Loxias-Colloques |  1. Voyage en écriture avec Michel Butor |  Le texte cherche sa voie et sa voix 

Marcel Alocco  : 

Relecture transversale (mais égocentrique) d’un texte de Michel Butor

Index

Mots-clés : itérologie , poésie, voyage

Géographique : France

Chronologique : Période contemporaine

Texte intégral

1Quant est paru de Traverses le numéro 41-42, en bon provincial, j’ignorais l’existence de cette publication : « revue du Centre de Création Industrielle - Centre Georges Pompidou », dont la référence « industrie » du sous-titre n’avait rien pour me séduire. Le thème de ce numéro, Voyages, n’avait aucune chance de m’attirer, puisque le voyage ne m’a vraiment intéressé qu’en tant que figure symbolique. Ainsi Ulysse parcourant le monde (à l’échelle de son temps) pour retrouver chez lui, vingt ans après, ce qu’il avait rencontré partout : la jalousie, la guerre, la mort et aussi, il est vrai, l’amour.

2Ce numéro est paru, donc, sans que j’en aie été informé, en septembre 1987. Ce n’est qu’un an plus tard qu’un ami me parla incidemment d’un texte qui m’était dédié dans une revue, et devant mon étonnement, m’apprit l’existence de Traverses.

3Vous savez que vous êtes examiné, interrogé, mis en question.

4Il m’a regardé, moi et l’œuvre en cours. Mais m’a-t-il vu ? Et qu’a-t-il vu ? Est-ce bien moi – et mon travail inséparable –, qui a été exploré, déconstruit, reconstruit, analysé, synthétisé ?

5Des mots différents, autres, comme si ce texte attendu, espéré et mystérieux, était écrit dans une langue étrangère. Voyage aller-retour, du monde à son écho, de l’écho au monde nommé.  Nous sommes passé du réel aux concepts, et voici que ces mots doivent répondre d’un objet concret, d’un ensemble d’objets dont vous êtes le lien et qui n’est qu’un fragment de la réalité. Mais fragment d’un lieu incernable, inépuisable.

6Oui, c’est bien d’une double traduction dont il s’agit. De l’inerte au parlé, puis d’un langage de matière à celui de la parole. D’où l’impression d’une part d’ombre dans cette langue de l’autre, si affûtée fut-elle, qui jamais n’est identique à notre langue « maternelle ». Et : « Traduttore, traditore. » Évidemment, toujours pas encore, tout ne peut être dit. Dit en mots. Être parlé. Ou à quoi servirait « l’œuvre », si les mots étaient suffisants, même après-coup ? Donc angoisse à découvrir : l’enjeu est plus que d’une image…

7Car « Miroir, mon beau miroir, suis-je toujours… »

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Marcel Alocco, La Peinture en Patchwork, Fragment n°104. D’après « Le Campeur » de F. Léger, 1978

8J’avais eu en 1988, avec Michel Butor, un échange assez fréquent de correspondance concernant notamment son livre « L’œil aux aguets », qui allait être publié en fin d’année dans une collection qu’à Nice j’essayais de construire pour Z’éditions. Échange aussi à propos de « Lisières », texte destiné à figurer à l’origine dans un catalogue d’exposition à Oslo, exposition finalement annulée avec l’arrivée d’un incroyable nouvel attaché culturel qui faisait dans nos conversations téléphoniques l’impossible confusion entre Butor et Robbe-Grillet. Nous préparions principalement pour ce long texte, que je pensais inédit, une publication à 150 exemplaires en septembre aux Editions Voix - Richard Meier. Parut en effet « Lisières arlequins », qui comprenait aussi une traduction en anglais, et « Arlecchino sfarmarsi non puo », poème de Raphaël Monticelli, en français, mais entrecoupé ici et là d’un vers en italien.

9Je fus donc très surpris d’apprendre que « Lisières » figurait, un an plus tôt, en septembre 1987, parmi les « Voyages » de Traverses. Discrétion, ou négligence de l’auteur ? Je n’en avais pas été prévenu ou informé. L’échange épistolaire devait continuer, mais la partie de ma lettre de remerciements étonnés n’eut droit à aucune réponse.

10J’avais bien sûr reçu un manuscrit de « Lisières » (j’utilisais pour le livre des agrandissements de son écriture comme éléments « graphiques ») et la découverte de cet écrit m’avait laissé dans un état étrange : c’était certainement un bon texte de Michel Butor, mais je ne voyais guère, à première lecture, le rapport de cet écrit avec l’explicitation du travail qu’il devait accompagner – si ce n’est le titre car, traitant à cette époque de limites, de bords et bordures, je nommais « Lisières » l’exposition des Fragments du Patchwork concernés.

11D’entrée il est question « d’un immense océan », de « tout un continent » de « bûcherons » et « d’hélicoptères »… Il y est fait mention de violences, de la guerre et de ses conséquences, d’une société peu enviable, et puis de petits morceaux épars de la vie ordinaire… Comprenez que c’est ainsi qu’à réception je l’ai lu.

12Il y avait bien, classique inscription d’un leitmotiv pour relier chacun des tableaux au suivant, une petite phrase intercalée, commençant par « Le fil de la couture comme… », qui vers la fin du texte se transformait, plus énigmatique, une fois en « Croix sur croix et croisée, croisements et croassements avec le fil comme…» et une autre fois en « Et le filet de sang qui revient imprégner tout cela, fil compris, et fil comme… », mais ma lecture très subjective et aveugle d’être trop concernée en occultait certainement le sens et le rôle. Ainsi sans doute sont lues les critiques rationnelles par ceux qui en sont sujet (ne dit-on pas aussi, et dans le même sens, l’objet !) et plus difficile encore est le décryptage d’un texte métaphorique. L’œil, pourtant exercé me semblait-il, ne  percevait pas la structure mimétique, et le passage du textile au texte égarait ma lecture.

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Marcel Alocco, La peinture en patchwork, Fragment nº 318 [s.d.]

13Plus tard, j’ai perçu ce qui semble après coup évident : ce texte modélisait le travail du Patchwork, dans ses contenus d’images évoquant l’histoire des cultures avec le tragique et le quotidien de l’Histoire, avec sa structure parcellaire, ses ruptures (déchirures), ses raccords (coutures), ses frontières et ses échanges de part et d’autre, de marche à marche, de territoire à territoire (fragments affrontés), donnant un continuum aux morcellements du réel… Ainsi le tissu des Fragments du Patchwork devenait, « immense continent » et « océan plus immense encore »,la métaphore d’une géographie aussi physique qu’humaine. Mais, du discours de l’explorateur, que perçoit le cartographe ?

14Comment n’avoir pas compris ce qui était pourtant explicite bien que… presque en conclusion :

15« Le fil de la couture comme un nerf transmettant souffrance et spectacle parmi toutes ces rognures, coupures, ces copeaux de textes et de toiles qui se composent en un arc-en-ciel réconciliateur de lieux et moments ».

16Écrire n’est pas aisé. Mais qu’apprendre à lire est long. Et difficile.

17Patience. Nous allons y parvenir, bientôt.

18                                                                                              Nice, 2008

Pour citer cet article

Marcel Alocco, « Relecture transversale (mais égocentrique) d’un texte de Michel Butor », paru dans Loxias-Colloques, 1. Voyage en écriture avec Michel Butor, Le texte cherche sa voie et sa voix, Relecture transversale (mais égocentrique) d’un texte de Michel Butor, mis en ligne le 15 décembre 2011, URL : http://revel.unice.fr/symposia/actel/index.html?id=292.


Auteurs

Marcel Alocco

Artiste plastique appartenant à l’École de Nice, membre de Fluxus et de la mouvance esthétique Support-Surface, Marcel Alocco est un maître du travail sur le patchwork. Il est le créateur des œuvres Bandes-Objets, Le Tiroir aux vieilleries, L’Idéogrammaire, Fragments de La Peinture en Patchwork. Marcel Alocco expose dans la galerie A l’Enseigne des Oudin, à Paris, et dans la galerie Quadrige, à Nice. Tisseur et détisseur d’œuvres plastiques et de textes, Marcel Alocco est aussi l’auteur du roman Au présent dans le texte (J.-P. Oswald, 1969), des poèmes Signes des temps (Ecbolade, 1976), des volumes Écritures du Patchwork (Z’éditions, Nice, 1987) et La Musique de la vie (L’Ormaie, Vence, 2002). L’artiste a collaboré avec Michel Butor pour les œuvres Textile (1989), Patchwork-Constitution (1989), Coutures (1989), Lisières Arlequins (1988).