Alliage | n°64 - Mars 2009 Du végétal 

Serge Chaumier  : 

Leuglay : un Centre d’interprétation de la forêt et des métiers du bois

p. 142-146

Plan

Texte intégral

1Au cœur du Châtillonnais, région reculée et difficilement accessible, mal connue en Bourgogne, la petite commune de Leuglay s’est donné le défi de valoriser ses atouts en soutenant la réalisation d’un centre d’interprétation. Ce pays dont les paysages se caractérisent par une forte présence forestière, l’une des plus importantes en France avec la première forêt de feuillus de Bourgogne, se distingue également par l’activité qui lui est liée, avec une forte concentration de compétences et de savoir-faire autour de la gestion des espaces forestiers et des métiers concourant à la transformation du bois. Accueillant l’un des plus grands pépiniéristes d’Europe, la région de Châtillon dispose par conséquent de solides atouts dans la sylviculture. Pour faire connaître la filière bois ainsi que l’environnement, la commune de Leuglay a mis à disposition, au bord de l’Ource, une ancienne ferme offrant une surface intérieure de près de neuf cents mètres carrés, entourée de trois hectares de verdure, et surtout placée à proximité des forêts environnantes. Elle a été réhabilitée en 1998 pour la partie bâtiment, et le Centre d’interprétation a ouvert ses portes en 2004. L’opération, d’un montant de cent mille euros en investissement, a reçu le soutien financier de la Région Bourgogne complété de crédits départementaux et européens. La conduite des opérations a été coordonnée par Agnès Levillain, muséographe missionnée par le crcm, de l’université de Bourgogne, avec la contribution de Jean-Marc Gaillard pour la scénographie et de Marc Perrey pour les réalisations audiovisuelles. Le site, soutenu par les collectivités territoriales, est à présent géré par une association.

Un lieu pour susciter la rencontre des regards

2Le Centre d’interprétation met en valeur les aspects naturels et environnementaux, les domaines de loisirs qui lui sont liés, mais aussi les aspects professionnels de la gestion de la forêt. Une pluralité de regards est donc proposée, dans un traitement anthropologique du sujet. L’idée est de croiser les approches afin de sensibliser chacun à des usages différenciés et à des logiques demeurant parfois étrangères les unes aux autres ou qui ont des difficultés à dialoguer. L’approche de l’environnementaliste, du chasseur, de l’Office national de gestion des forêts, des forestiers et de ceux qui développent une activité économique, des riverains qui entendent se chauffer au bois ou encore celle des ramasseurs de champignons ou des sportifs qui l’utilisent comme terrain d’exploration et d’exercice : autant de sensibilités qui considèrent différemment un même espace.

3L’histoire de la forêt, de l’arbre et son fonctionnement, des écosystèmes forestiers, de l’industrie du bois, sont des passages obligés du propos de l’exposition, se prolongeant par des dimensions techniques, environnementalistes, mais aussi métaphoriques. Les contes et légendes liés à la forêt, et les imaginaires véhiculés, la façon dont les populations ont développé avec elle des relations particulières dans l’histoire, les prévisions que l’on peut faire de son rôle dans l’avenir, autant de pistes de réflexion que l’exposition suit pour éveiller la curiosité et l’étonnement du visiteur. Les métiers de la forêt et du bois sont variés et souvent mal connus. Pour en rendre compte sont proposées des séquences vidéos sur différents secteurs d’activités, par exemple, la production du charbon de bois. Le visiteur va du bûcheronnage traditionnel à ses évolutions modernes, la scierie, ou encore les convoyages des billes de bois…

4L’objet tient une place et un rôle autres que dans un musée traditionnel. S’il y a quelques objets mobilisés, demeure central le discours développé pour guider le visiteur dans une découverte des aspects qu’il connaît mal ou ne soupçonne pas. Certes, la botanique et les espèces animales sont l’une des dimensions permettant de familiariser à un écosystème, mais les aspects moins prévisibles sont surtout privilégiés. Spécificité de la forêt bourguignonne à côté des autres forêts nationales et internationales, évolution dans le temps, et mode de gestion des espaces amènent à surprendre le visiteur souvent enclin à estimer la surface de forêt en recul. De même, des idées préconçues sur la consommation de papier et sur l’économie de bois sont discutées pour dévoiler des aspects souvent surprenants pour le citadin : par exemple, qu’il est utile de consommer du bois pour entretenir les forêts… Le Centre d’interprétation s’efforce de répondre à sa définition initiale, à savoir de mettre en perspective des avis contradictoires pour engager le visiteur à réfléchir par lui-même à partir d’éléments objectifs ; et à construire ainsi sa propre opinion. Certes, dans la réalité, les commanditaires ont souvent des difficultés à accepter de telles approches, et les avis contradictoires demeurent encore timides au regard de ce qui pourrait être fait.

« Le propre de l’interprétation est de stimuler chez le visiteur un désir d’élargir l’horizon de ses intérêts et de ses connaissances et de l’aider à comprendre les grandes vérités qui gisent derrière tout constat des faits »,

5écrit Tilden, père de l’interprétation. Dans cette veine, la Maison de la forêt apporte des éléments d’information et d’appréciation permettant au visiteur de prolonger ensuite ses perceptions, par la confrontation directe, en forêt ou dans sa vie quotidienne.

Les outils mobilisés

6Plusieurs types de médiation sont utilisés pour donner à la visite une approche dynamique et recourir aux techniques les plus efficaces selon le sujet traité. Des audiovisuels proposent de courts reportages, ainsi cinq bornes multimédias présentent près de trente minutes de films séquencés en petites unités de quelques minutes. Des expérimentations, des dispositifs sonores et olfactifs, des textes et de l’iconographie, bien évidemment, multiplient les approches pour offrir un panorama le plus complet que possible. L’exposition permanente s’appuie principalement sur l’expérience sensible. Toucher, sentir, entendre, rêver, imaginer sont les principales voies d’accès à la compréhension pour le visiteur. La volonté pédagogique du Centre d’interprétation est indéniable : elle se place au cœur des contenus de l’exposition, des programmes d’actions et d’animation. À partir d’une assise scientifique rigoureuse, elle explore les potentialités par des approches combinées et variées. Bien sûr, la médiation humaine pas des animateurs demeure centrale et indispensable, notamment pour les groupes.

« Processus de communication qui vise à transmettre au visiteur la signification et la valeur d’aspects privilégiés du patrimoine culturel et naturel au moyen d’expériences sensibles avec des objets, des artefacts, des paysages ou des sites »,

7cette préconisation de Tilden est mise en action à la Maison de la forêt par divers moyens. L’espace d’exposition de quatre cent cinquante mètres carrés demeure modeste, mais c’est aussi par les activités connexes que le site prend toute son ampleur grâce à un système de propositions en complémentarité. Ainsi, un arboretum sur la partie extérieure, des sentiers de découverte en forêt, des ateliers pédagogiques, une partie laboratoire, une salle multimédia, de petites expositions temporaires, des journées thématiques (champignons, etc.), des activités sportives (« grimpe d’arbres » ou accrobranches) complètent le dispositif. Des parcours gps ont nouvellement été mis en place pour allier cette nouvelle technologie à une exploration forestière. La visite de la chaudière à particules bois, financée avec l’ademe pour équiper le bâtiment réhabilité, prend tout son sens pour traiter, par l’exemple, des économies d’énergie et de la place que peuvent prendre la filière bois dans les modes énergétiques. Il faut signaler enfin un fonds documentaire important, la bibliothèque Georges-Plaisance, nom de cet ingénieur forestier qui fait autorité en la matière, fonds qui constitue un outil de ressource pour les chercheurs sur le thème de la forêt.

8Mais le panorama serait incomplet si la Maison de la forêt n’avait cherché à valoriser également d’autres modes de perception de la forêt, notamment plus poétique, littéraire ou artistique. Ainsi des œuvres sont-elles intégrées dans le parcours d’exposition pour apporter des visions subjectives et suggestives sur la forêt et ses imaginaires. De grands noms de l’art contemporain se sont vu commander des installations alors que d’autres œuvres ont pu être mises en dépôt par le frac Bourgogne. C’est le cas d’une vision de la forêt signée Bertrand Lavier, compagnon de route de ce territoire du Châtillonnais. La Fondation de Bourgogne a supervisé les commandes passées à des artistes, notamment à Marc Mimram pour une passerelle d’accès au site, Jacques Vieille propose une construction en chutes de parquet et une architecture végétale, Laetitia de Bazelaire une volière et Jacques Simon a réalisé des œuvres en salle et des aménagements extérieurs et paysagers. On peut regretter que ce patrimoine artistique constitutif ne soit pas progressivement enrichi et que les acteurs locaux semblent finalement se désintéresser d’un apport qui permet d’ouvrir la thématique et le territoire en renouvelant ses approches.

Un projet de développement local

9L’ancrage de la Maison au sein de la communauté du Pays châtillonnais est un exemple de ce qu’un Centre d’interprétation peut offrir à un public local comme à un public extérieur pour créer une synergie d’intérêts. Le revers de la médaille est que cette région de forêt, donc peu habitée, peu touristique, est par conséquent peu passagère. Dans cette situation, un lieu d’exposition est une façon d’inverser quelque peu la situation en développant des offres attractives, mais évidemment avec les difficultés inhérentes à ce type de développement encore balbutiant. Dans ce sens, la Maison de la Forêt a été dimensionnée pour un fonctionnement correspondant à des perspectives raisonnables de développement touristique de la région. Ses coûts de fonctionnement sont limités, son espace adapté à une juste fréquentation. Si le lieu connaît des périodes difficiles, ce qui n’est pas surprenant, c’est aussi en maintenant un engagement volontaire par l’investissement dans ce type d’équipement que les pouvoirs publics peuvent impulser le développement territorial. Un projet de réhabilitation de l’ancienne gare de Leuglay en structure d’accueil permettra sans doute d’offrir des possibilités accrues à l’avenir pour le tourisme.

10Le Centre d’interprétation a pour vocation d’accueillir tout type de public, mais l’accent a été mis avant tout sur les publics scolaires. Ils représentent plus de 60 % des visiteurs du Centre. Ceux-ci ont l’habitude de se tourner vers les structures à vocation culturelle pour conduire des projets pédagogiques hors les murs et chercher de nouveaux terrains d’investigation des savoirs. Visites, activités sportives ou scientifiques, centre de ressources, la Maison de la forêt offre une gamme de possibilités que recherchent les enseignants et les responsables de centres de vacances. L’espace d’exposition constitue en ce sens une porte d’entrée sur le territoire forestier et sur les explorations multiples qu’il propose.

11D’un point de vue scientifique, il a été décidé lors de l’élaboration des contenus de l’exposition que les données socio-économiques, historiques, géographiques et écologiques utilisées proviennent du Pays châtillonnais en son ensemble, unité de mesure géographique retenue pour le propos. Le Centre d’interprétation porte par conséquent sur un territoire plus large que la seule commune de Leuglay et les visiteurs sont invités à découvrir l’ensemble du Pays châtillonnais dès leurs premiers pas dans l’exposition (carte du Pays Châtillonnais au début de l’expo). Ceci a pour effet d’accroître le discours et d’en faire un lieu de ressources plus global pour l’ensemble du bassin de vie, raison qui conduit la communauté de communes a être le niveau institutionnel d’implication adéquat.

Une gestion partagée, des partenariats démultipliés

12Un équipement tel que celui de la Maison de la forêt nécessite un mode de gestion commun où l’ensemble des acteurs locaux (issus des entreprises de la filière bois, des associations sportives et culturelles, des autres lieux à vocation touristique, du monde des artistes, du monde politique, etc.) se fédère autour de ce projet pour le faire vivre. La Maison de la forêt est un lieu de vie sociale, culturelle, économique et touristique du territoire. Dans ce sens, il est intéressant de noter que ce lieu sert dans le cadre de la formation professionnelle des jeunes dont la vocation se tourne vers les métiers de la filière bois, ainsi des partenariats avec les lycées professionnels sont-ils privilégiés. Le Centre d’interprétation de la forêt de Leuglay organise des séjours forestiers spécifiques pour les bts gestion forestière ou les bts technico commerciaux. Des visites et des stages de formation s’y déroulent, et, plus largement, est proposée une sensibilisation au thème et des réponses aux questions que se posent les participants ou qu’ils seront appelés à se poser dans leur future vie professionnelle.

13L’ultime catégorie de public également prise en compte lors de la conception de l’exposition est celle du public de passage. Pour le développement du tourisme vert en milieu rural, la Maison de la forêt est un outil pour l’accueil dans la région. Elle participe à enrichir l’offre et à valoriser ce qui représente l’attrait et la particularité de la région, autrement dit, la forêt. Le propos de l’exposition prend à contre-pied le visiteur qui n’en a pas une bonne connaissance, il repose sur l’idée que la forêt est un espace culturel plus qu’un espace naturel. En affirmant que l’homme a toujours modelé la forêt, que les activités qui s’y déroulent sont multiples, que s’y côtoient des intérêts divergents et que le tout repose sur une gestion équilibrée de ces activités, le lieu se veut aussi un espace de négociation entre des points de vue divergents. L’exposition est donc un lieu de sensibilisation pour prévenir des comportements et éduquer au respect de l’écosystème forestier.

14Enfin, d’autres actions sont développées auprès des randonneurs, des amateurs de parcours d’aventures avec des activités de plein air, auprès des amis de la nature avec des conseils sur les champignons, ou des informations sur la faune sauvage, les truffes, l’écoute du brâme du cerf… La population locale n’est évidemment pas oubliée, d’abord parce qu’elle est souvent partie prenante du  bon fonctionnement du lieu, mais aussi parce qu’elle s’engage dans des rendez-vous plus festifs, tel que la fête de l’automne… Des partenariats privilégiés sont également conduits avec les entreprises et les acteurs de la filière bois (cofor 21, communes forestières de Côte-d’Or, union des entreprises du bois de Bourgogne…), mais aussi des associations de protection de la nature (Ligue de protection des oiseaux, Conservatoire des sites naturels bourguignons…) afin de proposer des journées naturalistes et des approches thématiques renouvelées du milieu. L’intégration prochaine espérée au réseau des cpie (centres permanents d’initiatives pour l’environnement) va dans ce sens.

15Ce site nous semble emblématique de ce à quoi doit correspondre un Centre d’interprétation : sensibilisation, approche multidisciplinaire, combinaison des techniques, incitation faite aux visiteurs à s’interroger, carrefour d’approches dynamiques sur un même thème. Demeure le point crucial et encore mal résolu de ses moyens de fonctionnement. Si les partenaires économiques ont contribué à sa genèse, ils participent encore modestement à son fonctionnement, de même que les différents niveaux des collectivités territoriales. Si bien que le lieu est bridé dans son développement par manque de moyens et de compétences internes, et que, par conséquent, le risque est grand de voir se dégrader lentement un équipement adéquat, mais qui n’aura pas eu l’occasion de se déployer pleinement. Le cas n’est pas exceptionnel, il est même assez représentatif d’une multitude de lieux, inaugurés avec enthousiasme puis abandonnés à leur difficile quotidien.

Pour citer cet article

Serge Chaumier, « Leuglay : un Centre d’interprétation de la forêt et des métiers du bois », paru dans Alliage, n°64 - Mars 2009, Leuglay : un Centre d’interprétation de la forêt et des métiers du bois, mis en ligne le 31 juillet 2012, URL : http://revel.unice.fr/alliage/index.html?id=3418.


Auteurs

Serge Chaumier

Professeur des universités, il enseigne dans le master Métiers des arts, de la culture et du patrimoine, à l’université de Bourgogne. Il y dirige le Centre de recherche sur la culture et les musées, et développe des recherches sur l’action culturelle, le patrimoine et la muséologie : http://www.u-bourgogne.fr/cimeos/CRCM. Il a publié dernièrement Arts de la rue, la faute à Rousseau (L’Harmattan, 2007) et Actualités du Patrimoine avec Laetitia Di Gioia (EUD, 2008). Il anime également un blog : www.formation-museographie-museologie.com.