Égypte est présentée, quant à elle, comme une cité de splendeur. Certains critiques la comparent même à Troie14.

11Dans les limites de cet article, nous consacrerons la plus grande partie de notre analyse à la question de l’altérité. Nous faisons abstraction ainsi de l’exotisme matériel de l’espace oriental merveilleux et paradisiaque manifeste à travers le verger espagnol, le cénotaphe, le dîner chez les hôtes aubergistes, les usages alimentaires et vestimentaires, la ville de Babylone, la Tour aux pucelles et le jardin de l’émir ainsi que le festin proposé par l’émir. C’est à travers l’attitude et le comportement de Félis et de son modèle égyptien que nous tenterons d’étudier la question de l’altérité dans le roman.

Félis, le roi sarrasin monogame

12Dans Floire et Blanchefleur, l’histoire des parents précède celle des enfants. Une lecture attentive des premiers vers renvoie au lecteur l’image d’un roi païen cruel qui vient attaquer les chrétiens sur leur propre territoire (vv. 67-72 et 83-8415). Une tonalité martiale domine donc l’incipit de l’œuvre. Avec son armée, Félis débarque à Saint-Jacques de Compostelle, attaque les pèlerins et ramène une captive chrétienne pour sa femme. Mais, fait étonnant, cet épisode n’occupe qu’un espace réduit dans le texte, le romancier se contente de trois vers16 dénués d’intentions polémiques pour décrire la scène. La razzia, narrée du point de vue de Félis et de pillards, ne semble, à aucun moment, émouvoir ni la jeune chrétienne, qui vient d’être enlevée, ni le romancier lui-même. Décrire le raid, le rapt, le meurtre d’un chevalier français « preux et courtois », permettent surtout au romancier d’introduire et de légitimer l’objet de son discours : l’altérité.

13À première vue, la conception des « infidèles » qui attaquent les pèlerins sur leur propre territoire est évidemment conforme à celle que nous offrent les chansons de geste. L’Autre païen est décrit comme un personnage violent qui n’hésite pas à tuer avec ou sans raison.

14Félis figure ainsi parmi les modèles de l’Autre sarrasin par excellence. Cependant, quelques vers plus tard, les a priori se dissipent déjà… De retour chez lui, à Naples17, le roi offre la captive à sa femme. Félis est monogame ! Ce constat initial conduit progressivement le romancier à construire un discours différent sur l’altérité orientale. Dans la cour royale, la captive chrétienne est bien accueillie. Malgré son statut servile, elle devient vite la compagne de la reine, qui en profite d’ailleurs pour apprendre le français. Tolérant, Félis permet à l’esclave de garder sa confession. Après la naissance simultanée de Floire et Blanchefleur, le couple royal n’hésite pas à attribuer un nom chrétien à son fils, en souvenir de la fête chrétienne de Pâques Fleuries. Au surplus, la mère de Blanchefleur se voit confier une partie de l’éducation de futur héritier. Cependant, et dans le but de conjurer toute menace d’inceste, le roi veille à ce que les enfants ne partagent pas la même nourrice. Premier signe d’altérité dit-on ? Non, car ceci est un point commun entre les musulmans et les chrétiens comme le rappelle bien Segol,

this, it is explained, is forbidden by Islam. Prohibition of internursing serves two functions : first, in both Christianity and Islam it would render their love incestuous ; secondly it is an assertion of radical, biological difference. The fact that this radical difference is overcome by nurture expresses a strong, anti-essentialist view of the relation between race, character, and culture18.

15Enfin, Blanchefleur, qui bénéficie d’une éducation dans les préceptes chrétiens, est autorisée à suivre les mêmes cours que Floire, où les deux enfants apprennent le latin. Gaullier-Bougassas ne manque pas d’ailleurs de souligner « l’invraisemblance de l’apprentissage du latin pour un futur roi musulman19 ».

16Malgré ces mœurs à première vue courtoises et paisibles, Félis, soucieux et inquiet de l’amour naissant entre les enfants, peut, par intervalles, paraître cruel. Face à la menace de la mésalliance, le roi païen, tel un seigneur féodal occidental, s’oppose à l’union qui s’annonce et n’hésite pas à mettre en danger la vie de la jeune chrétienne. « Cet émir farouche20 », pour reprendre l’expression de Margaret Pelan, ne suivra pas seulement l’action, mais agira pour séparer les enfants. Sa détresse face à l’amour qui se développe lentement et simultanément avec la croissance des enfants devient vite un acharnement contre la jeune fille. Mais, loin d’invalider l’image d’un roi païen « courtois », cette situation la corrobore a contrario. Le romancier nous apprend que Félis consulte systématiquement sa femme avant de prendre toute décision (vv. 271-282)21. On connaît la suite : pour éviter que son fils soit trop malheureux, et espérant que l’éloignement lui permettra d’oublier son amie, le roi envoie Floire à Montoire. Après l’échec de sa première machination, il consent à vendre Blanchefleur au lieu de l’occire. Une fois la fillette vendue, la reine propose à Félis de faire construire un mausolée pour tromper Floire et aussi le consoler à son retour. Un détail qui intrigue J.-L. Leclanche pour qui le cénotaphe ainsi que sa description ont été ajoutés plus tard, à la fin du XIIe siècle, alors que les romans antiques contenant des descriptions pareilles étaient en vogue22. L’exotisme matériel, manifeste dans le roman à travers le verger espagnol, version orientale du locus amoenus, et le cénotaphe reflètent tous les deux une véritable fascination du merveilleux oriental qui a « émerveillé [l’Occident] » et dont « à en juger par ce qu’en ont tiré les romanciers, il semble que le public se soit délecté à entendre parler23 », comme le rappelle E. Faral. Floire et Blanchefleur charme ainsi son public par son exotisme oriental. Outre le verger espagnol et le cénotaphe, on y trouve la Tour aux pucelles qui renvoie le lecteur à un palais des mille et une nuits, une sorte de harem avec son jardin fabuleux à la fontaine magique où se trouve dressé un arbre d’Amour. L’Orient serait donc une terre inconnue, étrange et lointaine dont l’éloignement spatial fait un parangon d’altérité. Selon Valérie Gontero, la démesure serait, en quelque sorte, le maître-mot dans la peinture de l’Orient médiéval. Merveilleux et démesure sont intrinsèquement liés. Gontero rappelle d’ailleurs que

Tantôt locus amoenus, tantôt locus terribilis, l’Orient est invariablement décrit en termes d’excès. Excentré par rapport à l’Occident médiéval, l’Orient est l’univers de l’inversion, de la disproportion, et donc de la démesure. Partie intégrante du merveilleux, la démesure orientale préfigure l’esthétique baroque : les tombeaux possèdent une architecture verticale et cumulative ; l’hétérogénéité des matériaux se traduit par la polychromie et la brillance du monument24

17Faut-il rappeler aussi que la naissance et l’enfance commune des enfants est l’occasion pour le romancier de montrer l’Autre sous l’angle du quotidien et des rapports matrimoniaux ? Les pulsions meurtrières du père, prêt à occire la fillette, se heurtent dès le début à la vocation protectrice de la mère. La place accordée à la reine au sein du couple corrobore un certain pouvoir qu’occupent les femmes au sein de la société orientale25. Félis ressemble ainsi à peine à l’image des rois sarrasins relatée par les croisés et les romanciers de l’époque. Il devient l’« étranger familier » aux yeux des lecteurs.

18Cet Orient espagnol devient ainsi la parfaite réplique du monde chrétien. « Car l’autre fait, et plus surprenant encore, c’est que le monde des Sarrasins ne se distingue en rien de celui des Francs. […] Simplement, aux comportements les plus naturels des Maures, la Chanson ajoute de petits signes qui montrent bien que la forme même la plus familière doit être ressentie comme un vide, un négatif, dès l’instant qu’elle s’investit de l’intention sarrasine26 ». Comme c’est le cas, nous allons le voir, pour l’émir de Babylone.

L’émir de la Tour aux pucelles : une polygamie « successive » et non « simultanée »

L’épisode babylonien de Floire et Blanchefleur emprunte à la tradition des romans antiques le topos du décor oriental fascinant, mais, loin de servir à la mise en place d’un idéal courtois, ce dernier fournit l’image grimaçante d’une société pervertie.Les pratiques de l’émir usurpent l’autorité d’Amour pour la mettre au service des caprices du prince. Cet agencement aboutit à une répartition de valeurs inédite, ou du moins fort remarquable, puisque le souci de pureté sexuelle est le fait du tyran et que la louange de la justice s’accommode sans mal de héros qui ne font pas mystère de la licence de leurs ébats amoureux27.

19L’émir de Babylone, nous apprend-on28, est une figure du mâle dominant, impitoyable et cruel. Il habite dans une Tour aux pucelles29, une sorte de harem où logent cent quarante jeunes filles retenues prisonnières et gardées par des eunuques. Cet endroit rappelle la réalité historique de l’époque où des femmes et des jeunes filles importées des pays non-musulmans sont achetées et vendues selon les humeurs de leurs maîtres, qui en toute légalité les utilisent comme concubines. On nous apprend aussi que l’émir observe la « mauvaise coutume » de ne garder la même femme qu’une année. Pour sélectionner sa nouvelle épouse, il rassemble toutes les jeunes filles de sa Tour, et à l’aide d’un test de virginité, il choisit l’élue. On apprend enfin qu’au bout d’un an il n’hésite pas à occire son épouse devant ses vassaux, rois et ducs pour la simple raison qu’il refuse qu’un autre homme la possède.

20Résumons l’image que donne le roman de l’émir : il serait polygame, il recourt à la magie et assassine sa femme chaque année pour en épouser une autre. À y regarder de plus près pourtant, une telle manière de voir les choses nous semble être erronée. L’émir n’est pas polygame, il ne prend jamais plusieurs conjointes à la fois. Sa polygamie est plus « successive que simultanée » selon les termes de Gaullier-Bougassas30. Autre fait étonnant, cette mauvaise coutume dont parle le romancier n’est jamais observée. L’émir n’est jamais passé à l’acte pour la simple raison qu’au moment où l’action commence, il n’a pas d’épouse et qu’il renonce à cette coutume avant qu’elle ne finisse. Encore serions-nous bien inspirés de prendre en compte l’observation du romancier : « En la tor a set vins puceles / de grant parage et forment beles ; / por çou qu’i sont les damoiseles / a a non la Tors as Puceles. » (vv. 1899 – 1902). Prenons garde toutefois à ne pas trop simplifier. Il ne s’agit dans le roman ni d’un gynécée ni d’un harem31maisd’une « Tors as puceles » tout simplement. Le romancier a choisi d’ailleurs de qualifier les jeunes filles de « damoiseles » et de préciser que la tour est une « tor as puceles ». Rappelons que le mot dameseile tout comme dame, meschine, pucele, amie, fame, fille, mere, chanberiere, etc., figure parmi les dénominations utilisées au Moyen Âge pour désigner un être de sexe féminin. En tête de la société féodale, on trouve la dame, l’épouse du seigneur. Ce terme suppose à la base richesse et naissance noble. Dameseile est attribué aux jeunes femmes non mariées qui se distinguent par leur naissance noble de la pucele, jeune fille, terme qui a une valeur sociale moins déterminée32. Si le romancier a employé les termes « dameseile » et « pucele » c’est que la polygamie était pour lui peu claire, voire incompréhensible. J. Reinhold remarque que le choix fait par le romancier n’est pas anodin : il a fait ce choix parce qu’« il a craint, sans doute, d’être livré à l’Inquisition du XIe siècle, et pour ne pas être même soupçonné d’approuver les mœurs par trop lascives et la polygamie de l’Orient33 ».

21Un peu plus loin dans le roman nous apprenons que l’émir, qui incarne la violence du pouvoir mâle, fait preuve d’une certaine magnanimité, étonnante à première vue. Cet émir, qui n’hésite pas à décapiter ses épouses après en avoir joui pendant une année, pardonne au couple juvénile découvert « in flagrante delicto ». Au lieu de tuer les enfants découverts étroitement enlacés dans la chambre de Blanchefleur – comme il en a le droit, – il accepte d’assembler à sa cour – constituée entre autres d’un « evesques » (v. 3053) – tous ses barons pour juger les coupables et leur permettre de se justifier.

22L’attendrissement, la générosité, la puissance de pardon et de largesse de cet émir, qui, touché par la passion si intense que le couple se voue, pardonne aux enfants et leur propose richesse et gloire infirme l’image d’un personnage présenté comme cruel, intransigeant et tyrannique. À force de faire de l’émir un personnage « courtois », le romancier l’a rendu en même temps plus digne de notre sympathie. Loin d’être un scélérat, il nous est présenté comme compatissant. Loin d’être vindicatif, il est, en revanche, d’un tempérament bien plus contrôlé.

23À travers l’exemple de Félis et de son modèle égyptien, le roman nous renvoie l’image d’un Orient où cohabitent luxuriance, cruauté et pratiques de civilité. Il y aurait peut-être lieu d’ajouter enfin que dans cet Orient égyptien aucun personnage ne cristallise l’image négative de l’Autre. Certes les hôtes successifs de Floire : Licoris, Daire, le « pontonnier », le gardien de la Tour ainsi que les vassaux de l’émir, sont tous des personnages secondaires mais c’est grâce à leur aide et conseils que Floire a réussi à retrouver Blanchefleur. Des retrouvailles qui ont donné lieu à une conversion à la fois individuelle et collective que nous analysons dans notre dernière partie.

Floire et Blanchefleur : une croisade pacifique

 Por Blanceflor, la soie amie,
mena puis crestiene vie.
(vv. 3303-3304)

24La naissance simultanée des enfants, le jour de la Pâques fleurie, prédestine, en quelque sorte, la conversion au christianisme du jeune sarrasin et de son union avec Blanchefleur.

25Bien entendu, il est vrai que « L’Autre sarrasin […] n’est accepté que dans la mesure où son altérité est réduite […]34 », parfois jusqu’à une complète assimilation. À travers cette scène de conversion par amour, cette « union des religions35 », le romancier offre à son lecteur une image euphorique d’un Orient qui s’offre à la domination de l’Occident.

26L’adoption des valeurs chrétiennes de l’Occident est un passage nécessaire en vue de purifier cet Orient sarrasin. À cet égard, la célébration de l’union, le couronnement de Floire sur le trône impérial comme son retour en Espagne sont particulièrement emblématiques. Le jeune homme quitte Babylone et se convertit au christianisme, il renonce ainsi à son origine païenne pour assimiler pleinement sa nouvelle identité occidentale. Il fait baptiser son peuple avec l’ardeur d’un néophyte. L’amour devient ainsi l’instrument parfait d’un rapprochement politique entre l’Occident chrétien et l’Orient musulman par l’union conjugale des amants. La conversion par amour est rendue possible grâce à la subordination des sentiments amoureux au triomphe de la foi chrétienne.

27Dans l’étude qu’il a consacrée au Conte, Leclanche a cru voir dans la conversion finale de Floire une version profane de la Croisade pacifique. Le critique rappelle dans son introduction qu’au début du XIIe siècle, Pierre le Vénérable avait comme projet la traduction du Coran36 en latin dans l’espoir de convertir l’Orient musulman par la force de l’argumentation théologique. L’abbé de Cluny et ses disciples pensaient qu’il fallait combattre l’Islam avec le verbe (uerbis) et l’amour (amore). Leclanche plaide ainsi que la conversion par la force de l’amour est loin d’être surprenante37. Essayons de compléter ces aperçus par quelques remarques complémentaires. Là où cette conversion est surprenante c’est qu’elle concerne un personnage masculin et non une princesse sarrasine comme Bramimonde, Orable ou, à un moindre degré, Nicolette. Si le romancier inverse la dynamique de la conversion c’est qu’il cherche à faire de Floire un « héros civilisateur ». La transformation de l’Orient s’opère ainsi de l’intérieur. Ceci revient à dire que la conquête de l’ennemi sarrasin est une croisade pacifique, elle ne se réalise pas par les armes mais par la force de l’amour. C’est aussi l’occasion d’exalter à travers Floire les valeurs de la clergie, l’apprentissage clérical au mépris de celui des armes. Prédestiné à être converti, Floire n’a jamais suivi aucun apprentissage de chevalier, il n’a jamais été initié à manier une arme ou à se tenir en selle, mais il parvient, par la force de l’amour, à évangéliser l’Espagne. Ce choix peut être interprété comme un rejet de la Croisade par la force des armes et la recherche d’une conquête pacifique et idéologique grâce à l’amour.

28En incitant l’émir à abolir la mauvaise coutume et en l’invitant à prendre Claris comme épouse, pour toute la vie, le couple idyllique a pu instaurer des valeurs chrétiennes chez l’Autre sarrasin. Certes, l’émir ne se convertit pas, mais il finit quand même par adopter un principe de royauté juste. Le texte met un soin tout particulier à souligner ce véritable tournant. Même s’il n’est pas christianisé, l’Orient égyptien est déjà occidentalisé. Il s’agit d’une assimilation partielle, dirons-nous, où l’émir, tout en gardant sa confession, accepte d’adopter la conception chrétienne du mariage.

29La conversion finale, à la fois individuelle et collective, est nécessaire d’ailleurs à la consommation du mariage. En mariant les enfants, le romancier cherche à atteindre un autre objectif plus important : rattacher l’idylle à la légende carolingienne et par la suite légitimer la descendance de Charlemagne. Floire et Blanchefleur auront une fille : Berthe, la mère de Charlemagne. À travers cette ouverture carolingienne, le roman pourrait même être considéré comme une introduction au cycle épique sur Charlemagne.

30En forçant un peu les choses, on dirait que Floire et Blanchefleur est à la fois l’exemple parfait d’une propagande religieuse et d’un roman généalogique. Le roman serait ainsi, en partie, porteur d’un projet idéologique, apparemment cher au clerc-romancier de l’idylle, consistant à montrer le triomphe des valeurs chrétiennes et courtoises universelles. Prédestiné à être converti, Floire est ainsi, en quelque sorte, un héros civilisateur, dont la mission serait d’abolir au nom des valeurs occidentales, la « mauvaise coutume » du harem ou du gynécée byzantin. Le mariage des enfants, le baptême de Floire ainsi que l’avènement du christianisme en Espagne viennent ainsi réparer le pèlerinage inachevé de la captive chrétienne qui l’avait conduit vers les terres sarrasines. Il ne semble pas que notre romancier puisse concevoir un autre dénouement. Pour lui, il n’y a pas d’hésitation possible, la conversion religieuse est nécessaire à la consommation du mariage. Si l’amour demeure hors de cette institution, il ne pourra survivre.

Conclusion

31En dépit de son thème relativement conventionnel, Floire et Blancheflora le rêve d’une union de l’Orient etde l’Occident, union qui est permise et réalisée grâce à la naissance de l’idylle. Finalement le roman s’avère beaucoup moins dépaysant que prévu. L’espace oriental est certes un espace de la merveille, mais il n’apparaît pas non plus comme un espace de la rupture avec l’Occident. Le romancier cherche à annihiler l’altérité et à aplanir la différence de cet Orient qui séduit et inquiète à la fois. Les coutumes et mœurs de l’Orient sont décrites par le romancier avec beaucoup de sympathie au point que le roi païen et sa femme ne sont plus des figures de l’Autre, mais du Même. L’« orientalisation de l’Orient » selon les termes d’Edward Saïd38, se conclut par la soumission religieuse et politique de l’Orient. La conversion finale par amour, version profane de la croisade pacifique39, cristallise le rêve de conquête de cet Orient objet d’assimilation de la part des Occidentaux.

Notes de bas de page numériques

1  Jean Delumeau, La Peur en Occident, XIVe – XVIIIe siècles, Paris, Fayard, 1978, p. 254 ss.

2  Jeanne Lods, « Quelques aspects de la vie quotidienne chez les conteurs du XIIe siècle », Cahiers de civilisation médiévale, n° 13 (4e année), janvier-mars 1961, pp. 23-45. Voir aussi : William Wistar Comfort, « The Saracens in Christian Poetry », Dublin Review, v. 149, July 1911, pp. 23-49 ; Marla Segol, Religious conversion, history, and genre in Floire et Blancheflor, Aucassin etNicolette, and Flamenca, PhD. dissertion, Rutgers University, New Brunswick, New Jersey, 2001 ; Catherine Gaullier Bougassas, La Tentation de l’Orient dans le roman médiéval. Sur l’imaginaire de l’Autre, Paris, Champion, 2003, « Nouvelle bibliothèque du Moyen Âge » 67. Pour les parties consacrées aux rapports que l’auteur du Conte imagine entre l’Orient et l’Occident, voir pp. 23-68 et 109-120.

3  Catherine Gaullier Bougassas, La Tentation de l’Orient dans le roman médiéval. Sur l’imaginaire de l’Autre, Paris, Champion, 2003, « Nouvelle bibliothèque du Moyen Âge » 67, p. 10.

4  Merton Jerome Hubert, The romance of Floire and Blanche-fleur ; a French idyllic poem of the twelfth century. Chapel Hill, The University of North Carolina Press, 1966, p. 17. Nous proposons la traduction suivante : « Les auteurs des chansons de geste ont souvent considéré l’Islam comme l’ennemi intime, les musulmans sont d’ailleurs décrits avec des termes peu flatteurs : ce sont les ennemis déterminés de la religion chrétienne qui cherchent à détruire les adhérents de la vraie religion de l’Europe occidentale. Ils apparaissent souvent comme des sauvages, brutes et félons. Même si leur vague de conquêtes a été interrompue et contre-attaquée par l’offensive des Croisades, ils continuent à contrôler l’Espagne, et la menace des Maures ne cesse de peser sur la chrétienté ».

5  Robert Bossuat, « Floire et Blancheflor et le chemin de Compostelle », Mélanges E. LI Gotti, 1962, p. 267.

6  François Charles, « Floire et Blancheflor : du chemin de Compostelle au chemin de la Mecque », Revue Belge de Philologie et d’Histoire, 1966, p. 833-859.

7  Jeanne Lods, « Quelques aspects de la vie quotidienne chez les conteurs du XIIe siècle », Cahiers de civilisation médiévale, n° 13 (4e année), Janvier-Mars 1961, p. 23.

8  Jeanne Lods, « Quelques aspects de la vie quotidienne chez les conteurs du XIIe siècle », Cahiers de civilisation médiévale, n° 13 (4e année), Janvier-Mars 1961, p. 23-25. En voici la citation complète : « Dans tous les types de récits, le héros se déplace beaucoup ; qu’il s’agisse de Tristan, de Floire ou de Perceval, l’histoire se déroule à travers des quêtes diverses, des errances sur terre et sur mer, lorsque même elle n’est pas constituée tout entière par ces quêtes et ces errances. En cela l’écrivain, contrairement à ce que nous pourrions penser, ne s’évade pas de la vie journalière. On voyage au XIIe siècle : les pèlerinages, les croisades, le commerce lancent sur les chemins un nombre considérable d’hommes de toutes conditions ; ce sont des voyages longs, difficiles, souvent dangereux, fertiles en découvertes et en péripéties. »

9  Cf. aussi : Aurélie Foudebert, « Amour et pèlerinage dans quelques romans d’aventure des XIIe et XIIIe siècles », Bulletin Questes, n° 22, 2011, p. 38. « La grande habileté du conteur est d’utiliser le pèlerinage à la fois pour lancer la dynamique narrative et pour ancrer son récit dans une certaine réalité. […] les opérations de pillage sont présentées comme un moyen tout à fait naturel pour les souverains maures d’enrichir leur royaume et les pèlerins sont la cible idéale, banale, de ce genre d’expédition. […] La pratique de l’enlèvement de femmes est là encore présentée comme fréquente […]. »

10  Guillaume X de Poitiers, dernier des comptes de Poitiers de la dynastie des Ramnulfides, meurt à Bouchet en Auvergne le Vendredi Saint le 9 Avril 1137 lors d’un pèlerinage à Saint-Jacques de Compostelle.

11 Jacques Le Goff, Un Autre Moyen Âge, Paris, Gallimard, 1999 (Quatro), p. 473. Voir aussi Marie-Françoise Alamichel, « Merveilles et émerveillement ; l’Orient des auteurs du Moyen Âge anglais », Isabelle Gadoin et Marie-Elise Palmier-Chatelain, éditions Rêver d’Orient, connaître l’Orient,Lyon, ENS éditions, 2008, pp. 19-37.

12  Charles Méla, « C’est d’Aucassin et de Nicolette », dans Blanchefleur et le saint homme ou la semblance des reliques, Étude comparée de littérature médiévale, Paris, Le Seuil, 1979, p. 55.

13  Le roman commence certes en Galice, avec des pèlerins chrétiens comme personnages, mais le raid des sarrasins vient mettre fin à ce pèlerinage et transporte l’action de l’espace géographique occidental vers un espace oriental présenté en deux étapes : l’Espagne et l’Égypte.

14  Yasmina Foehr-Janssens, La Jeune Fille et l’amour. Pour une poétique courtoise de l’évasion,Genève, Droz, 2010, p. 100.

15  « ne fu nus jors k’ o sa maisnie / ne fust li rois en chevaucie / Viles reuboit, avoirs praoit / et a ses nés tot conduisoit. » (vv. 67-72) ; « Alés lassus en ces chemins / gaitier por reuber pelerins. » (vv. 83-84). Toutes les citations sont faites d’après l’édition de Jean-Luc Leclanche, Le Conte de Floire et Blancheflor, Paris, Champion, 1983, « CFMA ». (repr. dans : Robert d’Orbigny, Le Conte de Floire et Blancheflor, Paris, Champion, Champion classiques, « série Moyen Âge »).

16  « De lui ne caut a aus vif prendre / Ains l’ocïent, sel laissent mort / Et sa fille mainent au port » v. 102-104.

17  Naples, selon le texte, peut-être « Niebla », ville andalouse et capitale musulmane ibérique.

18  Marla Segol, Religious conversion, history, and genre in Floire et Blancheflor, Aucassin et Nicolette, and Flamenca, PhD. dissertion, Rutgers University, New Brunswick, New Jersey, 2001, p. 66.

19  Catherine Gaullier Bougassas, La Tentation de l’Orient dans le roman médiéval. Sur l’imaginaire de l’Autre, Paris, Champion, 2003, « Nouvelle bibliothèque du Moyen Âge » 67, p. 111. En voici la citation complète : « Au delà de l’invraisemblance de l’apprentissage du latin par un futur roi musulman, l’auteur valorise un mouvement d’échanges entre les deux cultures […]. La célébration de la cour espagnole comme creuset culturel reflète alors peut-être le rôle dans la transmission de connaissances qu’a effectivement joué l’Espagne musulmane entre l’Orient et l’Occident. »

20  Margaret Pelan, Floire et Blancheflor, édition critique par Margaret Pelan, avec, en appendice, le fragment du Vatican, 1937, p. 28. Publications de la Faculté des Lettres de Strasbourg, textes d’études, n° 7, Paris, Les Belles Lettres.

21  « Li rois aperçoit bien l’amour / que ses fius a a Blanceflour. / Forment cremoit en son corage / que, quant ses fius ert en eage / que feme devra espouser, / que ne s’en puisse deporter. / Es cambres vint a la roïne / consel prendre de la mescine. / S’ele li done a son talent, / ocirra le hastivement, / puis querra selonc son lignage / a son fil feme de parage. »

22  Jean-Luc Leclanche, Contribution à l’étude de la transmission des plus anciennes œuvres romanesques françaises. Un cas privilégié : Floire et Blancheflor,2 vol., Service de reproduction des thèses, Université de Lille 3, 1980. Voir aussi, Maurice Delbouille, « À propos de la patrie et de la date de Floire et Blanchefleur (version aristocratique), Mélanges Mario Roques, t. 4, 1952, p. 69 ss.

23  Edmond Faral, Recherches sur les sources latines des contes et romans courtois du moyen-âge, Paris, Honoré Champion, 1913, p. 335.

24  Valérie Gontero, « Locus immoderatus : la démesure dans la peinture de l’Orient, à partir de quelques textes du XIIème siècle », dans Écritures médiévales. Conjointure et senefiance, Hommage à Alain Labbé, Toulouse, Presses Universitaires du Mirail, 2005 (Littératures 53), p. 105.

25  Au sein d’un Orient mâle, le lecteur occidental pourrait s’attendre à voir un couple parental où la figure masculine est dominante, voire despotique. Fait étonnant, le romancier nous transmet l’image d’une répartition « classique » de rapports de sexe au sein du couple parental. La présence récurrente de la reine est évidente. Elle a le pouvoir de la parole, elle n’hésite pas à convaincre, persuader ou dissuader son interlocuteur. À travers les multiples conversations avec son mari et son fils, ce personnage féminin a influencé le déroulement de l’idylle et la survie des enfants. Les rares interventions de Félis soulignent davantage la place importante qu’occupe la mère. Ses différentes apparitions en tant qu’épouse ou mère, outre qu’elles indiquent son statut privilégié, anticipent et influencent les événements à venir. Voir à ce sujet l’article de : Marion Uhlig, « La Mère, auxiliaire ou adversaire de l’idylle ? Les figures maternelles dans deux récits idylliques des XIIe et XIIIe siècles », La madre/The Mother, Micrologus, n° XVII, 2009, pp. 255-280.

26  Yves Bonnefoy, « Sur la Chanson de Roland », L’Éphémère, n° 4, 1967, p. 57-58.

27  Yasmina Foehr-Janssens, La Jeune Fille et l’amour. Pour une poétique courtoise de l’évasion, Genève,Droz, 2010, p. 102.

28  Ces sont les hôtes successifs de Floire qui se chargent de décrire l’émir. Voir par exemple les vers 1778-1794.

29  La Tour aux pucelles, cet espace mythique qui se donne à voir, a intéressé maintes études qui se sont penchées sur la question de l’exotisme dans le roman. Nous renvoyons aux travaux de : Valérie Gontero, « La tour aux pucelles dans Le Conte de Floire et Blancheflor », dans Architecture et discours, Lille, UL3, 2006, p. 19-30 ; Valérie Gontero, « Locus immoderatus : la démesure dans la peinture de l’Orient, à partir de quelques textes du XIIème siècle », dans Écritures médiévales. Conjointure et senefiance, Hommage à Alain Labbé, Toulouse, Presses Universitaires du Mirail, 2005 (Littératures 53), p. 91-105 ; Charles Méla, « C’est d’Aucassin et de Nicolette », dans Blanchefleur et le saint homme ou la semblance des reliques, Etude comparée de littérature médiévale, Paris, Éditions Le Seuil, 1979, p. 50 ; Catherine Gaullier Bougassas, La Tentation de l’Orient dans le roman médiéval. Sur l’imaginaire de l’Autre, Paris, Champion, 2003, « Nouvelle bibliothèque du Moyen Âge » ; Maurice Delbouille, « À propos de la patrie et de la date de Floire et Blanchefleur (version aristocratique), Mélanges Mario Roques, t. 4, 1952, p. 74 ss., etc.

30  « Mais la polygamie [que l’auteur] prête à l’émir, « successive » et non « simultanée » […], est peut-être avant tout une réminiscence des Mille et Une Nuits et du sultan Shahriar qui épouse chaque jour une nouvelle femme et la tue le lendemain ». Catherine Gaullier Bougassas, La Tentation de l’Orient dans le roman médiéval. Sur l’imaginaire de l’Autre, Paris, Champion, 2003, « Nouvelle bibliothèque du Moyen Âge » 67, p. 57.

31  Il nous est difficile dans les limites de cet article, d’étudier la question des harems musulmans. Nous renvoyons, entre autres, aux travaux de : Daniel Norman, Islam and the West. The making of an Image, Edimbourg, The University Press, 1960 (traduction en français : Islam et Occident,Cerf, 1993, p. 185-219) ; Aly Mazaheri, La vie quotidienne des musulmans au Moyen Âge, Paris, Hachette, 1951, p. 62 ; Philippe Senac, L’Image de l’Autre. Histoire de l’Occident médiéval face à l’Islam, Paris, Flammarion, 1983, p. 56-57.

32  Amie est un terme qui s’emploie fréquemment dans les relations intimes et familières. Fame désigne à la fois la femelle de l’homme et l’épouse inféodée à son mari. Enfin, on trouve les termes de parenté comme fille ou mere et les grades et fonctions des domestiques comme chanberiere et meschine.

33  Joachim Reinhold, Floire et Blancheflor : étude de littérature comparée, Paris, E. Larose / P. Geuthner, 1906, p. 159.

34  Catherine Gaullier Bougassas, La Tentation de l’Orient dans le roman médiéval. Sur l’imaginaire de l’Autre, Paris, Champion, 2003, « Nouvelle bibliothèque du Moyen Âge » 67, pp. 115-116.

35  Friedrich Wolfzettel, « Le paradis retrouvé : pour une typologie du roman idyllique », dans Le Récit Idyllique, Aux sources du roman moderne, Paris, édition Jean-Jacques Vincensini et Claudio Galderisi, Classiques Garnier (Recherches littéraires médiévales, 2), 2009, p. 71.

36  Traduction achevée en 1143.

37  Jean-Luc Leclanche, Le Conte de Floire et Blancheflor, Paris, Champion, 1983, « CFMA ». (repr. dans : Robert d’Orbigny, Le Conte de Floire et Blancheflor, Paris, Champion, 2003, « Champion classiques », série Moyen Âge, Introduction, p. 8.

38  Edward Saïd, L’orientalisme, L’Orient créé par l’Occident, Paris, Le Seuil, 1980, 393 p. (Traduit de l’américain par Catherine Malamoud. Titre original : Orientalism, Londres, Routledge and Kegan Paul, et New York, Pantheon Book, 1978).

39  Jean-Luc Leclanche, Le conte de Floire et Blanchefleur. Roman pré-courtois du milieu du XIIe siècle, Paris, Honoré Champion, 1986, Introduction, p. 8.

Bibliographie

 Textes

Floire et Blancheflor, édition critique par Margaret Pelan, avec, en appendice, le fragment du Vatican. Publications de la Faculté des Lettres de Strasbourg, textes d’études, n° 7, Paris, Les Belles Lettres, 1937.

Le Conte de Floire et Blancheflor, édition de Jean-Luc Leclanche, Paris, Champion, 1983, « CFMA ». (repr. dans : Robert d’Orbigny, Le Conte de Floire et Blancheflor, Paris, Champion, Champion classiques, « série Moyen Âge », 2003).

Le Conte de Floire et Blanchefleur. Roman pré-courtois du milieu du XIIe siècle, édition de Jean-Luc Leclanche, Paris, Honoré Champion, 1986.

 Études

ALAMICHEL Marie-Françoise, « Merveilles et émerveillement ; l’Orient des auteurs du Moyen Âge anglais », Isabelle Gadoin et Marie-Elise Palmier-Chatelain, éditions Rêver d’Orient, connaître l’Orient,Lyon, ENS éditions, 2008, pp. 19-37.

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DELUMEAU Jean, La Peur en Occident, XIVe-XVIIIe siècles, Paris, Fayard, 1978.

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UHLIG Marion, « La Mère, auxiliaire ou adversaire de l’idylle ? Les figures maternelles dans deux récits idylliques des XIIe et XIIIe siècles », La madre/The Mother, Micrologus, n° XVII, 2009, pp. 255-280.

WOLFZETTEL Friedrich, « Le paradis retrouvé : pour une typologie du roman idyllique », dans Le Récit Idyllique, Aux sources du roman moderne, Paris, édition Jean-Jacques Vincensini et Claudio Galderisi, Classiques Garnier (Recherches littéraires médiévales, 2), 2009, pp. 59-77.

Pour citer cet article

Nejib Selmi, « Idylle, altérité et religion. Floire et Blanchefleur ou l’histoire d’une croisade pacifique », paru dans Loxias, Loxias 42, mis en ligne le 15 septembre 2013, URL : http://revel.unice.fr/loxias/index.html?id=7512.


Auteurs

Nejib Selmi

Membre du CTEL de l’Université Nice Sophia Antipolis, Nejib Selmi prépare un doctorat de littératures et civilisations comparées sur « Les obstacles à la constitution du couple amoureux dans les littératures française et orientale médiévales. Essais sur Floire et Blanchefleur et son modèle oriental » sous la direction de Mme Sylvie Ballestra-Puech. Il s’intéresse au roman idyllique médiéval, et plus précisément à l’œuvre de Floire et Blanchefleur. En 2009-2010, Nejib Selmi a occupé le poste de lecteur de français à l’Université de Western Ontario (Canada). Il a récemment (avril 2012) publié un article portant sur « Les couples dans l’œuvre de Chrétien de Troyes ou les deux façons de vivre le désir amoureux » paru dans les Actes de colloque : « La Norme : Normes et infractions dans la société des productions culturelles », La Tortue verte, Revue en ligne des Littératures francophones, Université Lille 3.