Loxias-Colloques |  20. Tolérance(s) III - concepts, langages, histoire et pratiques
Tolerance(s) - concepts, language, history and practices
 

Jean-Pierre Pantalacci  : 

Les communautés étrangères dans la République de Venise (XVe-XVIe siècles) : d’une bienveillante hospitalité à un encadrement rigoureux

Résumé

La République de Venise accueille de nombreuses communautés étrangères. Cela s’explique par sa position géographique, au confluent de l’Europe continentale et du monde méditerranéen, et par l’importance des échanges commerciaux qui sont le fondement de sa puissance économique, développée au cours des siècles. Elle est aussi un lieu d’asile notamment pour tous ceux qui fuient la guerre et l’expansionnisme ottoman dès le XVe siècle. La Cité se montre bienveillante et accueillante. Toutefois elle entend définir scrupuleusement les conditions de cet accueil, dans le strict respect des règles qu’elle établit elle-même.

Abstract

The Republic of Venice welcomes many foreign communities. This is explained by its central geographical position between continental Europe and mediterranean area, and also by the important trade which is the major bases of its economic power developed over the centuries. Venice is also a place of refuge for all of those fleeing the war and the ottoman expansion from the XVth century. The Most Serene Republic is benevolent and welcoming. However she intends to strictly define the conditions of this hospitality, in accordance with rules established by herself.

Index

Mots-clés : accueil , étrangers, Renaissance, Sérénissime, Venise, ville cosmopolite

Keywords : cosmopolitan city , foreigners, hospitality, Renaissance, Serenissima, Venice

Plan

Texte intégral

1Véritable trait d’union entre Orient et Occident, mais aussi entre Europe méditerranéenne et continentale, Venise, au fil de son histoire, va tirer profit de cette position géographique de choix pour s’imposer comme un grand carrefour commercial, un centre tout à la fois prestigieux et incontournable dans les échanges internationaux. Rappelons que c’est d’ailleurs là le premier fondement de son essor et de sa puissance. Il n’est pas surprenant, dès lors, que la Cité lacustre puisse être légitimement qualifiée de ville cosmopolite. En effet, très tôt elle a vocation à attirer à elle et à accueillir de nombreux étrangers, qu’ils soient hôtes de passage ou qu’ils choisissent d’être résidents permanents, parfois même depuis plusieurs générations. Ainsi trouve-t-on dans la ville différentes communautés, regroupées par appartenance nationale ou religieuse.

2Venise favorise l’installation de ces étrangers et facilite leur intégration, car elle s’enrichit de leur présence. Elle permet donc que ces communautés s’organisent, se structurent en son sein. Pour autant la Sérénissime, qui est par tradition sourcilleuse et vigilante en matière d’ordre public, qui a – pourrait-on dire – horreur du vide juridique, tient à conserver, en toute chose, autorité et contrôle. Elle exige ainsi que ces communautés ne dérogent pas à l’obéissance aux lois vénitiennes. Elle s’attache donc à fixer elle-même, avec précision, les règles de leur accueil.

3Pour aborder ce thème de l’intégration des communautés étrangères à Venise, la présente étude s’intéressera plus particulièrement aux XVe et XVIe siècles, parce qu’ils constituent un tournant dans l’histoire de la République, parvenue à l’apogée de sa puissance commerciale, mais aussi d’un rayonnement politique et culturel. Nous nous attacherons à répondre à cette interrogation : comment Venise réalise-t-elle ce difficile équilibre entre tolérance et vigilance, entre libertés octroyées et encadrement imposé ? Comment parvient-elle à conjuguer hospitalité et surveillance ?

4Pour ce faire, nous chercherons, dans un premier temps, à identifier ces communautés, à les dénombrer et à en localiser l’implantation dans la Cité. Nous nous intéresserons, ensuite, aux raisons de leur installation à Venise, à leurs activités, et à l’intérêt que les Vénitiens eux-mêmes retirent de cette présence. Enfin, nous étudierons le statut qui leur est octroyé et les conditions de leur encadrement telles qu’établies par les autorités vénitiennes.

1. Identification, nombre et localisation des étrangers dans la Cité

5La présence des étrangers dans le tissu social vénitien est bien réelle, elle est attestée jusque dans l’iconographie. À ce titre, on peut penser au célèbre tableau de Gentile Bellini, réalisé en 1496, qui évoque une cérémonie officielle sur la place Saint-Marc, à l’occasion de la Fête-Dieu. Le peintre y représente avec une grande précision, la société vénitienne dans son ensemble. Or l’on y aperçoit aussi des commerçants étrangers, bien reconnaissables à leur coiffe. Observons qu’ils sont tout à la fois isolés mais symboliquement inscrits et circonscrits dans le périmètre délimité par le cortège qui parcourt la place1.

6Par étranger, il faut entendre naturellement tout ce qui n’est pas vénitien. Le terme de forestiero désigne, non pas le non-italien, mais le non-vénitien. Dans le détail, on peut ainsi dénombrer une dizaine de communautés, identifiées, comme nous l’avons dit, sur le critère de leur permanence à Venise. Si l’on commence par la sphère italienne, quatre grands groupes se détachent : dans l’ère toscane, principalement les Florentins et les Lucquois ; venant des régions septentrionales voisines de Venise, les Lombards (Milanais, Bergamasques) et les Trévisans. Dans une ère géographique encore proche de la Cité lacustre, à l’est, du côté de l’Adriatique, nous citerons les Dalmates, appelés Schiavoni, et plus au sud les Albanais. La communauté germanique, quant à elle, doit être appréhendée au sens large : elle se réfère aux Allemands naturellement, mais par Tedeschi on entend aussi indifféremment Autrichiens, Hongrois ou habitants de la Bohême. Venus d’Orient, on trouve des Grecs, des Turcs, des Persans et des Arméniens. Enfin les Juifs constituent une communauté importante, mais qui n’est pas homogène du point de vue de la provenance géographique de ses membres, comme nous le verrons plus loin.

7Pour mieux apprécier l’importance numérique de ces communautés, il nous faut tout d’abord appréhender la réalité démographique de Venise. Rappelons que la population de la Cité au XVe siècle est estimée à environ 100 à 130.000 habitants2. Le patricien vénitien Marino Sanudo, auteur d’une célèbre chronique, avance même le chiffre de 190.000, qui semble pourtant exagéré3. Tout au long du siècle suivant, Venise voit sa population augmenter régulièrement et s’établir autour de 150.000 habitants4. Après Naples, elle est d’ailleurs la ville d’Italie la plus peuplée. Si l’on considère plus largement tout le domaine de la Terre Ferme, on atteint, toujours dans le courant du XVIe siècle, le chiffre d’1 million 500.000 habitants5. Une comparaison avec les grandes villes européennes de l’époque peut être instructive : Paris au même moment compte un peu plus de 200.000 habitants, quand Londres en a à peine plus de 100.0006. Or on estime que les étrangers représentent environ 10 % de la population vénitienne dans la Cité elle-même7, c’est-à-dire environ 12 à 15.000 personnes, ce qui fait de Venise, aux dires des hôtes qui la visitent à cette époque, l’une des villes européennes les plus cosmopolites8.

8La communauté la plus nombreuse est indéniablement celle des Grecs : elle compte quelques milliers de membres au XVIe siècle, on avance le chiffre de 4 à 50009. Juste après, en importance numérique, viennent les Juifs. Ils constituent l’une des premières communautés étrangères installées à Venise ; leur présence est attestée dès le XIIe siècle, et ils sont déjà plus d’un millier au XVIe10. Au fil du temps, elle deviendra d’ailleurs l’une des plus importantes communautés juives en Europe. Albanais et Dalmates sont des communautés moins nombreuses que les Grecs et les Juifs, mais néanmoins bien présentes et visibles à Venise. Le nombre d’Italiens et d’Allemands, en revanche, est plus fluctuant, donc plus difficile à apprécier, car vraisemblablement variable selon les moments de l’année et les époques. On estime par exemple à un peu moins d’un millier le nombre de résidents allemands11. Enfin, parmi les communautés les plus représentées à Venise, l’on doit citer aussi celle des Arméniens.

9Marino Sanudo, en 1512, dénombre onze grandes familles de citoyens étrangers12. À titre de comparaison, à la même date, le célèbre auteur des Diarii13 compte 140 familles vénitiennes répertoriées dans le Livre d’or de la noblesse, qui constituent, quant à elles, le patriciat de la Sérénissime, sont membres du Grand Conseil et détiennent donc le pouvoir politique à Venise. Les onze familles étrangères sont naturellement les familles les plus riches et les plus en vue ; c’est sans doute pour cette raison qu’elles sont évoquées par Sanudo. Toutefois ce chiffre ne tient naturellement aucun compte de tous les ouvriers ou artisans étrangers, qui vivent et travaillent eux aussi dans la Cité, en tous domaines.

10Intéressons-nous enfin, dans ce point liminaire, à la localisation de ces communautés dans l’espace urbain vénitien, dont les contours, on le sait, sont si particuliers. Une première observation s’impose : leur implantation est bien circonscrite, par poches ou zones bien distinctes. En schématisant, on constate que les Italiens, les Allemands et les Persans sont installés dans le périmètre du Rialto. Grecs, Slaves, Albanais, Arméniens sont eux plus proches du quartier de Saint-Marc. Enfin, les Juifs et les Turcs sont implantés dans une zone de la Cité plus périphérique, donc plus marginalisée, à l’entrée du Grand Canal14.

11La plupart des communautés étrangères ont très tôt demandé à pouvoir bénéficier, comme tous les citoyens vénitiens, de lieux de réunion et de culte qui leur soient propres, ce qui atteste aussi d’une volonté d’installation pérenne. Cette requête est accueillie favorablement par les autorités vénitiennes, qui ne rechignent pas à leur accorder une implantation géographique spécifique, siège d’une activité à la fois cultuelle et culturelle. Venise facilite même, dans l’espace octroyé, l’acquisition de terrains et de maisons15. Il est donc naturel que ce soit tout autour de ces premiers noyaux communautaires que viennent s’agréger habitations, lieux de production et de commerce. Apparaissent ainsi de véritables petits quartiers nationaux, fortement identitaires pourrait-on dire, qui vont être progressivement aménagés et agrandis. Ainsi c’est toute la toponymie de la zone concernée qui va alors témoigner de l’implantation d’une communauté étrangère en ces lieux (ponte dei Greci, rio degli albanesi etc).

12Le cas de la communauté juive est particulier et mérite qu’on s’y attarde quelque peu. Il convient en effet de distinguer trois périodes qui correspondent à trois zones distinctes et successives d’implantation : dès le XIIIe siècle, parce que déjà nombreux, ils obtiennent la permission de s’établir dans l’île de Spinalonga, qui prendra justement ensuite le nom de Giudecca. Mais dès la fin de ce même siècle, ils en sont chassés, car ils pratiquent l’usure, qui est interdite à Venise ; ils s’établissent alors dans des localités voisines de la Terre Ferme, et de là continuent de se rendre à Venise pour leurs affaires. L’interdiction est ensuite progressivement levée, jusqu’à ce qu’en 1516, le Grand Conseil de la République, par un décret16, les autorise à s’établir dans une nouvelle zone du Sestiere de Cannareggio, là même où il y avait autrefois une fonderie de canons, pour cette raison appelée getto (du verbe gettare, fondre les métaux). C’est sans doute une mauvaise prononciation de ce lexème, par des juifs germanophones, qui va donner par déformation le mot « ghetto »17.

13Quoi qu’il en soit, pour les Juifs comme pour toutes les autres communautés étrangères, on aboutit, par la volonté des Vénitiens, à une organisation très compartimentée dans le périmètre urbain, une stricte répartition par groupes nationaux, une localisation chaque fois bien circonscrite et reconnaissable. Ainsi chaque communauté est identifiable avant tout d’un point de vue spatial. Or cette implantation par poches urbaines spécifiques n’est certes pas le fruit d’un hasard. En organisant cette répartition, qui équivaut à une dispersion à travers le tissu urbain, il s’agit sans doute pour les Vénitiens d’éviter toute promiscuité entre les communautés, génératrice de troubles possibles, mais c’est aussi un moyen bien commode pour les autorités d’exercer plus facilement, sur elles et sur leurs activités, un contrôle étroit.

2. Raisons de leur installation à Venise et activités

14Il n’est pas inutile de rappeler ici, de façon liminaire, qu’il est un facteur qui contribue à faciliter la présence et l’installation d’étrangers à Venise, ce sont les nombreuses lignes de navigation qui sont organisées et subventionnées par l’État, et ce depuis le début du XIVe siècle. Il s’agit de lignes régulières, appelées Mude, qui mettent la Cité en contact avec différents ports, du nord de l’Europe jusqu’aux rives les plus orientales de la Méditerranée18. Ces trajets ont lieu plusieurs fois dans l’année, à cadences déterminées ; Venise est à la fois le point de départ et le point de retour de ces convois maritimes. Les Mude alimentent dès lors naturellement un flux important et constant d’étrangers. Cela participe de l’attractivité de la ville qui s’impose comme une étape inévitable sur les grandes routes commerciales.

15Si l’on s’intéresse plus en détail aux motifs qui poussent ces communautés à s’installer à Venise, on peut opérer une classification qui repose sur deux critères : économique ou politique. On identifie ainsi une double catégorie d’étrangers. Il y a, d’une part, des marchands et artisans, venus de leur plein gré établir à Venise le siège de leur entreprise, ou décider d’y installer une filiale, parce que la Cité est attractive, notamment pour les raisons à peine évoquées. Il y a, d’autre part, des réfugiés qui ont fui leurs contrées en guerre, qui sont donc arrivés à Venise pour des motifs d’ordre politique avant tout, et qui eux aussi prennent vite part aux activités de la Cité.

16Dans la première catégorie, au titre des raisons économiques, il faut inscrire naturellement les communautés italiennes, tous ceux qui viennent des villes voisines ou autres régions d’Italie : les Trévisans, mais aussi les Lombards ou les Toscans. Chacune d’elles occupe un secteur économique qui lui est propre. Les Lombards apportent leur savoir-faire dans le domaine édilitaire ; ils sont maçons, architectes, tailleurs de pierre ; ce sont des familles entières qui s’installent à Venise et y font souche, venues de Milan ou de Bergame. Les Toscans sont eux aussi très présents. Les Lucquois sont dans la production et le commerce de la soie, tandis que les Florentins se consacrent au commerce de tissus19.

17Les Dalmates, de leur côté, ont toujours entretenu des rapports commerciaux étroits avec Venise, que justifie leur proximité géographique avec la lagune. Leur présence dans la Cité est de plus en plus marquée dès lors que toute la zone de l’Adriatique est progressivement entrée dans le domaine vénitien. D’ailleurs les Dalmates, à cette époque, ne sont plus vraiment considérés comme étrangers à Venise, mais plutôt comme des sujets de la Sérénissime, bien que de langue et de coutumes différentes. Ils sont de modestes artisans, des pêcheurs ; ils travaillent principalement dans le commerce de la laine. Un quai du Grand Canal porte leur nom, la riva degli Schiavoni, car c’est l’endroit où ils débarquent leurs marchandises20.

18Les Allemands, quant à eux, forment une communauté très active sur le plan commercial. Aux dires mêmes des Vénitiens, ils sont considérés comme « des interlocuteurs privilégiés »21. Cela s’explique par l’importance des échanges avec l’ère germanique, qui est très vaste et aux portes de l’État Vénitien, mais aussi par la qualité des produits qui sont négociés (bois, métaux précieux, fourrures), destinés pour beaucoup à être exportés vers l’Orient méditerranéen. Par ailleurs, avec la découverte du Nouveau-Monde, les Vénitiens comprennent qu’il y a pour eux l’impérieuse nécessité de maintenir des relations accrues avec cette ère continentale.

19La présence des Persans, enfin, est justifiée aussi par des raisons économiques évidentes : les relations commerciales de Venise avec la lointaine Perse sont anciennes, elles trouvent leur origine dans les routes caravanières qui relient les ports méditerranéens aux villes de Perse. Comme dans le cas des Allemands, ce sont de riches marchandises qui se négocient : épices, tissus, tapis, cuirs. N’oublions pas qu’à Venise il existe une importante activité éditoriale, avec des reliures de cuir, activité qui trouve ici une source d’approvisionnement et justifie un recours aux artisans venus de Perse22.

20Les autres communautés sont, en revanche, présentes pour des raisons d’ordre politique. Il en est ainsi des Grecs, condamnés à l’exil après la chute de Constantinople en 1453. Tout au long de la seconde moitié du XVe, face à l’avancée des Turcs, le nombre de réfugiés sera sans cesse appelé à croître. Recueillis en Occident, beaucoup choisissent de trouver refuge à Venise notamment. Ils apportent leur expérience dans des domaines très prisés, tels que les arts, la culture, l’imprimerie, mais aussi dans le domaine militaire. Ils sont donc commerçants, intellectuels, artistes, armateurs, soldats mercenaires. Ils constituent une communauté opulente, qui dispose de grands moyens financiers car leurs activités sont très lucratives23.

21Quant aux Albanais, ils arrivent eux aussi en nombre à Venise, après le siège et la bataille de Shkodra en 1478-1479, qui est remportée par Mahomet II face aux Vénitiens, alliés justement des Albanais. Comme les Grecs, ils sont donc des réfugiés. Cette communauté est composée de nombreux anciens soldats, valeureux, qui ont combattu héroïquement24. Ils s’intègrent au tissu économique de la Cité en tant que petits commerçants. On les trouve principalement dans le commerce de l’huile, de la laine25. Comme les Dalmates, ils constituent une communauté moins riche que les Grecs.

22Les mêmes raisons doivent être invoquées pour expliquer la présence d’une communauté arménienne. Ce sont une fois de plus les progrès de la domination des Turcs qui justifient un afflux important de réfugiés venus d’Arménie. Cette communauté finit même par devenir l’une des plus nombreuses et des plus riches de Venise, elle est notamment active dans l’imprimerie. Qu’ils soient Grecs, Albanais ou Arméniens, tous ces réfugiés ont la certitude de trouver à Venise, en plus d’une protection, une source d’activités.

23En considérant le sort de toutes ces communautés qui ont été chassées par le péril ottoman, il est surprenant dès lors de trouver installés à Venise des commerçants turcs, et de surcroît dans une construction prestigieuse sur le Grand Canal. En réalité, il s’agit d’une implantation que nous avons voulu évoquer ici, mais qui est plus tardive ; elle n’aura lieu qu’à la fin du XVIe - début du XVIIe siècle, au moment où les relations avec la Sublime Porte s’améliorent, ou du moins lorsque les tensions s’émoussent. Les impératifs économiques finissent, en effet, par prendre le pas sur les antagonismes politiques et territoriaux. Ainsi, malgré les conflits incessants du passé, pour les Vénitiens toujours avides de profits, mieux vaut s’entendre avec les Turcs.

24Quant aux Juifs, enfin, leur présence procède des deux raisons à la fois, selon la date de leur installation et selon leur provenance. En effet les premiers Juifs qui s’installent très tôt à Venise, venus principalement d’Allemagne, y trouvent un accueil favorable, un lieu de séjour paisible, en d’autres termes un meilleur traitement que celui qui leur est réservé ailleurs en Europe. Le goût des affaires, l’esprit d’entreprise dont ils font preuve, trouvent un écho auprès des Vénitiens, eux-mêmes très sûrs de leurs compétences en ces domaines. Plus tard, à partir du XVe siècle, la communauté s’agrandit considérablement, car Venise accueille un afflux de Juifs chassés d’Espagne et d’Orient. Par leur nombre et leur dynamisme, il est indéniable qu’ils jouent un rôle important dans la vie économique de la Cité26.

25Si l’on considère à nouveau la localisation de ces différentes communautés, au vu de l’analyse que nous venons de présenter, on peut tenter dès lors de donner une interprétation plus affinée de leur répartition dans le tissu urbain. Il apparaît en effet que les Italiens, les Allemands, les Persans se trouvent concentrés près du poumon économique du Rialto, c’est-à-dire dans une zone d’échanges commerciaux qui est aussi une aire portuaire de premier plan. En revanche, les Grecs, les Albanais, les Arméniens, venus avant tout trouver refuge à Venise, sont plus symboliquement proches du cœur politique de la Cité qui s’identifie à la place Saint-Marc. Enfin, relégués dans la partie la plus périphérique de la ville, les deux communautés les plus singulières : les Juifs et les Turcs27.

26Si les Vénitiens se montrent à ce point si favorables à l’accueil de ces différentes communautés, c’est bien parce qu’elles présentent pour eux de réels atouts, et ce à plus d’un titre. Comme nous l’avons déjà rappelé, Venise est avant tout une puissance commerciale. Or tous ces étrangers sont indéniablement des acteurs de premier plan dans la vie économique de la Cité marchande. Par leur présence la Sérénissime tisse le maillage étroit d’un imposant réseau d’échanges internationaux, qui lui permet d’affirmer sa primauté en ce domaine et son identité de capitale commerciale.

27Mais au-delà de l’aspect économique, Venise retire aussi des dividendes à bien d’autres niveaux, en un temps où elle aspire à jouer un rôle de premier plan en Occident. D’un point de vue politique, en accueillant de nombreux réfugiés, elle affirme ainsi sa mission, son rôle presque messianique de rempart contre le péril turc. D’un point de vue culturel, il est certain que les exilés grecs notamment enrichissent la ville de la présence d’un certain nombre d’artistes, mais aussi de manuscrits et ouvrages précieux. Ils contribuent ainsi au développement de l’activité éditoriale, particulièrement prospère à Venise dès cette époque. L’intérêt des Vénitiens concerne aussi l’aspect démographique : les étrangers constituent un apport de forces nouvelles, notamment après les saignées dues aux épidémies de peste, notamment celle de 1575-157728. Enfin, en une période troublée, qui est celle des guerres d’Italie au début du XVIe siècle, on peut invoquer des raisons tout à la fois militaires et financières. Venise a besoin d’argent pour recruter des troupes, notamment au moment de la crise de Cambrai qui voit l’Europe se coaliser contre elle29. C’est ainsi que l’on peut justifier le décret du Grand Conseil de 1512, évoqué plus haut, autorisant les Juifs à revenir en ville ; ces derniers deviennent les banquiers de la République. En outre, Grecs et Albanais constituent un apport de soldats précieux, qui ont déjà fait la preuve de leur bravoure sur les champs de bataille dans la lutte contre les Ottomans. Pour toutes ces raisons la République, envers tous, ne peut qu’être reconnaissante et s’engager à leur reconnaître une place en son sein.

3. Statut et encadrement de ces communautés

28Alors que les Vénitiens dans les ports où ils sont installés, constituent des colonies jouissant d’une grande autonomie, placées sous l’autorité d’un bailo, sorte de gouverneur et consul à la fois, les communautés étrangères à Venise n’ont pourtant pas cette liberté ; elles doivent se soumettre scrupuleusement à l’ordre juridique de la République, à ses lois. Elles sont ainsi placées sous le seul contrôle des autorités vénitiennes sans possibilité d’y déroger, sans autonomie aucune. Elles n’ont pas le droit de s’organiser ni de s’administrer librement. En d’autres termes, elles ne peuvent constituer des entités politiques et administratives obéissant à des règles propres. Venise leur dénie ce droit.

29En contrepartie, la République octroie généreusement à ces communautés une grande liberté d’initiative et d’activités dans le tissu économique de la Cité, et elle leur garantit dans le même temps une égalité devant la loi avec ses propres citoyens. Les étrangers peuvent obtenir le privilège de la citoyenneté vénitienne, mais ils doivent alors, tous les cinq ans, renouveler un serment de fidélité à la République30. De même, il existe des magistratures spéciales : la curia del forestier, i giudici di forestier31 ; elles ont pour mission de contrôler les activités des étrangers et prévoient la médiation d’un patricien vénitien en cas de litige. Toute cette réglementation atteste du souci des Vénitiens d’organiser au mieux et d’encadrer avec rigueur la vie des étrangers à Venise. En interdisant tout ordre juridique dissident au sein même de la Cité-État, l’objectif recherché par les Vénitiens est de mieux exercer leur contrôle, mais aussi d’éviter toute querelle ou conflit d’ordre social ou économique. C’est donc pourquoi communautés étrangères et citoyens vénitiens sont mis et traités sur un pied d’égalité ; ce sont les mêmes règles qui s’appliquent à tous.

30On peut dire enfin que la République soumet les différentes communautés à trois types d’encadrement : le premier est d’ordre institutionnel – ce sont les Scuole ; les deux autres sont d’ordre spatial – il s’agit des Fondaci et du Ghetto.

31Les Scuole sont des corporations ou confréries, qui peuvent être définies comme un embryon de structure juridique, mais à vocation exclusivement cultuelle, culturelle et sociale. Elles ne sont d’ailleurs pas propres aux communautés étrangères. Elles concernent également les Vénitiens et sont nombreuses dans la Cité. Ainsi, et pour présenter les choses schématiquement, il existe trois formes de Scuole : les Scuole Grandi qui sont réservées aux citoyens vénitiens aisés, mais qui ne sont pas reconnus comme patriciens32 ; les Scuole d’arte où les Vénitiens s’organisent par corporations de métiers ; et enfin les Scuole Nazionali qui permettent aux étrangers de bénéficier eux aussi de cette forme d’organisation institutionnelle33.

32Or la plupart des communautés ont leur propre Scuola. Cela leur permet de conserver, cultiver et exprimer leurs spécificités nationales et leurs propres traditions, notamment en matière de rites. La Scuola remplit tout à la fois un rôle social et religieux. D’un point de vue social, elle organise la solidarité entre les membres de la communauté ; d’un point de vue religieux, les Scuole sont des lieux de culte, chacune d’elles étant placée sous la protection du saint Patron de la communauté. À titre d’exemple, saint Nicolas pour les Grecs, saint Georges pour les Dalmates, saint Maurice pour les Albanais, saint Jean-Baptiste pour les Florentins. La Scuola confère, à l’évidence, une visibilité ou une reconnaissance institutionnelle ; elle devient en fait le siège officiel de la communauté34.

33Observons qu’à l’instar des Vénitiens, les étrangers ont à cœur de bâtir de beaux édifices, parfois prestigieux, comme celui des Grecs, et de faire richement décorer les salles intérieures, en faisant appel aux plus grands peintres de l’époque35. Le soin extrême qu’ils apportent à l’édification et à la décoration de leur Scuola témoigne tout à la fois d’une volonté de manifester officiellement leur présence dans la Cité, la réussite ou prospérité qu’ils ont acquise, enfin le souci de s’intégrer à Venise, puisqu’ils en acceptent les « codes de fonctionnement » et imitent par là même les Vénitiens.

34Les Fondaci ou Fonteghi, terme que l’on pourrait traduire par « entrepôt », ont une vocation plus fonctionnelle. Ils sont au nombre de trois : le plus prestigieux, celui des Allemands ; son proche voisin, celui des Persans ; et enfin le plus tardif, celui des Turcs. Il s’agit de constructions à l’aspect monumental, sur plusieurs niveaux, avec une cour intérieure, qui privilégient une organisation de l’espace très fonctionnelle. Au premier étage se trouvent des salles de réunion. Les façades sont richement décorées36. Ce sont à la fois des entrepôts de marchandises, des lieux de vente et de négociation, enfin des lieux d’habitation où s’organise une vie communautaire. Comme les Scuole, ils assurent une visibilité à la communauté et témoigne de son importance. Leur position sur le Grand Canal leur confère indéniablement un certain prestige. Mais ne nous méprenons pas, les Fondaci ne sont pas la propriété des communautés qui y vivent et y commercent. Ils ne jouissent pas non plus d’un quelconque statut d’extraterritorialité. Ce sont des constructions décidées, voire imposées par l’État Vénitien, qui restent propriété de l’État et contrôlées par lui ; ils ne sont donc donnés qu’en usage à ces commerçants étrangers. Venise garde toujours la haute main sur les activités qui s’y déroulent37.

35Enfin, on peut aussi présenter le ghetto comme un mode d’encadrement puisqu’il procède d’un espace clos. L’origine du terme d’ailleurs est vénitienne, comme nous l’avons rappelé plus haut. Il s’agit en effet d’une zone bien séparée du reste de la ville, avec deux seules entrées que l’on peut facilement contrôler et même fermer la nuit. Le premier ghetto est un périmètre complètement isolé car encerclé par les eaux, tel un château fort, il est appelé Ghetto Nuovo. Avec l’afflux de Juifs venus d’Espagne et d’Orient, le ghetto va être agrandi vers l’ouest, vers le canal de Cannareggio, il prend le nom de Ghetto Vecchio, car situé sur le lieu des anciennes fonderies. Enfin, au XVIIe siècle, en 1633, il y aura même une dernière extension, rendue nécessaire par l’augmentation de la population, ce sera le Ghetto Nuovissimo38.

36On y relève une forte densité démographique, qu’expriment des constructions hautes de plusieurs étages, inhabituelles à Venise ; elles occupent une zone entière dans la Cité. C’est une véritable ville dans la ville. Le ghetto est organisé en fait comme une petite cité : on y trouve des puits publics, des boutiques, des lieux de cultes. Les nombreuses synagogues qui s’y trouvent, sont appelées Scuole elles aussi, reproduisant ainsi, à travers la terminologie, le modèle des Scuole nazionali. Au demeurant, elles sont organisées également par nationalités : la Scuola allemande, la Scuola italienne, la Scuola Espagnole ou Ponentina, la Scuola Orientale ou Levantina.

Conclusion

37En conclusion, nous voulons rappeler que les communautés étrangères, par leur nombre, leur diversité, leurs activités sont le témoignage certain de l’ouverture de Venise sur le monde extérieur, le signe de la prospérité économique de la Cité, mais pas seulement : leur présence atteste aussi de l’aura dont jouit la puissante République. On y trouve, en effet, facilement refuge, car elle est un État stable, solide et sûr, contrairement à Florence, par exemple, tourmentée par des luttes politiques incessantes. À travers ce cosmopolitisme assumé, la Ville construit ainsi son image, celle d’une Cité-État indépendante, ouverte, soucieuse d’assurer libertés et protection, particulièrement dans des périodes politiquement troublées comme le sont les XVe et XVIe siècles.

38Toutefois cette image habilement construite d’une République accueillante ne permet pas de faire de la Sérénissime un parangon de la tolérance. À Venise, le degré de tolérance doit être apprécié à l’aune des intérêts supérieurs de l’État. Si elle assure aux étrangers un accueil libéral, elle exige d’eux en contrepartie non seulement qu’ils se soumettent aux lois vénitiennes, mais encore et surtout qu’ils prennent une part active à la vie de la Cité, notamment en matière économique. Pour exprimer les choses en des termes très contemporains, on peut y voir l’application d’un principe simple, celui du gagnant-gagnant.

39Toujours vigilante, la République définit donc avec soin les conditions de l’hospitalité qu’elle offre. Sans qu’il leur soit demandé de renier leur spécificité et leurs traditions, les communautés étrangères sont invitées à accepter et reproduire les modèles vénitiens. À ce titre, les Scuole nazionali à travers leur fonctionnement, en sont une parfaite illustration et la preuve assurée d’une intégration acceptée et réussie. Dès lors, si les identités nationales singulières, à Venise, sont à ce point encadrées, c’est pour qu’elles puissent mieux s’épanouir dans une République qui a le souci constant de l’efficience, dans l’ordre et la concorde.

Notes de bas de page numériques

1 Gentile Bellini, Processione in Piazza San Marco, Venise, Museo dell’Accademia. Le petit groupe des étrangers est facilement identifiable devant la basilique, en haut à droite.

2 Voir Giorgio Fedalto, “Le minoranze straniere a Venezia, tra politica e legislazione”, in H.G. Beck, M. Manoussacas, A. Pertusi (dir.), Venezia, centro di mediazione tra Oriente e Occidente (sec. XV-XVI) : aspetti e problemi, Firenze, 1977, p. 146-147.

3 Cité par Giorgio Fedalto, “Le minoranze straniere a Venezia, tra politica e legislazione”, p. 146-147.

4 Si l’on excepte l’incidence de la peste des années 1575-1577 qui génère quelques fluctuations. Voir Giorgio Fedalto, « Le minoranze straniere a Venezia, tra politica e legislazione », p.147.

5 Giorgio Fedalto, « Le minoranze straniere a Venezia, tra politica e legislazione », p. 148, note 13.

6 Giorgio Fedalto, « Le minoranze straniere a Venezia, tra politica e legislazione », p. 148, note 13.

7 Giorgio Fedalto, « Le minoranze straniere a Venezia, tra politica e legislazione », p. 148.

8 Philippe de Commynes dans ses Mémoires, évoquant son voyage à Venise en 1495, affirme : « C’est la ville la plus triomphante que j’ai jamais vue, celle qui accorde le plus d’honneur aux ambassadeurs et aux étrangers ». Un siècle plus tard, William Shakespeare écrira : « Le commerce et les profits de cet État sont formés par toutes les nations », cité dans Civiltà di Venezia, vol.2, a cura di Guido Perocco e Antonio Salvadori, La Stamperia di Venezia, Venezia, 1976, p.772, note 965. Voir aussi Giorgio Fedalto, « Le minoranze straniere a Venezia, tra politica e legislazione », p. 157.

9 Giorgio Fedalto, “Le minoranze straniere a Venezia, tra politica e legislazione”, p. 148. Voir aussi Civiltà di Venezia, vol.2, p.783, note 978.

10 Giorgio Fedalto, « Le minoranze straniere a Venezia, tra politica e legislazione », p.147.

11 Donatella Calabi, “Gli stranieri e la città“, Storia di Venezia, vol.5, Il Rinascimento, Sociétà ed economia, parte IV Il Lavoro. La ricchezza. Le coesistenze, a cura di Alberto Tenenti e Ugo Tucci, Istituto dell’enciclopedia Treccani, Roma, 1996, p. 925.

12 Marino Sanudo, De origine, situ et magistratibus urbis Venetiae, ovvero la città di Venezia, a cura di Angela Caracciolo Arico, Milano, 1980, p.176. Cité par D. Calabi, “Gli stranieri e la città”, p. 913.

13 I Diarii (1496-1533), I-LVIII, a cura di R. Fulin, F. Stefani, N. Barozzi, G. Berchet, M. Allegri, Venezia, 1879-1903.

14 Voir carte dans Civiltà di Venezia, vol.2, p. 772.

15 Voir D. Calabi, « Gli stranieri e la città », p. 914-915.

16 Délibérations du Grand Conseil des 26 mars, 29 mars et 24 avril 1516. Marino Sanudo, I Diarii, Pagine scelte, a cura si Paolo Margaroli, Neri Pozza Editore, Vicenza, 1997, p. 276-277.

17 Voir Civiltà di Venezia, vol.2, p.774-776 et D. Calabi, « Gli stranieri e la città », p. 936-940.

18 Parmi les Mude les plus importantes, on peut citer la Muda de Romanie, qui fait escale à Constantinople, la Muda de Syrie avec des escales à Chypre et au Liban, la Muda de Barbarie, avec escales à Tripoli et à Tunis, la Muda d’Aigues-Mortes, avec des escales en Toscane et en Espagne, la Muda des Flandres, avec des escales dans les ports anglais.

19 Voir Civiltà di Venezia, vol.2, p. 773.

20 Voir Civiltà di Venezia, vol.2, p. 789-791.

21 Voir D. Calabi, “Gli stranieri e la città”, p. 925 et Giorgio Fedalto, “Le minoranze straniere a Venezia, tra politica e legislazione”, p. 152-153, qui citent tous deux une délibération du Sénat de 1476 à ce sujet (“Acitote inter ceteras nationes nos maxime diligere et charos habere Germanos”).

22 Voir Civiltà di Venezia, p. 799.

23 Voir Giorgio Fedalto, “Le minoranze straniere a Venezia, tra politica e legislazione”, p. 158-159.

24 Voir D. Calabi, “Gli stranieri e la città”, p. 915-917, qui cite notamment une délibération du Sénat du 28 juin 1479, justifiant l’accueil des Albanais, dans ce contexte, comme étant “cosa iusta e conveniente” (« une chose juste et convenable »).

25 Voir D. Calabi, “Gli stranieri e la città ”, p. 915-917.

26 Outre l’aspect économique, il y a aussi un aspect culturel à prendre en considération dans la présence de cette communauté. En effet, au XVIe siècle, sont imprimés à Venise différents textes bibliques dont le Talmud. Voir Civiltà di Venezia, vol.2, p. 775.

27 Observons toutefois que les Slaves, quant à eux, échappent à cette catégorisation car ils ont un statut à part, comme nous l’avons dit, étant sujets de la Sérénissime. Du reste, l’implantation du quai qui leur est réservé, tout près de la place Saint-Marc, confirme le lien privilégié qui les unit aux Vénitiens.

28 Giorgio Fedalto avance le chiffre de 50.000 victimes au cours des deux années d’épidémie. “Le minoranze straniere a Venezia, tra politica e legislazione”, p. 161.

29 La ligue de Cambrai est signée le 10 décembre 1508. Elle coalise les souverains européens contre Venise : le roi de France Louis XII, l’empereur Maximilien, le roi Ferdinand d’Aragon, le pape Jules II, inquiets des succès et de l’essor de la République. Les Vénitiens sont défaits lors de la bataille d’Agnadello le 14 mai 1509.

30 Ce sont les Proveditori del Comun qui sont chargés de l’octroi de la citoyenneté vénitienne. Sachant que cette magistrature est avant tout compétente en matière commerciale, on comprend aisément que le principal critère retenu par ces magistrats concerne l’insertion dans la vie économique de la Cité. Sur ce point, voir Giorgio Fedalto, “Le minoranze straniere a Venezia, tra politica e legislazione”, p. 155-156.

31 Voir notamment D. Calabi, “Gli stranieri e la città”, p. 913.

32 Voir Jean-Pierre Pantalacci, « Les Scuole Grandi à Venise, une structure institutionnelle ouverte à une « aristocratie » qui ne gouverne pas, XVe-XVIe siècles », in Nobles et chevaliers en Europe et Méditerranée, dossier coordonné par Anne Brogini, Germain Butaud, Maria Ghazali, Jean-Pierre Pantalacci, Cahiers de la Méditerranée, CMMC, n° 97/2, décembre 2018, p. 199-212.

33 Voir Jean-Pierre Pantalacci, « Le Scuole Nazionali, accueil et encadrement des communautés étrangères à Venise, XVe-XVIe siècles », actes du colloque Mobilités, surveillance, assistance en Méditerranée occidentale (XVIe-XXIe siècles), organisé par l’Université Côte d’Azur, novembre 2016 textes réunis et édités par Anne Brogini, Maria Ghazali, Swanie Potot, Saint-Denis, Éditions Bouchène, 2020, p. 239-253.

34 Comme toutes les Scuole, les Scuole nazionali sont dotées de statuts, appelés Mariegole, qui définissent précisément les devoirs et obligations de leurs membres au sein de la République vénitienne. C’est d’ailleurs cette dernière qui doit les approuver. Voir sur ce point Jean-Pierre Pantalacci, « Le Scuole Nazionali, accueil et encadrement des communautés étrangères à Venise, XV-XVI siècles », p. 243.

35 Parmi les exemples les plus prestigieux, citons la Scuola dei Greci et l’Église Saint-Georges, qui contiennent de nombreuses œuvres d’artistes grecs, la décoration de la Scuola degli Albanesi par Vittore Carpaccio, enfin la Scuola dei Fiorentini qui renferme une statue en bois peint de Donatello, représentant saint Jean Baptiste, saint patron de la communauté.

36 Le Fondaco dei Tedeschi est reconstruit en 1505 et les salles intérieures sont décorées de fresques par Giorgione et Titien.

37 Voir notamment sur ce point Civiltà di Venezia, p. 791-801.

38 Voir notamment sur ce point Civiltà di Venezia, p. 774-782.

Bibliographie

CALABI Donatella, « Gli stranieri nella capitale della repubblica Veneta nella prima età moderna », in Mélanges de l’Ecole Française de Rome, 1999, tome 111, n°2, pp. 721-732.

CALABI Donatella, « Gli stranieri e la città », in Storia di Venezia, vol.5, Il Rinascimento, Sociétà ed economia, parte IV Il Lavoro. La ricchezza. Le coesistenze, a cura di Alberto Tenenti e Ugo Tucci, Roma, Istituto dell’enciclopedia Treccani, 1996.

FEDALTO Giorgio, « Le minoranze straniere a Venezia, tra politica e legislazione », in Venezia, centro di mediazione tra Oriente e Occidente (sec. XV-XVI) : aspetti e problemi, a cura di H.G. Beck, M. Manoussacas, A. Pertusi, Firenze, 1977.

PANTALACCI Jean-Pierre, « Le Scuole Nazionali, accueil et encadrement des communautés étrangères à Venise, XV-XVI siècles », actes du colloque Mobilités, surveillance, assistance en Méditerranée occidentale (XVIe-XXIe siècles), organisé par l’Université Côte d’Azur, novembre 2016, textes réunis et édités par Anne Brogini, Maria Ghazali, Swanie Potot, Saint-Denis, Éditions Bouchène, 2020, pp.239-253.

PEROCCO Guido, Antonio SALVADORI (a cura di), « Civiltà di Venezia », vol.2, Venezia, La Stamperia di Venezia, 1976.

SANUDO Marino, De origine, situ et magistratibus urbis Venetiae, ovvero la città di Venezia, a cura di Angela Caracciolo Arico, Milano, 1980.

SANUDO Marino, I Diarii (1496-1533), I-LVIII, a cura di R. Fulin, F. Stefani, N. Barozzi, G. Berchet, M. Allegri, Venezia, 1879-1903.

SANUDO Marino, I Diarii, Pagine scelte, a cura si Paolo Margaroli, Vicenza, Neri Pozza Editore, 1997.

Pour citer cet article

Jean-Pierre Pantalacci, « Les communautés étrangères dans la République de Venise (XVe-XVIe siècles) : d’une bienveillante hospitalité à un encadrement rigoureux », paru dans Loxias-Colloques, 20. Tolérance(s) III - concepts, langages, histoire et pratiques
Tolerance(s) - concepts, language, history and practices
, Les communautés étrangères dans la République de Venise (XVe-XVIe siècles) : d’une bienveillante hospitalité à un encadrement rigoureux,
mis en ligne le 26 octobre 2023, URL : http://revel.unice.fr/symposia/actel/index.html?id=1941.


Auteurs

Jean-Pierre Pantalacci

Jean-Pierre Pantalacci est Maître de Conférences à l’Université Côte d’Azur. Depuis 2019, il est directeur de la section d’Études italiennes. Agrégé d’italien et titulaire d’un DEA en Droit Public et Européen, il a soutenu une thèse de Doctorat en études romanes à Paris-IV Sorbonne, en 2002, sous la direction du professeur C. Bec. Ses travaux portent en priorité sur la littérature politique et la civilisation italienne de la Renaissance (XVe et XVIe siècles). Ses thèmes de recherches ont pour objet la République de Venise (institutions, pouvoir, arts et société), la papauté (politique et mécénat pontifical), les relations diplomatiques entre l’Italie et l’Europe. Il est membre du CMMC (Centre de la Méditerranée Moderne et Contemporaine).

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