Loxias-Colloques |  2. Littérature et réalité 

Elaheh Salehi Rizi  : 

Les jeux entre la réalité et la fiction dans le roman : On s’y fera de Zoyâ Pirzâd

Résumé

Le roman est un assemblage d’éléments imaginaires et réels et il n’est toujours pas facile de distinguer la réalité de la fiction dans un roman puisque la frontière entre ces deux est floue. Zoyâ Pirzâd, l’écrivaine iranienne contemporaine, dans son roman On s’y fera, à travers une histoire fictive reposant sur une intrigue amoureuse entre des personnages inventés dont les pensées nous sont livrées, essaie de décrire la réalité vécue dans la société iranienne de son époque. Elle choisit ses sujets dans les classes moyennes ou populaires, et aborde des thèmes comme le travail salarié, les relations conjugales, et la condition de la femme en Iran, l’auteur s’inspirant des réalités de son entourage et de ses propres expériences. Dans son œuvre, la réalité et la fiction se mêlent pour créer un univers vraisemblable.

Index

Mots-clés : femme , fiction, imagination, invention, Pirzâd (Zoyâ), réalité, roman

Plan

Texte intégral

1Le roman se définit comme une « œuvre en prose d’une certaine longueur où l’on distingue une "histoire" fictive entre des personnages, eux-mêmes plus ou moins inventés1. » Dans cette courte définition due à Jacqueline Villani, les deux mots « fictive » et « inventée » attirent l’attention des littéraires. Dans un roman, il n’est toujours pas facile de distinguer la réalité de la fiction puisque la frontière entre ces deux est floue. Certains définissent le roman comme le mouvement de la fiction vers la réalité, si bien qu’on constate un équilibre entre ces deux termes et le roman réaliste essaie de réduire leur distance. Mais comment le roman pourrait-il simultanément représenter la réalité et dépendre de la fiction en divertissant le lecteur et en lui présentant les sujets loin de la réalité ? Tel est le postulat d’ensemble de cet article.

2Le roman On s’y fera de Zoyâ Pirzâd est l’histoire de la vie d’une femme divorcée et indépendante qui a à sa charge sa fille, Ayeh, et sa mère, et qui dirige une agence immobilière avec sa meilleure amie. Elle tombe amoureuse d’un de ses clients qui lui manifeste de l’intérêt, mais ses proches ne supportent pas son intention de se remarier. Ce qui nous intéresse dans l’étude de ce roman, c’est de savoir si Pirzâd privilégie l’invention de l’imaginaire ou accorde la priorité à la présentation de la réalité sociale et culturelle pour les lecteurs iraniens afin de se reconnaître dans les faits actuels et réels et pour les lecteurs étrangers afin de découvrir un pays dont les dynamiques socioculturelles ne leur sont pas encore très familières. Quels sont les jeux entre la fiction et la réalité, l’exagération et la vérité dans son roman ? Et comment se penche-elle sur la réalité de son époque à travers les éléments fictifs ?

I. Le roman : une fusion de l’imagination et la réalité

3Le roman est un amalgame de la réalité et la fiction, et l’univers imaginé et l’environnement de réel sont étroitement associés l’un à l’autre. Conformément à la définition de Bernard Valette, le roman admet « la présence d’un récit d’événements réels ou fictifs2 », et il précise que « sous l’influence des récits allégoriques (tels que le Roman de la Rose), des romans héroïques ou des thèmes de Chevalerie (l’Amadis de Gaule), le concept semble avoir très rapidement évolué en direction de l’idée de fiction3. » Mais qu’est-ce que la fiction ? Yves Reuter la définit ainsi dans son livre Analyse du récit : « l’histoire et le monde construits par le texte et n’existant que par les mots, ses phrases, son organisation, etc., et le référent, c’est-à-dire le "hors texte" : le monde réel (ou imaginaire) et nos catégories de saisie du monde qui existent en dehors du récit singulier mais auxquels celui-ci renvoie4. »

4Afin de construire l’univers fictif, le romancier tente d’intégrer dans son roman une histoire, des personnages et des événements imaginaires. Sans l’imagination, le roman se transforme en un mémoire, en un reportage, en un compte rendu, ou en un documentaire. Dans cette optique, ajoutons que :

L’approche sémantique de la fiction cherche à définir le type de monde que constituent les univers fictifs. On remarquera tout d’abord que les univers fictifs sont des univers secondaires ; ils ne sont pas pensables indépendamment d’un premier monde, réel, sur lequel ils s’appuient… Il peut comporter des propriétés qui en font un monde impossible – un monde, par exemple, dans lequel on peut dessiner des cercles carrés5.

5Ces cercles carrés seraient les indices de fictionnalité, qui se voient parfois manifestement dans le roman. En vue de nous concentrer sur ces indices, notons premièrement que « c’est seulement dans la fiction que nous pouvons pénétrer dans les détails de l’intériorité d’un personnage comme si nous y étions. Dans aucune situation réelle, nous n’avons accès aux pensées d’autrui (sauf s’il nous les confie) et nous ne pouvons les décrire avec le luxe de détails que nous procure la fiction6. » Dans On s’y fera, nombreux sont les exemples de l’intériorité dans la pensée du personnage principal c’est-à-dire Arezou Sarem. L’histoire racontée à la troisième personne, par un narrateur extradiégétique et hétérodiégétique, nous permet d’apprendre les pensées et les sentiments de ce personnage par l’intermédiaire de verbes comme « penser7 », « se dire » (p. 136), « se demander » (p. 178), « ruminer » (p. 127), « en ruminant » (p. 136), « songea-t-elle » (p. 254), « Arezou se mit à hurler intérieurement » (p. 128). Et parfois nous sommes informés des pensées d’Arezou sans aucune explicitation préalable :

Elle caressa de la main le cadre de la photo de ses parents posés sur la coiffeuse : – Qu’est-ce qui est vraiment réel ? J’ai du plaisir à être en compagnie de cet homme, à lui parler. Mais… sans doute est-ce Ayeh qui a raison. Peut-être bien que j’ai eu peur. Je crains encore ma mère. Elle passa un doigt sur le verre de la photo. « Pourquoi ? » son doigt enleva la poussière et le rire de ses parents devient plus éclatant. (p. 158)

6Dans certains cas, ce qui vient à l’esprit d’Arezou, c’est la même chose qui se répète après exactement par sa bouche ou celle d’autrui : « En fait, il faut que je me dépêche », songea-t-elle. – En fait, il faut que je me dépêche. » (p. 254). Les pages du blog d’Ayeh, sont une autre manière d’apprendre les pensées des personnages. Elle s’exprime sur ses problèmes, sur ses sentiments, à propos des événements récents de sa vie. Selon Kate Hamburger, « dès qu’on entre dans la description de processus intérieurs ou de pensées, on entre nécessairement dans le présent d’une conscience fictive et c’est autour du présent de cette conscience fictive que se disposent les déictiques, tandis que le passé demeure comme une pure marque de fictionnalité8. » D’une manière approchante Dorrit Cohn indique :

Ils [actes de parole « naturels »] passent littéralement sous silence les moments de fiction à la troisième personne qui ne trouvent pas place dans leur modèle : notamment ceux qui écrivent la vie en tant qu’elle est vécue dans le secret de la conscience d’un personnage. Nous avons de toute évidence instamment besoin d’un autre modèle, qui tienne davantage compte de notre expérience, commune lors de la lecture des romans à la troisième personne, de lire dans les pensées d’autrui, et qui soit capable de réveiller notre capacité d’émerveillement face à cette expérience singulière et d’accroître notre prise de conscience théorique de son caractère unique9.

7Dans la création de ses personnages, Pirzâd peut déformer la vraisemblance en attribuant à certains un grand nombre des bonnes qualités. Cette exagération concerne particulièrement le personnage de Sohrab Zardjou, le marchand des serrures. Cet homme est incroyablement parfait. Il est honnête, gentil, très généreux et profite de toutes les occasions pour rendre service aux autres. Dans l’exemple de la famille de Tahmineh, il les aide clandestinement pour la psychothérapie du frère de celle-ci et pour le traitement de sa mère ; il fait l’aumône au balayeur dans la rue. Sohrab Zardjou a abandonné ses études en médecine à l’étranger en cours de route. Il explique ses intentions : « Je pense que tout à coup j’ai réalisé que je n’avais pas envie de faire de l’argent sur le dos des gens10. » Sohrab devient si proche d’Arezou qu’il peut deviner ses paroles avant qu’elle ne les exprime. Il a le bras long, de sorte que « si on se contentait de prendre rendez-vous par téléphone, on pouvait en espérer un dans les six mois, alors que si Zardjou intervenait, on l’aurait dans les deux jours maximum » (p. 132). Quel que soit l’endroit où il entre, tout le monde le connaît, et tout le monde l’aime. La mère de Tahmineh déclare : « Que Dieu garde monsieur Zardjou dans sa généreuse disposition. Il est expert en tout » (p. 245). Sohrab, le frère de Tahmineh, l’atteste en disant : « Monsieur Zardjou est un homme bien… » (p. 140). Pour sa générosité, Shirine, l’amie d’Arezou, l’appelle « Hatam Taï-Casanova » (p. 185) et pour Arezou il ressemble à « James Bond » (p. 247). Arezou exprime son approbation en disant : « Il ne ressemble à aucun des hommes que j’ai vus jusqu’ici. À aucun autre, et pourtant… il n’a rien fait de choquant. » (p. 202). Elle insiste encore : « Sohrab n’est pas comme les autres » (p. 288). En effet, l’objectif de Pirzâd est de présenter un homme parfait tel que la femme l’a recherché à toutes les époques. Selon Shirine « de Mandjil jusqu’en Alaska, les femmes aiment toutes la même chose » (p. 110), et cette chose se réfère exactement à un homme idéal comme Sohrab dont les qualités idéales convainquent Arezou de se remarier et en même temps écartent le roman de la réalité en présentant une figure dont la réplique n’existe pas dans la réalité. Agnès Séverin dans le magazine Le Figaro explique ainsi :

Les héroïnes de Zoyâ Pirzâd sont tellement coupées des hommes que, quand en surgit un, elles raillent son langage ou sa coupe de cheveux avant de concéder qu’il a du charme. Cet homme, c’est Sohrab Zardjou, un client de l’agence un peu trop assidu pour être honnête. Voilà d’ailleurs qu’il se met à faire la cour à Arezou, une cour tendre et discrète, à laquelle elle succombe11

8En plus, Sohrab est considéré comme les personnages conventionnels des récits anciens dans lesquels les protagonistes sont absolument bons ou absolument mauvais. Ainsi l’exemple de ce personnage est Youssef dans le roman Savuchune de Simin Dâneshvar. Il est le chef de ses ouvriers, c’est un intellectuel qui s’appuie sur les valeurs nationales, il refuse d’augmenter le taux de famines et de vendre des provisions de son propre pays aux étrangers. Samira Fakhâriyân l’explique ainsi :

Il est un des grands propriétaires fonciers de la région. Celui-ci est un homme juste et libéral et ne peut supporter l’injustice et le malheur de ses paysans et des hommes qui dépendent de lui. Il repousse l’offre d’achat que lui fait l’armée d’occupation pour la récolte de l’année et ce refus met en branle une chaîne d’événements qui mènent à la fin tragique de l’histoire12.

9L’attribution de ce grand nombre de qualités à un personnage rend le roman moins réel. Sur ce point, on peut ajouter avec Edith Wharton que :

Dans tous les genres de romans les personnages principaux sont souvent les moins réels. Cela peut en partie s’expliquer par le fait que ces personnages, descendants des « héros » et « héroïnes » d’autrefois, dont le rôle était de paraître, non pas réels, mais sublimes, sont encore, même si parfois leur auteur n’en a pas conscience, les porte-paroles de ses idées ou les incarnations de ses tendances secrètes13.

10Comme on le voit, l’existence des personnages imaginaires dans le roman prouve les éléments fictifs. Gérard Genette dans son livre Fiction et Diction l’explique : « Dans la fiction nous avons affaire… à des énoncés fictionnels dont le véritable "je-origine" n’est pas l’auteur ni le narrateur, mais les personnages fictifs. » et il ajoute que « l’énonciateur putatif d’un texte littéraire n’est donc jamais une personne réelle, mais ou bien (en fiction) un personnage fictif14»

11Néanmoins, il y a parfois des modèles de ces personnages fictifs dans la réalité concernant le monde fréquenté par l’auteur. Zoyâ Pirzâd s’est beaucoup inspirée des personnages réels. Elle l’atteste ainsi : « les relations et les conflits entre les personnages viennent de ce que j’observe dans la vie de tous les jours, et je laisse mon imagination construire les situations15», de la même façon que Stendhal, qui « entend fonder la fiction sur l’étude du vrai et copier les personnages et les faits d’après la nature16. »

12Selon cette affirmation d’Edith Wharton qu’« aucun écrivain ne peut s’empêcher, surtout au début de sa carrière, d’être influencé par la nature de public qu’il attend17. ». Pirzâd s’est aussi inspirée de ce dont elle était le témoin, surtout ce qu’elle a constaté dans les films classiques. Elle explique sa manière de voir le monde et celle de le refléter dans ses œuvres dans son interview avec le journal Courrier international :

Quand j’écris, je vois la scène qui se déroule. Je veux que mon lecteur la voie aussi. Cela vient sans doute aussi beaucoup du fait que mon écriture est fondée sur l’observation. J’observe beaucoup, les gens qui me parlent ou quand je fais la queue à la banque par exemple, et je saisis forcément quelque chose. Lorsque j’écris, je me projette moi-même dans la scène, c’est ainsi que cela fonctionne18.

13Effectivement, le romancier doit présenter les événements fictifs de manière à ce que le lecteur croie être en face d’une série des éléments réels ou vécus de son auteur, et « la fiction doit donc créer une impression de réel : l’individu à qui la fiction s’adresse doit pouvoir croire, pendant un temps limité, que ces faits sont possibles19. » Dans cette perspective, tous les éléments présents dans la fiction ne sont pas imaginaires, on peut trouver leur exemple dans la réalité. Selon Yves Reuter : « on parlera donc de la fiction d’un récit, que l’histoire soit vraie ou fausse, réelle ou imaginaire, etc.20 ». En fait, « le monde de la fiction a besoin de nos expériences réelles, et de nos représentations mentales tirées de la réalité, pour prendre une consistance imaginaire et affective21. » Edith Wharton affirme ainsi le rôle de l’expérience dans la fiction :

Quant à l’expérience, intellectuelle et morale, même si elle est restreinte, l’imagination créative peut en tirer un grand parti, à condition de la conserver assez longtemps en tête pour la méditer comme il convient. Un cœur bien brisé fournira au poète un grand nombre de poèmes, et au romancier toute une série de romans. Mais il faut avoir un cœur capable d’être brisé22.

14Il est évident que l’auteur parle parfois de ses propres expériences, même très anciennes, qui lui donnent l’idée d’écrire. Dans l’exemple de Pirzâd, elle suscite ses souvenirs d’enfance dans son autre livre, Un jour avant Pâques. Etant arménienne dans une société musulmane, elle a eu une enfance un peu particulière, dans les écoles propres aux élèves musulmans. Et dans C’est moi qui éteins les lumières elle parle des expériences de sa vie dans un quartier des Arméniens d’Abadan ; dans On s’y fera, elle évoque sa vie dans les différents quartiers de Téhéran, différent l’un de l’autre, afin de monter un profil de la vie d’une femme dans les différentes étapes de sa vie. En effet, l’auteur s’inspire de ses propres expériences, elle détourne la réalité de sa vie en attribuant aux personnages des événements ou parfois ses propre caractéristiques.

15Dans ce roman, Pirzâd manifeste une passion minutieuse envers les détails. Elle décrit les événements, les mouvements, les personnages d’une façon détaillée. Son attention envers la couleur, la taille, la grandeur, la petitesse, même les traits caractéristiques de ces personnages soit physiques soit moraux, est bien remarquable. À plusieurs reprises, la narration s’interrompt pour laisser place à ces descriptions. L’auteur emploie un vocabulaire précis et imagé et un grand nombre des adjectifs qualificatifs et des groupes nominaux. En voici quelques exemples :

De taille moyenne, vêtue d’un manteau droit de couleur grise, elle se dirigeait vers un magasin à double porte d’entrée. (p. 8)

Elle avait mis du vernis à ongle couleur crème… ses ongles étaient courts, sans vernis. (p. 28)

Arezou observa les yeux verts, semblables à deux grains de raisin. Elle cligna de l’œil, admira la chaîne en or avec son pendentif en émeraude. (p. 65)

16Chez Pirzâd ces descriptions ne sont pas sans valeur. Elle explique :

Lorsque l’on décrit une maison, on montre le caractère de son personnage. Si on trouve dans mes nouvelles un appartement surchargé, où il y a par exemple un chauffage électrique et une cheminée, on sait que l’on se trouve dans une famille de nouveaux riches de Téhéran. Les choses ont davantage d’impact lorsqu’on les dit de manière indirecte. Les personnages peuvent aussi donner des informations sur eux-mêmes à travers les dialogues23.

17Selon Pirzâd, ces descriptions donnent des renseignements exacts sur la vie et les caractéristiques des personnages. À l’instar de son personnage Arezou, Pirzâd observe attentivement autour d’elle. Elle explique cette attention envers ce qu’elle observe : « J’aime les petites histoires, les petites choses de la vie que j’utilise pour créer une atmosphère. Les détailles sont très importants. J’observe beaucoup. Je peins pour le lecteur, je lui donne à voir, comme un cinéaste….24 ».

18Pourtant elle ne se borne pas à décrire seulement les personnages avec cette exactitude : dans la description, elle s’occupe d’exprimer les détails des lieux et des bâtiments.

Des volets verts en bois, une façade toute en brique Bahmani. (p. 11)

Elle reposa le téléphone sur la table et regarda Shirine, toujours absorbée dans sa contemplation du parc. Le rouge du banc faisait une tache vive sur le brun des arbres dénués et le gris du ciel. Le cygne – ou le canard – au milieu du bassin, était d’un mauve soutenu. (p. 32)

Devant elle, au centre du parc, se dressait une grande maison de pierre blanche flanquée d’une vaste véranda soutenue par de fines colonnes torsadées. (p. 92)

19Ainsi Pirzâd présente les traits caractéristiques des objets et des lieux. L’auteur montre aussi une grande conscience pour enregistrer les noms des rues et des quartiers de Téhéran. Comme les quartiers : Farmanieh (p. 8), Elahieh (p. 82), Baharestan (p. 111), Hassan-Abad (p. 116), Sar-Thechmeh (p. 136), Gholhak (p. 145), Zafaranieh (p. 160), Gheytarieh (p. 304), Amin-Hozur (p. 320), Tajrish (p. 48), et Baghe melli (p. 186), le parc national à côté duquel il se trouve le ministère des affaires étrangères (p. 236), la place Toup- khaneh (p. 125), près de l’avenue Sepah (p. 186), l’avenue Shariati (p. 149), Shemiran (p. 140), Pol-e Roumi (p. 187), rue Manouchehri (p. 63), le lycée Alborz (p. 140), le collège Jeanne d’arc (p. 140). Elle cite le nom de villes en Iran comme Naïn (p. 238), Ispahan (p. 105), Téhéran (p. 238), Boroujerd (p. 160), Kerman (p. 314), Mandjil (p. 107), Racht (p. 107), Mashhad (p. 258), Tabriz (p. 46), Lighvan (p.130), et les villes à l’étranger comme Paris (p. 43), Limoges (p. 42), Los Angeles (p. 39), Dubaï (p. 131), les montagnes comme les Alpes (p. 15), les pays comme Biélorussie (p. 131), France (p. 41), Suisse (p. 19), Italie (p. 58), Amérique (p. 123), Alaska (p. 110).

20Dans le roman on relève le nom de nombreuses personnes réelles littéraires, historiques, religieux ou d’artistes, iraniens ou étrangers. Les Iraniens comme Forough Farrokhzad (p. 229) (la poétesse iranienne), Zoroastre (p. 298) (prophète religieux perse qui fonda le zoroastrisme), Hatam Taï (p. 185) (compagnon de Mahomet dont la grande générosité a fait de lui une icône dans la culture arabe), Mossadegh (p. 138) (premier ministre de l’Iran de 1951 à 1953), Kashani (p. 138) (membre du clergé chiite iranien, qui joua un grand rôle dans la nationalisation du pétrole iranien dans les années 1950 en s’alliant avec Mossadegh), Nasserodinshah (p. 158) (quatrième Shah d’Iran du 13 septembre 1848 à Téhéran), Hafez et Khayam (p. 109) (poètes iraniens très célèbres). Des personnalités étrangères sont aussi citées, comme Jacques Brel (p. 90), Danielle Steele (p. 90), Melany (p. 107), Joan Baez (p. 107), Alain Delon (p. 215), Onassis (p. 215), Bill Gates (p. 215), Brad Pitt (p. 215).

21Au fur et à mesure qu’on avance dans le roman, on découvre les noms des repas iraniens. comme halim (p. 50), sabzi polo (p. 78), ghormeh sabzi (p. 78), koukou sabzi (p. 78), la soupe tarkhineh (p. 160), taskébab (p. 161), samanou (p. 323), noun-e nokhodtchis (p. 245), les gâteaux comme koloucheh (p. 112), les pains comme barbari (p. 95), lavash (p. 130). L’auteur signale quelques traditions iraniennes comme la fête de Nowrouz (p. 55) et la nappe de haftsin (p. 323), et les traditions religieuses comme le don d’un repas votif en l’honneur de l’Imam Hassan25 (p. 78).

22L’existence de ce grand nombre de noms propres et ceux des personnes réelles dans le roman, le rapproche de la réalité, permet aux lecteurs de connaître ces personnes connues dans la culture et la société et en même temps leur permet d’imaginer les scènes dans lesquelles l’histoire se passe. La référence aux noms étrangers dans le roman prouve l’essai de la romancière de découvrir d’autres cultures et en même temps montre que la culture d’un pays comme l’Iran n’est pas renfermée dans sa coquille, il y a une ouverture vers les différentes cultures pour les connaître.

23Pirzâd décrit les détails des événements avec précision. La description des détails, l’exactitude dans les comportements de ces personnages, des situations et des lieux, introduisent le lecteur dans le roman, de telle sorte qu’il sente être le témoin des événements d’une véritable vie. Cette description portée sur les détails produit un effet de réel et rapproche le roman de l’écriture réaliste. En outre, l’écrivain réaliste ne voit pas la nécessité de choisir un personnage étrange et irréel en tant que héros. Par contre, son héros est toujours choisi de façon qu’il soit le représentant du peuple et « comme le dit Jean Serroy, le roman ne vise plus à entraîner le lecteur loin des réalités, il l’y ramène au contraire constamment. La qualité de l’œuvre ne se jugera donc plus à l’ingéniosité de la fiction, mais à la justesse de l’observation26. »

24En bref, le roman joue entre la fiction et la réalité, et selon Christian Salmon, ce qui caractérise le roman c’est « un jeu perpétuel avec la frontière entre réalité et fiction27 », mais dans les œuvres réalistes, les aspects réels dominent les aspects fictifs et mènent l’œuvre vers la pure réalité.

II. La réalité sociale : le souci de l’auteur

25L’auteur rédige le roman en ayant recours aussi bien aux éléments fictifs qu’aux éléments réels en s’inspirant de ses propres expériences et de la réalité autour d’elle, mais une question est formulée par Héloïse Lhérété : « à quoi bon se passionner pour des histoires inventées de toutes pièces et pleurer sur le sort de personnages qui n’ont jamais existé ? Le divertissement n’est pas le seul apport de la littérature. Par le détour de la fiction, elle élargit notre expérience et nous offre un autre regard sur le monde et sur nous-mêmes28. » En effet, la distraction n’est sûrement pas le seul but du roman. L’auteur suit des buts plus élevés et va plus loin en reflétant les réalités autour de lui pour dresser un tableau juste et exact de ces réalités. Parfois l’auteur se penche sur la description des réalités sociales de son époque pour rendre son œuvre plus réelle. « Cela expliquerait la formule stendhalienne de la préface de Lucien Leuwen "excepté pour la mission du héros, un roman doit être un miroir" ; le héros est un carrefour normatif, plutôt un décalque du réel29. » Jacqueline Villani le met en cause dans son œuvre sur le roman :

en 1887, dans son essai intitulé Le roman, Maupassant montre que l’artiste vise non pas à une photographie banale de la vie, mais à une « vision plus complète, plus puissante, plus probante que la réalité même », ce qui le contraint à corriger les événements du profit de la vraisemblance et au détriment de la vérité30.

26À toutes les époques, un grand nombre d’écrivains ont tenté de faire allusion à la réalité contemporaine, surtout aux mœurs de leur temps, et de donner une peinture réaliste des milieux avec l’exactitude de l’analyse sociale et psychologique. Effectivement, « quoi qu’il en soit, le roman est désormais considéré comme une façon légèrement différente de témoigner du réel cependant très proche de toutes les autres manières de le faire31. »

27Dans le cas de Pirzâd, il est intéressant d’étudier sa manière de parler des réalités sociales. Dans son roman, rien n’est gratuitement choisi. Les personnages, leur âge, leur profession, le milieu qu’ils fréquentent et dans lequel ils travaillent, l’événement qui arrive à chacun d’entre eux, ne sont pas accidentels. L’auteur assigne à ses personnages les professions qui sont en rapport direct avec le peuple, surtout avec les classes défavorisées ou moyennes de la société, afin de donner un profil exact et réel du peuple en traitant leurs problèmes et leurs vies. En guise d’exemple, Arezou et Shirine comme agent immobilier et Sohrab comme vendeur de serrures.

28En vue de la visite du bureau de Sohrab, Arezou monte dans le bus sur le conseil de ce dernier. Dans cette partie de l’histoire, on aperçoit les nouvelles réalités de la vie des femmes et leurs problèmes de vie conjugale surtout ceux de la contraception ; la pauvreté et le travail des femmes. Il apparaît que l’auteur fait monter son personnage dans le bus pour quelques minutes afin de la mettre en relation étroite avec des couches vulnérables de la société. Précisons qu’en Iran, normalement ce sont les gens aux revenus moyens qui prennent le bus.

29Les problèmes des femmes sont les thèmes essentiels chez Pirzâd, elle admet dans une interview : « On s’y fera est en somme un portrait de femmes : j’écris beaucoup sur les femmes car elles sont au centre de mes préoccupations en ce moment. Le fait que les femmes soient considérées comme forcément dépendantes des hommes, c’est quelque chose qui me dérange32. » Dans cette œuvre, les femmes ne sont plus les mères dévouées et pleines d’abnégation qui se soumettent totalement au service de leur famille ou les femmes qui passent toute la journée dans la cuisine. À l’inverse, la plupart des femmes de Pirzâd, actives dans la société, travaillent et sont indépendantes financièrement. Les femmes de cette histoire jouent les rôles principaux et assument d’importantes responsabilités. Arezou, la protagoniste, Shirine, la collègue d’Arezou, Tahmineh, la jeune fille qui travaille dans l’agence, et même la femme qu’Arezou rencontre dans le bus, toutes sont des femmes qui subviennent péniblement aux besoins de leur famille.

30En traitant la question du blog d’Ayeh, l’auteur évoque les réalités très récentes de l’entrée de l’Iran dans la technologie de l’internet, et la façon qu’ont les jeunes gens de l’employer. Arezou et sa mère sont vraiment étonnées d’entendre l’histoire de la rencontre de Marjan (l’amie d’Ayeh) avec son futur mari sur l’internet, puisqu’à l’époque la plupart des Iraniens n’étaient pas complètement au courant de cette nouvelle technologie : « lequel possédait un blog ? Cette fille avec la guimpe bleue et le gilet en cuir sur la blouse courte et serrée ? Ou bien ce garçon maigre avec le catogan ? La femme au teint basané, aux yeux las, son gros sac à la main, ne savait certainement pas plus qu’elle-même ce qu’était le blog33. » Ayeh insiste sur l’importance du blog et de l’internet : « parfois je me demande ce que serait la vie sans ordinateur, sans internet et sans blog » (p. 213).

31 Dans les pages de son blog, cette dernière raconte ses problèmes à la suite du divorce de ses parents, et elle nomme son blog : le blog de l’enfant du divorce. « Ici je veux parler de choses dont je ne peux pas dire le quart à ma mère sans qu’on se dispute. Comme le divorce de mes parents » (p. 209). Et elle exprime son désaccord vis-à-vis du remariage de sa mère : « ma mère m’a volé mon enfance. C’était pas suffisant ? Maintenant, faut qu’un étranger prenne la place de papa ? j’en veux pas. Quand on a des enfants, on a plus le droit de dire « mon mari a fait ça, il a pas fait ça. » (p. 284)

32Le remariage d’Arezou est une question centrale dans le roman. D’un côté, cette dernière est la mère d’une fille de dix-neuf ans et financièrement responsable de sa fille et de sa mère, elle n’est pas très libre de ses choix. De l’autre côté, Sohrab est un très bon parti pour elle, car il est parfait, elle l’apprécie et elle l’aime. Pour la famille aisée dont vient Arezou, son divorce n’était pas un grand souci et ses conséquences sociales ne la touchent pas beaucoup. L’un des problèmes majeurs de la femme après le divorce en Iran est financier, lorsqu’elle ne reçoit pas régulièrement sa pension.L’autre problème c’est le regard de la société envers les femmes divorcées, les parents, de même, n’acceptent pas très facilement que leur fille rentre chez eux après le divorce. Même si le remariage est accepté socialement en Iran, il n’est pas très bien vu dans la plupart des familles surtout quand il y a des enfants à charge.Bien qu’aucun personnage féminin de ce roman ne soit pas traditionaliste, ils sont en désaccord avec le remariage d’Arezou. Ils considèrent qu’Arezou est « une mère » avant de lui reconnaître le droit à une existence personnelle. Ils la croient « une mère » qui au nom de ce « rôle sacré », doit laisser de côté ses désirs et ses volontés. Ce cliché des personnages féminins entraîne Arezou dans le dilemme entre le « moi » qu’elle veut être et le « moi » qu’elle doit être. En peignant Sohrab sous les traits d’un homme parfait, Pirzâd se dispense de la question du choix du prétendant : si Arezou se remarie, ce ne peut être qu’avec lui. Sa mère, sa fille, ses amies, ne peuvent lui trouver personnellement aucun défaut, ce qui dévoile la véritable question du roman, qui est celle du principe même de son remariage et des idées conformistes – voire simplement des égoïsmes – qu’il risque de remettre en cause.

33Dans cette alternative, l’auteure laisse la destinée d’Arezou au choix du lecteur. Le sens de l’expression « On s’y fera » reste ouvert : Pirzâd ne dit pas si Arezou se soumet au rôle que la société exige d’elle, si c’est Arezou qui doit s’y faire ou si, comme le suggère Sohrab, c’est la mère ou la fille qui s’y feront, si ce sont des Arezou qui s’assujettissent aux clichés ou c’est la société qui s’harmonise avec les personnages et se métamorphose au fur et à mesure.

34D’une façon générale, traitant des problèmes sociaux, Pirzâd insiste sur l’aspect positif que revêt l’entraide entre les citoyens iraniens. Par exemple, dans le but de fêter l’anniversaire de leur connaissance, Arezou et Shirine se décident d’aller dans le nord de l’Iran pour quelques jours. Dans ce voyage, Shirine, fâchée contre Arezou qui appelle continuellement sa mère et sa fille, conduit soudainement dans un parc privé : « Soudain, Shirine donna un brusque coup de volant et entra dans une grande propriété dont le portail en fer était ouvert. Arezou se cramponna au tableau de bord » (p. 91). Là, les personnages rencontrent deux enfants pauvres, « une fillette d’une dizaine d’années vint à leur rencontre, accompagnée de son jeune frère », qui sont obligés de travailler pour subvenir aux besoins financiers de leur famille. Les deux enfants étaient chaussés de sandales en plastique. Le petit garçon tenait à la main un bouquet de fleurs : « Vous voulez m’acheter des fleurs ? » (p. 93). En Iran, malgré la lutte de la société pour supprimer le travail et la pauvreté des enfants, qui sont reconnus comme des dommages sociaux, malheureusement on voit encore des enfants qui vendent des aliments ou des fleurs dans les rues, ou travaillent illégalement dans les usines. Shirine et Arezou achètent toutes les fleurs des enfants dans le chemin du Nord de Téhéran pour les aider. « Arezou s’écria : – j’espère qu’elle va leur acheter des chaussures » (p. 94). La mère d’Arezou la nomme par sa générosité et la gentillesse « Dr Mike » (p. 146), la protagoniste de la série télévisée qui met en scène un docteur de village. Dans l’exemple du problème de la toxicomanie de frère de Tahmineh, on constate l’attention accordée à ce problème par Arezou et Sohrab. Ils ne le laissent pas seul jusqu'à ce qu’il guérisse.Dans ce dernier exemple et aussi au long de texte, le problème de drogue et les difficultés des drogués pour s’en débarrasser sont évoqués par le biais de Sohrab, frère de Tahmineh. On fait connaissance aussi avec les centres de désintoxication qui contribuent à aider les toxicomanes à arrêter de se droguer et essaient de les protéger contre eux-mêmes : en séances régulières, les toxicomanes parlent de leur traitement, leur évolution et de la durée de leur lutte pour se sortir de la drogue.

35L’auteur ne néglige pas de citer les événements sociaux importants de l’époque ; car ils exercent une influence inévitable sur le comportement et la réflexion de la société ainsi que sur les médias. La guerre de huit ans entre l’Iran et l’Iraq son voisin occidental et les effets de cette guerre surtout psychologiques sont évoqués dans le roman. L’exemple est Sohrab, le frère de Tahmineh, qui était le témoin du martyre de son frère dans la guerre. C’est ce qui le conduit vers la drogue : « Son frère aîné a été exécuté. Lui-même est allé au front avec son frère jumeau. Depuis ce temps-là, Sohrab… » (p. 138). Sohrab, pour se soulager, raconte à Arezou l’histoire du martyre de son frère :

Mon frère avançait. Nous le suivons, quelques copains de régiment et moi. Sur le chemin de terre, il n’y avait que nous et les palmiers morts. C’était Esfandiyar qui avait la gourde. Nous avions soif. « Non ! dit mon frère, pas une goutte tant que nous n’aurons pas rejoint les autres, pas une goutte ! » Il rigolait. Et nous aussi : « on va te la prendre de force ! » Il se mit à courir en riant. Avant qu’on ait pu le rejoindre, cette saloperie est tombée et tout a volé en éclats. On a été projetés à terre… j’ai crié : « Frérot ! » Et je l’ai vu qui courait devant moi, la gourde à la main. Sans tête. Il courait devant, sans tête. La gourde à la main. Il n’avait plus de tête. Il courait, mais sans tête. Plus rien, plus de tête (p. 143).

36Effectivement, l’existence des personnages autour Arezou avec des problèmes comme la pauvreté, la drogue, la disparition des proches, le travail des enfants et les problèmes conjugaux des femmes, aide Arezou à voir son entourage plus exactement et à faire connaissance avec les problèmes des autres classes de la société.

37L’image de l’Iran dans ce roman est l’image d’un pays plein de contradictions ou en expansion, un pays entre la tradition et le modernisme, un pays en voie de progrès et technologie, mais une société où le remariage n’est pas encore très accepté. Comme la société, les personnages sont aussi en balance entre la tradition et le modernisme. Dans ce roman, on a affaire à trois générations. Mahmonir, la mère d’Arezou, est la représentante d’une femme de la génération précédente et en même temps montre le portrait de la femme iranienne plus traditionnelle. On voit le portrait d’une femme plus moderne avec Ayeh, la fille d’Arezou, qui est la représentante de la génération des jeunes qui ont une relation légère avec le monde réel : la fille gâtée et consommatrice qui ne pense qu’à elle-même, pour qui le luxe, la mode, les bijoux, les invitations et les soirées sont plus importants que tout. Elle est étudiante mais elle ne comprend pas trop les conséquences de ce qu’elle fait. Elle est l’exemple des filles des familles riches, elle est passionnée d’internet et de son blog qui s’épanche au sujet des problèmes personnels de sa vie pour les étrangers derrière le masque d’une identité virtuelle. Ses exigences sont au-delà de ce que la famille peut lui assurer. Dans les pages de son blog, on fait connaissance avec ces nouvelles générations, leur façon de parler et d’écrire, leur manière en fait de communication et leurs distractions.

38Arezou, quant à elle, n’est pas légère, elle pense profondément aux réalités sociales de ses contemporains et à des sujets plus importants que luxe et bijoux. Elle se situe entre la tradition et le modernisme. D’une part, elle fait attention à ce qui appartient au passé et à des bâtiments très anciens, et elle regrette de les voir démolir : « D’ici une semaine il aura détruit la jolie maison et avant six mois, il aura construit une tour à colonnes grecques. Dieu sait de quelle couleur sera le granit cette fois ! Quel dommage ! » (p. 11). D’autre part, elle trouve un ami et elle pense à se remarier. Elle se comporte comme une femme européenne : elle ne s’occupe pas des traditions, elle exerce un métier plutôt masculin, et au contraire de la plupart des femmes iraniennes qui préfèrent passer leur temps chez elles, elle sort beaucoup. La plupart des scènes des romans se passent à l’extérieur de la maison, dans le bureau, dans les magasins et dans les restaurants.

39L’autre renvoi de l’auteur à la tradition est l’application des noms historiques et anciens dans le roman. Elle emploie les prénoms – masculins et féminins – tirés d’un livre très connu et estimable, intitulé « Shahnameh », « Livres des rois ». Les prénoms comme : « Esfandiar (p. 32), Sohrab (p. 33), Tahmineh (p. 9), Roudabeh (p. 317), Maziar (p. 139), Rostam (p. 74) Dans l’avertissement de l’édition française de On s’y fera, le traducteur Christophe Balaÿ interprète l’emploi de ces prénoms : « Ce n’est sans doute pas fortuit. Culturellement cela peut marquer soit le milieu social, soit les idées d’une famille (son rapport à l’histoire de la nation iranienne.) » (p. 6). Mais dans le roman, « la distinction entre un mode de vie traditionnel et un mode de vie moderne n’est pas si évidente. Dans On s’y fera, la famille et les amis de la protagoniste sont plutôt modernes. D’autres sont plus conservateurs. Mais chacun possède un peu des deux types de vie dans son quotidien34. »

40De même que « l’écrivain est "témoin" de son époque, ni plus ni moins que l’historien ou le journaliste dont il hérite alors certaines contraintes35 », Pirzâd, dans On s’y fera, brosse un tableau de la culture iranienne. En effet, « [l]es œuvres disent ce qu’elles vivent de leur temps. Leur apparition, le prodigieux effort de formulation dont elles sont le lieu, sont multiplement tissés avec ce temps où elles sont expressément localisées36. » Concernant la fin du roman, l’auteur ne précise pas définitivement l’issue de l’histoire et permet au lecteur de l’imaginer. Aussi, en se demandant ce que représente pour lui la meilleure décision pour Arezou, le lecteur devra réfléchir aux situations et à la condition des femmes comme elle dans la société iranienne. Le lecteur ne pensera pas seulement à la décision d’Arezou, mais aussi à toutes les réalités sociales qui sont mentionnées dans le roman. Pirzâd cherche surtout à faire évoluer les mentalités des femmes en Iran en leur donnant un exemple de femme qui agit différemment et sort des personnages féminins iraniens stéréotypés. La femme qui assume bien son rôle en tant que mère et fille, et pense aussi à sa propre vie. La femme qui assume bien son rôle de femme au foyer et en même temps travaille et dirige une agence immobilière, métier que lui a légué son propre père, ce qui contribue à équilibrer les conceptions entre hommes et femmes.

41Et pour tout dire, comme l’indique Claude Duchet, « construction esthétique idéologiquement structurée, la société du roman ne cesse de lire la société37 » : l’auteur cherche à donner une peinture réelle de la société et en même temps, à donner celle de la culture de pays.

Conclusion

42Pour conclure, on peut dire qu’On s’y fera comme les autres romans, est un assemblage des éléments imaginaires et réels. L’auteur profite de l’imagination pour lancer l’histoire et la dérouler afin de faire suivre le lecteur. Elle invente des personnages, des événements, une intrigue amoureuse, et par lesquels elle a en vue de présenter les réalités sociales de l’époque. Elle conçoit l’œuvre comme un miroir et non pas comme un moyen de distraction ou un feuilleton que les lecteurs lisent pour passer le temps. L’ambition de Zoyâ Pirzâd est d’effectuer une étude exhaustive et détaillée sur la société de son temps. Ainsi, elle a développé une bonne connaissance de la vie sociale et un sens vif de l’observation, talents qui lui ont permis de traiter tant de sujets sociaux. Exactement comme les écrivains réalistes qui cherchent à dépeindre la réalité telle qu’elle est, et choisissent leurs sujets dans les classes moyennes ou populaires, et abordent des thèmes comme le travail salarié, les relations conjugales. Pirzâd désigne ses personnages parmi les gens qui sont en relation avec toutes les classes de la société, surtout les classes moyennes. Corrélativement, le livre dresse le portrait de la femme iranienne plus traditionnelle avec la mère d’Arezou et celui de la femme plus moderne avec sa fille, Arezou est comme un trait d’union entre la tradition et le modernisme. L’universalité des situations des femmes, de l’histoire des couples et également la connaissance avec un pays qui n’est pas encore très connu dans le monde entier, encouragent les lecteurs à lire ce roman afin de pénétrer dans la société iranienne et la découvrir.

Notes de bas de page numériques

1  Jacqueline Villani, Le Roman, Paris, Belin, 2004, p. 7.

2  Bernard Valette, Le Roman. Initiations aux méthodes et aux techniques modernes d’analyse littéraire, Paris, Nathan, 1992, p. 15.

3  Bernard Valette, Le Roman. Initiations aux méthodes et aux techniques modernes d’analyse littéraire, Paris, Nathan, 1992, p. 15.

4  Yves Reuter, Analyse du récit, Paris, Dunod, 1997, p. 11-12.

5  Laurent Jenny, « Méthodes et problèmes, la fiction », mise en ligne 2003, consulté le 28 avril 2012, www.unige.ch/lettres/framo/ensegnements/methodes/fiction/index.html

6  Laurent Jenny, « Méthodes et problèmes, la fiction », mise en ligne 2003, consulté le 28 avril 2012, www.unige.ch/lettres/framo/ensegnements/methodes/fiction/index.html

7  Zoyâ Pirzâd, On s’y fera, Téhéran, Nashr-e Markaz, 2004, trad. Christophe Balaÿ, Paris, Zulma, 2007, p. 127.

8  Laurent Jenny, « Méthodes et problèmes, la fiction », mise en ligne 2003, consulté le 28 avril 2012, www.unige.ch/lettres/framo/ensegnements/methodes/fiction/index.html

9  Dorrit Cohn, Le Propre de la fiction, [The Johns Hopkins University Press, 1991], trad. Claude Harry-Shaeffer, Paris, Le Seuil, 2011, p. 42.

10  Zoyâ Pirzâd, On s’y fera, p. 144.

11  Agnès Séverin, « Danse du tapis à Téhéran », Le Figaro, 18 octobre 2007.

12  Simine Dâneshvar, « La première grande femme écrivaine iranienne » (II) par Samira Fakhâriyân, septembre 2008, consulté le 16 septembre 2012, http://www.teheran.ir/spip.php?article785.

13  Edith Wharton, Les Règles de la fiction, trad. Jean Pavans, Paris, Viviane Hamy, 2006, p. 114.

14  Gérard Genette, Fiction et diction, Paris, Le Seuil, coll. Poétique, 1991, p. 22.

15  Ariane Naziri, « Interview de Zoya Pirzad, Fenêtre sur l’Iran », août 2007, consulté le 6 mars 2012, http://www.evene.fr/livres/actualite/interview-zoya-pirzad-on-y-fera-iran-936.php.

16  Michel Raimond, Le Roman, Paris, Armand Colin, Cursus, 1998, p. 46.

17  Edith Wharton, Les Règles de la fiction, trad. Jean Pavans, Paris, Viviane Hamy, 2006, p. 35.

18  Zoyâ Pirzâd, « Je cherche la simplicité et la justesse », Propos recueillis par Hamdam Mostafavi, Courrier international, 30 octobre 2009.

19  « Fiction », consulté le 20 mai 2012 :http://fr.wikipedia.org/wiki/Fiction .

20  Yves Reuter, Analyse du récit, Paris, Dunod, 1997, p. 12.

21  Laurent Jenny, « Méthodes et problèmes, la fiction », mise en ligne 2003, consulté le 28 avril 2012, www.unige.ch/lettres/framo/ensegnements/methodes/fiction/index.html

22  Edith Wharton, Les Règles de la fiction, trad. Jean Pavans, Paris, Viviane Hamy, 2006, p. 35-36.

23  Zoyâ Pirzâd, « Je cherche la simplicité et la justesse », Propos recueillis par Hamdam Mostafavi, Courrier international, 30 octobre 2009.

24  « Zoyâ Pirzâd, peintre des petits riens iraniens », Ouest France, 21 juin 2009.

25  Deuxième imam des chiites.

26  Michel Raimond, Le Roman, Paris, Armand Colin, coll. Cursus, 1998, p. 44.

27  Christian Salmon, « Tombeau de la fiction », décembre 1999, consulté le 5 juin 2012, http://www.peripheries.net/article244.html

28  Héloïse Lhérété, « Pourquoi lit-on des romans », 30 octobre 2010, consulté le 25 mai 2012, www.scienceshumaines.com/la-litterature-fenetre-sur-le-monde_fr_382.htm

29  Philippe Hamon, Texte et idéologie, Paris, PUF, 1997, p. 91.

30  Jacqueline Villani, Le Roman, Paris, Belin, 2004, p. 17 ; citant Maupassant, préface de Pierre et Jean, Romans, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », p. 709.

31 Jean-Pierre Balpe, « Réalité-fiction-roman », 1er septembre 2007, consulté le 3 juin 2012, http://hyperfiction.blogs.liberation.fr/hyperfiction/2007/09/rait---fiction-.html

32  Zoyâ Pirzâd, « Je cherche la simplicité et la justesse », Propos recueillis par Hamdam Mostafavi, Courrier international, 30 octobre 2009.

33  Zoyâ Pirzâd, On s’y fera, p. 217-218.

34  Ariane Naziri « Interview de Zoya Pirzad, Fenêtre sur l’Iran », août 2007, consulté le 6 mars 2012, http://www.evene.fr/livres/actualite/interview-zoya-pirzad-on-y-fera-iran-936.php

35  Jean-Pierre Balpe, Réalité-fiction-roman, 1er septembre 2007, consulté le 3 juin 2012, http://hyperfiction.blogs.liberation.fr/hyperfiction/2007/09/rait---fiction-.html

36  Jacques Neefs, Marie-Claire Ropars, La Politique du texte : enjeux sociocritiques, Villeneuve d’Ascq, Presses universitaires de Lille, 1992, p. 180.

37  Jacques Neefs, Marie-Claire Ropars, La Politique du texte : enjeux sociocritiques, Villeneuve d’Ascq, Presses universitaires de Lille, 1992, p. 179.

Bibliographie

 Corpus

PIRZAD Zoyâ, On s’y fera, Téhéran, Nashr-e Markaz, 2004, trad. Christophe Balaÿ, Paris, Zulma, 2007.

 Textes complémentaires et études

NAZIRI Ariane « Interview de Zoya Pirzad, Fenêtre sur l’Iran », août 2007, consulté le 6 mars 2012, http://www.evene.fr/livres/actualite/interview-zoya-pirzad-on-y-fera-iran-936.php

BALPE Jean-Pierre, Réalité-fiction-roman, 1 septembre 2007, consulté le 3 juin 2012, http://hyperfiction.blogs.liberation.fr/hyperfiction/2007/09/rait---fiction-.html

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« Fiction », consulté le 20 mai 2012 : http://fr.wikipedia.org/wiki/Fiction

Pour citer cet article

Elaheh Salehi Rizi, « Les jeux entre la réalité et la fiction dans le roman : On s’y fera de Zoyâ Pirzâd », paru dans Loxias-Colloques, 2. Littérature et réalité, Les jeux entre la réalité et la fiction dans le roman : On s’y fera de Zoyâ Pirzâd, mis en ligne le 30 janvier 2013, URL : http://revel.unice.fr/symposia/actel/index.html?id=364.


Auteurs

Elaheh Salehi Rizi

Elaheh Salehi Rizi est actuellement doctorante en Littérature Générale et Comparée à l’Université Nice Sophia Antipolis et elle prépare une thèse intitulée « Identités féminines et mutations sociales dans les œuvres de Zoyâ Pirzâd et Annie Ernaux », sous la direction de Madame la Professeure Odile Gannier au sein du laboratoire CTEL.