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Denis Bussard  : 

Catalogue de l’exposition : troisième partie

Quelques épigones de Romain Rolland

Plan

Texte intégral

Pierre Jean Jouve

18. Lettre aut. de Pierre Jean Jouve à Gonzague de Reynold, Poitiers, 13 mai 1915.

Fonds Gonzague de Reynold, 5-Action-5-10, 1 f. A4, r°-v°.

Au cours de sa correspondance avec moi, M. Romain Rolland m’a donné votre nom, et quelque peu parlé de cette Revue des Nations que vous songez à fonder. Je ne sais si votre premier numéro est paru, ni ce qu’il est ; mais le titre me parle beaucoup, – et il me semble que rien n’est meilleur que cette œuvre que vous entreprenez, à ce moment affreux de la vie des peuples. Je viens à vous avec une proposition. J’ai écrit, durant cet hiver, un certain nombre de poèmes, qui jugent la guerre, – ou plutôt souffrent la guerre. J’avais pensé les garder pour le temps de la paix ; mais il me semble à présent qu’il est un devoir pour ceux qui peuvent encore mener le travail spirituel : jeter librement et courageusement la pensée dans la mêlée.

19. Lettre aut. de Pierre Jean Jouve à Paul Seippel, « La Ferrière », Montana, 17 décembre 1915.

À propos de l’article « Les Livres " Vous êtes des hommes " » de Paul Seippel dans le Journal de Genève, 16 décembre 1915, p. 3.

Fonds Paul Seippel, ET 097, 1 f. A4, r°-v°.

Je lis l’article généreux et droit que vous voulez bien consacrer à Vous êtes des hommes dans le Journal de Genève, et je vous en remercie. Je suis heureux, dans ce temps difficile, d’avoir de vous cette parole franche, et qui fera connaître mon effort aux esprits suisses. J’en suis heureux parce que je vis à présent dans votre rude et fort pays, que je reprends à son contact le sentiment de ce qui doit durer. Certaines paroles que vous me dites, sur le sentiment fraternel qui commanda mon livre, sont les meilleures que je puisse entendre. Elles sont infiniment meilleures que toute critique d’art, car elles saisissent avant tout l’essence de ce poème, et ce qui peut rester de lui : une émotion profonde du cœur. Cela est à mes yeux le plus important ; cela seul compte à présent.
Vous associez à votre jugement un salut plein de sympathie pour la petite société que nous formons à Montana. De cela, je vous remercie plus affectueusement. Je dois toutefois vous avouer que ce n’est pas les armes à la main que j’ai pu rendre en France quelques services, mais dans les hôpitaux, comme infirmier volontaire.
Permettez moi de vous dire que je serais heureux de vous connaître car vous êtes le fidèle soutien de Romain Rolland et cela m’unit à vous. Puis j’aimerais vous exprimer, mieux qu’en une lettre, ma gratitude.

20. Lettre aut. de Pierre Jean Jouve à un destinataire non identifié, Montana sur Sierre, 30 janvier 1916.

Fonds Pierre-Olivier Walzer, D-1-bis-JOU, 1 f. A4, r°.

Notre métier est un sale métier. C’est une carrière d’où chacun a déjà extrait son bloc ou sa pierre. Je crois par instants que je préférerais être peintre, et surtout musicien (une langue si neuve, – si inexplorée !) – Il est vrai qu’il nous reste une consolation : notre art est celui qui porte le plus allégrement, sans rien laisser de sa force, le poids des idées et la conscience religieuse des hommes. Aussi est-il peut être encore le meilleur aux hommes.

21. Lettre aut. de Pierre Jean Jouve à Edmond Bille, Genève, 14 mars 1917.

Fonds S. Corinna Bille, coll. Edmond Bille, B-2-JOU, 4 ff. A4, r°.

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22. Carte aut. de Pierre Jean Jouve à Edmond Bille, Genève, 19 avril 1917.

Fonds S. Corinna Bille, coll. Edmond Bille, B-2-JOU, 1 f. r°-v°, 14 x 9 cm.

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23. Lettre aut. de Pierre Jean Jouve à Edmond Bille, [Villard], La Tour-de-Peilz, 11 février 1920.

Fonds S. Corinna Bille, coll. Edmond Bille, B-2-JOU, 3 ff. A4, r°.

Votre lettre gaillarde m’a fait plaisir : continuez donc, heureux homme. Pour moi je suis toujours déchiré par beaucoup de choses, et le spectacle du monde me déplaît au delà du possible. Mais il ne faudrait pas croire que j’en suis resté au Livre de la nuit. Il est dépassé, et mon dernier poème qui va paraître, et qui clôt la série, manifeste je crois un esprit plus clair, plus calme et plus maître de la vie.

24. Pierre Jean Jouve, Danse des morts, Deuxième édition, La Chaux-de-Fonds, Édition d’Action sociale, 1918.

Coll. part.

25. Pierre Jean Jouve, Poème contre le grand crime-1916, Genève, Édition de la revue « demain », 1916.

Coll. part.

26. Pierre Jean Jouve, Romain Rolland vivant 1914-1919, Paris, Librairie Paul Ollendorff, 1920.

Coll. part.

Charles Baudouin

27. Lettre aut. de Charles Baudouin à Carl Spitteler, Genève, La Chapelle-sur-Carouge, Villa Louisette, 3 janvier 1916.

Fonds Carl Spitteler, 1 f. A4, r°-v°.

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28. Charles Baudouin, « Carnet de Route IV. " AU-DESSUS DE LA MELÉE " (octobre 1915-septembre 1916) ».

11 octobre 1915, première page du carnet manuscrit relatant l’arrivée en Suisse.

Coll. Charles Baudouin, Ms A 66, cahier aut. ligné, 17 x 22 cm, num. 3-184, r°-v°.

Publ. : Charles Baudouin, Un pays et des hommes : carnet de route (1915-1919), Antoinette Blum, Doris Jakubec et Martine Ruchat (éd.), Lausanne, Éditions L’Âge d’Homme, 2014.

De Nancy à Genève, le voyage a duré trente heures. Ainsi vont ces trains de guerre.
A Vallorbe, on entre en Suisse. Je me suis dégourdi en faisant quelques pas sur le quai. J’ai senti l’air frais, un air de montagne ; j’en ai éprouvé comme une soudaine ivresse : c’était la Suisse. On n’était plus dans la guerre pesante et fétide ; c’était ici, parmi les pentes de sapins, la jeune santé du monde.

29. Lettre aut. de Charles Baudouin à Paul Seippel, Villa Louisette, La Chapelle-sur-Carouge, Genève, 20 octobre 1915.

Fonds Paul Seippel, ET 020, 1 f. A4, r°-v°.

Excusez la liberté que je prends de venir me présenter à vous. J’arrive de France pour occuper une chaire de philosophie à la Faculté libre dite "Institut Jean-Jacques Rousseau".
Je serais heureux de prendre une part active à la vie intellectuelle et littéraire d’une cité que j’ai toujours aimée, et de faire ici ce que je faisais à Paris, où je collabore encore aux "Annales" et à différentes revues.
Par une singulière fortune, le grand poète Carl Spitteler s’est trouvé être mon voisin à La Chapelle ; j’ai pu l’approcher et l’apprécier. En outre, il m’a accordé l’autorisation d’entreprendre une traduction de ses œuvres poétiques. C’est à ce sujet surtout que je voudrais vous consulter, au sujet de la publicité qui pourrait être donnée à ces traductions en Suisse Romande, – des revues, des maisons d’édition qui s’en chargeraient volontiers.
En France, j’ai écrit pour la même question au "Mercure de France". Mais M. Vallette me répond qu’il faudrait attendre la fin des hostilités.
J’aurai aussi à vous demander l’adresse actuelle de M. Romain Rolland, que j’ai égarée. Son attitude énergique a été un réconfort pour beaucoup de français, et l’article que vous lui avez consacré dans le Journal de Genève du 4 octobre a contribué beaucoup à la décision que j’ai prise de m’adresser à vous. C’est alors, précisément, que je débarquais à Genève.

René Arcos, Fernand Desprès et Claude Le Maguet

30. Lettre aut. de René Arcos à Edmond Bille, Chandolin, 20 décembre 1917.

Fonds S. Corinna Bille, coll. Edmond Bille, B-2-ARC, 1 f. A4, r°-v°.

Merci pour le "Droit du Peuple" – le droit à piller autrui !
Nous ne recevons plus la Gazette, regrets ! Pour L’Aube, je verrai. En principe, je suis assez opposé à toutes ces collaborations qui constituent une vraie dispersion de l’effort.
Je travaille comme un forçat ; le livre avance. Je crois que je pourrai en faire paraître une traduction à Zürich. Vous rirez quand je vous le ferai lire car le comique y tient une large place.
Plus de nouvelles de France, ou presque ! On m’a à l’œil. J’ai reçu mon argent par l’intermédiaire d’une banque anglaise. Donc, tout va bien. […].
L’avenir nous inquiète peu. Nous nous préparons à rester en Suisse pour quelques années peut-être – la dictature du Tigre ne nous disant rien !

31. Lettre aut. de René Arcos à Edmond Bille, Genève, 7 juillet 1919.

Fonds S. Corinna Bille, coll. Edmond Bille, B-2-ARC, 1 f. A4, r°-v°.

Il y a longtemps que je veux vous1 envoyer un petit mot. Hélas ! Surmenage ! Sur-surmenage ! Ecrivain, journaliste, éditeur ! … et conférencier (j’oubliais) – c’est trop. Cette petite affaire d’éditions m’intéresse beaucoup ; elle nous vaut bien des sympathies précieuses. L’Europe parait déjà chercher à rassembler ses tronçons épars.

– Ce que les journaux ont raconté sur R.R. est absurde. On l’a laissé parfaitement tranquille – mais il est vrai qu’on ne met aucune hâte à lui accorder le passeport qu’il a demandé pour revenir ici. Je crois comprendre par ses lettres que la France veut le garder (pour l’avoir sous la main) et que la Suisse, de son côté, montre peu d’empressement à l’hospitaliser de nouveau. Dans quel monde vivons-nous, mon pauvre ami ! Desprès, qui est devenu un gros souscripteur de nos éditions ( !), m’écrit ce matin qu’on lui a refusé son passeport pour la Suisse. Cela, sans doute, ne vous surprendra pas plus que moi. J’aurais bien besoin, actuellement, de faire un petit voyage à Paris, mais je m’en garderai bien. Je crois que nous sommes encore ici pour quelques années. Mais n’est-on pas partout toujours dans sa peau ? Vivre ici ou là… bah ! Pour ceux qui ont une vie surtout intérieure la chose est de peu d’importance.

32. Lettre aut. de René Arcos à Paul Seippel, Zürich, s.d [daté : « jeudi »].

Fonds Paul Seippel, ET 002/1, 1 f. A4, r°-v°.

Notre ami commun Romain Rolland qui m’a donné votre adresse m’a également conseillé d’aller vous voir. Je serais bien heureux de parler un peu avec vous des évènements de ce temps. Je voudrais aussi vous demander s’il n’y aurait pas possibilité pour moi de publier un ou deux articles dans le Journal de Genève. J’en ai lu un récemment de mon ami Paul Fort qui me semble appeler une réponse.

33. Lettre aut. de Fernand Desprès à Edmond Bille, Montana sur Sierre, 17 juin 1916.

Fonds S. Corinna Bille, coll. Edmond Bille, B-2-DES, 1 f. A4, r°.

Grâce à vous, je n’aimerai pas seulement la Suisse pour ses paysages. Vous m’avez ouvert les yeux sur l’esprit populaire helvétique, sur son goût de la liberté, sur son mépris des « honneurs qui déshonorent », sur tant d’autres choses qui attestent de la générosité et de la grandeur. J’avais certaines préventions et certaines illusions que je n’ai plus. Comprenant mieux la Suisse, je l’aime davantage – et autrement. Avant de quitter ce sol accueillant, je tenais à vous dire un chaleureux merci pour les bonnes heures d’amitié dont je vous suis redevable. Je ne les oublierai point.
Paris va me reprendre dans son labeur redoutable, sa fièvre, ses durs soucis, ses peines et ses dangers – sa vie féroce, dévoratrice d’énergie. Je n’attends rien de bon, en ces temps de guerre, de la grande ville qui <vous> prend à vingt ans, ivre de jeunesse et d’enthousiasme, boit votre sang pour vous laisser un beau jour, seul, amer, et désemparé, « plein de sanglots et d’insultes ». J’ai tout lieu de redouter, mes forces n’étant plus intactes, le rude contact de cette ville. Pourtant, plus vive que jamais, j’en ai la nostalgie. L’idée du retour, née ces temps-ci, s’est vite cristallisée. Je n’ai plus qu’à partir, obéir à mon destin – quelqu’il soit. La-bàs, on luttera pour la liberté. Cela vaut bien le sacrifice d’un peu de sa tranquillité.

34. Les Tablettes, revue fondée par Claude Le Maguet / Jean Salives en octobre 1916, à Genève.

Coll. Bibliothèque nationale suisse.

Notes de bas de page numériques

1 « vous » : ajout supérieur.

Pour citer cet article

Denis Bussard, « Quelques épigones de Romain Rolland », paru dans Loxias-Colloques, 8. Ecrire en Suisse pendant la grande Guerre, Catalogue de l'exposition, Quelques épigones de Romain Rolland, mis en ligne le 23 août 2017, URL : http://revel.unice.fr/symposia/actel/index.html?id=980.

Auteurs

Denis Bussard

Études de Lettres à l’Université de Lausanne puis archiviste aux Archives littéraires suisses (Bibliothèque nationale, Berne) depuis 2011. Responsable de la Collection Romain Rolland, de la Collection Edmond Bille et des fonds d’archives de Paul Seippel, de Gonzague de Reynold, de Jacques Chessex et des Éditions Bertil Galland. Il est notamment l’auteur de « Pierre Jean Jouve et Marc Eigeldinger. Une amitié de circonstances ? » (Quarto, 2014).