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Elena Koroleva  : 

Le rêve du Graal : l’épisode de Cahus dans la structure du Perlesvaus

Résumé

Le rêve de Cahus que nous proposons d’examiner est un des épisodes-clés de la branche I du Perlesvaus, une adaptation relativement peu connue des récits du Graal et des chevaliers de la Table ronde. L’écuyer du roi Arthur nommé Cahus, une victime apparemment innocente, meurt d’une façon troublante au seuil du roman. Dans le présent article, nous nous penchons sur les possibilités de l’interprétation de cet épisode déconcertant pour montrer de quelle manière il s’inscrit dans la trame du roman, étant un élément indispensable à la « molt bele conjointure » à laquelle aspire l’auteur du Perlesvaus. Le cauchemar de Cahus préfigure plusieurs thèmes phares développés ensuite dans le roman, notamment, ceux de la faute et de son expiation, de la relation problématique père-fils et du manque d’héritier masculin. Enfin, le rêve de Cahus évoque la Passion du Christ et se rattache par là à l’histoire du Graal au coeur de la quelle on retrouve, dans la branche VI, les souffrances du Sauveur sur la croix.

Index

Mots-clés : Cahus , Graal, Perlesvaus, rêve, roman arthurien

Texte intégral

1Le Perlesvaus ou le Haut Livre du Graal1 est un roman anonyme en prose (début du XIIIe siècle)2 qui se veut une suite du Perceval ou le conte du Graal de Chrétien de Troyes, laissé inachevé. Cette adaptation très particulière des récits du Graal et des chevaliers de la Table ronde, qualifiée de « sanglante et barbare »3, avait longtemps rebuté les critiques : le Perlesvaus était « redouté plus qu’admiré, maintenu en tout cas respectueusement à distance »4. Il est en effet difficilement classable parmi les autres romans du XIIIe siècle et se dérobe même, pourrait-on dire, à toute tentative de classement. L’ouverture du roman contribue pour sa part à l’ambiguïté, voulue ou non, du récit. L’aspect dramatique des aventures troublantes de la branche5 I est d’autant plus profond qu’aucune explication rationnelle n’est jamais donnée au lecteur.

2L’épisode de Cahus que nous proposons d’examiner dans le présent article fait partie de cet ensemble cohérent qu’est la branche I et en constitue un des deux épisodes-clés, à côté de la vision d’Arthur à la chapelle Saint-Augustin. Le roman s’ouvre sur une faille, une dégradation alarmante du monde arthurien liée à la maladie énigmatique du roi Arthur, laquelle l’atteint au bout de dix ans d’un règne heureux. A la demande de la reine désespérée le roi décide d’effectuer un pèlerinage à la chapelle Saint-Augustin, et, toujours sur l’insistance de Guenièvre qui souligne les périls de la Forêt Blanche où est située la chapelle, il propose d’emmener avec lui un écuyer. Son choix s’arrête sur Cahus, le fils d’Yvain le Bâtard, à qui il demande de préparer les armes et les chevaux pour partir à l’aube. Soucieux de servir le roi, Cahus ne se déshabille même pas pour dormir. Dès qu’il ferme les yeux, il rêve que le roi est parti sans lui. Sans s’en rendre compte, Cahus – et le lecteur avec lui – passe du rêve à la réalité ; nous nous retrouvons dans le domaine du fantastique6. L’écuyer, ayant hâte de rejoindre le roi, se met en route et arrive bientôt dans une chapelle où il voit un chevalier mort autour duquel sont installés quatre chandeliers richement décorés. Etonné et inquiet de ne pas avoir retrouvé le roi, il décide d’emmener un des chandeliers précieux. Cet acte lui coûte la vie, car sur son chemin de retour il est défié par un chevalier noir qui revendique le chandelier, et quand Cahus refuse de le lui rendre, celui-ci le blesse mortellement d’un coup de couteau (P., ll. 156-158). A ce moment-là, l’écuyer se réveille, mais juste pour appeler le confesseur, offrir à Arthur son dernier cadeau et mourir dans ses bras, et même de sa main, car c’est le roi qui précipite la mort de Cahus en retirant le couteau de sa plaie (P, ll. 175-176).

3La valeur symbolique de ce rêve avéré est manifeste, son interprétation n’a pourtant rien d’évident. L’auteur abandonne au lecteur le soin de démêler les fils de sa pensée, de même qu’il s’abstient d’éclairer pour lui la nature de l’épisode : celui-ci relève-t-il du merveilleux, du miraculeux ou du magique ?7 On ne saurait répondre d’une manière certaine à cette question, même si Arthur qualifie après cet épisode d’une « aventure mervelleuse » (P, l. 180)8.

4Le contexte dans lequel s’inscrit l’épisode étudié jette quelque lumière sur sa signification. L’histoire de Cahus est insérée dans le récit de la maladie et de la guérison du roi Arthur et s’y associe étroitement. Derrière la langueur qui atteint le roi se cache un péché et l’ermite de la chapelle Saint-Augustin le dit clairement : « Par vostre pechié ne poïstes vos hui entrer dedenz ceste chapele tant com on chanta la messe » (P, ll. 330-332). C’est ce péché qui entraîne la déchéance temporaire du monde arthurien, car le roi ne réunit plus sa cour « a Noel, ne a Pasques, ne a Pentecoste » (P, ll. 70-71).

5Ce n’est donc pas un hasard si le thème de la faute et de son expiation est abordé dans l’épisode de Cahus. Un parallélisme s’établit entre Arthur et son écuyer. Selon Michel Zink, cet épisode « concerne plus le roi Arthur que la personne de Cahus »9. L’écuyer, croyant être en retard, part en réalité avant son souverain et prend ainsi sa place dans l’aventure de la chapelle10, en devenant dans une certaine mesure son double. Cahus reçoit la mort au lieu du roi ; il est significatif que le meurtrier de Cahus est le frère du Noir Chevalier, celui-là même qui défie et blesse Arthur lorsque celui-ci rentre de la chapelle (P, ll. 362 et ss.). L’aventure de l’écuyer peut être lue comme une réalisation de la culpabilité d’Arthur. C’est le sentiment de culpabilité qui pousse Cahus à entrer dans la chapelle où il espère trouver le roi (P, ll.131-133) et ensuite à voler un des chandeliers précieux qu’il veut offrir au roi en cadeau pour réparer son erreur, faire oublier son retard (P, ll. 153-154). Cahus est à bien des égards un coupable innocent et toutes ses actions sont dictées par l’envie de contenter le roi.

6Mais si la faute de Cahus entre en résonance avec celle d’Arthur, elle peut aussi être mise en rapport avec la faute de Perlesvaus – son silence désastrueux au château du Roi-Pêcheur – mentionnée dans le prologue. Rappelons que l’auteur présente son roman comme une continuation du Conte du Graal de Chrétien de Troyes et saisit le fil du récit là où le poète champenois l’avait laissé, du moins en ce qui concerne le héros principal. Il est à noter que la faute de Perlesvaus est de même nature que le péché d’Arthur. Le méfait du héros principal consiste en un manquement à la parole. Or, pour l’auteur du Perlesvaus, prononcer une parole veut dire agir et la parole manquée égale le défaut d’action. C’est ainsi qu’un chevalier explique à Gauvain l’attitude méprisante des habitants du château de la Joie où le héros arrive après son échec – toujours le silence! – devant le Graal : « ...vos l’avez deservi, si vos quident asi pereceus de fet com vos estes de parole » (P, ll. 2524-25).

7Quant à Arthur, son péché, bien qu’il ne soit jamais nommé, est facile à reconnaître : il s’agit de l’acedia11, un des péchés monastiques à l’origine, mais qui devient, à partir du XIIIe siècle, un vice laïque qui consiste en « oisiveté, indolence, paresse »12. Les mêmes symptômes se manifestent chez Perlesvaus : pendant toute la quête de Gauvain13 qui protège, entre autres, la famille de Perlesvaus, celui-ci gît en langueur chez son oncle Roi-Hermite « par la destrece du mal q’il out eü puis q’il issi de la meson au Roi Pescheor » (P, ll. 2928 et s.). La passivité est un méfait d’autant plus blâmable chez celui qui est doté d’aussi grandes capacités. En effet, Perlesvaus est présenté dans le prologue comme un chevalier exemplaire, de même qu’Arthur, un peu plus tard, apparaît comme un roi idéal : « Buens chevalier fu sans faille, car il fu chastes e virges de son cors, e hardiz de cuers e poissanz, e si ot teches sanz vilenie » (P, ll. 15-17) ; « Li buens rois Artuz... estoit rois poissanz e bien creanz en Dieu ; e molt avenoient de buennes aventures en sa cort, e avoit la Table Reonde, qui estoit garnie des meilleurs chevaliers du monde. Li rois Artuz... mena la plus haute vie e la plus cointe que nus rois menast oncques... » (P, ll. 61-66).

8Par ailleurs, la faute de Perlesvaus tout comme celle d’Arthur a des conséquences néfastes pour le monde arthurien : « Mes, par molt poi de parole qu’il delaia a dire, avindrent si granz meschaances a la Grant Breteingne que totes les illes e totes les terres en chaïrent en grant doleur ; mes puis les remist en joie par la valor de sa buenne chevalerie » (P, ll. 18-22). Le narrateur embrasse son projet poétique dans son ensemble, du silence de Perlesvaus à la conquête du château du Graal. Tandis que l’histoire du péché d’Arthur et de son expiation anime uniquement la branche I, celle de la faute de Perlesvaus est immédiatement placée au centre du roman et vue par le narrateur comme un moteur du récit romanesque.

9C’est donc un thème d’une importance capitale pour l’auteur du Perlesvaus qui est mis en exergue dans l’épisode de Cahus. Dans la perspective typologique, on pourrait y voir la Chute de l’homme, qui paie sa faute envers Dieu par la souffrance et la mort qu’il ne connaissait pas auparavant. Nous avons remarqué plus haut que la faute de Cahus entre en résonance avec celle de Perlesvaus. Le héros principal peut être associé à Adam : les deux sont à l’origine des malheurs du monde (le royaume arthurien et l’humanité respectivement). Jean Neale Carman met en parallèle la Chute (« the Fall of Man ») et la première visite du héros au château du Graal14. Francis Dubost parle à ce propos d’« une sorte d’équivalent de la Chute »15. A travers le prisme de la faute de Perlesvaus celle de Cahus reçoit un tout nouvel éclairage. L’écuyer commet en effet un sacrilège16, c’est-à-dire, un crime envers Dieu : il viole une église en volant un objet sacré et néglige le cierge, avec son sens religieux, au profit du chandelier, dans lequel il ne voit qu’un objet matériel précieux17. C’est par la mort qu’il paiera sa faute.

10Bien qu’elle ne soit pas incontestable, cette interprétation typologique nous paraît plausible. Elle s’accorde avec le principe de « parabole intermittente »18 caractéristique du Perlesvaus. Comme le remarque Armand Strubel, ici à propos de l’épisode de Noir Ermite19, « le sens n’est pas un rapport d’identité mais remenbrance : on rappelle la signification de la Descente aux Enfers sans imposer la correspondance exhaustive entre le récit et le modèle »20. Cet avis est également partagé par Thomas E. Kelly21 : pour sa part, il « s’appuie sur le concept d’ "allégorisation" [...], qui autorise des lectures polysémiques »22.

11Le deuxième axe d’interprétation du rêve de Cahus est lié à la relation père-fils. Arthur est une figure paternelle pour Cahus, dont la famille est marquée par l’absence du père, puisqu’il est le fils d’Yvain le Bâtard23. Les liens de vassalité qui unissent le jeune écuyer à son souverain peuvent aussi être symboliquement compris comme une relation du fils au père. La mort de Cahus préfigure d’ailleurs la mort de Loholt, le vrai fils d’Arthur et de Guenièvre, tué traîtreusement par le sénéchal Keu (P, ll. 4001-4011 ; ll. 4902-4950). Le décès du fils soulève le problème du manque d’héritier masculin, une question de première importance au Moyen âge. Loholt et Cahus deviennent encore plus proches quand on apprend, dans la branche IX, que la famille d’Arthur, elle aussi, est marquée du sceau de la bâtardise : Arthur avait été conçu grâce à la ruse de Merlin quand sa mère Ygerne était encore mariée au roi Goloés et non à Uter (P, ll. 6570-6614). La bâtardise présumée est un danger non négligeable qui peut mettre en cause la transmission du pouvoir. Le sort du lignage d’Arthur paraît d’autant plus inquiétant que non seulement le roi lui-même, mais aussi le seul héritier qui reste, Gauvain, a une histoire sombre dans son passé ; lui aussi, est né hors mariage (P, ll. 7303-7337). Une ombre est ainsi jetée sur toute la famille du roi ; la voie est ouverte à toutes sortes d’abus.

12Rappelons que Cahus, en devançant le roi, occupe sa place dans l’aventure de la chapelle. On pourrait y voir une insolence de l’écuyer et même une prétention au pouvoir royal. En venant s’ajouter aux problèmes de la bâtardise et de l’absence de l’héritier masculin, le thème de l’usurpation possible du pouvoir trouve son écho plus loin dans le roman, notamment, dans l’histoire de l’emprisonnement de Lancelot par Arthur.

13Ce conflit, qui éclate si brusquement en apparence (branche X), est imperceptiblement préparé au cours du récit et ses racines sont plus profondes que la simple crédulité d’Arthur faisant confiance aux calomnies de Brien des Isles. Cet antagonisme prend sa source dans l’amour de Lancelot pour la reine, un amour présenté dans le roman comme une valeur acquise, une constante et par là même comme un amour idéal, l’amour dans son absolu. Toutefois, la prétention au trône ne devient paradoxalement probable qu’après la mort de Guenièvre. Pendant le voyage d’Arthur, accompagné de Gauvain et de Lancelot vers le Graal, les trois héros apprennent la mort de la reine et l’agression de Brien des Isles contre le royaume arthurien (P, ll. 7106 et ss.). Lancelot propose de revenir à Carduel pour aider les chevaliers contre Brien et obtient l’accord du roi qui lui confie ses terres (P, ll. 7167-7173). On pourrait se poser la question : pourquoi n’est-ce pas Gauvain qui abandonne le pèlerinage au profit des intérêts de l’état ? Après tout, c’est à lui, le neveu du roi, que revient le devoir de défendre le royaume en l’absence de l’héritier masculin direct. Nous pouvons en conclure que le choix de Lancelot en tant que protecteur du monde arthurien n’est pas fortuit. L’auteur tisse habilement les fils de la narration. Gauvain est beaucoup plus avancé que Lancelot dans la voie du Graal  ; on se demande même ce qui se serait passé si Lancelot était de nouveau parvenu au château du défunt Roi-Pêcheur. Le Saint Veissel serait-il apparu devant lui cette fois-ci ?

14En tout cas, la présence de Lancelot aurait sans doute pu compromettre la cérémonie du Graal, puisque le héros n’a jamais voulu renoncer à son amour pour Guenièvre24. Il fallait le détourner de la voie du Graal. Mais en accédant au rang de premier chevalier et de protecteur du royaume par excellence, il devient un prétendant au trône, étant donné l’absence d’héritier direct. En tant qu’amant de la reine, Lancelot était déjà inévitablement une menace potentielle à la couronne, un rival d’Arthur en amour et en pouvoir. Comme on le sait, dans la tradition celtique à laquelle puisent les auteurs de romans arthuriens, la femme du roi incarne la souveraineté du pays et celui qui l’épouse acquiert par là les terres du royaume. En prenant en compte ce contexte, on n’est plus étonné de voir Arthur jeter en prison son meilleur chevalier.

15La bâtardise qui rend problématique la succession, la relation compliquée du père au fils, la mort du fils et les conséquences néfastes pour le royaume qui peuvent s’ensuivre, tous ces motifs exposés dans le rêve de Cahus, en font un épisode-clé, qui préfigure les dangers guettant le royaume arthurien. Ces menaces, d’abord latentes, aboutiront à une grande guerre féodale (branche X), une guerre qui aurait pu perdre le monde arthurien, si Arthur, ayant pris conscience de la gravité de situation,  n’avait pas libéré Lancelot.

16L’épisode de Cahus est ainsi encore une fois en continuité avec le prologue du Perlesvaus. Une partie du prologue est consacrée au lignage de Perlesvaus ; l’arbre généalogique qui y est tracé sert à intégrer le héros dans une structure familiale. Du côté maternel sont nommés Yglais ou la Veuve dame, la mère de Perlesvaus, et ses trois frères : le Roi-Pêcheur, Pelles (le Roi-Hermite) et le Roi du Chastel Mortel. Même si le lignage maternel est dans une certaine mesure problématique, étant donné la présence d’un oncle méchant qui sera l’ennemi principal de Perlevaus, le lignage paternel l’est encore plus : les douze ancêtres paternels de Perlesvaus, y compris son père, sont tous morts sur le champ de bataille, et l’énumération de leurs noms (P, ll. 46-52) – ils sont quatre fois plus nombreux que les oncles maternels! – ne fait que souligner l’absence réelle du signifié auquel elle se refère. A la fin du roman, dans la branche XI, Perlesvaus arrive aux îles où sont enterrés son père et ses onze oncles et en retrouve ainsi symboliquement sa filiation paternelle (P, 9817-9854). La relation fils-père revêt ainsi un caractère tragique. Ce thème est développé dans l’épisode de Cahus, mais de façon inverse, dans une perspective qui est plus caractéristique du roman en entier : Cahus est le premier des « fils » qui meurent dans le Perlesvaus25.

17Enfin, une troisième interprétation du rêve de Cahus le rapproche des souffrances du Christ et du Graal. Certains détails, dont l’apparition est particulièrement difficile à expliquer, suggèrent la possibilité de l’interprétation proposée. Cahus est blessé par le chevalier noir au flanc droit (P, ll. 157-158) – une blessure qui, par sa position même, aurait dû rappeler au lecteur médiéval celle de Jésus sur la croix. C’est la thématique de l’oblativité qui semble être mise en évidence par cette blessure. Par ailleurs, l’arme qui tue Cahus est loin d’être usuelle dans un combat chevaleresque : ce n’est ni une lance, ni une épée, mais « i grant cotel agu » (P, l. 147). Il semble que le choix de l’arme favorise à son tour une lecture sacrificielle de l’épisode. Notons aussi le geste symbolique d’Arthur qui précipite la mort de Cahus en tirant le couteau ensanglanté de sa plaie, tel un prêtre de l’Ancien Testament poignardant une victime rituelle. A notre avis, cette scène peut être lue comme une métaphore du sacrifice de l’Agneau. L’interprétation littérale des métaphores sacrées n’est pas étrangère à notre auteur. Nous en trouvons un autre exemple dans l’épisode du roi Gurgaran (branche VI)26. Le roi fait bouillir le corps de son fils tué par un géant, le démembre et en fait manger à tous les hommes de sa terre. Ce serait dans l’ordre des choses, s’il s’agissait d’un païen, d’un barbare cruel et sans foi. Mais c’est justement à ce moment-là que Gurgaran cesse d’en être un : il se fait baptiser immédiatement après cet acte de cannibalisme qui n’est barbare qu’en apparence (P, ll. 2060-2071). Le prêtre du château de l’Enquête ne laisse planer aucun doute quant à la signification christique de cet évènement : « il [le roi Gurgaran] avoit ja son cuer aporté au Sauveor, si vout tel sacrifice fere de son sanc et de sa char a Nostre Saignor, et por ce en fist il mengier a toz çaus de sa terre, et vout que lor pensee fust autretele comme la seue... » (P, ll. 2246-2249). Une telle « matérialisation » des métaphores sacrées est donc caractéristique de notre auteur.

18Par le biais de cette interprétation eucharistique le rêve de Cahus se rattache avant tout à la vision d’Arthur dont il bénéficie au cours de son pèlerinage à la chapelle Saint-Augustin. Cette vision suit immédiatement l’histoire de Cahus qu’elle continue et achève. Dans le spectacle qui semble être mis en scène spécialement pour le roi est relatée l’histoire de la Passion et du salut. A cause de son péché, le roi n’arrive pas à entrer dans la chapelle, mais il peut observer ce qui s’y passe. Il voit d’abord le prêtre et la Vierge Marie avec son enfant, ensuite un rayon de lumière (« une flanbe... plus clere que rais du soleil », P, ll. 302-303) qui tombe sur l’autel. Le signal du commencement du spectacle est donné. L’enfant que Marie remet au prêtre se transforme en un homme ensanglanté. La blessure au côté est, d’ailleurs, mentionnée en premier lieu, ce qui souligne sans doute son importance : « i home, sanglant o costé, e sanglant es paumes e es piez » (P, l. 316). Ensuite l’homme se transforme de nouveau en enfant et disparaît avec la lumière : « Li filz prist la mere par la main, e s’esvanoïrent fors de la chapele... La flanbe qui descendue estoit parmi la verriere s’en ala avec cele conpeignie » (P, ll. 322-325). Le rideau est tiré.

19 D’une part, cette vision a une fonction moralisatrice : le roi Arthur redevient le bon roi qu’il avait été auparavant. La messe miraculeuse terminée, le prêtre ne souffle mot sur la signification du spectacle avec la Vierge et l’enfant ; il fait un sermon dont le but est de rappeler au roi ses devoirs de souverain. Il est intéressant de noter le caractère mondain et même « chevaleresque » de son discours : « Molt puet estre dolenz qi d’onneur vient a honte, mes cil ne puet avoir reproche qui mal li face, qui de hont[e] vient a honeur ; car l’oneurs en coi il est trovez le resquet adés. Mes blasmes ne puet rescorre l’omme s’il a guerpie honneur por honte, car la hont[e] e la vilenie en coi il est pris le juge mauvés » (P, ll. 340-344). La voie humaine est comprise comme une oscillation entre l’honneur et la honte. La division tripartite (honneur-honte-restauration d’honneur) nous rappelle le destin du héros principal tel qu’il est décrit dans le prologue (« buens chevaliers » – « molt poi de parole qu’il delaia a dire » et les « granz meschaances » qui s’ensuivent – remise en joie « par la valor de sa buenne chevalerie », P, ll. 15-22). Le même sermon aurait pu être adressé à Perlesvaus, dont la faute est comparée, moyennant, entre autres, l’épisode de Cahus, au péché d’Arthur. D’ailleurs, le prêtre ne manque pas de raconter au roi l’histoire de Perlesvaus et son silence devant le Graal, sans toutefois nommer le chevalier (P, ll. 349-356). Nous rejoignons ici la thématique de la faute, ses conséquences et son expiation que nous avons examinée en premier lieu.

20D’autre part, la vision d’Arthur à la chapelle Saint-Augustin est reliée à celles du Graal dans les branche VI et X. C’est Gauvain qui bénéficie de la première vision et, significativement, les deux héros, Arthur et Gauvain, sont présents à la deuxième apparition du Graal.

21Les souffrances du Christ sont au centre des métamorphoses que voit Gauvain. La scène est construite avec une extrême habileté. Trois passages du Graal devant Gauvain, avec les trois métamorphoses qu’il y voit, c’est-à-dire, une chandelle27, un enfant et un homme crucifié. Ce sont les mêmes transformations que celles qu’Arthur voit à la chapelle Saint-Augustin : lumière (traversant une verrière)-enfant-homme ensanglanté. Dans les deux cas les héros éprouvent de la pitié en voyant le Christ crucifié : « Li rois a pitié en son cuer de ce qu’il a veü » (P, l. 318) ; « Et voit... par deseure un homme cloufichié en une croiz, et li estoit le glaive fichié eu costé28. Missire Gavains le voit, si en a grant pitié... » (P, ll. 2448-2450). Notons qu’une attention particulière est encore prêteé à la blessure au flanc. En effet, elle est déjà mise en avant dans le prologue du roman où est relaté, dans le cadre du récit généalogique, la Déposition. Joseph d’Arimathie, un oncle de la mère de Perlesvaus, garde le corps de Jésus, mais aussi la lance, « de coi il fu feruz o costé » et le « saintisme vessel, en coi cil qui le creoient pooureusement recueillirent le sanc qui decoroit de ses plaies » (P, ll. 33-35). Ainsi on est amené à constater que l’épisode de Cahus fait de nouveau écho au prologue. La blessure au flanc de Cahus est entourée de tout un réseau d’allusions christiques et par là ne peut être fortuite.

22La dernière apparition du Graal a lieu devant Arthur, Gauvain et sans doute Perlesvaus qui les accueille dans son château après la reconquête du Graal. Mais c’est surtout sur la présence d’Arthur qu’insiste le texte, ce qui relie cette scène à la vision qu’a eue Arthur dans la branche I. A la différence de la vision du Graal dans la branche VI, celle de la branche X n’est décrite que brièvement. Il y a un élément décidément nouveau qui attire immédiatement l’attention du lecteur – c’est le nombre des métamorphoses du Graal : « Li Graaux s’aparut eu secré de la messe en V manieres... » (P, l. 7223). En effet, on s’attendrait plutôt à en trouver trois, tenant compte des trois transformations du Graal devant Gauvain d’une part, et du fait que le texte est placé dans le prologue sous l’autourité de la Trinité d’autre part : « Li hauz livres du Graal commence o non du Pere e du Fill e du Saint Esperit. Cez trois persones sont une sustance, e cele sustance si est Dex, e de Dieu si muet li hauz contes du Graal » (P, ll. 8-10). Par ailleurs, l’apparition du Graal dans la branche VI est précédée d’une vision trinitaire des trois demoiselles à la fontaine qui semblent n’être qu’une seule (P, ll. 1949-1970).

23Or, malgré toutes ces allusions trinitaires, le nombre des « muances » (P, l. 7226) du Graal dans la branche X est bel et bien cinq. L’auteur du Perlesvaus, nous l’avons vu, n’est pas quelqu’un qui aurait négligé de tels détails ; le nombre cinq doit donc avoir une signification particulière. La réponse est suggérée par l’auteur lui-même : la dernière « muance » du Graal et la seule de toutes à être nommée est un calice (P, l. 7226). Vu que la vision du Graal dans la branche VI a, elle aussi, un caractère eucharistique, on pourrait voir dans le nombre 5 le nombre de la Passion du Christ, comportant cinq parties qui égalent à ses cinq blessures sur la croix, selon la tradition attestée par Honorius Augustodunesis et Bède le Vénérable (« quinque partita passio Christi »)29. Les cinq blessures du Christ sont aussi évoquées pendant la messe où elles sont commémorées à deux reprises par cinq séries de signes de croix que fait le prêtre. Dans le cas de la cérémonie du Graal dans la branche X, il s’agit clairement d’une messe qu’on chante devant le Saint Veissel (P, ll. 7216-7217 ; ll. 7223-7225).

24Les souffrances du Christ sont ainsi au cœur même de l’histoire du Graal et de celle de Cahus. Sa blessure au flanc suggère celle du Christ, et derrière le rêve de l’écuyer transparaît le mystère du Saint Veissel.

25Il reste à interpréter un dernier petit détail qui semble bousculer en quelque sorte le schéma harmonieux que nous venons de tracer. Le coup porté au flanc droit (« cil... le fiert du cotel o destre costé si qu’il li enbat o cors desq’enz o manche », P, ll. 157 et s.) se transforme en une blessure au flanc gauche au réveil de l’écuyer : « Il [Cahus] hauça le braz senestre. “Sire, fet il, esgardez ça. Vez ci le cotel qui m’est o cors desqu’au manche” » (P, ll. 167-169). Selon Francis Dubost, Cahus est un « personnage obscur, dont le nom est chargé de connotations diaboliques et païennes » : c’est ce nom que porte un dieu sarrasin dans quelques chansons du cycle de Guillaume ainsi qu’un démon dans le Miracle de Théophile de Rutebeuf30. Le « déplacement » de la blessure de droite à gauche, serait-ce une marque de la nature diabolique du rêve qui altère la Passion du Christ ? Nous ne le croyons pas. Il faudrait plutôt penser à l’effet de miroir, à la problématique du rêve et de la réalité. La blessure rêvée au flanc droit se reflète comme une blessure au flanc gauche dans le miroir de la réalité. Cette transformation répond à l’hésitation fantastique qui est maintenue tout au long de l’épisode de Cahus et ne se dissipe pas après le dénouement tragique. Le lecteur ne saura jamais pourquoi et comment l’écuyer, blessé dans le rêve, en meurt dans la réalité.

26C’est peut-être là la clé de la poétique du Perlesvaus, c’est là que se cache le secret de son attirance et de son charme inquiétant. Le texte suscite des émotions multiples, obscures, troublantes. L’auteur n’explique pas, il provoque, il suggère, en tissant des liens étroits entre les scènes et les épisodes dans le cadre d’une seule branche ainsi que du récit entier. Plusieurs interprétations du rêve de Cahus paraissent plausibles et ne se contredisent pas, transformant cet épisode en une mise-en-abyme du récit. Cahus est un double d’Arthur et assume ainsi sa culpabilité. Cahus est un Adam qui commet une faute envers Dieu et s’identifie par là à Perlesvaus. Cahus est le Fils qui meurt, la mort de l’héritier ouvrant la voie aux guerres intestines et à l’usurpation du pouvoir. Cahus est l’Agneau dont les souffrances sont commémorées dans la messe du Graal. Toutes ces images diverses qui se superposent viennent raviver la force poétique de l’histoire de l’écuyer, dont le rôle ne saurait être sous-estimé. Le parcours narratif de ce personnage est bref, et sa vie n’importe que par la « senefiance » de sa mort. Cahus passe comme une étoile filante dans le ciel du récit, mais son éclat est inoubliable.

Notes de bas de page numériques

1 Perlesvaus, le Haut livre du Graal, publ. par William Nitze. New York, Phaeton press, 1972. Toutes les références seront faites à cette édition-là (abrégée P). Pour une présentation détaillée du roman et des manuscrits existants voir l’introduction de W. Nitze (Vol. I, pp. 3-22) ou encore l’introduction d’Armand Strubel à l’édition du manuscrit BN fr. 1428 du Perlesvaus : Le Haut livre du Graal, texte établi, présenté et traduit par A. Strubel. Paris, LGF (Lettres gothiques, 4573), 2007, pp. 9-107.
2 La datation de l’œuvre reste incertaine (avant 1212 ou autour des années 30). Voir à ce propos l’opinion de William Nitze (Perlesvaus, le Haut livre du Graal, publ. par W. Nitze. New York, Phaeton press, 1972, Vol. 2, pp. 82-89) et celle de Fanni Bogdanow (« Le Perlesvaus » in Grundriss der romanischen Literaturen des Mittelalters. Vol. IV, t. 2. Heidelberg, C.Winter, 1984, pp. 43-67).
3 Anne Berthelot, « Violence et Passion, ou le christianisme sauvage de Perlesvaus: Le haut Livre du Graal » in La violence dans le monde médiéval. Aix-en-Provence, CUER MA, 1994, pp. 19-36, ici p. 21. Jeanne Lods, à son tour, parle d’un « conte barbare » : J. Lods, « Symbolisme chrétien, tradition celtique et vérité psychologique dans les personnages féminins de Perlesvaus » in Mélanges Pierre Le Gentil, Paris, S.E.D.E.S., 1973, pp. 505-522, ici p. 516.
4 Charles Méla, La reine et le Graal: la conjointure dans les romans du Graal de Chrétien de Troyes au Livre de Lancelot. Paris, Seuil, 1984, p. 176.
5 Le terme de branche est récurrent dans les textes médiévaux et qualifie une partie plus ou moins grande du récit. Le Perlesvaus comporte onze branches qui sont chacune présentées comme des branches du Saint Graal. Voir Emmanuèle Baumgartner, « Les techniques narratives dans le roman en prose » in The legacy of Chrétien de Troyes. Ed. Norris Lacy, Keith Busby et al., t. 1, Amsterdam, Rodopi, 1987, pp. 167-190, ici pp. 179-180, ou encore Thomas E. Kelly, Le Haut Livre du Graal : Perlesvaus, a structural study, Genève, Droz, 1974, pp. 41-53.
6 Cf. Francis Dubost, Aspects fantastiques de la littérature narrative médiévale (XIIe-XIIIe siècles) : l’Autre, l’Ailleus, l’Autrefois. Paris, Champion, 1991, ici chapitre 22, partie III, « Le rêve de Cahus, ou la blessure fantastique », pp. 787-791.
7 A propos de ces trois catégories voir Jacques Le Goff, « Le merveilleux dans l’Occident médiéval », L’imaginaire médiéval, Paris, Gallimard, 1985, pp. 455-476.
8 Comme le terme merveille est très polysémique au XIIIe siècle encore, on ne pourrait en effet rien en inférer en ce qui concerne les trois catégories énumérées supra (miraculeux, merveilleux, magique).
9 Michel Zink, « Le rêve avéré : La mort de Cahus et la langueur d’Arthur du Perlesvaus à Fouke le Fitz Waryn », in Mélanges offerts au Prof. René Fromilhagues, Littératures, 9-10. Toulouse, Service des publications de l’Université de Toulouse-le Mirail, 1984, p. 31-37, ici p. 31.
10 Cf. Francis Dubost, « Le Perlesvaus, livre de haute violence », in La violence dans le monde médiéval. Aix-en-Provence, CUER MA, 1994, pp. 179-199, ici p. 191.
11 Le terme latin vient du grec akēdia qui signifie indifférence, négligence. Au Moyen Âge le terme se rapportait d’abord à la langueur qui s’empare du moine dans sa cellule. A propos de l’aspect historique de la notion voir, par exemple, l’article de Gaëlle Jeanmart, « Acédie et conscience intime du temps » in Bulletin d’analyse phénoménologique, Vol. 2/ 1, 2006, http://popups.ulg.ac.be/bap/document.php?id=126
12 C. Casagrande, S. Vecchio, Histoire des péchés capitaux au Moyen âge. Paris, Aubier, 2002, p. 144.
13 Branches II-VI du Perlesvaus.
14 Jean Neale Carman. The relationship of the Perlesvaus and the Queste del Saint Graal. Chicago, University of Chicago press, 1936, p. 41.
15 Francis Dubost, « Les couleurs héraldiques du Perlesvaus » in Les couleurs au Moyen âge. Aix-en-Provence, CUER MA, 1988, pp. 73-85, ici p. 78.
16 Il est intéressant à noter qu’à l’origine le terme latin sacrilegium désignait précisément le vol d’un objet mobilier appartenant aux dieux. Dans le droit romain, la peine de mort, à côté de la confiscation des biens, était une sanction courante pour avoir commis un sacrilegium. Dans tous les cas, les objets volés devaient être restitués. Une distinction pouvait être faite suivant que le crime a été commis de jour ou de nuit. Si le crime a eu lieu de nuit, cela pouvait être considéré comme une circonstance aggravante. Voir à ce propos l’article “Sacrilegium” dans le Dictionnaire des antiquités grecques et romaines, publ. sous la dir. de Ch. Daremberg et Edm. Saglio, Paris, Hachette, 1877-1919. http://dagr.univ-tlse2.fr/sdx/dagr/index.xsp
17 Voir à ce propos l’article d’A.Williams, « Dreams and visions in the Perlesvaus » in Arthurian studies in honour of  P.J.C. Field, ed. by B. Wheeler, Cambridge, D.S. Brewer, 2004, pp. 73-80, ici p. 79.
18 L’expression « parabole intermittente » a été proposée par Armand Strubel dans La rose, Renart et le Graal : la littérature allégorique en France au XIIIe siècle. Genève, Slatkine, 1989, p. 267.
19 Branche XI du Perlesvaus, ll. 9962 sq.
20 A. Strubel, La rose, Renart et le Graal : la littérature allégorique en France au XIIIe siècle. Genève, Slatkine, 1989, p. 267.
21 Thomas E. Kelly, Le Haut Livre du Graal : Perlesvaus. A structural study. Genève, Droz, 1974.
22 A. Strubel, La rose, Renart et le Graal: la littérature allégorique en France au XIIIe siècle. Genève, Slatkine, 1989, p. 267.
23 Cf. Michel Zink, « Le rêve avéré : La mort de Cahus et la langueur d’Arthur du Perlesvaus à Fouke le Fitz Waryn », in Mélanges offerts au Prof. René Fromilhagues, Littératures, 9-10. Toulouse, Service des publications de l’Université de Toulouse-le Mirail, 1984, p. 31-37, ici p. 33.
24 Voir la conversation de Lancelot avec l’ermite, P ll. 3624-3695.
25 Clamadoz, fils du Rous chevalier; Alain, fils d’Elinanz d’Escavalons (un oncle paternel de Perlesvaus) ; le fils de Bruns Brandalis (un autre oncle paternel de Perlesvaus) ; Loholt et al.
26 Nous comparons ici uniquement les procédés littéraires utilisés dans les deux épisodes et non leurs sujets.
27 Selon les manuscrits de Paris et de Bruxelles, Gauvain voit un calice et non une chandelle. Une telle lecture est soutenue par la subordonnée qui suit : « e li senble q’il voit i calice dedenz, donc il n’ert gaires a icel tens » (P, ll. 2429 et s.). En effet, comme nous l’apprenons plus tard, il n’y avait pas de calices dans le royaume arthurien et Arthur contribue à leur diffusion après la messe du Graal dans la branche X (7232-33; 7865-69). Il nous semble toutefois qu’une chandelle serait un choix plus logique, car sinon, il faut comprendre la phrase citée ci-dessus dans le sens que Gauvain voit le calice dans le Graal, ce qui paraît un peu bizarre. Quoi qu’il en soit, les deux variantes s’inscrivent dans notre interprétation. Le calice est un symbole évident de la Passion, en même temps l’aspect lumineux est souligné à deux reprises avant et au cours de la procession du Graal : « Mes l’autre clarté oscurissoit la lor [celle des chandelles dans la salle] » (P, ll. 2423-24) ; « e li senble qu’il voit ii angres qui portent ii chandelabres d’or espris de chandoiles » (P, ll. 2431-32).
28 C’est moi qui souligne.
29 Voir l’article « Fünf » dans l’ouvrage capital de H. Meyer, R. Suntrup, Lexikon der mittelalterlichen Zahlenbedeutungen, München, W. Fink, 1987, pp. 403-442.
30 Francis Dubost, « Le Perlesvaus, livre de haute violence », in La violence dans le monde médiéval, Aix-en-Provence, CUER MA, 1994, pp. 179-199, ici p. 191.

Pour citer cet article

Elena Koroleva, « Le rêve du Graal : l’épisode de Cahus dans la structure du Perlesvaus », paru dans Loxias, Loxias 22, mis en ligne le 15 septembre 2008, URL : http://revel.unice.fr/loxias/index.html?id=2493.


Auteurs

Elena Koroleva

Université Saint-Tikhone, Moscou. A soutenu à l’Université d’État de Moscou Lomonossov, en 2007, une thèse intitulée Le motif de la quête du Graal et les problèmes de mise en cycle dans le roman médiéval français et allemand du XIIIe siècle, sous la direction du Professeur Marina Abramova.