Loxias-Colloques |  2. Littérature et réalité 

Rainier Rocchi  : 

Un titre emblématique du Nouveau Roman : Le Planétarium de Nathalie Sarraute

Résumé

Le titre du Planétarium (1959) est emblématique du Nouveau Roman en ce qu’il propose un mode d’emploi parodique du roman subséquent, où l’illusion mimétique se voit dénoncée à travers la référence au musée Tussaud (qui cohabite à Londres avec un Planétarium), débouchant sur une satire (à peine voilée) de l’idolâtrie propre au clan sartrien. Mais ce titre se veut surtout une double allégorie réflexive de l’instrument romanesque et, si l’on retient l’espace clos où un public subit un discours univoque, de la lecture. Cette image, qui en cache une autre, dont il faut questionnerles diverses implications, assume en tout cas une clôture textuelle qui confère au roman une irréductible instabilité que l’aporie de son titre figure.

Abstract

Madame Tussaud’s could have been the proper title of Nathalie Sarraute’s novel, The planetarium (1959): there we find an explicit reference to the wax museum in London (located nearby the planetarium). This allusion leads us to criticize certain realistic conventions through the satirical portrait of a brilliant woman writer. However if the author chose a so paradoxically cosmic title to qualify her chattering and gossiping characters, we should be supposed to decipher these astronomic showings as a double and ambiguous allegory of the novel device itself and of the reading. So such a title draws our attention on the typical self-relativisation of the French New Novelists texts.

Index

Mots-clés : Nouveau Roman , réflexivité, Sarraute (Nathalie), titrologie

Géographique : France

Chronologique : XXe siècle

Plan

Texte intégral

1Dans une stimulante contribution à un colloque tenu ici même à Nice, Nicole Biagioli considérait que le principal acquis du Nouveau Roman avait été de réussir une critique des codes de lecture du réalisme, en déjouant, sous les yeux du lecteur, les conditionnements idéologiques qui sous-tendent notre addiction à l’effet de réel de la fiction1.

2Le titre a justement été considéré par les nouveaux romanciers comme un lieu privilégié de la contestation du mimétisme romanesque. Ainsi Ricardou a montré que le titre initialement envisagé par Robbe-Grillet, Le Voyageur, avait subi l’effacement de ses deux lettres centrales, Le Voyeur, pour figurer le vide central (occultant une scène de viol) autour duquel son récit se construit2. Le titre sera donc « un miroir devant un texte3 ».

3De tous les titres sarrautiens, Le Planétarium est celui qui répond le mieux à cette stratégie de contestation de l’illusion mimétique. Car rien dans l’histoire que raconte ce roman ne justifie a priori le choix d’un tel titre ; aucune scène du roman ne vient l’éclairer comme dans les titres symboliques (La Chartreuse de Parme). Au contraire, il contraste cruellement avec le prosaïsme accusé de l’intrigue, où il sera beaucoup question de poignées de porte, de bergères voire de carottes râpées dans l’héroï-comique4 conquête, par un jeune couple d’intellectuels parisiens des années 50, du grand appartement occupé par leur tante à Passy, et avec la succession de monologues intérieurs qu’il nous donne à lire, saturés de clichés culturels, paraissant vérifier la formule de Cioran : « En tout, il faut du mesquin, pour qu’on ait l’impression du vrai.5 ».

4Parodiant la congruence attendue d’un titre, Le Planétarium s’avère un « piège6 » tendu à son lecteur. Il nous paraît que ce titre est bien le lieu stratégique du texte, permettant de figurer sa structure ironique. Il s’instaure sur une distance auctoriale renvoyant aux deux niveaux de lecture qu’il impose : nous montrant une romancière académique en train d’écrire un roman, Sarraute va parodier effectivement une histoire« réaliste », basculant dans une satire mordante des milieux existentialistes. Mais une seconde intrigue se développe parallèlement, à travers le thème de « la création à l’état naissant7 », nous contant un récit de vocation, dont le héros peut apparaître un instant comme le porte-parole de l’auteur. Le rôle du titre, alors, est d’imposer une double allégorie réflexive, et de l’instrument romanesque lui-même, et, si l’on retient, dans l’acception du mot8, l’espace clos où se déroule la séance de vulgarisation astronomique qu’il permet, de la lecture.

Madame Tussaud ou la parodie de l’illusion mimétique

a) La mise en abyme ironique d’une romancière au travail

5L’un des personnages du Planétarium est une romancière célèbre, Germaine Lemaire, que l’on voit assise à sa table de travail en train d’écrire unroman. Signe d’époque : la mise en abyme néo-romanesque nous montre généralement un narrateur (s’apprêter à) écrire le roman que nous lisons9. Or, chez Sarraute, la romancière est troublée par le titre d’un article détracteur : « Madame Germaine Lemaire est-elle notre Madame Tussaud ?10 » qui lui paraît s’appliquer précisément à ce qu’elle vient d’écrire. Le roman nous montre un écrivain qui n’est pas le vrai écrivain du livre : trouvaille sarrautienne qui nous fournit un premier indice du titre. Car nous voici bientôt transportés au Musée Tussaud à travers le passage suivant décrivant trois des personnages principaux du roman :

Voici les Guimier. Un couple charmant. Gisèle est assise auprès d’Alain. Son petit nez rose est ravissant. Ses jolis yeux couleur de pervenche brillent. Alain a un bras posé autour de sesépaules. Ses traits fins expriment la droiture, la bonté. Tante Berthe est assise auprès d’eux. Son visage, qui a dû être beau autrefois, ses yeux jaunis par le temps sont tournés vers Alain. Elle lui sourit. Sa petite main ridée repose sur le bras d’Alain d’un air de confiance tendre.
Mais on éprouve en les voyant comme une gêne, un malaise. Qu’est-ce qu’ils ont ? On a envie de les examiner de plus près, d’étendre la main… Mais attention. Un cordon les entoure. Tant pis, il faut voir. Il faut essayer de toucher… Oui, c’est bien cela, il fallait s’en douter. Ce sont des effigies. Ce ne sont pas les vrais Guimier11.

6Ce passage, choisi pour figurer en quatrième de couverture de l’édition Folio, résume bien l’objet premier du roman : dénoncer la typification que nous pratiquons quotidiennement pour qualifier et juger nos proches12 ; contester l’illusion de ressemblance romanesque par une comparaison polémique des personnagesavec les « mannequins de cire13 » du musée Grévin que Sarraute a répétée dans chacun des quatre essais de L’Ère du soupçon (1956) :

des personnages comme des poupées de cire, aussi « ressemblants » que possible, si « vivants » qu’au premier coup d’œil le lecteur doit avoir envie de les toucher du doigt pour voir s’ils vont ciller, comme on a envie de le faire aux poupées de cire du Musée Grévin 14.

7Or nous ne sommes plus ici à Paris mais à Londres15 où le Musée Tussaud cohabite avec le Planétarium16 ! Il s’agit donc d’une véritable métonymie, d’un déplacement d’intérêt a priori énigmatique : quel rapport peut-il exister entre cet instrument moderne à visée de vulgarisation astronomique, et le comble du mimétisme et du trompe-l’œil, proposant des effigies de célébrités ?

b) Un roman à clés

8Nous tenons là une première explication du titre : réactivant le cliché assimilant un être à un astre, opposant la fixité et l’éclat de l’étoile au mouvement des planètes, le roman sarrautien va nous montrer l’idolâtrie que suscite, auprès des jeunes intellectuels de l’après-guerre, une romancière célèbre, traquée par les paparazzi, liée à l’art moderne17. Définie par « une royale simplicité », « toujours à l’extrême pointe de tous les progrès », Germaine Lemaire, qui a collaboré à L’Ère nouvelle18, et admire un philosophe husserlien et marxiste19 (qui évidemment ressemble beaucoup à Sartre : « ses grosses lèvres amollies à mâchonner d’innombrables mégots fendent de part en part sa grande face hilare20 ») permet en fait à Sarraute de brosser « un portrait extrêmement négatif du Castor », comme le relève Danièle Sallenave dans sa récente biographie21. La portée référentielledu roman est explicite : « la plus parfaite égalité, la fraternité règnent, c’est bien connu, dans cette maison22. » Sartre et Simone de Beauvoir se sont d’ailleurs eux-mêmes parfaitement reconnus… et vengés23.

c) Une satire de l’idolâtrie

9Par-delà la polémique littéraire que Sarraute poursuit contre Les Temps Modernes prônant une littérature engagée, et qui prendra la forme d’un détournement parodique des Mandarins de Beauvoir24, le titre renvoie à la dénonciation de l’idolâtrie. En nous montrant le culte de la personnalitéqui entoure l’Écrivain célèbre, qui est « l’astre » autour duquel tous gravitent, le fanatisme de ses initiés (considérant comme un tabou l’évocation de sa laideur25), la terreur permanente de l’exclusion qui saisit le narrateur principal, mais surtout peut-être en ne révélant qu’à l’avant-dernier chapitre que l’idole du livre a elle-même une idole, cette idole de l’idole suggère parfaitement et le prestige intellectuel exceptionnel de Sartre, alors à son apogée, et le climat de terrorisme intellectuelde ces temps de guerre froide26. Et le fait que l’auteur ait toujours censuréune telle lecture à clés de son roman27, ajoute encore à ce climat de terrorisme ambiant, le risque effectif d’une exclusion définitive du clan sartrien ayant été depuis lors confirmé par les témoins directs28. Ceci ancre Le Planétarium dans la société de son temps, et fait de Sarraute une moraliste rompue à l’exercice mordant de la satire. Une telle dénonciationde l’idolâtrie s’imposera d’ailleurs comme un thème récurrent dans les œuvres ultérieures de Sarraute29.

Du télescope proustien au Planétarium : la réflexivité dans le roman

10Mais, à la brillante fixité des étoiles, s’oppose fondamentalement le mouvement des planètes, lequel est toujours valorisé chez Sarraute, notamment dans la seule allusion explicite au titre que délivre le roman, dans ses dernières pages :

Le ciel tourne au-dessus de lui, les astres bougent, il voit se déplacer les planètes, un vertige, une angoisse, un sentiment de panique le prend, tout bascule d’un seul coup, se renverse…[…].Tout se remettrait en place. Ils seraient chez eux de nouveau, sous le ciel immobile de toujours où scintilleraient les astres familiers30.

11L’image vient ici expliciter cette hantise de l’angoisse qui précipite chacun des protagonistes dans le lieu commun de postures ou de valeurs préconisées par la doxa.

a) Une allégorie moderne de l’instrument romanesque

12Dès son titre, le roman impose une filiation proustienne. Dénonçant une « littérature de notations » qui se contente de reproduire la réalité extérieure, alors que les choses sont des signes à déchiffrer, Proust rapproche l’activité du romancier de celle du savant. Comme lui, il doit dégager des « lois psychologiques », « semblables aux lois d’attraction et de répulsion qui gouvernent des mondes bien plus grands », « car le monde des astres est moins difficile à connaître que les actions réelles des êtres31 ». Mais le romancier n’est pas toujours compris par ses lecteurs :

Même ceux qui furent favorables à ma perception des vérités […], me félicitèrent de les avoir découvertes au « microscope », quand je m’étais au contraire servi d’un télescope pour apercevoir des choses, très petites en effet, mais parce qu’elles étaient situées à une grande distance, et qui étaient chacune un monde. Là où je cherchais les grandes lois, on m’appelait fouilleur de détails32.

13Que le titre du Planétarium soit une allusion à Proust est indiscutable. Dans « Conversation et sous-conversation » (1956), Sarraute reprend la métaphore proustienne pour la critiquer :

Mais – si paradoxal que cela puisse sembler à ceux qui lui reprochent aujourd’hui encore son excessive minutie – il nous apparaît déjà qu’il [Proust] les a observés [les mouvements intérieurs] d’une grande distance, après qu’ils ont eu accompli leur course, au repos, et comme figés dans le souvenir. Il a essayé de décrire leurs positions respectives comme s’ils étaient des astres dans un ciel immobile. Il les a considérés comme un enchaînement d’effets et de causes qu’il s’est efforcé d’expliquer33.

14Le détour par une autre allusion intertextuelle est nécessaire pour saisir l’art poétiquemoderne que révèle notre titre. Le lecteur est surpris en effet, dans le chapitre-pivot de mise en abyme, de voir soudain Germaine Lemaire faire une allusion à l’arche de Noé :

C’est entré en lui et cela grossit en lui – le contentement d’être ici, tous enfermés dans l’arche, tous solidaires, unis, tous ceux qui méritent d’être rassemblés, sauvés, pendant que battent contre la coque étanche du vaisseau précieux les eaux toujours grossissantes de la convoitise, de la curiosité34.

15Dans le contexte « proustien » du roman35, on ne peut manquer d’y voir une référence à ce passage fameux de Proust, justement mis en exergue par Gide, après sa mort :

Quand j’étais tout enfant, le sort d’aucun personnage de l’histoire sainte ne me semblait aussi misérable que celui de Noé, à cause du déluge qui le tint enfermé dans l’arche pendant quarante jours. Plus tard, je fus souvent malade, et pendant de longs jours je sus rester aussi dans l’« arche ». Je compris alors que Noé ne put si bien voir le monde que de l’arche, malgré qu’elle fût close et qu’il fît nuit sur la terre36.

16L’arche de Noé se voit ici pressentie comme une future allégorie de La Recherche, cette « cathédrale37 », dont le vaisseau servira à perpétuer les spécimens d’un monde menacé, mais postulant déjà une conception anti-mimétique, intransitive, de l’écriture, selon le paradigme de la modernité, inauguré par Mallarmé, conscient de la rupture entre le réel et sa représentation.

17Sarraute tire les leçons de la modernité et répond à Proust : le roman est devenu un planétarium. Invention du XXe siècle, cet instrument d’optique permet de reproduire sous une coupole la voûte étoilée, et de simuler les mouvements des planètes dans le système solaire ; il offre donc une représentation corrigée du réel, propre à rectifierles préjugés séculaires que la révolution copernicienne a permis de dissiper ; il permet de rendre visiblece qui échappe aux limites sensorielles de l’observation humaine. Nous retrouvons ainsi la devise sarrautienne empruntée à Klee : « l’art ne restitue pas le visible, il rend visible38. » Mais il s’agit là d’une représentation artificielle, homologique de la réalité, à travers un medium. On reconnaît la prise en compte de la nature irrémédiablement linguistique de la littérature qui ne peut appréhender qu’indirectement le réel, non sans avoir dû modéliser une« machine de langage39 », selon les positions bien connues de Valéry. Et Sarraute explicitera ses propres réserves sur l’image proustienne du microscope : « car on a trop l’impression, dit-elle, qu’il y a là quelque chose qui existe en dehors du langage, qui pourrait se passer de langage40. »

b) Les « infimes particules en mouvement » des tropismes

18Mais que cherche l’auteur ? Un seul passage de notre roman le suggère :

un de ces signes entre eux, rares, surprenants, comme ces éclats de lumière qui nous parviennent d’astres lointains, révélant de mystérieuses conflagrations…
Tout cela tourbillonnant, se chevauchant en désordre… Mais il connaît pour les avoir mille fois observées ces infimes particules en mouvement. Il les a isolées d’autres particules avec lesquelles elles avaient formé d’autres systèmes très différents, il les connaît bien. Maintenant elles montent, affleurent, elles forment sur le visage de son père un fin dépôt, une mince couche lisse qui lui donne un aspect figé, glacé41.

19À quelques pages de distance, le narrateur principal retrouve les deux instruments proustiens du télescope et du microscope, impliqués par l’allégorie du titre, qui servent de caution à la quête, par Sarraute, de l’infra-psychologie des« tropismes », ces mouvements intérieurs, « dont tout l’attrait à /s/es yeux, résidait dans le fait qu’ils ne portaient – et ne pouvaient porter – aucun nom ». La métaphore scientifique empruntée à l’atomisme figure, dans l’œuvre, un leitmotiv associé au thèmedes tropismes qui, parce qu’ils constituent « un infiniment petit », ne peuvent être appréhendés directement, selon le modèle mimétique, mais nécessitent une déformation rhétorique et dramatique. Mais, comme ces mouvements ne sont saisis que par (à travers) le discours, et qu’ils sont anonymes (« Ce qui est intéressant ce n’est pas le personnage mais ce qui se passe d’anonyme et d’identique chez n’importe qui »), les tropismes consistent en fait à dé-construire la caractérisation psychologique romanesque, à saisir l’instant où un masque risque de tomber. Ainsi, dans cet extrait capital où l’on voit Germaine Lemaire, défaite par un regard masculin sans complaisance, se camper en écrivain, réduire son interlocuteur au type du séducteur pour désamorcer un jugement qui n’a pu atteindre en elle que la femme (croit-elle42)… En prêtant à ses personnages un discours intérieur narrativisé(au style indirect libre)43, Sarraute cherche à surprendre la déformation du tropisme dans le discours, à nous montrer quelqu’un réagir en se faisant personnage, saisissant ainsi sa mauvaise foi, selon son analyse de l’inauthentique flaubertien44. À l’instar de « l’Authenticité », dont Sartre disait qu’on « la pressent parce qu’on la fuit45 », les tropismes ne seront pas décrits dans Le Planétarium. Il faudra les chercher dans les mailles du texte, comme cette identité professée par Alain, dès le deuxième chapitre : « je crois toujours – c’est peut-être idiot – que quelque part, plus loin, tout le monde est pareil, tout le monde se ressemble…46 ». Sarraute s’est donc donné, dans son troisième roman, les moyens techniques adaptés à son ambition. Si notre romancière veut découvrir des tropismes sous-tendant l’intersubjectivité, se trahissant dans les conversations et précédant tout sentiment caractérisé, sur quoi se fonde notre virtuelle identité commune, on voit mal comment elle pourrait se priver de camper des personnages différents, saisis à travers leurs monologues intérieurs respectifs, selon une technique gidienne du roman polyphonique et perspectiviste47, pour permettre au lecteur de surprendre, dans son texte même, quelque identité latente et d’abord inaperçue. Un autre procédé l’y aidera.

c) La forme romanesque : un jeu de miroirs déformants

20« Le roman, ce n’est plus un miroir qu’on promène le long d’une route ; c’est l’effet de miroirs partout agissant en lui-même. Il n’est plus représentation ; il est auto-représentation48. » Cette formule célèbre de Ricardou, écrite en 1971, définit un procédé caractéristique du Nouveau Roman, l’intégration délibérée de « dispositifs spéculaires49 », permettant de réfléchir la construction formelle de l’œuvre, en réaction à la fameuse définition stendhalienne postulant un reflet supposé transparent du réel extérieur. Or précisément Le Planétarium contient un passage qui vient confirmer notre lecture réflexive du titre du roman :

Ils éprouvent une sensation étrange, comme s’ils mâchaient de ces graines qu’absorbent les Indiens, du peyotl, ou fumaient du haschisch… l’image qu’ils voient apparaître ressemble un peu à celles que renvoient les miroirs déformants des foires… Une image insolite, grotesque, un peu inquiétante… Ils fixent sur elle des regards fascinés… C’est eux-mêmes, ils se reconnaissent parfaitement bien jusque dans les moindres détails, mais bizarrement distendus, déformés, difformes – des nabots hideux plus larges que hauts, aux jambes courtes, au front bas ; ils ont quelque chose d’extraordinairement lourd, de tassé sur soi ; quelque chose de borné, de buté, de bestial dans leur face sournoise de criminel… Mais il suffit de tourner les yeux et là, dans un autre miroir, c’est encore eux sortant de toutes les mesures communes, s’étirant sans fin, devenant immenses, leur front très haut se perd, dépassant le bord du miroir… Comparés à ces géants, les gens qui circulent autour d’eux ressemblent à des poupées d’enfant… Un instant ils se contemplent, presque attirés, un peu effrayés, mais juste un peu, c’est délicieux, ils savent bien que c’est un jeu, il suffit de détourner les yeux, leur miroir habituel est là, fort heureusement, pour remettre les choses en ordre, détruire toutes ces inquiétantes illusions… un miroir qui ne déforme pas, qui leur renvoie exactement l’image de ce qu’ils sont… […] ils se rengorgent… « Moi, ça me dépasse complètement, je l’avoue, ce n’est pas pour me vanter… mais chez moi, dans ma famille, c’est impensable tout ça… […]. Ah non, c’est honteux, heureusement que c’est tout de même une exception, des monstres pareils… […]. C’est vraiment de la graine d’assassins, vos petits Guimier…50 »

21Ce passage fait écho à l’allégorie du planétarium, définissant le roman comme une déformation du réel ; mais l’antithèse « grotesque » des nains et des géants, renvoyant aux deux visions, également caricaturales, qu’offrent les points de vue objectif et subjectif d’un même personnage51, produit un effet de relativisation52 qui se trouve ainsi explicité par Ricardou :

Ce qui est communément unique (tel personnage, tel événement) essuie la dislocation de variantes contradictoires ; ce qui est ordinairement divers (plusieurs personnages, plusieurs événements) subit l’assimilation d’étranges ressemblances. La fiction exclut singularité parfaite comme pluralité absolue. Bref, elle est partout investie de miroirs. Miroirs déformants pour la dislocation de l’unique ; miroirs « formants » pour l’assimilation du divers53.

22La construction polyphoniquedu Planétarium favorise de tels dispositifs, et nous assistons en effet à la fois :

23- à la dislocation d’un même personnage : Alain, le héros, qui est doué d’une personnalité protéiforme, cumulant les traits contradictoires de l’ambitieux et de l’inadapté, du velléitaire et du créateur54 ;

24- à l’assimilation de personnages opposés, une vieille dame maniaque, qui a des fantaisies prétentieuses de décoration, et la romancière la plus célèbre du moment, qui fait la une de France-Soir, qui sont, dans le texte, rapprochées55 ;

25- mais aussi parfois àun jeu de signifiants : dans notre passage, on aura reconnu, comme « générateur56 » de la séquence imaginaire, le fameux vers de Rimbaud « Voici le temps des Assassins » (se référant à l’étymologie supposée : haschischins-assassins57), pour exhiber une praxis de l’écriture perturbant l’illusion référentielle, imposant le jeulittéraire, dans son essentielle gratuité, dans son immanence proprement textuelle.

La fausse nouveauté d’une image : soupçons sur un archétype caché

26Les premières séances de présentation d’un planétarium à Paris, en 1937, firent d’emblée sensation et connurent un succès durable58, confirmé par l’ouverture de nombreux planétariums de par le monde, à Chicago, dès 1930, à Paris, au Palais de la Découverte, depuis 1952, à Londres depuis 195859. Le titre de notre roman s’inscrit donc dans une actualité, et questionne un engouement qu’il soumet au soupçon : qu’est-ce qui nous attire dans un planétarium, dans cet espace clos, où se voit reproduite en miniature la voûte étoilée, confortant ainsi, peut-être, notre espoir d’une possible maîtrise rationnelle de l’univers ? Il nous reste à examiner l’appréciation généralement négative que porte l’auteur (dans ses commentaires ultérieurs) sur son titre dont elle rappelle qu’il désigne « un ciel artificiel60 ». C’est le procès même de la communication romanesque qui se voit en fait mis en question dans son titre. Évoquant une séance didactique où le public subit, dans l’obscurité, la projection d’images sous une coupole, la métaphore moderne du planétarium retrouve (réactive) un archétype de l’imaginaire qui se confond avec un topos majeur de l’humanisme occidental, la caverne platonicienne. Que révèle le choix d’une telle métaphore, dès lors qu’elle se voit chargée d’une telle connotation ? Il nous paraît que l’art de notre roman consistera à nous empêcher de répondre, perturbant les oppositions logiques, minant ainsi le mécanisme indiciaire et généalogique du soupçon moderne61 qu’il a lui-même enclenché.

a) L’archétype de la Caverne et les « espaces infinis »

27Les images « artificielles » sont généralement dévalorisées chez Sarraute62. Mais celle du planétarium présente la particularité de masquer, par la sophistication de son dispositif, l’archétype de la Caverne, relevant d’un régime nocturne et maternel de l’imaginaire (selon Gilbert Durand), et se caractérisant par diverses formes d’euphémisation telles que la miniaturisation, fondée sur une réversibilité rassurante entre le microcosme et le macrocosme63. Si le planétarium permet d’assouvir notre besoin de sécurité et notre quête de sens, alors il ressemble à une sorte de cinéma, et rappelle ces séances, évoquées par Sarraute dans son premier roman, Portrait d’un inconnu (1948), où les spectateurs absorbent les images de l’écran destinées à diffuser les normes de la doxa, où ils « agglutinent dans l’obscurité des salles de cinéma leurs cocons de clichés64. » Bref, notre société ne cherche-t-elle pas à nous divertir, à nous empêcher de « crever la voûte » du planétarium65 plutôt que de nous laisser affronter par nous-mêmes, directement, les « espaces infinis » pascaliens ? « Le silence éternel de ces espaces infinis m’effraie66. » Ce « vers » de Pascal traverse (hante) toute l’œuvre de Sarraute, de son article de 1947 sur Valéry67 aux dernières superbes pages d’Ici (1995). Et Le Planétarium l’évoque aussi, indirectement, en nous montrant Germaine Lemaire saisie par une angoisse existentielle :

Mais non… rien ne vibre… Rien… […] Tout est creux. Vide. Vide. Vide. Entièrement vide. Du néant. Un vide à l’intérieur d’un moule de cire peinte.
Tout est mort. Mort. Mort. Mort. Un astre mort. Elle est seule. Aucun recours. Aucun secours de personne. Elle avance dans une solitude entourée d’épouvante68. Elle est seule. Seule sur un astre éteint. La vie est ailleurs…69

« Le silence éternel de ces espaces infinis »… […]
  » M’effraie »… le signe. La preuve.
  C’est donc certain. C’est ainsi. Et on y est arrivé. On s’y trouve. On est où il n’y a plus rien. Nulle part. Rien. Rien. Rien. Jamais. A jamais. A-ja-mais. Rien70.

28Trente-six ans séparent ces deux textes qu’un même spasme d’effroi traverse.

b) Un piège tendu au lecteur

29Ainsi le titre du roman évoque une séance au planétarium où l’on subit passivement, dans l’obscurité, le discours univoque d’un conférencier. Le titre nous prévient, dès le seuil, de la double fonction possible d’un roman : nous rassurer, en nous tendant un « miroir habituel » où nous retrouvons sans effort des « poupées d’enfant » qui nous ressemblent, ou nous inquiéter en nous proposant un miroir de sorcière71 qui déforme les apparences en quête d’une autre réalité. Le titre se veut donc aussi un avertissement à son propre lecteur : cherchera-t-il dans ce roman le récit d’une aventure où il pourra reconnaître, comme au musée Tussaud, des célébrités, réductibles à des types ? Mais « il n’y a pas d’aventures », nous a appris La nausée : raconter une histoire permet de contrefaire à notre usage une version expurgée du réel, de conforter un humanisme foncièrement rassurant, nous détournant de reconnaître notre propre contingence existentielle72. N’est-ce pas trop demander à un lecteur, se demandait déjà Valéry :

Voici l’excès – qui ne m’est pas inconnu – Il consiste à demander trop d’attention et d’incrédulité active, trop de présence et d’énergie à un lecteur – c’est-à-dire à un homme dont il est extrêmement probable qu’il désire trouver tout autre chose dans les livres que ce qu’il fuit en les ouvrant73.

30Héritage valéryen des nouveaux romanciers que de postuler une dignité artistique (poétique) du roman74. Le lecteur acceptera-t-il de collaborer avec l’auteur, d’exercer sa sagacité devant ce jeu du « labyrinthe75 » qu’il se voit proposer ? Différence essentielle avec un planétarium : la forme polyphonique, parodique et ironique d’un Nouveau Roman impose une active participation du lecteur. Le piège du Planétarium aura consisté à nous tendre un roman à double entrée, et à nous laisser, seuls, vérifier l’expérience…

c) L’absence de l’auteur

31D’ailleurs, ce titre même, dans sa scientificité prétentieuse, à qui l’attribuer ? L’auteur voudrait-il se désengager de son propre titre ? Faut-il comprendre qu’il s’applique au roman que nous voyons Lemaire écrire ? Sa mégalomanie corroborerait cette hypothèse : ne se compare-t-elle pas à un médecin des âmes, pour oublier sa propre carence de féminité76 ; ne la voit-on pas résumer, en un complaisant paragraphe, tout l’univers censé se réfracter, tel le bouclier d’Achille, dans ses livres (seul passage épique rimant avec un titre cosmique)77 ? Ne voit-on pas, son « double », Berthe, trouver que sa propre idée initiale de décoration était une « fantaisie prétentieuse78 », critique qu’on n’a pas manqué d’appliquer au titre lui-même79 ? Leçon de Flaubert : « on ne sait jamais s’il est responsable de ce qu’il écrit80. »

32Mais un tel parti-pris ironique, qui révèle l’absence de l’auteur, ne manque pas d’être lui-même significatif. Il faudra attendre Enfance (1983) pour que Sarraute lève un voile sur l’imprégnation autobiographique de ses romans précédents, et éclaire rétrospectivement la violence suscitée par le narcissisme de Germaine Lemaire. Le Planétarium pouvant dès lors décrire aussi déjà (mais de manière cryptée) le difficile apprentissage de la décristallisation face au charme puissant de la mère81, sous l’égide d’un père savant et réservé, proscrivant la « gloriole82 ». Nouvelle piste de lecture n’invalidant nullement les précédentes !

33Enfin l’image trahit aussi l’esthétique du Nouveau Roman dont a dénoncé à l’envi le formalisme autotélique, l’épuisement ascétique83, voire l’imaginaire obsidional84 qui préside à ce refuge dans la clôture protectrice d’un texte. Sartre a ainsi fustigé « la structure paranoïaque » du Planétarium où, dit-il, « la totalité brille par son absence85 ». Oui. Mais une telle négativité86 est poétiquement assumée : « il s’agit de contester le roman par lui-même, de le détruire sous nos yeux dans le temps qu’on semble l’édifier87 », écrivait Sartre en 1948, ce qui demeure la meilleure définition d’un Nouveau Roman, en tout cas du Planétarium.

d) L’allégorie de la Caverne : copie ou simulacre ?

34Cependant en ne retenant généralement, dans ses commentaires sur son titre, que le « ciel artificiel », Sarraute voudrait-elle postuler quelque vérité originaire, située hors du texte, la valeur authentique d’une angoisse existentielle et/ou d’une sensation créatrice censée authentifier sa quête littéraire de tropismes encore inédits qu’elle aurait pour mission de découvrir88 ? On peut se référer ici à Deleuze qui a superbement analysé le « renversement du platonisme » opéré par Nietzsche, en montrant que les modernes ont récusé l’opposition platonicienne de la copie (reproduction mimétique d’une Idée fondée en vérité) et du simulacre (« mauvaise copie » produite par de faux prétendants) : il n’y a pas plus de vérité que d’origine, et Nietzsche inaugure un joyeux « effondrement » des apparences89 :

Derrière chaque caverne une autre qui s’ouvre, plus profonde encore ; et au-dessous de chaque surface un monde souterrain plus vaste, plus étranger, plus riche, et sous tous les fonds, sous toutes les fondations, un tréfonds plus profond encore90.

35Le Planétarium paraît souscrire à un tel renversement de l’allégorie platonicienne où le philosophe s’en retournait auprès des captifs, abusés par les ombres de la Caverne, pour leur dessiller les yeux. Le romancier moderne, loin de savoir distinguer la vérité de l’illusion, et d’être « omniscient », doute de lui-même, juché au sommet d’une tour qui penche91, égaré dans un monde de simulacres. Ainsi, dans notre roman, si la « copie » s’oppose d’abord à la partie authentique d’une statue de la Renaissance, le mot ne manque pas de s’appliquer aussi aux sentiments et aux caractères, comme à ces gestes et à ces répliques dont chaque personnage s’efforce en vain d’imiter « le modèle parfait92 », redoutant de vérifier sa propre « comédie » intérieure et leurrant donc un narrateur aux aguets, égaré dans un monde en « trompe-l’œil », face à un « jeu de miroirs » où il se perd. Réduisant sa « petite “ vision ” » à des conjectures provisoires. Le narrateur principal, dont « les faiblesses et les égarements93 » romantiques sont soulignés par l’auteur, se voit dès lors privé de crédibilité.

36Il reste à savoir dans quelle mesure le projet herméneutique sarrautien d’un dévoilement, toujours différé, des apparences, ressortit encore à un schéma platonicien. Car si l’intersubjectivité qu’explore Sarraute révèle un système de dépendance à autrui, un rapport de fascination armée, un « altruisme à l’envers » (qui intéressera René Girard94), la drastique restriction de champ qu’elle opère dans ses textes, uniquement focalisés sur des fragments de dialogue, et saisis dans un présent fictivement suspendu, explique leur nature répétitive et conduit à définir cette quête herméneutique par son intrinsèque inachèvement même. On pourrait soutenir que l’œuvre justement déçoit l’ambition humaniste de « découvrir » quelques tropismes, constitutifs d’une nature humaine, ne débouchant au contraire que sur une suite « de petites et innombrables faillites accumulées95 ». Notre roman, en tout cas, où est atteinte « la plus grande tension entre le propos et le discours96 », où Sarraute « ne peut alors qu’inventer ce qu’elle découvre97 », nous paraît ressortir pleinement, par la fréquence des paronomases comme des allusions intertextuelles, au renversement moderne, « baroque98 », du platonisme dont le Nouveau Roman a hérité et dont témoignent une « discohérence » narrative ou une « poétique de l’indétermination99 », caractéristiques de ses œuvres les plus marquantes.

e) La clôture textuelle

37L’image de la clôture nous semble en tout cas pertinente pour décrire la structure même du texte que nous lisons : la multiplicité des connexions établies conduit le roman à perturber tout système logique d’oppositions (y compris le principe de non-contradiction), et va jusqu’à contredire les positions polémiques, forcément schématiques, de L’Ère du soupçon. Ainsi Germaine Lemaire, se relisant, doute soudain de la valeur de ses textes :

Il lui semble que quelqu’un du dehors, sur un ton monotone, insistant, répétant toujours la même chose, les mêmes mots simples, comme fait un hypnotiseur, dirige ses sensations…100

38Ce doute, qui semble d’abord viser « la troisième personne » d’un romancier omniscient, est bien un écho de celui-là même de l’auteur (qui a prêté, on l’a vu, à son anti-héroïne, sa propre angoisse existentielle). Il se retrouvera chez le narrateur d’Entre la vie et la mort (1968) qui se demandera soudain, lui aussi, dans les mêmes circonstances, si la « sensation » qu’il a cherché à préserver dans son texte, ne produira pas le même effet, sur son lecteur, que si elle avait été provoquée par les mots d’un « hypnotiseur101 ».

39Mais qu’en est-il du « héros » du Planétarium, qui confie, à la fin, son projet d’écrire un roman où il voudrait saisir « sur le vif » « les petites manies des gens » ? Germaine Lemaire lui oppose alors l’objection de la « facilité102 », donc de l’arbitraire qui est l’éternelle objection que les romans psychologiques de Proust et de Dostoïevski, ou les monologues intérieurs d’Ulysse, n’ont pas manqué de susciter de la part de Borges ou de Gracq103. Or Alain, dès sa première tentative de raconter une histoire, est comparé à un « prestidigitateur104 » !

40Cette rime irréfutable (prestidigitateur/hypnotiseur), qui pose une équation entre les deux champions de camps esthétiques opposés105, confirme le maillage textuel106 du Planétarium, tissant un réseau serré (une « tapisserie107 ») d’échos de mots et d’images entre chacun des chapitres, appelé à en relativiser indéfiniment la lecture, et qui a un modèle dans Ulysse, précisément, où l’on a pu dire que, « dans ce livre, tout revenait au moins une fois108 ». Ce qui est aussi le cas du Planétarium qui propose d’ailleurs un bref pastiche du « catéchisme impersonnel », forme de questions-réponses utilisée dans le chapitre « Ithaque », dominé par une thématique astronomique, où figure évidemment le mot « planétarium »109 !

41C’est qu’Alain oublie qu’il lui reste encore à trouver « comment représenter ce qu’il n’a fait jusque-là que ressentir110. » Contrairement à l’auteur. Qui connaît, lui, la nécessité classique de « fermer111 » une œuvre, de modéliser un artéfact verbal dont la finitude sera la condition de son instabilité, ou, si l’on préfère, de sa profondeur :

« Pensée profonde » est une pensée de même puissance qu’un coup de gong dans une salle voûtée. Il fait ressentir des volumes où doivent être des choses qu’on ne voit pas, et qui peut-être ne sont pas ; mais l’importance de la résonance les impose. Si cette salle n’était finie, le coup frappé se perdrait sans retentir : il n’y a donc point de profondeur qui ait rapport avec quelque « infini »112.

Conclusion

42On espère avoir contribué à rappeler les limites du stéréotype, aujourd’hui complaisamment répandu, d’un Nouveau Roman que son formalisme aurait déconnecté de la réalité. Comme Barthes dans ses Mythologies113, le Nouveau Roman a voulu décrypter des mythes supposés naturels par une société intéressée à les entretenir. En exerçant une critique esthétique (de et par la forme), il aura su impliquer l’auteur et le lecteur dans une expérimentation de la communication romanesque des plus pertinentes pour déjouer l’illusion mimétique.

43Quant au Planétarium, son titre est assurément aussi ironiquement réflexif que celui des Faux-Monnayeurs, dont le roman de Sarraute propose sans doute une récriture114. Mais il s’agit surtout d’un titre intrinsèquement contradictoire, qui s’énonce faux et vrai à la fois, comme le fameux Paradoxe du Menteur. Il instaure donc une aporie qui est l’exacte figure du roman subséquent, où tout sera déformé, illusoire ou ironique ; mais vrai en ceci qu’il prévient le lecteur de cette imposture (« tout texte est un tissu nouveau de citations révolues115 ») et qu’il met en œuvre des stratégies appropriées à la ruine de toute démonstrativité du discours. Le Planétarium n’est en un sens que cela. Mais il exploite toutes les conséquences littéraires de ce paradoxe, devenant ainsi une forme romanesque ambitieuse et maîtrisée, dont la forte tension ironique compromet sans cesse l’équilibre aléatoire.

Notes de bas de page numériques

1  Nicole Biagioli, « Censure et Nouveau Roman », Jacques Domenech (dir.), Censure, autocensure et art d’écrire, Éditions Complexe, 2005, p. 303-323. En ligne : http://hal-unice.archives-ouvertes.fr/hal-00212107&version=1  

2  Jean Ricardou, Problèmes du nouveau Roman, Le Seuil, 1967, « Tel Quel », p. 40-41.

3  Jean Ricardou, discussion faisant suite à l’intervention de Léo Hoek, « Description d’un archonte : Préliminaires à une théorie du titre à partir du Nouveau Roman », Nouveau Roman : hier, aujourd’hui, (Colloque de Cerisy, 1971), UGE, 1972, « 10/18 », I, p. 308.

4  Valerie Minogue, dans sa notice du Planétarium, évoque « un drame héroï-comique », Sarraute, Œuvres Complètes, Gallimard, 1996, « Bibliothèque de la Pléiade », p. 1802. Toutes nos références aux textes de Sarraute renvoient à cette édition.

5  Emil M. Cioran, Aveux et Anathèmes, Gallimard, 1987, « Arcades », p. 66.

6  Nathalie Sarraute, « Comment j’ai écrit certains de mes livres », Entretien avec L. Finas, Études Littéraires, Décembre 1979, vol. 12, n°3, p. 398 : « /le public/ n’a pas vu le trompe-l’œil, ou plutôt il a aimé ce qui n’était qu’un trompe-l’œil. Il est tombé dans le piège que le roman lui tendait sans le vouloir. »

7  Nathalie Sarraute, prière d’insérer du Planétarium, figurant dès la première édition du roman (1959), et non, comme indiqué par erreur dans la Pléiade, pour sa reprise en Livre de poche en 1966, p. 1817-1818.

8  Le mot planétarium peut désigner aussi bien l’instrument d’optiqueque (métonymiquement) l’espace où se déroulent les séances de vulgarisation astronomique qu’il rend possibles : http://fr.wikipedia.org/wiki/Plan%C3%A9tarium .

9  Lucien Dällenbach, Le Récit spéculaire, Essai sur la mise en abyme, Le Seuil, 1977, « Poétique », p. 151-211 ; Anne-Claire Gignoux, La Récriture, formes, enjeux, valeurs, Autour du Nouveau Roman, Presses de l’Université Paris-Sorbonne, 2003, « Travaux de Stylistique et de Linguistique françaises », p. 111-128.

10  Nathalie Sarraute, Le Planétarium, Œuvres Complètes, Gallimard, 1996, « Bibliothèque de la Pléiade », p. 448-449.

11  Nathalie Sarraute, Le Planétarium, Œuvres Complètes, Gallimard, 1996, « Pléiade », p. 480.

12  Nathalie Sarraute, L’Ère du soupçon, « L’Ère du soupçon », Œuvres Complètes, Gallimard, 1996, « Pléiade », p. 1584.

13  Nathalie Sarraute, L’Ère du soupçon, « Ce que voient les oiseaux », Œuvres Complètes, Gallimard, 1996, « Bibliothèque de la Pléiade », p. 1609.

14  Nathalie Sarraute, L’Ère du soupçon, «Ce que voient les oiseaux», Œuvres Complètes, Gallimard, 1996, « Bibliothèque de la Pléiade » p. 1618 ; autres allusions : « De Dostoïevski à Kafka », p. 1571 ; « L’Ère du soupçon », p 1584 ; « Conversation et sous-conversation », p. 1589.

15  Voir les nombreuses références à l’anglicité : « ce roman anglais » (p. 403), « une vieille maison de Londres » (p. 496) ; « Elizabeth d’Angleterre […], Emily Brontë » (p. 446), « les vieux butlers des comédies anglaises » (p. 121 et p. 461) ; « Pierre is deep » (p. 465).

16  Tiphaine Samoyault, dans « Des choses sans objet », Littérature, n° 118, « Nathalie Sarraute », juin 2000, p. 25-34, est la première à expliciter ce rapprochement des deux musées londoniens, en signalant cette remarque d’un guide touristique : « You are invited herein on an exploration of cosmic vastness, perhaps as an antidote to the human frailties of Mme Tussaud’s next door. » (p. 31-32 et n. 10).

17  Nathalie Sarraute, Le Planétarium, Œuvres Complètes, Gallimard, 1996, « Bibliothèque de la Pléiade », p. 452, 411.

18  Nathalie Sarraute, Le Planétarium, Œuvres Complètes, Gallimard, 1996, « Bibliothèque de la Pléiade », p. 426, 431, 444-445.

19  Nathalie Sarraute, Le Planétarium, Œuvres Complètes, Gallimard, 1996, « Bibliothèque de la Pléiade », p. 506-507, 517.

20  Nathalie Sarraute, Le Planétarium, Œuvres Complètes, Gallimard, 1996, « Bibliothèque de la Pléiade », p. 504.

21  Danièle Sallenave, Castor de guerre, Gallimard, 2008, p. 356.

22  Nathalie Sarraute, Le Planétarium, Œuvres Complètes, Gallimard, 1996, « Bibliothèque de la Pléiade », p. 396.

23  Françoise d’Eaubonne, Une Femme nommée Castor, Mon amie Simone de Beauvoir, SOFINEM, 1986, « Encre », p. 22-24, témoigne que Beauvoir s’est reconnue notamment à travers le détail d’une « mantille » (p. 426). Beauvoir rendra public son différend avec Sarraute dans La Force des choses, Gallimard,1963, « Folio », I, p. 116, p. 371-372, II, p. 458-459. La virulence de l’attaque de Sartre contre Sarraute (« un ouvrage de femme »), dans son entretien de 1960 [v. note 89], trouve peut-être son origine dans cette charge sarrautienne à peine voilée.

24  Jorge Calderon, « Simone de Beauvoir et Nathalie Sarraute : analyse d’un différend », Simone de Beauvoir Studies, « Beauvoir in the New Millenium », volume 17, 2000-2001, p. 162-172 : analyse les possibles allusions polémiques à Sarraute dans Les mandarins (1954), auxquelles Sarraute répondra : outre des reprises de phrases (« Tu as vu les Dubreuilh ? qu’est-ce qu’ils deviennent ? », Gallimard, « Folio », I, p. 161 ; « Et les Guimier, qu’est-ce qu’ils deviennent ? » p. 474), de situations ou d’images (la thématique astronomique y est prégnante), on note surtout la transvalorisation (Genette) d’un personnage négatif (Lambert) en « héros » sarrautien (Guimier).

25  Nathalie Sarraute, Le Planétarium, Œuvres Complètes, Gallimard, 1996, « Bibliothèque de la Pléiade », p. 393-394.

26  Charles Senninger, « Un parcours sociologique », in L’Arc, « Nathalie Sarraute », n° 95, 1984, p. 60-69 : étudie les nombreuses et précises données historiques, sociologiques, politiques, permettant de situer le roman à la fin des années cinquante ; par exemple des allusions aux guerres d’indépendance (p. 399), à la guerre froide (p. 410).

27  Thérèse de Saint-Phalle (Entretien), « Nathalie Sarraute ne veut rien avoir de commun avec Simone de Beauvoir », Le Figaro Littéraire, 5 janvier 1967, p. 10 : « il m’est impossible de voir le moindre rapport entre son livre [Les belles images (1966)] et les miens. Il n’y a pas un trait commun. Ni dans la forme, ni dans le fond. » La critique sarrautienne a respecté cette consigne de lecture, contrairement à la critique beauvoirienne qui a étudié leur différend.

28  Voir le superbe portrait de Sartre par Jean Cau (qui fut son secrétaire), publié dans Croquis de mémoire, Julliard, 1985, p. 229-259, et qui a été repris dans l’Hommage rendu à leur fondateur par Les Temps modernes, n° 531-533, octobre-décembre 1990, « Témoins de Sartre », vol II, p. 1106-1136 ; on y retrouve des détails physiques (« Il a les dents pourries, ébréchées en chicots jaunes et noirs entre lesquels il fiche le tuyau de sa pipe et quand il rit, avec des “ Ha ! Ha ! ” très secs, ses lèvres ourlées s’ouvrent sur un gouffre», p. 1114), la satellisation de son entourage et la pratique de l’exclusion (p. 1118) liée à son impérialisme intellectuel (p. 1116) ; dans ses mémoires, Claude Lanzmann, souscrit à ce « portrait magnifique » : Le lièvre de Patagonie, Gallimard, 2009, p. 136.

29  Dans « disent les imbéciles » (1976) et Tu ne t’aimes pas (1984) notamment.

30  Nathalie Sarraute, Le Planétarium, Œuvres Complètes, Gallimard, 1996, « Bibliothèque de la Pléiade », p. 518.

31  Marcel Proust, À la Recherche du Temps Perdu, Gallimard, 1987-1989, « Bibliothèque de la Pléiade », successivement : IV, p. 473; IV, p. 459; IV, p. 297; III, p. 719; III, p. 696.

32  Marcel Proust, À la Recherche du Temps Perdu, Gallimard, 1987-1989, « Bibliothèque de la Pléiade », IV, p. 618.

33  Nathalie Sarraute, L’Ère du soupçon, «Conversation et sous-conversation», Œuvres Complètes, Gallimard, 1996, « Bibliothèque de la Pléiade », p. 1595.

34  Nathalie Sarraute, Le Planétarium, Œuvres Complètes, Gallimard, 1996, « Bibliothèque de la Pléiade », p. 454.

35  Remarquablement étudié par Georges Raillard, « Nathalie Sarraute et la violence du texte – À propos du Planétarium », Littérature, n°2, Mai 1971, p. 89-102.

36  C’est dans l’Hommage à Proust, publié par la N.R.F. le 1er janvier 1923, que Gide souligne le caractère prophétique de cet extrait de la « Lettre dédicace » aux Plaisirs et les Jours que Proust a écrite en 1896 :Gide, « En relisant Les Plaisirs et les Jours », Essais critiques, Gallimard, 1999, « Bibliothèque de la Pléiade », p. 873 et note p. 1225-1226 ; la dernière phrase est soulignée par Gide. Cet extrait est cité par Raillard, dans son article [v. note 35] p. 98.

37  Marcel Proust, À la Recherche du Temps Perdu, Gallimard, 1987-1989, « Bibliothèque de la Pléiade »,IV, p. 610, 618.

38  Nathalie Sarraute, « La littérature aujourd’hui » (1963), p. 1657 ; déjà cité dans « Roman et Réalité » (1959), p. 1644 et note p. 2090.

39  Paul Valéry, Introduction à la méthode de Léonard de Vinci (1894), Œuvres, Gallimard, 1957, « Bibliothèque de la Pléiade », I, p. 1205.

40  Nathalie Sarraute, Entretien avec Jacques Paugham, « Parti pris », France Culture, 2 juillet 1976, cité p. 1921 note 1.

41  Nathalie Sarraute, Le Planétarium, Œuvres Complètes, Gallimard, 1996, « Bibliothèque de la Pléiade », p. 424, 427. On note que l’auteur force le raccord pour relier explicitement les « particules » des tropismes à la « sous-conversation » du père d’Alain que celui-ci s’efforce d’interpréter.

42  Nathalie Sarraute, Le Planétarium, Œuvres Complètes, Gallimard, 1996, « Bibliothèque de la Pléiade », p. 455 ; la confrontation des divers points de vue est capitale pour saisir les enjeux de cette séquence d’anthologie.

43  Dorrit Cohn, La Transparence intérieure. Modes de représentation de la vie psychique dans le roman [1978], Le Seuil, 1981, « Poétique », pour la terminologie ; Laurent Adert, « Le lieu commun et l’écriture du tropisme », Les Mots des autres : Flaubert, Sarraute, Pinget, Villeneuve-d’Ascq, Presses Universitaires du Septentrion, 1996, « Objet », p. 175-236 ; le style indirect libre, « matrice stylistique essentielle de l’écriture sarrautienne » (p. 203, note 77) ; souligne la contribution déterminante de la Préface de Sartre pour la critique de l’œuvre ; voir aussi l’article fondateur de Bernard Pingaud, « Le personnage dans l’œuvre de Nathalie Sarraute », Preuves, 154, décembre 1963, p. 19-34, Repris dans Comme un chemin en automne, Écriture, politique, Gallimard, 1979, p. 212-255.

44  Nathalie Sarraute, « Flaubert le précurseur»[1963], p. 1632-1636 : l’analyse des clichés à double fond dans Madame Bovary est explicitement rattachée à l’analyse, par Sartre, de « l’inauthentique » dans Portrait d’un inconnu ; la « proximité très brûlante avec la pensée de Jean-Paul Sartre » (Pascale Fautrier, « Nathalie Sarraute et le jugement esthétique : critique de la critique », Éthique du tropisme, L’Harmattan, 2000, p. 108), avec L’Être et le néant, en particulier, est manifeste dans notre roman.

45  Jean-Paul Sartre, Préface à Portrait d’un inconnu [1948], p. 37.

46  Nathalie Sarraute, Le Planétarium, Œuvres Complètes, Gallimard, 1996, « Bibliothèque de la Pléiade », p. 357.

47  Gide, Journal des Faux-Monnayeurs, 21 novembre 1920, in Romans et Récits, Gallimard, 2009, « Bibliothèque de la Pléiade », II, p. 529 : « Je voudrais que les événements ne fussent jamais racontés directement par l’auteur, mais plutôt exposés (et plusieurs fois, sous des angles divers) par ceux des acteurs sur qui ces événements auront eu quelque influence. Je voudrais que, dans le récit qu’ils en feront, ces événements apparaissent légèrement déformés ; une sorte d’intérêt vient, pour le lecteur, de ce seul fait qu’il ait à rétablir. L’histoire requiert sa collaboration pour se bien dessiner. »

48  Jean Ricardou, Pour une théorie du Nouveau Roman, Le Seuil, 1971, « Tel Quel », p. 262.

49  Eric Wessler, La Littérature face à elle-même. L’écriture spéculaire de Samuel Beckett, Amsterdam, Rodopi, 2009, « Faux titre », p. 19-37, p. 110-144. Remarquable étude retraçant l’histoire du concept critique de « réflexivité », développé par le Romantisme allemand, désignant la capacité d’une œuvre à opérer un dédoublement critiquede ses propres codes, et que le Nouveau Roman a radicalisé, d’où sa proposition de distinguer « réflexivité », « auto-réflexivité », « autoréférence ».

50  Nathalie Sarraute, Le Planétarium, Œuvres Complètes, Gallimard, 1996, « Bibliothèque de la Pléiade », p. 478-479.

51  Le dédoublement de la vision est sans doute une figure structurale du roman : on pense à l’allégorie balzacienne du fou et du savant (« Ici, je serai toujours entre la toise du savant et le vertige du fou. » Balzac, La Comédie humaine, Théorie de la démarche (1833), Études Analytiques, Gallimard, 1981, « Bibliothèque de la Pléiade », XII, p. 265-266), étudiée par Per Nykrog (La Pensée de Balzac dans la Comédie Humaine, Copenhague, Munksgaard, 1965), ou au « double miroir »de l’ironie romantique(« Hélas ! il est des jours où le cerveau humain est comme un double miroir dont une glace renvoie à l’autre le revers des objets qu’elle a reçus de face. C’est alors que toutes les choses, et tous les hommes, et toutes les paroles, ont leur revers inévitable […] », Sand, Lettres d’un voyageur, V, à F. Rollinat, janvier 1835, Garnier Flammarion, 1971, p. 152-153) ; voir aussi la « vision binoculaire » chez Flaubert, selon Thibaudet, Gustave Flaubert, Gallimard, 1935, « Leurs Figures », p. 89.

52  Ainsi Germaine Lemaire, qui se compare à un « géant chaussé des bottes de sept lieues » (p. 456) et considère les autres comme des « pygmées » (p. 431), se voit elle-même finalement dotée d’un « œil bovin » (p. 515) !

53  Jean Ricardou, Pour une théorie du Nouveau Roman, Le Seuil, 1971, « Tel Quel », p. 262.

54  Sa « ruse » (p. 390) est masquée par une « timidité » très apparente (p. 422) ; son cynisme ambitieux est percé à jour par Lemaire (p. 407) et par son père (p. 426, p. 498) ; ses hésitations esthétiques (malgré son expertise artistique) perdurent (« vieille porte massive de couvent ou porte de pavillon tocard » p. 516) ; Gisèle se compare à un psychiatre dans son espoir de le « guérir » (p. 385). Cela révèle une inconstance du moi, typiquement baroque, thème majeur de La Recherche : « Mais on ne s’afflige pas plus d’être devenu un autre, […] qu’on ne s’afflige, à une même époque, d’être tour à tour les êtres contradictoires, le méchant, le sensible, le délicat, le mufle, l’ambitieux, qu’on est tour à tour chaque journée. »Proust, À la Recherche du Temps Perdu, Gallimard, 1987-1989, « Bibliothèque de la Pléiade », IV, p. 221.

55  Reprises de mêmes mots ou images dans leurs chapitres respectifs (p. 341-350; p. 449-455) ; ce procédé marque l’influence de la « découverte » par Woolf du « tunnelling procès » dans Mrs Dalloway : Paul Ricœur, « Entre le temps mortel et le temps monumental : Mrs Dalloway », Temps et récit, 2, Le Seuil, 1984, « Points Essais », p. 192-212.

56  Voir par exemple Alain Robbe-Grillet, « Sur le choix des générateurs », Nouveau Roman : hier, aujourd’hui, UGE, 1972, « 10/18 », II, p. 157-162.

57  Rimbaud, « Matinée d’ivresse », Illuminations, Œuvres, Éd. Bernard, Garnier, 1960, p. 269. Voir le commentaire (p. 494-496) qui, à propos de cette évocation d’une séance de haschich, explicite la dérivation étymologiquealors accréditée entre la Secte des Haschischins et Assassins. Deux autres poèmes de Rimbaud sont cités ou paraphrasés par Alain : « Les réparties de Nina » (p. 384), « Le Bateau ivre » (p. 430).

58  Georges Raillard, « Notes en marge d’un “ livre difficile ”, Portrait d’un inconnu », Littérature, n°118, « Nathalie Sarraute », Juin 2000, p. 41-42 ; il rappelle le succès considérable obtenu par la présentation à Paris, lors de l’Exposition Internationale de 1937, d’un Planétarium (inventé en 1923 en Allemagne).

59  Michel Dumont, « Petite histoire des planétariums » ; Lucien Tartois, « Le premier planétarium de France (1937-1972) », Revue du Palais de la Découverte, n° 37, Numéro spécial, « Le planétarium », juin 1990, p. 4-5, p. 6-7. Le Planétarium Adler de Chicago est évoqué dans Les Mandarins, Gallimard, 1954, « Folio », II, p. 424.

60  Par exemple Entretien avec François Bondy (1964), Mimica Cranaki/ Yvon Bélaval, Nathalie Sarraute, Gallimard, 1965, « La bibliothèque idéale », p. 216 ; Claude Mauriac, Le Temps immobile (VI), Le rire des pères dans les yeux des enfants, (Journal du 7 octobre 1959), Grasset, 1981, p. 123.

61  Voir l’article fondamental de Carlo Ginzburg, « Traces, Racines d’un paradigme indiciaire », Mythes, Emblèmes, Traces [1986], Flammarion, 1989, « Nouvelle Bibliothèque scientifique », p. 139-180.

62  Micheline Tison-Braun, Nathalie Sarraute ou le recherche de l’authenticité, Gallimard, 1971, « Le chemin » p. 9-34, où elle étudie l’« agencement géométrique » des images artificielles connotant leur inauthenticité.

63  Gilbert Durand, Les Structures anthropologiques de l’imaginaire, Bordas, 1969, « Études » : voir l’ensemble du Livre II « Régime Nocturne de l’image », en particulier, p. 219-247, p. 274-293.

64  Nathalie Sarraute, Portrait d’un inconnu, Œuvres Complètes, Gallimard, 1996, « Bibliothèque de la Pléiade », p. 61.

65  Arnaud Rykner, Nathalie Sarraute [1991], Le Seuil, 2002, « Les contemporains », p. 198 : Sarraute, Entretien avec l’auteur (1990) : «…si l’on crève la voûte [du planétarium], l’univers immense apparaît par derrière. »

66  Blaise Pascal, Pensées, Éd. Le Guern, LG.187, Gallimard, 2004, « Folio », p. 161.

67  Nathalie Sarraute, « Paul Valéry et l’Enfant d’éléphant », p. 1549-1550 : Sarraute y répond à « Variation sur une pensée », Variété [1924], Œuvres, Gallimard, 1960, « Bibliothèque de la Pléiade », I, p. 458, où Valéry réduit cette « pensée » à la perfection d’un « vers ».

68  On aura noté l’alexandrin et la paronomase (reprise dans Ich sterbe, p. 925) : « recours/secours ».

69  Nathalie Sarraute, Le Planétarium, Œuvres Complètes, Gallimard, 1996, « Bibliothèque de la Pléiade » p. 450.

70  Nathalie Sarraute, Ici, Œuvres Complètes, Gallimard, 1996, « Bibliothèque de la Pléiade » p. 1372.

71  Olivier de Magny, « Nathalie Sarraute ou l’astronomie intérieure », Les Lettres Nouvelles, XI, 41, décembre 1963-janvier 1964, repris en postface à Portrait d’un inconnu, UGE, 1964, « 10/18 », p. 227.

72  Celia Britton, The Nouveau Roman, Fiction, Theory and Politics, New York, St. Martin Press, 1992, p. 12-22, et Valerie Minogue, « Roquentin’s self-conscious narrative : La Nausée and the Nouveau Roman », Forum for Modern Language Studies, XVII, 3, July 1981, p. 230-244, notamment, ont montré l’influence déterminante du roman de Sartre sur les Nouveaux Romanciers, et sur Portrait d’un inconnu en particulier. Voir aussi les notices consacrées à ce roman dans Sartre, Œuvres Romanesques, Gallimard, 1981, « Bibliothèque de la Pléiade » ; sur la contestation du Récit et des « aventures », p. 48-49, p. 1694-95.

73  Paul Valéry, Cahiers, « Littérature », « La comédie de l’Esprit », [1931/XIV, 1957-1961], Gallimard, 1974, « Bibliothèque de la Pléiade », II, p. 1218.

74  Nathalie Sarraute, « Ce que je cherche à faire » (Cerisy, 1971), p. 1696, p. 1706 ; Ricardou, « L’impossible Monsieur Texte », Pour une théorie du Nouveau Roman, Le Seuil, 1971, « Tel Quel » p. 59-90 ; Simon, Discours de Stockholm, [1986], Œuvres, Gallimard, 2006, « Bibliothèque de la Pléiade », p. 887-902.

75  Nathalie Sarraute, Le Planétarium, Œuvres Complètes, Gallimard, 1996, « Bibliothèque de la Pléiade », p. 358 (image employée dans un contexte réflexif) ; on connaît le goût de Joyce pour ce jeu (Jean Paris, Joyce, Le Seuil, 1957, « Écrivains de toujours », p. 100-119).

76  Nathalie Sarraute, Le Planétarium, Œuvres Complètes, Gallimard, 1996, « Bibliothèque de la Pléiade », p. 455.

77  Nathalie Sarraute, Le Planétarium, Œuvres Complètes, Gallimard, 1996, « Bibliothèque de la Pléiade », p. 449.

78  Nathalie Sarraute, Le Planétarium, Œuvres Complètes, Gallimard, 1996, « Bibliothèque de la Pléiade », p. 468, confirmant le jugement de son neveu, p. 355.

79  Jean Alter, « Perspectives et Modèles », Nouveau Roman, hier, aujourd’hui, UGE, 1972, « 10/18 », p. 49-51, selon qui la « prétention cosmique » du titre est infondée au vu des résultats.

80  Roland Barthes, S/Z (1970), Œuvres Complètes, Le Seuil, 2002, III, p. 235, cité par Antoine Compagnon, La Seconde Main, Le Seuil,1979, « Poétique », p. 387.

81  Bruno Vercier, « (Nouveau) Roman et autobiographie : Enfance de Nathalie Sarraute », Autobiography in French Literature, Columbia, The University of South Carolina, 1985, « French Literature Series », vol. XII, p. 166 : analyse Enfance comme la conquête progressive d’uneindépendance vis-à-vis de la mère dont l’absence est « l’événement capital » du livre ; notre roman se voulant (déjà) le récit d’une émancipation.

82  Nathalie Sarraute, Enfance, Œuvres Complètes, Gallimard, 1996, « Bibliothèque de la Pléiade », p. 1109.

83  Dominique Rabaté, Vers une littérature de l’épuisement, [1991], Corti, 2004, « Les essais ».

84  Michel Mansuy, « L’imagination dans le Nouveau Roman », Nouveau Roman : hier, aujourd’hui, UGE, 1972, « 10/18 », I, p. 81-82.

85  Sartre, « Entretien avec Madeleine Chapsal », Les Écrivains en personne [1960], René Julliard/UGE, 1973, « 10/18 », p. 263-264 ; repris dans Sartre, Situations IX, Mélanges, Gallimard, 1972, p. 18-19.

86  La négativité est un élément fondamental et permanent dans la pensée (le pour soi) et la critique littéraire de Sartre et se trouve au cœur de « la contradiction centrale*» de son écriture : Jean-François Louette, Notice des Mots, Les Mots et autres écrits autobiographiques, Gallimard, 2010, « Bibliothèque de la Pléiade », p. XXXVII-XXXIX ; J.-F. Louette, «*Les Mots, écrire l’universel singulier », « Les mots, autobiographie réflexive », Silences de Sartre, Toulouse, Presses Universitaires du Mirail, 2002, « Cribles », p. 239-292, p. 293-302.

87  Sartre, Préface à Portrait d’un inconnu (1948), p. 35.

88  Lucette Finas, « Nathalie Sarraute : mon théâtre continue mes romans » (Entretien), La Quinzaine Littéraire, n° 292, 16 Décembre 1978, p. 4 : « NS-…ce qui me préoccupe, c’est la nécessité d’évaluer…/-LF :-…et l’impossibilité de le faire. Vous ne cessez de parler “ en vérité ” et de parodier l’idée d’un absolu de la vérité./-NS : Exactement. »

89  Gilles Deleuze, « Platon et le simulacre », Logique du sens, Éd. de Minuit, 1969, « Critique », p. 292-307. Rapprochement effectué par José Duval, Romantisme et Modernité : réflexion sur l’œuvre de Nathalie Sarraute,Thèse de 3e cycle, dir. Jean Decottignies, Lille III, 1977.

90  Nietzsche, Par-delà bien et mal [1886], §289, Gallimard, 1971, « Folio Essais », p. 204 (traduction revue par Deleuze).

91  Virginia Woolf, « La tour penchée » [1940], L’Art du roman, Le Seuil, 1962, p. 180-204.

92  Nathalie Sarraute, Le Planétarium, Œuvres Complètes, Gallimard, 1996, « Bibliothèque de la Pléiade », p. 503 ; p. 510.

93  Nathalie Sarraute, successivement : Portrait d’un inconnu, p. 99, Tropismes, p. 25, Martereau, p. 333, Portrait d’un inconnu, p. 63, prière d’insérer du Planétarium, p. 1818 ; les premiers opus contestent la crédibilité de leurs narrateurs respectifs.

94  René Girard, « Le Planétarium », The French Review, 34 (1), October 1960, p. 112.

95  Denis Ferraris, « Portrait de la Rabouilleuse en ressasseuse », Communications, n°30, 1979, p. 198.

96  Jean Blot, « Une fine buée », N.R.F., n°188, août 1968, p. 113.

97  Olivier de Magny, « Nathalie Sarraute ou l’astronomie intérieure », Les Lettres Nouvelles, XI, 41, décembre 1963-janvier 1964, repris en postface à Portrait d’un inconnu, UGE, 1964, « 10/18 », p. 242.

98  Johan Faerber, Esthétique baroque du nouveau roman, Thèse de Doctorat, dir. Marc Dambre, Paris III, 2003, voir p. 264-274, p. 306-327, où, privilégiant le projet sarrautien, il conclut à un néo-platonisme atypique parmi les nouveaux romanciers.

99  Ilias Yocaris, « La discohérence [notion ricardolienne] dans Triptyque et Leçon de choses de Claude Simon », F. Calas (dir.), Cohérence et Discours, Presses de l’Université Paris-Sorbonne, 2006, « Travaux de Stylistique et de Linguistique Françaises », p. 399-408 ; « Une poétique de l’indétermination : style et syntaxe dans La Route des Flandres », Poétique, n°146, avril 2006, p. 217-235.

100  Nathalie Sarraute, Le Planétarium, Œuvres Complètes, Gallimard, 1996, « Bibliothèque de la Pléiade », p. 450.

101  Nathalie Sarraute, Entre la vie et la mort, Œuvres Complètes, Gallimard, 1996, « Bibliothèque de la Pléiade », p. 732-733.

102  Nathalie Sarraute, Le Planétarium, Œuvres Complètes, Gallimard, 1996, « Bibliothèque de la Pléiade », p. 517-518.

103  Jorge Luis Borges, Préface [1940] à A. Bioy Casares, L’Invention de Morel, in Borges, Livre de préfaces [1975], Œuvres Complètes [1999], Gallimard, 2010, « Bibliothèque de la Pléiade », II, p. 316, où il critique « le désordre total » du roman psychologique (de Dostoïevski à Proust). Gracq trouve que le registre dostoïevskien présente, par rapport à celui des romanciers « psychologues », « la même différence que, par rapport à un jeu de cartes normal, un jeu de cartes dans lequel on a introduit un joker. » (En lisant, en écrivant, 1980, Œuvres Complètes, Gallimard, 1989, « Bibliothèque de la Pléiade », II, p. 686). Adrienne Monnier, dans une fameuse conférence, « L’Ulysse de Joyce et le public français »(1931), publiée en 1940, se fait l’écho du risque d’« arbitraire » du monologue intérieur, Les gazettes (1923-1945), Gallimard, 1961, « L’Imaginaire », p. 244.

104  D’abord appliquée au récit raté d’Alain devant les invités de sa belle-mère (p. 361), la comparaison sert à définir sa brillante prestation devant Lemaire, dans un chapitre dont il est le narrateur (p. 400).

105  À la virtuosité de l’une (« Vraiment, je crois que je suis arrivée à faire à peu près ce que je veux avec les mots », p. 449) s’oppose le labeur de l’autre (« Billets déchirés cent fois avant que ne vienne enfin ce ton libre, spontané, dépouillé…», p. 508).

106  Stéphane Lojkine, « La poignée de porte de Tante Berthe… Le Planétarium ou les marges de la scène ». La Scène de roman, Méthode d’analyse, Armand Colin, 2002, « Collection U, Lettres », p. 238, note 32.

107  Nathalie Sarraute, Le Planétarium, Œuvres Complètes, Gallimard, 1996, « Bibliothèque de la Pléiade » p. 372, p. 462.

108  Jacques Aubert, Présentation de l’Index, Joyce, Ulysse, Œuvres, Gallimard, 2005, « Bibliothèque de la Pléiade », II, p. 1929.

109  Nathalie Sarraute, Le Planétarium, Œuvres Complètes, Gallimard, 1996, « Bibliothèque de la Pléiade », p. 472-473 ; Ulysse, Œuvres, Gallimard, 2005, « Bibliothèque de la Pléiade », II, p. 720-801 ; le mot « planétariums » figure p. 739 ; sur les «schémas» que Joyce confia lui-même à certains critiques influents, ibid. II, p.lxxiv-lxxxiv.

110  Emer O’Beirne, Reading Nathalie Sarraute : Dialogue and Distance, Oxford, Clarendon Press, 1999, « Oxford modern Languages and Literature monographs », p. 183.

111  Paul Valéry, « Poïétique » [1928/XIII, 1957-1961], Cahiers, Gallimard, 1974, « Bibliothèque de la Pléiade », II, p. 1023-1024 : « Lesartistes modernes […] ne veulent que produire effet, ne sachant plus vouloir fermer une œuvre – c’est-à-dire la conduire au point où l’on voit qu’elle remplit les conditions précises d’existence définies par la fonction qu’elle doit tenir.[…] Le moderne lance son homme au diable – et ne songe point qu’il faut lui faire décrire une courbe fermée. »

112  Paul Valéry, Mauvaises pensées et autres [1942], Œuvres, Gallimard, 1960, « Bibliothèque de la Pléiade », II, p. 797.

113  Geneviève Serreau, « Nathalie Sarraute nous parle du Planétarium », Entretien, Les Lettres Nouvelles,26 juin 1959, p. 28 : Sarraute se réfère à sa lecture de Mythologies (1957) et souscrit aux positions de Barthes ; N. Biagioli, dans son article cité [note 1], effectue ce rapprochement (p. 303), pour dénoncer la censure idéologique qui frappe le Nouveau Roman et que les manuels scolaires contribuent à véhiculer.

114  Il paraît difficile de contester l’influence des Faux-Monnayeurs sur le fond (une commune dénonciation des « faux semblants » à travers une satire des mœurs littéraires du moment) comme sur la forme (le roman d’un roman perspectiviste et ironique) du Planétarium, malgré les dénégations de Sarraute (G. Lapouge, « André Gide a cent ans. À propos d’André Gide », La Quinzaine Littéraire, n°82, 1er novembre 1969, p. 20-21.)

115  Roland Barthes, « Texte (Théorie du) » (1973), Œuvres Complètes, Le Seuil, 2002, IV, p. 451 : Barthes ne pouvant que moduler ici une fameuse citation de Mallarmé (Crise de vers, Œuvres, Gallimard, 2003, « Bibliothèque de la Pléiade », II, p. 211-212) : « que, plus ou moins, tous les livres, contiennent la fusion de quelques redites comptées. »

Pour citer cet article

Rainier Rocchi, « Un titre emblématique du Nouveau Roman : Le Planétarium de Nathalie Sarraute », paru dans Loxias-Colloques, 2. Littérature et réalité, Un titre emblématique du Nouveau Roman : Le Planétarium de Nathalie Sarraute, mis en ligne le 30 janvier 2013, URL : http://revel.unice.fr/symposia/actel/index.html?id=380.


Auteurs

Rainier Rocchi

Après avoir exercé des responsabilités dans le domaine culturel, Rainier Rocchi a repris ses études à l’Université de Nice-Sophia Antipolis (Master 2 Recherche, 2010) et prépare un Doctorat en littérature comparée, sous la direction de Mme Sylvie Ballestra-Puech (CTEL) : « L’œuvre de Nathalie Sarraute à l’épreuve de l’intertextualité ».