Loxias | Loxias 5 (juin 2004) Doctoriales I
Léa Coscioli :
Pierre Jean Jouve et l’expérience intérieure des mots
Résumé
Pierre Jean Jouve associe étroitement expérience mystique et travail d’écriture. Autour de quels aspects acte poétique et spiritualité se rejoignent-ils? Comment le cheminement intérieur s’inscrit-il au sein des mots ? Autant de questions auxquelles nous tentons de répondre à travers une étude comparative de deux recueils poétiques : Les Noces et Matière céleste.
Index
Mots-clés : dialectique , mort, Pierre Jean Jouve, poésie
Texte intégral
La notion de « spirituel » s’inscrit de manière forte dans l’œuvre de Pierre Jean Jouve. Mais il importe avant tout de se montrer précautionneux quant à l’acception du terme, et de ne jamais perdre de vue que cette spiritualité est assignée au dire poétique, comme l’explique Jouve :
J’étais orienté vers deux objectifs fixes : d’abord obtenir une langue de poésie qui se justifiât entièrement comme chant […] et trouver dans l’acte poétique une perspective religieuse […]. Un mouvement vers le haut, un mouvement de conscience que je propose de nommer « spirituel », se présentait à l’esprit par ces deux objectifs réunis. 1
La quête jouvienne se précise : il ne s’agit pas ici de relater une expérience intérieure à l’aide de mots qui en resteraient isolés. Au contraire, l’écrivain pointe l’interpénétration entre parole et mystique. Son art se charge en effet d’une valeur sacrée, une voie salutaire s’ouvrant au travers des mots. Ce que la création poétique partage avec l’expérience spirituelle, c’est la traversée de l’abîme intérieur. Pour écrire, l’artiste affronte et explore le manque, la béance sur laquelle tout individu se construit.
La mystique jouvienne ne se confond pas avec le mouvement puriste et extrême qui réprime le corps. Ce dernier a, chez l’écrivain, un rôle central. En 1925, Jouve traduit avec Blanche Reverchon les Trois essais sur la théorie de la sexualité de Sigmund Freud. La découverte de la psychanalyse s’avère être un choc sans précédent dont l’œuvre de Jouve ressort régénérée. A partir de cette date, l’écrivain rejette toutes ses productions littéraires antérieures, les jugeant faussées et obsolètes. Les réalités du désir, du corps et de la culpabilité ne quitteront plus son écriture, cette dernière s’érigeant désormais sur le combat sanglant entre les deux instincts primordiaux de Vie et de Mort. Le corps est à l’image de ce conflit. Il est lié à la mort par la Faute qui entache l’amour. Car chez Jouve, la Faute est non pas le péché de connaissance tel que nous pouvons le lire dans la Genèse, mais le « péché d’existence », assimilé à la faute sexuelle :
Mon péché tient avec ma naissance, avec la substance de ma naissance, et donc aussi avec la naissance de toute l’humanité.2
C’est pourquoi le corps, emblème de l’érotisme coupable, appelle la mort. Mort synonyme de péché, mais également suivie de la renaissance, celle de l’âme à la « vraie vie ». A l’Eros noir se superpose un Eros mystique et le corps devient vecteur d’initiation sacrée. Amour, Faute et mort forment le noyau secret de l’élaboration de l’œuvre jouvienne. L’écriture prend une valeur cathartique. Elle s’enracine dans le sang et la déchirure humaine : passion vécue dans le langage, indispensable à la naissance d’un mouvement salvateur.
Le cheminement spirituel de Jouve apparaît à la confrontation de deux recueils poétiques, Les Noces3 et Matière céleste4 : nous nous intéresserons au processus mystique pur, au mouvement d’arrachement tel qu’il est visible au sein des mots, et à son évolution d’un recueil à l’autre.
La comparaison entre les deux recueils peut se justifier par la place originale que chacun occupe dans l’itinéraire spirituel de Jouve. Publié en 1931, le recueil Les Noces se charge d’une valeur inaugurale : premier ouvrage de poésie élaboré après le reniement de 1924, il signe le début de la religiosité. Jouve en parle ainsi :
Cet ouvrage porte l’épigraphe « Vita Nuova » parce qu’il témoigne d’une conversion à l’Idée religieuse la plus inconnue, la plus haute et la plus humble et tremblante, celle que nous pouvons à peine concevoir en ce temps-ci, mais hors laquelle notre vie n’a point d’existence.5
Le recueil constitue en quelque sorte la genèse de l’œuvre, dans la mesure où il ancre dans l’écriture la notion de Faute mise à jour lors de la découverte psychanalytique. Le poids du péché se matérialise, et avec lui la mort. La dialectique jouvienne liant l’Eros à sa face sombre se voit amorcée. Faute et mort insufflent une dynamique nouvelle à l’écriture, tout entière portée par l’appel d’une rupture : arrachement du langage ancien pour un langage neuf n’ignorant plus la mort. Mais cette mort, dans Les Noces, est encore tenue à distance. Il faut attendre Matière céleste, en 1937, pour qu’elle devienne effective. Ce recueil détermine l’entrée en poésie et l’arrêt définitif de la production romanesque de Jouve. Le dernier roman, Dans les années profondes, fait se jouer le drame d’Hélène qui, en mourant au faîte de la jouissance amoureuse, initie son jeune amant Léonide au monde de la poésie. L’objet d’amour disparu et désormais manquant, le désir se sublime en désir d’écrire, comme le révèlent les poèmes de Matière céleste qui s’emploient à recomposer le corps féminin devenu matière inépuisable. Mais, plus que la mise en scène de ce processus, le recueil est aussi celle de la mort à l’œuvre avec le thème Nada, que Jouve a emprunté à ses lectures mystiques. Le Nada désigne cette mort symbolique que le poète doit endurer après le meurtre de la femme, mort nécessaire à la transmutation de l’écriture. A travers cette ascèse des mots, Matière céleste réalise la perte indispensable à l’orientation mystique de l’œuvre. Observons à présent l’arc du mouvement spirituel, la manière dont il s’initialise dans l’arrachement propre à la langue des Noces, pour aboutir à une mort concrétisée puis sublimée dans le langage à la fois charnel et mystique de Matière céleste.
Un point signifiant, dans Les Noces, réside dans l’éclatement de l’instance subjective : oscillation fréquente des pronoms personnels marquant le devenir de l’artiste. L’affaiblissement du « Je » trahit la perte de l’identité première et la distanciation progressive. Cela ne s’opère pas sans heurts, le poète combattant son double, ce « bourreau » comme le nomme Jouve :
Je contiens certainement un juge implacable – sorte de bourreau. […] Le bourreau, comme le croyant, veulent que je travaille sans cesse.6
Des dialogues mettent en scène cette lutte interne contre cet « autre » toujours insatisfait :
Tu es mon bourreau ô livre où j’ai traduit
La montagne la rivière et l’oiseau […]
Ainsi parlait le poète déchu
Et il déchirait son livre imprimé au milieu des villes
humaines.
Mais son autre voix tout emplie d’un murmure de
saules
Répondait
O livre malgracieux ô poème manqué,
Erreur erreur toujours de celui qui n’a pas encor fait.7
Peu à peu, la métamorphose de l’artiste se jouant autour de l’accès au nouveau langage révèle sa double nature : une introspection menant à l’extraction du « Je », condition d’accès à l’universel. C’est ce que montre l’émergence du « nous » dans de nombreux poèmes, signe que le poète rejoint la communauté des hommes.
Le phénomène de rupture s’infiltre dans toutes les strates de l’écriture, affirmant la nécessité d’anéantir le langage en vue de sa renaissance. Avec l’ellipse, les mots sont arrachés de leur contexte, ne laissant plus résonner que le choc de leur rapport brut. Maints effets stylistiques étonnent : antépositions étranges comme cette colombe « sur la nue branche »8, verbes éloignés de leurs sujets ou compléments, termes crus rappelant la Faute telle la mention de cette « sale jouissance nocturne »9. Outre le caractère frappant de ces procédés, il semble surtout que l’artiste cherche à éprouver la langue. Et la rupture vers un langage neuf, prenant la voie de l’expérimentation des limites, se teinte d’une coloration mystique. L’usage du blanc poursuit son exploration. Véritable trouée au sein du texte, le blanc, s’il mime la déchirure du livre toujours manqué, interroge la limite signifiante de la langue. Il dit le manque et l’inconnaissance du langage. Et c’est cette parole qui, désirant cerner la béance, devient mystique, à l’image des vers suivants :
Terrible Epoux on ne déplace pas ton magnétisme
On ne t’échappe pas, on ne te nomme pas.10
D’une rupture à une autre, le recueil des Noces semble correspondre à cette phrase de Benoît Conort :
Résultat d’une souffrance, l’écriture produit une seconde souffrance, par son échec, son incapacité à dire. Et cette souffrance suffit à transformer le poème en une sorte de prière.11
Deux images fortes apparaissent dans l’ouvrage : le déluge et le désert. Manifestation d’un Dieu vengeur, le déluge sanctionne la faute universelle :
C’est le silo sanglant, la jeune Aurore
Ils se cherchent l’un l’autre et tous pour jouir et
s’identifier
Les Fils réunis tuent le Père et voilà la Fraternité. […]
La fornication obsède le ciel bleu. […]
Le Christ est tué nous luttons à jamais.12
Il réduit au silence cet univers coupable, « punition parfaite »13 permettant la résurrection :
C’était un rameau
De silence, une nappe de silence […]
Une colombe en gestation silencieuse
Qui viendra sur le toit
Avec un nouvel effet de silence.14
Puis le désert vient consolider le manque et l’opération virtualisante. Ouvrant au devenir, le désert des Noces est un lieu d’espoir plus que d’épreuve. Cela s’accorde avec le stade d’anticipation de la mort déjà évoqué. Nous pouvons lire, en effet, « Agréable d’errer dans le désert sacré »15, ou encore « Sur les grands violents déserts que j’essaie pour lui »16. L’adjectif « agréable » et le verbe « j’essaie » prouvent que le poète s’en tient aux balbutiements du cheminement mystique, au premier stade d’une « pensée de la mort »17. Ce qui n’empêche pourtant pas le recueil des Noces de montrer les prémices de la dialectique christique qui se déploiera plus tard. Eveil d’une conscience particulière du poète qui pressent que « Mourir, renoncer, brûler tous les livres, c’est désormais pour [lui] la seule façon de participer profondément à la mort du Christ et de s’avancer à la rencontre de la seconde naissance ».18
L’artiste devra traverser la passion avec le recueil suivant, Sueur de sang. Il devra consommer la faute avec Hélène dans Dans les années profondes. Ce n’est qu’au bout de ces étapes que la mort pourra s’inscrire dans le corps et se charger du caractère sacrificiel tel que le parachève Matière céleste.
Jouve introduit le thème Nada dans Matière céleste par une épigraphe de Saint Jean de La Croix :
Para venir à serlo todo,
No quieras ser algo en nada.
Suit un commentaire de trois vers :
Rien ne s’accomplira sinon dans une absence
Dans une nuit un congédiement de clarté
Une beauté confuse en laquelle rien n’est.19
Nous lisons trois termes clés du Nada : l’« absence », la « nuit », le « rien », contrebalancés par le verbe « s’accomplira », la « clarté » et la « beauté ». Le Nada, « idée de poésie »20, révèle un ordre spirituel à travers la notion de « rien créateur ». Pour créer, le poète doit passer par l’épreuve de la négation. Après la perte de la femme, il endure sa propre mort dans l’écriture : car c’est seulement au sein de ce « rien » que le retournement peut se réaliser. Il est intéressant de constater le caractère latent du Nada dans les Noces. Un poème dit en effet : « Un jour je me tuerai »21. Puis certaines notions commencent à apparaître comme le « non », le « rien » ou encore la « nuit ». La dialectique devient même parfois explicite :
Il y a le Non que j’aime et dans la douceur ou
profondeur
Mais le Non n’est-ce pas le Tout […]
Car Tout étant et en dehors de Tout n’étant plus rien
Le Rien d’abord est à poursuivre.22
Si Jouve a tôt pressenti la nécessité initiatique du Nada, c’est seulement après le meurtre d’Hélène que le thème devient effectif, car seule la mort peut permettre le rachat du poète au travers de mots libérés de toute présence. Hélène devient mythique, « la Femme-Hélène, la grande initiatrice, celle qui mène à l’Amour et à la Grande Mort, celle enfin qui fait renaître à travers l’éternité de l’écriture »23.
Le mouvement du Nada poursuit sa nudité, dans le vers suivant :
Ce sont des livres nus que je rêve accomplir.24
Commence alors un pénible travail de dépossession. L’abandon de l’expérience réelle et de tout savoir forme le cœur de cette ascèse poétique au cours de laquelle « le poète s’adonne à la négation du monde pour parvenir à un état qui sera similaire au rien »25 :
Le miracle de l’amour est de n’aimer rien
Par les trous d’étoiles de ne rien connaître
De ne rien savoir ni vivre ni paraître
D’être la flamme de n’exister en rien.26
Expérience du détachement, le Nada est traversée de la nuit créatrice qui, au plus profond de son opacité, est nuit « de transformation à l’opposé, de lumière »27. Le thème imprime sa force négatrice dans les mots par le biais d’une rhétorique des contraires. Les oxymores affluent, comme l’« Heureuse heureuse négation »28, ou la « Trop splendide destruction tendre toute noire » 29.
Nous lisons aussi :
Commencer de n’être plus pour ne pas être
De n’être pas pour être
Pour aimer.30
Le premier vers expose une tautologie. Le second renverse ce procédé pour poser un énoncé positif : l’existence d’abord niée est détruite pour que l’existence de l’âme soit affirmée. Puis, plusieurs couples sémantiques comme l’ombre et la lumière ou l’un et le multiple viennent symboliser la dialectique du Nada et du Todo, « immense émanation »31, « ineffable perdition »32, « ineffable fracas »33, « Sexe en flamme innombrable »34. Le poète souligne ainsi l’impossibilité à laquelle se heurte toute tentative de communiquer cette expérience, à l’égal de l’indicible blanc des Noces. Enfin, la perte s’inscrit au creux des mots au travers de structures privatives qui, en supprimant aux éléments une de leurs qualités propres, les propulse dans une réalité autre et imperceptible. C’est ce que montre J’aime :
J’aime et sur cette queue plantée en terre
Je bâtirai mon église […]
Le sépulcre sans lit le temple sans porte
Mon amour sans amour aux chairs de la foi
Sans corps ni main ni sein ni chevelure
Ta désolation sans lieu et sans nature.35
Cette rhétorique négative matérialise l’essence poétique du thème, mais contribue également au renversement de la parole poétique en parole mystique, qui « se nie en même temps qu’elle s’affirme […] pour ouvrir l’âme à la promesse d’un silence, c’est-à-dire à l’irreprésentable promesse d’un regard libéré de toute médiation »36. Dépouillement poétique, marche vers un silence « plus proche que la parole de l’extase et de la saisie du sacré »37.
Le phénomène de dépersonnalisation des Noces prend une forme nouvelle dans Matière céleste. Par moment, une voix féminine est source de la parole poétique, comme dans Fugue dont la première strophe dit :
Je suis sortie dans l’ombre de ma voix
J’ai couru en vain c’était dans mes ténèbres
Je me suis plainte au milieu de moi solitaire
J’ai descendu mes murs par l’échelle de soie
Les gardiens étaient morts.38
Ce « devenir-femme » se retrouve dans les textes mystiques, si l’on en croit la mise en regard de ce poème avec le début de Chansons de l’âme de Jean de La Croix :
Dans une nuit obscure
par un désir d’amour tout embrasée
oh joyeuse aventure
dehors me suis glissée
quand ma maison fut enfin apaisée. 39
Des thèmes communs apparaissent : la surdétermination de la nuit et l’introspection, cette dernière étant représentée chez Jean de La Croix par la « maison », métaphore de l’intériorité corporelle à laquelle les « murs » jouviens font écho. Mais ce qui frappe dans le texte du mystique, c’est son lexique amoureux. Le « désir d’amour », l’embrasement propre à la passion et la connotation adultérine de l’« aventure » instaurent un climat érotique. Jouve explicite clairement cette idée d’une transgression commune à l’éros et au sacré, notamment dans En finir avec le monde (p. 134) :
Ô bouche ! ô cri de ma fente appliquée
Pour que Tu la dilates et l’emplisses
De ton diamant de ta mort et de ta pensée.40
Sexe réclamant l’assouvissement de son désir ou âme implorant la venue de Dieu : la même quête de l’unité est en jeu.
Enfin, nous retrouvons dans Matière céleste l’image du désert. Celle du déluge a disparu car la faute a été accomplie et purgée par la mort d’Hélène, figure du Christ qui, par son sacrifice, a permis la transmutation. Le désert, s’il était lieu d’éveil joyeux dans Les Noces, prend une valeur nouvelle dans Matière céleste. Il est « tapis de pierre »41, paysage dévasté du manque. Il est chemin de croix poétique, « chemin vide entre les montagnes saigneuses »42. Le poète s’y meut, en proie à l’absence de Dieu. Le mythe du Dieu caché sous-tend le recueil : partout des appels de foi résonnent, métaphorisés par la « soif », substantif type de la terminologie mystique, comme dans le poème Sitio :
J’ai soif et c’est assez
C’est assez Créateur ! retire-moi d’ici
C’est assez contemplé la cendre à travers la lumière […]
J’ai soif de me sentir insensible et parfait […]
De n’être pas pour être
Pour aimer.43
Mais Dieu reste étranger à l’homme et c’est précisément par cette absence que se définit l’innommable et qu’il reste absolu. Le retournement ne peut avoir lieu qu’au sein du désert, présence momentanément éprouvée au paroxysme du manque :
Flamme d’amour trop flamme et trop crucifiée
Sur la noirceur intime de nos yeux
Désert d’amour
Organe de Dieu.44
Ainsi, le mouvement d’arrachement apparent dans Les Noces se renforce et se réalise dans Matière céleste : seules les épreuves endurées entre temps ont permis le mûrissement spirituel. Jamais la dialectique christique n’a été plus avancée que dans cet ouvrage où la démarche universelle amorcée dans Les Noces acquiert tout son sens. Le poète, en sacrifiant pour créer, transporte, glorifie et immortalise dans ses mots la douleur humaine. Jouve semble atteindre au chant désiré, érigeant le recueil d’Hélène comme haut lieu mystique. Et ce n’est certainement pas un hasard si la structure et l’écriture du recueil partagent avec le Cantique des Cantiques « fragmentarisme, changements d’espace et de temps, confusion des identités, phrases nominales, protagoniste féminine qui chante son amour »45. Matière céleste dit la descente abyssale propre à l’aventure spirituelle. Il dit aussi que c’est dans l’ouverture du creuset des mots que le retournement s’effectue : plénitude lumineuse et instantanée de l’absence.
Nous l’avons précisé en introduction : mystique et création poétique se rejoignent autour de l’expérience du manque. Elles sont toutes deux mues par le mouvement désirant initial et inconscient, ce que Jouve a parfaitement compris avec la psychanalyse. Finalement, par cette quête ardente de l’« autre », l’écrivain va à la rencontre de cet inconnu qui vit et parle en lui, car
le travail poétique consiste bien en ce dire d’un indicible qui n’est de l’ordre ni de la pensée, ni de l’idée, ni du sentiment, ni de la musique mais de ce passage de l’Autre qui éveille en chacun sa propre altérité.46
Et il serait alors possible, au-delà du métalangage, de lire différemment le blanc et la désorganisation structurale du texte, qui viendraient signifier l’éclatement du corps, mouvement incontrôlable de l’investissement sémiotique dans les mots, qui « met en procès son sujet avant de le re-disposer ou de le ré-unifier par le rythme »47, rythme comme chant de cette fusion impossible avec l’autre.
Notes de bas de page numériques
Pour citer cet article
Léa Coscioli, « Pierre Jean Jouve et l’expérience intérieure des mots », paru dans Loxias, Loxias 5 (juin 2004), mis en ligne le 15 juin 2004, URL : http://revel.unice.fr/loxias/index.html?id=49.
Auteurs
étudiante en 1ère année de Doctorat de Lettres Modernes, sous la direction de Mme Béatrice Bonhomme, professeur de Littérature Française, Université de Nice Sophia-Antipolis.