Loxias | 72. Les nouvelles tendances de la création calligrammatique | I. Les nouvelles tendances de la création calligrammatique 

Nicole Biagioli  : 

Le calligramme dans les manuels scolaires : objet d’étude ou outil didactique ?

Résumé

Nous faisons l’analyse didactique du traitement du calligramme dans 34 manuels de français du CP à la 1ère des vingt dernières années, avec un focus sur la dernière réforme de 2016. Nous retraçons les principales étapes de la transposition didactique du calligramme, depuis les apprentissages fondamentaux de la lecture et de l’écriture jusqu’à l’épreuve anticipée de français du baccalauréat. Nous montrons comment l’école construit mais aussi brouille la reconnaissance et la pratique du genre, en l’associant aux apprentissages de l’écrit, de la lecture littéraire, de l’histoire de la littérature et de l’histoire des arts.

Abstract

We analyze from a didactical point of view the treatment of the calligram by 34 French textbooks from CP to Première of the last twenty years, with a focus on the latest reform of 2016. We describe the key stages of the didactic transposition of the calligram, from the fundamental learning of reading and writing to the preliminary baccalaureate examination in French. We show how the school not only constructs but also blurs the recognition and practice of the genre, associating it with the learning of writing, literary reading, literary history and history of the arts.

Index

Mots-clés : calligramme , écriture créative, forme scolaire, Guillaume Apollinaire, transposition didactique

Keywords : calligram , creative writing, didactic transposition, Guillaume Apollinaire, school habits setting up

Plan

Texte intégral

Des dictionnaires aux programmes scolaires

1Un rapide passage en revue des définitions du calligramme disponibles sur le web1 suffit à pointer les difficultés que pose sa transposition didactique.

2Prudentes, celles du Larousse : « Texte le plus souvent poétique, dont les mots sont disposés de manière à représenter un objet qui constitue le thème du passage ou du poème », et de Wikipedia : « Un calligramme est un poème dont la disposition graphique sur la page forme un dessin, généralement en rapport avec le sujet du texte, mais il arrive parfois que la forme apporte un sens qui s’oppose au texte. Cela permet d’allier l’imagination visuelle à celle portée par les mots », affectent des modalisateurs (soulignés par nous) aux éléments variables de la définition.

3Péremptoires, celles du Robert : « poème dont la disposition des vers forme un dessin » et de L’internaute2 : « poème dont le texte forme un dessin évoquant son sujet » limitent le calligramme à l’usage poétique. Celle du Trésor de la langue française : « écrit dont les lignes sont disposées en forme de dessin » est la plus générale et la moins contestable.

4Celle de Vikidia3, l’encyclopédie des 8-13 ans : « Un calligramme est une forme originale de poésie. Il est particulier, car les lettres et les mots du texte forment un dessin qui a un rapport avec le poème » reflète le contexte scolaire avec ses caractéristiques majeures :

5- la progression didactique, des apprentissages premiers de l’écrit à son usage culturel ;

6- l’emploi de catégories et de questions fermées pour évaluer les savoirs ;

7- la surdétermination des objets d’étude : le calligramme est à la jonction de la lecture-écriture, la poésie, le dessin et l’histoire littéraire.

8Les manuels n’offrent pas de données directes sur les pratiques scolaires puisqu’ils servent plutôt de médiation entre les instructions officielles et leur mise en pratique par les enseignants. Mais si on les compare en diachronie et en synchronie, on obtient une image assez précise des évolutions et de la diversité des choix proposés, la liberté du choix du manuel étant – rappelons-le – inscrite dans les lois Ferry de 1882.

9Nous dressons un panorama du traitement scolaire du calligramme à partir de 34 manuels de la maternelle à la classe de 1ère en trois étapes. La première correspond à l’apprentissage de l’écrit (de la grande section de maternelle à la 6e du collège, intégrée au cycle 3 du primaire par la réforme de 2016). La deuxième recouvre la familiarisation avec les genres d’écrits, la grammaire de phrase, la lecture courante et les premiers apprentissages littéraires réflexifs. Elle est consacrée à un seul niveau : la classe de 5e, qui, avant 2016, représentait l’immersion dans le curriculum du secondaire après la phase d’adaptation de la 6e, et marque maintenant l’entrée dans le cycle 4. La troisième réunit la fin du cycle 4 (4e et 3e) avec la préparation du brevet des collèges, et le lycée (2de - 1ère) avec la préparation de l’épreuve anticipée de français au baccalauréat. C’est la phase d’approfondissement des savoirs littéraires et culturels et de maturation des compétences d’expression-communication. Son but est double : mettre en valeur les rapports entre littérature et société et évaluer les savoirs et compétences acquis durant la scolarité.

Des apprentissages premiers à l’entrée en littératie

10Remonter le temps des apprentissages scolaires permet de comprendre pourquoi la notion d’image tracée avec de l’écrit4 constitue le sème nucléaire que le mot ‘calligramme’ partage avec ses synonymes : ‘vers figurés’, ‘poésie concrète’, alors que l’effet esthétique suggéré par son étymologie n’est qu’une conséquence possible de cette combinaison. On (re)découvre que l’image joue un rôle fondamental dans l’apprentissage de la lecture pour faire reconnaître les mots, comprendre le sens des phrases et accéder à la communication écrite.

L’image et le développement de la conscience phono-graphique

11La reconnaissance du mot écrit, préalable à la compréhension de la phrase et du texte, passe par l’identification des correspondances entre les lettres et les sons. Une fois intégrée, la correspondance grapho-phonique permet à l’enfant de lire les mots qu’il connaît mais aussi ceux qu’il ne connaît pas. Elle est donc plus rentable que la lecture logographique qui se fonde sur la mémorisation de l’image du mot. Elle est complétée par la reconnaissance orthographique qui fait intervenir les règles de l’accord grammatical (nombre, genre, temps) d’autant plus difficiles à maîtriser qu’en français elles portent souvent sur des lettres muettes.

12Tout au long de ce processus, l’image du référent que le mot désigne joue un rôle capital. Elle rappelle que le mot fait sens et se rapporte à une réalité qu’il peut évoquer quand elle n’est pas présente. Apprendre à lire, c’est donc apprendre, outre le code oral et le code écrit, le code iconique qui permet d’identifier des objets à partir d’une stylisation particulière de leur image. Pour faire reconnaître le chameau avec ses deux bosses, son port de tête et la forme de ses jambes, il faut le dessiner de profil.

13Tous les livres d’apprentissage de la lecture utilisent des images simplifiées et reconnaissables, d’où le titre du manuel de grande section PHON’IMAGES (Archimède, 2001). Elles rappellent que les mots pleins renvoient à des référents familiers concrets ou abstraits et servent à déjouer l’homo ou la paronymie qui font confondre les mots dont les signifiants sonores sont identiques ou proches. Pour ‘chameau’ et ‘château’, les icônes correspondantes sont d’abord présentées côte à côte (p. 29), puis superposées dans une image-valise, celle d’un chameau avec un château sur le dos en guise de baldaquin (fiche n°6). Flanqué d’un mini-château à sa gauche et d’un mini-chameau à sa droite, elle est légendée « Le château est un chameau » pour inciter à rétablir la distinction. Même protocole pour ‘clé’ et ‘blé’ et l’image-valise dans laquelle la clef est renversée anneau en bas et tige terminée par plusieurs pannetons évoquant des épis de blé (fiche n°7). Dédiées à la discrimination grapho-phonique, ces images-valises sont aussi un éveil à la lecture calligrammatique. Elles affinent la perception du code iconique nécessaire à la reconnaissance de la forme dessinée et attirent l’attention sur l’identité et la succession des lettres dans le mot et la phrase. Rapprochant la forme des lettres d’un mot de celle de l’objet qu’il désigne, elles familiarisent avec le mot-image, forme la plus élémentaire du calligramme.

14Au CP, l’exploitation simultanée des codes oral, écrit et iconique se polarise sur la reconnaissance des lettres sous leurs différentes formes. La méthode de lecture syllabique Taoki et compagnie, (Istra Hachette 2010) recourt à deux procédés. Le premier est le coloriage des cases d’une grille contenant la même lettre en minuscule, majuscule, script, cursive, pour que le lapin dessiné à gauche de la grille puisse atteindre la carotte située à droite (p. 6). Il exerce à l’identification de la lettre sous des graphies différentes, dans un cadre qui respecte l’orientation gauche-droite de la ligne d’écriture, deux règles qu’exploite le calligramme de contour. Le second procédé est le repérage d’une lettre au milieu d’autres à l’intérieur d’une forme dessinée : sac (p. 12) ou poisson (p. 18), principe du calligramme de remplissage. La lettre est identifiée comme une unité sémio (en tant que partie du mot écrit) -icono (en tant que partie d’une image) -plastique (en tant que tracé).

15L’apprentissage de la lecture en autonomie commence au CE1. L’effort est dosé par une alternance d’extraits ou de textes courts et de textes longs illustrés. La vérification de la compréhension se fait à l’oral avec la lecture expressive. Elle est d’autant plus importante que la production d’écrit s’appuie sur les textes lus. Adjuvant de la lecture, l’image est aussi étudiée pour elle-même, sa lecture exerçant les mêmes réflexes descriptifs et explicatifs que le texte sans qu’il soit besoin de la déchiffrer. Les deux manuels choisis, quasi contemporains, font déjà la distinction entre la lecture-écriture courante (des disciplines scolaires et des échanges sociaux), et la lecture littéraire.

16Lire des textes et des images (Hachette 2000), aborde le calligramme dans sa section poésie (p. 140) en juxtaposant Le dernier des Mohicans, un des Poèmes retrouvés d’Apollinaire et Vertige tiré des Petits contes verts pour le printemps et pour l’hiver de Madeleine Floch (1975). Le questionnaire insiste sur le bouleversement du sens de la lecture et sa compensation par l’image. La définition du terme : « poésie dont les vers forment un dessin » figure dans le lexique qui clôt le manuel (p. 157). Repris de niveau en niveau, ce dispositif va devenir un poncif didactique.

17Justine et compagnie (Belin 2001) propose une suite de six albums de littérature jeunesse (dont les illustrations incluent des facsimilés d’écrits courants : annonces et réponses) ponctuée de poèmes. Il ne contient pas de calligramme mais plusieurs poèmes y sont présentés dans une mise en page qui bouscule la ligne droite. Parfois elle mime le sens (les cinq strophes d’Amitié de Michelle Daufresne (p. 49) sont disposées en obliques convergentes comme les doigts de la main pour rappeler le nombre des vrais amis), parfois elle calligrammatise la signature du poète : « Charles d’Orléans » est un fil qui s’échappe de l’aiguille fichée dans la bobine de La Réplique du petit mercier (p. 92), et serpente le long de la rivière qui coule dans la campagne du Rondeau (p. 93).

18Au CE2, première année du cycle 3, les textes de lecture s’allongent et la palette des sous-genres narratifs : récits d’aventure, récit de vie, conte, science-fiction, se diversifie. Comme les autres formes poétiques, le calligramme est cantonné au rôle de respiration entre deux récits. Pour le français CE2 (Magnard 1998) choisit Le dernier été de Giuseppe Arcimboldo (p. 19), calligramme tiré de Mon 1er livre de poèmes pour rire de Ménaché. Cet hommage à l’Été d’Arcimboldo, privé de sa référence, flanqué de J’ai trempé mon doigt dans la confiture de René de Obaldia et surmonté de l’intitulé Comment rire mieux, confirme la volonté de donner au calligramme un statut ludique et enfantin.

19La tendance perdure jusqu’à la fin du cycle. L’ami-lire CM2 (Bordas1997) ouvre son choix de poésies (p. 86) par un calligramme, l’Autruche de Vette de Fonclare tirée du recueil L’Arche de Noé. Nous retrouverons souvent cette œuvre qui figure dans l’Écharpe d’Iris, florilège des 80 meilleurs poèmes couronnés par le Grand Prix de poésie pour la jeunesse en 1989, édité et régulièrement réédité par Hachette Jeunesse.

Le calligramme à la croisée des apprentissages littéraires et langagiers

20La classe de 6e a longtemps été la classe d’entrée dans le secondaire avant de devenir en 2016 celle de sortie du primaire. Nous traitons les deux époques l’une après l’autre. Elles ont en commun une nouvelle typologie des textes qui classe les textes littéraires par les archi-genres (théâtre, roman, poésie) et les textes non littéraires par les registres discursifs (narration, description, argumentation), tout en les regroupant sous des thèmes transversaux qui servent d’accroches, ce qui fait dire à Denizot : « les thèmes ne sont plus des sous-catégories à l’intérieur de classifications chronologiques ou génériques, mais des catégories transgénériques, voire transhistoriques5 ». Néanmoins l’histoire littéraire reste accessible grâce à la frise chronologique des pages de garde et aux micro-biographies d’auteurs des leçons.

21Les trois manuels antérieurs à 2016 portent en couverture la mention « manuel unique », allusion au regroupement des apprentissages littéraires et grammaticaux, répartis auparavant entre ouvrages différents. Cependant la dichotomie du français entre langue et littérature persiste, ainsi que leur hiérarchisation : l’étude de la langue est toujours reléguée dans la seconde partie. Dans la première, la littérature assure la médiation entre l’environnement sociétal et l’école, dans la seconde elle devient un réservoir d’exemples pour les registres de langue familiers (qu’elle reproduit) et le lexique de l’analyse littéraire.

22Ce jeu complexe de sujétion réciproque des deux apprentissages est illustré sur la première de couverture du Jardin des lettres Français 6e (Magnard 2009) par … un calligramme. Une première fleur, à gauche, présentée par un personnage de conte (chapeau à plume) exhibe comme racine le titre d’Ovide Les métamorphoses. Son calice est formé de titres de contes : La Barbe Bleue, Les Mille et une nuits. Trois autres fleurs plongent dans un terreau vert et grammatical des racines qui ont noms : verbe, apostrophe, dialogue, champ lexical, nom propre, ou passé simple, imparfait, présent. La corolle de la première fleur est formée de titres d’œuvres (Le médecin malgré lui, Les mots inutiles), les étamines de la suivante de noms d’auteurs (Verlaine, Queneau, La Fontaine). Le calice de la dernière est un anneau découpé dans un vieux manuscrit d’où s’échappent les noms d’Enée, Ulysse, Pénélope, Gilgamesh. Le choix du calligramme comme accroche éditoriale va de pair avec le statut que lui a assuré la littérature jeunesse : celui d’un médiateur entre l’élève, la langue et la littérature. On initie à sa lecture avec un calligramme d’Apollinaire : ‘Le cheval piaffant’ (p. 124), métaphore de l’élan poétique. Le guide de lecture Quand les mots deviennent des images met en rapport le mouvement de la patte, la répétition d’‘homme’ cinq fois d’affilée et le sens : « Explique en quoi l’attitude du cheval et celle du poète se ressemblent ».

23Le Jardin des Lettres Français 6e (Magnard 2013) opte (p. 119) pour un Apollinaire basique : « Il pleut », avec un questionnaire axé sur la technique calligrammatique : « Comment le dernier mot de ce calligramme est-il mis en valeur ? ». Relayé par un calligramme d’Henri Chopin (p. 130) qui l’hypertextualise (avec le mot « pluie » tombant comme une goutte sur la ville), il devient lanceur d’écriture : « À ton tour, invente un calligramme. Imite Henri Chopin. À la place de pluie, utilise goutte […] de ville, utilise terre. Change le sens des mots. Utilise des mots qui montent vers le ciel comme fumée ou feu. Fais un calligramme qui montre la fumée sortant d’une cheminée ». ‘Calligramme’ figure dans le glossaire, (p. 382).

24CoLibris 6e (Hatier 2014) revient au calligramme pour la jeunesse (p. 187), avec l’Araignée de Daniel Brugès, publiée dans Jouer avec les poètes de Jacques Charpentreau (2011). Mais en conseillant de dérouler le fil de l’araignée pour lire le texte, le recopier et l’apprendre pour le réciter seul puis à deux, il le dénature. Cette déconstruction est compensée par l’exemple donné à imiter (p. 232) : la calligrammatisation par Christine Oberthur du poème Le serpent de Gérard Le Gouic. Le calligramme fait allusion à la chute du poème qui révèle que le serpent du titre est en fait la queue d’un chat. La consigne d’écriture : « Dessinez un animal de votre choix et écrivez à l’intérieur un poème qui évoque cet animal », donne de la création calligrammatique une idée très simplifiée. Elle exclut la possibilité de dessiner la forme par le contour constitué d’une ligne d’écrit et rejette d’emblée l’alternance entre dessin et écriture, pourtant inévitable6. Voilà pour les premières tentatives d’acclimatation du calligramme aux pratiques scolaires du secondaire.

La scolarisation du genre calligrammatique

25La réintégration de la 6e dans le cycle 3 primaire en 2016 n’est pas une rétrogradation mais une tentative de consolidation des compétences de lecture-écriture dont les évaluations internationales successives avaient relevé l’insuffisance chez les élèves dits défavorisés, ce qui impliquait de réenvisager les objets d’étude sous d’autres angles et avec d’autres moyens. De nouvelles formes de calligrammes apparaissent. C’est le cas des scriptoformes de Michel Beau, dont Le Hérisson est présenté (p. 266-167) dans L’envol des Lettres 6e (Belin 2016). Le principe consiste à utiliser, dans une esquisse semi-dessinée (tête et pattes) un texte de remplissage qui présente une suite dense d’allitérations. Ici les jambages effilés des H qui reprennent l’initiale du mot-titre dessinent les piquants du hérisson. Le texte sert à la fois à réviser la différence entre le h aspiré et le h muet, l’étymologie et le sens d’herbivore qui apparaît dans le texte, à présenter la technique et à la transmettre : « choisissez un animal méprisé des hommes […] dessinez sa silhouette ; cherchez des mots commençant ou contenant la première lettre de son nom et inventez des phrases avec ces mots ; composez […] votre poème en insérant ces phrases dans la silhouette de l’animal ». Beau figure dans l’index des auteurs, Apollinaire aussi, mais pour un poème d’Alcools.

26On retrouve Beau dans Fleurs d’encre 6e (Hachette 2016), cette fois pour sa tortue aux écailles bosselées de T dont la barre horizontale est transformée en triangle isocèle aplati (p. 160). Le questionnaire de lecture ne porte que sur une écaille. Le scriptoforme n’est pas défini et côtoie d’autres « jeux et créations visuels » comme le rhopalisme et le rébus (p. 161). Mais la page suivante donne la vedette à un pur calligramme, la Tour de 300 mètres construite en 300 vers composé par Armand Bourgade pour l’inauguration de la Tour Eiffel en 1889. Le questionnaire de lecture se concentre sur l’agrandissement du sommet de la tour. Le guidage d’écriture est minimaliste : « Réalisez un calligramme célébrant un lieu ou un monument de votre région ».

27CoLibris 6e (Hatier 2016) choisit le calligramme dans son « Atelier de rentrée », pour faire « Lire un poème » (p. 12-13). L’œuvre choisie est le Calligramme de Guillaume Hess (2013), « paru dans l’Épître (revue littéraire ayant pour but d’encourager l’écriture ». Il représente un « bel oiseau de paradis » (syntagme nominal qui forme le bec de l’oiseau) en plein vol. On lui a adjoint en exergue le poème de Queneau : « Bien placés bien choisis/quelques mots font une poésie ». Le questionnaire présuppose que le calligramme fait obstacle à la lecture : « Quelle difficulté rencontrez-vous pour lire le calligramme ? » sans suggérer que l’on peut y remédier en orientant le support. Toutefois il donne un indice : « Quel lien voyez-vous entre le sujet du poème et sa mise en page ? » et conclut en demandant si le plaisir procuré compense ou non l’inconfort de la lecture : « Appréciez-vous cette disposition du poème ? ».

28Jardin des lettres 6e (Magnard 2016) recycle (p. 171) un souvenir de la page 124 du Jardin des lettres 6e (Magnard 2009) : le Cheval d’Apollinaire, en exergue de la synthèse « Qu’est-ce qu’un poème ? ». Juste avant (p. 169) il aborde la lecture et la confection du calligramme à partir de deux œuvres de Daniel Brugès : L’araignée, déjà aperçue (p. 187) dans Colibris 6e (Hatier 2014), et Quand l’enfant qui représente un enfant qui s’arrête de marcher pour rêver. De quoi rappeler que le calligramme n’est pas lié seulement à l’enfance en tant qu’âge de la vie, mais aussi à l’enfant intérieur (inner child) que tout individu porte en lui, quel que soit son âge, et qui représente la part créative et sensible de sa personnalité.

Collège unique : calligramme et acquisition d’une culture commune

29Presqu’un siècle après la démocratisation de l’enseignement primaire par les lois Ferry en 1882, la création du collège unique par la loi Haby en 1975 entame celle de l’enseignement secondaire. Le but, confirmé par les réformes ultérieures : socle commun des connaissances et compétences (2005), refondation de l’école (2013), collège de la réussite (2015), école de la confiance qui prolonge l’instruction obligatoire à 18 ans (2019), est d’assurer le même bagage scolaire à tous.

30Les lois Ferry ont fait passer la France d’une communication orale plurilingue en langues régionales à une communication orale et écrite courante en langue nationale. La loi Haby vise un niveau supérieur de littératie, celui de la maîtrise des registres de langue et de la communication écrite et orale dans toutes les situations de la vie. Moderne et antique, naïf et sophistiqué, translinguistique et transculturel, le calligramme avait un rôle à jouer dans l’entreprise. L’a-t-il fait ? Pour le savoir, nous avons centré notre enquête sur les manuels de la deuxième année du collège : la 5e. Elle marque le passage de la 6e, classe de transition, à la mise en place des savoirs et compétences évalués par le brevet des collèges. Nous avons distingué trois périodes : de 1975 aux programmes de 2010, de ceux-ci à la réforme de 2016 et après 2016.

Réenchanter la lecture-écriture

31Mots et merveilles 5e (Magnard 1982) est un bon exemple de manuel du collège unique. Il en explicite l’engagement, basé sur une remise en cause : « nous devons resituer notre enseignement et trouver des attitudes nouvelles pour répondre aux problèmes nouveaux » (p. 2), en esquisse le but : « créer le désir de lire […] en intégrant la lecture au fonds linguistique et affectif de l’élève » (ibid.), en expose la méthode : « une double approche par genres et par registres » (ibid.). La poésie est le pivot de cette révolution pédagogique. Le manuel ouvre sur les « Poèmes et jeux poétiques », (p. 4). Le calligramme figure dans la partie « jeux », qui, après la lecture d’un échantillon du canon poétique (Hugo, Rimbaud Verlaine, Michaux, etc.) exerce à l’écriture à contraintes (S+7 oulipien, anagramme, acrostiche, etc.). Représenté par L’oiseau et le bouquet d’Apollinaire (p. 27), il fait l’objet avec les autres contraintes d’une injonction passe-partout (p. 28) : « À votre tour, rédigez un texte assez bref et jouez avec la page pour mettre en relief les mots qui vous sont chers » qui s’abstient de tout détail technique.

32TEXTOcollège 5e (Hachette 2001) est sous-titré Le français en séquences. La séquence est la réponse apportée par la réforme de 2001 à l’excès de cloisonnement des disciplines et sous-disciplines caractéristique du collège d’autant plus perturbant que les classes n’ont plus affaire à un seul enseignant comme dans le primaire. En français, elle consiste à organiser sur un ensemble de séances des activités de lecture-écriture et études de la langue autour d’une tâche qui les oriente : découverte d’une œuvre intégrale, d’un groupement de texte, d’un genre littéraire. Le calligramme apparaît dans la deuxième séquence consacrée à la poésie qui inaugure l’année, la première étant consacrée aux pratiques documentaires. Le calligramme y est représenté par L’Autruche de Vette de Fonclare (p. 33), précédée d’un tautogramme de Guillaume de Machaut : Quand Colette Colet colie, et du Match pas banal de Perec, qui est à la fois un lipogramme en e et un pangramme en a. Il pondère une description de la perception poétique que le titre de la séquence : Écouter les mots oriente vers le son. La consigne d’écriture donne le choix entre le calligramme et le lipogramme en utilisant le même verbe : « Écrivez ». La problématique rebondit un peu plus loin avec l’épisode des « paroles gelées » du Quart Livre lorsque Pantagruel, Panurge et leurs amis s’amusent à jeter en l’air des paroles échangées pendant une bataille hivernale et durcies par le gel, qui retrouvent leurs sonorités en fondant (p. 41). L’illustrateur (anonyme) a peint les mots et les bouches qui les échangent avec un lavis blanc bleuté, rappelant ainsi que les mots peuvent se voir non seulement dans la fiction mais aussi dans la réalité. La définition du calligramme dans le lexique poétique (p. 263) : « en vers libres, il forme un dessin sur la page » est équilibrée.

Les jeux de langage : réassurance et tâtonnements

33Les manuels de 2010 restent fidèles au décloisonnement instauré en 2001, mais le tempèrent par la nécessité de construire une progression autonome des apprentissages grammaticaux qui avaient pâti du saupoudrage des apprentissages langagiers dans les séquences.

34La première de couverture du Jardin des lettres 5e (Magnard 2010) est calligrammatique comme celle du Jardin des lettres 6e de la même année : grammaire sous la terre, littérature dessus. La production calligrammatique d’Apollinaire est évoquée par un de ses dessins aquarellés où l’on voit un polichinelle jonglant avec les découpes de : « Les oiseaux/chantent/avec les/doigts » en capitales de grandeur, couleur et typographie différentes (p. 158). Mais ce sont deux pièces d’Alcools : Saltimbanques (p. 146) et Le pont Mirabeau (p. 291) qui sont étudiées. Le glossaire ne définit que les formes fixes et les mètres les plus courants. Mots et émotions 5e (Magnard 2010), le livre de textes qui complète le manuel, corrige ce brusque virage par une réflexion sur la créativité poétique (p. 214) qui réintègre le calligramme dans les genres poétiques : « certains prennent la forme de ce qu’ils évoquent, ce sont les calligrammes ». La page suivante présente côte à côte le portrait photographique de Lou et son portrait calligramme par Apollinaire. Le glossaire (p. 282) comporte une entrée ‘calligramme’. Toutefois la production écrite « Composer un portait en poésie » (p. 212) reste adossée à la poésie régulière avec la modeste continuation (deux vers) d’un extrait du Serpent qui danse de Baudelaire.

35Fil d’Ariane 5e (Didier 2010) contourne la difficulté. D’un côté il fait l’impasse sur Apollinaire qui n’apparaît que dans la copie du programme officiel à la rubrique 3. Poésie : jeux de langage en tête des poètes du XXe siècle (p. 2). De l’autre il analyse comme image et non comme calligramme (p. 71), une affiche de l’IFAW (International Fund forAnimal Welfare) de 2008 qui représente dans un paysage africain dévasté, un éléphant debout dont le squelette est formé par les lettres de son nom (L et second jambage du H pour les pattes, T pour la tête, les défenses et la trompe), avec comme slogan : « N’en restera-t-il que des mots ? ». Toute aussi allusive, une ENQUÊT’ART (p. 122-123) sur Les manuscrits enluminés remet en mémoire les lettrines historiées cousines du calligramme.

36Le chapitre « Entrer en 5: jouer avec les mots » de Rives bleues 5e (Hatier 2010) commence par un récit (p. 16-17), intitulé De la lettre au mot. C’est un extrait de Mondo dans lequel Le Clézio raconte comment un vieil homme apprend à écrire à un garçon de 10 ans analphabète en utilisant le pouvoir évocateur des lettres : A « une grande mouche avec ses ailes repliées à l’arrière », K « cassé comme un vieillard ». Indispensable à la mémorisation de l’alphabet, la lettre animée est aussi la première étape de l’apprentissage calligrammatique. Dans la « Petite histoire de la poésie », Apollinaire « ouvre la voie de la modernité » (p. 236-237). Son œillet7 introduit la section Le langage des fleurs (p. 244) qui aborde la poésie par les sensations et les sentiments, et sert de lanceur d’écriture : « Écrivez un calligramme dont le dessin reproduira la forme d’un végétal […] où seront évoquées, au choix, des sensations olfactives, gustatives ou visuelles. La consigne (p. 253) suit la doxa séparatiste : « Réalisez le dessin et écrivez le texte correspondant ».

37En ravivant le souvenir des scriptoformes avec L’Oiseau paon de Michel Beau aux ocelles formées par des O (p. 223), L’œil et la plume 5e (Belin 2010) opte pour une progression spiralaire. L’Autruche de Vette de Fonclare reprend du service (p. 235) comme embrayeur d’écriture avec une alternative : changer le texte ou changer d’animal. Une rubrique d’Histoire des arts sur la calligraphie (p. 236-238) fait découvrir des systèmes d’écriture différents du nôtre et familiarise avec la dimension transhistorique et interculturelle du calligramme. On repère d’abord le R entrelacé à un Saint Michel terrassant le dragon dans la lettrine d’un manuscrit latin du XIIe siècle, et la signature « Néfaste » sur un mur tagué contemporain. Puis on compare l’idéogramme chinois « cheval » à un calligramme chinois contemporain qui le redessine. On s’efforce ensuite de retrouver le titre manuscrit en arabe (donc de droite à gauche et sans voyelles) d’un tableau contemporain dans les formes créées par le peintre qui s’en est inspiré. Enfin le Calligramme au merle d’un prêtre zen du XVIe-XVIIe siècle rappelle que le chinois se lit de droite à gauche mais aussi de haut en bas.

Entre décloisonnement et retour à la bipolarité langue-littérature

38La réforme de 2016 a fait passer le système scolaire français de l’approche par objectifs (APO) ciblée sur les contenus enseignés à l’approche par compétences (APC) tournée vers les savoirs d’action et l’acquisition de l’autonomie. A-t-elle modifié l’approche didactique du calligramme ? Nous avons montré8 qu’elle avait ouvert les deux sous-disciplines langue et littérature au contexte interdisciplinaire et social tout en accentuant leur interdépendance. Il faut y ajouter le redécoupage des cycles, effet collatéral de la réforme. La nécessité de faire approprier les contenus en tenant compte de l’hétérogénéité du niveau des élèves a suscité l’apparition de manuels de cycle permettant d’enseigner plusieurs niveaux dans la même classe ou de faciliter les révisions. Vu l’ampleur des rubriques, triplée puisqu’elles couvraient les trois classes 5e, 4e, 3e, certains éditeurs ont séparé l’étude de la langue de celle de la littérature tandis que d’autres restaient fidèles au décloisonnement promu par la réforme de 2010 et proposaient des manuels de cycle généralistes où la langue n’apparaissait que dans les révisions du brevet.

39La rubrique « j’utilise la grammaire a) pour lire, b) pour dire, c) pour écrire » qui clôt chaque leçon d’Étude de la langue cycle 4 (Bordas 2016) montre comment l’APC a pu contribuer à rétablir la dichotomie langue/littérature. La production écrite consiste à transposer l’oral à l’écrit (style direct, style indirect), ou à pratiquer les types de discours dans une perspective interdisciplinaire (comme la synthèse d’un cours de science pour le discours explicatif). Le calligramme n’est pas mentionné, pas même le scriptoforme, qui permet de réviser l’orthographe. La B.D. est mieux lotie : « Imaginez des vignettes de bande dessinée contenant des dialogues riches en phrases exclamatives, en interjections et en onomatopée » (p. 33).

40Chez Magnard, depuis le Jardin des lettres Français 6e (2009), le traitement du calligramme se développe sur deux plans parallèles et jamais explicitement reliés : le maquettage (notamment de la couverture) et le choix des textes. La couverture du Jardin des Lettres, Étude de la langue cycle 4 (Magnard 2016) se banalise : vues floutées des Halles Baltard en haut en bleu et du pavillon perse d’une exposition universelle en bas en jaune, deux aspects de la capitale française qui symbolisent la volonté affichée « d’établir des liens entre des productions littéraires et artistiques issues de cultures et d’époques diverses » (p. 3). Mais à l’intérieur, la tendance à calligrammatiser la schématisation conceptuelle perdure. Une fleur (cœur : parler de la nature ; pétales : exprimer des sensations, nommer les éléments du paysage, réfléchir à l’action de l’homme, décrire les phénomènes naturels), synthétise la description de la nature (p. 59), une fontaine (vasque : sentiment, jets : objet du sentiment, degré du sentiment, bassin : moyens pour l’exprimer, synonymes pour nuancer, adverbes pour varier l’intensité) celle du sentiment (p. 61). Le champ lexical de l’eau est figuré (p. 39) par la juxtaposition d’une goutte et d’une vague bleues stylisées, cernées l’une par l’énumération : gouttes-averses-cordes-trombes- bruines-ondée, l’autre par la reprise : vague-mer-océan-écume-vague-mer. Dessous serpente une rivière dont les deux rives répètent Rivière-fleuve-ruisseau-courant-torrent-méandres.

41La littérature est beaucoup plus présente que dans l’Étude de la langue Bordas, car les exercices d’écriture sont centrés sur la production d’effets littéraires : renversement de point de vue, changement de registre, filage de métaphore. Mais l’apparition du calligramme est trompeuse. Le portrait calligramme de Lou (p. 85) n’est là que pour faire pendant à la photo d’Apollinaire soldat, blessé à la tempe. C’est l’acrostiche du prénom de Lou dans Adieu (Poèmes à Lou) que l’on demande d’imiter. En fin de manuel, la leçon consacrée à la communication épistolaire (p. 302) reproduit la couverture de Ta Lou qui t’aime, d’Elisabeth Brami, qui représente une enveloppe sur laquelle la signature de la lettre (qui est aussi le titre du livre) remplace l’adresse, procédé bien connu de l’art postal. Le livre rapporte la correspondance d’une petite fille esseulée et de sa grand-mère. La coprésence de ces homonymes dans le manuel atteste son souci de créer des occasions de rapprochements entre le canon scolaire et la littérature jeunesse.

42Le manuel de Français cycle 4 (Larousse-Hachette 2016) prévoit de faire « Écrire et créer un calligramme » dans sa séquence 15 : L’amour en poésie. On retrouve le portrait-calligramme de Lou, surmontant le calligramme Miroir du 9 février 1915 : « Je me regarde dans ce miroir et c’est toi que je vois… » (p. 238), toujours avec le conseil de composer le texte avant de le dessiner. Mais dans la séquence 26 Éveiller les consciences (p. 407), l’Allégorie du poids de la didacture d’Alessandro Lonati (2014) qui représente une foule dont les têtes ploient sous un bloc de mots appartenant au champ lexical du titre : discipline, obéissance, dictateur, peur, nationalisme, menace, conformisme, n’est pas commentée. Le calligramme n’est ni reconnu ni étudié comme forme d’expression indépendante. Son seul point d’ancrage mémoriel est Apollinaire qui s’impose comme médiateur entre la culture scolaire du primaire et celle du secondaire.

Le calligramme, genre scolaire et/ou social ?

43L’école emprunte à la culture ambiante et la transforme dans le processus de transposition didactique. Ce faisant, elle crée sa propre culture qui peut être aussi bien incitative que répulsive selon les rapports qu’elle entretient avec les cultures des acteurs scolaires (élèves, enseignants, corps d’inspection, chefs d’établissement), notamment à propos de l’évaluation des pratiques créatives. Nous allons étudier ce processus interculturel sur les trois paliers de la 4e, de la 3e et du lycée (2de et 1ère), succession qui permettra de mesurer la différence entre les classes intermédiaires qui privilégient la formation à la créativité et l’ouverture culturelle et les classes d’examen focalisées sur les révisions et l’évaluation sommative.

Entre genre et registre, le calligramme dans la typologie des savoirs

44En 4e l’élève apprend à classer et définir ce qu’il apprend afin de pouvoir l’utiliser, le transmettre et l’intégrer à son capital culturel. Nous commençons l’étude des manuels de 4e par Textes et séquences Français 4e (Delagrave 2002) à cause de sa date et de son sous-titre qui rappelle celui du Texto collège Français 5e (Hachette 2001) : Le français en séquences. Il montre la progression de la réforme niveau par niveau. L’avant-propos (p. 2) pose le discours comme « notion faîtière du projet didactique », et affirme avoir « voulu donner le matériau du décloisonnement en offrant des textes, des activités orales et écrites et un grand choix d’outils de la langue pour y parvenir ». Le discours est la poutre faîtière des séquences, les registres : « catégories transgénériques et transesthétiques, [qui] permettent de mettre en perspective les genres, au-delà de la perspective purement historique9 », leur charpente.

45Le dossier « Trouver sa parole : la poésie » ouvre l’année. On y retrouve Apollinaire (p. 16), avec Un oiseau chante, extrait de Calligrammes mais qui n’en est pas un. L’introduction impose une hiérarchisation qui deviendra un poncif à l’approche du baccalauréat : « Dans son principal recueil, Alcools, Guillaume Apollinaire mène de multiples recherches poétiques […]. Envoyé sur le front en 1914, il retranscrit dans ses recueils Calligrammes et Poèmes à Lou son expérience de la guerre ». La disgrâce du calligramme est confirmée par son éviction de l’éveil à la créativité interartiale au profit du collage avec, dans le rôle d’Apollinaire, Prévert. Ses collages (p. 30-31) abordés après son poème Étranges étrangers (p. 26-27) suscitent l’habituelle comparaison son/image : « Laquelle des œuvres de Prévert présentes dans ce dossier préférez-vous ? Pourquoi ? ». Une fois coupé de ses attaches littéraires, le calligramme réapparaît à la faveur d’une analyse de publicité pour un mini-caméscope (p. 192), dont le descriptif en forme de bouche suscite la question : « Que représente le calligramme en bas à droite ? Quel est son rapport avec le reste ? », (p. 193).

46Jardin des lettres Français 4e (Magnard 2011) ignore le calligramme comme genre poétique et comme genre social. Il est absent de l’étude du registre lyrique. Au chapitre « La lettre », l’affiche de la poste australienne (p. 171) qui montre une jeune femme blottie dans les bras d’un amoureux entièrement enveloppé de la lettre qu’il lui a écrite, fait l’objet d’une Lecture de l’image qui ne retient que la forme du contenu (la présence du destinateur dans sa lettre) et pas celle de l’expression (calligrammatique). Les seules formes irrégulières signalées par le Vocabulaire de la versification (p. 294) sont le poème en vers libres et le poème en prose.

47La réforme de 2015 regroupe les compétences et connaissances en trois entrées : le développement des compétences langagières orales et écrites en réception et en production, l’approfondissement des compétences linguistiques et la constitution d’une culture littéraire et artistique, une ouverture interdisciplinaire et interculturelle propice au retour du calligramme. Jardin des lettres 4e Français (Magnard 2016) le rétablit comme « poésie visuelle » dans le Petit lexique de la poésie (p. 51). Lou et Apollinaire sont à nouveau réunis avec leurs photos en médaillons et leurs mini-biographies (p. 44). Le poème à Lou « Au lac de tes yeux… » et Le cœur transpercé 10 sont comparés pour leurs mediums, musical pour l’un, visuel pour l’autre. Le motif du calligramme est facilement identifiable puisque le mythe de Cupidon a été abordé dans une leçon antérieure sur L’amour dans la poésie latine, (p. 38). On rappelle qu’Apollinaire a créé le mot en combinant ‘idéogramme’ et ‘calligraphie’. On incite l’élève à chercher d’autres calligrammes d’Apollinaire pour les présenter à la classe.

48Le registre lyrique permet d’étudier la poésie en diachronie (depuis l’Antiquité) et en synchronie (dans les français de la francophonie et les traductions des littératures en langue étrangère). Le cœur transpercé dialogue à quatre pages de distance (p. 48) avec une calligraphie arabe contemporaine de l’expression « feux de l’amour » (Nirân al-houbb).

49L’envol des lettres Français 4e (Belin 2016) travaille un autre registre poétique transversal : celui de la poésie urbaine. Apollinaire y apparaît pour Ville et cœur, poème à Lou posthume (p. 211), Zone (p. 214) et Le pont Mirabeau (p. 228) tirés d’Alcools. Aucun calligramme. La Tour Eiffel peinte par Robert Delaunay (La tour rouge, p. ; 210) est préférée à celle calligraphiée par Apollinaire, dont le portrait et les dates figurent pourtant au bas de la page.

50Comme L’envol des Lettres Français 4e Belin, Fleurs d’encre Français 4e (Hachette 2016) fait appel au Pont Mirabeau et à Zone : le premier (p. 126), pour célébrer « L’amour à l’épreuve du temps », le second (p. 281) dans le chapitre « La ville à la croisée de la poésie et d’autres arts ». La reproduction sur une demi-page (p. 134) du Livre Cœur danois (1550), compilation de 83 ballades d’amour de la cour du roi Christian III, ne donne lieu à aucun commentaire. C’est pourtant un témoignage significatif de l’histoire du calligramme européen à la Renaissance.

51L’exploitation fragmentée de l’œuvre d’Apollinaire en fonction des registres au programme et l’oubli progressif de ses calligrammes au profit de la lecture expliquée des textes longs et d’une production créative axée sur l’image et les médias censurent le genre sans l’éliminer.

Le brevet, premières réticences

52Les programmes de français de la classe de 3e témoignent de la façon dont la discipline s’approprie les cinq thèmes transversaux de la réforme de 201611 à la fin du collège. 1 : « Se chercher, se construire » ouvre sur l’autobiographie en littérature et dans d’autres arts ; 2 : « Vivre en société, participer à la société » sur la satire littéraire, le conte philosophique, le dessin de presse et la caricature ; 3 : « Regarder le monde, inventer des mondes » sur la poésie ou la prose poétique du romantisme à nos jours et la peinture de paysages ; 4 : « Agir sur le monde » sur une œuvre littéraire relatant l’histoire du XXe siècle associée à d’autres œuvres, notamment picturales ou cinématographiques ; 5 : « Progrès et rêves scientifiques » sur la science-fiction en littérature, peinture et cinéma. La 3e est le dernier niveau où tous les élèves d’une même génération se côtoient avant de sortir du système scolaire ou d’être répartis dans divers établissements ou filières, d’où l’accent mis sur le lien social et la conscience citoyenne. On pourrait imaginer qu’elle incite à développer une approche plus générique du calligramme faisant apparaître la cohérence de ses usages scolaires, littéraires et sociaux. Mais ce serait compter sans le brevet.

53Jardin des lettres Français 3e (Magnard 2016) convoque Apollinaire dans la section Lyrisme et engagement qui correspond au thème 3 de la réforme, avec le poème épistolaire à André Dupont du 1er février 1915 (p. 132), lequel a l’avantage d’illustrer aussi le thème 1 : l’autobiographie. Adieu, le portrait d’Apollinaire en soldat blessé à la tempe et le portrait calligramme de Lou réapparaissent dans la partie 2 Étude de la langue aux pages 282-283, copiées-collées des pages 84-85 du Jardin des lettres Étude de la langue cycle 4 (Magnard 2016) avec leur révision du vocabulaire rhétorique et poétique et leur consigne d’écriture d’acrostiche reprenant Adieu. La dernière leçon consacrée au calligramme apollinarien dans cette collection remonte à la comparaison par le Jardin des lettres Français 4e 2016 (p. 44) du Cœur transpercé et du poème à Lou « Au lac de tes yeux très profond… », ce qui laisse penser que l’étude du calligramme apollinarien en 3e est considérée comme une perte de temps.

54Fleurs d’encre Français 3e (Hachette 2016) dévoile en médaillon un Apollinaire simple civil, portant un feutre (p. 136). La notice biographique mentionne « plusieurs recueils poétiques dont Calligrammes et Alcools » et rappelle que « son œuvre est marquée par la recherche de formes artistiques nouvelles ». Pour inciter les élèves à faire un exposé sur son œuvre, la rubrique Le cercle des critiques littéraires (p. 139) renvoie, comme pour Hugo, Rimbaud, Supervielle et Char, à son anthologie publiée chez Gallimard « Folio », qui le représente sur la première de couverture s’abritant sous un parapluie des gouttes d’Il pleut. Pourtant seul Zone, illustré par la Tour Eiffel de Delaunay (comme dans L’envol des lettres Français 4e Belin 2016, p. 210), est étudié dans la section Poésie et peinture, miroirs du monde. En revanche, le calligramme politique est abordé (p. 95) à propos de La satire dans la littérature et la presse. Quatre caricatures de Daumier métamorphosant le visage de Louis-Philippe en poire y jouxtent la une du journal Charivari qui s’en est inspirée pour transformer en satire du pouvoir l’obligation légale de publier un arrêté de justice qui l’avait condamné.

55D’Apollinaire, Sillages 3e (Bordas 2016) ne garde qu’un extrait d’Alcools : Automne malade, (p. 83). Accolé à Obsession de Baudelaire (p. 82) il permet à l’élève de célébrer sa saison favorite À la manière de Baudelaire et d’Apollinaire. Contrairement à Baudelaire, Apollinaire n’a pas de notice biographique, sans doute parce qu’il est connu depuis plus longtemps, en partie grâce à ses calligrammes. Dans la frise chronologique du manuel, son médaillon le montre nu-tête en veston, chemise et cravate, ce qui confirme la volonté de casser sa relation à la guerre de 14-18, également liée aux calligrammes. Traitée à part, celle-ci fait l’objet d’une confrontation impartiale (p. 180-181) entre un extrait de Guignol’s band de Céline et un autre d’Orages d’acier d’Ernst Jünger.

56Le seul usage du calligramme est le fait du manuel lui-même qui s’en sert pour visualiser la schématisation conceptuelle comme on l’a déjà vu dans les manuels Magnard. Le champ lexical du mot bestialité (p. 252) est représenté par une fleur dont le cœur est occupé par le mot et les quatre pétales par ses synonymes, les mots de la même famille, les expressions et les mots associés. L’arbre à poèmes (p. 79), tronc et branches bruns se détachant sur des lettres-feuilles vertes de tailles et formats différents, fait allusion à la constitution d’un florilège de poèmes individuels associant chacun un sentiment et des sensations, accrochés à un arbre réel, bricolé ou peint.

57À force de distendre le lien qui le rattachait à son moderne(ré) inventeur, la 3e a fini par expulser le calligramme des manuels. Elle prive ainsi le collège d’un outil de réassurance en étude de la langue et de formation à l’écriture créative, et installe durablement la méconnaissance de son identité historico-culturelle, ce qui va à l’encontre de l’inclusion socio-culturelle prônée par la réforme. Les attaches du genre avec l’école primaire et le souci de donner un début de formation littéraire et artistique ‘sérieuse’ aux élèves qui ne passeront pas en cycle long y sont sans doute pour quelque chose. La collection « Folio Junior Poésie » aussi.

58Sur un créneau réputé ésotérique, celle-ci propose des anthologies estampillées « livres recommandés par l’éducation nationale pour le cycle 4 », vantées comme « initiation pour les jeunes lecteurs, enrichissement pour les amateurs et outil idéal pour les enseignants ». Elle joue le double rôle de prolongement de curriculum scolaire et de produit d’appel pour l’ensemble de la littérature jeunesse. Ce secteur éditorial en pleine expansion est la ‘forêt’ qui se cache derrière l’‘arbre’ manuel. Son pouvoir de médiation entre la culture scolaire et les autres cultures présentes dans la société est devenu incontournable. Le nouveau canon qu’il propose, même si certains noms recoupent ceux du canon classique, ne recouvre pas les mêmes réalités. Comment le lycée gère-t-il cette ambiguïté ?

Le lycée : vues, revues, bévues

59La réforme de 2016 concernait le collège mais elle a impacté le lycée mécaniquement (lorsque les collégiens formés dans l’approche par compétences ont commencé à y accéder) et idéologiquement (car il ne pouvait rester indifférent à la lutte contre le décrochage scolaire). Dans les manuels, l’acquisition des compétences prend la forme de l’apprendre à apprendre : frises chronologiques, résumés de chapitres, décorticage des épreuves du baccalauréat (plans et exemples de réalisations des trois sujets d’écrit, entraînement à l’oral), rattrapage grammatical sous forme d’extraits de devoirs fautifs à corriger.

60La 2de est une classe charnière. Le préambule de La vie en toutes lettres Français 2de (Hatier 2015) avertit : « Le français au lycée ? on est vite tenté de répondre : bac en fin de Première, liste de textes, commentaire ou dissertation… Réponse partielle, surtout quand on est un élève de Seconde, tout juste sorti du collège, et qui a encore beaucoup à découvrir ! ». La principale découverte est celle de l’histoire littéraire. On situe les auteurs dans les mouvements littéraires et ceux-ci dans le continuum historique, avec des entrées qui sont des sous-genres (« La tragédie et la comédie au XVIIe : le classicisme »), des archi-genres (« La poésie du XIXe au XXe siècle : du romantisme au surréalisme ») ou des registres de discours caractéristiques d’une époque donnée (« Genres et formes de l’argumentation au XVIIe et XVIIIe siècles »).

61Trop vieux pour être classé dans le symbolisme, trop jeune pour l’être dans le surréalisme, Apollinaire n’est plus qu’un maillon intermédiaire : « le grand représentant de l’Esprit nouveau12 », (p. 335). Déjà rencontré dans Sillages 3e (Bordas 2016), Automne malade offre un condensé de ses techniques : suppression de la ponctuation, vers irréguliers, rhopalisme des six derniers vers bi-syllabiques mimant la chute des larmes de la forêt. L’étude de la poésie au XXe siècle se concentre sur La révolution surréaliste (p. 364). Les jeux surréalistes (p. 365) sont représentés par le cadavre exquis. Son protocole, illustré par une version picturale de Man Ray, Miro, Max Morise et Tanguy incite les élèves à Écrire à plusieurs.

62Le calligramme apollinarien réapparaît avec La Tour Eiffel (p. 460), mais dans la seconde partie du manuel consacrée aux Outils où, comme dans les Magnard 3e et cycle 4, il est inclus dans la « révision des formes poétiques modernes ». Elles sont au nombre de trois : « le poème en vers libres (Cendrars, Reverdy...), le poème en prose (Baudelaire, Rimbaud…), et le calligramme (Apollinaire) » dans lequel « Le poème en vers libres ou réguliers forme un dessin en relation avec le thème développé ». Apollinaire reste le seul représentant du calligramme et l’œuvre retenue n’a été choisie que pour la connotation historique associée à son référent : la Tour Eiffel, qui symbolise la modernité. D’ailleurs, c’est un court poème en vers libres, et pas un calligramme sur un autre monument13 que l’élève est invité à composer. Simultanément ravivée et obscurcie par le couplage des formes et des époques, l’association d’Apollinaire et du calligramme dessert à la fois le genre et l’auteur.

63Pour mieux suivre l’évolution de la 2de à la 1ère et celle de la 1ère entre 2011 et 2016, nous avons gardé le même éditeur. Terres littéraires 1ère français (Hatier 2011) symbolise par son titre le recentrage que l’épreuve anticipée du baccalauréat opère sur la littérature, sous-discipline du français sur laquelle porte l’ensemble des épreuves orales et écrites. Sauf pour ceux qui choisissent de poursuivre le français en option en Terminale, c’est la dernière fois que les élèves étudient « les catégories littéraires : genres littéraires, registres littéraires et types de textes » (deuxième de couverture) qui permettent de la décrire.

64La partie réservée à la poésie : Écriture poétique et quête du sens ouvre le programme. Son titre et sa place rappellent que le souci de la mise en forme du message qui caractérise la poésie se retrouve dans tous les genres et que son interrogation sur le sens des mots atteint aussi le sens du monde, ouvrant la voie au questionnement philosophique abordé en Terminale.

65Le préambule (p. 31) démystifie le mythe de l’inspiration : « la célébration de l’inspiration sous les traits d’un génie à la Renaissance a fait place, au fil des siècles, à une vision plus distanciée et ironique de cette source créatrice ». Alors que l’histoire de la littérature était un objet d’étude, l’histoire des idées littéraires est un moyen de prendre conscience de l’évolution des notions et des échanges culturels. Ceux-ci réintroduisent le calligramme.

66La page de titre de la partie (p. 30) est illustrée par une reproduction du Chansonnier de Jean de Montchenu (vers 1475), recueil cordiforme de chansons amoureuses italiennes et françaises. Comme le Livre Cœur danois (1550) reproduit dans Fleurs d’encre Français 4e (Hachette, 2016, p. 134), il évoque le registre lyrique par son contour. Dans le chapitre La mission du poète, un calligramme latin (p. 68) en forme de rose, tiré du recueil Poesis ludens du calligrammatiste hongrois Stefano Lepsenyi (1551) accompagne (p. 68-69) La petite épître au Roi de Clément Marot (p. 69), tirée de L’Adolescence clémentine (1532). Les deux œuvres participent de la même conception ludique et virtuose de la poésie, celle des grands rhétoriqueurs dont faisait partie Jean Marot, le père de Clément. Le calligramme fait écho aux vers 13 à 15 où Marot compare le travail du poète à celui du jardinier : « la personne rimante/ Qui au jardin de son sens la rime ente/ Si elle n’a des biens en rimoyant,/ Elle prendra plaisir en rime oyant ».

67Cependant le questionnaire de lecture ignore la rose de Lepsenyi. Il renvoie au poème choisi pour servir de « vis-à-vis » à celui de Marot : Fonction du poète (p. 67-68), dans lequel Hugo développe sa conception du poète romantique inspiré par la nature. Il insiste sur la sujétion du poète de cour à son roi et suggère qu’Hugo donne de l’écriture poétique une image plus valorisante que ne le fait Marot, ignorant l’autocélébration de l’un et l’autodérision de l’autre.

68Le calligramme ne devient objet d’étude qu’avec Apollinaire et sur un autre aspect de la mission du poète : la description des objets familiers. « La cravate et la montre » (p. 74) servent de « vis-à-vis » au cageot de Ponge (p. 71). Le guide de lecture demande de transcrire le calligramme en strophes, préciser les « connotations traditionnellement associées à la cravate et à la montre », expliciter la leçon morale de « la cravate » (dont le poète incite le porteur à se débarrasser pour respirer), définir le « ton que les références mythologiques donnent à « la montre ». Il souligne l’avantage du calligramme sur le poème en prose : « Dans quel texte le simple objet du quotidien devient-il vraiment une présence poétique ? ».

69L’accompagnement didactique est approprié, sauf sur un point : le vocabulaire. « Tircis », « Agla », « Muses » et « vers dantesque » sont expliqués sans prendre en compte leur localisation spatiale14. Tircis est bien le nom d’un berger poète dans l’églogue 7 des Bucoliques de Virgile, mais placé sur le 6 du cadran de la montre, son nom recèle un calembour gaillard : tire-six (coups). Sur le 4, Agla n’est pas « l’abréviation d’Aglaé, l’une des trois Grâces », mais un mot sacré de la Cabale composé des initiales de quatre mots hébreux : Athar, gabor, leolam, Adonaï, signifiant : « vous êtes puissant et éternel Seigneur ». Les Muses sont bien les « déesses filles de Zeus qui commandent les différents arts » mais ne sont là qu’à cause de leur nombre : 9, qui correspond à leur place. La précision d’Apollinaire : « aux portes de ton corps » confirme ce nombre par un sous-entendu érotique (les neuf ouvertures du corps féminin). Le « vers dantesque » est bien un « vers de Dante » mais le manuel le veut « infernal (L’Enfer étant l’œuvre essentielle de Dante) » alors que, placé sur le 11 du cadran, il fait référence à l’hendécasyllabe italien que Dante affectionnait parce que l’accent final qui, en italien, tombe souvent sur l’avant-dernière syllabe le rapprochait du décasyllabe. Et si Apollinaire le qualifie de « luisant et cadavérique », c’est par calembour avec « ver » et non par allusion à l’enfer. Expurgation et/ou légèreté, le glossaire accumule les contresens alors qu’il aurait suffi de tracer un cadran de montre pour faciliter la lecture, voire l’écriture hypertextuelle (ici exclue d’emblée).

70On retrouve cette simplification hâtive et cette édulcoration dans l’exercice d’application (p. 408) basé sur une citation tronquée d’un autre calligramme d’Apollinaire : Paysage15 (1918). On a gardé « la maison où naissent les étoiles et les divinités », « cet arbrisseau qui se prépare à fructifier te ressemble », et supprimé « un cigare allumé qui fume » et « amants couchés ensemble vous vous séparez mes membres ». Le calligramme résiste moins bien aux coupures qu’un texte normal. Pour vérifier la compréhension globale, le questionnaire essaie de faire deviner ce qui ne se voit plus : « Sur quelle mise en page particulière l’ensemble du poème repose-t-il ? Expliquez à l’aide du titre ». Il sépare le fond (« Que représente chacun des calligrammes ? ») et la forme (« Quel jeu de caractères le poète utilise-t-il-pour le faire comprendre ? »), que le sujet de dissertation : « La poésie moderne se résume-t-elle à ses jeux de formes et à sa volonté d’innovation ?» tente maladroitement de réconcilier.

71Un point positif cependant : le calligramme cesse d’être rattaché uniquement à la modernité en poésie et à Apollinaire. Il recouvre son histoire (p. 406) : « Le calligramme est l’aboutissement ultime du travail visuel sur la poésie. Déjà présent chez le romancier François Rabelais au XVIe siècle, il est remis au goût du jour dans un recueil de poèmes d’Apollinaire en 1918 », même si la Dive bouteille n’est pas citée, et si l’affiche de mai 68 (p. 283) représentant un tableau noir sur lequel une main trace : « je participe, tu participes, il participe, nous participons, vous participez, ils profitent » n’est pas identifiée comme un calligramme.

72On mesure à la fois l’intérêt de la scolarisation de l’histoire littéraire et ses inconvénients. D’une part on redécouvre l’histoire du calligramme, dans et hors de la littérature française, ses œuvres, ses techniques et sa poétique. D’autre part, on se heurte aux difficultés inhérentes à son insertion dans le format et le projet d’un manuel de 1ère.

73Comme objet d’étude, il est desservi par sa divergence avec l’écrit normé et les difficultés qu’il peut receler pour le non-spécialiste qui souhaite hisser sa transposition didactique au niveau des autres formes littéraires étudiées, notamment en variant les exemples. Comme support d’évaluation, il trouve difficilement sa place dans les sujets du baccalauréat : la dissertation et le commentaire composé pour les raisons que l’on vient d’évoquer, l’écriture d’invention parce qu’introduite en 2000 et retirée en 2021, elle a rapidement dévié vers une fiction argumentative qui imagine une situation historique à seule fin de permettre au candidat d’exposer ses connaissances littéraires. L’écrit d’invention peut : « transposer un des textes du corpus proposé pour le faire changer de forme et/ou de genre ; imaginer la suite d’un texte ou une partie de celui-ci ; produire un texte argumentatif en se référant au thème d’un des textes du corpus ou en développant une thèse », (p. 537). La transposition du calligramme en texte régulier et vice-versa est un exercice courant au collège mais qui semble avoir disparu au lycée. Le manuel n’a pas demandé de compléter le Paysage d’Apollinaire qu’il avait tronqué : faire imaginer le paysage d’après le titre revenait à se contenter d’une image mentale. Enfin n’ayant pas identifié ès qualité le calligramme politique, il ne peut s’en servir comme support pour une expansion ou une transposition argumentative. Cette rencontre ratée prouve a contrario que le calligramme est un robuste embrayeur d’écriture d’invention, rôdé dans les niveaux précédents et donc facilitateur de la préparation de l’épreuve pour peu que l’on pratique la méthode spiralaire.

74Terres Littéraires Français 1ère Hatier 2011 faisait redécouvrir le calligramme (non sans quelques bévues). La vie en toutes lettres Hatier Français 1ère 2016 l’élimine. Son sous-titre le laisse prévoir : le représenté (la vie) y régit le représentant (la littérature).

75La poésie qui en 2011 occupait la première place devant l’argumentation, le roman et le théâtre est rétrogradée à l’avant-dernière, après le roman et le théâtre et avant l’argumentation. Le calligramme disparaît des leçons comme objet d’étude et élément de contextualisation, mais reste mentionné dans la biographie d’Apollinaire (p. 633) : « Il écrit des récits et des pièces de théâtre mais il est surtout connu pour ses poèmes originaux : il supprime la ponctuation dans Alcools (1913) et donne une forme singulière à la poésie dans ses Calligrammes (1918) ». La combinaison de la polyvalence du talent d’Apollinaire et de la globalisation de sa méthode poétique permet à la fois d’évincer le calligramme et de confiner Apollinaire dans une position d’intermédiaire entre le symbolisme et le surréalisme, aux côtés de Blaise Cendrars, à l’enseigne de L’Esprit Nouveau (p. 299). C’était déjà le choix de La vie en toutes lettres Français 2de paru l’année précédente.

76Mais ce manuel ne se contente pas de privilégier les grandes articulations des écoles et mouvements au détriment des auteurs et des œuvres pour faciliter la mémorisation. Il instaure un véritable aggiornamento en étendant le continuum historique à la fin du XXe siècle (Nouveau Roman, Oulipo) et au début du XXIe (Michel Houellebecq, Annie Ernaux). Il fait aussi de l’image un objet d’étude à part entière car « Afin de dépasser l’émotion qu’elle suscite, il est important de l’analyser pout en comprendre les intentions » (p. 558). Pour autant il limite ses liens avec la poésie à l’ut pictura poesis d’Horace : « La poésie décrit parfois de manière très picturale (visuelle) des paysages grâce aux images et au vocabulaire utilisé » (p. 295) et cantonne le pouvoir de suggestion des mots, comme son prédécesseur, à la production des images mentales. Il préfère invoquer Pindare et son « lyrisme choral, mêlant danse, poésie et musique » que Simmias de Rhodes, le poète et grammairien de la fin du 4e siècle avant J. C. auquel on attribue les premiers poèmes-dessins.

77Exclu des objets d’étude, le calligramme l’est aussi des illustrations. Pas de calligramme d’Apollinaire pour dialoguer avec Le Parti pris des choses de Ponge (p. 276). Pas de Dive Bouteille pour accompagner le « Buvons » de Gargantua dans l’extrait du Pantagruel (p. 326) où il passe brusquement de la tristesse d’avoir perdu sa femme à la joie de voir son fils gigoter dans son berceau. Le seul calligramme qui apparaît (p. 340), n’est pas identifié comme tel. C’est le talisman de La Peau de chagrin de Balzac, double calligramme en arabe et en français qui dispose la prophétie de la peau dans un triangle pointe en bas pour montrer qu’elle a déjà commencé à s’amincir. L’occasion était pourtant belle de montrer la modernité de Balzac qui se sert du calligramme pour faire de son héros dont l’espérance de vie s’amenuise au fur et à mesure qu’il énonce ses vœux, l’image inversée de son récit qui grossit au fur et à mesure qu’il touche à sa fin, mise en abyme digne du Nouveau Roman et de sa mouvance16. Comme pour le précédent manuel, ce sont les exigences de l’examen qui expliquent l’exclusion du calligramme. Mais comme celui-ci met l’accent sur l’entraînement aux situations d’examen par la simulation, il se prête davantage à dresser le bilan des incompatibilités entre ce genre et la préparation de l’épreuve anticipée de français.

78Le calligramme ne représente pas un enjeu suffisant pour l’évaluation des connaissances et compétences acquises durant la scolarité. Il mobilise un minimum de rappels : microbiographie d’Apollinaire (p. 633) et définition du genre : « poème en vers libres ou réguliers, formant un dessin en lien avec le thème », (p. 544) sans aucune révision globale. L’épreuve écrite comporte deux parties : l’analyse comparée du corpus suivie, au choix, d’une dissertation, d’un commentaire composé ou d’un écrit d’invention. Si le calligramme est absent du corpus, il risque fort de l’être aussi du traitement des sujets. Des trois sujets (p. 603) qui exploitent l’objet d’étude Écriture poétique et quête du sens du Moyen Âge à nos jours, celui de la dissertation : « Dans quelle mesure peut-on considérer la poésie comme un accès au monde ? » n’exclut pas a priori le recours au calligramme. Mais dans le plan proposé : « I : Le poésie ouverte sur le monde extérieur ; II : La poésie ouverte sur le monde intérieur ; III : La poésie, un réenchantement du monde », il pourrait être partout comme nulle part. En outre, sur des thèmes comme les objets du quotidien, l’autoportrait ou le paysage recomposé, il risque d’avoir été supplanté dans la mémoire des élèves par les textes plus ‘normaux’ et les auteurs plus ‘connus’ qu’on lui associe d’ordinaire.

79Comme son nom l’indique, le commentaire composé ne suit pas le déroulement du texte. Le manuel préconise (p. 592) « 2 ou 3 parties » et une dynamique allant « du + évident au - évident ». Il choisit comme support un sonnet des Amours de Ronsard présenté p. 287, et propose comme plan (p. 593) : « I- La célébration de la femme, II- L’impuissance à rendre sa beauté par l’écriture, III- Une réflexion sur les pouvoirs de la poésie ». L’état de langue du XVIe siècle lui a paru moins dissuasif (moyennant un bref lexique) qu’un calligramme d’Apollinaire en français moderne sur le même registre et se prêtant à la même analyse17.

80Pour le sujet d’invention : « réaliser un pastiche » (p. 611), ce n’est pas un calligramme d’Apollinaire mais « Per te praesentit aruspex » tiré de son recueil Il y a (p. 294), qui a fourni l’hypotexte. Il cumule les avantages d’être un sonnet régulier, une déclaration d’amour et une assimilation de la femme à l’œuvre qui l’immortalise. Le pastiche présupposant une maîtrise de la pratique du genre pastiché et une bonne connaissance de ses auteurs, on pouvait penser que peu d’élèves présentaient les compétences requises.

81Si le calligramme est inadapté aux épreuves écrites, c’est à cause de son éviction progressive de la culture scolaire. Il n’est donc pas exclu que des candidats y recourent s’il fait partie de leur capital culturel. En revanche, un simple coup d’œil sur le protocole de l’épreuve orale prouve qu’il n’y a pas sa place. Elle commence par une lecture expressive qui « permet à l’examinateur de mesurer votre compréhension du texte ; respect de la structure, du rythme et du registre » (p. 568). Pour le calligramme, si cette lecture permet de vérifier la série de lectures silencieuses partielles qui ont été nécessaires pour (re)construire le texte et le comprendre, elle a plus de mal à faire partager à l’auditeur le plaisir ressenti à la reconstruction. En effet, reposant sur l’exploration de l’espace, il s’exprime mieux par le geste que par la voix18.

82Dans la liste des indices donnés au candidat pour guider son interprétation, ceux qui concernent le catalogage (genre, auteur, registre) et la communication (de quoi ça parle ? Qui parle ?) s’appliquent au calligramme comme à n’importe quel texte. La différence éclate quand on aborde la communication esthétique : « La fin de l’œuvre est-elle ouverte ou fermée ? L’œuvre suit-elle les codes traditionnels ? Affirme-t-elle sa modernité ? Quels buts l’auteur semble-t-il s’être fixés ? Quelle est la portée de cette œuvre ? Pourquoi est-elle encore lue aujourd’hui ? », (p. 574). Autant de questions que le calligramme déjoue car il a l’âge de l’écriture, son décodage est à la fois simple et complexe et son objectif à la fois représentationnel et métatextuel : faire (re)vivre la double aventure du dessin pariétal et du passage de l’image au signe. Bannir le calligramme de la préparation du baccalauréat, ce n’est donc pas éviter aux futurs bacheliers de mémoriser un savoir accessoire, c’est les priver d’un embrayeur de créativité et de communication esthétique irremplaçable.

Le calligramme, tensiomètre de la relation didactique

83La censure dont le calligramme est victime dans les manuels n’est pas uniquement imputable au complexe de supériorité qui demeure l’apanage du lycée où l’enseignant se définit traditionnellement comme un professeur de lettres pour se distinguer du professeur de français du collège. Elle ne s’explique pas non plus par l’iconoclastie endémique du monde enseignant, pour lequel l’image détourne la jeunesse de la lecture, quoiqu’elle joue, – nous l’avons vu – un grand rôle dans son apprentissage. La réponse est à chercher non seulement dans les manuels, mais dans leur environnement : l’école qui est leur cible commerciale, la société qui s’arrête au seuil de l’école tout en l’incluant, et les acteurs scolaires : élèves, enseignants, administratifs qui vont et viennent entre les deux. Cette conclusion factuelle en appelle donc une autre, plus réflexive, sur notre démarche heuristique et ses retombées didactiques, épistémologiques et socio-culturelles.

84Nous partirons de deux questions, l’une porte sur la méthode : « Quel intérêt y a-t-il à réaliser une monographie sur le traitement didactique d’un même objet tout au long de la scolarité ? » ; l’autre sur le choix de l’objet : « Pourquoi le calligramme ? ». La réponse se trouve à leur intersection. Garder le même thème met en valeur les différences, les reprises et l’évolution des manuels. Nous avons plongé dans la fabrique du manuel, ses arrière-plans financiers, politiques et socioculturels. Nous avons observé le fonctionnement des trois principes auxquels obéit l’intégration des extraits littéraires dans le discours du manuel. Deux ont été définis par G. Genette : l’intertextualité (toute citation d’un texte littéraire en appelle d’autres de textes comparables par le sens ou la forme, mais aussi de dictionnaires, textes historiques ou critiques), et l’hypertextualité (le texte étudié renvoie à des textes qu’il reprend et devient souvent embrayeur d’écriture,). Le troisième principe a été défini par N. Denisot qui a créé le terme ‘amphitextualité’ pour « décrire les relations que les textes entretiennent avec d’autres textes qui sont posés à côté d’eux19 ». On a vu combien l’environnement des calligrammes dans les manuels influait sur leur perception et leur définition. Denisot20 identifie trois processus d’appropriation par l’école d’un genre littéraire ou textuel. La secondarisation transforme un genre existant, scolaire ou pas, en « un genre disciplinaire autonome avec son fonctionnement et ses finalités propres ». C’est le cas des scriptoformes utilisés comme adjuvants de l’apprentissage grapho-phonique. La reconfiguration « réorganise les genres littéraires et textuels pour leur donner de nouvelles formes et de nouveaux enjeux ». Elle enrôle le calligramme dans les registres, en particulier lyrique et descriptif. La création invente un genre propre à l’école : c’est le cas du calligramme de schématisation didactique.

85Ces trois sous-genres calligrammatiques liées à l’alphabétisation enfantine, aux apprentissages scolaires et à l’apprendre à apprendre correspondent à la trilogie ‘enfant, élève, apprenant’ que Daunay et Fluckiger ont établie « pour mieux comprendre comment l’école envisage les relations entre l’enfant (comme sujet social), l’élève (comme sujet scolaire) et l’apprenant (comme sujet didactique)21 ». Si nous avons choisi d’étudier le calligramme dans les manuels, c’est que, tel un tensiomètre, il enregistrait avec précision les confusions, crispations, détentes et équilibres qui se produisaient entre ces trois instances. Il étend l’enfance au-delà de l’enfant, sans idéaliser ses capacités créatives, mais en retenant sa capacité de s’étonner sur la forme et la fonction du signe écrit. C’est pour l’élève un objet d’étude récurrent. Et il plonge au cœur des apprentissages en permettant de visualiser des référents abstraits comme l’organisation des savoirs ou leur structure.

86Nous avons parlé de l’école et de ses acteurs, nous terminons par la société. Si discrète qu’elle soit, la mention dans les manuels des usages non littéraires du calligramme ouvre une perspective sur ses usages sociaux, qui non seulement n’ont jamais cessé mais connaissent un regain d’intérêt grâce au développement de l’auto-formation sur internet. Tutoriels, logiciels graphiques pour créer des calligrammes, annonces de concours, expositions de travaux de classe, sites d’artistes qui travaillent souvent avec des scolaires accentuent le contraste entre une école où le calligramme disparaît des manuels à l’approche des examens et un web qui démultiplie les moyens de s’y former. Mais le calligramme n’existait-il pas bien avant l’école ?

Notes de bas de page numériques

1 Wikipedia, l’encyclopédie libre consultée le 18-7-2023.

2 https://www.linternaute.fr/dictionnaire/fr/definition/calligramme/ consulté le18-7-2023.

3 Vikidia, https://vikidia.org/viki/calligramme consultée le18-7-2023.

4 La littératie est définie par l’OCDE comme « l’aptitude à comprendre et à utiliser l’information écrite dans la vie courante […] en vue d’atteindre des buts personnels et d'étendre ses connaissances et ses capacités », Wikipedia, Littératie, consulté le 21-7-2023.

5 Nathalie Denizot, La scolarisation des genres littéraires (1802-2010), Berne, P.I.E. Peter Lang, 2013, p. 102.

6 Avec le même point de départ arbitraire : « il faut écrire le texte avant de lui donner une forme », le web pédagogique prévoit un temps d’adaptation : « une fois le poème écrit, on peut dessiner sur une feuille une forme assez simple pour être reconnaissable, […] placer par-dessus une feuille de papier-calque », et ouvre les deux options : « écrire le poème en suivant le contour ou au contraire en comblant les blancs », https://www.webpedago.com/media/file/ consulté le 18-8-2023.

7 Il fait partie de l’ensemble La figue, l’œillet et le bambou qui a subi des modifications successives : remplacement du bambou par une pipe à opium, puis de la figue par une mandoline (cf. Claude Debon, Calligrammes dans tous ses états, Clamart, Calliopée, 2008, p. 123-129).

8 Nicole Biagioli, « Approche interdidactique et analyse systémique des manuels de français après la réforme de l’APC en France » in A. Dias-Chiaruttini, et M. Lebrun (dir.), La question de la relation entre les disciplines scolaires : le cas de l’enseignement du français, Namur, Presses universitaires de Namur, 2019, p. 37-38.

9 Nathalie Denizot, La scolarisation des genres littéraires (1802-2010), op. cit., p. 83.

10 Cf. Apollinaire, Œuvres poétiques, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », Poèmes à Lou, p. 413.

11 Nous résumons l’extrait du Bulletin officiel spécial n°11 du 26-11-2015, publié dans Jardin des lettres, Français 3e (Magnard 2016), p. 4.

12 Titre du manifeste qu’il publie dans le Mercure de France, le 1er décembre 1918. Il y insiste sur le souci de renouveler les formes poétiques, mais aussi sur le sens de l’équilibre qui fait la force de la littérature française, la plus avancée selon lui, et condamne les « surenchères futuristes italiennes et russes, filles excessives de l’Esprit Nouveau ». Cf. L’Esprit nouveau et les poètes - Wikisource consulté le 5-9-2023.

13 Comme c’était le cas dans Fleurs d’encre Français 6e Hachette (p. 162) suite à l‘étude du calligramme d’Armand Bourgade représentant la Tour Eiffel.

14 Notre commentaire s’appuie sur la présentation de Claude Debon, Calligrammes dans tous ses états, op. cit, p. 94-95. L’ouvrage, édité en 2008, était consultable au moment où le manuel a été rédigé.

15 Cf. Apollinaire, Œuvres poétiques, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1996, p. 170. Pour l’historique, voir Claude Debon, Calligrammes dans tous ses états, op. cit., p. 60-63.

16 On songe à Circus de Maurice Roche (1972), dont l’action est générée par des variations scriptographiques autour du crâne (symbolique proche de celle de Balzac). Cf. Michel Sirvent « Variables scriptographiques dans Circus de Maurice Roche », Contemporary French and Francophonie Studies, Vol. 11, n°1, January 2007, p. 15-23, https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/ consulté le 3-9-2023.

17 Comme L’œille. Cf. Apollinaire, Œuvres poétiques, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », Calligrammes, p. 209 : « Que cet œillet te dise la loi des odeurs qu’on n’a pas encore promulguée et qui viendra un jour régner sur nos cerveaux bien + précise & subtile que les sons qui nous dirigent. Je préfère ton nez ô mon amie à tous tes organes Il est le trône de la future sagesse ». En lui appliquant le plan du commentaire composé du manuel, on obtient : I- la célébration de la femme (Lou), II- L’impuissance à rendre sa beauté par l’écriture (basée sur la transcription des sons et à laquelle il faudra substituer la loi des odeurs), III- Une réflexion sur les pouvoirs de la poésie calligrammatique qui exalte le rôle des sens dans la passion amoureuse en faisant parler une fleur qui symbolise à la fois de la vue (œil) et l’odorat.

18 C’est pourquoi de nombreux calligrammatistes contemporains recourent à la danse ou à la sculpture pour transposer leurs œuvres. Cf. N. Biagioli, E. Absalyamova, « Bruno Niver, poète, chanteur, comédien, calligrammatiste », Loxias n° 72, 2021, Les nouvelles tendances de la création calligrammatique. http://revel.unice.fr/loxias/index.html?id=9714 hal-04070683.

19 Nathalie Denizot, La scolarisation des genres littéraires (1802-2010), op. cit., p. 134. Si l’on prend ‘texte’ au sens large d’énoncé pourvu de sens, on peut inclure dans l’amphitexte les illustrations iconiques et sonores dont le rôle est prégnant dans les manuels.

20 Nathalie Denizot, La scolarisation des genres littéraires (1802-2010), op. cit., p. 263-265.

21 Cf. Bertrand Daunay, Cédric Fluckiger : « Enfant-élève-apprenant : une problématique didactique », Enfant, élève, apprenant, mars 2011, Recherches en didactique, n°11, p. 8.

Bibliographie

Corpus

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21- Joëlle Paul, Étude de la langue cycle 4, Paris, Bordas/Sejer, 2016, ISBN : 978-2-04-733355-6

22- Jardin des lettres, Étude de la langue, cycle 4, Paris, Magnard, 2016, ISBN : 978-2-210-10741-0

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27- L’envol des lettres Français 4e, Paris, Belin, 2016, ISBN : 978-2-7011-9739-5

28- C. Bertagna & F. Carrier, Fleurs d’encre Français 4e, Paris, Hachette éducation, 2016, ISBN : 978-2-01-395326-9

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30- C. Bertagna & F. Carrier, Fleurs d’encre Français 3e, Paris, Hachette éducation, 2016, ISBN : 978-2-01-395329-0

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32- La vie en toutes lettres Français 2de, Paris, Hatier, 2015, ISBN : 978-2-218-96202-8

33- Terres littéraires Français 1ère, Paris, Hatier, 2011, ISBN : 978-2-218-95329-3

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Études

Biagioli Nicole, « Approche interdidactique et analyse systémique des manuels de français après la réforme de l’APC en France » in A. Dias-Chiaruttini, et M. Lebrun (dir.), La question de la relation entre les disciplines scolaires : le cas de l’enseignement du français, Namur, Presses universitaires de Namur, 2019, p. 37-38.

Biagioli Nicole, Elina Absalyamova, « Bruno Niver, poète, chanteur, comédien, calligrammatiste », Loxias n° 72, 2021, Les nouvelles tendances de la création calligrammatique. http://revel.unice.fr/loxias/index.html?id=9714 , hal-04070683

Daunay Bertrand, Fluckiger Cédric, « Enfant-élève-apprenant : une problématique didactique », Enfant, élève, apprenant, Recherches en didactique, n°11, mars 2011, p. 7-15.

Debon Claude, Calligrammes dans tous ses états, Clamart, Calliopée, 2008.

Denizot Nathalie, La scolarisation des genres littéraires (1802-2010), Berne, P.I.E. Peter Lang, 2013.

Sirvent Michel, « Variables scriptographiques dans Circus de Maurice Roche », Contemporary French and Francophonie Studies, Vol. 11, n°1, January 2007, p. 15-23, https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/ consulté le 3-9-2023.

Pour citer cet article

Nicole Biagioli, « Le calligramme dans les manuels scolaires : objet d’étude ou outil didactique ?  », paru dans Loxias, 72., mis en ligne le 13 décembre 2023, URL : http://revel.unice.fr/loxias/index.html/index.html?id=10282.


Auteurs

Nicole Biagioli

Professeur émérite au Centre Transdisciplinaire d’Épistémologie de la Littérature et des Arts vivants à l’université Côte d’Azur, Nicole Biagioli a pratiqué le calligramme et l’a étudié d’un point de vue sémiotique et anthropologique comme pratique d’écriture dénudant le processus de lecture, et d’un point de vue didactique comme pratique d’écriture créative dans la sphère scolaire et périscolaire. Elle s’attache actuellement à en définir les contours génériques à travers les phénomènes culturels qui le traversent et qu’il suscite : transmission par l’école et les réseaux sociaux, métissage avec des genres connexes, appropriation par les discours de la politique et de la publicité, constitution d’une professionnalité d’artiste calligrammatique.

Université Côte d’Azur, CTELA