Loxias | 65. Jean Rolin : une démarche littéraire ambulatoire | I. Jean Rolin : une démarche littéraire ambulatoire
Maéva Bovio :
Désorientations. Poétique de l’échec dans Chrétiens et Ormuz
Résumé
S’éloignant et s’affranchissant des récits de voyage en Orient traditionnels depuis le XIXe siècle, Jean Rolin a renouvelé le genre orientaliste en proposant une désorientation littéraire qui n’est pas sans avoir des conséquences éthiques et politiques. Jouant sur des dispositifs narratifs de postures et d’impostures, dans une écriture renvoyant subtilement aux grands mouvements littéraires du XXe siècle, le reporter met en scène des échecs, des désillusions et incapacités qui finissent par cerner les contours d’une poétique de la déroute.
Index
Mots-clés : orientalisme , récit de voyage, Rolin (Jean)
Plan
Texte intégral
1Dans l’entretien qu’il a accordé à Myriam Boucharenc et Pierre Hyppolite, Jean Rolin mentionne, à propos de son livre sur Britney Spears1 pour lequel il a séjourné à Los Angeles, son angoisse de la page blanche et le doute qui le tenaille sans cesse à propos de la pertinence de ses projets :
À Los Angeles, je me suis senti extrêmement dépourvu. Au bout d’un mois, j’étais absolument convaincu de l’inanité de mon projet. Je me désolais de revenir sans rien, d’avoir engagé des frais (ainsi que mon éditeur). J’étais persuadé du fiasco. Cette peur de revenir sans rien est certainement l’un des ressorts de mon écriture2.
2Cette angoisse de l’échec est particulièrement notable dans les deux récits que Rolin a consacrés au Moyen-Orient. Chrétiens3, récit de son enquête sur les minorités chrétiennes de Palestine au moment de la Seconde Intifada, abonde en remises en question de ce genre. Dès le début du texte, Rolin exprime des doutes sur le projet, encore vague, qu’il entend mener sur place, et se présente d’emblée comme un imposteur :
[…] je me sentais de plus en plus insignifiant, de plus en plus déplacé, [aux côtés de ce jésuite] aussi bien que dans cette ville, voire dans ce pays tout entier, où nul ne m’avait demandé de venir m’enquérir du sort des chrétiens, seul, sans mandat, empiétant ainsi sur les prérogatives de l’Église ou des sacro-saintes ONG (Chrétiens, 21-22).
3Les dernières lignes du récit interrogent à nouveau la pertinence de son entreprise, dans une sorte d’aveu d’échec, le narrateur se demandant s’il « n’avai[t] pas fait fausse route depuis le début : [s’il] ne [s’] était[t] pas mêlé indûment de quelque chose qui, au fond, ne [le] regardait pas », dans une Palestine à laquelle « [il n’était] pas préparé » (C, 195). Quant à Ormuz4, second opus consacré par Rolin à l’aire proche-orientale, plus précisément dans les pays du Golfe arabo-persique, il est tout entier organisé autour de la vaine tentative d’un personnage improbable, nommé Wax, de traverser à la nage le détroit éponyme, et ce en dépit de l’incessant trafic de navires et des nombreuses tensions géopolitiques que cette zone éminemment stratégique connaît en 2011. Comme l’on pouvait s’y attendre, le projet échoue et le lecteur apprend dès le premier chapitre que Wax est porté disparu : il n’en saura pas plus sur son sort.
4Si ces deux récits publiés à dix ans d’écart s’inscrivent dans deux catégories différentes du récit de voyage – proche du reportage dans Chrétiens et plus romancé pour Ormuz –, on y retrouve donc le même motif de l’échec, du ratage, autour duquel Rolin semble construire ses livres. Il n’est pas anodin de remarquer que dans ces deux ouvrages, la question du pacte d’écriture est rendue particulièrement saillante par plusieurs remarques méta-poétiques qui interrogent le texte en train de se faire. Entre détours et fausses pistes, Rolin entraîne son lecteur dans un récit sinueux et soigneusement élaboré, qui emprunte aux recherches du Nouveau Roman, pour donner sa version d’un Voyage en Orient au début du XXIe siècle. Le présent article se propose donc d’analyser la stratégie déceptive à l’œuvre dans ces deux ouvrages afin d’en dégager les enjeux à la fois esthétiques et éthiques, dans le contexte de l’histoire du récit de voyage et plus particulièrement de celle du Voyage en Orient.
Deux récits déceptifs
5Si Rolin explicite dans Chrétiens et Ormuz la mission d’écriture qu’il s’est fixée au cours de ces voyages, c’est pour mieux décevoir cette attente par la suite et ainsi faire de l’échec le principe structurant de ses récits. Il rejoint en cela les nombreux écrivains de la modernité qui ont mis en doute le voyage et la possibilité de restituer cette expérience dans un livre.
6Chrétiens est ainsi tout entier marqué du sceau de l’échec. Dans ce livre qu’il considère « proche du reportage », avec une forte dimension documentaire, Rolin relate son séjour de plusieurs mois en Palestine à l’hiver 2002-2003, conçu comme une enquête sur les minorités chrétiennes de la région. Le récit est organisé de manière chronologique, du 9 décembre 2002 à la mi-janvier 2003, mais aussi de manière géographique, puisque l’écrivain évoque de manière successive Bethléem, ville où il a séjourné le plus longtemps au cours du mois de décembre 2002, puis Ramallah, Taybeh, Jérusalem et enfin Gaza. Dès le début du récit, le projet d’écriture semble relativement vague, Rolin n’évoquant que « [s]on projet d’écrire quelque chose sur les chrétiens de Palestine » (C, 18), sans plus de précision sur le genre dans lequel ce « quelque chose » viendrait s’inscrire, ni sur la démarche adoptée. Celle-ci semble parfois surprenante : Rolin décline ainsi la proposition faite par un Palestinien avec qui il a sympathisé de rencontrer des porte-parole qualifiés des différentes obédiences chrétiennes, sous un prétexte peu convaincant : « […] Jihad m’avait offert de rencontrer des porte-parole qualifiés de telle ou telle obédience, mais je m’y étais refusé, par crainte de paraître trop curieux […] et parce que ce n’était pas l’objet de ma démarche » (C, 88). De la même manière, Rolin prend avec le sujet même de son enquête des distances qui accroissent le sentiment d’inanité de son projet : il répète ainsi qu’il n’est pas chrétien, employant ironiquement le terme de « mécréance », afin peut-être de viser une objectivité qui prend dans le récit plutôt l’allure d’une indifférence. Le projet fait l’objet de nombreuses remises en question, par les divers interlocuteurs de Rolin, mais plus encore par Rolin lui-même. Celui-ci ne cesse de s’interroger sur le but de sa présence, lui écrivain et non journaliste ni humanitaire, et écrivain athée qui plus est, perdu au milieu des croyants et des pèlerins :
Au début, [les habitants] avaient dû me prendre pour un journaliste, ou mieux encore pour un représentant d’ONG, mais à la longue, à force de me voir errer dans les rues sans but précis, à l’heure où tout le monde était aux arrêts de rigueur, il y en avait sans doute qui se posaient des questions. Moi-même, il m’arrivait de m’en poser. (C, 62).
7L’autodérision de Rolin qui se présente ici en anti-héros de son livre est bien sûr le signe d’une posture sur laquelle nous reviendrons. Retenons pour l’instant les nombreux moments de malaise et d’ennui dont Rolin fait part dans ce livre : page 61, « [il s’]emmerde » ; page 63, il « [s’] interroge sur le bien-fondé de [s]a démarche » ; page 89, il évoque « la relative opacité de [s]es projets » ; page 94, il se qualifie d’ » observateur désabusé » et page 181, il juge son entreprise « inconvenante et hors d’échelle ». À Gaza, il raconte comment il n’a pas réussi à obtenir un rendez-vous avec le prêtre orthodoxe de l’église de Saint-Porphyre, et ce « en dépit de plusieurs tentatives » qu’il se plaît à rapporter. Il va même jusqu’à intégrer à son récit la virtualité de son absence, par la mise en garde d’un homme qui lui prédit que « “les Juifs” parviendraient à empêcher la publication de [s]on livre » (C, 126). Ainsi, jusqu’au bout, Chrétiens s’apparente au récit désabusé des nombreux échecs de Rolin en Palestine, et continue d’interroger la place de tout visiteur au Proche-Orient, entre touriste, pèlerin, journaliste ou voyageur.
8Dans Ormuz, le procédé déceptif est tout autre, car le genre même du texte est différent : il s’agit non plus d’une enquête mais d’un récit romancé, notamment grâce à l’invention du personnage de Wax. Toutefois, là aussi, le projet d’écriture est dès l’abord très flou, comme l’avoue Rolin lui-même dans l’entrevue déjà citée :
Je pars avec une idée très vague sur cette région, vraiment très peu de choses. Et avec ce minuscule râteau aux dents très écartées, j’espère arriver à ramasser suffisamment de choses pour construire un livre. Je vais simplement me planter dans le Golfe arabo-persique et, comme je pense que j’aurai de la chance comme j’en ai toujours relativement eu, j’aurai des idées, je rencontrerai des gens qui feront qu’un livre pourra prendre forme5.
9Le récit met en scène le mystérieux personnage de Wax, qui fonctionne comme un double du narrateur6 : bien que l’idée de traverser le détroit d’Ormuz à la nage soit la sienne, Wax se rend bien vite compte des nombreuses difficultés qui s’y opposent et rendent impossible la concrétisation de ce record. Tout comme le narrateur dans Chrétiens, c’est donc lui, cette fois-ci, qui émet des doutes sur son projet, et entrevoit rapidement la perspective d’un échec. Celle-ci apparaît dès le premier portrait du personnage par le narrateur :
En fait, ce projet de traverser le détroit d’Ormuz à la nage paraît incompatible avec son âge et sa condition physique, tels que nous pouvons les estimer au jugé. Et c’est pourquoi, au fur et à mesure que l’échéance se rapprochait, il a dû se résoudre, afin de ménager ses chances de succès, à envisager un certain degré de tricherie. Au point que, désormais, il prévoit de ne couvrir par ses propres moyens qu’une partie, si possible assez courte, de la distance à parcourir, et de se faire assister, pour le reste, par des comparses […]. (O, 17)
10Comme dans Chrétiens, cette promesse initiale d’échec est tenue. On apprend en effet dès la première phrase du récit, par le biais de la narration rétrospective, que Wax a disparu lors de sa tentative : « Après sa disparition, je me suis introduit dans la chambre de Wax à son hôtel » (O, 11). C’est une première défaite, confirmée par le dernier chapitre qui précise que le narrateur est sans nouvelles du nakhoda (le capitaine) qui devait accompagner Wax dans sa tentative, ni de l’homme qui était chargé de récupérer le nageur de l’autre côté du détroit, en Oman.
11Mais le récit joue aussi avec la perspective d’un autre échec, qui concerne cette fois-ci la mission littéraire du narrateur. Dès le premier chapitre, celui-ci annonce qu’il a été choisi par Wax pour rédiger le récit de son exploit : en témoignent les « notes éparses, sans queue ni tête, que [Wax lui] destinait afin qu’ [il] les mette en forme dans ce grand récit de son exploit qu’il [le] payait pour écrire » (O, 12). Un peu plus loin, il précise que Wax lui a demandé « d’étoffer le récit de son exploit » en répertoriant « lors de [s]es repérages, toutes les créatures et tous les objets, depuis les plus vastes, telles des installations portuaires ou une ligne de métro, jusqu’aux plus restreintes, tels une cabine téléphonique ou ce crocodile australien, susceptibles d’être décrits, chacun dans sa catégorie, comme “le plus proche du détroit d’Ormuz” » (O, 31). Cette mission d’écriture un peu fantasque s’accompagne en outre d’un rôle d’éclaireur, le narrateur étant chargé par Wax d’inspecter toutes les plages de part et d’autre du détroit afin de choisir les endroits les plus propices aux phases de départ et d’arrivée. Or, si le narrateur s’acquitte consciencieusement de ces repérages, qu’il relate longuement dans Ormuz, il évite soigneusement la dimension proprement littéraire de sa mission : le récit aurait pu s’intituler « La disparition » tant Wax est absent du texte, tandis que le récit de sa traversée est réduit à quelques pages reléguées dans le dernier chapitre. Avant même son ultime disparition en mer, Wax s’éclipse du texte, ayant décidé de quitter le narrateur en débarquant à Doha, pour des raisons que ce dernier ignore (O, 45). Il en est réduit à faire des conjectures sur les activités qui absorbent Wax et, sans nouvelles de lui, part vainement sur ses traces7. De plus, loin de rédiger l’hagiographie de Wax, il en brosse un portrait bien peu flatteur, le comparant à une tortue morte8 ou encore, de manière burlesque, au Christ9. Quant à l’inventaire un peu absurde de toutes les choses « les plus proches du détroit d’Ormuz » réclamé par Wax, c’est avec beaucoup d’ironie que Rolin s’y plie à quelques rares occurrences dans le livre, en présentant cette requête comme un « caprice » de son comparse. À tous ces égards, Ormuz constitue donc bien, lui aussi, un récit déceptif.
Aventuriers ratés
12En véritable écrivain, Rolin finit par tirer de ces apparents échecs la matière même de ses livres. Ceux-ci sont en réalité marqués du sceau de la prétérition : dans Chrétiens, bien qu’il présente son entreprise comme un échec, c’est bien un livre qu’il rapporte de ce séjour palestinien, et qui plus est riche d’enseignements sur la vie quotidienne des chrétiens dans différentes villes de la Palestine occupée. On observe en effet un décalage entre le désœuvrement angoissé que le narrateur dit avoir connu lors de son séjour et le travail de préparation du voyage en amont, dont le livre conserve la trace par le biais de trois lignes en dernière page, mentionnant que « deux mois de résidence à la villa Mont Noir, à l’automne 2002, ont permis à l’auteur de préparer son voyage en Palestine » : c’est bien le signe que le narrateur-personnage est une création, distincte de l’identité de Rolin qui, lui, a minutieusement préparé son séjour. On comprend que le personnage de voyageur indécis qu’il met en scène dans ses récits est en réalité une posture10, celle d’un aventurier à la manque, d’un anti-héros « un peu louche » (C, 192). Le motif de l’échec s’incarne ainsi dans des personnages de voyageurs ratés, qui participent pleinement de la poétique rolinienne. L’écrivain s’inscrit en cela dans la lignée des figures emblématiques de voyageurs ratés ou pour le moins contraints qui jalonnent la littérature, d’Ulysse à Candide en passant par Robinson Crusoë11, jusqu’aux voyageurs plus contemporains qui mettent en doute la possibilité du voyage lui-même, comme le Michaux de Ecuador qui a influencé Rolin depuis ses premiers récits12.
13Chrétiens et Ormuz, à l’instar des autres livres de Rolin, présentent une galerie de personnages improbables, à commencer par les figures de voyageurs, que ce soit Wax dans Ormuz ou le narrateur dans Chrétiens, qui sont tous deux des parodies d’aventuriers. Dans le récit de voyage en Palestine, le narrateur remet en question son rôle et semble cultiver le mystère autour de son identité. S’il ne veut pas être pris pour un journaliste ou un humanitaire, il rapporte avec plaisir les rumeurs de ceux qui le prennent pour un espion, tout en ayant l’air de s’en moquer, considérant qu’il ne correspond pas au profil : « en aucun cas les services israéliens ne pourraient employer un type comme moi, aussi repérable, aussi embarrassé, connaissant à peine assez d’arabe pour souhaiter poliment le bonjour » (C, 90). C’est bien un personnage de loser que Rolin se construit dans ses livres, à contrepied des reporters un peu espions qui mettaient en scène leurs aventures dans l’Arabie de l’entre-deux-guerres13. Passif, peu convaincu de l’intérêt de ses projets, il se laisse facilement promener, au double-sens du terme, et relate ses mésaventures sur un ton détaché. Il se présente volontiers en position d’infériorité ou dans des situations peu glorieuses, comme lorsqu’il s’ennuie dans sa chambre à Bethléem, entre ses livres et « un petit radiateur électrique devant lequel […] [il] pouvai[t] [s]e chauffer les pieds toute la journée » (C, 61). Cette mise en scène de soi en anti-héros se retrouve également dans Ormuz, où le narrateur compare, dans un rapprochement burlesque, sa traversée à pied de la frontière entre les Émirats Arabes Unis et le sultanat d’Oman aux aventures de Thesiger dans « le désert des déserts14 » :
Lorsque je me suis retrouvé à pied, traînant une valise à roulettes, pour franchir la frontière, j’ai remarqué que les officiers d’immigration omanais me considéraient avec plus d’indulgence que leurs homologues des Émirats. Quant aux cinq minutes de marche, environ, qu’il me fallut pour aller des uns aux autres, dans la poussière et sous un soleil de plomb, je les dédiai aux longs mois passés par Thesiger dans des conditions comparables. (O, 122)
14L’autodérision est ici encore une fois perceptible : le narrateur assume la dimension parodique de son « exploit » comparé aux véritables aventuriers comme Thesiger. On retrouve ce même type de mises en scène à quelques reprises dans le texte, notamment lorsque le narrateur se prend pour un soldat des Nations Unies, « accablé de chaleur et d’ennui, craignant de s’endormir sur l’affût de sa mitrailleuse et essuyant continuellement avec un pan de son chèche la sueur qui coulait de son front » (O, 160), ou quelques pages plus loin, lorsqu’il se voit en « missionnaire pentecôtiste désireux de ramener l’île de Larak dans le sein de la vraie religion » (O, 175). À chaque fois, Rolin détourne avec humour ces figures traditionnellement associées à l’aventure, voire à l’héroïsme.
15Ce décalage burlesque est surtout le ressort comique de l’entreprise de Wax, qui sera finalement un échec cuisant. Il est intéressant de noter combien Rolin entretient le mystère autour de l’identité de ce personnage, qui s’étoffe au fil du texte à mesure des informations apportées sur son passé. Si l’on apprend au détour d’une phrase qu’il avait déjà tenté, plusieurs années auparavant, de traverser à la nage le détroit de Bab-el-Mandeb, ce qui lui avait valu d’être arrêté et détenu plusieurs semaines par les autorités yéménites, cela ne le transforme pas pour autant en héros ; le narrateur le décrit bien plutôt comme un personnage fantasque, avec un goût prononcé pour les hôtels sordides, passionné de guerre navale et d’ornithologie mais peu sérieux, un peu sanguin15, un peu alcoolique, et surtout mal préparé pour son projet : il néglige de s’entraîner à la natation et son premier essai de traversée, catastrophique, le conduit à passer la nuit à moitié nu sur un rocher avant d’être secouru par la marine omanaise. Aussi Ormuz met-il en scène les pérégrinations de non pas un, mais deux aventuriers manqués, le narrateur et Wax, doubles narratifs qui se méprisent un peu l’un l’autre. Le narrateur explicite en effet en fin d’ouvrage son manque d’empathie pour Wax, lorsqu’il envisage les circonstances de son sauvetage en mer :
Et ne serait-ce pas amusant, observé-je (avec un détachement qui peut-être me sera reproché) que Wax soit sauvé […] par l’intercession de ce même appareil qui vingt-six ans plus tôt […] lui a inspiré une crainte assez vive d’être bombardé ou mitraillé ? (O, 191-192).
16On voit par ailleurs ici comment l’ethos cynique de Rolin prend d’autant plus de relief que les (més)aventures qu’il relate se situent dans des zones et des situations tendues, voire dangereuses. Rolin a parfaitement intégré la donnée géopolitique qui a profondément renouvelé la relation orientale16 au lendemain de la Première Guerre Mondiale. L’action de Chrétiens se déroule pendant le couvre-feu imposé en Palestine suite à la Seconde Intifada, en 2002, et celle d’Ormuz au moment de « la crise du détroit » commencée en 2011 et qui a vu un regain des tensions entre l’Iran et les puissances occidentales. Celui-ci s’est traduit par de nombreux mouvements de navires de guerre dans le détroit, enjeu stratégique pour le trafic mondial des hydrocarbures. Le décalage burlesque entre les personnages d’aventuriers ratés et ces situations extrêmes participe pleinement de la poétique rolinienne, comme on peut le lire aussi dans Campagnes, où le narrateur observe des oiseaux et cherche des ours en pleine guerre des Balkans17. Ainsi, dans Chrétiens, les difficultés engendrées par le conflit israélo-palestinien et la dimension dramatique de certains témoignages s’opposent à l’ennui que Rolin éprouve souvent à Bethléem, à la banalité des paysages qu’il y décrit, et à certaines mentions qui paraissent décalées, telles que celle du clip d’une chanson des Las Ketchup (C, 178). Dans Ormuz, le projet farfelu de traverser le détroit à la nage contraste avec les vives tensions géopolitiques que connaît alors la région et que le narrateur ne manque pas de décrire, s’attardant notamment sur les déplacements de navires de guerre et sur le cas de petites îles revendiquées à la fois par l’Iran et les Émirats Arabes Unis18. Les deux livres multiplient les scènes cocasses au vu de ces contextes. Rolin raconte par exemple comment dans les deux cas il a patiemment attendu que ses chauffeurs – le taxi Jihad dans le premier cas et son interprète Navid dans l’autre – fassent leurs petites courses alimentaires alors même que la situation était potentiellement dangereuse, que ce soit, en Palestine, en raison du rigoureux couvre-feu imposé aux habitants de Bethléem ou, en Iran, en raison des horaires à respecter pour franchir le barrage menant à la ville de Jask19. Les deux ouvrages prennent alors l’allure de récits d’aventures parodiques, présentant à la fois une dimension documentaire très fouillée, une attention précise aux détails, et une dimension plus romanesque et légère par l’intermédiaire de personnages drolatiques. Rolin reprend le même ton que celui qu’il employait dans ses reportages pour la presse20, mélange d’’humour et d’une ironie teintée de cynisme21.
17Ce décalage permet à Rolin de prendre le contre-pied de tous les attendus qu’un récit de voyage au Moyen-Orient pouvait faire surgir. Dans Chrétiens, le court chapitre sur Noël à Bethléem illustre parfaitement cette irrévérence par une phrase liminaire légèrement provocatrice : « Dans l’église de la Nativité, la journée du 24 a commencé par un enterrement » (C, 98). L’écrivain se distingue ici encore une fois des très nombreux récits de pèlerinage qui ont longtemps résumé les récits de voyage en Palestine. Contrairement aux pèlerins venus assister à la messe de Noël au lieu même où Jésus serait né, Rolin dit ne conserver aucun souvenir de cette nuit, et surtout pas de « l’interminable messe de minuit » (C, 99) donnée en l’église de la Nativité, préférant rapporter une rapide vision du dîner en plein air d’une famille joviale, dont il n’est pas même sûr qu’elle soit chrétienne22. De manière générale, on cherchera en vain dans Chrétiens ou Ormuz la moindre mention orientaliste ou tout simplement pittoresque, que ce soit la description d’un monument célèbre ou d’une scène de genre. Loin de ces stéréotypes, Rolin marque sa préférence pour les « non-lieux », les paysages de friche, l’envers du décor, dans un anti-exotisme qui a déjà été analysé et qui le rapproche d’un Jean-Christophe Bailly23. Cela est particulièrement flagrant à Ramallah, où, s’écartant du lieu de mémoire que constitue la résidence de Yasser Arafat, le narrateur préfère décrire le terrain vague qui le jouxte, espace désert où s’envolent « des tourbillons de poussière et de sacs en plastique », et qui le charme précisément car « il n’y a rien rigoureusement rien à y faire » (C, 106). Finalement, ces aventuriers manqués, ces vagabonds ne seraient-ils pas les véritables voyageurs, délivrés des fantasmes de « l’ailleurs » ?
Enjeux de la désorientation
18À l’errance du narrateur-personnage correspond une structure labyrinthique du récit, visant à dérouter le lecteur et révélant à quel point la mise en scène des apparents échecs du voyageur fait en réalité partie d’une poétique soigneusement élaborée, largement inspirée des innovations d’écrivains traditionnellement affiliés au Nouveau Roman.
19Chrétiens comme Ormuz déploient ainsi une chronologie complexe, riche en indications temporelles, en analepses, anticipations et autres ellipses, révélant une vraie maîtrise du récit et exigeant une lecture attentive. Rolin opte souvent pour une structure à rebours, comme dans Chrétiens où il faut attendre les dernières pages pour comprendre enfin les raisons qui l’ont poussé à entreprendre cette enquête en Palestine : interrogé par un interlocuteur sur sa « prédilection » pour les chrétiens, il raconte en une analepse de plusieurs pages un incident survenu en Turquie, aussitôt après la guerre du Golfe, qui l’avait alerté sur l’ampleur des massacres de chrétiens dans la région (C, 192-195). Cette structure à rebours se retrouve également dans Ormuz, qui commence par la fin – quelques jours après la tentative de Wax et sa disparition – pour petit à petit remonter le fil de l’histoire et terminer par la relation du jour J, celui de la traversée. L’auteur dissémine tout au long du texte des anticipations parfois trompeuses, évoquant par exemple « le monstre qui dans la suite du texte va surgir des flots, et hâter le dénouement de cette histoire » (O, 16). Il s’agit en fait d’une fausse piste, puisque aucun monstre marin ne sera ensuite évoqué, et que la dernière page donne à voir un Wax encore en vie, tentant péniblement de fumer une cigarette tout en nageant24. Cette fausse piste est d’autant plus intéressante qu’elle renvoie à Phèdre, la tragédie de Racine, par l’intermédiaire d’une citation issue du célèbre récit de Théramène que Wax dit à plusieurs reprises ne pas pouvoir s’ôter de l’esprit : « Il suivait tout pensif le chemin de Mycènes. » Ces indices laissent à penser que l’auteur s’amuse ici à rejouer, sur le mode burlesque – Wax étant, on l’a vu, bien moins héroïque que le jeune Hippolyte – le récit de Théramène, par le choix d’un thème marin, d’une destination manquée et d’une narration rétrospective. Cette intertextualité ludique donne à l’œuvre une véritable épaisseur littéraire. De plus, la récurrence des anticipations dans Ormuz25 contribue à brouiller les repères temporels, que les disparitions et réapparitions successives de Wax ne font qu’accentuer. Notons que la désorientation du lecteur est accrue dans les deux récits par l’énumération de toponymes, sans qu’une carte placée en début d’ouvrage, comme c’était par exemple le cas dans La Ligne de front26, ne vienne rendre plus clairs les repères géographiques et les déplacements du voyageur. Cela est frappant dans Ormuz, d’autant que les villes citées – Bandar Abbas, Kumzar, Khor Fakkan, Mutrah, entre autres – ne sont pas très connues et que Rolin omet souvent de préciser dans quel pays elles se trouvent. Cette absence d’informations rend nécessaire – et c’est peut-être le but de la manœuvre – la recherche sur une carte ou un atlas, Rolin transmettant ainsi à son lecteur un peu perdu, lui aussi, le plaisir d’arpenter la bibliothèque et le monde.
20Ce goût de l’errance s’incarne par ailleurs chez Rolin dans une écriture vagabonde, procédant par récits enchâssés rédigés dans une syntaxe particulièrement complexe, dont l’extrait suivant, tiré d’Ormuz, fournit un bon exemple :
Sitôt qu’il l’a repéré, Wax perd tout intérêt pour ce qu’il était en train de raconter – un bref rappel des circonstances dans lesquelles il avait été intercepté, des années auparavant, par la marine yéménite, et détenu plusieurs semaines sur l’île de Perim, lors d’une tentative de traversée à la nage du détroit de Bab-el-Mandeb –, et toute son attention se concentre désormais sur […] le sous-marin en jouet, dont il se rappelle avoir possédé lui-même un exemplaire […], et comment il avait passé de longues heures, enfant, à le faire naviguer sur le bassin du square Saint-Lambert, à Paris, dans le XVe arrondissement, au risque de le perdre, car si son gouvernail était réglable, ce n’était pas avec une précision telle que l’on fût assuré de voir le sous-marin revenir à son point de départ, et parfois, pour récupérer le jouet tombé en panne au milieu du bassin, il avait dû se déchausser et retrousser les jambes de son pantalon – même s’il est vraisemblable, tout compte fait, qu’à cette époque il portait plutôt des shorts –, comme il le ferait de nouveau, un jour prochain, sur la plage dite « du pied d’éléphant » dans l’île d’Hengam. (O, 34-35)
21L’influence proustienne, mais aussi celle d’un Claude Simon ou d’un Robbe-Grillet sont ici perceptibles par la complexité de la syntaxe et les nombreuses propositions parenthétiques de cette longue phrase, qui retombe néanmoins « sur ses pattes », pour reprendre le surnom de la plage dont il est question, par le retour, en fin de phrase, au sujet du livre (de l’enfance à Paris jusqu’à la tentative de traversée du détroit d’Ormuz). On y retrouve aussi le motif de la déroute, dans les deux sens du terme, par l’évocation entre tirets du précédent échec de Wax au Bab-el-Mandeb et par le souvenir d’un plaisir d’enfance à explorer le monde à l’aide d’un sous-marin en jouet, « au risque de le (et pourrait-on ajouter, de se) perdre ».
22Finalement, cette poétique de l’échec manifeste un rapport ludique à la création : Rolin écrit l’air de rien, promet une chose et en fait une autre, se joue des attentes du lecteur, multiplie les listes à la Perec comme celle de « toutes les choses les plus proches du détroit » et les descriptions minutieuses qui ne sont pas sans rappeler la célèbre Tentative d’épuisement d’un lieu parisien, invente des personnages tels que Wax, nom beckettien s’il en est, « cire » modelable à sa guise et double du narrateur, les mêle à des situations et à des lieux bien réels et se réinvente lui-même dans des récits éclatés qui révèlent une grande maîtrise de l’écriture et une réappropriation ironique des recherches formelles du roman des années 1950.
23Mais cela n’est pas que pur jeu littéraire : l’œuvre viatique de Rolin présente également un enjeu éthique qui a son importance dans ces récits documentaires, toujours entre le reportage et le roman. En se présentant comme un électron libre dans des régions où le poids des frontières est grand, comme c’est le cas au Moyen-Orient, Rolin défie la ligne droite, celle des « lignes de front » qui sont souvent de pures créations mentales. En se mettant en scène comme un imposteur peu au fait des enjeux géopolitiques des pays qu’il traverse – et ce alors même qu’il en est en réalité presque un expert – et apparemment peu intéressé par ces questions, il déjoue les discours de propagande préconstruits. Dans le cas de Chrétiens, il met ainsi au jour le sentiment d’être minoritaires qui pousse selon lui les chrétiens palestiniens à se faire le plus discrets possible et à clamer de manière exagérée l’idée d’une Palestine unie dans une même oppression par Israël, et ne manque pas de critiquer ce discours qu’il juge simpliste27. Malgré le titre, Rolin ne se place donc pas « du côté des chrétiens » ; il ne cache pas ses doutes sur la « version officielle » de l’épisode du siège de l’église de la Nativité lors de la Seconde Intifada28 et relève systématiquement les incohérences de ses interlocuteurs chrétiens à ce sujet, en confrontant leurs dires aux articles de différents journaux tant français qu’étrangers29.
24Parallèlement à l’analyse de ces discours collectifs, sa posture de vagabond lui permet de considérer la singularité des parcours et des existences. Rolin brosse ainsi divers portraits intéressants car singuliers, qui brisent les stéréotypes sur les populations du Moyen-Orient. On croise dans Chrétiens des chrétiens très divers, catholiques, orthodoxes, plus ou moins d’accord sur leur arabité et sur les relations à entretenir avec les musulmans et les Juifs israéliens. Il décrit ainsi son chauffeur de taxi Jihad, « musulman laïque un peu communiste sur les bords » (C, 54) ou encore Mariam, vieille dame chrétienne de Taybeh ayant connu la vie religieuse puis l’exil aux États-Unis avant de revenir s’installer en Palestine et de tenir un discours confus sur les musulmans et les juifs (C, 159-163). Il fait une place, même furtivement, aux destinées singulières, en rapportant par exemple l’assassinat de la femme d’un colon juif (C, 129) ou encore l’histoire, lue dans un journal de Dubaï, d’une servante éthiopienne ayant assassiné son employeur et s’étant fait dénoncer par un chauffeur de taxi pakistanais à qui elle n’avait pu payer le prix de la course (O, 93). Ces récits enchâssés dans l’œuvre sont autant de contrepoints permettant de prendre du recul et de montrer, par le détour de la narration, les rapports de force qui sous-tendent ces régions. La « posture d’imposture » de Rolin lui confère ainsi un regard distancié qui lui permet de restituer, par une approche se voulant objective et polyphonique, la complexité du Moyen-Orient contemporain.
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26Le couple de livres formé par Chrétiens et Ormuz permet de mettre au jour des caractéristiques constantes du récit de voyage rolinien : sa très grande littérarité, sa phrase sinueuse, le motif du dédoublement et celui de l’échec, incarné par des personnages de voyageurs à la manque. Leur inscription dans l’aire moyen-orientale aurait pu pousser Rolin à faire référence, fût-ce pour s’en démarquer, à la grande tradition du Voyage en Orient et son cortège de voyageurs illustres et de scènes de genre inaugurées par Chateaubriand, Lamartine et Nerval. Or, à l’exception d’un clin d’œil à Wilfred Thesiger, Rolin semble se refuser à évoquer cette tradition littéraire. Le Moyen-Orient qu’il décrit est résolument contemporain et n’a plus rien à voir avec l’Orient fantasmé des générations d’écrivains qui l’ont précédé. Rolin n’y effectue pas un pèlerinage, ni une boucle rassurante, mais plutôt une série de tours et de détours frappés du sceau de la vanité. L’Orient qu’il décrit est un Orient des marges, un espace morcelé, déchiré par des conflits qui mettent sur le devant de la scène la question de la frontière, de cette « ligne de front » que l’écrivain voyageur ne cesse de contourner et d’appréhender de manière oblique, en s’arrêtant de façon privilégiée aux non-lieux qu’il « épuise » à la manière de Perec. Cette mise à distance passe également par le refus de l’exaltation narcissique du moi, à laquelle Rolin préfère l’autodérision et le jeu sur l’identité.
27Tous ces éléments permettent de rattacher Chrétiens et Ormuz aux œuvres qui tentent de réinventer la relation de voyage au Moyen-Orient depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, dans la lignée d’un Nicolas Bouvier30, qui a lui aussi placé sa conception du voyage sous le signe de la « déroute31 ». L’Orient des Romantiques, déjà attaqué par les écrivains de l’entre-deux-guerres, ne sert définitivement plus d’horizon aux écrivains voyageurs du XXIe siècle.
Notes de bas de page numériques
1 Jean Rolin, Le Ravissement de Britney Spears, Paris, P.O.L., 2011.
2 Jean Rolin, entretien avec Myriam Boucharenc et Pierre Hyppolite, Roman et reportage XXe- XXIe siècles. Rencontres croisées, Myriam Boucharenc (dir.), Limoges, PULIM, 2015, p. 280.
3 Jean Rolin, Chrétiens, Paris, P.O.L., 2003. La numérotation des pages renvoie à l’édition suivante : Paris, Gallimard, « Folio », 2006. Ce récit sera mentionné désormais dans le corps du texte de la manière suivante : (C, 00).
4 Jean Rolin, Ormuz, Paris, P.O.L., 2013. La numérotation des pages renvoie à l’édition suivante : Paris, Gallimard, « Folio », 2015. Ce récit sera mentionné désormais dans le corps du texte de la manière suivante : (O, 00)
5 Jean Rolin, entretien avec Myriam Boucharenc et Pierre Hyppolite, Roman et reportage XXe- XXIe siècles. Rencontres croisées, op. cit., p. 276.
6 Guillaume Thouroude a bien mis en relief la propension de Jean Rolin à la dualité, qui peut prendre la forme d’un dédoublement de personnage : voir La Pluralité des mondes, le récit de voyage de 1945 à nos jours, Paris, PUPS, coll. « Imago Mundi », 2017, p. 172-177.
7 Il traverse ainsi tous les Émirats Arabes Unis d’ouest en est dans l’espoir de retrouver Wax dans un hôtel de Khor Fakkan dont il lui avait parlé, sans succès (O, 93-98).
8 « Je ne sais trop pourquoi, le spectacle de cette tortue morte flottant à plat ventre dans une eau peu profonde, avec de vagues mouvements de ses battoirs, m’a évoqué fortuitement celui que Wax nous avait offert auparavant, tandis qu’il barbotait dans sa vasque […] » (O, 48).
9 « […] Wax, avant de s’immerger, s’enduisit le corps de crème solaire, puis me remit les vêtements qu’il portait depuis son lever, dans un geste que je ne pus m’empêcher d’associer à celui des centurions au pied de la Croix, même s’il était difficile, à ce moment-là, d’envisager Wax comme le sauveur de quoi que ce soit » (O,195).
10 Nous entendons ce terme sous les deux acceptions que Jérôme Meizoz a distinguées : l’image que l’écrivain construit de soi dans ses œuvres (ethos discursif) et la dimension actionnelle et comportementale de la mise en scène de soi par l’écrivain, c’est-à-dire la « mythologie politique réalisée, incorporée, devenue disposition permanente, manière durable de se tenir, de parler, de marcher, et par-là de sentir et de penser » (Pierre Bourdieu, Le Sens pratique, Paris, Minuit, 1980, p. 117, cité dans Denis Saint-Amant et David Vrydaghs, « Retours sur la posture », ConTEXTES, n° 8, janvier 2011, p. 3, http://contextes.revues.org/index4712.html [consulté le 11/11/2018].
11 Dans son essai précisément intitulé Le Voyage était presque parfait. Essai sur les voyages ratés (Paris, Payot & Rivages, 2008) Jean-Didier Urbain a montré combien ces figures romanesques ont modelé l’imaginaire contemporain du voyage.
12 Sur l’influence d’Henri Michaux dans Journal de Gand aux Aléoutiennes, voir dans ce volume Odile Gannier, « Le connaissement du monde ».
13 Maéva Bovio, « Entre roman d’espionnage et essai géopolitique : les reporters français face aux “Secrets de l’Arabie’’ (années 1930) », p. 261-282, dans Guillaume Bridet, Jean-François Durand et Roland Roudil (dir.), Le reportage colonial, Les cahiers de la SIELEC, n° 11, Paris, Kailash, 2016.
14 Wilfred Thesiger, Le Désert des Déserts [Arabian Sands, 1959], Paris, Plon, coll. « Terre humaine », 1964.
15 « Wax croyait se souvenir d’avoir échangé avec le ministre [de la Défense] des coups de manche de pioche ou de pieds de chaise, jadis, lorsqu’ils étaient jeunes l’un et l’autre, et militant dans des groupuscules d’obédiences opposées » (O, p. 64).
16 Sarga Moussa, La Relation orientale. Enquête sur la communication dans les récits de voyage en Orient (1811-1861), Paris, Klincksieck, 1995.
17 Jean Rolin, Campagnes, Paris, La Table Ronde, coll. « La Petite Vermillon », 2011.
18 Rolin écrit ainsi que le président iranien Mahmoud Ahmadinejad s’est rendu sur l’île d’Abou Moussa en avril 2011, démarche qui « suscite dans les Émirats des réactions indignées, assorties de menaces » (O, p. 83).
19 Voir Chrétiens p. 59 et Ormuz p. 170.
20 Il n’est qu’à lire les titres de certains de ses reportages, truffés de jeux de mots, pour le constater.
21 La phrase liminaire du chapitre consacré dans Chrétiens à la bande de Gaza illustre cette distance ironique : « Gaza est un si gros morceau qu’il peut paraître inconvenant de s’y attaquer avec la description d’un petit os » (C, p. 181).
22 « J’ignore quelle était la religion de cette famille, mais je ne doute pas que si Dieu, ce soir-là, avait été de passage à Bethléem, c’est chez elle qu’il aurait choisi de s’abriter » (C, p. 100).
23 Voir sur cette question Filippo Zanghi, Zone indécise. Périphéries urbaines et voyage de proximité dans la littérature contemporaine, Villeneuve d’Ascq, Presses Universitaires du Septentrion, 2014.
24 « Profitant d’un calme plat dans le dispositif de séparation du trafic, et heureux d’avoir survécu à sa première nuit en mer, il vient en se contorsionnant, non sans mal, d’extraire de son sac étanche le briquet et le paquet de cigarettes, d’en allumer une et de la porter à ses lèvres, parvenant même à en tirer plusieurs bouffées avant qu’elle ne soit trempée par le clapot » (O, 197).
25 Citons « comme Wax lui-même, par la suite, devait en faire l’expérience » (O, 96) ou encore « là où dans quelques mois je verrai des barques du même genre » (O, 131). Nous soulignons.
26 Jean Rolin, La Ligne de front, Paris, Quai Voltaire, 1988.
27 Il condamne « la conception désormais hégémonique d’une Palestine où toutes les communautés vivaient en bonne intelligence et presque sur un pied d’égalité, jusqu’à l’irruption brutale des sionistes » (C, 136).
28 « Au sujet de cet épisode, je me doutais que je n’obtiendrais aucun éclaircissement auprès des franciscains qui en ont été les témoins les plus proches, mais je ne soupçonnais pas à quel point la version autorisée, celle du patriarcat latin de Jérusalem, s’était imposée à tous les habitants de la ville en dépit de ses lacunes ou de ses invraisemblances » (C, 33).
29 C’est notamment le cas du père Raed que Rolin rencontre à Taybeh et qui prend selon lui « quelques libertés avec la vérité » au sujet du siège de l’église (C, 140).
30 Voir Sarga Moussa, « Nicolas Bouvier ou la réinvention du voyage en Orient au XXe siècle », Seuils et Traverses 4, Emin Özcan (dir.), Ankara Üniversitesi Basimevi, 2004, p. 164-176.
31 Nicolas Bouvier, Routes et déroutes. Entretiens avec Irène Lichtenstein-Fall, Genève, Métropolis, 1992.
Pour citer cet article
Maéva Bovio, « Désorientations. Poétique de l’échec dans Chrétiens et Ormuz », paru dans Loxias, 65., mis en ligne le 09 juin 2019, URL : http://revel.unice.fr/loxias/index.html?id=9167.
Auteurs
Maéva Bovio, agrégée de lettres modernes, est l’autrice d’une thèse consacrée aux Voyages en Orient des écrivains français de 1919 à 1939. Ses domaines de recherches portent sur l’orientalisme, le récit de voyage, le reportage et les discours sur les altérités culturelles dans la littérature française du XXe siècle. Elle a publié plusieurs articles sur diverses figures de voyageurs (Roland Dorgelès, Myriam Harry, Maurice Barrès) et prépare actuellement une édition critique de La Caravane sans chameaux de Roland Dorgelès ainsi que la publication de sa thèse, tout en enseignant dans le secondaire.
Université Grenoble Alpes