Loxias | Loxias 21 Frédéric Jacques Temple, l'aventure de vivre | Frédéric Jacques Temple, l'aventure de vivre
Colette Camelin :
La Route de San Romano, peintures de guerre, exorcismes
Résumé
Le roman La Route de San Romano présente des peintures de guerre, l’évocation des combats de la campagne d’Italie de l’hiver 1943-1944, en référence au tableau de Paolo Uccello, La Bataille de San Romano : comment peindre la guerre reste un problème que l’écriture du roman cherche moins à résoudre qu’à exorciser, à la manière peut-être des peintures de guerre des Indiens de l’enfance. Ce roman donne un visage, des gestes, une voix à chacun des compagnons morts, alors que « dans la terre ils ne se ressemblent plus, ils se ressemblent tous ». Un regard lucide est porté sur la guerre : la pagaïe de l’organisation militaire, les erreurs stratégiques, la vanité des chefs, le mépris envers les combattants « indigènes ». Le soldat est asservi à la machine de guerre, ce qui est le contraire même de l’aventure libre dont rêvait l’adolescent. Comme dans le tableau d’Uccello, l’ordre héroïque des lances contraste avec les débris dispersés au premier plan, parmi les blessés et les morts. Faire de la guerre un livre « juste » ne guérit pas, mais apaise, car du chaos, on a pu faire œuvre humaine.
Plan
Texte intégral
1« L’aventure de vivre » a commencé pour Frédéric Jacques Temple dans les marais, les lagunes, les pinèdes de la Grande-Plage, un « pays de thym et d’iode » (La Route de San Romano, 331), dans le grand parc sombre d’une vieille maison familiale des Causses, à l’Enclos aussi, où il chantait à la chapelle et lisait des romans d’aventure, le jeudi, à l’étude. Il rêvait du capitaine Nemo, des « Peaux-Rouges criards » de Fenimore Cooper et de Rimbaud, du Sahara de Théodore Monod, ces aventures prolongeaient celles qu’il vivait dans les marais de l’Estagnol. Brusquement, à la fin de son adolescence, l’aventure de la vie s’est inversée en aventure de la mort, en Afrique, dans les Abruzzes, en Toscane, en Alsace jusqu’en Forêt-Noire. Certes, des poèmes brefs, écrits sur le moment, quelques pages de romans2 évoquent la guerre, mais aucun ouvrage n’y a été entièrement consacré avant La Route de San Romano. Comment « exorciser » la blessure brutale de la guerre ? Comment écrire ce que l’on a vu de l’autre côté de la vie, comme si la guerre avait fait pénétrer, au-delà de la « selva oscura », dans l’Enfer où « les enfants se sont parés des yeux crevés des tournesols3 » ? Est-ce que La Route de San Romano parvient à exorciser la violence des épreuves, « à se délivrer d’emprises4 » quand le fil des désirs de l’enfance a pu être renoué ? La Route de San Romano est une fiction lucide et distancée, rapprochée d’une « peinture » : une description du tableau de Paolo Uccello, La Bataille de San Romano, figure à la fin du roman car c’est à cet endroit même que, cinq siècles après le combat entre les Siennois et les Florentins, prit fin la campagne d’Italie de l’armée française. Ce tableau définit une esthétique : il s’agit de peindre une succession de scènes, des séquences courtes, aux formes puissantes et aux couleurs vives.
2Bien qu’il ait tenté, peu de temps après son retour, dans une cabane adossée aux dunes de la Grande-Plage, de rassembler ses notes en un récit, Frédéric Jacques Temple a renoncé pour longtemps à raconter sa guerre :
J’avais voulu écrire sur ma guerre, mais j’avais vite compris qu’il me fallait renoncer à l’harmonie du style. La guerre avait tout désarticulé, dispersé, désajusté, disloqué, à l’image des cadavres, des ruines, des cratères, des crémations5.
3Ce texte, La Mer Sauvage, « devait [l]e libérer6 » de l’obsession des images terribles. Des fragments, écrits au retour de la guerre, ont été intégrés au récit intitulé Les Eaux mortes publié pour la première fois en 1975. Le narrateur constate la violence de l’enfance et de la guerre qui brûlent en lui, « toutes deux inséparables désormais7 ». Il écrit cependant dans L’Enclos que ce récit « n’avait rien résolu en son temps ; il ne résoudrait rien aujourd’hui8 ». Quel récit pourrait « résoudre » le problème de la vie laissée à celui qui a traversé l’enfer et perdu ses compagnons ? Un bref poème, « Monte Cassino », en rappelle la brûlure :
Le déluge d’artillerie
mille cadavres de compagnons
des odeurs palpables me sont familiers.
Je bois la fange de l’homme.
Hélas, je ne suis pas devenu fou9…
4C’est un problème d’autant plus douloureux qu’il faudrait à la fois écrire la violence, c’est-à-dire retraverser l’horreur et, puisqu’on est vivant, trouver des repères dans un monde différent de celui qu’on a quitté, ce qui exige de mobiliser une grande énergie entravée par le poids des traumatismes : « on ne peut oublier ça, cette casserole encombrante reste attachée10 ». Le temps de la guerre est affranchi de la routine, traversé de moments d’une intensité extrême comme une ivresse : « …la guerre est pour les peuples un excitant, une drogue contre la peur de vivre11. »
5Temple évoque la guerre, dans L’Enclos, comme « une fête », « un carnaval tragique », une sinistre « partouse » d’où l’on sort flétri, le soleil « à jamais obscurci ». L’humanisme de F. J. Temple est aux antipodes du cynisme décadent d’un Roger Nimier évoquant ainsi la campagne de 1945 : « c’était la guerre, telle qu’on la cache, son beau corps de pillages, de viols, d’incendie que les historiens habillent toujours d’un velours héroïque12. » Alors que le héros de Nimier déteste la campagne, méprise les « goums » parce qu’ils ne lisent pas Montaigne, et, de retour à Paris, déclare dédaigneusement : « tout ce qui est humain m’est étranger13 », F. J. Temple cherche au contraire le chemin de l’humanité, telle qu’il l’a éprouvée pendant son enfance, au contact des chasseurs, des pêcheurs, de certains de ses professeurs, des livres, de la musique, des êtres surtout, qu’il a aimés : « Comment relier le réel au réel ? Comment retrouver intact un monde que l’on avait pu admettre comme perdu et qui n’était plus le même14 ? ». D’avoir éprouvé dans sa chair et son esprit, au plus profond, « la fange de l’homme » rend difficile de s’adapter au rôle attendu d’un adulte. Un survivant américain de la bataille témoigne :
It was more than the stubble of beard that told the storm ; it was the blank, staring eyes. The men were so tired that it was a living death. They had come from such a depth of weariness that I wondered if they would quite be able to make the return to the lives and thoughts they had known15.
6Blaise Cendrars montre, dans L’Homme foudroyé, comment après la guerre, il est impossible au gitan Sawo de retrouver sa place au sein de sa tribu comme au poète Cendrars de retrouver la sienne dans sa famille et dans le milieu artistique qu’il fréquentait avant la guerre16. Les institutions, les structures sociales paraissent évidées par la brutalité du choc de la guerre. Ce qui reste, c’est la puissance du désir de liberté, grandi au contact de la nature et des récits d’aventure : « Après la guerre, il avait tenté d’y devenir un homme, en pure perte : l’enfant qui s’acharnait à vivre en lui ne voulait pas le lui permettre17. » De plus, la conjonction entre l’expérience de la guerre et « la prostitution » de sa terre rendait l’adaptation encore plus difficile pour F. J. Temple.
7Il lui a fallu peut-être d’abord traverser « pour de vrai » le grand Ouest américain rêvé dans la salle d’étude de l’Enclos, vivre en trappeur quelque temps, pour revenir enfin. Le narrateur du Chant de limules après avoir évoqué quelques épisodes de sa campagne d’Alsace, s’écrie : « Merde de merde, j’en ai soupé de la guerre ! Désormais, pour rester fidèle aux camarades qui s’effritent sous des croix, il faut vivre, boire, musiquer, boustifailler, baiser sa femme si l’on peut…18 » Pourtant, en 1996, paraît La Route de San Romano, consacré à la campagne d’Italie, de Naples à Florence. Ce texte est écrit un demi-siècle après les événements. Peut-être ce temps a-t-il été nécessaire pour trouver une forme échappant au témoignage d’ancien combattant et à « l’harmonie du style » :
J’hésite aujourd’hui à raconter : « J’ai délivré Strasbourg, je suis entré l’un des premiers dans les faubourgs de Rome ; j’ai, avec mon char, délogé les Allemands de Tivoli19… »
8En effet, La Route de San Romano porte en sous-titre « roman », l’auteur se propose de « se faire le peintre » de combats promis à l’oubli avec la disparition de leurs derniers témoins : « et une petite lampe éclairera peut-être encore un recoin de ces ténèbres » (RSR, 9). Qui se souviendrait, en effet, de Niccolo Marucci da Tolentino, chef des Florentins, de Belardino della Carda, chef vaincu des Siennois, si Paolo Uccello n’avait peint les trois tableaux de la Bataille de San Romano20 ? Frédéric Jacques Temple ne cherche pas à tant sauver de l’oubli « la gloire » de l’armée d’Afrique que l’honneur des combattants, en particulier des Français d’Afrique du Nord dont les exploits, souvent minimisés dans les communiqués, ont été vite oubliés par l’histoire, parce que De Gaulle a cherché à les maintenir dans l’ombre.
La France, alors sourde à la canonnade et au fracas des batailles qui secouaient l’Italie, a longtemps ignoré la grande et dure marche de son armée d’Afrique. Qu’en sait-elle encore ?
9Si la prise du mont Belvedere par le corps expéditionnaire venu d’Afrique a rendu son honneur à l’armée française, c’est en grande partie grâce au 4e régiment de tirailleurs tunisiens envoyés en première ligne — une liste de ces « indigènes » morts au combat figure dans La Route de San Romano21. Peut-être, au fil du temps, les scènes douloureuses et les visages des compagnons morts se sont-ils fait de plus en plus obsédants, comme ce fut le cas pour Cendrars. Peut-être aussi a-t-il fallu à l’auteur se recueillir sur d’autres champs de bataille, tels que Little Big Horn et Wounded Knee pour inscrire son récit à la suite de ces combats héroïques22. Peut-être enfin la campagne de 1944-1945 a-t-elle pris un relief différent après les années soixante, quand les « indigènes » de la région de Montpellier ont eu à défendre leurs vignes, leurs étangs et leurs vergers contre l’avidité des promoteurs, comme l’avaient fait les Indiens d’Amérique aux prises avec les colons23.
10Il s’agit, dans ce roman, de répondre au défi posé par un tirailleur revenant de l’enfer du mont Belvedere : « Ces choses-là, vois-tu, nul ne saurait les raconter. Elles disparaîtront avec nous… » (RSR, 54). La gageure est de trouver comment « les raconter ». Comme La Main coupée de Cendrars, La Route de San Romano est organisé autour de l’évocation de camarades tués, mais, à la différence du récit à la première personne de Cendrars, le roman de Temple est à la troisième personne et respecte la chronologie des événements. Le personnage principal, Tellier, présente certes des traits de Temple, mais il est un combattant « ordinaire » de cette campagne, situé dans un groupe, parmi ses camarades. Comme Tellier est un personnage parmi d’autres, le récit adopte le point de vue de tel ou tel, par exemple les sensations et les pensées d’Orel blessé (RSR, 99-100). Faire revivre des existences individuelles rend plus scandaleuse la guerre qui a fait disparaître des millions de vies, chacune avec son corps en son irréductible différence. Il s’agit de donner un visage, une chair, une voix à ces morts — Dubreuil, Morinot, Soler, Dargon, Lemoine, Barrot qui est « mort pour la patrie un cochon entre les bras » (RSR, 112). Leurs noms ont été cités à l’ordre de l’armée et sont gravés sur quelque monument. Il s’agit de montrer « ce qu’ils furent », alors que « dans la terre ils ne se ressemblent plus. Ils se ressemblent tous24. »
11Dans La Route de San Romano alternent de courts récits et des pages en italiques comprenant des documents : lettres, communiqués, liste d’armes, de bombardiers, de soldats tués. L’effet de contraste entre l’expérience, les sensations, les réactions des individus, leur destin personnel, et la guerre, telle qu’elle est entrée dans l’histoire, est saisissant. Ce procédé est démythifiant.
12Le roman rend hommage à l’héroïsme, en tant que valeur humaine, mais garde une distance ironique à l’égard de toute « illusion lyrique », dès l’attente angoissée de la traversée :
Qui, de tous ces hommes encaqués dans ces navires, ne s’en retournerait chez lui si le choix lui était permis25 ? (RSR, 21)
13Devant un mort allemand, Soler remarque : « Mourir pour une idée » n’est pas une gloire, « vaudrait mieux tuer les idées » et Tellier ajoute : « Tous les morts sont des vaincus ». Quant aux honneurs militaires, distinctions, citations, arcs de triomphe, ce sont des « foutaises », dit Morinot. Sous le déluge de minens, le patriotisme, démythifié, devient une « idée » abstraite :
Mourir, même pour la patrie, leur paraît d’une bêtise défiant toute absolution. Mais on se bat. On se bat même bien. (RSR, 47)
14L’héroïsme n’est pas au service d’une abstraction, mais il est soutenu par le sens de l’honneur de chacun et du groupe. Au combat des idéologies, est substituée la fierté individuelle — valeur des légionnaires de Cendrars et des chevaliers de la bataille de San Romano. À propos de la retraite de l’armée allemande, le narrateur distingue du fanatisme l’honneur au combat : « ils vont encore se battre, non pour Hitler mais pour leur orgueil militaire » (RSR, 102). En revanche « la gloire » officielle des cérémonies et des médailles est l’objet de sarcasmes. Morinot a eu la gorge sectionnée, « saigné comme un cochon » dès le premier assaut. Tellier ironise à propos de sa veuve : « la veuve glorieuse ! Un héros Morinot ! » (RSR, 57), il aura son nom sur une plaque, lui qui s’écriait : « la seule vraie gloire est d’être vivant ! » (RSR, 41).
15Le roman de Temple met en valeur les individus au combat, mais critique la « pagaïe » de l’organisation militaire, par exemple les erreurs de l’aviation américaine qui a bombardé le campement français, une division hindoue et des civils d’un village italien : « ils se sont trompés de vallée, comme d’habitude », remarque Tellier (RSR, 61). Plus tard, les Américains ont mitraillé la colonne alliée en route vers Rome : « Déjà bourrés de bon matin » (RSR, 109). Il ironise sur la stratégie : la destruction inutile de l’abbaye de Monte Cassino a été décidée par des généraux désireux que leur nom figure « dans les dictionnaires jusqu’à la fin des temps » (RSR, 68). Les bombardements de la ville, le 15 mars 1944, ont même facilité la résistance allemande. Quant au monastère de saint Benoît, « œuvre merveilleuse de Cosimo Fansaga et de Bramante », il dort « dans un linceul de marbre et d’or pulvérisé26 » et n’est plus « qu’une horrible molaire pourrie » (RSR, 70) où s’entassent les cadavres des civils qui s’y étaient réfugiés. Le jugement est sans appel :
La bataille de Cassino — ville et monastère — fut un exemple de bévue stratégique et tactique, un massacre inutile, qui couronnèrent, si l’on peut dire, les combats livrés par les troupes des deux camps pendant le dur hiver. Le commandement allié s’obstina dans une série d’actions frontales qui laissèrent dans le bourbier de la vallée des monceaux de cadavres. On peut, à juste titre, se demander si le terme de « victoire » convient à une opération qui a causé tant de morts (RSR, 74).
16Les pages en italiques montrent comment le rôle des combattants français, particulièrement des régiments africains, est minimisé dans les communiqués officiels de l’armée américaine, qui omettent des fais essentiels : c’est le 4e régiment de tirailleurs tunisiens qui a pris mont Belvédère. Les tirailleurs, à court de munitions, ont combattu à coups de pierre pour garder le sommet de Monna Casale qu’ils avaient conquis (RSR, 45). La solide ligne de défense allemande Gustav a été rompue par la 3e division d’infanterie algérienne du général Monsabert, avant la manœuvre alliée (RSR, 93).
17Comme René Char, convoqué à Alger en tant que capitaine d’un maquis de résistants, Tellier manifeste le plus grand scepticisme à l’égard « des embusqués d’Alger » (RSR, 85), des politiques, des généraux. Il craint pour l’avenir des soldats « indigènes » :
Et tous ces tirailleurs arabes sont des soldats fantastiques qui se font tuer sur place plutôt que de céder un pouce de terrain. Pour qui se battent-ils ? Cela leur sera-t-il compté ? À quoi pourront-ils prétendre ? (RSR, 59)
18On sait qu’ils ont prétendu à l’abolition de l’indigénat, à l’égalité civile totale entre musulmans et Français, et que le 8 mai 1945, jour de la victoire pour la France, fut en Algérie celui de la répression sanglante des manifestations de Sétif. En 1954, la plupart des réformes politiques promises par la France n’avaient pas été mises en application, la guerre d’Algérie commençait.
19Alors que les héros des romans d’aventure qu’admirait Temple à l’Enclos représentent l’ardeur de la vie, le soldat est asservi à la machine de guerre et à la hiérarchie militaire. Le roman souligne dès le début le contraste entre le fatalisme du lieutenant Dubreuil (« Tu es ici dans ton cercle », RSR, 23) et la volonté de vivre de Tellier, proche des héros de son enfance (« le devoir est de vivre »). Dubreuil, crispé sur sa mission d’officier, n’entend pas le cri de Tellier qui lui dit de se coucher car des obus arrivent. Il avance en position héroïque, revolver au poing, en tête de ses hommes, comme sur les gravures de la Première Guerre mondiale. Il est tué dès le premier tir de barrage. Il portait sur lui le journal de Joë Bousquet, Traduit du silence, qui commence ainsi : « Après un certain nombre d’années j’ai fini par comprendre que la nature des choses me faisait une loi d’aspirer à la mort27 ». Dubreuil s’identifiait-il à Joë Bousquet, grand blessé de l’autre guerre, poète privé de corps, « Don Quichotte de l’absolu28 », habitant le silence et la nuit ? Tellier, lui, se bat, mais cherche à vivre, malgré l’angoisse.
20Cendrars consacre plusieurs passages de La Main coupée et de L’Homme foudroyé à la peur : « Un soldat qui n’a jamais eu peur au front n’est pas un homme. Je n’aime pas les juges des conseils de guerre qui envoient les hommes à Biribi pour une défaillance. Le soldat a le droit d’avoir peur29. » Comme Cendrars, Temple insiste sur la peur. Sous le déluge d’obus de mortier (minens), comparés à des « vociférations d’animaux inconnus », Tellier fait l’expérience de la peur :
Tellier se voit distinct, étranger. Il assiste médusé, au spectacle de son corps agité de spasmes au fond d’un trou de boue gelée. Il a peur. Non du souffle sauvage des minens, mais de la peur elle-même qui s’est emparée de son corps, le fait obéir à des ordres qui ne viennent pas de son esprit, mais d’une force resurgie des âges lointains de la vie… (RSR, 26)
La carcasse panique.
L’âme se fige. (RSR, 31)
21Le corps est très présent, avec ses fatigues, ses dégoûts, ses épouvantes, ses plaisirs aussi, si humbles soient-ils. Même au pire de l’angoisse et du chaos, la vie rassure : un simple brin d’herbe, un insecte maladroit, un fétu de paille, un chêne rouvre blessé par des obus, une grive aux plumes gelées, un vol de corneilles qui « brillent comme des parcelles d’or » (RSR, 44). Juste avant l’attaque, « sur une motte gelée, un pinson gonfle sa gorge rousse » et c’est une sensation d’enfance qui revient (RSR, 44). Tandis que chars, scout-cars, voitures amphibies se mettent en ordre de bataille, « incisives, les hirondelles suivent des courbes qui tracent d’invisibles géométries » (RSR, 91). C’est le regard du narrateur qui donne ce frémissement vivant ; en dépit de l’atroce combat, l’attention à toute vie demeure, augmente peut-être même :
Je ne manquais jamais de m’exclamer, en effet, comme je le fais pour tout ce qui me va droit au cœur et à l’imagination : l’éclair cuivré d’un renard dans les genêts, les blondes ondulations de cheveux d’ange sur le Causse30.
22Après les massacres de l’Inferno, de Terelle et de Cassino, le regard s’arrête sur un insecte : « Une cétoine d’or vert s’abat, déséquilibrée par quelle ivresse ? » (RSR, 91). Paolo Uccello a placé autour de ses batailles, des arbres en fleur, des lièvres et des lapins. Le peintre de l’Arche de Noé aimait figurer les animaux, en leur infinie diversité31. Selon une perspective étrange, les « batailles » du peintre sont séparées par une haie de fleurs et de fruits des champs et des bois, où la vie continue.
23Après une guerre de position éprouvante, dans la neige et la boue glacée des Abruzzes, quand le redoux libère les eaux, que la sève puissante anime toute la végétation, que les oiseaux volent par deux, la pensée de la mort devient plus insupportable encore. Tellier refuse de toute sa force vitale « le cercle » fatal de Dubreuil :
Accepter l’idée — et la réalité — de la mort, c’est avoir l’assurance que la vision de l’autre monde l’emportera sur celle qui nous est offerte en cette vie, avec le fourmillement d’insectes par billions, autant que d’étoiles dans l’infini d’un ciel d’été, et tous ces oiseaux aux plumages inimaginables, ces animaux sauvages qui hantent les forêts, les savanes, les jungles, les banquises… [Suit une énumération de reptiles, d’oiseaux, de mammifères, de poissons, du monde entier.] Et tous les mollusques multicolores, les arbres, les fleurs, les champignons, les mousses, les lichens, tout ce qui vole, pousse, rampe, creuse, grignote, saute, broute, croque, étouffe, broie, pique, avale, et au milieu de tout ce grouillement, l’homme, cette curieuse bête entourée de livres de peintures, de musiques, de sciences et de siècles couverts de sang…
Le soleil vibre. (RSR, 90)
24Ces énumérations s’inscrivent à la suite des taxonomies du xviiie siècle procédant à un inventaire de la réalité naturelle sur toute la planète, comme le firent notamment Cook, Bougainville, Bernardin de Saint-Pierre. Adolescent, fasciné par les recherches de Théodore Monod au Sahara, Temple rêvait d’être naturaliste. La guerre a pulvérisé ce rêve. Plus tard, il devient « poète et naturaliste », selon les termes de l’exergue du Chant des limules32, à la manière de Goethe, Saint-John Perse ou Lorand Gaspar. Pour F. J. Temple, comme pour les Indiens d’Amérique, la nature n’est pas un décor, encore moins un ensemble de forces à mettre au service de l’homme, elle fait partie de l’existence humaine, ou plutôt, selon la conception des présocratiques, des sages chinois et de Spinoza : « l’homme est une partie de la nature », en continuité avec les animaux, les végétaux, les forces cosmiques. C’est d’ailleurs la position affirmée par le chef des Suquiemishs, répondant au président Franklin Pierce : « La terre n’appartient pas à l’homme. L’homme appartient à la terre33 ». Temple reconnaît en lui un « certain paganisme » hérité de ses origines paysannes, il éprouve une forme de plénitude quand il observe des êtres vivants, comme les limules, qui nous permettent d’éprouver la continuité entre notre corps et la vie puissante qui se développe depuis l’ère primaire. Même pendant la guerre, la présence de la nature reste forte : les chapitres s’achèvent souvent par un cri d’oiseau, une image de crépuscule, un parfum nocturne.
25Dans l’avant-propos à son Anthologie personnelle, F. J. Temple remarque qu’il a toujours été « gourmand de litanies et de dictionnaires. J’accumulais, poursuit-il, inventaires, index, répertoires, annuaires, et, non le moindre, le Catalogue des armes et cycles de Saint-Étienne, source inépuisable34. » Il fait allusion aux énumérations de Rabelais, on pense aussi au « catalogue des vaisseaux » de l’Iliade. Il énumère ensuite les différentes collections pour lesquelles il s’est passionné, des timbres-poste aux fossiles, des serpents aux algues. Les listes stimulent l’imagination si l’on s’arrête sur chaque nom pour y mettre une image ou du moins prendre conscience d’un mystère. La Route de San Romano présente des énumérations rythmées de la vie foisonnante, en contraste avec celles des armes utilisées pour la tuerie (RSR, 50) ou du matériel abandonné sur le champ de bataille (RSR, 96). La même précision est à l’œuvre qu’il s’agisse de botanique, de zoologie ou de matériel militaire. La pratique du Catalogue des armes et cycles de Saint-Étienne a porté ses fruits. Chez Rabelais, la liste est autant gourmandise des choses que gourmandise des mots : à propos de ses premiers poèmes, F. J. Temple note qu’il éprouvait une « jouissance de vivre avec les mots. Comme d’autres avec les couleurs et les sons. Cela relevait d’une sorte de gastronomie35. » Mais il y a, au milieu du livre, une liste glaçante, celle des tués dont les noms aux consonances arabes, berbères et sépharades retentissent à la manière d’un appel aux monuments aux morts, si ce n’est que bien peu de cérémonies leur ont été consacrées (RSR, 97-98) ; ce livre est dédié à leur mémoire, de même que le tableau d’Uccello rappelle des combattants oubliés du xive siècle.
26Le récit de Temple commence par une scène nocturne dominée par le dessin géométrique des mâts et des antennes de la flotte, comme celui des lances dans La Bataille de San Romano. Des navires transportant les troupes et le matériel s’éloignent du port d’Oran, en partance vers l’Italie :
La nuit tombe sur l’armada des Liberty Ships, plus de cent navires aux rares fanaux aveugles. Les mâts, les antennes, les espars se perdent dans le noir du ciel où passent des messages muets. (RSR, 13)
27L’obscurité est menaçante, on y entend des « sirènes enrouées », on y sent « des relents de cales moites », des « odeurs d’urine, de sueur » ; les sensations sont au premier plan du récit, la guerre c’est d’abord une épreuve du corps. Il n’y a pas de date, mais cette scène se situe à Noël 1943. C’est dans un autre livre qu’est évoquée la veillée de Noël 1944 sous la neige des Vosges36. Peindre, c’est rendre visible des rapports entre les êtres, entre les sensations, entre les moments. Ainsi, en contraste avec la nuit lugubre du départ, une nuit de l’avant-printemps italien « enfante de la douceur. Les branches d’olivier, tout argentées, bruissent comme un essaim dans le vent de la mer » (RSR, 57). Le hennissement d’un cheval rappelle à Tellier les chevaux nocturnes de son pays, qui « hennissaient joyeusement à la liberté sauvage » sous la Grande Ourse, comme en Italie ; sous cette constellation, repose maintenant le corps déchiqueté de Dubreuil « dans des ronces semblables à celles de Provence où il avait un jour, l’imprudent, imaginé qu’il pourrait vivre » (RSR, 57). Il y a, dans la « Bataille » de Londres, un étonnant raccourci de cavalier mort, « encaqué » dans son armure d’où ne sort qu’une main nue. La mort réduit les hommes, dont il ne reste qu’une carapace.
28Comment « peindre » les batailles ? comment écrire l’indicible de la guerre ? Il est bien difficile d’organiser un récit, là où tout est disloqué. Comme Cendrars l’a déjà fait remarquer, dans La Main coupée, le combat n’a rien à voir avec les plans de bataille bien dessinés, ni avec « les heures historiques ou sublimes37 » dont font état les communiqués de l’état-major, la presse et quelques fanfarons : « De tous les tableaux de batailles auxquels j’ai assisté, je n’ai rapporté qu’une image de pagaïe », écrit-il. F. J. Temple montre aussi la confusion de la bataille par une succession rapide de gestes et de sensations, des détails démesurément grossis :
On a marché, on a couru, on a tiré, on a tué. Casques luisants, éclairs de baïonnettes, entre ces ombres qui surgissent de la pluie, fantômes boueux, avec des bras mécaniques qui lancent des grenades, embrochent, égorgent… Là, un cadavre dans une flaque innommable, un Allemand qui n’a plus de bottes ; le gros orteil du pied gauche sort de sa chaussette. Tellier retient qu’elle est verte. (RSR, 5638)
29Paolo Uccello a donné une étrange « vision » de la bataille : au premier plan « l’arène » du combat, le sol jonché morts, de débris de lances d’armures, « la pagaïe » telle que la vivent les combattants, au milieu l’ordre héroïque des lances et des cavaliers, en haut, au loin, la vie qui continue — champs labourés, haies d’arbres, lièvres. Si les cavaliers de San Romano montaient « de gras chevaux fessus, plus palefrois que destriers » (RSR, 116), les spahis des chevaux arabes nerveux, la cavalerie de l’armée d’Afrique est motorisée en 1944 :
Les chars légers, flanqués de Sherman et de Destroyer, progressent comme un troupeau de scarabées des premiers âges, antennes fouettant l’air, canons pointés, cahotant au gré du relief écrasant des ruines, broyant des bosquets […] aplatissant les cadavres, ronronnant, râlant, accélérant, crachant de toutes leurs mitrailleuses… (RSR, 107)
30Cendrars dépeint ainsi « la pagaïe » de la bataille : « Rien n’était solide dans ce paysage dégoulinant, misérable, ravagé, loqueteux et moi-même, j’étais là comme un mendiant au seuil du monde39 ». Les champs de bataille ne présentent qu’un « paysage minable, galeux, pourri » (RSR, 56). Que reste-t-il des combats ? Des tombes, des ruines, des monceaux de détritus, « des amoncellements de ferraille » (RSR, 12240), des morceaux de cuirasses épars, des lances tronçonnées, des cadavres — une « casserole » à traîner pour les survivants : tissu de la vie déchiré, angoisses, cauchemars. Temple peint le courage des infirmières qui relèvent les blessés, leur prodiguent les premiers soins dans l’hôpital de campagne : « Elles sanglotent jusqu’à l’aube, et retournent le lendemain dans le sang, la pourriture et l’horreur » (RSR, 95).
31La valeur humaine ne tient pas à des exploits guerriers, mais aux œuvres accomplies. Un peu à l’écart du champ de bataille, sur une île, Tellier et Vignon entrent dans le domaine d’une dame romaine où ils trouvent des éditions rares de Montaigne, Rabelais, Cervantès, Shakespeare :
De quoi tout plaquer, oublier la guerre, rester ici pour l’éternité. Dans le fracas des bombes, les miaulements des minens, les rafales de mitrailleuses et les cris des morts, ces noms fabuleux, insolites, immuables, défient le destin.
Dubreuil lui-même n’aurait pu que sortir de son foutu cercle en retrouvant, en marge du massacre, ces seuls véritables héros… (rsr, 113)
32Celui qui a la générosité de « s’exclamer », quand il croise un renard furtif, un vol d’oies sauvages, une page de Montaigne ou de Melville, celui dont l’imagination et la sensibilité sont si vives que l’enfant rêveur n’a cessé de vibrer en lui, est à la fois « plus vulnérable et plus fort » comme l’adolescent de Char. Fort par l’intensité de ses sensations, de ses désirs, de son énergie, mais vulnérable à la souffrance, aux déceptions, vulnérable à cause de la vivacité de son imagination même. L’enfant monté sur son « cheval à roulettes […] qui gagnait toutes les batailles » (L’Enclos, 14), l’adolescent identifié aux aventuriers de l’Ouest américain ont sans doute contribué à la décision de s’engager dans la cavalerie motorisée. L’élève interne à l’Enclos, bien nommé, lisait des romans du Far West qui lui ouvraient des vastes infinis où déployer son énergie et lui donnaient l’illusion de la puissance : il imaginait, par exemple, que les Cinq Nations iroquoises l’avaient élu pour sachem41. Je ne sais s’il se protégeait par des peintures de guerre rituelles. L’Amérique de Temple n’oppose pas les Amérindiens, comme on dit aujourd’hui, aux Européens, mais les Indiens et les trappeurs, pionniers et mêmes conquistadores aux Américains pervertis par la « vérole de l’argent », indifférents ou même hostiles à la vie sauvage. C’est l’Amérique fraternelle, idéale et utopique de Whitman42, l’Amérique des romans d’aventure dont il donne la liste dans Un Cimetière indien43.
33L’aventure, pour lui comme pour Rimbaud, comme pour Cendrars, c’est un immense terrain de jeu ouvert à leur insatiable appétit de découverte, c’est l’exploration de territoires imaginaires, c’est une liberté définitivement affranchie des « anciens parapets » et un rêve de toute puissance. Ce problème, La Mer sauvage l’avait posé, mais avait échoué à « résoudre » :
Il est déjà loin le temps de La Mer sauvage, un récit par lequel j’avais tenté d’expulser les gaz délétères de l’enfance retrouvée dans la fabuleuse expérience des combats44.
34Alors que les romans d’aventure célèbrent le triomphe de l’imagination et de l’individu héroïque, la « vraie » guerre réduit l’individu à servir un matériel puissant dont les listes alternent avec le récit des combats dans La Route de San Romano. La guerre est tristement matérialiste, elle est aussi justifiée par de fausses valeurs, la « gloire », le « patriotisme », l’ambition personnelle des généraux, les idéologies abstraites des uns ou des autres. La dimension épique de la guerre est certes « expulsée » par ce livre. Temple et Cendrars distinguent donc, de la guerre, qui ramène les individus à une masse indistincte de « chair à canons », l’aventure individuelle, dont les épreuves permettent le dépassement, l’accroissement de « la puissance d’agir ». C’est cette liberté qu’ils ont vécue, l’un et l’autre, après la guerre, en Amérique, au Brésil. Si les aventuriers, tels les trappeurs des plaines du grand Ouest américain, les marins de Conrad, le capitaine Nemo de Jules Verne, conquièrent leur liberté en affrontant les puissances de la nature, les soldats doivent abdiquer la leur, soumis à une discipline vexante et à des ordres souvent absurdes. La « vie dangereuse », dans ce cas, c’est une violence fanatique : « La vie dangereuse peut convenir à un individu, certes, mais sur le plan social, cela mène directement à la tyrannie45… »
35En somme, la guerre, l’extermination des bisons, le massacre des nations indiennes et la destruction des « vastes étendues lagunaires autrefois alanguies entre la mer et la terre à vigne » sont attribués au même dieu cruel :
Baal régnait désormais sur le monde, servi par des grands prêtres qui enfournaient dans sa vaste gueule tout ce qui pouvait alimenter son ventre insatiable, afin qu’il restitue à ses adorateurs coprophages sa belle chiasse d’or46.
36Tels les « Inventeurs » de René Char, « implacables adversaires » des forestiers et des paysans47, ils appartiennent à « une race mentale48 » qui a perdu le contact avec le bruissement des feuilles, les traces des bêtes, les formes des nuages, mais qui garde les yeux fixés sur les cours de la bourse ou compare sans fin les mérites de nouveaux ordinateurs. C’est « la grande muraille en béton de l’imposture49 ». Ce sont les mêmes qui ont détruit le beau pays du Der et la forêt d’Orient en Champagne, dynamitant des villages avant de noyer des communes entières, avec leurs prés et leurs champs, leurs églises à pans de bois, et les cimetières de ces Indiens français, combattants de la Première Guerre mondiale. Les monuments aux morts ont été déplacés. Le maire d’un de ces villages, Augustave Moïse, s’était battu de 1914 à 1918 pour défendre la terre qui lui a été arrachée par les technocrates en 1960. Et l’armée s’est approprié des villages ravagés par cette guerre, afin d’en faire des camps où sont expérimentées des armes chimiques diverses. Ce n’est pas « la guerre du Nord contre le Sud », c’est plutôt la mise en coupe réglée de la terre et de ses anciens habitants où qu’ils soient. Il s’agit de résister en défendant un certain humanisme que F. J. Temple appelle « Sud », terre de vignes et d’oliviers, rivages d’une mer originelle où continue de battre le cœur sauvage du requin.
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38L’originalité de la démarche de Temple tient à son effort pour tenir en tension l’aventure de l’enfance, « sang agile, force future, ignorant, heureux, au seuil de la vie désespérée50 » et l’aventure de la guerre qui est son contraire. Il s’agit, par l’écriture, de retrouver « l’explorateur du monde » que fut l’enfant, en quête de « poissons d’or » ou « d’étoiles déjà mortes » (ibid.). Et comme le temps et la terre de l’enfance sont irrémédiablement perdus, c’est dans l’écriture que vit « l’uchronie » du pays natal :
L’attachement à l’enfance serait moins nostalgie d’un temps révolu qu’attraction de cette uchronie, par cet âge qui nous tient lieu de mythe, un mythe qui n’est qu’à nous51.
39L’enfant sur son « bon cheval pommelé en carton » ou sur « les blancs destriers du grand manège » ressemble aux chevaliers du tableau de Paolo Uccello, dressés sur leurs chevaux caparaçonnés. Mais la guerre, c’est autre chose. C’est « le triomphe de la Mort » des fresques du Campo Santo de Pise. Faire de la guerre un tableau ou un livre « juste », dans l’acception musicale de l’adjectif, ne guérit pas des blessures laissées par l’angoisse, l’horreur, la perte d’amis, mais peut-être les apaise un peu à cause de l’hommage qui leur est rendu et parce que, du chaos, on a pu faire une œuvre humaine. Si les empreintes de l’enfance, émotions vives, sensations fortes, désirs renaissants ont été écrasés par la violence de la guerre, il n’en reste qu’une immense nostalgie :
Ce n’est pas le passé qu’il idéalise, ce n’est pas au présent qu’il tourne le dos, c’est à ce qui meurt. Son souhait : que partout — qu’il change de continent, de ville, de métier, d’amours — il puisse trouver son pays natal, celui où la vie naît, renaît. Le désir que porte la nostalgie est moins celui d’une éternité immobile que de naissances toujours nouvelles.
Alors le temps qui passe et détruit cherche à prendre la figure idéale d’un lieu qui demeure. Le pays natal est une des métaphores de la vie52.
40Le nostalgique est animé d’un puissant désir de vie, qu’il soit au Larzac, sur les Mesas du Nouveau-Mexique, les plages de Long Island ou encore dans la maison où se poursuit l’aventure de la création…
Notes de bas de page numériques
Pour citer cet article
Colette Camelin, « La Route de San Romano, peintures de guerre, exorcismes », paru dans Loxias, Loxias 21, mis en ligne le 16 mai 2008, URL : http://revel.unice.fr/loxias/index.html?id=2336.