Alliage | n°48-49 - Septembre 2001 Pour une nouvelle culture du risque 

André Aschiéri  : 

Santé-environnement, défis pour le troisième millénaire

p. 171-180

Plan

Texte intégral

1Sécurité sanitaire environnementale, l’expression est nouvelle. Elle fait florès. Pourtant, ce risque nouveau dans ses termes est aussi vieux que la médecine, le primum non nocere — d’abord ne pas nuire — et que le serment d’Hippocrate. Depuis près d’un siècle, les progrès de la médecine, le recul des grandes pathologies nous avaient habitués à ne voir dans le système de santé que des services de soins toujours plus performants. L’introduction de la notion de sécurité sanitaire a changé notre approche des choses et, d’une façon plus particulière, notre définition de la Santé publique.
Nécessairement pluridisciplinaire dans notre conception occidentale, la santé publique se heurte, en France, à divers savoirs académiques qui s’estiment capables de répondre aux questions qu’elle soulève. Pour la plupart des responsables des pouvoirs publics, la notion de santé n’évoque, le plus souvent, pas grand-chose. Au mieux, un problème est dit « de santé publique » quand son importance et sa visibilité dépassent à l’évidence la sphère de l’événement individuel. Au pire, la santé publique s’oppose à la santé privée pour désigner une tentative de collectivisation des pratiques de soins.
La multiplication des sources d’exposition et de contamination de l’homme par son environnement pourrait bien changer radicalement notre perception. Entre le début et la fin de notre siècle, les enjeux sanitaires ont considérablement changé. Si les morts dues aux maladies infectieuses ont considérablement régressé grâce aux progrès de la médecine, le nombre des cancers a dans le même temps progressé de 4 à 30 % dans l’ensemble des pays développés. En moins de trois ans, la notion de sécurité sanitaire environnementale s’est imposée comme une obligation collective, un objectif de la politique de santé. Les anciennes crises sanitaires ont montré en effet que les manquements à cette obligation peuvent ruiner les acquis d’un système de santé réputé efficace et provoquer de véritables tragédies. Nos sociétés ont appris à travers ces événements que la sécurité sanitaire environnementale ne se décide pas en fin de chaîne, ni ne se décrète dans quelque cabinet ; elle dépend en amont de la capacité des institutions à détecter les risques et à réagir en cas d’alerte. Aujourd’hui, une politique de santé publique doit être une politique d’avant-garde.

1. La sécurité sanitaire environnementale : une nouvelle réalité

2La sécurité sanitaire environnementale doit permettre de répondre à l’évolution rapide et majeure des systèmes de production.
Globalement,
— 90 % de la population vivront bientôt dans les villes et se trouveront confrontés à la multiplication des expositions environnementales ;
— l’homme possède une capacité accrue à générer de nouveaux facteurs de risques via l’environnement, notamment par l’utilisation de substances chimiques ;
— la grande rapidité des modifications apportées à l’environnement met à l’épreuve les capacités d’adaptation de l’homme. Face à cette situation, la médecine curative est, en dépit de ses progrès, largement impuissante ;
— enfin, les dégradations de l’environnement, dues à un héritage industriel, et l’effet différé des pollutions actuelles font peser, aujourd’hui et encore pour longtemps, une menace sur la santé humaine.
Nous devons aujourd’hui affronter des enjeux multiples.

Des enjeux sanitaires  

3Entre le début et la fin de notre siècle, aux États-Unis, la mortalité par pathologies infectieuses est passée de 32 % à 5 %, tandis que celle due aux cancers progressait de 4 % à 30 %. Une évolution similaire a été observée dans l’ensemble des pays développés. De manière plus spécifique pour la France, cette évolution s’accélère sur les dernières années avec l’apparition de 67 % des lymphomes et de 46 % des tumeurs du cerveau depuis dix ans. Une évolution aussi rapide sur une période de temps aussi courte plaide pour l’implication de facteurs environnementaux, liés en particulier aux substances chimiques, davantage que pour la responsabilité de facteurs génétiques. Les populations migrantes adoptent en moins de deux générations le profil de cancers du pays d’accueil. Cette évolution plaide pour l’implication des facteurs environnementaux. Au-delà des cancers, l’évolution rapide d’autres pathologies plaide également pour la l’implication de facteurs environnementaux.
Citons deux exemples :
— l’augmentation de la prévalence de l’asthme. Le Center for Disease Control indique une augmentation de 52 % entre 1982 et 1992 aux États-Unis et de la mortalité associée, qui apparaît également liée à l’environnement, par une présence croissante de virus et d’allergènes dans l’air intérieur et extérieur, mais également par la pollution chimique liée aux transports.
— une enquête similaire effectuée en 1994 est particulièrement révélatrice. Comparant l’état de santé des populations d’Allemagne de l’Ouest et de l’Est, elle a montré la nature et l’évolution des maladies, alors que les populations sont génétiquement comparables. L’origine des pollutions : à l’Ouest, pollution d’origine automobile et habitat moderne, à l’Est pollution d’origine industrielle et habitat ancien, a permis de conclure à la responsabilité des produits chimiques dans ces pathologies.

Des enjeux sociaux

4Ces évolutions ont d’importantes conséquences sociales.
Les dégradations de l’environnement et les perturbations sanitaires qui peuvent en découler touchent plus durement les couches moins favorisées de la population, davantage exposées à certaines nuisances environnementales telles que le bruit ; de la même manière, ces populations peuvent, du fait d’un habitat insalubre, être plus facilement atteintes par le saturnisme infantile.

5La réduction de cette inégalité apparaît comme l’un des défis auxquels l’État, lesÉtats, doivent répondre, d’autant que la société a des difficultés à s’adapter spontanément aux changements environnementaux.

Les enjeux environnementaux

6Lors de la conférence de Rio, en 1992, la commission « Santé et environnement » de l’OMS déclarait :

« Le développement qu’implique la protection de la santé exige le respect de l’environnement parmi, bien sûr, beaucoup d’autres conditions, alors qu’un développement qui ignorerait l’environnement conduirait fatalement à porter atteinte à la santé de l’homme. »

7Une illustration de cette affirmation nous est donnée par la catastrophe de la mer d’Aral. Entre 1970 et 1990, des pratiques agricoles désastreuses ont provoqué l’assèchement partiel de la mer d’Aral et le déversement de 118 000 tonnes d’engrais et de défoliants dans l’environnement régional. Cette catastrophe écologique provoquant un recul de la mer de 50 à 80 km et un passage de l’amplitude thermique annuelle de 60°C à 100°C a entraîné une catastrophe sanitaire, à savoir : augmentation de 60 % de la mortalité infantile, incidence de certains cancers sept fois supérieure à la moyenne soviétique, épidémies récurrentes dues à la mauvaise qualité de l’eau.

8Il faut donc pouvoir évaluer de manière préventive le niveau de pollution que peuvent supporter les écosystèmes sans subir de modification significative pouvant, directement ou indirectement, nuire à la santé de l’homme : c’est le concept de « charge critique », actuellement développé par l’Agence européenne de l’environnement (AEE). Une politique de l’environnement visant à améliorer la qualité des milieux (air, eau, sols) contribue aussi à la prévention et à la réduction des risques sanitaires. Cette prévention implique une approche globale des milieux, pour éviter de transférer les problèmes de l’un à l’autre. L’erreur commise dans le traitement des déchets illustre cette exigence : l’interdiction à terme de la mise en décharge (hors déchets ultimes), destinée traiter un problème de pollution des sols, est à l’origine d’un problème de pollution de l’air, car elle a conduit à un développement systématique de l’incinération.

Des enjeux internationaux

9L’importance des travaux à accomplir dans le domaine des risques sanitaires liés aux perturbations de l’environnement les situe d’emblée au niveau européen et international. Cependant, le manque de coordination est flagrant dans le champ international. Les acteurs principaux comme l’OMS, l’OCDE et l’Union européenne, les différents pays européens ne travaillent pas de façon coordonnée.
Alors que des milliers de produits chimiques sont mis sur le marché chaque jour, les impacts sur la santé de l’homme et sur l’environnement ne sont pas évalués. Je crois que cette évaluation est un des enjeux majeurs auxquels doivent faire face les pays développés. Par ailleurs, au niveau européen, si le principe de précaution en matière de protection de l’environnement et de la santé des personnes (art. 130-R du traité de Maastricht) inspire les directives et règlements, son utilisation reste dans les faits très limitée.

2. L’évolution des risques et le renouvellement de leur gestion

La relation de l’environnement et de la santé humaine

10Revenons à la définition de la santé donnée par l’Organisation mondiale de la santé : « Un état de bien-être physique, mental et social qui ne se caractérise pas seulement par l’absence de maladie ou d’infirmité. » Nous considérons que l’environnement de l’homme concerne les milieux naturels et les écosystèmes, ainsi que l’ensemble des activités humaines.
Cet environnement est source de danger, notamment par le biais de :
— phénomènes naturels (climatiques, météorologiques, géosphériques…)
— activités économiques (industrie, énergie, agriculture, aménagements, transports…)
— lieux d’activité humaine (habitations, lieux de travail, moyens de transport, lieux de loisir…).
Ces sources de danger atteignent dès lors les écosystèmes et l’homme par différents vecteurs tels que les rayonnements ionisants ou non-ionisants, l’air ambiant extérieur ou des lieux de vie et de travail, les eaux, ou encore la chaîne alimentaire. Face aux risques sanitaires liés aux produits de santé et aux produits alimentaires, le concept de sécurité sanitaire a été développé pour répondre à une exigence plus forte des citoyens. La sécurité environnementale vise, elle, à agir sur l’environnement en amont des impacts sanitaires liés à la dégradation des milieux et des équilibres écologiques.

11La mise en évidence des risques sanitaires liés à l’environnement n’est pas une nouveauté. La fin du XIXe siècle a vu se développer, avec le mouvement hygiéniste, de nombreuses règles portant sur les eaux d’alimentation, l’habitat insalubre et les établissements dangereux et incommodes, afin de réduire des épidémies fréquentes et une mortalité élevée. Depuis les années 1960, la population peu à peu a pris conscience du développement d’une pollution visible : à cette époque, des mousses couvrent de nombreuses rivières et les décharges sauvages se multiplient. De nouvelles organisations sont mises en place au niveau national et surtout communautaire, avec la définition de programmes européens de protection de l’environnement, dont résulteront de nombreuses directives.
Des accidents comme celui de Seveso (1976) attirent l’attention sur les risques collectifs liés à l’activité industrielle. L’explosion récente du silo de Blaye (1998) montre que ces dangers restent d’actualité. De même, des catastrophes sanitaires comme celle de Minamata avec une pollution des eaux et des sédiments par le mercure, ou de Love Canal aux États-Unis (pollution de sols par les déchets ; 1978-1980), ont mis en évidence l’impact retardé sur la santé humaine de l’imprégnation des milieux par des substances toxiques issues de l’activité industrielle. Dans ces situations, l’exposition, à des doses relativement fortes, de populations peu nombreuses concentrées autour de la source du danger permettait de démontrer l’existence d’un lien de causalité incontestable.

12Depuis, la mise en place de mesures de prévention et de contrôle dans les pays industrialisés a fait diminuer les risques biologiques ou toxiques liés à des expositions à des fortes doses de contaminants. Cependant, ce dispositif connaît une limite importante. Ces règles ont fréquemment été élaborées au coup par coup, en réponse à des problèmes ponctuels et, en conséquence, sont souvent sectorielles : certaines réglementent de manière distincte les pesticides, selon qu’on les retrouve dans l’eau, dans les aliments ou dans l’air. Une approche transversale serait pourtant plus efficace, car elle permettrait d’aborder l’ensemble des expositions qu’un individu peut subir.

Les risques liés aux faibles doses et aux longues durées d’exposition.

13Actuellement, la question des risques sanitaires liés à l’environnement se pose de plus en plus pour des expositions chroniques et multiples à des quantités de polluants faibles (pesticides), voire très faibles (dioxines). Les sources de dangers sont également diverses, mobiles et diffuses. Il en résulte plusieurs difficultés nouvelles, telles que la mesure des quantités de polluants présentes dans les milieux, l’estimation des doses auxquelles sont réellement exposés les individus, l’étude des dangers et de leurs effets, et surtout, la démonstration des relations de cause à effet.

14Face à ces difficultés, l’écueil à éviter est de considérer qu’un phénomène, invisible parce que l’on ne s’est pas donné les moyens de le voir, n’existe pas. La principale nouveauté est que la question des risques sanitaires liés à l’environnement se pose désormais pour l’ensemble de la population, exposée dans son activité professionnelle comme dans son activité privée aux substances présentes dans l’air extérieur et intérieur, l’eau, les aliments et les autres produits de consommation courante. Un risque individuel faible peut, dans ce contexte, induire un risque collectif suffisamment important pour être considéré comme un véritable enjeu de santé publique.

Quelle méthodologie d’analyse et de gestion des risques ?

15Répondre à cette question en quelques mots n’est pas simple. Aussi, me semble-t-il nécessaire de choisir un modèle utilisé tant par le Conseil national de l’Académie des sciences des États-Unis, que par le Codex alimentarius (OMS, FAO) ou par l’Union européenne.

16Un modèle général d’analyse de risque a été établi. Il distingue trois étapes :

  • 1. la première est celle de la production de données,

  • 2. la seconde consiste en l’évaluation des risques proprement dite, c’est-à-dire la probabilité et la gravité des effets de l’environnement sur la santé de l’homme. Elle se fonde sur des données scientifiques, issues de différentes disciplines (épidémiologie, toxicologie, évaluation des expositions...).

  • 3. enfin, la dernière étape est celle de la gestion des risques qui consiste à traiter les risques inacceptables. Dans cette étape, l’élaboration de solutions alternatives est une constante et certains scénarios sont récurrents : le décideur peut choisir d’interdire, d’imposer certaines contraintes réglementaires ou financières, enfin de laisser aux individus la liberté d’agir, notamment en les informant de manière plus ou moins détaillée des risques existants et des attitudes possibles.

17Deux principes me semblent constituer la ligne conductrice de toute décision politique.

  • 1. Le principe fondamental de la méthodologie que nous venons de définir reste la nécessité de séparer évaluation et gestion des risques. Sans ce principe d’indépendance les contraintes politiques, économiques, ou sociales pèsent sur les décideurs.

  • 2. le second principe est l’application dans les faits et dans la décision politique du principe de précaution. Il constitue un cadre de réflexion qui permet d’agir alors que la preuve scientifique fait défaut ou qu’elle est encore insuffisante pour affirmer l’existence ou l’absence de risque. Il permet d’organiser une riposte graduée, en fonction de ce que nous savons du risque quant à sa gravité potentielle et à son degré d’irréversibilité. Il ne doit en aucun cas être un principe d’abstention.

3. La faiblesse globale du dispositif français et les prémices d’une démarche européenne

Les insuffisances de la connaissance

18La décision en matière de santé environnementale doit s’appuyer sur une recherche solide et une expertise reconnue et structurée selon des principes éthiques. Sur chacun de ces points se dégage un constat de carence. Les disciplines de base du champ santé-environnement, qui relèvent d’une approche globale de l’homme et de sa relation à l’environnement, sont marginalisées au sein de la recherche publique ; c’est du moins le constat que nous pouvons dresser pour la France. Ainsi, la toxicologien’est pas suffisamment reconnue, l’épidémiologie a vu son statut renforcé mais elle tarde à acquérir une dimension comparable à ses homologues anglo-saxons, l’écotoxicologie (ou toxicologie environnementale) ne se développe que de façon récente.
Enfin, l’étude globale des facteurs de l’exposition humaine aux dangers, que nous qualifierons d’expologie, est à développer en France.
La recherche appliquée sur les risquesdu champ santé-environnementest un domaine qui souffre depuis longtemps d’un manque de moyens par rapport à ceux consacrés au risque nucléaire, de moyens financiers et humains. De manière générale, les approches interdisciplinaires indispensables ne sont guère présentes dans les priorités des grands organismes de recherche, en dehors d’initiatives ponctuelles.

19Au sein des organismes publics de recherche, deux grandes catégories d’organismes apportent leur contribution à l’expertise :
— les grands organismes de recherche fondamentalement orientés vers la production de connaissances et pour lesquels les travaux d’expertise constituent une prolongation à la marge de cette activité.
— les organismes d’appui aux politiques publiques qui, sur la base de leur potentiel de recherche fondamentale et appliquée, sont davantage orientés vers la fourniture de l’expertise aux pouvoirs publics et aux acteurs économiques.
Dans les deux cas, les experts sont avant tout des chercheurs, évalués sur la base de leurs publications et non de leur participation à l’expertise. Cette participation est peu ou pas rémunérée. Elle devient même contre-productive pour leur carrière.
Les chercheurs ne sont donc pas incités à participer à l’expertise au niveau national ou international.
Il y a, par ailleurs, unanimité sur les règles déontologiques conditionnant la qualité de l’expertise : indépendance, contradiction et organisation, selon des procédures transparentes et stables. Un consensus admet que l’indépendance totale de l’expertindividueln’existe pas. Celui-ci peut subir des influences diverses, liées aux intérêts économiques, à la carrière et au prestige. De plus, le statut de certains organismes garantit mal leur indépendance. Une conception éthique de l’expertise implique que celle-ci soit contradictoire et collective. Il est indispensable que les points de vue marginaux soient documentés. Dans le champ santé-environnement, la nécessaire pluridisciplinarité renforce cette exigence d’une expertise collective,même si celle-ci ne constitue pas une garantie absolue.Par ailleurs, le « lanceur d’alerte » doit être protégé des pressions, voire des menaces qui peuvent être exercées contre lui au cas où les résultats de l’expertise iraient à l’encontre des intérêts publics ou privés.

20Les objectifs de la veille environnementale visent à identifier les nouvelles connaissances scientifiques qui nécessitent de reconsidérer les dispositions retenues jusqu’alors vis-à-vis des pratiques ou des risques, et à détecter les perturbations environnementales susceptibles de préfigurer des risques sanitaires ou des effets sur la santé pouvant être causés par des facteurs environnementaux. La situation est d’autant plus difficile que l’évaluation reste à développer.

21Le recensement des organismes intervenant, à des degrés divers, dans le champ de la santé et de l’environnement a permis de mettre en évidence l’existence de multiples structures. La plupart effectuent, de leur propre initiative, des travaux d’évaluation des risques. Cette dispersion des structures conduit à des redondances, voire des concurrences entre elles. Rattachées à des ministères différents, elles reçoivent une partie de leurs commandes de leurs autorités de tutelle, l’autre partie de leur activité découlant de leur auto-saisine. L’absence de coordination de la tutelle est source de concurrence entre organismes, qui peuvent être saisis concomitamment ou successivement de problèmes similaires.

Les carences de l’administration

22Au sein de l’administration, le lien entre santé et environnement demeure à établir. Face à l’émergence de risques et problèmes nouveaux, des évolutions ont vu le jour. Ainsi, en 1992, des organes interministériels ont été mise en place au sein du ministère de la Santé publique. Cependant, les modes de fonctionnement des structures administratives ont peu évolué ; c’est sans doute une question de culture de cette haute administration. Il est certain qu’il existe une absence de vision globale des enjeux et un manque d’impulsion politique forte. La politique de santé publique s’est d’abord manifestée au travers du mouvement hygiéniste et du traitement des grands fléaux qu’il s’agissait d’éradiquer. C’est l’origine de notre ministère de la Santé publique. Malgré la réaffirmation de la nécessité de prendre en compte la prévention, notre système de santé reste encore largement centré sur le curatif et l’offre de soins individuels, et marginalise certains aspects préventifs de la médecine, comme c’est le cas pour la médecine scolaire.

23Ce constat doit toutefois être nuancé, car la politique de santé s’est rapprochée des préoccupations de protection de l’environnement, au travers notamment de l’hygiène des milieux. Les actions dans le domaine de la qualité des eaux ou de l’habitat insalubre en témoignent. La politique de l’environnement s’est pendant longtemps donné comme priorité d’améliorer l’état de l’environnement. Elle a contribué pour une part à la prévention des risques sanitaires, mais elle n’a pas cherché à mesurer précisément les impacts sanitaires des dégradations de cet environnement. Son recentrage sur la prévention des risques, au travers, par exemple, de la loi sur l’air, la rapproche des préoccupations de santé publique. On constate une faible intégration des considérations sanitaires et environnementales dans les politiques des ministères, y compris parfois dans ceux de la Santé et de l’Environnement.

4. Une nouvelle politique

24Face à ces contraintes, le parlement français a décidé de refonder son système de sécurité sanitaire environnementale. Celui-ci s’appuie sur cinq grands principes :

  • 1. l’État est le garant de la sécurité sanitaire. Si la recherche du risque zéro est bien évidemment très souvent inaccessible et pratiquement inapplicable, il est de la responsabilité des politiques d’ouvrir le débat sur une définition, qui ne peut être que collective, des risques minimaux acceptables, techniquement et socialement

  • 2. les règles de droit, d’origine nationale ou communautaire, doivent définir de manière suffisamment rigoureuse les conditions dans lesquelles peut être assurée la sécurité sanitaire environnementale.

  • 3. le contrôle de l’application de ces règles doit être effectué par une administration dont la mission est bien identifiable et la capacité à mobiliser les compétences irréprochables, de sorte qu’aucun conflit de préoccupation ne vienne entraver ni son exercice, ni sa crédibilité.

  • 4. le dispositif de veille sanitaire doit être en mesure de rassembler toutes les informations pertinentes émanant d’organismes publics et privés et de compléter les lacunes. Il doit être organisé de telle sorte que les informations de base soient bien connues, et que les procédures d’alerte des autorités compétentes et les recommandations qui leur sont adressées leur permettent de prendre, au moment utile, les décisions nécessaires.

  • 5. Le principe de précaution est inscrit dans la loi du 2 février 1995 relative à la protection de l’environnement, il précise : « En l’absence de certitude, compte tenu de l’état des connaissances scientifiques et techniques du moment, la menace d’atteintes graves et irréversibles doit conduire à l’adoption de mesures proportionnées à un coût économiquement supportable. » C’est un principe d’action et non d’inaction.

25Mieux évaluer, mieux gérer les risques pour éviter les crises, tel est l’intérêt des organismes de sécurité sanitaire. Le 1er juillet 1998, la parlement français a adopté à l’unanimité une loi relative à la veille et à la sécurité sanitaire des produits destinés à l’homme. Cela a permis la mise en place des structures nécessaires à l’évaluation et à la gestion des risques pour les produits de santé et les aliments. La loi du 1er juillet 1998 a prévu la création d’un institut et de deux agences, placés sous une structure interministérielle, le Comité national de sécurité sanitaire :
— l’Institut de veille sanitaire : cet établissement public, placé sous la tutelle du ministre chargé de la Santé aura pour mission de surveiller en permanence l’état de santé de la population et de détecter tout événement susceptible de l’affecter, d’alerter les pouvoirs publics compétents, et de formuler des recommandations.
— l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé : dont la mission sera d’assurer le contrôle de la sécurité sanitaire (autorisation, vigilance, police sanitaire) de tous les produits de santé (médicaments, greffes, thérapies géniques ou cellulaires, …) et de tous les produits cosmétiques.
—l’Agence française de sécurité sanitaire des aliments : assurant l’évaluation des risques dans le domaine alimentaire entendu au sens large. Si l’agence n’a pas de pouvoir de police, elle dispose de nombreux outils lui permettant d’avoir une influence considérable sur les décisions prises. Formulant avis et recommandations, sa consultation est nécessaire avant toute prise de position. Elle dispose par ailleurs d’un laboratoire d’expertise intégré.
Ces trois établissements, effectivement créés, répondent à deux des trois types de crises que nous avons connues en France et auxquelles nous serons de plus en plus exposés. Le sang contaminé, d’une part, la crise de la vache folle, d’autre part, illustrent les carences auxquelles ces deux agences remédient désormais.

26Mais ce texte, bien que marquant une avancée certaine dans le domaine de la prévention des risques, ignore totalement l’aspect de sécurité sanitaire environnementale et plus particulièrement le champ immense des toxiques présents dans tous les milieux de vie, qui peuvent avoir de graves conséquences sur la santé humaine.

Des droits nouveaux

27Depuis 1998, quatre principes cardinaux, qui sont autant de droits, structurent désormais la méthodologie de la sécurité sanitaire :
— le principe d’évaluation, qui commande de connaître le rapport bénéfice-risque ;
— le principe de précaution, qui impose d’intervenir dès qu’il apparaît que les risques peuvent l’emporter sur les bénéfices attendus ;
— le principe d’indépendance, notamment par rapport aux intérêts économiques, des experts et des décideurs
— enfin, le principe de transparence, condition d’une alerte précoce.
Ces quatre principes, formant l’obligation collective de l’État, sont ceux qui ont inspiré la loi.

Pour citer cet article

André Aschiéri, « Santé-environnement, défis pour le troisième millénaire », paru dans Alliage, n°48-49 - Septembre 2001, Santé-environnement, défis pour le troisième millénaire, mis en ligne le 30 août 2012, URL : http://revel.unice.fr/alliage/index.html?id=3798.


Auteurs

André Aschiéri

Maire de Mouans-Sartoux, est l’auteur d’un rapport sur la santé et l’environnement.