Loxias-Colloques |  18. Tolérance(s) II : Comment définir la tolérance? 

Philippe-Alexandre Gonçalves  : 

Intolérance côté scène, tolérance côté rue : le regard de Gil Vicente sur les Juifs

Résumé

Rares sont les personnages des autos1 de Gil Vicente (1465-15372) qui ne se trouvent pas sous les feux de sa satire. Une des figures qui n’est pas épargnée sur scène, victime de nombreuses railleries et calomnies, est celle du Juif. Catholique fervent, les pièces de l’auteur sont un reflet des idées de la cour et de leurs perceptions de l’autre. La critique du Juif ne possède pas de limites comme le témoigne le Juif de la Barca do Inferno. En comparaison avec les autres auteurs de son époque, Gil Vicente se montre moins virulent. Il offre, en effet, un tout autre visage en ce qui concerne les juifs établis au Portugal et partie intégrante de la société, comme le démontre la carte de Santarém. À première vue paradoxale dans ce qui pourrait être perçu comme un double-discours, à savoir celui de la scène et celui de la vie, la vision de Gil Vicente porte sur la tolérance et l’acceptation de l’autre dans un contexte politique et religieux épineux, lié à la religion et à la pensée de son époque.

Abstract

Few of Gil Vicente’s characters are not in the spotlight of his satire. One figure is not spared on stage and is the victim of numerous railings and slanders: the Jew. Coming from a fervent Catholic, the author’s plays reflect the ideas of the court and their perceptions of the other. The criticism of the Jew has no limits, as shown in the auto Barca do Inferno. In comparison with the other Portuguese authors, Gil Vicente is less virulent. As revealed in the card of Santarém, he shows, even more so, a completely different way of writing about the Jews established in Portugal. At first sight paradoxical in what could be perceived as a double discourse, the one of the theater scene and the one of the general life, Gil Vicente’s vision is mostly about tolerance and acceptance of the other, while limited to the religion and thoughts of its time during a thorny political and religious context.

Index

Mots-clés : Gil Vicente , Juif, Théâtre., Tolérance

Géographique : Portugal

Chronologique : XVIe siècle

Plan

Texte intégral

1Lors de la première journée d’étude « regards croisés sur la tolérance3 », ma présentation portait sur l’évolution de la tolérance au Portugal, de ses origines jusqu’à l’épisode des baptêmes forcés et la fin de l’entente consentie entre Chrétiens, Juifs et Maures, par le décret du roi Manuel Ier, en 14964. Le pays devient alors officiellement catholique5. Les Maures s’exilent ou se convertissent. Les Juifs, dont l’exil est interdit afin d’éviter une perte financière pour le royaume6, sont convertis et appelés « nouveaux-chrétiens » ou « marranes ».

2Durant le même temps, la cour du roi découvre en 1502, avec l’auto Monólogo do Vaqueiro, celui qui est considéré comme le fondateur du théâtre moderne portugais : Gil Vicente7.

3Le personnage du Juif est présent dans la production vicentine. Il est nommé dans 19 autos8 et il est un personnage important dans six d’entre eux : Barca do Inferno, Farsa de Inês Pereira, O Juiz da Beira, Diálogo sobre a Ressurreição, Auto da Lusitânia, Auto da Cananeia. Sans surprise, en accord avec l’horizon d’attente du public, le personnage du Juif est dévalorisé et sujet à moqueries. Il l’est également en la personne du Nouveau-Chrétien Afonso Lopes Sapaio dans les Trovas de Copilaçam de todolas obras de Gil Vicente9.

4Si le personnage judaïque est tourné en dérision dans les autos par leur auteur, celui-ci en dévoile une toute autre perception dans les écrits retrouvés en dehors de ceux-ci, à savoir le sermon d’Abrantes du 3 mars 1506 et la carte de Santarém envoyée au roi Jean III, écrite le 26 janvier 1531. C’est souvent cette dernière qui est brandie afin de prouver qu’il n’éprouvait aucune rancœur envers les Juifs.

5La solution de facilité pour définir la tolérance envers les Juifs, par celui qui est appelé le « Plaute portugais10 », est de séparer la vision théâtrale du Juif d’avec celle du sermon et de la carte. Ainsi Gil Vicente serait anti-hébraïque pour des nécessités d’écriture, afin de plaire à son public, mais aurait en son sein les prémices de l’humanisme qu’il aurait dévoilées lors de ses autres écrits. Toutefois il est assez étonnant de remarquer que les trois poèmes adressés à Sapaio échappent à cette analyse et sont le plus souvent occultés ou juste mentionnés. Il convient de déterminer si Gil Vicente est bipartite et s’il dépeint par obligation et de manière péjorative les différents personnages de ses autos.

6Durant l’époque de Gil Vicente, la situation du personnage juif était ambiguë. Suite aux baptêmes forcés décidés en 1494 par le décret du roi Manuel Ier, les Juifs n’existent plus en tant que tels et sont désormais connus sous l’appellation « nouveaux-chrétiens » ou « marranes ». Toutefois, il est à signaler que cet acte politique ne transforma pas le peuple hébraïque en fervent chrétien, en témoigne l’existence toujours présente de synagogues dans le pays11. La plupart d’entre eux continuaient à pratiquer leur religion d’origine en cachette et à se distinguer des chrétiens par leurs habits et une intégration non-souhaitée des deux parties dans le paysage public. Cette situation n’étant acceptée par aucun des deux partis, chrétiens ou juifs, chacun garde ses distances. C’est ce qui explique comment les nouveaux-chrétiens furent facilement identifiés et tués lors du massacre ayant eu lieu du 19 au 24 avril 1506 à Lisbonne. L’emploi du mot « Juif » désigne ici cet aspect, où ne pouvant ouvertement vivre selon ses préceptes religieux, ce personnage se considère et est considéré comme hérétique. De plus, dans les autos vicentins, hormis l’auto du Juiz da Beira, où un nouveau-chrétien entre en scène, il n’est mention que de Juifs, démontrant que la perception de la cour du roi ne s’est pas modifiée malgré leur conversion obligatoire.

I/ Panorama des écrits de Gil Vicente envers les Juifs

7En dehors du livre des œuvres mineures, les livres dans lesquels les Juifs apparaissent de manière significative sont ceux des autos sacramentels et des farces. Rien de surprenant à cela. Les autos sacramentels servent à sublimer l’âme chrétienne. Les farces permettent d’amener le grotesque et la moquerie. Dans le contexte ayant lieu au Portugal, il est aisé de déterminer quelle place prend le personnage du Juif dans ces représentations.

a) La question religieuse

8Deux catégories de Juifs sont rapidement identifiables dans les autos de Gil Vicente. Le Juif issu de la Bible, en opposition au Juif contemporain. Le Juif issu des textes bibliques est toujours un prophète, légitime aux yeux des chrétiens, car n’étant pas relié à la fracture que représente la mort du Christ. Ces figures bibliques sont nommées dans les autos sacramentels. L’auto en question est l’Auto da Cananeia, dans lequel les personnages de Jacob et Abraham sont mentionnés. Moïse est également un nom que l’on retrouve souvent dans ces pièces religieuses en tant que garant de la loi divine.

9En opposition, se trouve le juif lambda. Inconnu, contrairement aux prophètes, il est responsable de nombreux maux et n’hésite pas à penser à son intérêt propre. Il n’est pas en adéquation avec les exigences royales et divines ce qui le condamne doublement : dans ce monde, c’est pourquoi tout ce qu’il entreprend échoue, et dans le monde divin, où il se retrouve relégué bien après le plus grand des pécheurs chrétiens.

10Le trait est grossi et ne surprend pas le public des autos vicentins. Le Juif devient un type théâtral12 comme les autres personnages de Gil Vicente. Ce terme se définit comme suit :

Entende-se pois o "tipo" como representante de uma classe social, como a personagem que assume atitudes características de grupo e cujas relações funcionais são válidas em contextos diversos13.

Un type sera ici tout élément "d’écriture" à la fois structuré et polyvalent, c’est-à-dire comportant des relations fonctionnelles entre ses parties, et réutilisable, indéfiniment, dans des contextes différents14.

11L’auteur donne à voir une galerie récurrente de personnages dans lesquels se trouvent le moine libidineux, le gentilhomme superficiel, le mari cocu, et bien d’autres. Le but est de fournir des éléments du rire facilement identifiables pour le public afin de le préparer à satisfaire son horizon d’attente. Au vu de l’intolérance envers la nation hébraïque, en faire la lie répond aux expectatives du public.

12Le Juif est l’hérétique par excellence. Il l’est bien plus que le maure, contre lequel le Portugal est en guerre en Afrique du Nord à cette époque. Deux facteurs expliquent cela : leur présence dans le quotidien de la société et dans toutes ses sphères, surtout économiques. Ils représentent près de 15 % de la démographie, qui s’est vue renforcée par l’arrivée de nombreux Juifs s’exilant du royaume de Castille et des Rois Catholiques. De plus, la montée de la religion dans la vie quotidienne décuple la haine à leur égard, de par les actions de leurs ancêtres envers le Christ et les premiers chrétiens. Cela les place au rang d’infidèles et le pardon ne peut être accordé aux descendants de ceux qui ont refusé de croire au fils de Dieu.

13Néanmoins, avec leur conversion, une différentiation s’effectue dans l’œuvre de Gil Vicente entre le Nouveau-Chrétien de 1496 et le Juif d’avant.

14Le Juif de l’ancien temps, avant l’ordonnance de Manuel Ier n’est pas un homme foncièrement mauvais, s’il n’est représentant religieux comme le sont les rabbins. Dans l’histoire du Portugal, le soutien du peuple hébraïque, qui acceptait même d’être plus taxé que les autres, s’est révélé être sans faille envers la couronne. Cela explique le fait que les judarias dans les colonies portugaises furent exemptées de la conversion forcée, montrant que cette décision de baptême ne servait, entre autres choses, qu’à plaire aux Rois Catholiques afin que Manuel Ier puisse épouser leur fille Isabelle.

15Le juif représenté par Gil Vicente dans la vie courante est fidèle au roi et au pays, mais rappelle le passé. Il est archaïque et ne correspond plus au temps présent. C’est le cas de la famille présente dans Auto da Lusitânia dont les chants racontent les histoires du passé. Le message de l’auteur apparaît limpide une fois les clés de déchiffrages entre les mains du public. Le Juif est un élément appartenant au passé, ancré dans l’Histoire et qui doit se convertir, changer ses traditions pour correspondre aux exigences du présent.

b) Liste des autos dans lesquels le Juif apparaît en tant personnage majeur ou mineur dans les autos de Gil Vicente

16L’auto de la Barca do Inferno met en scène une galerie de personnages, qui viennent de mourir, et parviennent sur un rivage où se trouvent deux barques ; l’une gardée par l’Ange pour le paradis, et l’autre gardée par le Diable pour l’enfer. Dans ce défilé d’âmes, le juif fait son entrée. Il entre en compagnie d’un bouc :

Animal à la fois sacré et maudit, puisqu’il symbolise la virilité dans la nature. Moïse a des cornes de bouc, ainsi que l’Arche d’Alliance en a en ses quatre coins ; mais c’est le bouc qu’on sacrifie et le bouc émissaire qu’on charge des péchés d’Israël.

Quant à ce dernier, on sait qu’il n’était non pas sacrifié, mais relâché dans la campagne ; c’est-à-dire qu’il remettait en circulation dans la nature le courant mauvais dont s’étaient déchargés les hébreux15.

17Accompagné de cet animal, porteur de péchés, il se retrouve rejeté tant par l’Ange que par le Diable, ce dernier le remorquant à l’arrière de sa barque. Les caractéristiques classiques du Juif, comme sa richesse, sont présentes :

J : Passai-me por meu dinheiro

D :Sus ! Sus ! Demos à vela !

Vós, judeu, irês à toa,

que sois mui roim pessoa.

Levai o cabrão na trela !

Prenez-moi avec mon argent (v. 561)

En route ! Mettons à la voile !

Juif, nous vous prendrons en remorque ;

Car vous êtes très méchant homme,

Vous mènerez le bouc en laisse ! (v. 601-604)

18Dans la Farsa de Inês Pereira, deux entremetteurs juifs marient Inês avec un écuyer16. Leur cupidité est mise en avant car ils réclament leur dû au même moment qu’ils officialisent l’union : « pera bem sejais casados. / Dai-nos cá senhos ducados » (v. 701-702). La mère de la jeune mariée leur promet de les payer le lendemain. Le public comprend qu’en réalité ils ne seront pas payés pour leur travail, déclenchant le rire aux dépends de ces deux personnages bernés. Des éléments péjoratifs du Juif sont présents sur scène, tels que les thèmes de la plainte constante et du vocabulaire scatologique :

pola lama e polo pó,

que era pera haver dó,

com chuiva, sol e nordeste.

Foi a cosa de maneira,

tal friura e tal canseira,

que trago as tripas maçadas.

Assi me fadem boas fadas

que me saltou caganeira !

…dans la boue et dans la poussière,

il y aurait de quoi pleurer,

qu’il fasse soleil, vente ou pleuve.

Tout cela de telle façon,

tant de froid et tant de fatigue,

que j’ai les tripes en bouillie.

Que les bonnes fées me protègent,

car j’en ai attrapé la chiasse !17

19Le Juiz da Beira propose une suite de plaignants qui défilent auprès du juge dans le but d’obtenir réparation. Quand arrive le cordonnier lors de la deuxième audience, ce dernier se remémore le temps passé où il était juif et fortuné, « Ciento y veinte y un ducado / Tenia en ducasos mios / Sin le faltar un cornado » (v. 256-258). Désormais il se lamente sur son sort, sa pauvreté. Il est « desnudo, desfarrapado », (v. 263) et se perçoit comme un « negro crisitanejo » (v. 265). Le topos de l’errance éternelle est présent dans les lamentations de ce cordonnier.

20Dans le Dialogo sobre a Ressureção, le public est face à trois rabbins de Lisbonne, projetés au temps de la Résurrection du Christ. Ceux-ci refusent de croire à ce miracle, malgré les preuves apportées par deux centurions qui se sont convertis face à cet événement. Ils décident de voiler la vérité. C’est le Rabbin Aroz qui propose cette idée dans la dernière tirade de l’auto : « Façamos talmud com tantas patranhas » (v. 307).

21L’auto da Lusitânia se divise en deux panneaux. Une famille juive est mise en scène dans le premier panneau. Cette famille vit dans une maison vétuste, où la poussière et la crasse s’accumulent. Ils sont heureux et chantent des textes du temps des rois passés et leur amour du Portugal (v. 308-314), « les danses et les chansons hébraïques rappellent le service féodal18 ». Ils sont le symbole de l’ancien judaïsme, tombé en désuétude, comme l’est leur maison. Certaines idées reçues transparaissent dans le texte, comme l’idée de la beauté des filles juives. C’est le cas, par exemple dans la scène de séduction entre Lediça, la fille de la famille, et le courtisan qui se présente à leur maison. Pour donner un aspect vraisemblable à l’auto, Gil Vicente utilise le langage des personnages dans leur quotidien ; ainsi, « pour le vocabulaire et la morphologie, ils [les Juifs] nous apparaissent au contraire comme des conservateurs19 ».

22L’auto da Cananeia narre l’histoire d’une cananéenne possédée par un démon et délivrée de son mal par le Christ. Gil Vicente ne fait « que continuer une très ancienne tradition20 » : au sujet du Juif et de son peuple, il traite de la perdition dans laquelle lui et ses semblables sont tombés au fil des siècles, fustigeant leur culte actuel :

Os patriarcas primeiros

eram gados celestiais

ovelhas santos carneiros

e os profetas cordeiros

e os d’agora lobos tais

Les premiers patriarches

faisaient partie du bétail céleste,

brebis saintes,

Ces prophètes étaient des agneaux

Ceux de maintenant sont des loups (v. 63-67)

23Dans Exortação da Guerra, un moine nécromancien fait appel aux héros antiques pour exhorter les soldats portugais dans leur guerre contre les maures au Maroc. Le Juif n’est pas nommé, mais la religion est indiquée comme étant celle possédant le plus de promiscuité avec Belzébuth :

conjuro-te Belzebú,

peloa ceguidade hebraica,

e pola malícia judaica,

coma qual te alegras tu

Je te conjure Belzébuth

Au nom de l’aveuglement hébraïque

Et de la malice judaïque

Avec lesquelles tu te complais (v. 125-129)

24Chaque apparition scénique d’un Juif fait intervenir soit le juif religieux, soit le juif obsolète, soit le juif doté des particularités péjoratives qui le caractérisent. Le message sous-entendu est simple à décoder pour le spectateur.

25Il faut néanmoins ne pas oublier qu’il s’agit ici de théâtre. Le caractère vraisemblable de ces autos n’en fait pas un miroir de la société : les traits sont grossis pour tous les personnages, la caricature est évidente. Les surnoms que se donnent les Juifs entre eux, « dolorido », « pellado », « mal-logrado », le prouvent. Le moine dans la Barca do Inferno, arrivant avec son amante au bras et dégainant l’épée, est sans nul doute, une caricature de ce type de personnage. Le but premier n’est pas le reflet de l’intolérance ou de la dénonciation d’un sujet par l’auteur. Il est de provoquer le rire aux dépends de l’autre. Ce rire qui permet aux divertissements de la cour du roi d’atteindre son plus haut point. D’ailleurs Gil Vicente ne se censurait pas pour rire des nobles de la cour21, seule la famille royale est intouchable.

26Si le terme « intolérance » est appliqué au traitement du personnage du Juif en lui-même, alors Gil Vicente prône l’intolérance envers la majorité des tranches de la population, étant donné qu’il use des méthodes pour les types représentés dans son œuvre théâtrale. Le jugement du dramaturge ne porte pas sur l’homme mais sur les idées. Si le personnage est sujet à déclencher le rire, ce n’est pas lui mais sa religion qui est nocive pour la société chrétienne. Non-visible, cette dernière doit être réprimée et condamnée par les textes sacrés, les paroles des saints et des figures allégoriques présents dans certains écrits de Gil Vicente, comme dans Auto da alma. La critique et les insultes envers le Juif ne visent pas la personne en elle-même, mais sur l’hérésie que représente cette religion autre. C’est ce qui se dévoile à la lecture de l’ensemble des autos où les Juifs sont mentionnés. Le fait de pratiquer la religion juive condamne le personnage, destiné à l’Enfer. L’homme, cependant, n’est pas mauvais. Il vit dans la société sans chercher à en bouleverser les règles ou imposer son point de vue. Son défaut est d’être dans l’erreur et cela lui coûte la vie éternelle auprès de Dieu. L’intolérance côté théâtre est définie. Un élément dénote toutefois dans les textes retrouvés de Gil Vicente, ce sont les trois poèmes adressés à Sapaio.

c) Les poèmes à charge contre un contemporain

27Tous les écrits de Gil Vicente n’ont pas été retrouvés. Ceux qui l’ont été et ne correspondaient pas à des autos ont été placés dans le livre V, dans la section des œuvres menues. Il se peut que des écrits similaires à ceux destinés à Sapaio furent produits, mais cela n’est de l’ordre que de la supposition.

28Peu d’explications permettent d’expliquer le pourquoi de ces poèmes virulents. Aucune biographie n’a été trouvée au sujet de ce poète contre lequel le dramaturge lance cette verve virulente22. Des dates ont été fournies mais aucune d’elles ne peut être confirmée avec exactitude. Le contexte d’écriture échappe à qui s’intéresse à ces poèmes. Seul le texte brut est présent, avec une multitude de questions sans réponses. Le contenu offre une autre facette de l’auteur :

Nem se vio em arruido,

Deve ser Moura fingida,

Pois matou Christão fingido :

Bem sei que morres ferido

Da ferida que sei eu :

Porèm com faca se deu

Il n’est même pas visible dans la pénombre,

Il doit s’être déguisé en Maure,

Car il s’est déguisé pour tuer des Chrétiens :

Je sais que tu es maintenant blessé

D’une blessure que je connais :

Car elle a été donnée par un couteau (Poème 1, v. 6-11)

Pois vosso negro bespeiro

Se vasa no mez de Maio,

Alfonso Lopes çapaio. […]

Quem tem vida cagada

Cagada ha de ser a morte

Car vous, noir scarabée

Si vous vous déplacez ici au mois de Mai

Alfonso Lopes Sapaio […] (v. 1-3)

Qui a une vie remplie de merde

Par la merde doit mourir (Poème 3, v. 7-8)

29Le vocabulaire scatologique est classique de l’époque. Il n’est pas rare de le retrouver pour appuyer un propos en intégrant cette image dans l’esprit du spectateur. C’est également le cas du fou de la Barca do Inferno, dans ses invectives envers le diable dans lesquelles il tient des propos similaires.

30La question se pose quant à la place de ces poèmes dans une vision d’ensemble des écrits de Gil Vicente. Son désir de provoquer le rire envers son public masque-t-il son intolérance avec le juif et conduit-il à des interprétations erronées ? L’hypothèse la plus probable est qu’un contentieux existe entre les deux hommes. Au vu des libertés d’écriture que prend Gil Vicente, il va sans dire que s’il portait une haine envers un juif, il l’aurait retranscrit et cela n’aurait posé aucun problème à une cour qui ne portait pas cette catégorie de la population en haute estime. Cette intolérance envers un auteur nouveau-chrétien n’est pas à placer dans le débat avec la religion juive. Il paraît acceptable d’affirmer que Gil Vicente utilise le passé de Sapaio uniquement pour le rabaisser et se faciliter la tâche pour le critiquer, le texte n’offrant pas de grandes prouesses littéraires.

31Ces poèmes portent préjudice à leur auteur, étant donné que ce sont des données brutes. De nombreux vicentistes ont voulu le mettre en sourdine. Ce fut le cas de Paul Teyssier, qui lors d’une conférence, n’hésita pas à dire que ces poèmes étaient à mettre de côté, pouvant être considérés comme une anomalie dans l’ensemble des écrits de Gil Vicente23. Au contraire, ces écrits permettent de dévoiler une autre facette de l’auteur, qui n’hésite pas à utiliser tous les moyens possibles contre une personne avec qui il posséderait un différent.

32Au sein du paysage littéraire portugais, Gil Vicente affiche ses convictions et ce qu’il tolère ou non. La majeure partie de son intolérance se porte sur la religion juive, tenue pour pernicieuse dans son essence.

II/ La perception du Juif dans la littérature portugaise et par le public

33Les écrits de Gil Vicente sont moins virulents que la plupart des autres écrivains de son temps, une fois intégrée l’idée que c’est la religion qui est au cœur de ses critiques. Gil Vicente résume la pensée de la cour et la pensée populaire à l’égard des Juifs : « inquiétude de la pureté de leur foi et jalousie à l’égard de leurs succès matériels24 ». Ainsi, au gré des pièces, des insultes comme « pulga de judeu » (Auto da Barca da Glória), « fideputa judeu » (Exortação da Guerra), « cascarra de judeu » (Juiz da Beira), « mulo de judeu » (Farsa dos Almocreves), … sont surtout de celles qui s’employaient dans la vie courante et non une preuve de l’intolérance envers les Juifs. Les idées reçues sur les caractéristiques physiques (Pranto de Maria Pardo), les activités mercantiles (Romagem dos Agravados), les coutumes (Comédia do Viúvo),… reprennent les topoï utilisés dans la société. Le caractère vraisemblable, dans l’écriture vicentine, explique la présence de ces termes. Il ne faut pas y voir une attaque personnelle de l’auteur envers la communauté hébraïque : « Gil Vicente era demasiado transparente na transmissão desse antijudaísmo popular25 ». C’est dans l’intention que Gil Vicente se distingue de nombre de ses compatriotes dans leurs sentiments vis-à-vis des marranes.

34La modification du statut des juifs ne réduit pas le sentiment d’intolérance qui ne cessait de croître au fur et à mesure des ans. Même convertis, leurs différences avec les chrétiens de toujours continuent de persister dans les écrits de l’époque :

Veemos en los christianos lindos ay los labradores y con mucho trabajo labran las tierras (…) mal vestidos e descalços con agua e con sol con frio e con elevada llevando malos dias e noches (…) e veen los christianos nuevos tan favorecidos tan vestidos de frisado de paño fino e de seda como cortesanos (…) quieren quebrar los ojos a los christianos y est o syn labrar ni senbrar ni cavar ni plantar vyñas ni olivares ni llevar ningund mal dia ni mala noche ni otro ningund trabajo26 27.

35Peu d’ouvrages ont traversé les temps pour établir une comparaison satisfaisante, mais le Cancioneiro Geral fournit un aperçu de la perception du juif chez les écrivains. Dans ce recueil, contenant plus de 1000 poèmes de 286 auteurs, publié en 1516 par Garcia de Resende, se trouvent des passages allant à l’encontre du Juif, présenté comme une calamité pour la société :

todos querem

dos judeus ser auisados,

sruidos e perçebidos ;

nem esperem,

em cabo do seu seruyço,

da sua negra aprestança,

seram dano28.

Tous veulent

Par le Juif être avisé,

Scrutés et compris ;

Ils n’ont pas conscience,

Que contre ce service,

Et par la nègre prestation de celui-ci,

Qu’ils seront damnés.

folgua tanto com dinheiro

c’ahynda Deos verdadeiro

venderaa po hũ tostão29.

Il se complaît tellement dans l’argent

Que même le véritable Dieu

Serait vendu pour son profit.

36Un poème de Luis Anrriquez condamne les nouveaux-chrétiens et leur hypocrisie, d’autant plus que la femme qu’il courtisait s’est prise d’affection pour un tailleur fraîchement converti. Le poète critique vertement cette femme, Katerina, et établit un parallèle entre son comportement vénal et les rites judaïques30.

37D’autres auteurs, tels que Alvaro de Brito Pestana31 ou Dom Joham Manuel, Grand Chambellan, sont de la même veine. Les textes recueillis accusent souvent le juif de détourner le chrétien du droit chemin en le soudoyant par des biens matériels. Qu’un chrétien ose se rendre dans les lieux de vie hébraïques est infamant32.

38Un fait intéressant ressort dans cette perception du Juif, devenu nouveau-chrétien : l’absence d’écrits concernant le massacre de 1506. Il n’est pas recensé par les auteurs chrétiens de l’époque. Les seules traces pertinentes sont celles des écrits marranes comme celui de Samuel Usque qui témoigne de cet épisode dans son ouvrage33.

39Il ne faut pas y voir un signe de lâcheté, mais plutôt le choix de ne pas se mêler d’une affaire religieuse. C’est cette absence de mention littéraire, d’occultation, qui fournit une preuve de l’intolérance envers les Juifs. Ces derniers doivent être considérés, selon les textes juridiques et la volonté royale, au même statut égalitaire que les chrétiens. Or la tuerie de plus de 4000 portugais en cinq jours reste sous silence. Il va sans dire que l’inverse, des nouveaux-chrétiens ayant tué des chrétiens, aurait laissé une trace pérenne dans les écrits. Le roi ayant, bien que tardivement, rendu justice, le dossier pouvait être considéré comme clos par les écrivains.

40La volonté de ne pas écrire sur cet événement met en évidence le changement idéologique qui s’est opéré au Portugal. Écrire à ce sujet aurait confirmé l’abus de pouvoir des moines dominicains sur un faux miracle34 et mis ces anciens juifs dans une position qui aurait été similaire à celle de martyrs. L’action de ce nouveau-chrétien se révèle être celle d’un bon chrétien envers des moines, supposés être au service de Dieu, qui haranguèrent et poussèrent les fidèles au crime de par leur position sociale. Ce paradoxe aurait légitimé les nouveaux-chrétiens au sein de la société, ce qui ne pouvait être toléré. Juifs par le sang, ils ne pouvaient être supérieurs aux chrétiens de plusieurs siècles.

41Le sentiment anti-hébraïque est omniprésent, confirmé par l’absence de ce récit dans la littérature portugaise. Il faut y ajouter que pour des raisons économiques (la bourgeoisie montante voulant s’emparer du monopole hébraïque dans le secteur commercial), sociologiques (l’apparition de l’idée de pureté du sang pour éviter les mariages entre anciens-chrétiens et nouveaux-chrétiens), idéologiques (les préjugés et les mythes perdurent), un fossé de plus en plus important se crée, en venant à rejeter l’autre uniquement pour ce qu’il a été dans le passé. De par son passé, il devient le bouc émissaire idéal et permet de mettre un visage sur les maux et épidémies se produisant. Cette intolérance atteindra de nouveaux sommets avec la venue de l’Inquisition :

Disons le tout net : tandis que le pogrom est en Europe une explosion irrationnelle de cet anti-sémitisme devenu malheureusement classique, il devient au Portugal une forme institutionnalisée grâce au travail journalier et constant de l’Inquisition35.

42L’ascension de l’intolérance ne cessera de prendre de plus amples proportions. La date du 23 mai 1629 en est probablement l’événement le plus probant :

Foi reunida no Convento de Cristo a Junta dos Prelados do Reino, destinada a “conseguir remédio geral para o judaísmo”, onde foram decididas diversas medidas altamente discriminatórias e gravosas contra os cristãos-novos, procurando retirar-lhes quaisquer cargos administrativos ou eclesiásticos e mantendo-os num clima de total e permanente suspeição36.37

43Le XVIe siècle portugais s’inscrit dans un contexte de transition dans lequel évolue le pays tout entier et dont la littérature suit le mouvement. Gil Vicente est la figure de proue de cette littérature médiévale qui se tourne vers la Renaissance. Ses contemporains ont magnifié la langue portugaise et espagnole dans les poèmes, les écrits dramatiques,… et peu se sont tournés vers les actualités guère reluisantes pour se focaliser sur les Grandes Découvertes et les nouveautés qui allaient proliférer en Europe. D’autant plus qu’ils ne se sentaient pas concernés par ce qui pouvait advenir aux marranes. La frontière était toujours présente. Les mythes et superstitions du public demeurent à leur sujet : la richesse des hommes, la beauté des femmes, leur appas pour l’argent,… autant d’éléments qui restent et resteront ancrés dans l’imaginaire portugais.

III/ Gil Vicente et la tolérance publique. Les écrits en dehors du théâtre

44Si dans la vie publique, au sujet des Juifs, aucun écrit d’un auteur autre que Gil Vicente n’est publié ou connu, celui-ci nous a donné deux textes, mis en avant pour manifester sa grande tolérance et son humanisme.

A crítica, em geral, tem procurado demonstra a « inocência » de Gil Vicente em matéria anti-judaica, invocando sobretudo o Sermão de Abrantes, pregado em 1506 e, ainda mais, a famosa Carta que o poeta « mandou de Santarém a El-Rei D. João III38 ».

45Le sermon d’Abrantes du 3 mars 1506 est adressé à la reine39. Sans mentionner les Juifs, Gil Vicente se lance dans un discours portant sur la religion chrétienne, la divinité de Dieu, le pouvoir papal, l’Enfer,… et le libre arbitre. Le dramaturge rejette l’idée de prédestination de l’être humain et la possibilité de l’âme d’être sauvée par les actions de repentance de n’importe quel être humain40.

46Le texte majeur au sujet de la tolérance vicentine est la carte de Santarém, écrite le 26 janvier 1531 et envoyée au roi Jean III. Kayserling emploie les termes de « raras exeções » quant à la production de ce type d’écrits41. Ce texte fait suite à ce que se produisit à Santarém :

Au mois de janvier se produit un tremblement de terre dont les effets se font ressentir à Santarém, ville où réside Gil Vicente. […]. [pour les moines de la ville] Dieu s’irrite de la tolérance dont bénéficient les hérésies des « Nouveaux-Chrétiens42 ».

47Ces moines, dans la foulée, annoncent un autre tremblement de terre, encore plus dévastateur, si le Portugal poursuit dans la voie du péché. Ils en donnent même le jour et l’heure : ce sera jeudi prochain, à une heure de l’après-midi. Gil Vicente décide alors de réunir « les moines dans le couvent de Saint-François et leur rappelle que preguar nam ha de ser praguejar [prêcher n’a pas vocation à maudire]43 ». Ce discours sera ensuite envoyé au roi. Olinda Kleiman a traduit cette carte dans son intégralité44. Olivier Ypsilantis, spécialisé dans l’histoire du peuple juif, résume le contenu de cette carte et son importance dans le contexte de tolérance45. Il met en évidence la défense assumée de Gil Vicente envers les Juifs. Ils sont imparfaits dans un monde également imparfait. Il ne s’agit pas de condamner les Juifs et encore moins de les incriminer suite à des catastrophes d’origine naturelle.

48Les écrits non-fictionnels de Gil Vicente ont été repris par d’autres milieux que celui des vicentistes, montrant par-là l’esprit de tolérance susceptible d’animer le dramaturge. Il faut néanmoins conserver le fait que l’auteur reste inscrit dans son époque. Ces deux écrits ne peuvent être l’unique reflet des idées du poète sur la question juive et doivent inclure l’ensemble de la production vicentine afin d’obtenir une vision globale et générale sur cette question.

IV/ Conclusion

49Le manque d’analyse globale sur Gil Vicente a souvent permis aux chercheurs de définir l’intolérance selon leurs souhaits. Certains ne s’intéressent qu’aux insultes dans les autos envers le personnage juif et à la manière dont il est traité46, d’autres se servent du discours et de la carte47.

50Analyser l’ensemble de la production vicentine sous une seule étude est impossible au vu de la richesse et de la complexité de l’œuvre existante, expliquant les prises de position parfois contradictoires des chercheurs ayant publié sur cet auteur.

51Homme de son temps, en avance sur les croyances populaires et précurseur du renouveau littéraire portugais, voilà comme pourrait être défini Gil Vicente. Il ne faut pas voir en ses écrits une critique permanente de la société et des éléments qui la composent. Certes, aucun doute n’est permis quant à son intolérance concernant la religion juive en elle-même. Toutefois il serait contradictoire, au vu de la manière dont Gil Vicente traite les autres personnages de la société, de dire qu’il ne pouvait tolérer une personne sur le simple fait d’être juif, tant que ce dernier ne se faisait pas un porte-étendard de cette religion. D’ailleurs ce n’est pas anodin si, dans toute son œuvre, l’occurrence « nouveau-chrétien » n’est présente qu’une seule fois48. Ses poèmes envers Sapaio sont sans doute à considérer comme la résultante d’une querelle entre deux auteurs dans laquelle tous les coups sont permis. Se moquer de tout le monde, dans une majorité de ses œuvres, lui permet également une plus grande application de la notion de tolérance : l’être humain est imparfait. Le but est de tendre à la perfection, principalement pour le premier monde, et d’être un bon chrétien afin d’accéder au paradis.

52L’aspect religieux est mis en avant. Le pays est devenu chrétien et doit perdurer dans cet état. Le Juif, dans sa représentation et sa globalité, dans les idées qu’il véhicule, ne peut être toléré.

53Ce regard sur l’intolérance est à nuancer, en particulier dans ce monde imparfait dans lequel tous les hommes vivent :

A conclusão é óbvia. Gil Vicente se coloca do lado das vítimas da organização judiciária que critica. O judeu, juntamente com os outros, encontra-se nesta posição, e o nosso poeta-teatrólogo, defendendo-os, defende-o49.

54Le Juif peut se repentir et entrer sur le chemin de Dieu. Il n’est pas à prendre personnellement comme un ennemi. Les idées et l’ancien Juif, hébraïque, sont à réprimer. Le Juif, en tant que nouveau-chrétien, est à tolérer car ce n’est pas l’homme qu’il faut blâmer en premier. Gil Vicente se place dans une situation dans laquelle ses textes montrent comment la transition de la tolérance vers l’intolérance fut perçue au Portugal. Il prend position. Situé entre le Moyen-Âge et la Renaissance, son œuvre reflète les mêmes paramètres en ce qui concerne la tolérance, permettant certains éléments et en rejetant d’autres. Cette tolérance ne peut s’exercer que dans le champ d’application prévu par les décisions royales et politiques. Gil Vicente s’inscrit en faux avec la nouvelle position virulente de l’Église concernant les conversions, préférant amener le Juif à reconnaître ses erreurs, comme il le fut décidé lors du concile de Tolède (633) ou comme il en est question dans les écrits de Saint Thomas d’Aquin. Il reconnaît le nouveau-chrétien dans la sphère sociale, l’accepte en tenant compte de ses errements, et peut être considéré comme appliquant une certaine notion de la tolérance au sein d’un Portugal qui laissera l’Inquisition s’installer en 1536.

55Certes Gil Vicente ne peut être considéré comme portant le Juif en haute estime, mais il ne le condamne pas. Il le tolère au sein de la société, dans l’espoir qu’il sera amené sur la voie de la chrétienté. L’intolérance côté théâtre rejoint celle du côté public, la tolérance côté rue trouve un alter ego avec la tolérance mise sur scène : celle de la faillibilité de l’homme, liée à son existence dans ce monde imparfait, et dont le rire peut jaillir lorsque ce personnage devient un type théâtral.

Notes de bas de page numériques

3 Regards croisés sur la tolérance. Journée d'études du 28 juin 2019, Nice, MSHS Sud-Est. Sous la direction de Véronique Montagne, Anne Brogini et Odile Gannier.

4 Philippe-Alexandre Gonçalves, « Modification de l’idée de tolérance au Portugal du XIIe au XVIe siècle », Loxias-Colloques, 14, Regards croisés sur la tolérance, mis en ligne le 06 octobre 2019, http://revel.unice.fr/symposia/actel/index.html?id=1314.

5 Manuel Ier fit appliquer de nouvelles lois concernant le statut social et juridique du nouveau-chrétien. Les principales sont : aucune condamnation de par leur ancienne condition juive durant vingt ans (cet arrêté sera de nouveau prolongé de vingt ans en 1512), interdiction de sortie de biens ou d’argent du territoire, droit de se marier avec les chrétiens, possibilité pour l’élite hébraïque d’obtenir une carte afin d’effacer leurs origines, fin des judiarias et accès à toutes les charges de la société.

6 Maria José Pimenta Ferro Tavares, Os Judeus na época dos descobrimentos, Lisboa, Edição ELO, 1995 : « O clima pacífico que os judeus encontraram no reino, premitiu-lhes expandir-se economicamente, dominando, em detrimento dos cristãos, certas zonas de economia portuguesa da época », p. 49.

7 Toutes les citations des autos de Gil Vicente proviennent de Obras de Gil Vicente, Porto, Lello & Irmão, 1965.

8 Manuel G. Simões, Tempo com Espectador. Ensaios de Literatura Portuguesa, Lisboa, Edições Colibri, 2011, p. 19.

9 Publié en 1562, la Copilaçam de todalas obras de Gil Vicente regroupe l’ensemble des œuvres recensé et édité par le fils de l’auteur, Luis Vicente. L’ouvrage se divise en cinq livres. Les autos ayant un personnage Juif d’une significative importance sont : les autos sacramentels (Barca do Inferno, Diálogo sobre a Ressurreição, auto da Lusitânia, auto da Cananeia), les comédies, les tragi-comédies, les farces (Farsa de Inês Pereira, O Juiz da Beira), les œuvres mineures (Trovas adressées à Sapaio).

10 Auguste Saint-Prosper, Histoire d’Espagne, de Portugal, d’Hollande et de Belgique, depuis les temps les plus reculés jusqu’en 1838, Paris, Duménil, 1839, p. 380.

11 Preuve que le nouveau-chrétien continuait son ancienne pratique religieuse, les synagogues perdurèrent mais furent détruites au fur et à mesure des ans, comme ce fut le cas de celle de Evora en 1505.

12 Saraiva emploie cette tournure dans son História da literatura portuguesa, Porto, Porto editora, 1951. Pimpão emploie le terme de « figuras », dans son História da literatura portuguesa, Coimbra, Quadrante, 1947.

13 Manuel Simões, Tempo com espectador. Ensaios de Literatura Portuguesa, Lisboa, Edições Colibri, 2011, p. 20.

14 Paul Zumthor, Essai de poétique médiévale, Paris, Seuil, 1972, Collection Poétique, p. 82.

15 Marianne Verneuil, Dictionnaire pratique des sciences occultes, Monaco, Les Documents d’Art, 1950, pp. 105-106.

16 Il est classique que les Juifs occupent cette position sociale. Francisco Márquez Villanueva dans De la España judeoconversa, Barcelona, ediciones bellaterra, 2006 mentionne également le même exemple chez Lope de Ruega, chez Quevedo, et dans Os estrangeiros de Sá de Miranda.

17 Traduction de Bernard Martocq, La Farse de Inês Pereira, v. 427-434, Paris, Chandeigne, 2011.

18 Joaquim Teófilo Fernandes Braga, Gil Vicente e as origens do teatro nacional, Porto, Livraria Chardon, 1898, p. 344.

19 Paul Teyssier, La langue de Gil Vicente, Paris, Klincksieck, 1959, p. 215.

20 Paul Teyssier, La langue de Gil Vicente, Paris, Klincksieck, 1959, p. 202.

21 Dans l’auto das fadas, le public était invité par les fées à lire des papiers à la fin de la pièce. Ceux-ci contenaient une charade dont le but était de trouver la personne concernée. La plupart du temps, ces devinettes se moquaient de la personne en question, dans la continuité du divertissement proposé par l’auto. Ces moqueries étaient récurrentes des festivités de la cour. Dans l’auto dos Físicos, Gil Vicente tourne en dérision le médecin Torres, caricature de Tomás Torres, maître du prince João III.

22 Il se pourrait que le personnage de Alonso López, dans Juiz da Beira, soit ce poète. Il est le seul nouveau-chrétien de l’ensemble de la production théâtrale vicentine. Aucune confirmation certaine ne peut toutefois être effectuée face à cette idée.

23 Conférence du 26 janvier 1995, donnée à la Fondation Calouste-Gulbenkian, avec pour sujet : Le théâtre au temps de Gil Vicente.

24 Marie-José Palla, « ‘Le Silence est le bouclier de la sagesse’ ; le Diálogo da ressurreição de Gil Vicente », Dans Farce and Farcical Elements. Ed. Wim Hüsken & Konrad Schoell. Ludus. VI. Amsterdam : Rodopi, 2002. p. 145.

25 « Gil Vicente était transparent dans la transmission de cet antijudaïsme populaire ». Maria José Pimenta Ferro Tavares, Judaísmo et Inquisição, Lisboa, Editorial Presença, 1987, p. 83.

26 « Nous voyons comment les Chrétiens, tels que les laboureurs, travaillent péniblement les sols […] mal habillés et pieds-nus, dans l’eau, aussi bien durant les périodes chaudes que froides, ayant des jours et des nuits difficiles […] et nous voyons comment les Nouveaux-Chrétiens se comportent avec leur habits perlés, en tissus de qualité, en soie, pavanant comme des courtisans […] ils veulent éblouir les yeux des Chrétiens et ils ne savent pas ce que signifie labourer, semer, creuser, planter des vignes ou des oliviers. Ils n’ont aucune idée de ce qu’est une mauvaise journée ou une mauvaise nuit ou de ce qu’est un travail ».

27 Henrique Nunes, Gavetas da Torre do Tombo, Lisboa, Centros de Estudos Históricos, n°36, p. 106. L’écriture du texte est estimée aux alentours de 1504.

28 Cancioneiro General, Porto, s/d, vol. II, p. 91.

29 Cancioneiro General, Porto, s/d, vol. II, p. 173.

30 Cancioneiro General, Porto, s/d, vol. II, p. 339.

31 Dans le poème à « Luis Fogaça, sendo verreador na cidade de Lixboa, em que lhe daa maneira para os ares maos serem fora dela ». Les strophes 36, 40 et 41 sont significatives de cet état de fait ; les juifs et marranes ne peuvent être dignes de confiance et représentent, avec leurs « malissimos enganos », un danger pour les chrétiens.

32 Andrée Crabbé Rocha, Aspectos do Cancioneiro geral, Coimbra, Coimbra Editora, 1949, pp. 59-61.

33 Samuel Usque, La Consolation aux tribulations d’Israël, traduction de Lucia Liba Mucznik. Paris, Chandeigne, 2014.

34 Lors d’une cérémonie religieuse au couvent de São Domingos, à Lisbonne, un fidèle cria au miracle en voyant le visage de la statue du Christ s’illuminer. Les moines allèrent dans son sens jusqu’à ce qu’un homme, nouveau-chrétien, s’aperçut qu’il ne s’agissait que du reflet d’une bougie. Criant au blasphème, les moines promirent l’indulgence pour les péchés de tous les chrétiens qui tueraient des hérétiques comme cet homme.

35 Alfredo Margarido, « Les relations culturelles du côté du corps : la nourriture et le vêtement », Les rapports culturels et littéraires entre le Portugal et la France, Paris, Fondation Calouste-Gulbenkian, 1983, pp. 423-465, p. 437.

36 « Une assemblée des Prélats du royaume eut lieu au Couvent du Christ, destinée à ‘‘trouver un remède contre le judaïsme’’. Diverses mesures hautement discriminatoires et répressives envers les Nouveaux-Chrétiens furent établies, cherchant ainsi à les évincer des fonctions administratives ou ecclésiastiques et les maintenant dans un climat de totale et permanente suspicion ».

37 Ernestro Jana, “A Junta dos Bispos na expressão dos moradores de Tomar”, Os Judeus e os Descobrimentos, Actas do Simpósio Internacional, 1992, p. 114.

38 « La critique, en général, chercha à prouver ‘‘l’innocence” de Gil Vicente en matière anti-judaïque, invoquant principalement le Sermão d’Abrantes, prêché en 1506, mais également, la fameuse Carta que le poète ‘‘envoya de Santarém au roi Jean III’’ ». Simões Manuel, Tempo como Espectador, Lisboa, Edições Colibri, 2011, pp. 31-32.

39 Israël Salvator Révah remet en question cette date dans Les sermons de Gil Vicente, pp. 22-23. Il rejoint l’hypothèse de Carolina Michaëlis de Vasconcelos de 1517, sans toutefois en apporter une preuve formelle.

40 L’analyse de Joaquim de Carvalho, dans Os sermões de Gil Vicente e a arte de pregar, témoigne à quel point Gil Vicente est rompu à ce type d’exercice, dans la construction et l’énonciation de son propos. Cela laisse présupposer d’autres sermons de Gil Vicente dont les traces ne sont pas réapparues à ce jour.

41 Meyer Kayserling, História dos judeus em Portugal, São Paulo, Pioneira, 1971, p. 158.

42 Israël Salvator Révah, Auto da moralidade. Note introductive, Lisboa, O Mundo do Livro, 1959, p. 11.

43 Israël Salvator Révah, Auto da moralidade. Note introductive, Lisboa, O Mundo do Livro, 1959, p. 11.

44 « Le désastre de Lisbonne, un teras. En guise d’introduction », Le tremblement de terre de Lisbonne de 1755. Perceptions d’un événement, Coordination Olinda Kleiman, Philippe Rousseau, André Belo, Revue Atlante, vol. 1, Automne 2014.

45 Olivier Ypsilantis, « Gil Vicente et les Juifs », Zakhor online, mis en ligne le 23 janvier 2019, URL: https://zakhor-online.com/?p=15344

46 Carsten Wilke, Histoire des Juifs Portugais, Paris, Chandeigne, 2015, p. 47.

47 Peuvent être cités à titre d’exemples : Paul Teyssier, La langue de Gil Vicente, Paris, Éditions Klincksieck, 1959, Alberto Gomes, « Gil Vicente, D. Diogo Pinheiro e os judeus », Ocidente, LXX, 1966, pp. 18-24.

48 António Borges Coelho établit ce constat dans Na esfera do mundo, Alfragide, Caminho, 2013 : « Gil Vicente só utilizou o termo cristãos-novos em 1525 no Juiz da Beira », p. 121.

49 La conclusion est évidente : Gil Vicente se positionne du côté des victimes de l’organisation judiciaire qu’il critique. Le Juif, de la même manière que les autres gens, se retrouve dans cette position et notre poète-dramaturge, nous défendant, le défend. Celso Lafer, Gil Vicente e Camões. Dois estudos sobre a cultura portuguesa do século XVI, São Paulo, Editora Ática, 1978, p. 68.

1 « À l’époque de Gil Vicente, le mot auto signifiait en portugais "pièce de théâtre" en général ». Paul Teyssier, « Gil Vicente », Théâtre espagnol du XVIe siècle, Paris, Gallimard, 1983, p. 880.

2 Il s’agit des dates probables de vie et de mort de Gil Vicente, aucun élément biographique ne pouvant les confirmer avec précision.

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Webographie

YPSILANTIS Olivier, « Gil Vicente et les Juifs », Zakhor online, mis en ligne le 23 janvier 2019, URL: https://zakhor-online.com/?p=15344, consulté le 7 juin 2019

Pour citer cet article

Philippe-Alexandre Gonçalves, « Intolérance côté scène, tolérance côté rue : le regard de Gil Vicente sur les Juifs », paru dans Loxias-Colloques, 18. Tolérance(s) II : Comment définir la tolérance?, Intolérance côté scène, tolérance côté rue : le regard de Gil Vicente sur les Juifs, mis en ligne le 09 décembre 2020, URL : http://revel.unice.fr/symposia/actel/index.html?id=1715.


Auteurs

Philippe-Alexandre Gonçalves

Doctorant en Lettres Modernes dont le sujet de thèse est : la réception de Gil Vicente en France et en langue française. Il est rattaché à l’université de Lille 3, laboratoire Alithila, sous la direction de ZIEGER Karl. Il est également en cotutelle avec la Faculdade de Letras da Universidade de Porto, departamento dos Estudos Portugueses e Estudos Românicos, sous la directions de FARDILHA Luis.