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Maïa Beyler-Noily  : 

Du tout au rien : impossibles désirs de Georges Bataille

Résumé

Dans L’Expérience intérieure et Le Coupable, Georges Bataille tente d’échapper à deux impostures qui veulent faire passer la fragmentation essentielle à toute vie humaine pour une totalité : la religion et l’art. Après avoir révélé les affinités électives entre ces deux systèmes, il s’agit alors pour Bataille de trouver une expérience qui rende possible le passage de cette totalité illusoire à un rien analogue à une irrécupérable dépense. Malgré ses inévitables défaillances, l’écriture, qui déconstruit tout en construisant, semble permettre de vivre le paradoxe déchirant d’une totalité fragmentaire.

Abstract

In L’Expérience intérieure and Le Coupable, Georges Bataille attempts to escape two impostures that try to pass the fragmentation essential to all human life for a totality : religion and art. After having revealed the elective affinities between both systems, Bataille searches for an experience that would enable the passage from this illusory totality to a nothingness that would be analogous to an irretrievable expenditure. Despite its unavoidable failings, writing, which deconstructs while constructing, seems to enable the paradoxical experience of a fragmentary totality.

Index

Mots-clés : Bataille (Georges) , dépense, écriture, impossible, récupération

Géographique : France

Chronologique : XXe siècle

Plan

Texte intégral

Avant tout, l’essentiel est de vivre ; et l’impossible a partie liée avec la mort. C’est voué à une destinée tragique qu’un homme en vient à choisir l’impossible. Il le choisit dans un désordre inévitable et, qu’il le veuille ou non, pour une part, son choix est aveugle.

Georges Bataille, « Autour de ‘L’Impossible’ »

1Face aux impostures conjuguées de la religion et de la littérature, systèmes qui tentent chacun à leur manière de recoller les morceaux d’une expérience humaine inéluctablement fragmentaire, Georges Bataille semble déchiré entre deux désirs contradictoires. Le premier aspire à une dépense indissociable de la souveraineté, tandis que le second tend à une récupération entachée de servilité : en effet, comment serait-il possible de se perdre dans une extase qui aille par-delà le langage, tout en transcrivant cette expérience par la « littérature » ? S’appuyant ici sur deux textes de Bataille qui ressortissent à la fois du journal intime et de la méditation philosophique, L’Expérience intérieure et Le Coupable, le premier et l’avant-dernier volet de La Somme athéologique, (titre en soi déjà transgressif puisqu’il s’érige ici contre la fameuse Somme théologique de Saint Thomas d’Aquin), cette analyse se penche dans un premier temps sur la nécessité pour l’homme moderne d’habiter un monde vide de divin et de vivre une vie dénuée de toute rédemption. Persuadé de faire partie intégrante d’un tout organisé, sous la tutelle d’un catholicisme dialectique pour qui rien jamais ne se perd, l’ancien croyant doit ainsi faire l’expérience d’une vie humaine vide de tout au-delà. Pour être vraiment déniaisé, accepter l’inacceptable comme inacceptable, c’est-à-dire comme inlassable déchirement, le nouvel incrédule doit alors prendre connaissance du « jeu », c’est-à-dire du vide, tout à la fois terrifiant et fascinant, qui unit et sépare les fragments épars d’un univers sans principe unificateur. Permettant la communication -à distinguer clairement de la communion- si le jeu, déclenché par l’érotisme, le rire, ou le sacrifice, peut bien réunir, c’est toujours pour mieux désunir, faisant rejaillir l’angoisse et entraînant une sensation de vertige. Dans un second temps, cet article tente de mettre en lumière l’autre faux-fuyant par lequel l’homme cherche à échapper à sa mortalité. Troquant une mystification pour une autre, le moderne remplace commodément la foi en Dieu par la foi en la littérature. Se concevant comme salut et donnant rétroactivement sens à l’univers, idolâtrant le Moi de l’artiste au détriment de l’Impersonnel, la littérature contre laquelle Bataille s’insurge est celle qui s’entête à conserver ce qui voudrait se dépenser. Enfin, dans un troisième et dernier temps, en se référant, entre autres, aux réflexions de l’ami et contemporain de Bataille, Maurice Blanchot, il s’agira de voir comment, après avoir rejeté les impostures de la religion et de la littérature qui prétendent au tout, Bataille aspire à un rien qui demeure inaccessible. Souvent réduit au seul adjectif de transgressif, érigé comme saint patron de la modernité par la critique « telquelienne », Bataille est associé à un courant de littérature renégate, qui se sait, et se veut, impossible1. Si l’écriture ne mène pas plus à la rédemption que la foi, et si le rien auquel on tend reste hors de portée, pourquoi donc s’entêter ? Cet article se propose ainsi d’examiner ici plus avant les façons par lesquelles Bataille associe la littérature à la religion pour mieux la condamner, et surtout, comment et pourquoi il procède à cette paradoxale condamnation dans son écriture même.

Un monde sans principe unificateur : la possibilité d’un jeu

2Si Bataille flagelle avec une virulence aussi intraitable le christianisme, c’est sans doute en partie parce que lui-même fut fort sensible à ses charmes dans une jeunesse très mystique2. Comme Nietzsche, qui a exercé une influence déterminante sur la pensée de Bataille3, si Bataille souligne son inexpugnable hostilité envers le christianisme, c’est d’une façon qui le distingue radicalement de tout anticléricalisme primaire : tout d’abord en le considérant toujours comme digne de son courroux (et non comme obsolète), et encore parce qu’il fallait en passer par lui pour pouvoir subséquemment le dépasser. Même s’il doit dorénavant la rejeter, l’homme n’aurait pu donc faire l’économie de la religion. L’Expérience intérieure commence ainsi par un aveu de Bataille, dans lequel ce dernier confesse son aveuglement premier, c’est-a-dire sa croyance en un monde plein, d’où tout vide serait banni, et où chaque homme, rouage bien huilé de la mécanique céleste, aurait sa place assignée : « Je voulais être tout : que défaillant dans ce vide, mais me prenant de courage, je me dise : ‘J’ai honte d’avoir voulu l’être, car je le vois maintenant, c’était dormir4’ ». Dans Le Coupable, l’épouvante tout d’abord suscitée à l’idée d’un univers non solidaire où flottent au hasard des corps en mouvement, cède bientôt la place à une angoisse émerveillée, puisque ce vide entre les parties, s’il permet l’accident, rend possible aussi la liberté :

Dieu expose l’horreur d’un monde où il n’est rien qui ne soit joué, rien à l’abri. Au contraire, la multitude des êtres aléatoires répond à la possibilité d’un jeu illimité. Si Dieu était (s’il était une fois pour toutes, immuablement), au sommet disparaîtrait la possibilité du jeu5.

3C’est l’expérience de ce vide ou de ce jeu entre les parties, notion chère aussi à Mallarmé, poète aimé par Bataille, qui permet le mouvement, qui, par ricochet, peut mener à l’extase. Se distanciant de la mystique chrétienne, l’extase n’est plus ici définie comme la fusion d’un croyant avec le grand Tout fusion qui le conforte dans sa croyance dans le bon fonctionnement d’un monde organisé, mais comme la perte de lui-même par un incrédule dans un univers en continuelle dissolution, où, en d’autres termes, tout « communique » avec tout :

L’extase est communication entre des termes. Ces termes ne sont pas nécessairement définissables, et la communication possède une valeur que n’avaient pas les termes : elle les annihile- de même, la lumière d’une étoile annihile lentement l’étoile elle-même6.

4Cette communication est ainsi décrite comme ce qui dissout les frontières bien délimitées entre moi et monde, et ce qui provoque conséquemment une perte de repères :

De même que la séparation des éléments est déjà marquée dans un monde où la communication est sans limite, de même ce monde divisé par les cloisons de l’individu est agité sans trêve du souci de maintenir ces cloisons au souci contraire de communiquer : chacun de nous doit se livrer sans cesse à la perte de soi –partielle, totale - qu’est la communication avec autrui. Une première opposition entre deux mondes (un monde de lumière et de forces électriques, un monde d’hommes et de solides) se complique de la seconde opposition qui se retrouve à l’intérieur de chacun d’eux […] c’est le combat que mènent notre être et notre mort, la prodigalité et l’avarice, la conquête et le don de soi7.

5   Cette extase permettant la communication, semble également aller de pair avec la dépense, décrite comme « prodigalité » et « don de soi », rappelant le phénomène du « potlach » qui fascine tant les anthropologues européens de la fin du dix-neuvième siècle. Le sociologue français Marcel Mauss décrit en ces termes cette cérémonie « primitive » typique chez certaines peuplades d’Amérique du Nord : « ces tribus, fort riches…passent leur hiver dans une perpétuelle fête… on y va jusqu’a la destruction purement somptuaire des richesses accumulées pour éclipser le chef rival en même temps qu’associé8 ». Fasciné par ce concept du potlach, qu’il reformulera dans La Part maudite comme un besoin humain de dépenser fonctionnant à rebours de la logique d’accumulation capitaliste, Bataille insiste sur le luxe indissociable de toute vie humaine (luxe qui se manifeste par exemple à travers les phénomènes de manducation, de mort et de reproduction sexuée). Cette dépense n’est pas le programme d’une nouvelle école, c’est bien plutôt une réalité individuelle qui peut paradoxalement permettre la communication et non la communion, la communauté et non le groupe. Comme le dit le Zarathoustra de Nietzsche, il ne s’agit pas alors pour Bataille d’escamoter une théorie pour mieux la remplacer par une autre, mais de mettre en jeu, en le déséquilibrant, le principe même de théorie : « je suis un parapet le long du fleuve : que me saisisse celui qui peut me saisir ! Mais je ne suis pas votre béquille9 ».

6 Disant adieu à toute possibilité de retour à une innocence d’avant la chute comme à tout espoir de guider sa vie selon une ligne directrice, l’homme est alors livré à lui-même, sans aucune garantie divine, voilà sa détresse et voila sa grandeur :

L’OBJET DE L’EXTASE EST L’ABSENCE DE REPONSE DU DEHORS. L’INEXPLICABLE PRESENCE DE L’HOMME EST LA REPONSE QUE LA VOLONTE SE DONNE, SUSPENDUE SUR LE VIDE D’UNE ININTELLIGIBLE NUIT ; CETTE NUIT, D’UN BOUT A L’AUTRE, A L’IMPUDENCE D’UN CROCHET10.

7Comme le fameux coup de dés inapte jamais à abolir le hasard, ce « crochet » impudent, qui ne sera jamais rien de plus qu’un accident, patère apposée sur le néant, retient l’homme par le pan du veston, et l’empêche, mais tout juste, de se dissoudre dans « l’inintelligible nuit ». Cette « expérience intérieure » que Bataille propose alors comme alternative à l’illuminatio mystique, fait donc le sacrifice de l’illusion rassurante de la plénitude, illusion essentielle à toutes les religions, puisqu’elles cherchent à asseoir un contrôle et non à perdre le pouvoir. Loin, très loin de toute Aufhebung hégélienne, seul demeure ici pour l’homme le non-savoir, excès qui esquive opiniâtrement le traitement dialectique, dans un univers lui-même in-fini : « le sacrifice est la folie, la renonciation à tout savoir, la chute dans le vide, et rien, ni dans la chute ni dans le vide, n’est révélé11 ». Bataille, qui éprouve une admiration teintée de rancune envers Hegel, et qui suit religieusement les cours d’introduction à sa philosophie par Alexandre Kojève, dépasse ici le philosophe, mais ne le reprend pas, évitant par un pas de côté de s’enferrer dans sa dialectique. Qui plus est, effiloché, troué, parsemé de blancs et d’ellipses, le texte lui-même renvoie à cette in-finitude. Contrairement à un projet qui lorgne du côté de l’existentialisme sartrien12, projet qui donne sens au monde et prône le dépassement par l’action, se dessine ici une autre possibilité, qui ne cherche pas à ordonner le chaos, mais à le vivre pleinement comme chaos. Le mouvement ne doit pas mener l’étrange au familier, mais inversement :

L’action introduit le connu (le fabriqué), puis l’entendement qui lui est lié rapporte, l’un après l’autre, les éléments non fabriqués, inconnus, au connu. Mais le désir, la poésie, le rire, font incessamment glisser la vie dans le sens contraire, allant du connu à l’inconnu13.

8C’est ici la « vie » qui prime, dans sa nudité belle et atroce, et non plus la pitoyable « existence », faite de plans et de calculs -que ces derniers soient bassement individualistes ou traduisent un réel désir de dépense se fourvoyant dans une quelconque idéologie :

Dans le monde du progrès, la vie n’est que l’enfantillage licite, une fois le projet reconnu comme le sérieux de l’existence […] j’en arrive à cette position : l’expérience intérieur est le contraire de l’action. Rien de plus […] c’est la remise de l’existence à plus tard14.

9Le bourgeois capitaliste, les yeux rivés sur le but, reste servile, tout comme le fasciste aveuglé par la haine ou même le marxiste souffrant d’idéalisme ; seul l’homme qui jouit et qui meurt, dépensant sans compter, peut atteindre la souveraineté. Bataille souligne d’ailleurs bien que cette « athéologie » est indissociable d’un rejet du sujet : « Croire en Dieu, c’est croire en soi. Dieu n’est qu’une garantie donnée au moi. Si nous n’avions donné le moi à l’absolu, nous en ririons15 ». C’est donc seulement suite à une perte du moi analogue à une ruine, que la communication peut avoir lieu entre des hommes blessés – sachant que chaque homme naît blessé, c’est-à-dire condamné par un corps éphémère à une progressive décomposition.

10Il peut surprendre que ces deux textes, qui brassent philosophie, poésie, et autobiographie, et n’abordent que très diagonalement la situation politique contemporaine, soient écrits sous l’Occupation, alors que Bataille, tuberculeux, fait des allers-retours entre Paris et sa maison à Vézelay, et que sa première épouse, Sylvia Maklès, d’origine juive, et leur fille, Judith16, se cachent des Allemands. Il semble au premier abord que le penseur athéologien, ait, dès le début de la guerre renoncé à tout engagement, et à tout espoir de changer le cours des choses par l’action politique17. Comme le rappelle le sociologue Jules Monnerot, chez Bataille, d’extérieure, la bataille s’est faite intérieure : « Bataille qui est réellement un homme contradictoire, n’est pas combattant mais conflit18 ». Qui plus est, toute affiliation à un parti préexistant, comme toute création d’un groupe alternatif, paraissent à Bataille mener inévitablement au culte du chef, quand ce qu’il recherche est non ce qui s’affirme, mais ce qui se dérobe. Jean-Michel Heimonet souligne ainsi la difficulté d’une transgression cherchant désespérément à éviter toute récupération politique :

Existe-t-il un moyen qui permette de dissocier les deux dimensions du pouvoir, de maintenir la dimension magico-religieuse, où le pouvoir est lié à la révolte permanente, sans lui laisser le temps de prendre, de se figer dans la forme de l’Etat totalitaire ?19

11Une fois niées la religion et ses compensations, une fois aussi que sont distinguées, dans l’extase de certains mystiques admirés par Bataille comme saint Jean de la Croix ou Angèle de Foligno, la part sainte de religion institutionnelle et celle, maudite, d’extase impersonnelle, l’ascèse, quelque forme qu’elle prenne, est refusée comme moyen d’arriver à ses fins et procédé idéaliste, tandis que l’extase, qui met en jeu – donc en danger – des êtres ouverts sur l’inconnu en les faisant communiquer, est préconisée.

Contre une religion de l’art : atomisation du moi

12Après avoir attaqué les fondements du christianisme, si Bataille tente de saper l’édifice artistique, c’est parce que ce dernier triche tout autant, se prétendant libre et transgressif, alors qu’il ne fait que marcher maladroitement sur les traces de la religion se gardant en outre de jamais invoquer une quelconque vaporisation du moi dans une modernité éminemment individualiste. Ainsi que le rappelle encore Nietzsche, les affinités entre la Religion (surtout quand elle est pratiquée tièdement, jésuitiquement), et les Belles-Lettres sont indéniables ; le même idéalisme, la même sublimation, la même croyance en un « arrière-monde », sont à l’œuvre dans les deux systèmes :

On pourrait mesurer leur dégoût de la vie au degré de fausseté qu’ils souhaitent conférer à cette image, à la manière dont ils l’épurent, la spiritualisent, la divinisent ; on pourrait ranger les homines religiosi parmi les artistes, dont ils constitueraient l’expression suprême20.

13Bataille applique alors son athéologie radicale à une littérature sanctifiée par une modernité profane et avide de certitudes. Il semble en effet que l’art en général, et la littérature en particulier, de toujours liés au sacré, prennent de plus en plus la place de la religion même, et deviennent par-là nouvelle raison d’être, nouveau prétexte, nouvelle béquille, à la vie. Abandonnant tout espoir de totalité, que ce soit par le biais de la religion ou de la littérature, aspirant au paradoxe d’une totalité fragmentaire que certaines opérations seules semblent fugitivement permettre, Bataille souhaite alors atteindre un rien irrécupérable qui aille de l’autre côté du langage : « qu’importe des mots qui ne percent pas ce silence. Qu’importe de parler d’un “ moment de tombe ”, quand chaque parole n’est rien puisqu’elle n’atteint pas l’au-delà des mots21 ».

14Ce n’est pas ici la Littérature avec un grand L, mais la littérature, ou plutôt une certaine forme d’écriture fragmentaire donc, et surtout impersonnelle, qui peut potentiellement mener au rien, reléguant l’homme, d’action comme de lettres, à son irrémissible gratuité. Extrayant temporairement l’homme d’un monde où prime l’idéologie de la productivité et du rendement, extrayant aussi l’individu d’une existence terne, la poésie, comme la fête, permet le mouvement, donc le jeu, et, dépensant sans compter, rend une certaine liberté à une existence autrement « tassée ». Notons ici que Bataille se garde bien d’établir de claires distinctions entre les genres de littérature et de poésie que la critique aime en général à ériger en frères ennemis22. Ainsi, son écriture, qu’elle se prête à la fiction ou même à la théorie, parsemée d’images et d’allitérations, visant à la maladresse et non à la virtuosité, est d’ores et déjà poétique, puisque placée sous le sceau de la communication :

La question de la communication est toujours posée dans l’expression littéraire : celle-ci est en effet poétique ou n’est rien (n’est que la quête d’accords particuliers ou l’enseignement de vérités subalternes que Sartre désigne en parlant de prose)23.

15En outre, Bataille cherche ici à déséquilibrer une narration rassurante et stable, et tendre à une littérature dite antilittéraire, qui mélangerait prose, poésie et théorie, comme dans les livres qu’il admire toutes catégories confondues, Les Hauts de Hurlevent d’Emily Brontë ou La Sorcière de Michelet :

De la poésie, je dirai maintenant qu’elle est, je crois, le sacrifice où les mots sont victime. Les mots, nous les utilisons, nous faisons d’eux les instruments d’actes utiles. Nous n’aurions rien d’humain si le langage en nous devait être en entier servile24.

16La souveraineté à laquelle aspire Bataille est une souveraineté paradoxale, puisqu’elle n’est pas celle d’un roi de droit divin prudemment barricadé dans son palais, mais celle de n’importe qui, du moment qu’il se sait, et se veut, condamné à mort25 :

La souveraineté est à ce prix, elle ne peut se donner que le droit de mourir : elle ne peut jamais agir, jamais revendiquer des droits qu’a seule l’action, l’action qui n’est jamais authentiquement souveraine, ayant le sens servile inhérent a la recherche des résultats, l’action, toujours subordonnée26.

17Le moi de l’artiste est alors vu comme un résidu qu’il faut s’acharner à diluer, et non comme une essence vénérable qu’il s’agit de conserver. L’art et la littérature ne doivent donc surtout plus viser à l’immortalité de l’auteur, ou à la conservation fétichiste d’une œuvre donnée, mais plutôt à son oubli et à sa destruction. Bataille se sent ainsi plus proche d’un Kafka qui vise à l’Impersonnel27, accusé par d’aucuns de « puérilité », que d’un Breton, chef-de-file du surréalisme, figure paternelle par excellence et donc autoritaire, qui supporte mal l’indépendance frondeuse de Bataille et, surtout, qui célèbre le Moi de l’auteur28. Il semble alors que l’écriture, grâce à la poésie, parvienne à défaire le laborieux travail du négatif, et, faisant feu de tout bois, transmue une morne existence en une fête splendide célébrant le désœuvrement.

Le fantasme du rien

18Ayant tourné le dos aux faux-semblants religieux et littéraires, récusant la récupération du sens opérée avec entêtement par le christianisme comme par une littérature qui idolâtre ses auteurs, Bataille continue à rêver d’un rien accessible par l’écriture, rien sans retour dans lequel l’homme puisse se perdre sans retour. Dans un poème intitulé « L’Oiseau », Bataille espère ainsi : « ...je devrai bien plutôt.../...mais je veux effacer la trace de mes pas...29 » Comme Maurice Blanchot le souligne dans L’Espace littéraire, ce désir de parvenir au rien prend sa source dans le fantasme d’une dissolution radicale du « je » dans l’écriture, fantasme de dépense totale par définition impossible puisqu’immédiatement récupéré dans la trace écrite : « Quand écrire, c’est se livrer à l’interminable, l’écrivain qui accepte d’en soutenir l’essence perd le pouvoir de dire ‘Je’30 ». Ainsi,

Celui qui écrit est, aussi bien, celui qui a « entendu » l’interminable et l’incessant, qui l’a entendu comme parole, est entré dans son entente, s’est tenu dans son exigence, s’est perdu en elle […] dans cette intermittence l’a rendue saisissable31.

19Dans Manet, Bataille insiste lui aussi sur le fait que si la peinture moderne, farouchement antiréaliste, vise à ne rien dire sur rien, elle ne peut le faire que de cette façon intermittente et persiste à être personnelle : « la peinture, se voulut-elle – ombrageusement – indépendante de ce qui n’est pas elle, trahit toujours l’intimité de l’être dont la main tient la brosse32 ». Ainsi, si l’on peut bien l’entrevoir, ce rien semble palpiter à la mode mallarméenne, comme un lustre qui scintille, une dentelle qui s’abolit ou un éventail qui bat : on l’entr’aperçoit sans jamais l’apercevoir pour de bon. En effet, le rien reste hors de portée, car il ne peut gommer le hasard de sa naissance, et il demeure inéluctablement personnel, enchaîné à un contexte sociohistorique. Pas plus qu’on ne peut tomber dans le ciel, on ne peut se semer dans les mots. Et si je me perds bien dans un langage qui n’est pas mien, je m’y perds en m’y fourvoyant, ne pouvant dire l’indicible. Ainsi que le remarque Denis Hollier dans La Prise de la Concorde, le je qu’on cherche à perdre est un je douteux, qui fait de la communication même la dépense partielle d’un moi toujours déjà mis à distance, puisque traversé par le langage :

Le langage constitue l’homme comme rapport à, comme ouverture à, lui interdit le repli sur une utopique présence à soi, lui coupe la retraite vers une fermeture [...] Il constitue l’être en le séparant de soi, en le médiatisant. Mais en même temps, il le rattache à la communauté, à « la foule d’existences », à ce dont la médiation le constitue33.

20Dans Le Degré zéro de l’écriture, Roland Barthes, grand lecteur de Bataille, insiste ainsi sur l’impasse dans laquelle se trouvent certains écrivains d’après-guerre, comme Albert Camus et Jean Cayrol, qui ne se reconnaissent pas ou ne veulent pas se reconnaître, non seulement dans leur monde, leur classe, et leur époque, mais dans leurs mois propres. Malgré tous leurs efforts pour en sortir, ces « scripteurs » ne peuvent alors que créer un espace alternatif, qui, non content de dialoguer avec tous les espaces préexistants, continue de répondre aux normes de l’espace et renvoie inéluctablement à leurs personnes :

La parole transparente, inaugurée par L’Etranger de Camus, accomplit un style de l’absence qui est presque une absence idéale de style […] Malheureusement, rien n’est plus infidèle qu’une page blanche ; les automatismes s’élaborent à l’endroit même où se trouvait d’abord une liberté […] L’écrivain, accédant au classique, devient l’épigone de sa création primitive, la société fait de son écriture une manière et le renvoie prisonnier de ses propres mythes formels34.

21Pour parvenir au rien, la gageure devient donc de se dégager des mots par les mots, c’est-à-dire de s’abstraire du langage par le langage : comme le formule Bataille, « le projet n’est plus dans ce cas celui, positif, du salut, mais celui, négatif, d’abolir le pouvoir des mots, donc du projet35 ». Mais comment sortir de ce paradoxe ? Comment accéder à la transparence par une parole opaque ? Ainsi, Bataille s’exclame-t-il, non sans autodérision devant l’impossible d’une telle idée : « j’ai formé le projet d’échapper au projet 36! » Comment un tel désir, s’il est dans le cas de Bataille plus approprié de parler en termes de désir immédiat, et non de projet qui reste nécessairement tributaire du système dialectique, n’est-il pas d’avance voué à l’échec ? Bataille ne se console ainsi pas d’un langage inapte à s’autodétruire dans l’épanouissement d’un rien magnifique puisqu’ultime. Tout ce que l’homme a à sa disposition, dans sa boîte à outils comme disait son ami Michel Leiris, sont les fragments d’un langage maladroit, qui non seulement se contente de répéter des échos, mais qui se complaît dans la facilité, empressé à plaire et s’accommodant trop bien de ses faiblesses : « nous cherchons à saisir en nous ce qui subsiste à l’abri des servilités verbales et, ce que nous saisissons, c’est nous-mêmes battant la campagne, enfilant des phrases […] dans l’impuissance à saisir autre chose37 ». Dans un texte tout d’abord intitulé La Haine de la poésie, puis ultérieurement rebaptisé, de façon tout aussi révélatrice, L’Impossible, il semble que pour devenir poésie, la poésie doit d’abord parvenir à se nier elle-même : « La poésie qui ne s’élève pas au non-sens de la poésie n’est que le vide de la poésie, que la belle poésie38 ».

22Si Bataille brasse donc prose et poésie, théorie et roman, qui ne sont pour lui séparés que sur la base d’une confusion et peur panique du désordre, il reconnait aussi l’inadéquation de la poésie elle-même. Si cette dernière se distancie ainsi bien du fonctionnement par trop souvent utilitariste de la prose, elle continue à fonctionner sur le même mode dialectique :

L’image poétique, si elle mène du connu à l’inconnu, s’attache cependant au connu qui lui donne corps, et bien qu’elle le déchire et déchire la vie dans ce déchirement, se maintient à lui. D’où il s’ensuit que la poésie est presque en entier poésie déchue, jouissance d’images il est vrai retirées du domaine servile (poétiques comme nobles, solennelles, mais refusées à la ruine intérieure qu’est l’accès à l’inconnu)39.

23Aussi bien, lorsque le langage tente de dire l’indicible, il ne peut, malgré tous ses efforts, que le trahir, puisque, par définition représentationnel, il ne parvient pas à sortir de la représentation. Le poète sent ainsi bien qu’il mystifie ses lecteurs, et que son « œuvre » n’est presque rien, parce que bien incapable d’être rien, fausse ruine qui se récupère en prétendant se perdre et non dépense totale, « timides caresses » et non « lubricité » : « plus loin que la poésie, le poète rit de la poésie, il rit de la délicatesse de la poésie. De la même façon la lubricité se rit de timides caresses40 ». L’amour de la poésie ne peut mener qu’à son contraire, à la haine de la poésie, car cette dernière ne tient pas ses promesses, conservant quoiqu’il fasse le fantôme entêtant de son auteur. Thaddée Klossowski, philosophe, écrivain, et ami intime de Bataille, souligne d’ailleurs à propos de L’Expérience intérieure le paradoxe de vouloir écrire, et donc accumuler, sur une dépense qui serait « pure perte » :

Comment les contenus d’expérience du pathos peuvent-ils garder leur caractère « souverain » d’une dépense en pure perte, d’une prodigalité sans mesure s’il s’agit selon le propos de cette méditation de s’y élever par une expérience intérieure, donc de s’en faire tout de même un gain et déjà l’authenticité de ces moments ne va-t-elle pas être compromise, l’authenticité même de la déperdition – dès qu’elle est retenue comme « valeur »41 ?

24Il semble alors qu’une écriture qui refuserait de jouer le jeu de la société, et qui souhaiterait échapper à « l’universel reportage », étant vouée à l’échec, ne peut que déboucher sur la cessation de l’écriture. L’on peut alors s’étonner que, loin de se taire, Bataille signe et persiste. Il ne faut pas ici oublier sa théorie de la communication, qui loue le passage d’une fêlure à une autre : « Toute communication participe du suicide et du crime… C’est en ruinant en moi, en autrui l’intégrité de l’être que je m’ouvre à la communion que j’accède au sommet moral. Et le sommet n’est pas subir, il est vouloir le mal42 ». Si chaque être a ainsi bien une faille secrète, il ne s’agit plus de la colmater sous le plâtre uniforme du projet : il s’agit bien plutôt de la communiquer à autrui, puisque, dans un univers à la dérive, c’est là la seule « forme » de communauté « authentique », justement parce qu’elle demeure non-reproductible et éphémère. Comme le souligne Jean-Luc Nancy, pour Bataille, la gageure est d’éviter toute hypostase, donc de graviter autour de ce rien évanescent, tout en essayant, péniblement, de fonder une communauté sur des fondations toujours imperceptibles : « seule la limite est commune, et la limite n’est pas un lieu, mais elle est le partage des lieux, leur espacement. Il n’y a pas de lieu commun43 ». C’est seulement par l’acceptation étourdissante de cette incomplétude partagée, ce manque commun de lieu commun, que l’homme peut alors brièvement sortir, non seulement de lui-même, mais de l’absorption dialectique. Et si le rire et l’érotisme permettent la communication, la littérature aussi, mais seulement une littérature dépouillée de ses plus beaux atours, comme le suggère l’épigraphe aux lecteurs de Madame Edwarda, court récit qui met en scène la fuite nocturne d’un homme et d’une prostituée nue :

Si tu as peur de tout, lis ce livre, mais d’abord, écoute-moi : si tu ris, c’est que tu as peur. Un livre, il te semble, est chose inerte. C’est possible. Et pourtant, si, comme il arrive, tu ne sais pas lire ? devrais-tu redouter… Es-tu seul ? as-tu froid ? sais-tu jusqu'à quel point l’homme est « toi-même » ? imbécile ? et nu ?44

25Si le lecteur « ne sait pas lire » comme il se doit, avec un recul savant et rationnel, un livre peut devenir effectif, c’est-à-dire accomplir ce que Bataille nomme une « besogne » ; le texte permet ainsi le passage éminemment déstabilisant d’une blessure à une autre quand il charrie une charge dynamique, donc explosive45. Qui plus est, s’il semble que le rien est donc, de par sa nature même, hors de portée de l’écriture, les tentatives pour y accéder ne doivent pas pour autant être abandonnées. Bataille souligne lui-même ce paradoxe apparent : « Ces jugements devraient conduire au silence et j’écris. Ce n’est nullement paradoxal. Le silence est lui-même un pinacle et, mieux, le saint des saints. Le mépris impliqué en tout silence veut dire qu’on n’a plus soin de vérifier46 ». Loin de faire basculer des oppositions, comme dans le mythe hégélien du maitre et de l’esclave, il s’agit ici d’essayer de sortir du système binaire : parole-silence. Il est plus important de distinguer silence et ce qu’on nomme silence, faute d’autres mots. Ainsi que le rappelle le poète Louis-René des Forêts, il ne suffit pas de faire ses adieux à la littérature, c’est-a-dire d’arrêter d’écrire, pour parvenir au silence47. Qu’on parle ou qu’on se taise, il échappe, il semble simplement qu’il y ait plus d’humilité et de folie, partant plus de courage, sachant cela, à s’adresser à autrui. Blanchot considère même que le silence auquel se résigne un auteur auquel les mots font défaut, est une lâche démission :

Comme si renoncer à échouer était beaucoup plus grave que renoncer à réussir, comme si ce que nous appelons l’insignifiant, l’inessentiel, l’erreur, pouvait à celui qui en accepte le risque et s’y livre sans retenue, se révéler comme la source de toute authenticité48.

26Si l’écriture selon Blanchot est bien un « pacte noué avec la mort, avec la répétition et avec l’échec49 », c’est un contrat que celui qui signe n’a plus droit de rompre.

27Entre l’accumulation avare et la dépense souveraine, entre l’existence et la vie, entre le tout et le rien, le sujet est déchiré en permanence : ces deux états semblent ne pouvoir qu’être intermittents, car poussés à leur extrême, l’un comme l’autre ne peuvent donner que sur la cessation du jeu, c’est-à-dire sur une dépense totale équivalant à la mort. Il s’agit ici pour Bataille de marcher sur la corde raide, comme il s’agissait pour Nietzsche de danser à en perdre le souffle. Si Nietzsche insistait surtout sur la légèreté que donne la conscience de son irrécupérable mortalité à l’homme, Bataille, tout en gardant dans les moments les plus tragiques, une « puérilité » comme il l’appelle, qui aime à rire du pire, revendique l’angoisse, la liberté, et, finalement, les retrouvailles avec une mort enfin innommable. Si la mascarade est bien démasquée, une fois les masques tombés, rien n’est révélé, ni dieu ni prophète, ni génie ni artiste, et c’est là comédie et tragédie, c’est-à-dire dramatisation d’une vie humaine vouée au déchirement permanent. S’il est impossible, voire impensable, de révéler le rien, peut-on alors croire que l’écriture mène à la perte, et que, contre toutes attentes, l’homme est soluble dans une trace qui échappe à la récupération ? Rappelons ici que bien que Sade, que Bataille admire tant, fût si avide de disparaitre définitivement de la mémoire des hommes qu’il désira qu’on efface jusqu'à l’emplacement de sa tombe50, sa renommée demeure, et continue à faire couler beaucoup d’encre. Et si Bataille vise lui aussi à l’irrécupérable, il est néanmoins clair qu’il a été, et continue d’être, récupéré par des générations de lecteurs. Faut-il s’en réjouir ou bien le déplorer ? S’agit-il dans le cas de Bataille et de sa renommée, confidentielle de son vivant, et reconnue par tous après sa mort, de relance dynamique ou de transposition, genre de fausse dépense imprégnée d’idéalisme telle qu’il les abhorrait ? Comme Mallarmé l’a constaté, dans la quête toujours ajournée de son Grand Œuvre, il n’est pas si facile de faire outre de la personne de chair et d’os qui écrit, ni du contexte dans lequel elle évolue. Un résidu ténu mais têtu demeure, non résorbable dans le texte. Le je ne disparaît pas, le jeu reste à jouer, le rien demeure un fanal qui palpite à l’horizon, un pays auquel l’on n’arrive jamais. Si l’écriture trace des cercles concentriques autour de la mort, elle ne parvient jamais vraiment à pénétrer dans son orbite. Pourquoi alors s’acharner encore à « faire » de la littérature ? Bien que le « projet » paradoxal d’aboutir au rien par des mots ne pouvant que broder sur le rien, soit condamné à l’échec, c’est un échec, tout à la fois impossible et inévitable, qui rend ici possible la communication des hommes à travers l’écriture. Rejetant la rédemption opérée par la dialectique chrétienne et la « foi » en la Littérature, le texte de Bataille cherche à parvenir au rien d’une vie « dépensée » gratuitement, et malgré son paradoxal « échec », persiste. Profanant le sacré sans consacrer le profane, cherchant l’extase ici et maintenant, passant du tout au rien, le tout et le rien chez Bataille demeurent pareillement impossibles et pareillement désirables, causant le déchirement de l’homme, mais le laissant aussi libre de jouir, de souffrir, et, malgré tout, d’écrire.

Notes de bas de page numériques

1  A propos du désir de dépense chevillé au corps de la littérature du vingtième siècle, voir Denis Hollier, Les Dépossédés (Bataille, Caillois, Leiris, Malraux, Sartre), Les Editions de minuit, 1993.

2  N’oublions pas que Bataille, adolescent très croyant, fréquenta le séminaire avant de rejeter définitivement la religion. Voir la biographie de Michel Surya sur Georges Bataille, Michel Surya, Georges Bataille, la mort à l’œuvre, Librairie Séguier, 1987.

3  Dans le second tome de sa Somme athéologique, Bataille consacre à Nietzsche un curieux récit intitulé Sur Nietzsche, qui est plus journal intime que savante dissertation sur le philosophe.

4  Georges Bataille, L’Expérience intérieure [1943], La Somme athéologique, Tome I, Œuvres complètes V, Paris, Gallimard, 2002, p. 10 (je souligne).

5  Georges Bataille, Le Coupable [1944], La Somme athéologique Tome I, Œuvres complètes V, Paris, Gallimard, 2002, p. 326 (je souligne).

6  Georges Bataille, Le Coupable, op.cit., p. 328.

7  Georges Bataille, La Limite de l’utile [1949], Œuvres complètes VII, Paris, Gallimard, 1976, pp. 269-70.

8  Marcel Mauss, « Essai sur le Don, Forme et Raison de l’Echange dans les sociétés archaïques » [1924], Sociologie et Anthropologie, Paris, Presses Universitaires de France, Collection Quadrige, 2010, p. 152.

9  Friedrich Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra [1883], trad. par Georges-Arthur Goldschmidt, Le Livre de poche, « Classiques de la philosophie », 1983, pp. 54-55 (je souligne).

10  Georges Bataille, Le Coupable, op.cit., p. 320.

11  Georges Bataille, L’Expérience intérieure, op.cit., p. 66 (je souligne).

12  Philosophe existentialiste qui ambitionne à l’objectivité scientifique et au dépassement de la condition par l’engagement, Sartre reproche à Bataille d’utiliser une terminologie religieuse, et appelle ironiquement L’Expérience intérieure un « essai-martyre ». Jean-Paul Sartre, « Un nouveau mystique », in : Situations I, Gallimard, 1947, p. 144.

13  Georges Bataille, L’Expérience intérieure, p. 130.

14  Ibid., pp. 59-61 (je souligne).

15  Georges Bataille, Le Coupable, op.cit., p. 282.

16  Bien qu’officiellement reconnu par Bataille, Judith est l’enfant naturel de Sylvia Maklès et de Jacques Lacan. Bataille n’a eu qu’un enfant, Sylvie, avec sa dernière compagne, Diana Kotchoubey de Beauharnais (souvent identifiée au personnage appelé B. dans Histoire de rats, première partie de Dianus). Voir Michel Surya, Georges Bataille, la mort à l’œuvre, op.cit.

17  Jean Pierrot souligne ainsi la chronologie d’un Bataille militant antifasciste pendant l’entre-deux guerres, puis abandonnant durant l’écriture de La Somme athéologique la possibilité d’un quelconque engagement : « L’attitude politique de Georges Bataille a connu une évolution considérable entre l’époque où, vers 1928, il publie ses premiers textes, et le début de la guerre : de l’indifférence apparente à une volonté d’engagement dans l’extrême gauche, qui culmine en 1935-36 avec la direction du mouvement Contre-Attaque, jusqu'à un désengagement presque complet, l’action politique cédant chez lui la place a l’expérience mystique qui aboutira, entre 1930 et 1945, aux trois volumes de La Somme athéologique ». Jean Pierrot, « Georges Bataille et la politique (1928-1939) », Histoire et Littérature, les écrivains et la politique, Presses Universitaires de France, 1977, p. 139. Il semble surtout que Bataille tente d’esquiver la récupération dans quelque parti politique que ce soit, d’où sa réticence grandissante à se positionner sur l’échiquier politique.

18  Jules Monnerot, La Fièvre de Georges Bataille, cité par Michel Surya, Georges Bataille, la mort à l’œuvre, op.cit., p.295.

19  Jean-Michel Heimonet, Négativité et communication, Jean-Michel Place, 1990, p.35.

20  Friedrich Nietzsche, Par-delà bien et mal[1898], trad. de l’allemand par Cornelius Heim, Paris , Gallimard, 2009, p. 74.

21  Georges Bataille, « La Méditation » [1943], Œuvres complètes I, Paris , Gallimard, 1970, p. 166 (je souligne).

22  La démarche de Bataille est aux antipodes de celle de Sartre qui tend à la systématisation : « Il va de soi que dans toute poésie, une certaine forme de prose, c’est-à-dire de réussite, est présente ; et réciproquement la prose la plus sèche renferme toujours un peu de poésie, c’est-à-dire une certaine forme d’échec […] il s’agit de structures complexes, impures mais bien délimitées ». Jean-Paul Sartre, Qu’est-ce que la littérature ? [1947], Paris, Gallimard, 1995, pp. 43-44, (je souligne).

23  Georges Bataille, Compte-rendu du Saint-Genet de Sartre [1952], Critique, repris dans « Genet », La Littérature et le mal, Œuvres complètes IX, Paris, Gallimard, 1979, p. 313 (je souligne).

24  Georges Bataille, L’Expérience intérieure, op.cit., p. 156 (je souligne).

25  A propos d’une souveraineté simultanément omnipotente et infiniment vulnérable, voir l’ouvrage fondamental de l’anthropologue James George Frazer, Le Rameau d’or, tome 1 [1890], trad. par Nicole Belmont et Michel Izard, Robert Laffont, 1998.

26  Georges Bataille, La Littérature et le mal [1957], Œuvres Complètes IX, Paris, Gallimard, 1979, p. 282 (je souligne).

27  Georges Bataille, La Littérature et le mal [1957], Œuvres Complètes IX, Paris, Gallimard, 1979, p.10.

28  Dans Nadja, Breton affirme ainsi catégoriquement que toute quête de l’Impersonnel est vaine, voire suspecte : « Certes, rien ne me subjugue tant que la disparition totale de Lautréamont derrière son œuvre […] Mais il reste pour moi quelque chose de surnaturel dans les circonstances d’un effacement humain aussi complet. Il serait par trop vain d’y prétendre et je me persuade aisément que cette ambition, de la part de ceux qui se retranchent derrière elle, ne témoigne de rien que de peu honorable ». André Breton, Nadja [1928], Paris, Gallimard, 2009, p. 19 (je souligne).

29  Georges Bataille, « L’Oiseau », Œuvres complètes III, Paris, Gallimard, 1971, p. 161 (je souligne).

30  Maurice Blanchot, L’Espace littéraire [1955], Paris,Gallimard, 1962, pp. 16-17.

31  Maurice Blanchot, L’Espace littéraire [1955], Paris,Gallimard, 1962,p29 (je souligne).

32  Georges Bataille, Manet [1955], Œuvres complètes IX, Paris, Gallimard, 1979, p. 159.

33  Denis Hollier, La Prise de la Concorde, Paris, Gallimard, 1974, p. 120 (je souligne).

34  Roland Barthes, Le Degré zéro de l’écriture, Seuil, « Points Essais », 1972, pp. 60-61 (je souligne).

35  Georges Bataille, L’Expérience intérieure, op.cit., p. 35.

36  Georges Bataille, L’Expérience intérieure, op.cit., p. 73 (je souligne).

37  Georges Bataille, L’Expérience intérieure, op.cit., p. 27 (je souligne).

38  Georges Bataille, L’Impossible [1962, première parution en 1947 sous le titre La Haine de la poésie], Romans et Récits, Paris, Gallimard, 2004, « Bibliothèque de La Pléiade », p. 562 (je souligne).

39  Georges Bataille, L’Expérience intérieure, op.cit., p. 170 (je souligne).

40  Georges Bataille, Le Coupable, op.cit., p. 350.

41 Thaddée Klossowski, « A propos du simulacre dans la communication de Georges Bataille », Critique, Editions de minuit, août-septembre 1963, p. 749.

42  Georges Bataille, « Collège d’études socratiques » [1945], Œuvres complètes VI, La Somme athéologique Tome II, Paris, Gallimard 2002, p. 318.

43  Jean-Luc Nancy, La Communauté désœuvrée, Christian Bourgeois, 1986, p. 182.

44  Georges Bataille, Madame Edwarda [1937], Romans et Récits, Paris, Gallimard, 2004, « Bibliothèque de La Pléiade », p. 325, (je souligne).

45  Ainsi que le rappelle Jean-François Louette, ce que Bataille cherche à faire, que ce soit à l’aide du sacré, mais aussi du rire, de l’érotisme, ou de l’écriture, c’est « d’ôter au monde sa platitude, de lui redonner une intensité extrême, de le reconstituer en champ énergétique ». Jean-François Louette, « Georges Bataille, un nouveau sacré », Revue des deux mondes, mai 2008, p. 82.

46  Georges Bataille, L’Expérience intérieure, op.cit., p. 82 (je souligne).

47  Voir Louis-René des Forêts, Ostinato, Mercure de France, 1997.

48  Maurice Blanchot, L’Espace littéraire, op.cit., p. 182 (je souligne).

49  Maurice Blanchot, L’Espace littéraire, op.cit., p. 255.

50  Voir Georges Bataille, La Littérature et le Mal, op.cit.

Bibliographie

 Corpus

BATAILLE Georges, L’Expérience intérieure [1943], Œuvres complètes V, La Somme athéologique I, Paris, Gallimard, 2002

BATAILLE Georges, Le Coupable [1944], Œuvres complètes V, La Somme athéologique I, Paris, Gallimard, 2002

 Ouvrages consultés

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BATAILLE Georges, « L’Oiseau », Œuvres complètes III, Paris, Gallimard, 1971

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SURYA Michel, Georges Bataille, la mort à l’œuvre, Librairie Séguier, 1987

Pour citer cet article

Maïa Beyler-Noily, « Du tout au rien : impossibles désirs de Georges Bataille », paru dans Loxias, Loxias 34, mis en ligne le 14 septembre 2011, URL : http://revel.unice.fr/loxias/index.html?id=6823.


Auteurs

Maïa Beyler-Noily

Maïa Beyler-Noily est doctorante en Littérature Française à l’université de Californie, à Berkeley, et a une spécialisation en cinéma. Ses recherches portent sur le sacré dans la littérature du vingtième siècle, notamment dans les œuvres de Georges Bataille, Nathalie Sarraute et Pierre Michon, ainsi que dans le cinéma d’Agnès Varda. Un de ses articles a paru dans la revue en ligne, Tirésias : « Après le désastre : le héros lazaréen chez Jean Cayrol et Patrick Modiano ». Deux autres articles : « The Anxiety of Authenticity in Dahan’s La Vie En Rose and Zeffirelli’s Callas Forever » et « Pourquoi donc pas ? L’Eve future de Villiers de l’Isle-Adam et la rédemption artificielle » sont actuellement en cours d’impression, respectivement pour les revues French Forum et Etudes littéraires.