Loxias-Colloques |  13. Lettres d'exil. Autour des Tristes et des Pontiques d’Ovide |  Mélancolie de la disgrâce: échos génériques 

Damien Crelier  : 

De la mélancolie du disgracié. Étude d’un vestige ovidien dans les Mémoires du duc de Saint-Simon

Résumé

Le duc de Saint-Simon (1675-1755) fut assurément nourri de lettres latines et il ne fait aucun doute sur le fait qu’il se délecta des historiens romains, à commencer par Salluste et Tacite. C’est toutefois aux Tristes d’Ovide qu’est emprunté l’un des plus spectaculaires surgissements d’un fragment de littérature latine dans les Mémoires. Dans la chronique de 1709, Saint-Simon relate en effet une savoureuse anecdote qui invite à dresser un parallèle explicite entre Ovide et Chamillart, ami de Saint-Simon qui vient de faire l’expérience d’une bien cruelle disgrâce. Il s’agira donc d’étudier à la fois la valeur paradigmatique de la référence à Ovide pour nourrir une médiation sur la disgrâce, véritable fil d’Ariane courant dans les milliers de pages des Mémoires et thème essentiel de la chronique de cour. Il s’agira aussi de mener une réflexion sur la façon dont la référence à Ovide permet à Saint-Simon de mettre en valeur sa position originale d’ami demeurant envers et contre tout fidèle à un homme foudroyé par la disgrâce du Roi-Soleil. La référence ovidienne, outre le thème de la disgrâce, en innerve donc un second, plus discret certes, et pourtant essentiel, celui de l’amitié. En faisant de Chamillart un anti-Ovide, Saint-Simon esquisse donc aussi de lui-même l’image d’un ami idéalement fidèle.

Index

Mots-clés : amitié , courtisan, disgrâce, exil, mémoires

Géographique : France , Rome

Chronologique : Antiquité , XVIIe siècle

Plan

Texte intégral

1La disgrâce et l’exil sont des thèmes à propos desquels semble exister une convergence entre l’Antiquité romaine et l’époque louis-quatorzienne. Le Grand Siècle, en effet, est imprégné par un puissant imaginaire de la disgrâce, dans la mesure où la vie de cour, telle qu’elle a été repensée et réaménagée par Louis XIV, est allée de pair avec une importance, quasi obsessionnelle pour les courtisans, de la faveur royale, ce qui implique que son envers, sa part d’ombre, à savoir la crainte de la défaveur, est également devenu un thème essentiel. Être mal aimé, être délaissé par le roi, être éloigné de lui, voilà des angoisses qui cristallisent la hantise des courtisans, ou même leur dépit quand elles viennent à se concrétiser. De ce phénomène, le château de Bussy-Rabutin, en Bourgogne, offre un exemple saisissant : son propriétaire y est contraint à l’exil à la suite de la publication de sa sulfureuse Histoire amoureuse des Gaules en 1665 et se retire bien malgré lui dans cette demeure où il fait représenter quantité de peintures allégoriques de la disgrâce, ainsi que de la fragilité de la fortune et de la faveur. Mentionnons également Les Exilés de la cour d’Auguste de Mme de Villedieu, roman à succès paru à partir de 1672 — dans lequel Ovide intervient comme personnage —, qui atteste à la fois l’importance du thème de l’exil pour les contemporains de Louis XIV et le fait que l’époque augustéenne leur offre un point d’appui privilégié pour le penser1.

2Sur le plan littéraire, ce constat d’une convergence entre l’époque louis-quatorzienne et l’Antiquité (notamment les premiers temps du principat) s’avère particulièrement juste pour ce qui concerne le genre des Mémoires, qui, à l’instar de l’époque, mais de manière plus condensée encore, est hanté par une dialectique du centre et de la périphérie, ou, pour le dire autrement, de vie curiale et de la retraite. Les Mémoires de Saint-Simon ressuscitent ainsi avec une exceptionnelle intensité la vie de la cour, centre absolu de toutes choses, à une époque où être loin du roi, c’est être nulle part. Mais ce qui est également définitoire du genre est que les Mémoires sont écrits à distance. Ce recul est bien sûr temporel — parfois plusieurs décennies —, mais il est aussi géographique. Saint-Simon, qui a vécu à la cour de Versailles et qui fait dans ses Mémoires renaître l’effervescence affective qui fut alors la sienne et celle de tant d’autres, se livre à leur écriture alors qu’il se trouve loin de la cour. Cela est emblématique de la scénographie du genre : les Mémoires sont le plus souvent écrits dans ce que l’on appelle au xviie siècle la « retraite ». Il s’agit là, et nous y reviendrons, d’un thème qui a été étudié par Bernard Beugnot, dans un essai décisif de 1996 intitulé Le Discours de la retraite au xviie siècle et qui a pour éloquent sous-titre un hémistiche de La Fontaine, « Loin du monde et du bruit »2.

3Dans le contexte de cette convergence, le présent article prendra son impulsion sur la citation explicite, dans les Mémoires de Saint-Simon, d’un distique des Tristes d’Ovide :

Cum fueris felix, multos numerabis amicos ;
     tempora si fuerint nubila, solus eris
3.

4Ce n’est certes pas Ovide que cite Saint-Simon, mais une inscription qui figure au-dessus d’une cheminée. Il s’agit d’une étrange coïncidence, puisque Saint-Simon se trouve à ce moment précis aux côtés d’un ami, Chamillart, qui vient de connaître la disgrâce. L’épisode se déroule dans les dernières années du règne de Louis XIV : Chamillart, qui fut pendant une décennie à la fois ministre de la guerre et ministre des finances, vient en 1709 d’être congédié, pour diverses raisons dans le détail desquelles il n’importe pas ici d’entrer, mais qui intéressent au plus haut point le mémorialiste4. Avec Louvois, Vendôme et Lauzun, il incarne un des plus spectaculaires cas de disgrâce dans les Mémoires. Saint-Simon est d’une façon générale toujours fasciné par la faveur et la disgrâce ; mais il a en l’occurrence été particulièrement bien renseigné, puisque c’est l’un de ses amis qui a été foudroyé par la défaveur du Roi-Soleil.

5Ce qu’il importe pour l’instant de retenir, c’est qu’Ovide, ou du moins le distique dont il est l’auteur, sert de support à une méditation sur la condition du courtisan disgracié. Or c’est précisément ce sur quoi nous nous interrogerons dans cet article, en procédant en deux temps : nous examinerons en premier lieu la question de la mélancolie du disgracié, avant d’aborder celle de la nécessaire mise à l’épreuve de l’amitié entraînée par la disgrâce. Il importe en outre, à l’orée de cette étude, d’en préciser le statut. L’on ne trouvera pas de relation d’intertextualité nourrie et filée entre les Mémoires de Saint-Simon et les élégies d’exil d’Ovide : une seule référence précise émaille le texte ; on peut en revanche relever un faisceau de convergences et d’échos thématiques, qui méritent examen. Saint-Simon, cela va sans dire, ne travaille pas avec les Tristes ni les Pontiques sur son écritoire ; il ne s’agit donc pas de traiter les élégies d’exil comme source des Mémoires. Si influence il y a, celle-ci est très diffuse, probablement indirecte et pour ainsi dire insaisissable. Aussi notre démarche sera-t-elle principalement comparative. Précisons néanmoins que Saint-Simon possédait dans sa bibliothèque plusieurs volumes d’Ovide, en particulier Les Métamorphoses, dans la traduction en rondeaux de Benserade (1676). L’inventaire des imprimés proposés à la vente peu après sa mort fait aussi état de la référence suivante : Les Métamorphoses d’Ovide traduites en prose française […] augmentées de la Métamorphose des abeilles traduite de Virgile, des Remèdes contre l’amour et de quelques épîtres d’Ovide et autres divers Traités (Veuve Langelier, 1619)5. Dans la mesure où la première traduction française des élégies d’exil d’Ovide date de 1625 (elle est l’œuvre de Jean Binard et est publiée sous le titre Les Regrets), les « épîtres » qui figurent dans la bibliothèque de Saint-Simon ne sauraient correspondre aux Tristes ou aux Pontiques. Il faut en outre ajouter que le distique des Tristes cité dans les Mémoires semble, à l’âge classique, vivre de sa propre existence et avoir acquis une sorte d’autonomie : il est cité dans diverses anthologies, indépendamment de tout contexte, parfois même sans être attribué à Ovide6. Il semble donc, même si c’est bien sûr dans une moindre mesure, qu’il existe à l’âge classique un « ovidisme », comme il y a à la même époque un « tacitisme », qui est diffus et qui ne passe pas forcément par un rapport direct aux textes du grand historien7.

De la mélancolie

6Ovide n’est pas seulement une figure d’exilé ; il est aussi une figure de mélancolique : c’est en quelque sorte inscrit dans la métrique même qu’il emploie, et la plainte est chez lui consubstantielle à l’évocation du thème de l’exil. Or la question de la mélancolie est absolument centrale à l’âge classique8 et Saint-Simon ne fait certainement pas exception à l’intérêt qu’y porte son époque. C’est ce que nous nous proposons d’examiner en premier lieu, en commençant par l’étude de ce que l’on pourrait appeler les symptômes de la mélancolie. Il importe ici de citer assez longuement le texte de Saint-Simon qui servira de support à l’ensemble de nos analyses :

Les filles de Chamillart y vinrent [à la Ferté-Vidame], lui-même aussi au retour de ses courses pour aller voir des terres à acheter, voyage où, pour être hors de Paris, les avis et les propos menaçants de Mme de Maintenon l’avaient forcé, qui le voulait tenir au loin, dans le dépit de la nombreuse et bonne compagnie qui ne l’abandonnait point, et plus encore dans l’appréhension que lui donnait le goût du Roi pour lui. J’essayai de l’amuser par tout ce que la campagne me put fournir, et de le recevoir bien mieux que s’il eût été encore en place et en faveur. […] Le reste du jour s’y passait en amusements et en promenades : Chamillart toujours doux, serein, sans humeur, sans distraction, mais presque jamais seul, comme un homme qui se craint et qui cherche à remplir le vide où il se trouve ; la conversation bonne, mais réservée sur les nouvelles, et changeant alors la conversation adroitement ; le voisinage assidu chez lui et bien reçu, et sa famille cherchant à l’amuser et à se dissiper elle-même. […] Nous y allâmes [chez la fille du maréchal de Tessé, à La Flèche]. La maison se trouva si dégarnie de domestiques, et si peu en ordre, que nous demeurâmes tous deux seuls près d’un quart d’heure dans une antichambre. Il y avait une grande et vieille cheminée, sur laquelle on lisait en fort grosses lettres ces deux vers latins :
Cum fueris felix, multos numerabis amicos ;
     tempora si fuerint nubila, solus eris.
Je l’aperçus, et me gardai bien d’en faire aucun semblant ; mais le long temps que nous restâmes là donna loisir à Chamillart de tout considérer, et de la lire. Je le vis faire, et je m’écartai pour ne lui pas montrer que je m’en apercevais, ni donner lieu de parler sur cette morale9.

7Ce passage illustre le fait qu’il y a chez Saint-Simon la volonté de se livrer à la spectrographie de l’âme d’un homme disgracié. L’on peut notamment relever la hantise de la solitude du disgracié, avec laquelle résonne de façon particulièrement angoissante le solus eris du distique ovidien. Il faut en outre souligner l’importance de l’idée qu’il est nécessaire d’« amuser » l’homme disgracié : il s’agit en quelque sorte de l’accompagner dans le travail de deuil de sa propre faveur passée. En évoquant son ami sous les traits d’« un homme qui se craint et qui cherche à remplir le vide où il se trouve », le mémorialiste donne même des accents pascaliens à sa peinture de la disgrâce : sa description n’est pas dépourvue de points communs avec certains fragments des Pensées évoquant la « misère de l’homme sans dieu ». Il semble en effet que l’on trouve dans les Mémoires la peinture d’une forme de misère de l’homme qui fait l’expérience de la défaveur royale. Tel est de façon exemplaire le cas du marquis de Cavoye : « Cavoye mourut en même temps. Je me suis assez étendu sur lui et sur sa femme pour n’avoir rien à y ajouter. Cavoye sans cour était un poisson hors de l’eau, aussi n’y put-il longtemps résister10. » Or l’on a bien aussi chez Ovide une approche de l’exil comme expérience mélancolique, ainsi que pourrait, parmi bien d’autres exemples possibles, le résumer l’hexamètre suivant : « Viuimus ut numquam sensu careamus amaro11 » (« Je ne vis que pour être en proie à l’amertume »). Les Tristes aussi bien que les Pontiques sont en effet le lieu d’une dissémination de notations relatives à un ensemble de symptômes mélancoliques. Voici par exemple le début de la dernière pièce du livre I des Pontiques :

Os hebes est positaeque mouent fastidia mensae
     et queror, inuisi cum uenit hora cibi.
[…]
Is quoque qui gracili cibus est in corpore somnus
     non alit officio corpus inane suo,
sed uigilio uigilantque mei sine fine dolores,
     quorum materiam dat locus ipse mihi
.
Ovide, Pontiques, I, x [à Flaccus], vers 7-8 et 21-24.
Mais ma bouche est privée de goût, la table servie me répugne et je me plains quand vient l’heure de l’odieux repas. […] Le sommeil non plus, cet aliment des corps délicats, ne nourrit pas de ses bienfaits mon corps épuisé, mais je veille, et veille avec moi sans fin mon tourment, dont le lieu même me fournit la matière.
(Trad. J. André, C.U.F., 1977, p. 37-38.)
mais aucun appétit un dégoût dans la bouche
quand vient l’heure du repas
l’idée de manger m’est odieuse
[…]
le sommeil
aliment de ceux qui sont à bout
me fuit
je veille et mon angoisse veille
insomnie
(Trad. M. Darrieussecq, P.O.L., p. 278-278.)

8Les fastidia ici évoqués préfigurent l’acedia qu’on ne trouve pas en latin classique, mais qui est appelée à prendre une importance considérable à la Renaissance et à l’âge classique, ou encore le thème du taedium uitae. Le poète exilé n’a plus d’appétit et ne parvient plus à trouver le sommeil. Dans les Mémoires, les notations relatives à l’état mélancolique des courtisans disgraciés sont légion. Il y a même, chez Saint-Simon, un très remarquable phénomène de stylisation causale, qui se manifeste par un nombre important de morts suspectes : dans les Mémoires, on meurt de la douleur d’être disgracié d’une façon tout à fait analogue à la manière dont on meurt d’amour dans le roman de l’âge classique, de La Princesse de Clèves aux Liaisons dangereuses12.

9Après avoir abordé la question des symptômes, il vaut à présence la peine de s’intéresser aux causes de cette mélancolie. Or, sur ce point, il existe une différence essentielle entre Saint-Simon et Ovide : l’empereur n’a manifestement pas le même pouvoir de fascination que le roi. Chez les mémorialistes, on a souvent le sentiment que le roi est intrinsèquement objet de fascination, bref qu’il est une fin en soi ; chez Ovide, à l’inverse, l’empereur semble n’être qu’un moyen de retrouver le chemin de Rome. L’intensité affective du rapport au souverain semble bien plus grande chez Saint-Simon, ainsi que chez d’autres mémorialistes, tandis que chez Ovide c’est essentiellement la ville de Rome — et la vie littéraire dont elle est le lieu — qui est l’objet de la mélancolie. À mesure que s’amenuise pour Ovide l’espoir d’un retour dans la capitale de l’Empire, c’est tout simplement l’idée d’un autre lieu pour sa relégation qui est au cœur de ses aspirations : il parle ainsi de « locus mutandus » (Pontiques, II, ii, 96) ou encore d’« exilium commodius » (Pontiques, II, viii, 72). Cet écart entre Saint-Simon et Ovide s’explique principalement par la différence structurelle qui existe entre les types de cour que tous deux ont connue, le terme cour appliqué à l’un et l’autre univers étant d’ailleurs quelque peu trompeur, ainsi que le souligne Paul Veyne :

Or les empereurs ne vivaient pas dans un entourage contraignant […], bien au contraire : la cour impériale ne faisait que les pousser vers la mégalomanie, la superbia. En effet, la « cour » qui les entourait n’avait que le nom de commun avec les cours royales de l’Ancien Régime ; elle en était même l’opposé. Un roi entouré de ses courtisans, de sa noblesse, vivait en compagnie de ses pairs, de membres de la classe dirigeante avec laquelle il lui fallait composer et devant lesquels il devait sans cesse se composer une attitude. Les empereurs, en revanche, n’étaient pas entourés de sénateurs ; ils se bornaient à en inviter à dîner. Ils vivaient en compagnie de subordonnés : leurs domestiques, chambellans, eunuques, amis et aussi affranchis et secrétaires […], toutes personnes qui dépendaient d’eux et qui abondaient dans le sens de leurs excès ou excentricités, ce qui leur permettait de se rendre indispensables auprès du maître13.

10Il y a ainsi dans les Mémoires un puissant tropisme louis-quatorzien, que l’on a parfois plaisamment qualifié d’héliotropisme. Chez Ovide, à l’inverse, c’est plutôt un tropisme romain que l’on constate, du moins dans les Tristes — les Pontiques manifestant surtout l’espoir, nous l’avons vu, d’un autre lieu de relégation. Ce tropisme est par ailleurs lié à la nostalgie d’un rapport socialisé à la création littéraire14. Que le rapport au souverain lui-même soit particulièrement intense dans le système curial de l’absolutisme français est une idée que La Bruyère, avant Saint-Simon, avait déjà formulée avec beaucoup de netteté :

Qui considérera que le visage du Prince fait toute la félicité du courtisan, qu’il s’occupe et se remplit pendant toute sa vie de le voir et d’en être vu, comprendra un peu comment voir Dieu peut faire toute la gloire et tout le bonheur des saints15.

11Ces quelques lignes peuvent être comparées avec la huitième pièce du livre II des Pontiques : la différence est importante, puisque qu’il y a sans doute dans cette élégie plus de flatterie que d’authentique fascination. Le parallèle que l’on pourrait établir avec le treizième vers de cette épître : « Caesareos uideo ultus, uelut ante uidebam » (« Je vois le visage de César comme je le voyais autrefois »), est ainsi trompeur. Il s’agit encore et toujours pour le poète d’obtenir un changement du lieu où il purge la peine de sa relegatio. On trouve en revanche la trace, chez les mémorialistes du Grand Siècle, d’une véritable aliénation au roi, qui a récemment été étudiée par Claire Quaglia16. Ce pouvoir de fascination du monarque ne se réduit pas à une pure forme de servitude curiale : la remarque de La Bruyère permet de s’en rendre compte. Aussi peut-on relever le paradoxe suivant : l’empereur est à Rome, dans les premiers temps du principat, sinon deus, du moins diuus ; mais son pouvoir de fascination semble en définitive moins puissant que celui du Roi-Soleil, dont les moindres faits et gestes sont, dans l’écrin curial de Versailles, constitutifs d’une authentique liturgie monarchique.

12Cela a pour conséquence que Saint-Simon et Ovide adoptent des perspectives différentes sur la question du décentrement. La coloration axiologique de leurs discours respectifs sur l’éloignement de la cour est ainsi assez différente. Chez Ovide, on ne trouve pas la formulation de l’idée selon laquelle la distance prise avec la frénésie du monde, fût-ce malgré soi, a quelque chose de salutaire et favoriserait un rapport plus authentique à soi. Chez Saint-Simon, à l’inverse, apparaît de façon récurrente un discours de valorisation de la retraite, qui peut à l’occasion comporter des accents chrétiens. Il vaut ici la peine de citer les analyses de Bernard Beugnot :

Le régime incertain de la faveur royale, les expériences difficiles d’un Bussy et d’un Saint-Simon alimentent une réflexion plus large qui élabore une morale de la disgrâce et de l’exil. L’exil a perdu dans la pensée classique la place qu’il occupait dans la pensée romaine ; il existe même, au dire de Furetière, un « honnête exil », emploi qui exige une résidence éloignée […]. Le mémorialiste jette sur les retraites et disgrâces un regard rétrospectif et médite des expériences ; le moraliste les anticipe pour y préparer les cœurs ; le dramaturge ou le romancier ouvrent l’espace fictionnel à leur exemplarité17.

13Il existe ainsi au xviie siècle une morale de la disgrâce et de l’exil, qu’on ne trouve nullement chez Ovide. L’on rencontre en revanche dans les Mémoires l’idée qu’il est sain d’être éloigné de la cour, laquelle idée est en quelque sorte le corollaire d’une réflexion proposée dans Les Caractères sur la puissance d’aliénation de l’univers curial : « La Cour ne rend pas content, elle empêche qu’on le soit ailleurs18. » Or cette aliénation est causée, écrit La Bruyère, par notre « vanité » et notre « intérêt » : « Les cours seraient désertes, et les rois presque seuls, si l’on était guéri de la vanité et de l’intérêt19. » Chez La Bruyère, l’approche de la cour est ainsi presque nosologique ; Saint-Simon ne va pas si loin, mais sa perspective est malgré tout en bonne partie commune. Il y a en effet à l’horizon des Mémoires de Saint-Simon une méditation sur la vanité, sur ce que Saint-Simon appelle, dans une formule particulièrement puissante, « le rien de tout20 ». Chez Ovide, à l’inverse, c’est la condition d’exilé qui est associée à la maladie. Dans une note afférente au passage que nous avons cité plus haut, Bernard Beugnot mentionne les trois jalons latins majeurs d’une approche de l’exil comme catastrophe personnelle : les lettres de Cicéron des années 58 et 57, les élégies d’exil d’Ovide et la Consolation à Helvia de Sénèque. S’il est un substrat latin à la réflexion du Grand Siècle sur le caractère salutaire d’une expérience du décentrement, ce n’est donc pas chez ces trois auteurs qu’on le trouvera. Il est en revanche à noter qu’Horace est parfois convoqué dans cette perspective, son « Beatus ille qui procul negotiis » (Épodes, ii, 1) résonant avec certaines des méditations des contemporains de Louis XIV21.

De l’amitié

14La mélancolie du disgracié, que ce soit dans l’Antiquité romaine ou au Grand Siècle, a notamment pour cause la solitude soudaine de celui qui, avant le foudroiement de la défaveur, était un être foncièrement social et mondain. Il est dès lors inévitable que l’expérience de la disgrâce s’accompagne d’une mise à l’épreuve des amitiés, thème que l’on retrouve aussi bien chez Ovide que chez Saint-Simon22. S’agissant du poète latin, une des différences essentielles entre les Tristes et les Pontiques réside dans la mention explicite des destinataires dans le second recueil (« non occultato nomine »Pontiques, I, i, 18). Cette inflexion notable de l’un à l’autre recueil est l’indice du fait qu’il existe chez Ovide une réflexion parfois implicite, mais parfois aussi tout à fait explicite sur ce que l’on pourrait appeler la contagion de la disgrâce. L’exilé en effet se retrouve d’autant plus esseulé que ses anciens amis ont tendance à éviter de garder un lien avec lui, fût-ce de façon épistolaire, par crainte que leur fidélité éventuelle ne soit interprétée comme une manière de s’opposer au prince. Or c’est là un aspect auquel Saint-Simon se montre lui aussi très sensible, quoique dans une perspective légèrement différente. Ovide, en effet, a tendance à exprimer son amertume liée au fait que ses amis lui ont tourné le dos, tandis que Saint-Simon, qui est dans la position de l’ami indéfectiblement fidèle, évoque régulièrement le fait qu’il n’a, pour sa part, pas craint d’affronter les conséquences d’une proximité préservée avec tel homme foudroyé par la défaveur. Dans le passage de la chronique de 1709 qui retient plus particulièrement notre attention, Saint-Simon souligne ainsi de façon explicite son refus de voir son attitude régie par la crainte de se trouver compromis par sa fidélité préservée à Chamillart : « Ce n’est pas qu’on ne fît tout ce que l’on put pour me dissuader ce voyage, qui en effet était peu politique ; mais je ne crus pas y devoir asservir l’amitié. Je demeurai trois semaines. » D’une manière générale, il s’agit d’un aspect auquel le mémorialiste est toujours très sensible, y compris s’agissant de personnages dont il n’est pas l’ami, voire de personnages dont il est l’ennemi. Saint-Simon, en effet, a régulièrement le souci de montrer comment la faveur va de pair avec une abondance d’amis, tandis que disgrâce entraîne un inexorable reflux de ces mêmes amis, que caractérise leur opportunisme. S’agissant de Vendôme, qui est l’un des personnages des Mémoires à propos duquel on trouve les plus pénétrantes analyses sur les phénomènes de faveur et de défaveur, l’on pourra ainsi opposer ces deux évocations, la première faisant référence au temps de sa faveur zénithale (1706), tandis que la seconde se réfère à une époque ultérieure à sa chute :

Vendôme ne fut pas plus tôt à Anet, avec fort peu de gens choisis, que de l’un à l’autre la cour devint déserte, et le château et le village d’Anet rempli jusqu’aux toits23.

Vendôme, exclu de servir, vendit ses équipages, se retira à Anet, où l’herbe commença à croître, et supplia le Roi de trouver bon qu’il ne lui fît guère sa cour qu’à Marly, et Monseigneur qu’à Meudon, de tous les voyages desquels il continua d’être. Cette légère continuation de distinction le soutenait un peu dans la solitude qu’il s’était creusée24.

15Dans les élégies d’exil d’Ovide, on relève un discours à la fois descriptif et normatif à propos de ce qu’est concrètement, mais aussi de ce que devrait idéalement être l’amitié, ce qui donne lieu à un certain nombre de réflexions et de maximes qui parsèment les deux recueils25. Ovide est en particulier soucieux de dépeindre l’inévitable fragilisation du lien amical en contexte de disgrâce, comme dans ce passage de la neuvième épître du livre I des Tristes, dont est du reste extrait le distique cité par Saint-Simon :

Dum stetimus, turbae quantum satis esset, habebat
     Nota quidem, sed non ambitiosa domus ;
At simul impulsa est, omnes timuere ruinam
     Cautaque communi terga dedere fugae
.
Ovide, Tristes, I, ix, vers 17-20.
Tant que je fus debout, un nombre suffisant d’amis fréquentaient ma maison connue, certes, mais sans ambition ; mais, dès qu’elle fut ébranlée, tous redoutèrent sa ruine et de concert tournèrent prudemment le dos.
(Trad. J. André, C.U.F., p 27.)
ma maison était connue
pas fastueuse mais recherchée
à la première fissure
ils ont tous eu peur qu’elle leur tombe dessus
et prudemment ils sont sortis
(Trad. M. Darrieussecq, P.O.L., p. 55.)

16Sous la description ovidienne de la fragilité des amitiés que la disgrâce malmène affleure donc une dimension moralisante. L’approche du poète n’est en effet certainement pas neutre sur le plan axiologique : il s’agit pour lui de valoriser la fidélité en amitié, ou bien, a contrario, de tenir un discours réprobateur à l’endroit de ceux qui se sont détournés de lui. Outre l’expression d’une plainte, les élégies d’exil d’Ovide contiennent ainsi une réflexion sur ce que devrait être le lien amical, comme dans le distique suivant :

Turpe sequi casum et Fortunae accedere amicum
     et, nisi sit felix, esse negare suum
.
Ovide, Pontiques, II, vi [à Grecinus], vers 23-24.
Quelle honte de se régler sur le sort, de fréquenter un favori de Fortune et de le renier s’il est malheureux !
(Trad. J. André, C.U.F., p 60.)
quelle honte pour toi si tu ne tenais pas
le cap dans la tempête et si tu reculais
dès lors que ton ami n’est plus aimé des dieux
(Trad. M. Darrieussecq, P.O.L., p. 298.)

17Le thème de la disgrâce comme pierre de touche de l’authentique amitié apparaît du reste parfois de façon explicite, comme dans l’extrait suivant des Tristes où le poète exprime sa volonté de faire le départ entre ses vrais amis et ceux qui l’entouraient de façon purement opportuniste :

Scilicet ut fuluum spectatur in ignibus aurum,
     Tempore sic duro est inspicienda fides.
Dum iuuat et uultu ridet fortuna sereno,
     Indelibatas cuncta secuntur opes ;
At simul intonuit, fugiunt nec noscitur ulli
     Agminibus comitum qui modo cinctus erat
.
Ovide, Tristes, I, v, vers 25-30.
Oui vraiment, si le feu éprouve l’or fauve, c’est dans le malheur qu’il faut juger la fidélité. Quand la fortune nous seconde et nous rit d’un visage serein, tout fait cortège à notre puissance intacte ; mais dès qu’il tonne, tous s’enfuient, et personne ne connaît plus celui qu’entourait naguère un cortège d’amis.
(Trad. J. André, C.U.F., p. 19.)

18Il s’agit aussi pour Ovide de prier ses amis de lui demeurer fidèles. Selon la logique d’un passage du dolor amoris à une forme de dolor exilii qui est caractéristique des recueils d’exil26, Ovide implore désormais tel de ses amis de ne pas se montrer durus envers lui, de même que naguère il priait dans les Amours Corinne de ne pas être excessivement dura :

Ei mihi ! quid faciam ? Vereor ne nomine lecto
     durus et auersa cetera mente legas !
Ovide, Pontiques, I, ii [à Fabius Maximus], vers 7-8.
Hélas ! Que faire ? J’ai peur qu’ayant lu mon nom, tu ne lises la suite avec froideur et hostilité.
(Trad. J. André, C.U.F., p. 6.)
quand tu as reconnu d’où venait cette lettre
et de qui elle était
ton front s’est-il plissé
ton cœur s’est-il durci
as-tu lu ce qui suit avec hostilité
(Trad. M. Darrieussecq, P.O.L., p. 240.)

19Ces quelques exemples ne sont nullement isolés, et ils pourraient aisément être multipliés : le thème de l’amitié désavouée ou à l’inverse confirmée en dépit de d’exil est un thème authentiquement obsédant dans les Tristes et les Pontiques27. Or il est patent que chez Saint-Simon également l’aptitude aux amitiés durables est une sorte de pierre de touche pour évaluer les caractères, y compris s’agissant de lui-même. Parlant de lui à la troisième personne, dans le texte des Notes sur les duchés-pairies qu’il consacre à sa propre maison, voici par exemple la manière dont Saint-Simon évoque son indéfectible soutien au duc d’Orléans au moment où celui-ci, calomnié et frappé de défaveur, se trouva abandonné de tous : « Le duc de Saint‑Simon fut l’unique qui demeura fidèle à l’amitié, et qui ne changea quoi que ce soit à sa conduite à l’égard de ce prince28. » A contrario, il n’est pas rare que le mémorialiste, pour caractériser négativement tel personnage, dise de lui qu’il était « incapable d’amitié29 ».

20Il importe toutefois de souligner la différence qui existe entre la position d’Ovide et celle de Saint-Simon, qui sont en quelque sorte inverses l’une de l’autre, ou, pour mieux dire, complémentaires. Le premier, en effet, rapporte dans ses élégies d’exil la fidélité de certains amis, tandis que Saint-Simon consigne de son côté sa propre fidélité amicale. Dans l’un et l’autre cas, cependant, on trouve l’idée que la mémoire de l’exemplaire conduite d’un ami demeuré fidèle envers et contre tout ne doit pas se perdre. Chez Ovide est ainsi explicitement formulée l’idée selon laquelle ses vers sont un conservatoire du souvenir des actes, au demeurant fort rares, qui relèvent d’une forme parfaite d’amitié. L’écriture versifiée est envisagée par le poète exilé comme étant particulièrement apte à conserver le souvenir de la fidélité amicale. C’est même une forme d’immortalité poétique qui est promise à l’ami fidèle. Voici par exemple ce qu’Ovide écrit à Grécinus :

Crede mihi, nostrum si non mortale futurum est
     carmen, in ore frequens posteritatis eris.
Fac modo permaneas lasso, Graecine, fidelis
     duret et in longas impetus iste moras
.
Ovide, Pontiques, II, vi [à Grécinus], vers 33-36.
Crois-moi, si mes vers doivent être immortels, tu seras souvent cité par la postérité. Veille seulement, Grécinus, à rester fidèle à ton ami épuisé et à ne jamais laisser éteindre ce mouvement de ton cœur.
(Trad. J. André, C.U.F., p. 61.)
ton nom passera à la postérité
reste fidèle à ton ami dans la disgrâce
et prouve que tu peux m’aider dans le malheur
(Trad. M. Darrieussecq, P.O.L., p. 298.)

21Le carmen ovidien est ainsi censé assurer aux amis fidèles un place in ore posteritatis. Or il semble que l’on puisse sans forcer le texte envisager quelque chose de partiellement analogue chez Saint-Simon. Dans ses Mémoires en effet, Saint-Simon esquisse régulièrement de lui-même, et non sans quelque insistance, un autoportrait en ami idéalement fidèle. Dans l’exemple que nous avons développé, cela s’applique bien sûr à son amitié pour Chamillart, auquel le duc et pair mit un point d’honneur à conserver une indéfectible fidélité, quoi qu’il dût lui en coûter. Mais dans l’ensemble des Mémoires, c’est bien sûr le lien qui l’unit au duc d’Orléans, ami chéri entre tous, qui offre le plus spectaculaire exemple de constance dans l’amitié. Il y a chez Saint-Simon un puissant imaginaire de l’héroïsme de la fidélité amicale et il lui importe que ses Mémoires en soient le conservatoire.

22 

23Le passage de la chronique de 1709 des Mémoires de Saint-Simon qui a servi de point de départ à notre réflexion propose une véritable spectrographie de l’état d’âme du disgracié. Saint-Simon y joint la délicatesse de l’ami à l’acuité de l’observateur. Le mémorialiste, quant à lui, excelle à la peinture d’un homme face au « vide ». De ce point de vue, le parallèle avec Ovide s’imposait, puisque le poète se livre lui aussi à une forme d’anatomie de l’âme d’un disgracié. Il le fait à la première personne, en des vers où il accède à une forme de sincérité qui n’a sans doute pas d’équivalent dans sa production poétique antérieure. Ce parallèle était en quelque sorte appelé par le texte de Saint-Simon lui-même, avec cette inscription figurant sur un montant de cheminée.

24Cette étude nous a en outre permis de souligner un fait qui n’est peut-être pas assez commenté : les Mémoires sont un genre essentiel pour ce qui est de l’amitié, peut-être même le plus important de l’âge classique sur ce thème, auquel il accorde quoi qu’il en soit une place bien plus considérable que le théâtre et le roman à la même époque. De fait, dans les Mémoires, le thème amical est bien plus important que le thème amoureux, qui est souvent forclos30. En tout cas, s’agissant du mémorialiste lui-même, cela est incontestable. L’on note en effet chez lui une extrême méfiance pour la matière amoureuse, à la fois éthique et générique, qui peut d’une certaine manière être mise en parallèle avec la mise à distance d’Ovide exilé pour son Ars amatoria. À la suite de la disgrâce de son ami Chamillart, Saint-Simon envisagea de quitter lui aussi la cour. La réflexion qu’il a proposée est ainsi également susceptible de le concerner en propre. Pour pasticher une formule d’Horace, il semble donc que l’on ne puisse pas s’empêcher de se dire, quand on lit Saint-Simon anatomisant les répercussions affectives de l’éloignement de la cour sur les uns et les autres, qu’il y a là quelque chose qui est de l’ordre d’un de me fabula narratur…

Notes de bas de page numériques

1 À propos de ce texte, on pourra consulter l’article de Gérard Letexier, « Les Exilés de la cour d’Auguste : Mme de Villedieu entre tradition et modernité », Littératures classiques, n° 61, 2006/3, p. 71-87.

2 Voir Bernard Beugnot, Le Discours de la retraite au xviie siècle. Loin du monde et du bruit, Paris, P.U.F., coll. « Perspectives littéraires », 1996.

3 Saint-Simon, Mémoires, éd. Yves Coirault, Gallimard, coll. « Bibl. de la Pléiade », 1983-1988, 8 vol. , chronique de 1709, t. III, p. 639. C’est à cette édition que renverront toutes nos références aux Mémoires ; nous indiquerons désormais le tome en chiffres romains et la page en chiffres arabes, tout en faisant précéder ces deux indications de l’année de la chronique dont est extraite la citation. Voici le distique tel qu’on le trouve dans les Tristes (I, ix, 5-6) : « Donec eris sospes, multos numerabis amicos : / Tempora si fuerint nubila, solus eris. » L’on constate que le début de l’hexamètre cité par Saint-Simon est différent, même si cela n’engendre pas de modification métrique : le vers commence toujours par un dactyle, suivi d’un spondée.

4 À propos de la réflexion saint-simonienne sur les causes de la disgrâce de Chamillart, on pourra se reporter au développement de Marc Hersant intitulé « La chute de Chamillart » dans Le Discours de vérité dans les “Mémoires” du duc de Saint-Simon (Paris, Honoré Champion, 2009, p. 424-429).

5 Voir Philippe Hourcade, La Bibliothèque du duc de Saint-Simon, Paris, Classiques Garnier, 2010, cotes A.15, E.348, E.349 et E.350.

6 Voir notamment L’Éducation parfaite de l’abbé de Bellegarde (1758) et Le Nouveau secrétaire de la cour contenant une instruction pour se former dans le style épistolaire (1781).

7 Voir en particulier Alexandra Merle et Alicia Oïffer-Bomsel (dir.), Tacite et le tacitisme en Europe à l’époque moderne, Paris, Honoré Champion, 2017, ainsi que les travaux de Catherine Volpilhac-Auger (Tacite et Montesquieu, Oxford, Voltaire Foundation, 1985 et Tacite en France de Montesquieu à Chateaubriand, Oxford, Voltaire Foundation, 1993). À propos de la présence d’Ovide à l’âge classique, voir Jacques Cormier, « La survie littéraire d’Ovide », Cahiers de l’AIEF, 2006, p. 251-275 et Stéphanie Loubère, “L’Art d’Aimer” au siècle des Lumières, Oxford, Voltaire Foundation, 2007.

8 Voir notamment Patrick Dandrey, Les Tréteaux de Saturne. Scènes de la mélancolie à l’époque baroque, Paris, Klincksieck, 2003.

9 Saint-Simon, 1709, III, 638-640.

10 Saint-Simon, 1716, V, 804.

11 Ovide, Pontiques, I, ii, 37, trad. Jacques André, Paris, Les Belles Lettres, « C.U.F. », 1977. Précisons que, dans la suite de cet article, nous joindrons régulièrement à la traduction de Jacques André celle de Marie Darrieussecq publiée sous le titre Tristes Pontiques (Paris, P.O.L., 2008).

12 Sur le lien entre disgrâce et décès précipité dans les Mémoires, voir Dirk Van der Cruysse, La Mort dans les “Mémoires” de Saint‑Simon. Clio au jardin de Thanatos, Paris, Nizet, 1981, p. 233-237 et Claire Quaglia, « Une espèce de funérailles : la disgrâce à la cour de Louis XIV », Cahiers Saint‑Simon, n° 43, 2015, p. 11-23.

13 Paul Veyne, « Qu’était-ce qu’un empereur romain ? Dieu parce qu’empereur », Diogène, 2002/3 [n° 199] ; repris dans L’Empire gréco-romain, Paris, Le Seuil, p. 53.

14 Voir par exemple Ovide, Pontiques, I, v.

15 La Bruyère, Les Caractères [1688-1696], « De la Cour », § 75.

16 Voir Claire Quaglia, Les “Fous” du roi. L’écriture du désordre dans les “Mémoires” de Saint-Simon, Brienne le jeune, l’abbé de Choisy et Primi Visconti, thèse de doctorat inédite, soutenue le 6 juin 2014 à l’université Paris 7-Diderot.

17 Bernard Beugnot, Le Discours de la retraite au xviie siècle. Loin du monde et du bruit, Paris, P.U.F., coll. » Perspectives littéraires », 1996, p. 137-138.

18 La Bruyère, Les Caractères [1688-1696], « De la Cour », § 8.

19 La Bruyère, Les Caractères [1688-1696], « De la Cour », § 12.

20 Saint-Simon, Mémoires, I, 15 (avant-propos).

21 Voir aussi Horace, Odes, II, x, 5-8 : « Auream quisquis mediocritatem / diligit, tutus caret obsoleti / sordibus tecti, caret inuidenda / sobrius aula » (« Quiconque suit la règle d’or / Du juste milieu est bien à l’abri : / Il ne connaît ni les solives misérables et délabrées, / Ni, dans sa modération, le palais qui fait des jaloux » — trad. Claude-André Tabart, Gallimard, coll. » Poésie », 2004, p. 201).

22 Il faut ici préciser que l’amicitia dont il est question chez Ovide, et plus généralement chez les Romains, a un sémantisme plus étendu que le mot amitié en français : c’est une relation sociopolitique au moins autant qu’un idéal de vie. La caractérise quelque chose du rapport du cliens au patronus. Le terme amitié, à l’âge classique, n’est certes pas encore entièrement dégagé du sémantisme de l’amicitia des Romains, mais il se leste d’un poids plus nettement affectif.

23 Saint-Simon, 1706, II, 698. C’est nous qui soulignons, de même que dans la citation suivante.

24 Saint-Simon, 1709, III, 446-447.

25 Cette réflexion n’est bien sûr pas propre à Ovide et on en retrouve quantité d’expressions dans l’Antiquité romaine. L’une des plus intéressantes, un demi-siècle plus tard, est celle de Sénèque, qui propose la définition suivante de l’amitié, en contraste avec la conception épicurienne jugée par lui moins exigeante sur la question : « Hae sunt amicitiae, quas temporarias populus appellat : qui utilitatis causa assumptus est, tamdiu placebit, quamdiu utilis fuerit. Hac re florentes amicorum turba circumsedet ; circa euersos solitudo est, et inde amici fugiunt, ubi probantur. » (« Ce sont là les amitiés qu’on appelle dans le monde “liaisons temporaires”. L’homme dont on a fait choix pour en tirer des services, cessera de plaire du jour où il ne servira plus à rien. De là ce flot d’amis campés autour des brillantes fortunes. Culbute faite, c’est à l’entour la solitude : les amis s’esquivent des lieux où on les passe à l’épreuve. » — Lettres à Lucilius, lettre ix, 9, trad. Henri Noblot, Paris, Les Belles Lettres, « C.U.F. », 1945, t. I, p. 28.)

26 Sur la manière dont les recueils d’exil d’Ovide invitent le lecteur à une approche intratextuelle qui ne soit pas oublieuse du versant amoureux de la production du poète, voir notamment Eleonora Tola, « Ille ego sum lignum qui non admittar in ullum (Ov. Pont. I, 2, 33) ou l’écriture poétique à l’épreuve de l’exil », Vita Latina, n° 199, 2019, p. 74-91.

27 Un exemple éloquent, parmi bien d’autres possibles, serait encore fourni par Pontiques, I, vii.

28 « Note sur la maison de Saint‑Simon », dans Les Siècles et les Jours, Lettres (1693-1754) et Note “Saint-Simon” des Duchés-Pairies, etc., éd. Yves Coirault, Paris, Honoré Champion, coll. « Sources classiques », 2000, p. 829.

29 Voir par exemple Saint-Simon, 1708, III, 232, à propos de Mme la Duchesse : « Avec ces qualités, beaucoup d’esprit, de sens pour la cabale et les affaires, avec une souplesse qui ne lui coûtait rien. Mais peu de conduite pour les choses de long cours ; méprisante, moqueuse piquante, incapable d’amitié et fort capable de haine, et alors méchante, fière, implacable, féconde en artifices noirs et en chansons les plus cruelles, dont elle affublait gaiement les personnes qu’elle semblait aimer et qui passaient leur vie avec elle. »

30 Sur la question de l’amitié dans les Mémoires, voir l’article important de Malina Stefanovska, « La mémoire vive de l’ami (Pontis, Retz, Saint‑Simon) », Dix-septième siècle, n° 258, 2013/1, p. 117-129.

Pour citer cet article

Damien Crelier, « De la mélancolie du disgracié. Étude d’un vestige ovidien dans les Mémoires du duc de Saint-Simon », paru dans Loxias-Colloques, 13. Lettres d'exil. Autour des Tristes et des Pontiques d’Ovide, Mélancolie de la disgrâce: échos génériques, De la mélancolie du disgracié. Étude d’un vestige ovidien dans les Mémoires du duc de Saint-Simon, mis en ligne le 17 août 2019, URL : http://revel.unice.fr/symposia/actel/index.html?id=1246.


Auteurs

Damien Crelier

Damien Crelier a soutenu une thèse en 2018 sur "L’écriture des passions dans les Mémoires du duc de Saint-Simon". Il enseigne en classes préparatoires au Lycée Faidherbe de Lille.

Sorbonne Université & Lycée Faidherbe (CPGE, Lille)