Loxias-Colloques | 1. Voyage en écriture avec Michel Butor | Le Texte-Promenade
Maria Cristina Pîrvu :
Le texte-promenade
Résumé
Exposition organisée du 25 avril au 10 juillet 2008, dans la B.U. Lettres (Section du Service Commun de la Documentation de l’Université de Nice Sophia-Antipolis)
Texte intégral
1Il y une citation de Michel Butor qui m’a donné, probablement, l’idée de cette exposition. J’ai oublié ses mots pendant longtemps. Je ne l’ai retrouvée que plus tard, au moment où j’installais déjà les éléments du Texte-Promenade dans les salles de la B.U. Lettres. Quand je l’ai relue, j’ai cru voir, dans ses lignes, une confirmation de mon travail.
2Je venais de voyager avec elle, à mon insu.
3Il s’agit d’un extrait d’entretien qui expose clairement la vision de Michel Butor sur « la lecture comme voyage » et « l’écriture comme voyage », vision que je partage entièrement. Michel Butor affirme :
Le livre devient un lieu à l’intérieur duquel on se promène. Il y a des livres qui sont, si l’on veut, des tunnels ou des rails de chemin de fer, dans lesquels on ne peut faire qu’un seul trajet. Mais j’aime de plus en plus les livres à l’intérieur desquels on peut se promener. Et j’essaie de faire des livres à l’intérieur desquels on peut faire plusieurs trajets différents1.
4Heureuse de trouver cette réflexion de Michel Butor (qui me rassure dans ma tentative de construire un parcours pour une exposition), je décide de la citer sur la grande affiche du Texte-Promenade, à gauche de la porte d’entrée de la B.U. Lettres. Elle jouera le rôle de « sésame » (mot de passe ou provision pour la route ?). Elle veillera sur l’accès au Texte-Promenade.
5Vous poussez maintenant la porte vitrée, face-à-face ou, plutôt, profil-à-profil, avec ce portrait de Michel Butor, aimablement mis à notre disposition par R. Monticelli. Il a été intégré, de manière artistique, par David le Huan Cua dans l’ensemble de l’affiche violette qu’il a conçue pour la Journée Butor du 25 avril 2008. Vous avez `juste le temps de l’apercevoir et d’en attraper éventuellement un brin de phrase, ne serait-ce que le titre de cette journée d’étude, écrit en gros caractères : Voyage en écriture. Sans en avoir conscience, vous êtes déjà partis en voyage.
6Vous êtes déjà dans le Texte-Promenade, car après avoir franchi le seuil de l’affiche, vos premiers pas vous ont déjà introduits dans le hall d’entrée, devenu à cette occasion une Place aux textes. Votre regard est vite accroché par la série de trois pages extraites des manuscrits du Génie du lieu (premier volume de la série homonyme) qui rythment, par leur violet-parme, la couleur sombre du mur de fond.
7C’est un texte sur l’Egypte – pays où, selon le mythe du dieu Thôt, l’écriture aurait ses origines. L’Egypte est aussi le pays du premier grand voyage du jeune professeur Michel Butor. C’est un paysage oriental, un cadre dépaysant et en même temps, un haut lieu de la culture antique, un lieu hanté par une présence-absence fort puissante, qui veille sur l’entrée en écriture de celui qui allait devenir « un auteur consacré ». Ces pages sur l’Egypte, qui datent de l’époque des débuts littéraires de Michel Butor, portent sur un aspect particulier, apparemment banal, mais très significatif pour la différence culturelle qu’il explore. Il s’agit de la nécessité d’avoir une table pour écrire. C’est un besoin affirmé par le jeune Français débarqué dans la province égyptienne de Minieh où les seules tables hautes dans un style Louis XIV surchargé appartenaient aux riches Egyptiens et venaient directement de Londres ou de Paris. Les rues de Minieh ressemblent beaucoup aux « rues tristes » des villes du sud de la France, les habitants sont soigneusement habillés, mais leurs gestes sont différents et leurs habitudes de vie aussi. En vous approchant de ces grosses reproductions des pages du tapuscrit butorien, vous verrez plusieurs ratures et flèches correctrices, des ajouts et des suppressions marqués à la main, mais vous lirez aussi les lignes suivantes :
[c’est pourquoi] la seule solution était d’en faire fabriquer une, d’acheter le bois, de faire un dessin côté pour expliquer exactement comment je la voulais, puis d’aller voir tous les jours à l’atelier, pendant trois semaines, apprenant la patience, où on en était, jusqu’au moment où enfin je l’ai vue cette table désirée, vernie, avec un tiroir comme je l’avais spécialement demandé, mais beaucoup trop haute de telle sorte qu’il me fallut en faire scier puis rescier les pieds, avant de pouvoir m’en servir2.
8C’est le début de l’écriture, mais c’est aussi l’initiation à l’autre : l’initiation à un autre temps (plus lent, plus posé, plus oriental), l’initiation à un autre ordre des choses (les chambres sans table ni chaises).
9À peine vous imprégnez-vous de la chaleur et de la torpeur du paysage de Minieh, qu’une Pluie de texte vous surprend sur la gauche. C’est une page de texte de la même série égyptienne, mais elle rompt avec la verticalité des autres. Disposée horizontalement, la copie du feuillet en question rend la lecture du texte plus difficile, mais réussit à mettre en avant son graphisme. La page devient paysage3, pour reprendre la célèbre formule de Jean-Pierre Richard.
10Le choix de cette disposition de la page veut que les lignes d’écriture et leurs ratures en x suggèrent l’aspect des gouttes d’eau qui ruissellent sur le fond vertical, marbré, du papier parme.
11Encore plus à gauche, vous découvrirez d’autres pages de la série Génie du lieu. Cette fois, il ne s’agit plus du premier volume de la série, mais du deuxième, intitulé Où (voir Aux antipodes – une page reproduite dans un format diminué et exposée dans la petite fenêtre carrée) et puis, dans l’ordre, toujours vers la gauche, du troisième, Boomerang, et du quatrième, intitulé Gyroscope.
12Dans la vitrine voisine, le volume Boomerang est ouvert à la même page, et ainsi pouvez-vous comparer la version préparatoire et la forme publiée à laquelle elle a abouti, tout en apprenant des choses sur l’Australie, sur le fait que
lors de l’ouverture de la tombe du berger Mc Carthy, on entendit un rugissement dans les collines, et l’on vit dans la demi-obscurité un grand taureau d’une blancheur immaculée se précipiter de l’autre côté de l’autre bout du monde rouge inconnu sans bout. Les policiers effarés cherchèrent des abris et sortirent leurs révolvers, mais l’animal se dirigea vers le tombeau, où il s’arrêta pour regarder autour de lui en grattant le sol de ses sabots, puis se mit à gémir, se coucha et mourut. Les hommes vinrent l’un après l’autre constater qu’il était bien mort4.
13Vous êtes totalement dépaysés ? Complètement perdus ? Un repère surgit sur la gauche (toujours à gauche, mais cette fois c’est bien la dernière fois). Il s’agit d’une composition plastique, avec beaucoup de bleu et beaucoup de rouge, qui reproduit la carte du continent australien. Son titre est un syntagme extrait du texte qu’elle illustre : Un monde rouge inconnu sans bout. Cet « objet Butor » très vif en couleurs et très travaillé, qui nous rappelle, par son organisation horizontale, les immenses étendues des prés australiens, est la création d’Estelle Vincent, étudiante du Département des Arts, dans la section Danse.
14Maintenant vous voyagez dans Boomerang de plusieurs façons : par son texte, par le texte de son manuscrit et aussi, par cette illustration plastique inédite. Le mot « boomerang » ne vous trahit pas. Il vous sert d’indice. Le monde rouge inconnu est installé sur l’étagère du milieu, entre deux autres travaux des étudiants: un portrait à fond vert, dont l’expression décomposée par la douleur rappelle, en quelque sorte, Le cri de Munch (portrait qui se retrouve, par la force des choses, dans un voisinage autre que celui de départ, tout près, cette fois, de la page du berger Mc Carthy – hasard et/ou nécessité ?) et une plaquette, tout en haut, qui rappelle les ardoises de Ben, une plaquette sur laquelle vous pouvez lire dans tous les sens, et de toutes les couleurs (ce qui la différencie donc du noir et blanc de Ben), une parole essentielle pour la route : Bon voyage !
15Vous avez rebroussé chemin, toujours sur la gauche, de sorte que maintenant, vous vous retrouvez au point de départ, avec la bonne parole du tout début, qui vous invite à voyager dans le texte : Bon voyage !
16Vous comprenez bien que plusieurs voyages sont possibles dans le texte (en général) et dans l’espace de cette exposition (en particulier). La diversité des couleurs et des directions que suit le graphisme Bon voyage ! vous rassure sur ce point. Vous soufflez et vous reprenez la route. Il est temps de découvrir le tapuscrit de la quatrième de couverture d’un autre Génie du lieu, celle qui fait une synthèse des volumes précédents et qui finit par vous souhaiter, elle-même : « Bon voyage ! ».
17Si vous croyiez que vous étiez perdus, ce n’est que pour mieux recommencer : « Vénus renaissant perpétuellement de la mer… ». Vous découvrez les vitrines à côté desquelles vous êtes passés tout à l’heure, les vitrines hautes, avec les Textes en cascade, et les vitrines basses, appelées Plans d’eau. Dans tout espace de promenade, le paysage peut être rythmé par des chutes d’eau, des bassins ou des lacs qui lui ajoutent plus d’éclat et de reflets. Ainsi, les photos en noir et blanc d’André Villers, témoignant de sa collaboration avec Michel Butor, sont regroupées par ces vitrines, dans une harmonie qui n’est pas sans rappeler les couleurs de l’écriture : du noir sur blanc, du noir dégradé en gris foncés, du blanc qui s’obscurcit en gris clairs.
18Le violet parme des grandes pages de l’exposition nous aurait éloignés, rêveurs, de cette réalité de l’écriture et de la vie qui fraye son chemin à travers les conflits, les déchirures, les différentes batailles intérieures et extérieures qu’on doit mener pour arriver à mettre du noir sur blanc. C’est très sérieux, c’est du « blanc et noir », mais c’est très ludique aussi. André Villers a pris et surpris en photos les jeux sophistiqués des pages de manuscrit froissées, déchirées, superposées, pliées, dans lesquelles les phrases sont perceptibles par des bribes, où chaque mot reconnu devient tout d’un coup, un trésor, un mot précieux, vu son isolement et l’effort que vous venez de faire pour l’apercevoir et le déchiffrer. Il a surpris aussi les jeux de boules d’argile blanches et noires de Jean-Luc Perrant, sur lesquelles on découvre l’écriture à la main de Michel Butor : un mot pour chaque boule, de sorte que les boules une fois jetées sur le sol, selon les règles des jeux du sud de la France, des associations de mots se créent, des syntagmes ou même des phases. Composez, rêvez ! André Villers l’a déjà fait avant vous, tout en photographiant ces rêves et ces compositions.
19Vous voulez jouer encore ? Ce n’est pas fini. Michel Butor est un grand joueur et il n’aura pas fini de vous surprendre. Le jeu est une forme d’être ensemble. C’est une forme de collaboration. On a trop écrit sur la solitude des écrivains. Elle est bien réelle, mais il ne faut pas oublier que les écrivains sont aussi de grands amis. Ils sont nos amis, car ils nous invitent à jouer avec eux, de même qu’ils invitent d’autres artistes à jouer avec eux. On joue pour créer, pour aller toujours plus loin, pour explorer de nouveaux territoires du vocabulaire, des supports d’écriture insolites, des situations rares. Petit à petit, vous avez fait le tour de la Place aux textes. S’agit-il d’une place peuplée de textes ou bien, d’un impératif qui vous indique de faire de la place aux textes : Place aux textes !
20À une époque comme la nôtre, transformée en règne de l’image, la place laissée au texte se rétrécit comme une peau de chagrin. On préfère la vitesse de l’image à la lenteur qu’implique la lecture d’un texte. Tout en pensant, peut-être, à la possibilité d’associer les deux et à l’éventualité de prendre, plus souvent, votre temps (en mains !), car il y a un temps pour regarder, et il y a un temps pour lire, pour paraphraser l’Ecclésiaste (et le texte de L’Embarquement de la reine de Saba de Michel Butor), vous quittez la Place aux textes et vous franchissez la porte intérieure de la bibliothèque, devenue Porte de papier.
21L’écriture manuscrite de Michel Butor vous accueille d’un signe familier, sur deux colonnes, sur une page mouvementée, qui s’ouvre par des flèches, des ratures, des parenthèses solitaires qui jouent le rôle d’accolade. Signe de grande hospitalité. Nous ouvrons nous-mêmes cette porte en verre couverte d’une grande reproduction du texte du manuscrit Butor ou bien, c’est Michel Butor lui-même qui l’ouvre pour nous ? Vous lisez :
J’ouvre la porte de papier
Quelle profondeur !
C’est l’étage des préliminaires
Voici l’escalier des rois
À gauche la fenêtre des dames
À droite le miroir des cavaliers
Puis la chambre des embaumeurs
Avec la galerie des pleureuses […]5
22Avant le mot « embaumeurs », on déchiffre, sous la rature, le mot « valets », et juste avant le mot « pleureuses » qui le remplace, le mot « gardes » pointe sous une autre rature. Et tout change : vous croyiez entrer dans un château de conte de fées, avec des rois, des chevaliers et des dames, des valets et des gardes, mais c’est plutôt une pyramide, n’est-ce pas ? Car il est question de chambre des rois, d’embaumeurs et de pleureuses. Une question surgit : sommes-nous vraiment sortis de l’Egypte ? On dit que l’écriture est née sur le chemin de l’Exode6. Sortons donc de l’Egypte. Nous y retournerons, sans doute.
23Vous êtes où ? À peine franchie la porte de papier dont quelques vers vous trottent encore dans la tête (« j’ouvre la porte de pierre/quel silence », « j’ouvre la porte de neige/quelle prophétie » ?, « je respire/le fantôme soupire » ?), vous apercevez un indice sur la droite. Cela doit être un signe de changement, de renouveau. Vous ne regardez plus à gauche, mais à droite. Jusqu’à quand ? Nous verrons bien. Vous tombez ainsi sur la carte du Texte-Promenade qui vous déçoit, car elle n’est pas faite de schémas, de dessins et de signes, comme toute carte, mais du texte. La carte d’un Texte-promenade ne pouvait être qu’un texte.
24LE TEXTE-PROMENADE est un parcours à travers des pages des manuscrits/tapuscrits de Michel Butor conservés par la Bibliothèque Romain Gary (Section d’Étude et du Patrimoine de la B.M.V.R. Nice) et par la Bibliothèque de l’Université de Nice-Sophia Antipolis (Section Lettres). Son installation se laisse illuminer par des ouvrages rares et des livres d’artistes co-signés par Michel Butor.
25L’exposition met en avant (et en violet) le travail de l’écrivain, avec ses recherches, ses ratures, ses efforts, ses retours et ses hésitations. La création littéraire est un cheminement vers l’œuvre. Ce cheminement peut être vécu également sur le mode de la lecture, car lire un texte c’est, très souvent, voyager dans le texte.
26Notre promenade textuelle investit les éléments centraux de la bibliothèque (les services « Aide aux lecteurs », « Prêt », « Retour ») et tout son espace public. La bibliothèque se donne à lire comme texte. Elle est à découvrir et à déchiffrer.
27Maison des textes, la bibliothèque est un abri, un « chez soi » des textes et non pas leur prison. Elle respecte leur liberté et leurs mouvements. À force de vivre avec des textes, une bibliothèque finit par ressembler aux textes. Son mode de fonctionnement se décline à travers des services de prêt, de retour, d’aide au lecteur, mais n’y a-t-il pas, dans tout texte, un chemin à emprunter, un retour (une relecture) à faire et des indices qui aident et guident le lecteur dans sa démarche ? N’y a-t-il pas une procédure d’inscription de chaque lecteur dans le texte qui fait l’objet de son attention ?
28Le Texte-Promenade arpente les couloirs d’une bibliothèque-texte. Ses trajets sont variés et multiples : d’une page à l’autre, du texte manuscrit vers le texte publié, du texte vers l’objet d’art ou vers la musique. Chacun y trouve son chemin et construit son propre texte.
29Une fois franchie La porte de papier, vous trouvez, sur la droite, un possible mode d’emploi du parcours. Le Texte-Promenade a déjà commencé. Vous venez de traverser la Place aux textes et d’en apercevoir les Fontaines en cascade. Une surprise vous attend sur la gauche. La promenade continue et ses sentiers bifurquent. Le mot « promenade » donne le tempo du parcours. Prenez votre temps : lenteur et émerveillement. Laissez-vous surprendre par toutes ces lectures singulières du texte butorien traduites sous forme d’« objets » par les étudiants du Département des Arts. N’oubliez pas de noter tous les bouts de texte qui accrochent votre regard. Bientôt, vous tiendrez entre vos mains votre propre texte, que nous sommes prêts à accueillir dans l’espace du Retour: Brins de promenade.
30Le texte suit ses Horizons.
31Le chemin s’ouvre devant vous. Bonne promenade !
32La carte du Texte-Promenade est surplombée par l’affiche de la Journée Butor, la même affiche qui était sur la porte d’entrée dans la bibliothèque, donc vous reconnaissez votre chemin. Il reste à chercher ces horizons et ces brins de promenade dont il est question dans la carte.
33Deux grandes pages violet-parme tranchent sur le fond transparent de la paroi vitrée du fond. Une à l’endroit et l’autre à l’envers, comme si le fait de se promener consistait à tricoter ensemble l’intérieur et l’extérieur, son propre paysage intime et les paysages des autres…
En vous approchant, vous constatez que vous pouvez lire, en transparence, ce qui est écrit sur la feuille collée sur la face extérieure de cette paroi vitrée : « l’encens », « de », « sortent », « qui », « les voix », c’est-à-dire : « les voix qui sortent de l’encens » et plus bas encore, tout en balbutiant : « les échos chassant les arômes qui envahissent les épices » ou bien, un autre vers, toujours reconstitué à rebours, comme dans un miroir : « le grain qui se change en blanc brûlant dans les grondements dévorant le jasmin ». De gauche à droite ou de droite à gauche ?
34Le texte commence trop haut et cette lecture à rebours est intenable pour le moment. Vous décidez d’aller plus loin et vous prenez le métro :
Le roulement du métropolitain, et des trains lointains qui partent pour la banlieue, pour la province, ou les vacances. Autour de la maison l’impression de ville vide, la vitre du matin que rayent les premières bicyclettes.
Apparais enfin dans ton extérieur, grande pile de veilles et de sommeils, te voilà rendu à ta destination diurne, élément d’une rue qu’on ne regarde pas.
Tout immeuble est un entrepôt, avec ses étages et son trafic, les meubles qu’on emménage ou qu’on emporte, humains qui ont là leur lieu d’attache, avec leurs parents et leurs possessions, et ceux qui ne reviendront plus.
Comme toute tête est un entrepôt, où dorment des statues de dieu et de démons de toute taille et de tout âge, dont l’inventaire n’est jamais dressé.
Un jour nouveau qui sonne clair et froid comme la couleur de la mer, commence pour tous ceux que la nuit a brassés dans un même malheur […]7
35Cet extrait du premier roman de Michel Butor, Le Passage de Milan, commence à gauche, sur la paroi vitrée (décalé par rapport au texte mis de l’autre côté, comme si l’on trébuchait), et continue à droite, sur le mur qui fait le lien entre les deux portes de secours. Au total, une page et encore quatre pages extraites du même roman. Au-dessous de la suite de quatre pages en grand format, il y a une suite de quatre pages similaires mais beaucoup plus petites. Si vous les examinez de près, vous aurez la surprise de constater qu’il s’agit des mêmes pages, placées dans l’ordre inverse. Les grandes pages se succèdent dans l’ordre « normal », de gauche à droite, de 199 à 202, tandis que leurs petites sœurs se succèdent dans l’ordre inverse, en commençant par 202 et en finissant par 199. Il faudrait donc les lire de droite à gauche, comme si vous étiez devant les rails et que deux métros se croisaient sans accident, chacun allant dans l’autre sens. La question des sentiers qui se séparent se pose donc encore une fois, mais sous une forme nouvelle : à gauche ou à droite ?
36Ni à gauche ni à droite, et à gauche et à droite, peut-être. Un jour nouveau commence avec le texte du Passage de Milan. Le temps est venu de tourner le dos au passé lointain ou proche et de découvrir, près de la banque de prêt de la bibliothèque, une autre grande page violet-parme, avec ce texte déconcertant, extrait du tapuscrit préparatoire du volume Intervalle. Anecdote en expansion. Il faut s’approcher pour pouvoir lire ce texte qui rassemble les différentes voix qui s’entrecroisent dans la salle des Pas Perdus de la gare Lyon-Perrache.
37L’espace de la banque de prêt est aussi un espace d’attente et de quête, car les lecteurs de la bibliothèque effectuent leurs recherches dans le catalogue informatisé ou demandent des renseignements au personnel ou bien, attendent, tout simplement, leur prêt. Leur train. L’espace de la banque de prêt est la salle d’attente d’une bibliothèque, avec tout son va-et-vient, avec toute la richesse des gens venus de différents horizons qui s’y croisent sans se rencontrer vraiment sans toujours se parler, et qui partent, par la suite, vers différents horizons de lecture. Vous lisez la page qui veille en haut (le violet est la couleur de la veillée), tout près de la banque de prêt. Il est question d’étudiants et de nationalités étrangères, mais il y a tant de voix qui s’entremêlent dans ses lignes, que le bruit s’empare de vous et finit par avoir raison de votre patience. Heureusement, vous pouvez vous assoir et la relire à votre guise. Vous pouvez aussi faire une halte et noter vos impressions de voyage dans le « livre d’or » de l’exposition, un grand cahier bleu ouvert sur la banque de prêt, mais vous ne le faites pas. Si le parcours vous semble difficile, le temps est venu de se munir d’un bâton de pèlerin : des stylos et des feuilles de papier vous attendent juste devant la banque de prêt, avec un message qui vous concerne particulièrement :
écrire : se promener
Munis de stylo et de papier,
vous avez la liberté de poursuivre votre
promenade tout en notant les
éléments textuels qui vous
interrogent, de sorte que votre
parcours aboutisse lui-même à un texte : le vôtre
38L’exposition devient ainsi interactive, elle vous invite à construire votre propre texte, à partir de tous les bouts de texte butorien qui ont accroché votre regard tout au long du parcours. Une page des manuscrits de Michel Butor accompagne ce moment crucial du texte-promenade. Quelques mots en sont mis en évidence, parmi lesquels une phrase explicative et néanmoins poétique : « écrire : je rêve d’un lierre qui sera mon délice et ma perte » et une phrase aussi poétique et inspiratrice : « viens écrire : le roulement des taillis comme une écume sous mes rames, le roulement de mes feuilles mortes comme du sable ». Vous rêvez et vous allez votre chemin.
39En fermant la boucle de ce détour par la banque de prêt, vous apercevez loin, très loin sur la gauche, au fond de la salle de lecture SL 1, une page des Horizons.
40Il s’agit d’une page placée sur la fenêtre de fond qui se trouve juste en face de la porte d’entrée dans la salle de lecture. Pour y parvenir, il faudrait aller tout droit, mais plusieurs rayonnages pleins de livres et plusieurs lieux de travail vous tenterons d’ici là. Quand, enfin, vous y arriverez, vous découvrirez en contre-jour un texte et tout le paysage de jardin qui transparaît au-delà des fibres de son papier. Eblouis par la lumière qu’il dégage, vous tournerez votre regard sur la droite, où un autre texte surgit et vous surprend.
41Il s’agit du manuscrit du texte Dégel, présenté sous la forme de deux grandes pages qui se succèdent l’une en-dessous de l’autre, sous le nom de Colonne de texte. Elles ne pouvaient pas être aperçues depuis l’entrée dans la salle. Elles attendaient votre passage et se contentent de votre émerveillement. Pour mieux assister à leur Dégel, au ruisseau qui se forme et au torrent qui se prépare, il vaut mieux s’asseoir juste devant, occuper une des chaises qui entourent la table de travail. Ce n’est pas la seule surprise qui vous attend entre ses rayonnages consacrés aux collections de religion. Re-legere et renouveau du printemps. En faisant le tour de la salle, vers la sortie, vous serez surpris par plusieurs horizons de texte parsemés, tour à tour, dans les rayons d’histoire (une page de texte qui porte sur l’histoire de l’Egypte ancienne), dans les rayons de géographie (une autre page de texte qui porte sur la géographie du même pays et sur son fleuve, le Nil) et, enfin, dans les rayons de philosophie (sur la sagesse des habitants des mêmes lieux).
42Assis à leurs tables et plongés dans leurs livres, les lecteurs peuvent lever de temps en temps leur regard et reposer leurs yeux, sur ces fenêtres textuelles et violettes qui s’ouvrent tout d’un coup dans le bois des meubles ou dans la pierre des colonnes. (Les pages d’histoire et de géographie sont « cachées » dans le bois, la page de philosophie se dresse en haut d’une colonne).
43En sortant de la SL1, vous apercevez à travers la dernière fenêtre, sur votre gauche, le texte aux épices et au jasmin que vous lisiez tout à l’heure à l’envers. Il est dehors et un peu loin, mais vous apercevez quand même son titre : À l’extérieur de la vue. C’est une page qui vous donne déjà un avant-gout de ces colonnes de mots qui préparent souvent le processus d’écriture de Michel Butor et que vous trouverez, encore plus nombreuses, à l’étage. Pour monter, il faut emprunter l’escalier. Au tournant du grand escalier, humbles et petites et comme perdues dans l’immensité du mur qui les accueille, deux pages violettes se juxtaposent, l’une installée plus haut que l’autre, comme s’il s’agissait des deux marches d’un escalier. Avant de lire leur texte (extrait du tapuscrit de l’Intervalle), l’aspect graphique est édifiant : il s’agit de la reproduction d’une même page. Les deux marches textuelles sont identiques, pour montrer qu’il faut passer par « le même » pour déboucher vers « l’autre ». Faites-en l’expérience : vous lisez la première page et vous commencez à lire la deuxième. Est-ce vraiment la même chose ? Les souvenirs de la lecture de l’une ne troublent pas la lecture de l’autre ? N’y trouvez-vous pas quelque chose que vous n’avez pas remarqué au moment de la première lecture ?
44Tout en vous posant de telles questions ou bien, d’autres, encore plus redoutables, vous montez l’escalier et vous apercevez déjà loin, en haut, sur le vitres qui séparent la salle de références, des rayons d’allemand et d’anglais de SL 2, une page de texte dont vous ne déchiffrez pour l’instant que le titre : Les Incertitudes de Psyché.
45Une fois arrivé à l’étage, vous l’oubliez, car juste à côté de vous, sur le palier, à droite, deux grandes pages se dressent l’une à côté de l’autre, comme si vous étiez devant un gigantesque livre ouvert. Les feuillets se détachent l’un de l’autre, le pli est remplacé par l’intervalle, par le vide d’une séparation. Des images la traversent.
46Vous êtes à la frontière, entre deux étages, entre SL1 et SL2, entre les sciences humaines et les arts, d’une part, et les lettres, d’autre part. Le temps est béni. C’est le temps de la Pluie sur les frontières – deux pages de manuscrit qui empoignent votre regard, qui le tente par ses flèches et ses ajouts et le tourmentent par ses ratures, deux pages qui étonnent et qui donnent le vertige. Vous ne retrouverez le calme que dans les deux vitrines à bulle qui les devancent : l’une abrite des travaux des étudiants (Nature et Une envie d’évasion), l’autre abrite un autre témoignage de la collaboration de Michel Butor avec ses amis plasticiens (les gravures de Don Juan dans la propriété des souffles).
47Une fois franchi le seuil de la porte, le texte-promenade vous entraîne dans la lecture de quatre pages du même tapuscrit sur l’Egypte (Génie du lieu) qui vous avait reçus dans ses lignes dès vos premiers pas dans l’exposition. Cette fois, c’est différent, car le contexte est différent. Ce texte de jeunesse de Michel Butor se reflète dans les plans d’eau des vitrines, où vous trouvez, tour à tour, des gravures des amis du jeune Michel Butor, des gravures de son père, Émile Butor, mais aussi les premiers six volumes de ses Œuvres complètes éditées par les Éditions de la Différence, et un peu plus loin, dans d’autres vitrines, des « objets Butor » créés par les jeunes étudiants qui ont travaillé à partir des mêmes pages de tapuscrit : Roma de Laure Portagallo, Autour de la création de Vanessa Hinkel et, merveille ! une lampe d’Aladdin toute belle et dodue, en chiffon doré, une lampe qui nous amène dans la fraîcheur de l’enfance, quand du syntagme « génie du lieu », on ne garde que « le génie » et il devient génie d’une lampe. Même s’il nous entraîne vers d’autres histoires, il ne trahit pas l’histoire de l’écriture de Michel Butor, car il s’agit toujours de l’Orient. Orientons-nous : le génie de la lampe exauce les vœux de son maître, il fait apparaître des choses incroyables or, un écrivain, n’est-il pas dans un état similaire au moment où il voit apparaître sous ses doigts, au tournant de sa plume ou au cliquetis de la clochette de sa machine à écrire, des choses qu’il n’aurait jamais soupçonné d’exister dans sa tête ? N’y a-t-il pas un génie du lieu d’écriture ? Une espèce d’air, de souffle qui lui est spécifique, qui le définit et qui le hante ?
48Un autre grand voyage qui a marqué la jeunesse de l’écrivain Michel Butor, le grand voyageur, a été son voyage aux Etats-Unis. Ce voyage a donné, en quelque sorte, un livre qui a bousculé le monde littéraire au moment de sa parution. Il s’agit de Mobile. Etude pour une représentation des Etats-Unis. Un livre qui est constitué d’une seule grande phrase et qui fonctionne selon le principe des mobiles de Calder. Un livre qui n’est pas un roman, mais un jouet littéraire, dans le plus noble sens du terme. Quatre grandes pages qui reproduisent sur fond violet quatre pages du tapuscrit de Mobile vous entraînent dans leur zig-zag vers un espace moins circulé de la bibliothèque, qui est celui des bureaux et de la salle de conférences. Avec beaucoup de soin et dans une perspective raffinée de l’ensemble, Ghislaine del Rey a mis en œuvre l’installation des Plans d’eau de cet étage, tout en disposant dans des vitrines distinctes, mais dans un rapport de dialogue et de face-à-face, les œuvres de grands artistes collaborateurs de Michel Butor et les travaux des étudiants : les gravures de Grégory Masurovski, les créations d’Henri Macchéroni (comme ce bocal Provision qui contient du sable et du texte), pas loin de La pensée en vrac de Michael Ribot ou de La Place Saint Marc, « la cage aux oiseaux » de Luc Marie dit Asse.
49La tentation de partir vers le texte de la Description de San Marc surgit dans le paysage, mais le labyrinthe vous a déjà engloutis.
50C’est l’épreuve du labyrinthe qui commence par le zig-zag des textes extraits de Mobile. Plus loin, une fois entrés dans ses couloirs étroits et plus ou moins obscures, d’autres pages de manuscrit-tapuscrit viennent hanter votre regard : une page de tapuscrit qui a été réemployée, comme brouillon, pour un autre projet – celui du poème du Graveur des merveilles – désempare vos yeux dès que vous tournez.
51La page semble être mise à l’envers, vous titubez avec elle, vous trébuchez, elle aussi semble tomber, sous la forme d’une reproduction en petit format, installée obliquement, mais finalement elle se redresse, vous approchez la sortie du labyrinthe, vous êtes sauvés. Avec la lumière du bout du tunnel, c’est l’Ave Maria du personnage du Passage de Milan qui vous accueille, dans un triomphe de grâce. Le texte se met en lignes tapuscrites, puis en colonnes manuscrites, comme un fleuve qui sépare ses bras, dans un delta fécond. Sommes-nous sortis de l’Egypte ? Ou bien, pour reprendre la question de la fin du premier Génie du lieu : « Quand retournerai-je en Egypte ? »
52Le couloir est toujours étroit, mais beaucoup plus éclairé maintenant. Vous savourez votre sortie du labyrinthe. Vous vous asseyez dans ce coin discret, dans cet Abri textuel que vous réserve les deux grandes pages violettes qui reproduisent des extraits d’un livre qui vous attend, sur un présentoir, sur la table : Dialogue avec 33 variations de Ludwig van Beethoven sur une valse de Diabelli (un petit signe du fait que Michel Butor n’a pas dialogué qu’avec les plasticiens, mais aussi avec des musiciens et d’autres artistes). Vous auriez pu avoir la possibilité d’écouter les variations de Beethoven pendant que vous lisiez le dialogue de Butor, tout en le confrontant aux pages de son tapuscrit, mais ce projet n’a pas abouti.
53Ce sera pour une autre fois. Pour l’instant seule la musique des mots chuchotés inonde votre silence.
54Un autre seuil se dresse devant vous et c’est un texte de la Description de Saint Marc, le texte de la première page de son tapuscrit, qui le garde.
55Ces éléments du Texte-promenade qui portent sur la cathédrale de Saint Marc sont à lire en perspective. Il serait intéressant de retourner au seuil de la Salle des références et de profiter de ce belvédère pour saisir La cage aux oiseaux de Luc-Marie dit Asse qui évoque les coupoles de Saint-Marc et, sous forme de mobile de coupures de cartes postales, d’autres églises célèbres de tous les coins du monde, dans l’horizon de cette grande page qui commence par une notation en majuscules tracées avec un crayon rouge : EN PRIORITÉ, dans les horizons beaucoup plus lointains de cette page extraite du même manuscrit et collée, en grand et en violet, sur une fenêtre de fond, sur la droite. Ce n’est qu’en allant tout droit, vers les rayonnages de littérature italienne, que vous pourrez apercevoir cette dernière page de la série Saint Marc. De la même façon, ce n’est que dans les rayonnages de littérature allemande que vous trouverez, sur la même rangée de fenêtres, une page de manuscrit avec une référence à la ville de Berlin : « et vous-même, n’étant pas de Berlin, visiteur, loin du tissu quotidien, vous-même en vêtement de voyage, vous participerez, que vous vous en doutiez ou non, aux mille ruptures de ce tissu ». La SL 1, la salle de lecture du rez-de-chaussée, vous a déjà habitué avec ce genre de surprise. Egarez-vous parmi les rayonnages de cette salle de l’étage (SL2) : vous en trouverez d’autres. Il y a, par exemple, une page de manuscrit autographe sur le rayonnage Butor, et il y a aussi une page de l’Exprès (Envois 2) installée dans la proximité du kiosque de presse.
56Quand les livres rentrent dans la bibliothèque, ils arrivent au bureau de Retour. Vous avez trouvé vos stylos et vos bouts de papiers prêts du service d’Aide aux lecteurs, maintenant vous pouvez vous diriger, tout librement et avec mille détours, vers le service Retour.
57Vous y trouverez un autre indice et une autre page extraite des tapuscrits Butor. La dernière. La fin approche. Le texte de Butor commence par la phrase : « Vous nous abandonnez ? Quelle peine mortelle ! » et continue par une description des jardins d’un sultan qui descendent, en terrasses, vers la mer. Là où vous êtes, juste derrière « la cage » du Retour, vous lisez ce texte sur la mer qui borde les jardins d’un sultan, mais il suffit de jeter un coup d’œil à gauche, à travers les vitres de la porte de secours, en bas de l’impitoyable horloge et vous le saurez : la Méditerranée est là, il est tard, nous sommes à Nice. Le Texte-Promenade s’achève ainsi :
Avant de quitter
LE TEXTE-PROMENADE,vous avez la possibilité de laisser ici votre texte
pour qu’il puisse vivre encore un moment
dans ce cadre. Vous venez de « cueillir » ce texte
entre vos mains : Brins de promenade.
C’est une joie, pour nous, de l’ « accueillir ».
58À côté de ces lignes, des feuilles (dont le violet change pour le bleu) attendent, à bras ouverts, ces textes.
59*
60Si vous comptez revenir dans le texte-promenade, vous pouvez le refaire à partir de ses titres :
61En amont du Texte-Promenade, il y a eu un projet, qui a lui-même beaucoup voyagé avant de retrouver ce chemin. Son histoire est la suivante :
62« L’exposition du Texte-Promenade envisage la création littéraire en tant que parcours. Elle met en avant le travail de l’écrivain, avec ses recherches, ses efforts, ses hésitations, ses retours et ses ratures, tel qu’il apparait dans les pages des manuscrits/tapuscrits de l’auteur. L’auteur auquel elle rend hommage est Michel Butor, le grand écrivain du XXe et du XXIe siècle, que la vie, l’écriture, l’amitié et la rêverie frontalière attachent tellement à la ville de Nice.
63Conçue sous une forme ludique et interactive, l’exposition invite ses visiteurs à vivre leur lecture sur le mode d’une promenade à travers le texte. Ils y font leur propre expérience d’écriture, car ils ont la possibilité, au fur et à mesure qu’ils avancent dans leurs trajets, de noter tous les bouts de texte qui accrochent leurs regards, de sorte qu’à la fin du cheminement, ils tiennent « entre leurs mains », leurs propres textes.
64Le Texte-Promenade intègre lecture et écriture, travail et jeu, littérature et promenade, dans un seul événement culturel qui s’adresse aux promeneurs en tout genre: élèves en « classe d’écriture », étudiants et enseignants chercheurs, amateurs de textes inédits, curieux de l’art, grand public. Il offre une promenade de plus, une promenade textuelle cette fois, à la ville de Nice, si amoureuse et si fière, d’ailleurs, de ses célèbres promenades (Promenade des Anglais, Promenade des Arts).
65Le Texte-Promenade est une installation qui s’inscrit dans l’esprit et dans le bon fonctionnement d’une Bibliothèque Universitaire, car elle met en avant « le texte » et « le travail sur texte », tout en associant l’étude, la recherche et la démarche ludique, dans une approche respectueuse des traditions patrimoniales et, en même temps, profondément novatrice.
66Le Texte-Promenade suscitera l’intérêt des étudiants et leur créativité. Des « objets » réalisés par les étudiants du Département des Arts et inspirés par les pages butoriennes exposées accompagneront ce parcours textuel qui abrite, en effet, une multitude de parcours (parcours du texte vers l’image, du texte du manuscrit vers le texte publié, parcours d’une page à l’autre, d’une lecture à l’autre, de la lecture vers l’écriture)
67L’installation principale est composée de panneaux porteurs de textes manuscrits/tapuscrits de Michel Butor, reproduits à grande échelle. Il s’agit d’une structure modulable, dont l’unité est assurée par le choix d’un seul type de panneau (mêmes dimensions, même matière de fabrication, même couleur). Le parcours du Texte-Promenade s’appuie sur une disposition particulière des panneaux, qui comporte les étapes suivantes :
68Structure
69Premier pas (affiche de l’exposition, aux mêmes dimensions que les panneaux, à gauche, sur la porte d’entrée)
70Porte (page de texte coupée en deux, exposée sur une porte battante, qui donne la sensation d’entrer dans le texte, de le traverser)
71Cascade (deux grandes vitrines, dans le hall d’entrée, sur la gauche, dans lesquelles des livres et des objets sont présentés « en cascade », sur les étagères)
72Glissade 1 (suite de quatre pages, disposées sur le mur de fond du hall d’entrée, à intervalle d’un mètre)
73Paravent (structure formée de six pages, exposition recto-verso sur les trois battants, agencée de telle sorte qu’elle ne gène pas le passage)
74Carte (texte de présentation de l’exposition, avec un plan du parcours, imprimé sur un papier similaire; la carte contient une indication du type « vous êtes ici » et se trouve sur la paroi circulaire du hall, côté gauche)
75Avant-promenade (les stylos et les blocs-notes nécessaires au bon fonctionnement du Texte-Promenade seront disponibles au bureau d’Aide ; un panneau de la même couleur que l’exposition signale leur présence)
76Coin (deux + quatre pages du Texte-Promenade exposées en angle droit, sur la paroi vitrée et sur le mur, derrière les photocopieuses)
77Belvédère (point situé devant la banque de prêt, qui permet de lire le texte projeté sur le mur de gauche/sur le plafond, à l’aide d’un système de diapositifs installé derrière la banque de prêt)
78Au-delà (panneau exposé à l’extérieur, sur la paroi vitrée du hall, de sorte qu’il puisse être aperçu et lu depuis la SL1)
79Horizon 1 (une page du Texte-Promenade exposée sur la première fenêtre au fond de la SL1, visible depuis l’entrée dans la salle)
80Pas perdus (deux panneaux « cachés » à un premier regard, l’un situé sur le support en bois qui sépare deux rayonnages BX, sur la droite, l’autre sur un support similaire, sur la gauche)
81Colonne 1 (page exposée en hauteur, sur la dernière colonne de SL1, sur la gauche)
82Passage (ensemble de deux panneaux exposés sous la forme d’un livre ouvert: page de gauche, page de droite, placé à l’étage, dans la niche qui se forme au bout de l’escalier, sur la droite)
83Colonne 2 (page exposée en hauteur, sur la première colonne, entre les rayonnages de la salle des Références)
84Glissade 2 (suite de quatre pages placées en hauteur, sur la gauche, dans l’espace d’exposition habituel)
85Plans d’eau. Reflets 1 (quatre vitrines basses contenant des éléments correspondants aux textes de la Glissade 2, placées sous les panneaux de cette glissade, sur la gauche)
86Zig-zag (deux panneaux sur la paroi vitrée de la salle de réunion et deux panneaux sur le mur de droite, légèrement décalés par rapport aux premiers, sur la gauche)
87Plans d’eau. Reflets 2 (Deux vitrines basses qui rythment les pages de droite du zig-zag)
88Dans le labyrinthe (deux pages sur la gauche, deux pages sur la droite, dans le couloir qui longe la salle de conférences)
89Colonnade (trois pages exposées en hauteur, dans le couloir qui longe SL2)
90Plans d’eau. Reflets 3 (deux vitrines basses, en bas de chacune de ces colonnes de texte)
91Paysage (trois pages juxtaposées sur le mur derrière les ordinateurs, que les lecteurs, assis aux tables rondes dans la zone des Références, peuvent regarder à leur gré; c’est un moment de pause, de respiration, de répit, dans le parcours du Texte-Promenade)
92Horizon 2 (texte horizontal, en hauteur, au fond de SL2, au-dessus de l’entrée dans une loge)
93Pas perdus 2 (quatre pages éparpillées dans SL2 : texte exposé dans la dernière loge sur la droite, texte exposé sur le mur de gauche, entre deux fenêtres et un texte similaire sur le mur de droite ; un dernier panneau au coin, sur la droite, à côté des rayons de littérature anglaise)
94Sentier (page de texte au sol, dans la direction des Périodiques, SL2)
95Brins de promenade (panneau qui rappelle, par ses dimensions et sa couleur, les éléments de l’exposition, situé derrière la cage de Retour, où les visiteurs-lecteurs peuvent mettre le bout de texte qu’ils auraient écrit pendant le parcours du Texte-Promenade. La notion de « retour » est récupérée sous un jour nouveau et intégrée dans l’exposition).
96Total : 50 éléments.
97En ce qui concerne les détails techniques de l’installation, il convient de préciser que les éléments du Texte-Promenade sont des reproductions grand format des pages des manuscrits/tapuscrits de Michel Butor. Il s’agit d’une collection d’affiches format A0 (840 x 1189 mm) sur papier de couleur. (Ball Green ou Pea Green).
98L’exposition est le résultat d’une collaboration entre la Bibliothèque Universitaire, la Bibliothèque du Patrimoine et le Laboratoire C.T.E.L. de l’Université de Nice. Cette exposition apporte une touche ludique et insolite à la tradition des expositions des manuscrits/tapuscrits de Michel Butor, qui a déjà son histoire et ses belles réussites: l’exposition Michel Butor à Nice (11 mars - 7 mai 2004, Bibliothèque Louis Nucéra, Nice. Commissariat : Françoise Michelizza, Laurence Jeandidier), l’exposition organisée par le Ministère des Affaires Etrangères en 2006, sous l’organisation de Marie Minssieux Chamonard : Michel Butor ou bien, la célèbre exposition de la Bibliothèque Nationale de France, Michel Butor, l’écriture nomade, organisée par Marie-Odile Germain et Marie Minssieux Chamonard, du 20 juin 2006 au 27 août 2006 (Site François Mitterrand, Petite Galerie). Dans toutes ces expositions, l’idée de « parcours » ou de « voyage » est bien présente, car elles évoquent, tour à tour, le voyage de l’écriture dans l’espace de l’art plastique, les territoires littéraires explorés par l’écrivain (Poésie, Roman, Essai), les lieux que Michel Butor a visités et sur lesquels il a écrit (Amérique, Asie, Australie, Afrique).
99Le Texte-Promenade, quant à lui, essaie de mettre en avant le comment du voyage scriptural : ses rythmes, ses pauses, ses retours, ses sauts, ses vitesses, ses virages, ses détours, ses impasses, ses horizons. Ilexpose l’écriture comme voyage, mais cultive aussi le goût du lecteur pour une promenade à travers le texte. Le Texte-Promenade met en œuvre une idée que Michel Butor a exprimée a plusieurs reprises : lire un texte, c’est voyager dans le texte.
100L’exposition-installation du Texte-Promenade sera inaugurée le 25 avril 2008, en présence de l’écrivain. Cet événement est un moment privilégié de la Journée d’Étude Michel Butor, organisée à cette occasion par l’Université de Nice Sophia-Antipolis. »
101La couleur choisie n’a pas été le vert, mais le violet-parme. Les titres ne sont pas restés toujours les mêmes, le diaporama n’a pas eu lieu et d’ailleurs, même ce projet a remplacé, en fait, un autre projet conçu pour investir un autre espace. On peut dire que tout a bougé.
102Les panneaux eux-mêmes ont bougé, car pour des raisons techniques diverses, certains sont tombés, chemin faisant. C’est d’ailleurs la seule notation qui est apparue dans le livre d’or de l’exposition. Elle concerne l’aspect de champ de bataille qu’a eu, par moments, l’exposition : les textes tombaient, un à un, comme des guerriers qu’on devait soigner, panser et renvoyer pour lutter : contre les murs, contre le gris, contre l’indifférence. Pour l’amitié, pour la confiance, pour la collaboration.
103Cette exposition n’aurait jamais eu lieu sans le courage de ceux qui ont fait confiance à sa marche et qui ont écouté, expliqué, monté, vérifié, refait, ramassé, collé, découpé, imprimé, écrit, payé, approuvé, épousseté, distribué, rangé. Je dis un grand merci à tous ceux qui se reconnaissent dans ces actions.
104J’ai écrit ce texte comme s’il était l’élément d’un journal : une journée dans la vie du texte-promenade.
105*
106Au moment où je mettais en cartons les éléments de l’exposition – avec l’assistance de ma fille (comme toujours) – j’ai compris que je pourrais, un jour, refaire le Texte-Promenade.
107Dans la tristesse de ces instants de la fin, cela m’apparaissait comme une planche de salut. Ce serait une sorte de Texte-Promenade II, sur le modèle des séries butoriennes. À partir des mêmes panneaux, agencés cette fois dans un autre ordre, sous la musique de cette cantate d’Henri Pousseur dont le récitant est Michel Butor lui-même (cantate que j’ai écoutée pour la première fois dans les moments de préparation de l’événement), le Texte-Promenade II pourrait vivre son destin d’exposition itinérante et trouver refuge dans le cloître d’une église ou dans tout autre « haut lieu » de spiritualité, dans tout autre lieu sacré, car il se constituerait cette fois dans un parcours de lecture religieuse. Au moment où je manipulais ces grandes pages de texte en vue de leur conservation, j’ai vu une chose que je n’avais jamais aperçue auparavant : plusieurs pages du Texte-Promenade portent sur des expériences religieuses, qu’il s’agisse de la construction des pyramides dans l’ancienne Egypte, des dieux grecs, des croyances des aborigènes, de la cathédrale de Saint-Marc et de ses éléments byzantins et musulmans ou bien, du prêtre du Passage de Milan. Une autre promenade textuelle serait donc possible. Le Texte-Promenade n’est pas mort.
108Là où finit le Texte-Promenade, commencera le Texte-Promenade II. Cette idée germait déjà, peut-être, dans le syntagme « bâton de pèlerin » que j’avais employé, métaphoriquement, dans une notice. Les textes à lire sont tous des promenades à faire, autant d’éléments d’itérologie pratique, car les répétitions sous-jacentes d’un tel parcours finissent toujours par trouver la grâce d’un renouvellement, comme dans ces vers du poème de Butor que j’avais mis sur la Porte du texte-Promenade :
Remontez ligne après ligne jusqu’au centre des larmes
Marche après marche et nuit après nuit
Jusqu’au jour de miséricorde8
109*
110J’ai écrit ce texte sur la suggestion de certains visiteurs du Texte-Promenade qui m’ont demandé de raconter son histoire. Je l’ai fait en suivant un parcours qui est le mien, mais qui n’est pas forcément le plus approprié. Je vous invite à faire le vôtre. Le choix de « vous » comme sujet de plusieurs phrases de ce texte de présentation est un signe d’hommage adressé à l’écrivain Michel Butor, l’auteur du célèbre roman La Modification. C’est aussi une invitation que je vous adresse : celle de découvrir Michel Butor autrement que sous l’angle de ce roman écrit à la deuxième personne. Il est son auteur, mais il est aussi beaucoup plus.
111Nous remercions vivement les organisateurs et tous les collaborateurs qui ont rendu possible cet événement :
112Principal organisateur : La Section Lettres de la Bibliothèque de l’Université de Nice Sophia Antipolis (B.U. Lettres)
113Co-organisateurs : Le C.T.E.L. (Centre Transdisciplinaire d’Épistémologie de la Littérature, U.F.R. Lettres, U.N.S.), la Direction de la Culture de l’Université de Nice Sophia-Antipolis, l’Action Culturelle (UFR Lettres), avec le soutien de la Bibliothèque Romain Gary - Section d’étude et du patrimoine de la BMVR Nice, détentrice des manuscrits Michel Butor, et avec l’accord des maisons d’édition concernées par le copyright de ces manuscrits : Les Éditions Gallimard, Les Éditions de Minuit, Les Éditions Bernard Grasset, Les Éditions de la Différence, Les Éditions l’Instant Perpétuel, Les Éditions Fata Morgana. Nous tenons à remercier particulièrement tous ces éditeurs pour la gentillesse avec laquelle ils ont permis la mise en scène des textes sous la forme du parcours du Texte-Promenade.
114Collaborateurs : Ghislaine del Rey, enseignant-chercheur dans le cadre du Département des Arts (Université de Nice-Sophia Antipolis) et ses étudiants-chercheurs : Vanessa Hinkel, Laure Isnard, Marie-Charlotte Bernier, Priscilla Bischoff, Estelle Vincent, Sarah Pourcel, Laure Portagallo, Lüc Marie Dit Asse, Michael Ribot.
115Nous disons toute notre gratitude à Ghislaine Bornetto, conservatrice en chef de la B.U. Lettres (2008), sans laquelle cette exposition n’aurait jamais eu lieu, et à Sylvie Cadier, conservatrice-adjoint, qui a suivi et soutenu, à chacune de ses étapes, la préparation de cette promenade textuelle. Nos vifs remerciements s’adressent à toute l’équipe de la B.U. Lettres, pour son patient et généreux accueil, et tout particulièrement, à Philippe Poli et à Julien Béal, qui ont activement participé à la mise en place de l’exposition.
116Nos remerciements les plus sincères vont aussi vers l’équipe technique de l’agence niçoise de la société Semaco (COREP), notamment vers Mathieu et Claude qui ont réalisé l’impression grand format des éléments centraux de l’exposition.
Notes de bas de page numériques
1 Michel Butor, Entretiens. Quarante ans de vie littéraire, Paris, Joseph K Éditeur, 1999, volume 2, p. 92.
2 Michel Butor, Le Génie du lieu (Paris, Bernard Grasset, 1958),extrait du tapuscrit conservé par la Bibliothèque Romain-Gary (section d’étude et du patrimoine de la B.M.V.R. de Nice), Dubouchage, BUT 2, feuillet 21.
3 Jean-Pierre Richard, Microlectures II. Pages-Paysages, Paris, Éditions du Seuil, 1984.
4 Michel Butor, Boomerang, Génie du lieu III, Paris, Gallimard, 1978, p. 374.
5 Michel Butor, Hors-d’œuvre, préparé pour Christian Nicaise, avec 16 encres de Jacques Hérold, Éditions L’Instant Perpétuel, 1985. Extrait du manuscrit conservé par la Bibliothèque Romain-Gary, BUT 56, feuillet 168.
6 Gérard Pommier, Naissance et renaissance de l’écriture, Paris, Presses Universitaires de France, 1996.
7 Michel Butor, Le Passage de Milan, Paris, Éditions de Minuit, 1954. Extrait du manuscrit conservé par la Bibliothèque Romain-Gary, BUT 1, feuillet 199.
8 Michel Butor, Hors-d’œuvre, op. cit., manuscrit, feuillet 168.
Pour citer cet article
Maria Cristina Pîrvu, « Le texte-promenade », paru dans Loxias-Colloques, 1. Voyage en écriture avec Michel Butor, Le Texte-Promenade, Le texte-promenade, mis en ligne le 15 décembre 2011, URL : http://revel.unice.fr/symposia/actel/index.html?id=320.
Auteurs
Maria Cristina Pîrvu a suivi un cursus humaniste : études littéraires, anthropologie, bibliothéconomie. Soutenue en 2005, sa thèse de doctorat porte le titre Un problème du faire artistique: la répétition. Approche poïétique/poétique de l’œuvre de Michel Butor. En tant que chercheur post-doctorant dans le cadre du Centre Transdisciplinaire d’Épistémologie de la Littérature de l’Université de Nice-Sophia Antipolis, elle a organisé la journée d’étude Michel Butor – Voyage dans l’écriture (2008) et son exposition, Le Texte-Promenade. Depuis deux ans, elle anime le séminaire de recherche Bilinguisme, double culture, littératures. Ses volumes Le Retour en avant, L’Avant-geste scriptural, Pour une itérologie littéraire sont en cours de publication. Traductrice et poïéticienne, elle mène des travaux dans les domaines de la littérature comparée et de la théorie littéraire.