Alliage | n°64 - Mars 2009 Du végétal 

Guy Reinaud  : 

Le charbon vert

p. 137-141

Plan

Texte intégral

1Deux milliards de gens doivent aujourd’hui faire face à un problème d’énergie domestique qui les pousse à la déforestation, accentuant sécheresse et désertification. En Afrique, en Amérique latine et en Asie — y compris en Inde et en Chine — le bois devient de plus en plus difficile à trouver et les énergies de substitution ne sont en général pas accessibles ou abordables pour les familles. Deux milliards de personnes à travers le monde dépendent de bois issu de la déforestation pour leurs besoins en énergie domestique. En Afrique plus particulièrement, il représente 89 % des sources d’énergie. Or, ce recours au bois non durable est une cause majeure de déforestation, ce qui pose un sérieux problème écologique. Cette déforestation accentue la sécheresse, la désertification, ainsi que les changements climatiques.

2L’utilisation exclusive du bois comme combustible domestique présente de nombreux autres inconvénients majeurs :

  • à mesure que la déforestation progresse, le fardeau des femmes et des enfants augmente : ils doivent parcourir une distance toujours plus grande pour s’approvisionner en bois et en autres produits forestiers. Cette charge supplémentaire diminue le temps qu’ils pourraient consacrer à d’autres tâches pourtant indispensables comme l’éducation des enfants. Dans le Sahel par exemple, les femmes ont parfois à parcourir vingt kilomètres par jour pour trouver le bois nécessaire à la cuisson des aliments ;

  • avec moins de combustible, la quantité et la qualité de la nourriture diminuent ;

  • l’approvisionnement en combustible absorbe une part de plus en plus importante des revenus ;

  • enfin, les fumées dégagées sont nocives pour les yeux et les poumons. L’oms estime que un million six cent mille de femmes et d’enfants meurent prématurément à cause des fumées du bois dans des habitations mal ventilées.

3L’ensemble de ces graves contraintes liées à l’utilisation du bois par les populations réduit les perspectives d’amélioration de leurs conditions de vie.

Une innovation, le charbon vert

4Une ong, Pro-Natura1, a trouvé à ce problème une solution, qui lui a valu en 2002 le premier prix d’innovation technologique de la fondation Altran. Cette solution consiste à récupérer des résidus agricoles inutilisés ou d’autres types de biomasse renouvelable, non valorisables d’une autre façon, pour les transformer en briquettes de « charbon vert », utilisé de la même manière que du charbon de bois. On obtient ainsi un combustible domestique constitué de charbon végétal, obtenu grâce à un procédé de carbonisation original dont l’efficacité a été démontrée. Les pailles de savane, roseaux, pailles de blé, de riz, tiges de coton, de mil, cannes de maïs, balles de riz, perches de café, bambous, peuvent êtres utilisés pour fabriquer le charbon vert. Le bois peut également être carbonisé sous toutes ses formes, y compris la sciure avec un rendement quelque trois fois supérieur aux procédés de carbonisation classiques. Chaque machine pyro-7 permet de produire de quatre à cinq tonnes de charbon vert par jour. La première machine fabriquée en France est en exploitation au Sénégal dans la région de Saint-Louis depuis la fin 2007 (voir photo).

5La carbonisation de la biomasse se fait de manière continue et est suivie d’une agglomération sous forme de briquettes ou barres. L’une des originalités du procédé est que, une fois la machine  préchauffée, le processus produit sa propre énergie. L’alimentation de la biomasse, obtenue par un petit moteur électrique de faible consommation, constitue finalement la seule demande d’énergie externe du système. Ce processus est donc pratiquement autonome en termes d’énergie et son rendement (poids de charbon vert produit par rapport au poids de la biomasse à 15 % d’humidité) atteint 30 % à 45 % suivant le type de biomasse. Outre les avantages du procédé de carbonisation en cornue, le coût de fonctionnement du réacteur est réduit par la production en continu. Ce procédé permet aussi d’obtenir un rendement énergétique optimum, grâce à l’excellente maîtrise de la combustion des gaz de pyrolyse assurant l’autonomie de fonctionnement du réacteur. La combustion complète des gaz de pyrolyse permet non seulement d’avoir en permanence une température de carbonisation avoisinant les 550° C pour une biomasse ayant une humidité de 15 % maximum, mais aussi de produire de 120 à 150 kw de chaleur pour le préchauffage d’un second réacteur et le fonctionnement d’un séchoir, ainsi que pour le chauffage de serres ou d’autres installation.

6Après carbonisation, une agglomération de ces fines de charbon est nécessaire pour faciliter la combustion et le transport. Pour ce faire, on mélange la fine de charbon vert avec un liant —  amidon, gomme arabique, mélasse ou argile. Les briquettes humides passent ensuite dans un séchoir pour en éliminer l’eau, de sorte qu’elles sont assez solides pour pouvoir être utilisées dans les fourneaux et foyers domestiques.

Charbon vert et augmentation de la productivité agricole

7La fertilisation du sol par le charbon de bois est une pratique ancestrale adoptée il y a plus de sept mille ans par les Indiens précolombiens des régions amazoniennes. D’après les études les plus récentes, les enrichissements que ces derniers appliquaient à leurs champs consistaient principalement en un mélange varié de matières carbonées (comme le charbon de bois, appelé biochar ou agrichar dans ce contexte) et de déchets organiques, ayant mené à la formation d’une terre très particulière de couleur sombre et d’une remarquable fertilité, la Terra Preta.

8Les propriétés de ces sols ont été conservées jusqu’à nos jours, et récemment découvertes par la communauté scientifique qui accorde désormais au biochar un intérêt croissant. De nouvelles recherches ont ainsi montré que la grande fertilité de la Terra Preta résulte principalement de la présence de nombreuses particules carbonées qui agissent comme un « nid » facilitant la fixation d’eau et de nutriments et le développement d’une riche population de microorganismes, eux-mêmes responsables d’une meilleure croissance et résistance des plantes. Cela explique également pourquoi la fertilité optimale est en fait obtenue en combinant un enrichissement par du biochar avec une fertilisation complémentaire traditionnelle (compost, fumier...), apportant les micro-éléments essentiels qui s’y logeront.

9Si la durée exacte de la rétention du carbone par la Terra Preta reste toujours entourée de mystère, les sols retrouvés prouvent que cette longévité peut facilement atteindre plusieurs milliers d’années, ce qui permet de les considérer comme de véritables « puits de carbone », capables d’apporter une solution efficace, propre et durable aux problèmes de changements climatiques en absorbant et en stockant sous forme de carbone l’excès de co2 de l’atmosphère.

10Face à ce constat et aux nombreux résultats très positifs d’expérimentations réalisées au cours des dernières années à travers le monde avec du biochar, Pro-Natura a décidé de promouvoir l’utilisation de son charbon vert comme biochar et a lancé en 2008 un projet pilote sur son site principal de production de charbon vert à Ross Bethio, Sénégal. Pro-Natura procure aux cultivateurs participant au projet le biochar produit localement, et leur offre des sessions de formation et des avantages financiers destinés à faciliter l’adoption de pratiques agricoles durables basées sur l’utilisation de biochar et de fertilisants biologiques. Outre leurs bénéfices directs pour les cultivateurs, ces opérations contribuent également à la recherche scientifique puisqu’elles sont supervisées par des spécialistes du sol reconnus dans la communauté scientifique travaillant sur le biochar. Parallèlement à ses activités de terrain, Pro-Natura fait également la promotion du biochar sur la scène internationale des grandes négociations relatives aux changements climatiques et la pauvreté rurale, et a présenté à ce titre sa technologie et ses projets lors de la Deuxième Conférence Internationale sur le Biochar qui s’est tenue à Newcastle en septembre 2008.

Charbon vert et lutte contre les changements climatiques

11Le réacteur fonctionne sans émissions de gaz à effet de serre autres que le gaz carboniquerecyclé dans le processus de régénération de la biomasse renouvelable. Le charbon vert présente les avantages suivants :

  • il évite la pression sur les forêts par la substitution d’autres biomasses renouvelables à la place du bois. Cette déforestation évitée représente une séquestration de carbone additionnelle par rapport au scénario de référence ;

  • il évite la combustion en plein air de résidus agricoles traditionnellement pratiquée, ce qui permet de réduire les émissions de co2, nh4 et n2o ;

  • il élimine les émissions de méthane dues à la production traditionnelle de charbon de bois. Cette technologie améliore considérablement l’efficacité de la carbonisation (30-45 %) par rapport aux méthodes traditionnelles (10-15 %).

12Les réductions d’émissions de gaz à effet de serre induites par l’utilisation de charbon vert comme combustible domestique ont déjà été évaluées et validées comme crédits-carbone commercialisables sur les marchés volontaires du carbone. Pro-Natura souhaite désormais faire également valider les crédits-carbone liés à la séquestration de carbone par l’ajout de biochar dans le sol. La vente de ces crédits-carbone constituerait une source complémentaire de revenus permettant de reproduire cette approche dans d’autres régions marquées par la pauvreté rurale et dangereusement menacées par les changements climatiques.

13Grâce à cette stratégie, il devient possible de rendre le bilan carbone globalement négatif (en retirant de l’atmosphère davantage de co2 qu’il n’en est émis) tout en luttant efficacement contre la pauvreté et la crise alimentaire par l’augmentation durable et à moindre coût de la productivité des terres et la réduction de la dépendance aux engrais chimiques chers et polluants.

Notes de bas de page numériques

1  Fondée au Brésil en 1986, Pro-Natura est l’une des premières organisations non-gouvernementales des pays du Sud à s’être internationalisée : à la suite de la Conférence de Rio en 1992 est née Pro-Natura International dont le siège est à Paris. Elle mobilise plus de 400 bénévoles de haut niveau sur des programmes d’action dans les pays du Sud, liant la lutte contre la pauvreté à la conservation de la biodiversité et à la mobilisation contre les changements climatiques.

Pour citer cet article

Guy Reinaud, « Le charbon vert », paru dans Alliage, n°64 - Mars 2009, Le charbon vert, mis en ligne le 31 juillet 2012, URL : http://revel.unice.fr/alliage/index.html?id=3416.


Auteurs

Guy Reinaud

Diplômé de l’École centrale de Paris, il a travaillé dans des postes de direction générale au sein de l’entreprise chimique anglaise ICI. Il a également représenté la chimie internationale à  la conférence de Rio en 1992, et par la suite, a transformé l’ONG brésilienne Pro-Natura en créant l’association Pro-Natura International basée à Paris (www.pronatura.org/). Il est aussi administrateur de nombreuses organisations travaillant dans le domaine de la responsabilité sociale