Loxias-Colloques |  12. Le Diversel
Universel ou « Diversel », Tout-Monde ou « Multivers » à l’œuvre dans la fiction caribéenne contemporaine
 |  L'Universel en question(s): de l'Universel paradoxal aux prémices du Tout-Monde 

Joséphine Marie  : 

Face au Tout-monde : l’universel en question dans les voix et les territoires multiples de El siglo de las luces d’Alejo Carpentier

Résumé

Face aux écrivains des Antilles francophones qui réinventent la forme romanesque, en faisant éclater les structures narratives, en plaçant l’identité dans l’ouverture, afin de mettre en lumière l’hybridité caribéenne fondatrice, les écrivains cubains prétendent davantage à l’universel. Il s’agit alors d’examiner les catégories mises à l’œuvre dans un roman d’Alejo Carpentier, El Siglo de las luces, en le confrontant au Tout-Monde d’Édouard Glissant. Le jeu des paroles polyphoniques, diffractées et fondues au sein de territoires en mosaïque, eux-mêmes rattachés à des pans de temporalités entrelacées, pour l’écriture singulière de l’histoire de la Révolution dans les colonies, nous mène à interroger l’opposition, à savoir la supposée fracture entre les visages de l’universel et le Tout-Monde.

Index

Mots-clés : Alejo Carpentier , écritures de l’Histoire et représentations, Édouard Glissant, études postcoloniales, fiction caribéenne, Tout-monde, universel

Géographique : Amérique hispanique , Antilles francophones, Antilles hispanophones, Cuba

Chronologique : période contemporaine , XXe siècle

Plan

Texte intégral

1Dans El siglo de la luces d’Alejo Carpentier (1962) et le Tout-monde d’Édouard Glissant (1993), les Antilles constituent le lieu de départ qui vient se rattacher, selon diverses modalités, à des ensembles plus vastes, le monde, des mondes, c’est à dire : le complexe Tout-monde multi-temporel ou atemporel pour Édouard Glissant et, a priori, le monde du XVIIIe siècle, le monde des Lumières, depuis les principes d’une universalité, toutefois questionnée, pour Alejo Carpentier.

2Les deux écrivains semblent alors nous proposer des visions distinctes, pour ne pas dire opposées, des valeurs relatives à ces parcours, à l’aide des instances de différentes natures qui en érigent le(s) récit(s). En effet, si les Caraïbes et autres confins du globe sont indifféremment traversés par une diversité d’espaces-temps qui se côtoient toujours, tantôt en se succédant, tantôt en s’entremêlant ou en s’entrechoquant, ce sont des écritures variées, des variantes de l’Histoire, que les œuvres nous donnent à voir, à lire ou à écouter. Le choix du point d’arrivée dans ces œuvres — des Antilles l’on revient aux Antilles avec Édouard Glissant, dans un mouvement circulaire, alors que le roman cubain nous fait partir de La Havane pour arriver à Madrid — est-il déjà, en cela, significatif ? En quoi serait-il le signe d’une différence fondamentale d’être au monde, de pensée et d’écriture ? La confrontation de ces textes mène-t-elle alors pour autant au constat d’une opposition, d’une fracture nette entre les visages de l’universel, tels qu’ils sont à l’œuvre dans la fiction d’Alejo Carpentier, et le tout-monde glissantien ? Que propose en définitive Alejo Carpentier, au moment de revenir à l’histoire d’un des temps fondateurs de l’expansion de la pensée universelle, dont l’héritage conceptuel européen a été, depuis, mis en exergue et dénoncé, par nombre d’écrivains caribéens, notamment Édouard Glissant et les auteurs du discours de l’Éloge de la créolité ?

3C’est en interrogeant d’abord les formes de la polyphonie telles qu’elles peuvent se manifester concrètement, puis les esthétiques des espaces et des paysages ouverts à des compréhensions multiples comme singulières, et enfin les formes de temporalités qui se répondent pour écrire nouvellement l’Histoire des Caraïbes, que nous verrons dans quelle mesure s’opèrent des continuités entre les deux œuvres narratives. Ce sont en effet des accointances insoupçonnées qui émergent du dialogue entre la mise en scène de ce prétendu idéal d’universel, finalement pris dans une forme de déconstruction, et le « sel de la diversité1 » d’Édouard Glissant, d’ailleurs prolongé dans le « diversel » d’un Patrick Chamoiseau.

« Prenons garde aux trop belles paroles », “Cuidémonos de las palabras hermosas

4Ces mots d’Esteban2, l’un des personnages d’Alejo Carpentier, pourraient résumer à eux seuls le roman de la désillusion qu’est El Siglo de las luces, histoire de l’échec de la Révolution, et de ses aberrations dans les colonies. Certes les instances discursives qui dirigent l’œuvre du Cubain renvoient à celles d’un roman de facture relativement classique, bien différent de ce qu’Édouard Glissant propose dans son Tout-monde. Les protagonistes sont construits de manière à être assez facilement identifiables et sont relativement étrangers à toute la diversité des populations et mondes caribéens et de leurs expériences. Ils nous en proposent une vision depuis le prisme de leur seule condition, extérieure, par exemple, au monde des esclaves noirs, au sein d’une narration apparemment linéaire, où le narrateur extradiégétique oriente le récit des événements dont le lecteur prend connaissance au fur et à mesure.

5Ce constat établi, est-ce à dire pour autant qu’il n’y a point « d’ouverture du texte dans la rupture d’une continuité » qui livrerait « l’accès à ce monde invisible que l’on n’atteint pas par la causalité aristotélicienne3 » ? Certes, point de déparleur, poète, chroniqueur, romancier, et autres instances de paroles non identifiables telles que nous les offre Glissant4. Nulle voix pour nous rappeler l’habitude des « sautes pratiquées5 » par le je non identifié qui parle ou déparle. Nul Mathieu Béluse pour nous inviter à nous défaire du fil, nous rappeler que les récits « sont des mélopées, et des traités de joyeux parlers, et des cartes de géographies, et de plaisantes prophéties, qui n’ont pas souci d’être vérifiées », ou encore nous inviter clairement à ramasser les « morceaux » de nos identités « qui se relaient6 », et faire tomber « en vaine prétention7 » les hiérarchies.

6Pourtant, dès le début de El Siglo de las luces, des voix s’éparpillent entre l’apparition non systématique d’épigraphes (principalement des citations de Goya8) et la vision d’Esteban qui s’exprime à la première personne, avant de laisser place à la trame romanesque assumée par le narrateur extradiégétique. Certes, toutes ces voix identifiées, et séparées au sein d’espaces textuels bien cloisonnés, semblent présenter une forme de convergence, en ce qu’elles servent une trame générale dont la finalité est de retracer l’histoire de l’échec révolutionnaire. Toutefois, les propos d’Esteban que nous avons initialement cités rappellent bien le jeu de mise à distance de tout discours et de toute pensée, en particulier de ceux de l’universalisme occidental dogmatique, dont on souligne la relativité, dont on nous dit qu’il est ineptie. Les dialogues, où se côtoient et s’entrechoquent les visions, se multiplient alors à loisir, montrant déjà les variations infinies du rêve imposé par cette pensée occidentale9. Ce rêve tend peut-être à se créoliser dans la figure d’Ogé, le guérisseur mulâtre Franc-Maçon, ou encore à se morceler dans le souhait d’Esteban, ridicule dans son excès de zèle révolutionnaire, de modifier (afin de ne pas heurter « l’esprit démocratique »), la chanson en créole Adieu foulard, à laquelle succède presque immédiatement une chanson de François Girouet10.

7Plus encore, l’absurdité de la pensée unique est mise en scène par le biais du décalage qui s’opère entre les mots, les actes et les situations. Ces décalages sont eux-mêmes relayés par les réflexions et la tournure d’esprit d’un Esteban qui, dans cet ensemble, serait peut-être la plus nette incarnation d’une forme « d’archipélisation de la sensibilité11 ». N’est-ce pas ce que suggère l’évocation de son esprit critique ? :

En aquellos últimos años, Esteban había asistido al desarrollo, en sí mismo, de una propensión crítica — enojosa, a veces, por cuanto le vedaba el goce de ciertos entusiasmos inmediatos, compartidos por los más — que se negaba a dejarse llevar por un criterio generalizado. […]. “Soy un discutidor -admitía, recordando lo que Víctor le había dicho unos días antes-. Pero discutidor conmigo mismo, que es peor”12.
Ces dernières années, Esteban avait assisté au développement, en lui-même, d’une propension critique (parfois irritante dans la mesure où elle lui interdisait la jouissance de certains enthousiasmes immédiats, partagés pour la plupart) qui refusait de se laisser porter par un critère généralisé. […]. « Je suis un discutailleur », admettait-il se rappelant ce que Victor lui avait dit quelques jours auparavant : « mais discutailleur avec moi-même, ce qui est pire »13.

8Enfin, le texte s’ouvre sur une polyphonie intertextuelle, qui va bien au-delà de la confrontation des traces laissées par la littérature européenne, dans l’esprit de Sofia et d’Esteban, au monde qu’ils découvrent au fur et à mesure14. La parole se libère donc sous ces formes variées, au sein d’un texte qui parle des textes, tout autant qu’il intègre, colle et réécrit d’autres textes et chansons, et où les dires, les langues (l’espagnol, le français, l’anglais et le créole) et les langages (par exemple celui de Victor Hugues “que se expresaba en una graciosa jerga, un tanto española y bastante francesa, entreverada de locuciones inglesas15” / « qui s’exprimait en un jargon comique, un peu espagnol et passablement français entremêlé de locutions anglaises16 »), paraissent se fréquenter inlassablement.

9La mise en scène initiale des nombreux travestissements de Carlos, d’Esteban, de Sofia et de Victor Hugues préfigure alors les fluctuations d’identités tout aussi mouvantes et versatiles que certaines paroles. Si, devenant femme au fil du parcours, Sofia suivra tout autant le chemin de la déception que celui de sa désaliénation17, que dire des multiples visages de Victor Hugues qui voudrait être celui qu’il n’est pas, ersatz de Robespierre, succession de multiples figures ?

Había mostrado una energía tenaz, casi sobrehumana, para abolir la esclavitud ocho años antes, y ahora mostraba la misma energía en restablecerla. Asombrábase la mujer ante las distintas enterezas de un hombre capaz de hacer el Bien o el Mal con la misma frialdad de ánimo. Podía ser Ormuz como podía ser Arimán ; reinar sobre las tinieblas como reinar sobre la luz. Según se orientaran los tiempos podía volverse, de pronto, la contrapartida de sí mismo18.
Il avait montré une énergie tenace, presque surhumaine, pour abolir l’esclavage huit ans auparavant, et à présent, il déployait cette même énergie pour le rétablir. La femme était stupéfiée par les actes contradictoires de fermeté d’un homme capable de faire le bien et le mal avec le même sang-froid. Il pouvait être Ormuz comme il pouvait être Ahriman ; régner sur les ténèbres comme régner sur la lumière. Selon l’orientation de l’époque il pouvait se convertir soudain en contrepartie de lui-même19.

10S’il ne s’agit ici pas d’une forme d’incarnation de l’errance et du déracinement à proprement parler, quoique, n’y trouverait-on pas cependant déjà une première variation des formes d’un Anestor « partagé entre au moins trois personnalités20 » ? Dans ce sens, l’étonnement d’Esteban sur le langage, « en ces îles », qui « avait dû utiliser l’agglutination, l’amalgame verbal et la métaphore, pour traduire l’ambigüité formelle des choses qui participaient à plusieurs essences21 » (“había tenido que usar de la aglutinación, la amalgama verbal y la metáfora, para traducir la ambigüedad formal de cosas que participaban de varias esencias22”), n’est pas sans faire écho aux jeux, en acte, des noms glissantiens qui nous dressent des Mycéas, Marie-Artémise, et autres Taël. Nous touchons là à l’un des éléments de l’esthétique du paysage carpentien sur laquelle nous reviendrons.

11La rupture de la continuité des formes et des discours, par la mise en œuvre des langages, est réaffirmée par l’ironie du sort. Esteban retrouvera des variations, ou traductions de ses traductions, lesquelles s’attachaient déjà plus à la langue qu’au contenu idéologique et à la lettre du texte, des années plus tard, une fois morte l’utopie révolutionnaire. La mise en abîme du processus de réécriture se fera ainsi conjointement à la mise en scène du principe de traduction dévoyé. La finalité initiale de circulation d’une parole qui devait être effective, par la traduction, ne survivra pas à la lutte des empires, comme l’annonçait déjà dans son « monologue décousu23 » (“descompasado monólogo24”) le colonel Martínez de Ballesteros, Espagnol acquis à la cause révolutionnaire, et pourtant victime de la persécution des étrangers d’abord mis à contribution, tout comme Esteban :

Mientras en París se entretenían disfrazando putas de Diosa Razón, perdían acá, por su incapacidad, por sus envidias, la gran oportunidad de llevar la Revolución a España. […]. ¡malditas las ganas que tienen ya de hacer una revolución universal ! No piensan sino en la Revolución Francesa. Y los otros… ¡que se pudran ! Todo, aquí, se está volviendo un contrasentido. Nos hacen traducir al español una Declaración de los derechos del Hombre, de cuyos diecisiete principios violan doce cada día. Tomaron la Bastilla para libertar a cuatro falsarios, dos locos y un maricón, pero crearon el presidio de Cayena, que es mucho peor que cualquiera Bastilla25
Pendant qu’à Paris ils s’amusaient à travestir des putains en déesse Raison, ils perdaient ici, à cause de leur incapacité et de leurs jalousies, la grande occasion de porter la révolution en Espagne. […] ils n’ont plus aucune envie de faire une révolution universelle ! Ils ne pensent qu’à la révolution française. Quant aux autres … qu’ils aillent se faire fiche ! Tout ici devient contresens. On nous fait traduire en espagnol une Déclaration des Droits de l’Homme dont ils violent chaque jour douze des dix-sept principes qu’elle contient. Ils ont pris la Bastille pour libérer quatre faussaires, deux fous et un pédéraste, mais ils ont créé le bagne de Cayenne, qui est bien pire que toutes les Bastilles26

12L’Espagnol ne se privera pas de tourner en ridicule une situation absurde où la Raison est érigée en système dépourvu de sens et d’esthétique : “Hasta la música está racionalizada27” (« Même la musique est rationalisée28 »), “Han llegado a creer a quien escriba una sonata falta a sus deberes revolucionarios. El mismo Grétry nos endilga La Caramañola al final de sus ballets para presumir de civismo29” (« Ils en sont venus à croire que celui qui écrit une sonate manque à ses devoirs révolutionnaires. Grétry lui-même nous envoie la Carmagnole à la fin de ses ballets pour se piquer de civisme30 »). La critique de la rationalité et la perte de sens de la métaphore lumineuse fissurent ainsi progressivement le récit, à mesure que la Machine vient à symboliser la force d’anéantissement de la Révolution, laquelle prolonge l’horrible condition de l’homme noir. Avec l’effet optique d’aplanissement généré par « la lumière d’une lanterne31 » (“a la luz de un farol32”), on ne verra plus que l’ombre des esclaves projetée sur la mer, alors qu’ils alignent la bascule et les montants de l’édifice de la mort « selon un plan déterminé33 » (“según un orden determinado34”). La guillotine que Victor Hugues, l’homme des toutes les terreurs, fait voyager dans les colonies, devient en effet l’objet paradigmatique du refus de toute véritable profondeur, de toute humanité animée, traçant, par-là, le chemin de la vacuité des mots qui annonçaient pourtant la liberté :

Lo que se organizaba allí era una proyección, una geometría descriptiva de lo vertical ; una perspectiva falsa, una figuración en dos dimensiones, de lo que pronto tendría altura, anchura y pavorosa profundidad. Con algo de rito proseguían los hombres negros su nocturnal labor de ensamblaje, sacando piezas, correderas, bisagras, de las cajas que parecían ataúdes : ataúdes demasiado largos, sin embargo, para seres humanos ; con anchura suficiente, sin embargo, para ceñirles los flancos, con ese cepo, ese cuadro, destinado a circunscribir un circulo medido sobre el módulo corriente de todo ser humano en lo que le va de hombro a hombro35.
Ce que l’on organisait là, c’était une projection, une géométrie descriptive de la verticale, une fausse perspective, une figuration sous deux dimensions de ce qui bientôt aurait une hauteur, une largeur et une terrifiante profondeur. Avec des gestes de sacrificateurs aztèques, les hommes noirs suivaient leur nocturne labeur d’assemblage, prenant des pièces, des courroies, des charnières, dans des caisses qui ressemblaient à des cercueils. Cercueils trop longs, toutefois, pour des êtres humains, d’une largeur suffisante, toutefois, pour ceindre leurs flancs, avec ce billot, ce carré destiné à circonscrire un cercle mesuré sur le module courant de tout être humain en ce qui va d’épaule à épaule36 .

13Dans ce développement du chapitre second, l’objet est présenté par Victor Hugues comme ce qui, avec l’imprimerie, permettra d’abolir l’esclavage dans le Nouveau Monde (la Guadeloupe), par la diffusion du décret du 16 pluviôse an II, lequel sera pourtant ensuite rétabli par le même homme. Celui-ci refusera d’ailleurs immédiatement toute altérité de la parole et de la pensée, refus concentré dans le souhait significatif de faire taire Esteban dans les mouvements de sa pensée et de sa langue : “No me vengas con refranes españoles37” (« Ne me sors pas des proverbes espagnols38 ») lui-dira-t-il ainsi, après avoir présenté ce qui est nécessaire à son œuvre. À rebours, la première ligne du roman, un énoncé du Zohar placé en épigraphe, “las palabras no caen en el vacío39” (« Les mots ne tombent pas dans le vide40 »), prend, par conséquent, toute sa charge ironique, d’autant qu’elle précède immédiatement la longue et première évocation de la guillotine par Esteban, avant que le roman historique ne débute. Fausses profondeurs, fausses perspectives, fausses paroles, hermosas palabras.

Visions des paysages : de la symbiose au Cercle pour « l’infinie variété du vivant »

14Si la mort de l’idéal révolutionnaire ne saurait marquer pour autant la fin d’un idéal pour l’humanité, en tous cas peut-être pour Esteban41, il semble toutefois que le roman d’Alejo Carpentier tende bien à révéler que c’est chose vaine, que « l’œuvre révolutionnaire n’était finalement qu’affaire de sémantique42 ». La parole, de surcroît lorsqu’elle est unique et dogmatique, échoue et l’on ne saurait s’y fier. Que reste-t-il alors ? Quelle(s) vérité(s) est ou sont-elles encore possible(s) ? Certainement, l’expérience de la traversée, les parcours dans la profondeur des paysages, qui valent pour eux-mêmes, en dehors de la logique aristotélicienne.

15La Martinique, point de départ d’Édouard Glissant, comme les confins de la Havane, point de départ de l’auteur cubain, ouvrent tout autant à l’exploration-traversée du reste de la Caraïbe, des Amériques, de l’Europe, du monde. Au sein du long parcours que nous propose El Siglo de las Luces, l’on pourrait croire que l’apparente linéarité de la chronologie et de l’évocation d’espaces qui se succèdent, et semblent s’exclure, s’oppose aux continuités-discontinuités temporelles et géographiques du Tout-Monde, où tout se mêle. C’est ainsi, par exemple, que le monde caribéen, présenté comme apparemment homogène et immuable, “un Trópico que, visto desde aquí, se hacia estático, agobiante y monótono, con sus paroxismos de color siempre repetidos43” (« Tropiques qui, vus d’ici, devenaient statiques, écrasants et monotone, avec leurs paroxysmes de couleurs toujours répétés44 »), émerge en opposition au paysage nouveau de l’Europe des Lumières :

Aquí, en las suntuosas matizaciones de un incipiente otoño que era portentosa novedad para quién venia de islas donde los arboles ignoraban el paso de lo verde a las sanguinas y las sepias, todo era alegría de banderas, florecer de cucardas y escarapelas, flores ofrecidas en las esquinas, leves rebozos y faldas de cívica ostentación, con rojos y azules prodigados a todo trapo. Esteban tenia la impresión — luego de tanto vivir en lo retirado y recoleto — de haber caído en una enorme feria, cuyos personajes y adornos hubiesen sido ideados por un gran intendente de espectáculos45.
Ici, dans les somptueuses couleurs d’un automne à son début, qui était une prodigieuse nouveauté pour qui venait d’îles où les arbres ignoraient le passage du vert aux sanguines et aux sépias, tout était allégresse de drapeaux déployés, épanouissement de cocardes, fleurs offertes aux coins des rues, patriotique exhibition de mantes légères et de jupes, dans une prodigalité effrénée de rouges et de bleus. Esteban avait l’impression, après avoir tant vécu dans un monde monotone et replié, d’être tombé dans une énorme foire, dont les personnages et les parures eussent été imaginés par un grand intendant des spectacles46.

16Mais le texte carpentien est évidemment loin de s’en tenir à une telle cartographie. Dans un premier temps, notons que la précédente description annonce l’inversion d’un regard occidental, depuis celui d’Esteban qui exotise le territoire en découverte, procédé récurrent de la fiction latino-américaine qui, sous de nombreuses formes, ne cessera de réécrire le texte de Colomb, palimpseste incontournable. Cela est tout à fait explicite dans le passage qui suivra :

[…] él, sacado repentinamente de sus modorras tropicales, tenia la impresión de hallarse en un ambiente exótico — ésa era la palabra —, de un exotismo mucho más pintoresco que el de sus tierras de palmeras y azúcares, donde había crecido sin pensar que lo visto siempre pudiera resultar exótico para nadie. Exóticos — exóticos de verdad — le resultaban aquí los mástiles y banderolas, las alegorías y enseñas ; los caballotes de anchas grupas, como sacados de un tiovivo imaginado por Paolo Uccello, tan distintos de los jamelgos huesudo y mañosos — buenos hijos de andaluces al fin — de su país47.
[…] lui, tiré tout à coup de ses torpeurs tropicales, avait l’impression de se trouver dans un milieu exotique — c’était le mot —, d’un exotisme beaucoup plus pittoresque que celui de son pays de palmiers et de canne à sucre, où il avait grandi sans penser qu’un spectacle habituel pût être exotique pour d’autres. Exotiques, vraiment exotiques étaient pour lui ici les mâts et les banderoles, les allégories et les drapeaux : les gros chevaux à vaste croupe, qu’on eût dit tirés d’un manège de chevaux de bois imaginé par Paolo Uccello, si différents des rosses osseuses et malingres, bonnes descendantes de leurs ancêtres andalous, en vérité, de son pays48.

17Par la suite, les signes viendront à s’inverser, annulant ainsi les hiérarchies établies par les jeux d’oppositions initiales, dans un texte-pensée labile : “A veces, Estaban era sorprendido en sus viajes a través de la hojarasca por algún aguacero, y entonces comparaba el joven, en su memoria auditiva, la diferencia que había entre las lluvias del Trópico y las monótonas garúas del Viejo Mundo49” (« Parfois Esteban était surpris dans ses voyages à travers le feuillage par quelque averse, et alors le jeune homme comparait, dans sa mémoire auditive, la différence qu’il y avait entre les pluies des Tropiques et les bruines monotones du Vieux Monde50 »).

18Le désir frappant de symbiose qui émerge des descriptions carpentiennes n’est pas sans rappeler le rêve d’universalité et de communion que l’on retrouve dans le projet révolutionnaire. Mais il est également le signe d’un mouvement continu de refonte des espaces, qui pourraient être ceux des sans lieu et la marque de la récréation des temps originels de l’indistinction, depuis les visions d’une infinité de vies confondues entre l’animal et le végétal. Le passage précédemment cité sur le langage émerge ainsi dans la description suivante :

Llevado al universo de las simbiosis, metido hasta el cuello en pozos cuyas aguas eran tenidas en perpetua espuma por la caída de jirones de olas, rotas, laceradas, estrelladas en la viviente y mordedora roca del “diente-perro”, Esteban se maravillaba el observar cómo el lenguaje, en estas islas, había tenido que usar de la aglutinación, la amalgama verbal y la metáfora, para traducir la ambigüedad formal de cosas que participaban de varias esencias51.
Transporté dans l’univers des symbioses, enfoncé jusqu’au cou dans des puits dont les eaux se recouvraient sans cesse d’écume en raison de la chute des lambeaux de vagues brisées, lacérées, écrasées contre la roche vivante et mordante de la « dent-de-chien », Esteban était rempli d’étonnement quand il remarquait que le langage, en ces îles, avait dû utiliser l’agglutination, l’amalgame verbal et la métaphore, pour traduire l’ambiguïté formelle de choses qui participaient à plusieurs essences52.

19L’écriture au sein de laquelle s’esquissent des espaces-temps divers ne saurait alors homogénéiser les paysages antillais. Elle établit finalement la variation dans le même, et le même dans la variation. Force est de constater que la variation des paysages caribéens, telle qu’elle est mise à l’honneur dans les géographies d’Alejo Carpentier, invite à une vision affinée des archipels. Nous entrons ainsi dans « une totalité non totalitaire, dont le détail et la multiplicité ne se perdent pas53 » avec ce panorama :

Poblado de islas, pero con la increíble particularidad de que eran islas muy pequeñas, como bocetos, proyectos de islas, acumulados allí como se acumulan los estudios, los esbozos, los vaciados parciales de estatuas, en el taller de un escultor. Ninguna de esas islas era semejante a la siguiente y ninguna era constituida por la misma materia54.
Peuplé d’îles, mais avec l’incroyable particularité que c’étaient des îles très petites, comme des esquisses, des projets d’îles, accumulées là comme on accumule les études, les ébauches, les moulures partielles de statues, dans l’atelier d’un sculpteur. Aucune de ces îles n’était semblable à la suivante et aucune n’était constituée de la même matière55.

20C’est là que se niche précisément, dans l’écriture s’attachant au détail, l’étonnement de la relation entre l’infime et la totalité, autrement dit cette « infinie variété du vivant56 » qui met à mal l’absolu universel occidental :

En medio de acontecimientos de una tal magnitud que rebasaba los poderes de información, medida y valoración del hombre corriente, era prodigiosamente divertido, de pronto, observar las transformaciones de un insecto mimético, los manejos nupciales de un escarabajo, una súbita multiplicación de mariposas. Nunca percibió tanto Esteban el interés de lo muy pequeño — titilación de renacuajos en un barril lleno de agua, brote de un hongo, hormigas que roían las hojas de un limonero dejándolo como encaje — como en esos tiempos llevados hacia lo universal y desmedido57.
Au milieu d’évènements d’une grandeur telle qu’elle dépassait les pouvoirs de l’information, de mesure et de valorisation de l’homme courant, il était prodigieusement amusant, tout à coup, d’observer les transformations d’un insecte mimétique, les manèges amoureux d’un scarabée, une subite prolifération de papillons. Jamais Esteban ne perçut autant qu’en ce siècle porté à l’universel et à la démesure l’intérêt qu’offrent les êtres tout petits — titillation de têtards dans un baril plein d’eau ; germination d’un champignon, fourmis qui rongeaient les feuilles d’un citronnier, les réduisant à l’état de dentelle58.

21À l’image des gouttes d’eau « mille fois divisées, fractionnées, nébulisées, par les différents étages de la masse végétale59 » (“mil veces divididas, fraccionadas, nebulizadas, por los distintos pisos de la masa vegetal60”), la multiplicité des paysages antillais initiaux servira finalement de point de repère à tous les espaces qui se fonderont les uns dans les autres. Ainsi, Crête, Méditerranée et Antilles se retrouvent d’abord symboliquement dans le fruit61, comme si ce dernier annonçait le figuier-banian-rhizome glissantien « qui déracinait dans les temps écoulés ou à venir62 », marquant la relation et signifiant « la même désordonnance du chaos, sous des espèces identiques et dissemblables63 ». Le roman d’Alejo Carpentier laisse ensuite place à la vision d’une civilisation méditerranéenne « prolongée dans cette Méditerranée caraïbe, où se poursuivait la confusion des traits commencée, il y avait de nombreux millénaires, dans l’enceinte des peuples de la mer64 » (“prolongada en este Mediterráneo Caribe, donde proseguíase la Confusion de Rasgos iniciada, hacía mucho milenios, en el ámbito de los Pueblos del Mar65”), tandis que le chapitre sixième s’ouvre sur une Mer Caraïbe similaire à la Mer Première de la création faite « d’une matière en fusion66 » (“de una materia en fusión67”) et de « valeurs d’infini68 » (“valores de infinito69”). Et c’est bien l’image de Cayenne, où « tous les verts du monde semblaient s’être intégrés en un seul paysage70 » (“Los verdores del mundo parecían haberse integrado en un solo paisaje71”), que perçoit Sofia à la fin du roman, lequel mettra en scène l’homme voulant « manifester son infime présence dans une étendue végétale qui était, d’un océan à l’autre, comme une image de l’éternité72 » (“manifestar su presencia ínfima en una extensión de verdores que era, de Océano a Océano, como una imagen de la eternidad73”).

22« La poétique du buccin de la Méditerranée Caraïbe », selon l’expression de Dominique Diard74 et telle qu’elle est mise en lumière par elle, comme l’ensemble des visions ici exposées, ne rappellent-elles pas les fulgurances de Béluse et Targin (le grand tournillonneur) dans un Tout-Monde où les terres se rejoignent75, où le Cambodge et le Laos sont « grands comme cinq mille Martiniques76 », « monde entier » au sein duquel Béluse ne peut vieillir et où « le temps s’est égaré77 », où la transformation de son esprit et de sa sensibilité œuvrent à une « mise en relation », dans un « voyage organisé, une rupture d’horizons, dont il saurait plus tard ce qu’il pourrait bien en faire78 » ? Comment ne pas nous-mêmes mettre en relation le Tout-Monde de cet « espace de temps qui ombrait le temps et oubliait l’espace79 », par exemple compris dans l’image de la Grotte des poètes, ou dans celle des eaux qui réunissent80, le Tout-monde de ces odeurs où est peut-être enfouie la connaissance dans les temps qui roulent « en vagues81 », avec les espaces carpentiens précédemment décrits, au sein desquels peut surgir la vision d’«  une délicieuse senteur de bois mouillées, de terre abandonnée au humus et aux sèves82 » (“un deleitoso olor a bosques mojados, a tierra entregada a humus y savias83”), qui monte « vers l’odorat universel84 » (“se expandía hacia el universal olfato85”), l’universel devenant alors porteur d’une charge nouvelle.

23Ces deux œuvres offrent bien les récits de ceux « qui pouvaient mettre en relation des paysages si éloignés, — comme de son côté le faisait sans doute Artémise, — lesquels se touchent par des allures évanescentes et par la même douloureuse profondeur86 ». Ce que vit Esteban ne semblerait donc pas si étranger à l’expérimentation de Béluse, dans ce dialogue avec Longoué :

− […] N’avez-vous pas songé qu’un jour vous allez détracer le Tout-monde et encontrer combien de pays et les parcourir dans leur paysage et leur figuration et les mettre ensemble, pour apprendre enfin comment la terre vient dans l’eau et le soleil dans la nuit ? Est-ce que vous aurez connu le temps qui a venté sur vous, tant que vous n’avez pas mêlé ces pays ?
− Ah bon, dit carrément Mathieu je ne pensais pas, ou bien plutôt l’idée ne m’était pas venue que je pouvais penser, que voyager au loin pour, comme vous dites, mélanger des pays, vous procurait la connaissance du temps qui passe87.

24À cela, Longoué rétorquera que le temps ne passe car il est « trou-bouillon » et « tourne en rond comme un citron »88. Dans ces histoires alors rondes « comme la terre89 », la traversée du paysage détruit et toujours renouvelé, recréé dans un temps suspendu, offre des forces nouvelles, tout comme l’évocation de la tempête tropicale de El Siglo de las luces : “Cuando Esteban volvía de tales andanzas regresando a Pointe-à-Pitre, se sentía ajeno a la época ; forastero de un mundo sanguinario y remoto, donde todo resultaba absurdo90” (« Lorsque Esteban était de retour à Pointe-à-Pitre après de telles épopées, il se sentait étranger à l’époque ; étranger en un monde sanguinaire et lointain, où tout était absurde91 »).

25Aussi, les traces que porte alors le paysage peuvent-elles de la sorte émerger comme autant de formes d’accès à des connaissances ou, plutôt, à des compréhensions insoupçonnées, guidant les réécritures des récits divers, des histoires, de l’Histoire, notamment celle de la Conquête et de Colonisation. Pensons, dans le cas d’Alejo Carpentier, à la diversité des plages « où la mer, trois siècles après la découverte, commençait à déposer ses premiers verres polis, verres inventés en Europe, inconnus en Amérique […] qui commençaient à présent à monter sur la terre92 » (“donde el Mar, tres siglos después del Descubrimiento, comenzaba a depositar sus primeros vidrios pulidos ; vidrios inventados en Europa, desconocidos en América […], y ahora empezaban a subir a la tierra93”), aux plages jaunes « à la pente changeante, où chaque flux laissait la trace de son arabesque, lissant constamment le sable pour recommencer ses dessins94 » (“de tornadiza pendiente, donde cada flujo dejaba la huella de su arabesco, en un constante alisar para volver a dibujar95”).

« Nous oublions trop vite les morts », "Desmasiado pronto nos olvidamos de los muertos"

26C’est explicitement que le texte glissantien mélange les temporalités96 (par exemple celles des temps de l’Habitation et celles du XXe siècle — années 80, crash du Boeing d’Air France de 1962 au-dessus de la Guadeloupe ou encore guerres d’Indochine et d’Algérie), alors que le texte du Cubain se concentre a priori sur les événements de la période révolutionnaire. Mais, contre la guillotine de l’histoire, l’histoire coupée, guillotinée, c’est bien dans les deux écrits qu’émerge le paysage du temps suspendu et des temps mêlés.

27On le trouve dès les propos liminaires d’Esteban qui, avant de livrer la vision de la porte sans-battant de la guillotine, rappelle, face à l’océan « suspendu entre un hier et un demain qui se fussent déplacés en même temps que nous97 » (“entre un ayer y un mañana que se trasladaran con nosotros98”), les « Temps immobiles entre l’Etoile Polaire, la Grande Ourse et la Croix du Sud99 » (“Tiempo detenido entre la Estrella Polar, la Osa Mayor y la Cruz del Sur100”). Le protagoniste se demande alors :

[…] ignoro, pues no es mi oficio saberlo, si tales eran las constelaciones, tan numerosas que sus vértices, sus luces de posición sideral, se confundían, se trastrocaban, bajando sus alegorías, en la claridad de un plenilunio, empalidecido por la blancura del Camino de Santiago101
J’ignore car ce n’est pas mon métier de le savoir, si telles étaient les constellations, si nombreuses que leurs sommets, leurs feux de position sidérale, se confondaient, s’inversaient, mêlant leurs allégories, dans la clarté d’une pleine lune pâlie par la blancheur si prodigieuse, si bien recouvrée en cette seconde, du chemin de Saint Jacques102

28Finalement, les temporalités paysagères de l’écriture nouvelle de cette histoire méconnue de la révolution dans les colonies, à Cuba, en Guadeloupe ou en Guyane, se dressent comme un écho à l’allusion, non sans humour, du « corps sans tête » qu’est l’histoire antillaise d’Édouard Glissant :

C’est un corps sans tête, notre histoire, tout comme la statue de Joséphine I. D. F (Impératrice des Français, et non point, remarquez, de France) que des intrépides, en quête d’histoire et qui par là même en voulaient à l’Histoire, ont décapitée dans une de ces allées de la Savane à Fort de France […]. Et c’était dans l’acharnement à crier leur histoire, qui pour eux est encore éternité, c’est-à-dire, comme pour nous tous, vacance. Et comme ils pressentaient ces décabosseurs, que la tête décollée de Joséphine d’en aucune façon ne leur fournirait un chef d’histoire, et pas même par antithèse, ils l’ont enterrée quelque part cette tête, dans un cache ou une boue103.

29Sofia dit-elle autre chose à la fin du roman, lorsqu’elle répond à Victor qui affirme que « la Révolution a fait perdre la tête à plus d’un104 » (“la Revolución ha trastornado a más de uno105) faisant ainsi revenir le motif initial de la guillotine dans un mouvement circulaire ? : “Es esto, acaso, lo magnífico que hizo la Revolución : trastornar a más de uno106 (« C’est ça peut-être, la chose magnifique accomplie par la Révolution : faire perdre la tête à plus d’un107 »), “Ahora sé lo que debe rechazarse y lo que debe aceptarse108”, (« Je sais maintenant ce qu’il faut repousser et ce qu’il faut accepter109 »).

30L’abolition de la chronologie unique s’esquisse également dans le refus de se plier à l’organisation habituelle des activités diurnes et nocturnes que manifestent Sofia, Carlos et Esteban, adolescents livrés à eux-mêmes au début du roman et se livrant alors à l’exploration d’une maison transformée en monde, pourrions-nous dire Tout-Monde ? Le calendrier révolutionnaire refusé participe de la juxtaposition et de l’entrechoc de ces chronologies, tout comme les pans de l’histoire du marronnage qui se dressent conjointement, en contre-point, dans la réécriture carpentienne “Los negros no los esperaron a ustedes para proclamarse libres un numero incalculable de veces110” (« Les nègres ne vous ont pas attendu pour proclamer leur liberté un nombre incalculable de fois111 »), dira Sieger. Bien qu’à travers la voix du narrateur extradiégétique et exogène au monde ici décrit, le récit donne à voir les esclaves fugitifs qui remontent alors eux-mêmes le cours de l’histoire dans l’épopée marronne :

En su fuga, arrojaban semillas de barbasco en los arroyos y riachuelos […]. Más allá de aquel torrente, de aquella montaña vestida de cascadas, empezaría el África nuevamente ; se regresaría a los idiomas olvidados, a los ritos de circuncisión, a la adoración de los Dioses Primeros, anteriores a los Dioses recientes del Cristianismo. Cerrábase la maleza sombre hombres que remontaban el curso de la Historia, para alcanzar los tiempos en que la Creación fuese regida por la Venus Fecunda, de grandes urbes y ancho vientre, adorada en cavernas profundas donde la Mano balbuceara, en trazos, su primera figuración de los quehaceres de la caza y de las fiestas dadas a los astros112
Dans leur fuite, ils jetaient des graines de bouillon-blanc dans les rivières et les ruisseaux […]. Au-delà de tel torrent, de telle montagne striée de cascades, l’Afrique recommencerait ; on retournerait aux langues oubliées, aux rites de la circoncision, à l’adoration des premiers dieux, antérieurs aux dieux récents du christianisme. La brousse se refermait sur des hommes qui remontaient le cours de l’histoire, pour atteindre les temps où la création était régie par la Vénus féconde, aux grandes mamelles et au ventre large, adorée dans des cavernes profondes où la main avait balbutié en traits grossiers sa première figuration des besognes domestiques et des fêtes données en l’honneur des astres113

31C’était d’ailleurs un temps circulaire qui apparaissait déjà dans la présentation du mythe de la terre promise. L’évocation du monde meilleur débouche sur la vision d’un malaise qui se répète dans le paysage, avec « les nombreux augures de la fin des temps, qui avaient tant proliféré en ce siècle si long qu’il était aussi chargé d’actions que plusieurs siècles réunis114 » (“los muchos augures del Fin de los Tiempos que tanto habían proliferado en este siglo, tan prolongado que totalizaba la acción de varios siglos115”), et qui, dans l’esprit d’Esteban, prendra la forme tout à fait significative d’un tremblement de terre.

Conclusion

32Tracé à grands traits, ce bref parcours à travers quelques bribes de El Siglo de las luces, que nous avons croisées avec les paroles du Tout-monde, nous a permis d’interroger certains des visages de l’universel à l’œuvre dans la fiction des années soixante de l’auteur cubain. Au fil des traversées et séjours d’Esteban et de Sofia, nous y voyons indéniablement que la mise en scène de la pensée de l’universel, en l’occurrence celle que portait la Révolution, révèle bien à quel point cette dernière « prodigieuse, somptueuse mais souvent mortelle, magnifique et trompeuse création des cultures occidentales » a bien servi « de moteur aux colonisations, à l’expansion du monde occidental », pour reprendre ici les mots d’Édouard Glissant116.

33Auteur de cette œuvre sur le grand siècle de l’universalisme qu’il questionne, Alejo Carpentier n’était-il finalement pas déjà ce romancier glissantien qui nous livre ses réflexions, face au dialogue auquel il assiste entre Rocamarron-Rochebrune, autrement appelé Roca, et de Mathieu Béluse ? : « Leur dispute de mots ne m’apparaissait pas plus étrange ni défilée que ce travail à quoi je m’applique, de mettre ensemble des visions différentes, sans chercher l’ordre ni quelle logique de la chose117 ». N’oublions pas, d’ailleurs, que si le Tout-monde révèle, dans une certaine mesure, la stérilité de la forme romanesque, héritage européen, Édouard Glissant rappelle, tant dans Le Discours antillais que dans l’œuvre qui nous occupe, qu’il est nourri des visions éclairantes d’Alejo Carpentier, notamment de celle du Partage des Eaux, qu’il cite explicitement118.

34Il nous semble donc, qu’au-delà d’une stricte opposition entre un « universel » carpentien, s’il en est, et le Tout-monde glissantien, des formes de continuités discontinues s’instaurent, dans le dialogue entre ces deux œuvres. L’universel de Carpentier ne serait-il pas alors plutôt une forme d’universel « existentiel » qui n’annule en rien la dimension plurielle des identités polymorphes ? Nous revenons sur la citation de El Siglo de las luces qui a servi de titre au premier temps de la réflexion, pour la compléter : “Cuidémonos de las palabras hermosas ; de los Mundos Mejores creados por las palabras. […]. No hay más Tierra Prometida que la que el hombre puede encontrar en si mismo119” (« Prenons garde aux trop belles paroles ; aux mondes meilleurs créés par les mots. […]. Il n’y a pas d’autre terre promise que celle que l’homme peut trouver en lui-même120 »). L’entrechoc et la succession des voix et surtout des territoires du Cubain, en particulier ceux d’une Caraïbe différenciée et démultipliée ou remultipliée, nous annoncent bien les fulgurances de la diversité et de la multiplicité des paysages d’Édouard Glissant, qui se perdent pour se retrouver. Tous sont autant de traces des temporalités qui s’entremêlent, au service de la, ou plutôt, des réécriture(s) de l’Histoire tronquée ou décapitée. Celles-ci, au gré des mouvements, ne cessent de déplacer et de renouveler notre regard, lequel ne peut alors qu’entrer en Relation et se décentrer.

Notes de bas de page numériques

1 Édouard Glissant, Tout-monde, [1993], Gallimard, Collection Folio, Paris, 2011, pp. 324-325.

2 Alejo Carpentier, Le Siècle des Lumières, [1962], Gallimard, Collection Folio, Paris, 2013, p. 350. Pour faciliter la lecture de l’article, toutes les citations traduites de l’œuvre d’Alejo Carpentier seront extraites de la traduction française de René L. F. Durant pour Gallimard. Alejo Carpentier, El Siglo de las luces, [1962], Alianza Editorial, Madrid, 2006, p. 277.

3 Réflexion d’É. Glissant, reprise par Dominique Diard, dans le cadre de la Journée d’études Universel ou « diversel », Tout-Monde ou « Multivers » à l’œuvre dans la fiction caribéenne contemporaine (de la seconde moitié du XXe siècle et d’aujourd’hui), Université de Caen Normandie, le 7 avril 2017.

4 Comme le rappelle l’une des instances discursives du paratexte (s’il en est, car cette catégorie est, elle-même, sujette à caution), intitulé « SUR LES NOMS » : « Le déparleur, le poète, le chroniqueur, le romancier, ne gagez pas que c’est l’auteur du livre, vous vous tromperiez à coup sûr », Édouard Glissant, Tout-monde, op. cit., p. 606.

5 Voir, par exemple, l’allusion explicite à ce sujet, Édouard Glissant, Tout-monde, op. cit., p. 582.

6 Édouard Glissant, Tout-monde, op. cit., p. 71.

7 Édouard Glissant, Tout-monde, op. cit., p. 185.

8 Sur les 15 épigraphes, 13 sont des citations de Goya. À notre sens, ce choix est tout à fait significatif. El Sueño de la razón produce monstruos (1797), l’une de ses œuvres les plus célèbres, met en scène la disparition de la Raison. Il s’agit d’une notion qu’interroge également Alejo Carpentier tout au long du roman, même si celui-ci ne fait aucune allusion directe à cette gravure. Goya proposait certes une critique de la société espagnole, mais, dans son ensemble, son œuvre se présente comme un écho aux questionnements sur les fonctions et la place de la Raison en cette fin de 17e siècle agitée, en particulier durant la Révolution française qu’il a d’ailleurs soutenue mais qui semblerait l’avoir également déçu.

9 Voir, par exemple, la forme et la teneur des débats exposés dans le chapitre premier, partie IX, Alejo Carpentier, El Siglo de las luces, op. cit., pp. 72-78, et, pour la traduction, voir Le Siècle des Lumières, op. cit., pp. 97-104.

10 Alejo Carpentier, El Siglo de las luces, op. cit., pp. 149-150, Le Siècle des Lumières, op. cit., pp. 191-193.

11 Formule d’Édouard Glissant, reprenant et présentant Philosophie de la Relation, lors de la conférence inaugurale du congrès de la SHF (Société des Hispanistes Français de l’Enseignement Supérieur) le 14 mai 2009, retranscrite par Renée-Clémentine Lucien (Université de Paris Sorbonne) in Cultures lusophones et hispanophones : penser la Relation, Maria Graciete Besse (dir.), Paris, Indigo & Côté Femmes, 2010, p. 14-15.

12 Alejo Carpentier, El Siglo de las luces, op. cit., pp. 136-137.

13 Alejo Carpentier, Le Siècle des Lumières, op. cit., pp. 175-176.

14 Voir Dominique Diard, « La mer Caraïbe espace de désir et de perte dans l’œuvre d’Alejo Carpentier) », in Michèle Dalmace (dir.), La mer Caraïbe, espace de migrations, Presses Universitaires de Bordeaux, pp. 147-148.

15 Alejo Carpentier, El Siglo de las luces, op. cit., p. 33.

16 Alejo Carpentier, Le Siècle des Lumières, op. cit., p. 48.

17 Alejo Carpentier, El Siglo de las luces, op. cit., p. 359/ Le Siècle des Lumières, op. cit., p. 450.

18 Alejo Carpentier, El Siglo de las luces, op. cit., p. 343. Les mots d’Esteban, avant que ne débute le roman, annoncent ces processus de transformation, voir El Siglo de las luces, op. cit., pp. 9-10/ Le Siècle des Lumières, op. cit., pp. 17-19. 

19 Alejo Carpentier, Le Siècle des Lumières, op. cit., pp. 430-431.

20 Édouard Glissant, Tout-monde, op. cit., p. 463.

21 Alejo Carpentier, Le Siècle des Lumières, op. cit., p. 242.

22 Alejo Carpentier, El Siglo de las luces, op. cit., p. 189.

23 Alejo Carpentier, Le Siècle des Lumières, op. cit., p. 153.

24 Alejo Carpentier, El Siglo de las luces, op. cit., p. 118.

25 Alejo Carpentier, El Siglo de las luces, op. cit., p. 118.

26 Alejo Carpentier, Le Siècle des Lumières, op. cit., p. 153.

27 Alejo Carpentier, El Siglo de las luces, op. cit., p. 119.

28 Alejo Carpentier, Le Siècle des Lumières, op. cit., p. 154.

29 Alejo Carpentier, El Siglo de las luces, op. cit., p. 119.

30 Alejo Carpentier, Le Siècle des Lumières, op. cit., p. 154.

31 Alejo Carpentier, Le Siècle des Lumières, op. cit., p. 171.

32 Alejo Carpentier, El Siglo de las luces, op. cit., p. 133.

33 Alejo Carpentier, Le Siècle des Lumières, op. cit., p. 171.

34 Alejo Carpentier, El Siglo de las luces, op. cit., p. 132.

35 Alejo Carpentier, El Siglo de las luces, op. cit., p. 133.

36 Alejo Carpentier, Le Siècle des Lumières, op. cit., p. 171.

37 Alejo Carpentier, El Siglo de las luces, op. cit., p. 133.

38 Alejo Carpentier, Le Siècle des Lumières, op. cit., p. 172/ El Siglo de las luces, op. cit., p. 133.

39 Alejo Carpentier, El Siglo de las luces, op. cit., p. 9.

40 Alejo Carpentier, Le Siècle des Lumières, op. cit., p. 17.

41 « Cette fois-ci la révolution a échoué. La prochaine sera peut-être la bonne », Alejo Carpentier, Le Siècle des Lumières, op. cit., p. 351/ El Siglo de las luces, op. cit., p. 278.

42 Dominique Diard, « La mer Caraïbe espace de désir et de perte dans l’œuvre d’Alejo Carpentier », op. cit., pp. 150-151.

43 Alejo Carpentier, El Siglo de las luces, op. cit., p. 98 

44 Alejo Carpentier, Le Siècle des Lumières, op. cit., p. 129.

45 Alejo Carpentier, El Siglo de las luces, op. cit., pp. 98-99.

46 Alejo Carpentier, Le Siècle des Lumières, op. cit., p. 130.

47 Alejo Carpentier, El Siglo de las luces, op. cit., pp. 99-100.

48 Alejo Carpentier, Le Siècle des Lumières, op. cit., p. 131.

49 Alejo Carpentier, El Siglo de las luces, op. cit., p. 176.

50 Alejo Carpentier, Le Siècle des Lumières, op. cit., p. 224.

51 Alejo Carpentier, El Siglo de las luces, op. cit., p. 189.

52 Alejo Carpentier, Le Siècle des Lumières, op. cit., pp. 241-242.

53 Édouard Glissant, Philosophie de la Relation, Gallimard, Paris, 2009, p. 112.

54 Alejo Carpentier, El Siglo de las luces, op. cit., p. 208.

55 Alejo Carpentier, Le Siècle des Lumières, op. cit., p. 264.

56 Patrick Chamoiseau, Les neuf consciences du malfini, Paris, Gallimard, 2009, p. 228, déjà cité dans le titre de cette partie.

57 Alejo Carpentier, El Siglo de las luces, op. cit., p. 173.

58 Alejo Carpentier, Le Siècle des Lumières, op. cit., p. 220.

59 Alejo Carpentier, Le Siècle des Lumières, op. cit., p. 225.

60 Alejo Carpentier, El Siglo de las luces, op. cit., p. 177.

61 Alejo Carpentier, Le Siècle des Lumières, op. cit., p. 224/ El Siglo de las luces, op. cit., pp. 175-176.

62 Édouard Glissant, Tout-monde, op. cit., pp. 63-64.

63 Édouard Glissant, Tout-monde, op. cit., pp. 63-64.

64 Alejo Carpentier, Le Siècle des Lumières, op. cit., p. 249.

65 Alejo Carpentier, El Siglo de las luces, op. cit., p. 195.

66 Alejo Carpentier, Le Siècle des Lumières, op. cit., p. 399.

67 Alejo Carpentier, El Siglo de las luces, op. cit., p. 317.

68 Alejo Carpentier, Le Siècle des Lumières, op. cit., p. 399.

69 Alejo Carpentier, El Siglo de las luces, op. cit., p. 317.

70 Alejo Carpentier, Le Siècle des Lumières, op. cit., p. 411.

71 Alejo Carpentier, El Siglo de las luces, op. cit., p. 327.

72 Alejo Carpentier, Le Siècle des Lumières, op. cit., p. 434.

73 Alejo Carpentier, El Siglo de las luces, op. cit., p. 346.

74 « Le buccin ouvrirait ainsi la spirale du destin humain à de plus amples temporalités car, à la différence de la spirale, chacune de ses volutes gagne en amplitude dans l’ouverture aux possibles », Dominique Diard, « La mer Caraïbe espace de désir et de perte dans l’œuvre d’Alejo Carpentier », op. cit., p. 152.

75 Voir Édouard Glissant, Tout-monde, op. cit., p. 94 où se trouve concentrée l’image de l’infinité des espaces.

76 Édouard Glissant, Tout-monde, op. cit., p. 338.

77 Édouard Glissant, Tout-monde, op. cit., p. 48.

78 Édouard Glissant, Tout-monde, op. cit., p. 54.

79 Édouard Glissant, Tout-monde, op. cit., p. 55.

80 Édouard Glissant, Tout-monde, op. cit., pp. 262-263 et p. 278.

81 Édouard Glissant, Tout-monde, op. cit., p. 120.

82 Alejo Carpentier, Le Siècle des Lumières, op. cit., p. 224.

83 Alejo Carpentier, El Siglo de las luces, op. cit., p. 176.

84 Alejo Carpentier, Le Siècle des Lumières, op. cit., pp. 224-225.

85 Alejo Carpentier, El Siglo de las luces, op. cit., p. 176.

86 Édouard Glissant, Tout-monde, op. cit., p. 194.

87 Édouard Glissant, Tout-monde, op. cit., p. 207.

88 Édouard Glissant, Tout-monde, op. cit., p. 207.

89 Il est fait référence ici à la citation de La Araucana, placée en épigraphe de la troisième « séquence » du Tout-monde, et à l’image du grand Cercle, voir Édouard Glissant, Tout-monde, op. cit., p. 485 et 555.

90 Alejo Carpentier, El Siglo de las luces, op. cit., p. 177.

91 Alejo Carpentier, Le Siècle des Lumières, op. cit., pp. 225-226.

92 Alejo Carpentier, Le Siècle des Lumières, op. cit., p. 240.

93 Alejo Carpentier, El Siglo de las luces, op. cit., p. 188.

94 Alejo Carpentier, Le Siècle des Lumières, op. cit., p. 240. Selon Dominique Diard c’est d’ailleurs l’ensemble des romans d’Alejo Carpentier que l’on peut considérer « comme des laboratoires où s’expérimentent les enjeux de l’Histoire autant que se dessinent et prennent forme les désirs qui permettent d’en changer ou d’en rectifier le cours », « La mer Caraïbe espace de désir et de perte dans l’œuvre d’Alejo Carpentier », op. cit., p. 142.

95 Alejo Carpentier, El Siglo de las luces, op. cit., p. 188.

96 « Nous oublions trop vite les morts » : il s’agit ici encore des mots d’Esteban, A. Carpentier, Le Siècle des Lumières, op. cit., p. 350. « Desmasiado pronto nos olvidamos de los muertos », Alejo Carpentier, El Siglo de las luces, op. cit., p 277.

97 Alejo Carpentier, Le Siècle des Lumières, op. cit., p. 17.

98 Alejo Carpentier, El Siglo de las luces, op. cit., p. 9.

99 Alejo Carpentier, Le Siècle des Lumières, op. cit., p. 17.

100 Alejo Carpentier, El Siglo de las luces, op. cit., p. 9.

101 Alejo Carpentier, El Siglo de las luces, op. cit., p. 9.

102 Alejo Carpentier, Le Siècle des Lumières, op. cit., p. 17.

103 Édouard Glissant, Tout-monde, op. cit., pp. 17-18.

104 Alejo Carpentier, Le Siècle des Lumières, op. cit., p. 448/ El Siglo de las luces, op. cit., p. 357.

105 Alejo Carpentier, El Siglo de las luces, op. cit., p. 357.

106 Alejo Carpentier, El Siglo de las luces, op. cit., pp. 357-358.

107 Alejo Carpentier, Le Siècle des Lumières, op. cit., p. 448.

108 Alejo Carpentier, El Siglo de las luces, op. cit., p. 358.

109 Alejo Carpentier, Le Siècle des Lumières, op. cit., p. 448.

110 Alejo Carpentier, El Siglo de las luces, op. cit., pp. 245-246.

111 Alejo Carpentier, Le Siècle des Lumières, op. cit., p. 311.

112 Alejo Carpentier, El Siglo de las luces, op. cit., pp. 341-342.

113 Alejo Carpentier, Le Siècle des Lumières, op. cit., p. 429.

114 Alejo Carpentier, Le Siècle des Lumières, op. cit., pp. 334-335

115 Alejo Carpentier, El Siglo de las luces, op. cit., pp. 264-265.

116 Propos tenus par Édouard Glissant à l’université de Paris XII le 10 décembre 2008, restitués par Dominique Diard dans le cadre de la Journée d’études précédemment citée.

117 Édouard Glissant, Tout-monde, op. cit., p. 561.

118 Édouard Glissant, Tout-monde, op. cit., p. 542.

119 Alejo Carpentier, El Siglo de las luces, op. cit., p 278.

120 Alejo Carpentier, Le Siècle des Lumières, op. cit., p. 351.

Bibliographie

Corpus

CARPENTIER Alejo, El Siglo de las luces, [1962], Madrid, Alianza editorial, 2006.

CARPENTIER Alejo, Le Siècle des Lumières, [1962], trad . René L. F. Durand, Paris, Gallimard, Collection Folio, 2013.

GLISSANT Édouard, Tout-monde, [1993], Paris, Gallimard, Collection Folio, 2011.

Autres textes

BERNABÉ Jean, CHAMOISEAU Patrick, CONFIANT Raphaël, Éloge de la créolité, Paris, Gallimard, 1990.

CHAMOISEAU Patrick, Les neuf consciences du malfini, Paris, Gallimard, 2009.

GLISSANT Édouard, Le discours antillais, Paris, Gallimard, 1997.

GLISSANT Édouard, Philosophie de la Relation, Paris, Gallimard, 2009.

Études

CHANCÉ Dominique, Poétique baroque de la Caraïbe, Paris, Karthala, 2001.

DIARD Dominique, « La mer Caraïbe espace de désir et de perte dans l’œuvre d’Alejo Carpentier », in Michèle Dalmace (dir.), La mer Caraïbe, espace de migrations, Bordeaux, Presses Universitaires de Bordeaux, pp. 141-155.

Pour citer cet article

Joséphine Marie, « Face au Tout-monde : l’universel en question dans les voix et les territoires multiples de El siglo de las luces d’Alejo Carpentier », paru dans Loxias-Colloques, 12. Le Diversel
Universel ou « Diversel », Tout-Monde ou « Multivers » à l’œuvre dans la fiction caribéenne contemporaine
, L'Universel en question(s): de l'Universel paradoxal aux prémices du Tout-Monde, Face au Tout-monde : l’universel en question dans les voix et les territoires multiples de El siglo de las luces d’Alejo Carpentier,
mis en ligne le 15 avril 2019, URL : http://revel.unice.fr/symposia/actel/index.html?id=1185.


Auteurs

Joséphine Marie

Maître de conférences en études ibériques et latino-américaines, Université de Paris-Est Marne-la-Vallée, LISAA, équipe interne Écritures du monde hispanique (EMHIS). Après une thèse sur les représentations et les imaginaires autour des Amériques hispano-américaines et caribéennes, dans les œuvres narratives de la Cubaine Gertrudis Gómez de Avellaneda (1814-1873), et l’étude des textes romantiques hispano-américains à l’aide du cadre théorique des études postcoloniales, elle poursuit ses recherches sur les questions de Transtextualités, notamment dans le cadre d’études comparées : réécritures de la Conquête, liens entre écrits fictionnels et écrits historiques, influence des littératures européennes dans le roman de l’esclave et articulation entre paysages, identités et territoires, dans la représentation fictionnelle des espaces américains. Ses travaux concernent également d’autres types de corpus, tels que les revues littéraires de la Caraïbe francophone et hispanophone.