Loxias | 49. Charlot, ce poète ?

Chaplin et la poésie

Sous la direction de Sandrine Montin

15 juin 2015

C’est en 1914 que Charles Chaplin crée à Hollywood son personnage de Charlie, ou Charlot comme l’appellent bientôt Espagnols et Français. Le succès est immédiat. La production d’objets dérivés (bandes dessinées, poupées, jouets, livres) témoigne dès 1915 d’une véritable « chaplinmania », et Chaplin devient le comédien et le cinéaste le mieux payé du monde. Parallèlement, les avant-gardes artistiques et poétiques, notamment européennes, sont de plus en plus cinéphiles, et dans ces cercles pointus on manifeste un intérêt marqué pour le cinéma burlesque, notamment pour la figure devenue familière de Chaplin. Charlie (Charlot, Carlito…) incarne aux yeux de ses admirateurs le poète moderne par excellence et nombreux sont les poètes qui, au cours des deux décennies suivantes, lui consacrent essais et poèmes : Louis Aragon, Ricciotto Canudo, Yvan Goll, Blaise Cendrars, Jean Epstein, Hart Crane, Camille Goemans, Henry (sic) Michaux, Federico García Lorca, Rafael Alberti… Comme l’écrit Philippe Soupault dans la revue Europe du 15 novembre 1928, « Son comique, pourrait-on dire, est d’essence supérieure. Remarquons à ce propos que le comique d’essence supérieure est très proche de ce que nous appelons aujourd’hui poésie. »

Pourtant, comme chacun sait, Charlot ne parle pas. Le cinéaste et comédien continue même de résister au parlant bien après les premiers succès de films sonores, à commencer par celui du Jazz Singer en 1927, et il y a pour le moins un paradoxe dans cette invention d’un poète muet, qu’il s’agit de comprendre.