Loxias | Loxias 37. Arts et Littératures des Mascareignes | I. Arts et littératures des Mascareignes
Valérie Magdelaine-Andrianjafitrimo :
Effets d’ancrage. Parcours dans quelques propositions artistiques réunionnaises
Résumé
Le champ artistique réunionnais est peu connu en dehors de l’île. Sa littérature piétine et hormis la musique, peu d’autres formes accèdent à la reconnaissance. En réalité, il s’agit d’une invisibilité largement construite plus que d’une absence, et cette invisibilité vient avant tout de la complexité du statut du DOM. L’univers artistique ne trouve pas sa place dans le débat qui le divise entre désir d’assimilation et d’ancrage. L’examen de quelques formes et expériences artistiques permet en effet de comprendre que l’énergie créatrice ne se situe pas dans les genres relevant de l’image d’une culture normative et canonique. Mais il ne s’agit pas pour autant de recréer de nouvelles frontières qui sépareraient cette fois savant et populaire. En réalité, les pratiques artistiques réunionnaises révèlent à la fois les blocages mais aussi les « réorganisations dialectiques » (Bhabha) qui travaillent une société de créolisation et permettent d’y trouver des effets plus que des modalités d’ancrage.
Index
Mots-clés : ancrage identitaire , champ artistique réunionnais, vernaculaire/ cosmopolite
Géographique : Mascareignes
Chronologique : Période contemporaine
Plan
- I. Une invisibilité construite
- II. « Petits genres » et déplacement des frontières
- III. « Dialectiques culturelles » en construction
Texte intégral
1Les pratiques et productions artistiques réunionnaises ne sont guère connues que par un panthéon toujours répété et par la reconnaissance dont jouit le genre musical du maloya, inscrit au patrimoine culturel immatériel de l’humanité par l’Unesco en 2009. Cette invisibilité invite à s’interroger sur la situation d’un DOM qui parvient difficilement à énoncer ses conflictualités, à dire sa fracture entre fascination pour l’assimilation française – souvent donnée comme seule voie pour une modernité largement mythifiée – et désir d’ancrage, qui permettrait l’élaboration d’une identité nationale, démarquée d’une « métropole » oublieuse de ses outremers. Alors que La Réunion se caractérise par des mécanismes complexes de créolisation, le discours qu’elle porte sur elle-même véhicule ce dualisme qui structure en particulier son rapport à l’art, et elle commence à peine à revendiquer de s’ouvrir à ses alentours, à la reconquête d’origines plus ou moins recréées. De ce fait, le panthéon artistique offert à l’extérieur, que ce soit dans les noms d’artistes ou dans les genres représentés, ne coïncide pas nécessairement avec ce qui se joue localement. Nous nous proposons d’explorer quelques niches souvent négligées des arts réunionnais qui remettent à plat les dichotomies entre cultures savantes et populaires et ne peuvent être comprises que si elles sont mises en relation avec les tâtonnements d’un peuple qui travaille à se situer entre plusieurs mondes.
2Le champ artistique – notion qu’il conviendra de remettre en question – vise souvent à recréer des identités largement imaginaires et à combiner processus d’intégration et de rupture. À travers des pratiques que certains artistes jugent populaires et par le rejet de ce qu’ils conçoivent comme légitimé, on peut voir leur désir de résoudre ces conflits de localisation et de donner des voix et des représentations à leur état de créolisation. Mais ils ne sont pas toujours reçus comme on l’attendrait par leur propre public. C’est sans doute cette tension dans les mécanismes de la légitimation et de la reconnaissance qui produit les occultations, les distorsions voire l’invisibilité des pratiques artistiques réunionnaises. En même temps, on ne peut qu’être frappé par l’effort permanent du discours social réunionnais pour neutraliser ses propres complexités, liées à une situation entièrement diasporique et à un passé peu interrogé. Cette simplification s’exprime précisément par l’amplification d’une représentation binaire, de discours dichotomiques entre l’ailleurs et l’ici qui permettent d’échapper à l’affrontement au divers et à la remise en cause de l’édifice toujours fragile du DOM.
3Nous esquisserons quelques cas d’expériences artistiques immédiatement contemporaines, relevant de la littérature, du théâtre, ou des arts urbains, qui ont toutes trait à la question de la localisation, non pas, toutefois, pour en retracer un historique ni en extraire un quelconque florilège d’artistes1. Nous nous proposons d’y observer certaines stratégies d’ancrage et de discours sur soi qui s’accompagnent des questions de l’invisibilité et de la reconnaissance. Nous constaterons qu’elles travaillent, souvent de manière spontanée, à produire des codes « dans le temps discontinu de la traduction et de la négociation2 ». Ces codes susceptibles de réduire les binarismes « dedans/dehors », « local/global » jouent avec les stéréotypes d’une « tradition authentique » et d’une « modernité mondialisée ». Ils semblent en effet proposer des modes de localisation à travers une nouvelle manière de comprendre l’espace urbain et social, qui permettront de mettre au jour des « réorganisations dialectiques3 » dépassant les oppositions clivées.
I. Une invisibilité construite
4Dans le meilleur des cas, on ne connaît guère du domaine artistique réunionnais que quelques noms d’écrivains et de musiciens qui ont réussi à traverser les limbes ultramarines pour se faire reconnaître « au centre », par des maisons d’édition, des conférences, des médias, des festivals français et internationaux. Cette invisibilité est paradoxalement tout à fait remarquable dans le domaine littéraire, en ce qu’elle contraste avec ce que peuvent vivre d’autres DOM ou la toute proche île Maurice. Alors qu’en 1994 Jean-Louis Joubert qualifiait la littérature mauricienne de « vieille dame dans l’ombre4 », il semble que ce soit maintenant au tour de La Réunion d’être frappée d’une inquiétante « léthargie5 » qui contraste avec la période d’activité des décennies 1970 à 1990 qui ont vu fleurir des poètes (Jean Albany, Alain Lorraine, Boris Gamaleya, Carpanin Marimoutou…) et des romanciers dont certains ont accédé à l’édition nationale (Anne Cheynet, Axel Gauvin, Monique Agénor, Jean-François Samlong…). Cette génération semblait pourtant affirmer avec force l’autonomie de la littérature après les années de plomb de l’imitation coloniale et celles qui ont suivi la départementalisation de 1946. Pourtant, elle n’a pas été relayée et masque de plus en plus difficilement les trous qui déchirent cette littérature et que reprisent à peine les prix littéraires. Après une baisse de régime, les prix ont été relancés, essentiellement pour les livres pour la jeunesse. Les prix pour adultes peinent davantage à trouver assez de romans réunionnais pour constituer une liste significative de candidats. Le chiffre des publications, et plus encore des ventes, est alarmant selon certains professionnels, bien que les éditeurs locaux s’insurgent contre cette allégation qui les met en péril. La vivacité de ces débats dans la presse6 ne peut occulter ce constat. La crise d’un certain type de littérature est indéniable et concerne les œuvres écrites aussi bien en français qu’en créole. L’émergence d’une nouvelle génération de jeunes auteurs créolophones, liée à la réoralisation des formes poétiques7, semble s’être enrayée à cause de diffusions extrêmement faibles, d’un public toujours identique, d’une certaine répétitivité des textes comme des échanges. C’est donc bien la littérature « savante », quelle que soit sa langue d’usage, qui semble en panne, c’est-à-dire celle qui épouse les genres codifiés comme le roman ou la poésie. Pour ceux-ci, le public préfère directement se tourner vers les œuvres françaises et internationales, et néglige toute forme de production locale, systématiquement ramenée à sa marginalité.
5Mais rester au stade de la constatation, voire de la déploration, ne permet ni de tenter de comprendre quelques-unes des raisons de cette désaffection, ni de faire apparaître que certaines formes d’expression artistique permettent de secouer, ne serait-ce que temporairement, cette léthargie.
6Cette invisibilité est en effet construite, en premier lieu par des facteurs externes.
7Que la littérature écrite en créole reste fortement minorée n’a rien d’étonnant dans un DOM qui soumet l’une de ses langues à l’autre, perçue comme dominante, gage de réussite et symbole de modernité. Renvoyé au rang de « langue régionale » par les instances nationales, le créole reste dans l’ensemble lié soit à l’idée de folklore soit à celle de militantisme d’arrière-garde. La construction d’une littérature passe par des mécanismes d’exclusion : l’expression créole en est une majeure dans l’horizon réunionnais, mais pourtant, l’expression française ne remplit pas réellement non plus la lettre de mission présupposée par l’édification d’une histoire littéraire réunionnaise. Comme le rappelle Saïd en effet,
L’histoire moderne des études littéraires a été liée au développement du nationalisme culturel, dont l’objectif était d’abord de définir un « canon national » distinct de grands chefs-d’œuvre, puis de maintenir son prestige, son autorité et son autonomie esthétique8.
8Or comme les autres DOM, La Réunion pose précisément la question de la nation. Relevant d’une « francophonie interne9 », le département d’outre-mer est à la fois dedans et dehors, français et autre, national et local. Mais il a surtout des fondations profondément délocalisées, transnationales, sans pour autant que cette dislocation soit vécue comme une opportunité de refondation postcoloniale. Aussi les principes mêmes de la constitution de la légitimité qui passent notamment par l’élaboration d’anthologies, d’histoires littéraires, de manuels scolaires, ne peuvent-ils que contribuer à renforcer ces anamorphoses grossissantes ou réductrices. Un rapide examen de ces ouvrages permet de constater qu’ils sont tous faits sur le modèle français. Ils plient les productions réunionnaises en genres, chronologies, mouvements. Ces classifications s’efforcent de leur donner des contours conformes à ceux de la France, mais s’avèrent nécessairement artificielles et fragiles.
9L’invisibilité n’est pas toutefois construite que par des facteurs extérieurs à l’île.
10Elle est confortée par des instances internes qui vivent elles aussi dans l’ombre portée des modèles hexagonaux. Ainsi voit-on par exemple se développer les incitations à la lecture et la promotion du livre par le biais d’associations, de salons littéraires, d’ateliers d’écriture… Mais l’effet pervers de cette incitation est fort bien dégagé par Jean-François Samlong qui insiste sur la confusion ainsi instaurée entre livre et littérature10. La politique de soutien et d’aide au livre, fortement tributaire des soubresauts idéologiques qui agitent les pouvoirs en place, contribuerait à tuer la nécessité de dire qui s’était soulevée après 1977, au terme de longues années de mutisme. Qui plus est, les aides à la culture sont souvent conditionnées au fait que les artistes travaillent sur l’Océan Indien. Malgré leur caractère indispensable, les subventions et les institutions peuvent alors apparaître comme prédatrices et tendre à « programmer » un ensemble d’intérêts portés à la zone et à l’île. Elles n’en enlèvent pas moins le désir des artistes de publier et d’être reconnus en France, ce qui complète le brouillage entre canons métropolitains et édification d’une littérature réunionnaise.
11Tant que cette dernière ne sera affublée que d’un singulier imitatif, ces blocages resteront puissants. En effet, cette vision d’une idée de la littérature qui irait nécessairement du même pas partout où l’on en fait un objet d’étude ne peut rendre compte d’un système de genres différencié et complexe. En situation dominée, de nombreuses formes d’expression sont occultées au profit de récits et de modes narratifs dominants. Elles le sont d’autant plus dans les DOM : dans le lieu même où se sont déroulés l’esclavage, l’engagisme, la colonisation, s’est installé un système départemental, démocratique, qui semble assurer à chacun un statut de citoyen français. Contrairement à ce que vivent beaucoup de pays anciennement colonisés, on n’y note donc pas cet écartèlement entre lieu de création et de réception qui revitalise la création par la persistance et l’évolution des conflits11. Les « narrations rivales » qu’évoque Saïd, « l’expérience superposée […], l’interdépendance des terrains culturels où colonisateurs et colonisés ont coexisté et se sont affrontés12 » se résolvent par l’oubli des expressions dominées au profit de la seule autorité symbolique des formes perçues comme légitimes. Ainsi, proposer de considérer les paroles du maloya comme texte, ainsi que le fait Carpanin Marimoutou13, démarche que les cultural studies peuvent sans difficulté admettre, paraît-il encore perturbant dans le cadre insulaire. Si l’on analyse les pratiques artistiques réunionnaises sous les modalités du champ, on constate donc que la culture vernaculaire incarne ces expériences minorées, rendues invisibles au sein d’un ensemble lui-même fantomatique.
12Dans ce cadre coercitif et prédéfini, on comprend alors l’enjeu des luttes symboliques qui se dessinent entre quête d’une légitimité depuis l’ailleurs et désir d’ancrage dans des images de soi autres refondées de l’intérieur. Pour autant, exhiber les seules expressions vernaculaires ou créolophones comme le signe de cet ancrage ne constituerait qu’un autre prisme déformant. Dans une île sans autochtonie, toutes les formes artistiques sont importées et progressivement créolisées, qu’elles relèvent de la culture « d’en haut » ou « d’en bas », qu’elles donnent l’impression d’être « authentiques » ou extérieures. Seul varie le degré de distinction qui leur est conféré et les rendra familières ou non, selon qu’elles paraissent plus ou moins normatives. Les formes vernaculaires ne sont donc pas tant perçues comme refuges de l’authenticitésur le plan de la culture que sur le plan de la socialité et du fantasme identitaire : elles y enracinent dans la « nasyon » sans pour autant être reconnues comme valeurs ou faits culturels par ceux-là mêmes qui les pratiquent14.
13Ce n’est donc pas cette opposition qui peut instruire un regard porté sur les expressions artistiques réunionnaises mais c’est plutôt, au sein d’un espace élargi à l’ensemble de leurs manifestations, une déconstruction des rigidités induites par la notion de champ. Irréductible à la polarisation des capitaux culturels et économiques, aux notions de genres, de mouvements, d’instances, de haut et de bas, d’amateurisme et de professionnalisme, l’espace artistique réunionnais a spontanément décongestionné un ensemble de formes et de pratiques, l’a symboliquement et sémantiquement déchargé ou rechargé. Ainsi peut-on voir que certaines niches souvent peu valorisées dynamisent le monde littéraire. Pour autant elles ne sont pas départies des mêmes ambiguïtés que les formes plus canoniques.
II. « Petits genres » et déplacement des frontières
14Les « petits genres »constituent une voix persistante dans cette littérature « discrète ». Comme dans beaucoup d’autres sociétés longtemps privées de parole fleurissent les récits de vie, les témoignages, les souvenirs de « petites gens ». Ils trouvent peu de lectorat, mais connaissent généralement un accueil chaleureux dans la presse ou dans les interventions publiques des témoins-auteurs, car avant tout, ils reposent sur l’empathie et le partage d’expérience. Qui plus est, ces interventions se font souvent en créole alors que les textes sont publiés en français. Toutefois, ils incarnent une entreprise d’ancrage paradoxale. Les motifs de la « petitesse », de la subalternité hantent le discours réunionnais sur soi, artistique comme social. Ces genres « mineurs » doublent donc la représentation d’une minoration sociale et d’une sorte de défaite systématique du sujet créole.
15Bien que posée d’une autre manière, c’est finalement cette même question de la petitesse que l’on retrouve dans la vogue de la littérature pour la jeunesse15. L’accroissement permanent de cette littérature ne tient pas seulement à une impulsion ni à une émulation créatrices des auteurs et illustrateurs, mais aussi à une politique de promotion active. Elle se traduit par des salons du livre de jeunesse dans l’île, ou des stands dédiés dans les salons en métropole. Les aides à la publication, qui permettent de beaux livres soignés, s’inscrivent en partie dans les actions régionales et départementales contre l’illettrisme et pour la sensibilisation au livre et à la lecture. L’intérêt de ces albums et ouvrages tient aussi au matériau qu’ils utilisent. Une partie d’entre eux joue des formes de l’oralité créole en reprenant la structure et les jeux phatiques du conte réunionnais, ou en exploitant les traditionnelles devinettes ou « sirandanes » typiques de l’Océan Indien16. Ils sont ainsi aisément exploités dans des animations scolaires qui sensibilisent les enfants à ce fonds naguère familier, d’autant qu’ils sont soit en français ou bilingues, rarement entièrement en créole. Par ailleurs, beaucoup exploitent des éléments de la culture locale, des animaux et des personnages légendaires dont la fameuse sorcière Grand-Mère Kalle, le pirate La Buse17…
16Ces biais permettent une articulation intéressante entre le monde et l’île : ce sont d’aisés carrefours pour une réinterprétation globale d’un ancrage local. Les illustrations y participent en jouant à la fois de formes novatrices et de matériaux locaux comme dans le travail de Florans Féliks, ainsi que de marqueurs culturels et topographiques qui permettent aux enfants de poser leur regard sur leur propre monde. Leurs aînés n’en ont jamais disposé, ce qui est peut-être l’une des causes de leur désaffection pour la littérature réunionnaise. Si ce développement peut engager peu à peu les Réunionnais à admettre la valeur littéraire et esthétique de leur culture, il n’en est pas moins ambigu. Il tend en effet à localiser le monde et la langue créoles dans le royaume du jeu. Qui plus est, étant donné que cette littérature est l’une des seules à être représentée au plan national, elle ramène symboliquement l’île, sa culture et ses textes à un certain état d’enfance qu’il convient de dépasser lorsqu’on grandit.
17L’autre genre à succès et à éclipses de la littérature réunionnaise est la bande dessinée. Elle a connu de grands jours avant de se fatiguer au moment de la mort du célèbre journal Le Cri du margouillat18, puis de reprendre des couleurs comme en témoignent les librairies spécialisées, les festivals, les éditions et rééditions d’albums. On peut en évoquer ici deux directions particulières.
18Un travail de traductions en créole d’albums bien connus comme Tintin, Astérix, Petit Spirou… a été lancé aussi bien sous l’impulsion d’éditeurs antillais que réunionnais. Il s’agit de véritables lieux d’expérimentation pour les diverses graphies du créole qui font l’objet de débats virulents, plus sociaux que linguistiques en réalité. Loin de ces préoccupations, le lectorat réunionnais comme les touristes, à majorité française, leur assurent un relatif succès de librairie. Mais cette reconnaissance n’est pas dénuée d’une certaine forme de folklorisation. Le décalage linguistique qu’apportent ces albums est-il en effet une forme d’appropriation de ces classiques de la BD ou un surplus d’exotisme tropical qui, une fois encore, associe l’enfance, le jeu et le créole ?
19Un deuxième type de BD propose une forme d’ancrage très différente. Il regroupe diverses formes. Parmi elles, on trouve des albums comiques et satiriques devenus des classiques comme ceux de Téhem et sa série à succès Tiburce, ou son ouvrage Quartier Western, qui reposent tous sur du « moukataz » (« raillerie »), de la satire essentiellement socio-ethnique. On peut y ajouter des albums historiques comme La Grippe coloniale de Huo-Chao-Si et Appollo (2003), Ile Bourbon 1730 d’Appollo et Tronheim (2006), Jaya, engagée indienne de Thirel et Fernando (2010)… ou bien des ouvrages qui exploitent des figures devenues légendaires comme Saint-Ange et Sitarane, les buveurs de sang, de Vaxelaire et Giraud (2011). On relève aussi des albums qui explorent les croyances populaires au sein d’un monde contemporain avec, depuis 2008, la série des Nèfsèt Kat (974) de Fabrice Urbatro, récompensé en 2012. La BD apporte un certain savoir qui initie ses lecteurs à des épisodes plus ou moins dits dans la littérature canonique, et par sa liberté de ton et d’images, leur donne une représentation immédiate. Selon Christophe Cassiau-Haurie, « La BD, doucement souvent, violemment parfois, véhicule une contestation que ces peuples, tous issus de l’esclavage, ont parfois du mal à exprimer ailleurs19 ». Elle le fait à travers la ramification d’un discours drolatique et satirique sur soi et d’un fonds légendaire créole commun, dans des graphismes plus ou moins novateurs. C’est ainsi qu’elle rencontre un certain public.
20Ce succès – toujours relatif – des « petits genres » tient donc à leur position dans le système littéraire. Bien qu’ils y soient totalement intégrés, ils demeurent pourtant perçus comme peu régulés et libres d’autoriser des jeux spéculaires par leur usage des langues, du substrat culturel et historique, de l’humour et de l’autodérision, par leur univers familier. La reconnaissance dont jouissent certaines formes artistiques considérées comme relativement bien ancrées dans l’espace culturel réunionnais s’établit donc en fonction d’une bifurcation savant/ populaire qui n’épouse pas les contours d’une dichotomie entre le vernaculaire/le cosmopolite. Formes extérieures à l’île, la BD ou la littérature de jeunesse ne sont qu’articulées à du matériau « réunionnisé ». À défaut d’être locales, elles sont localisées par le fait qu’elles semblent se déployer à l’abri de ce que l’on conçoit comme la Culture, symboliquement attribuée à un normativisme fort et à des destinataires élitistes et toujours autres.
21L’exemple de ce que nous appellerons « théâtre » est à ce titre révélateur de ce que le public admet ou non comme sien.
22Le théâtre « conventionnel » peine à élargir son auditoire, socialement assez homogène. Bien que les représentations à destination des scolaires et les options théâtre dans les écoles et lycées soient très nombreuses, la diversification sociale des publics n’est pas encore assurée. Les incitations à fréquenter les théâtres et les adaptations des manifestations à un public plus populaire sont pourtant nombreuses. L’exemple du théâtre la Fabrik20, à Saint-Denis, est tout à fait intéressant. Il est implanté dans un ancien séchoir à tabac face à un grand groupe scolaire, dans un ancien quartier de pêcheurs maintenant totalement urbanisé mais toujours défavorisé. Il tente de jouer un rôle de carrefour culturel qui réunisse les différents usagers de ces lieux et permette à chacun de devenir acteur de la culture en même temps que spectateur. La structure met ainsi l’accent sur les stages, les ateliers, aussi bien de théâtre que d’arts du cirque ou d’arts urbains. Elle propose des lectures conviviales de textes de différents genres et langues. Elle développe des résidences avec des auteurs qui ont pour objet de faire participer le quartier à l’élaboration de spectacles montés par la compagnie hébergée par ce théâtre Cyclones Production comme Le Jour où Ti’zac enjamba la peur (2012). Mais hormis lors de quelques actions ponctuelles, ces démarches n’obtiennent pas les résultats escomptés, peut-être précisément parce que les incitations sont trop ostensibles.
23Sans doute est-ce lorsque les réflexions sur la créolisation sont trop explicites que les spectacles fonctionnent moins. Ainsi, s’efforçant de trouver un équivalent formel à la multiplicité des mondes réunionnais, une troupe comme Taliipot a depuis quelques années choisi la voie d’un certain théâtre postdramatique, qui laisse une large part au rituel, à la corporalité et à la danse, plutôt qu’au texte. Elle est sans doute plus reconnue sur un plan international que local où elle jouit d’un succès d’estime, mais en partie assuré par ses premières productions et par sa mise en scène d’un conte, Adrien il y eut un matin du directeur de la troupe Pelen Baldini et Slobodan en 1995.
24Ces théâtres qui cherchent à être « populaires » ne parviennent pas à ressusciter la fougue qui accompagna les entreprises beaucoup plus spontanées, parce que polémiques et idéologiques, du théâtre Vollard21. À la manière de la littérature écrite, les temps du réveil et de la résistance artistiques semblent s’être dissous dans ceux des politiques culturelles, des institutions peut-être aussi dans un certain figement des représentations des mondes créoles.
25Des moments plus festifs et alternatifs paraissent recevoir un accueil plus large : c’est le cas par exemple d’un festival comme le Leu Tempo. Festival en plein air, pour lequel une partie des spectacles est gratuite et se tient dans les rues alors que d’autres, payants, se jouent dans des espaces temporaires et alternatifs, il se spécialise dans le théâtre pour enfants22, les marionnettes, les arts du cirque, dans des spectacles comiques et satiriques, aux formats brefs, dans les arts visuels et sonores, et fuit les « classiques ». Il est parvenu à estomper un peu la ligne de partage entre un public métropolitain ou/et bourgeois créole d’un côté, et un public « populaire » créole de l’autre qui d’ordinaire se croisent peu dans les mêmes lieux culturels.
26Mais il serait erroné d’en déduire que le large public réunionnais fuit les salles conventionnelles ou les spectacles à texte, car ce qui rencontre le plus grand succès est appuyé sur un important usage du texte, majoritairement en langue créole, et se joue dans les plus grandes salles : ce sont les spectacles comiques. Le public les reçoit volontiers car d’une part, il n’est incité par aucune instance à y adhérer, et d’autre part parce que, pour cette raison même, il les perçoit comme sans autre enjeu que d’y voir raillés pour lui, et presque par lui, ses propres travers. Les barrières tombent devant cette démarche ressentie comme spéculaire. Ces spectacles connaissent un succès qui se décline en plusieurs genres et sont diffusés sur scène et en DVD. Les acteurs et créateurs tiennent une place de plus en plus significative dans les médias radiophoniques et télévisés. Ils y occupent des créneaux dédiés, à travers des séries récurrentes, comme Le Boui-boui qui a suivi Chez Mangaye et Marta et Léonus… ou des journaux télévisés parodiques comme le Journal de la République Démocratique de Bourbon… Ces spectacles peuvent prendre la forme de sketches à plusieurs acteurs, proches d’un certain théâtre de boulevard, ou bien ce sont des one man/woman show dans lesquels les femmes, parentes pauvres de l’expression artistique réunionnaise, trouvent à s’inscrire, comme le montre l’affection du public pour Marie-Alice Sinaman, Ze Tantine... Tous portent un regard satirique sur l’actualité politique et sociale, mais aussi sur les stéréotypes ethniques, à la manière de la BD comique.
27Là encore, la forme perméable de ces spectacles permet de les voir comme au croisement de plusieurs héritages. S’ils sont perçus comme exemples de la modernité mondialisée, réadaptés par l’usage de la langue et des référents créoles, on peut aussi y voir la filiation d’une pratique de l’humour créole qu’on trouve dans l’habitude du moukataz et dans les formes orales courtes qui composaient les « ti konser » et les premières pièces réunionnaises, comme celles de Louis Jessu23. L’articulation entre l’ici et l’ailleurs ne peut donc se faire que par les diverses étapes que suppose l’idée de traduction et de négociation culturelles.
28On le voit par exemple avec l’expérience de Téat la Kour24. La troupe est née autour d’Erick Isana et Lino Rasolonirina et remporte un grand succès comme en témoignent les milliers de DVD vendus. Le nom même de la troupe est emblématique de leur travail. Ils associent l’idée de théâtre induisant une certaine distance, à celle de la kour, c’est-à-dire de l’espace environnant et familier, dont ils s’inspirent et à qui ils s’adressent. La kour, c’est le lieu de la socialité, où s’échangent les plaisanteries, les railleries, où le moukataz résout ou amplifie les conflits. Leurs spectacles se veulent en lien direct avec ce type de partage de la parole25 et raillent le mimétisme et la doxa créoles. L’autodérision révèle un regard acéré sur les angoisses et préoccupations de l’univers social : leur pièce I Shap pa (2008), structurée sous la forme d’un journal télévisé, mettait déjà en scène la précarité qui a généré en 2012 de nouvelles émeutes urbaines. Les deux piliers de la troupe ont pris position dans la presse sur ces événements qui ont secoué l’île et leur quartier du Chaudron, ce qui corrobore cette idée de continuité entre leur pratique artistique et le monde dans lequel ils sont immergés. Leur voix théâtrale donne alors finalement la sensation au public de porter son propre discours et son jeu langagier.
29L’ensemble de ces exemples a pu montrer que l’art réunionnais apparaît productif et dynamique dans des formes minorées au plan international, lorsque l’artiste et le spectacle proposés se présentent comme en direct prolongement avec l’espace social. Cela n’a bien sûr rien de propre à l’univers réunionnais, mais y prend sans doute des résonances plus fortes dans le sens où ce qui est alors dit, c’est précisément ce qui reste totalement inconnu de l’extérieur et de la France, dans le mélange des langues utilisées, dans les images montrées, comme dans les référents sociaux, politiques et ethniques, difficilement compréhensibles pour les non-Réunionnais.
III. « Dialectiques culturelles » en construction
30Cet entre-soi et cette apparente absence de sérieux apparaissent comme des conditions de la mobilisation des publics de toutes les classes et de toutes les origines autour d’une activité culturelle parce que, précisément, elle n’est pas reconnue comme forme culturelle. Du coup, les récepteurs réunionnais consolident en quelque sorte ce clivage entre ce qui est et ce qui n’est pas de la culture, posant souvent des limites plus rigides qu’elles ne le sont pour ceux-là mêmes qui sont perçus comme les tenants d’une « culture » admise et légitimée. La culture, rappelle Saïd, « en vient à être associée, sur un ton souvent belliqueux, à la nation ou à l’Etat26 ». Se refusant à eux-mêmes l’appartenance à la culture, ils restent en quelque sorte à l’écart d’une nation française dont les institutions politiques ne cessent par ailleurs de leur répéter qu’elle est leur réalité et leur échappatoire. Ainsi voit-on se mêler étroitement aliénation et résistance. La difficulté à interroger les sociétés hétérogènes provient tout autant des centres que de ces sociétés elles-mêmes, qui ont incorporé les normes grossies que l’époque coloniale leur a inculquées et des façons de penser la nation tout aussi excluantes, même si cela doit être à leurs dépens27. En même temps, dans une société née de l’esclavage et de la colonisation, au statut aussi ambigu que le département d’outre-mer, l’entre-soi renforcé par la dérision systématique ainsi que le repli loin de toute instance de validation et de tout « nationalisme culturel » peuvent être lus comme des formes de résistance, parfois inaperçues tant elles se partagent la scène avec un permanent déni de soi. Ce qui est en revanche à la fois tabou car politiquement incorrect dans une société aussi plurielle, mais parfaitement identifié et suggéré, et qui renforce l’idée de la résistance et du conflit, c’est la ligne de partage qui fissure la société et les pratiques artistiques entre ce qui est renvoyé aux besoins créoles d’une part, et d’autre part, aux goûts et pratiques « zorey » (métropolitains), toujours associés à des désirs dispendieux et étrangers au monde réunionnais28.
31Les systèmes artistiques constituent donc un fort champ de forces et de conflits où prévalent la question de la culture populaire, de ses fonctions et du lieu qu’elle occupe, ainsi que la définition que l’on veut donner de soi et de sa culture dans un espace minoré et rendu périphérique par la pensée française. Hall rappelle que la culture populaire,
C’est une arène profondément mythique. C’est un théâtre des désirs populaires, un théâtre des fantasmes populaires. C’est le lieu où nous découvrons et jouons avec nos identifications, où nous sommes imaginés, où nous sommes représentés, pas seulement devant des publics qui ne comprennent pas le message, mais aussi pour nous-mêmes et pour la première fois29.
32La culture populaire ne suffit toutefois pas plus que la culture vernaculaire à résoudre la question de l’ancrage : prise ainsi, elle ne ferait qu’entériner les clivages du bas et du haut, là où le vernaculaire divisait l’ailleurs et l’ici. Profondément mythique, comme y insiste Hall, elle restaure au contraire l’idée d’une « dialectique culturelle30 » en ce qu’elle est liée d’abord à la représentation des conflits de légitimité et d’héritage. La question n’est en effet pas tant dans quoi s’ancrer et comment, mais surtout, pour dire et laisser quoi de soi. Dans le cas de La Réunion sans population autochtone, la notion d’héritage même est sujette à caution. Ici, il n’y a pas d’avant et rien donc n’en est à léguer. Le patrimoine s’est construit dans un partage conflictuel du lieu, à partir de conjonctions complexes entre les temps, les appartenances, les cultures… Et cette construction n’est pas achevée. Elle se poursuit dans de perpétuelles mutations. Les contours de l’héritage sont donc peu prévisibles, imprévisibilité qui pour Glissant est le signe même de la créolisation et imprévisibilité qui s’accroît par toutes les formes de mises en dialogue des mondes contemporains comme par les explosions postmodernes. L’île créole, en effet, contrairement à un stéréotype fréquent, n’est pas un univers clos au temps suspendu mais est, elle aussi et peut-être elle d’abord, en phase avec les soubresauts du monde. Les pratiques artistiques témoignent au mieux de ces tâtonnements pour décider précisément de ce qui va faire signe. Elles sont un lieu de négociations et de « stratégies souterraines de recodage et de transcodage31 » entre ce dont on hérite, ce que l’on adopte, ce que l’on veut exhiber et transmettre, un lieu où se construisent des « significations critiques et de[s] processus de significations32 ».
33Nous pouvons en trouver un intéressant exemple dans le travail de deux peintres de street art, Kid Kréol et Boogie. Il illustre l’idée même de « temporalités disjonctives » qu’évoque Homi Bhabha. Il s’inscrit en effet dans les « arts urbains » : les deux artistes issus des Beaux-Arts peignent dans les rues, les friches industrielles, ou dans des espaces réservés, tantôt en transgressant les lois, tantôt en s’y inscrivant voire en répondant à des commandes officielles33. Mais l’objet de leur démarche, intitulée « Zamérantes » (« âmes errantes »), s’inscrit, comme leurs Saint-Expédit, dans la conscience et la recherche de temporalités autres. Comme ils le disent eux-mêmes, il leur a été difficile de ne pas reprendre de codes américains pour leur travail parce qu’ils ne trouvaient pas « d’images créoles », alors qu’ils trouvaient facilement des sons et des voix dans la musique et la langue créoles. Ils se sont alors interrogés sur cette absence de représentation qui hante le peuple comme un fantôme, ce qui les a incités à figurer l’une des grandes peurs réunionnaises, celle des âmes errantes : « c’est une réalité trop lourde pour être réelle, il fallait passer par le mythe pour la restituer34 ». Ils ont ainsi cherché des substituts à des images absentes en ayant recours au mythe d’autochtonie de la Lémurie35 et en se recentrant sur l’Océan Indien pour redonner une assise fondatrice aux Réunionnais, en passant directement par les rues plutôt que par les institutions. Ils refusent de signer leurs peintures parce qu’ils se veulent des révélateurs plutôt que des créateurs. Leur démarche conjoint donc une quête symbolique d’enracinement, de mise en relation des espaces india-océaniques, avec les moyens, les lieux et les modes d’expression d’une culture mondialisée et occidentalisée, sur le support d’un espace symbole d’arrachement s’il en est, les villes coloniales. La métonymie de cette entreprise pourrait être trouvée dans le motif du triangle qu’ils substituent aux têtes de leurs créatures ou leur associent : ce que l’on peut considérer comme leur signature graphique de street art est aussi, selon leurs dires, un motif emprunté au Mozambique où il figure des têtes d’animaux.
34Leur réflexion n’est toutefois connue que de ceux qui s’interrogent sur ces créatures qui surgissent la nuit dans les villes. Elle n’est pas immédiatement interprétable ni compréhensible mais l’essentiel est sans doute qu’elle dérange et angoisse vaguement36. Comme c’est le propre des arts urbains, leurs œuvres sont polysémiques et temporaires, en même temps que totalement invisibles à ceux qui ne lèvent pas le regard sur elles, métaphores s’il en est de la société réunionnaise. Elles posent enfin la question de la modernité et de la postmodernité dans un contexte à la fois créolisé et mondialisé, montrant la lente constitution d’un espace public réunionnais37 et sa convergence avec l’émergence de nouveaux rapports à l’art et de nouvelles formes de socialité créole.
35Cet exemple, comme les quelques autres que nous avons évoqués, mettent en exergue les traductions et réorganisations qui travaillent les arts et se vivent au quotidien dans le monde créole mais qui pourtant, sont peu formulées dans le discours social qui continue à s’énonce sur le mode d’une permanente hésitation entre les pôles clivés du dehors et du dedans. La contradiction permanente entre ce discours sur soi et ce que l’on vit est l’expression de la souffrance – totalement inaperçue en métropole –, à s’énoncer, de la difficulté à devenir sujet dans une île toujours en projet.
36La complexité réunionnaise se répercute donc dans la difficulté des pratiques artistiques à régler leur place et dans les hésitations des publics à leur donner toute leur ampleur et la diversité de leurs significations. La question de l’ancrage déplace et recompose les frontières du local et du global, de l’ailleurs et de l’ici. Sheldon Pollock évoque le choix simple et désespéré qu’il y aurait à faire entre cosmopolitisme et vernacularisation,
[…] between a national vernacular dressed in the frayed period costume of violent revanchism and bent on preserving difference at all costs and […] a clear-cutting, stripmining multinational cosmopolitanism that is bent, at all costs, on eliminating it38.
37Refuser d’être contraint de choisir entre ces options, c’est ce que Pollock identifie comme la seule réponse aux paradoxes de la modernité. C’est aussi la réponse qui s’impose face aux arts réunionnais nécessairement hybrides et hétérogènes, mêlant les temps et les mondes. Les « modernités vernaculaires » ne sont donc pas des paradoxes mais des évidences, des réalités qui évoluent à leur rythme et dans leur écosystème « laissé[s] de côté dans le grand coup de balai panoramique de la mondialisation, mais qui revien[nen]t en déranger et en troubler les arrangements culturels39 ». Pourtant, la difficulté à les prendre en considération, à admettre les « dissonances culturelles40 » qui traversent chacun, ainsi que l’invisibilité persistante d’un ensemble de productions artistiques réunionnaises témoignent de la situation minorée de ce DOM, toujours renvoyé à des perspectives réductrices et binaires.
Notes de bas de page numériques
1 Notre démarche reste donc lacunaire. Nous n’évoquons pas les formes qui se tiennent à l’écart de cette question, soit parce qu’elles suivent des voies conventionnelles et se présentent comme non problématiques, soit parce qu’elles sont aux « marges ». Toute une part de la production dite populaire ne semble interrogeable ni comme phénomène socioculturel, ni comme phénomène esthétique : on le voit avec les genres musicaux du séga, ou du zouk réunionnais ramenés à leur seule efficacité festive, alors qu’ils posent pourtant le problème des conjonctions et disjonctions entre îles créoles comme Maurice ou les Antilles, loin des « métropoles ». Nous n’entrons pas non plus dans le débat de savoir qui est réunionnais ou non : nous incluons dans ce corpus les artistes métropolitains ou étrangers installés à La Réunion.
2 Homi Bhabha, Les Lieux de la culture. Une théorie postcoloniale, Paris, Payot, 2007, p. 82.
3 Homi Bhabha, Les Lieux de la culture. Une théorie postcoloniale, Paris, Payot, 2007, p. 82.
4 Jean-Louis Joubert, « La Vieille Dame dans l’ombre », Notre Librairie, n° 114, juill-sept. 1994, pp. 38-43.
5 Jean-François Samlong, « La littérature réunionnaise est en léthargie » http://www.jfsamlong.org/debats/actualites/103-la-litterature-reunionnaise-est-en-lethargie
6 Voir les archives de l’année 2012 du journal Le Quotidien.
7 Frédérique Hélias, Les Nouvelles Formes de la poésie réunionnaise d’expression créole, Marseille, K’A, 2006.
8 Edward W. Saïd, Culture et impérialisme, Paris, Fayard, 2000, p. 438.
9 Romuald Fonkoua, « Discours du refus, discours de la différence, discours en « situation » de francophonie interne : le cas des écrivains antillais », Convergences et divergences dans les littératures francophones, Paris, L’Harmattan, 1992, pp. 55-80.
10 Jean-François Samlong, « La littérature réunionnaise entre le doute et la solitude », http://www.jfsamlong.org/debats/actualites/102-la-litterature-reunionnaise-entre-le-doute-et-la-solitude
11 Sarah Brouillette, Postcolonial Writers in the Global Literary Marketplace, Hampshire and New-York, Palgrave Macmillan, 2007.
12 Edward W. Saïd, Culture et impérialisme, Paris, Fayard, 2000, p. 23.
13 Carpanin Marimoutou, « Le texte du maloya », in Valérie Magdelaine, Carpanin Marimoutou (dir.), Le Champ littéraire réunionnais en questions, Univers Créoles 6, Paris, Economica, « Anthropos », 2006, pp. 101-155.
14 Voir à ce propos Jérôme Vellayoudom, « Le Maloya », Revue de littérature comparée, 2-2006, pp. 243-248.
15 Voir la revue Takam Tikou, n° spécial Littératures Océan Indien, n°14, novembre 2007.
16 Par exemple : Pomdetèr mon granper ou Delo deboute, d’Axel Gauvin, (ill. Florans Féliks), 2007 ou Comme Singe et cochon/konm sousou ek la mori, de Catherine Saget (ill. Térésa Small), 2001.
17 Entre de très nombreux autres : La Chasse aux bilimbis : aventures de deux tangues à La Réunion de Daniel Vaxelaire (ill. Sylvie David), 2000 ; La Chasse au dodo de Appollo (ill. Manu Brughera), 2005 ; Mais que fait Grand-Mère Kalle de Joëlle Ecormier (ill. Nathalie Millet), 2006 ; La Buse et la vierge du cap, BD jeunesse, Daniel Vaxelaire, (ill. Michel Faure), 2005.
18 Christophe Cassiau-Haurie, Iles en bulles, La bande dessinée dans l’Océan Indien, Saint-André, Centre du Monde, 2009.
19 Christophe Cassiau-Haurie, « Satire et autodérision dans la bande dessinée des DOM TOM », Africultures, article n° 7252, http://www.africultures.com
20 Voir le sitewww.lafabrik.biz/les-plus.php .
21 Voir le site http://www.vollard.com et Jérôme Di Bernardo, La Culture théâtrale à travers un exemple local : le théâtre Vollard, mémoire de maîtrise, Université de La Réunion, septembre 2000.
22 Les manifestations à destination de l’enfance sont de plus en plus fréquentes, mouvement parallèle à la vogue de la littérature de jeunesse.
23 Alain Armand, Gérard Chopinet, La Littérature réunionnaise d’expression créole, 1828-1982, Paris, L’Harmattan, 1983, p. 278.
25 Leurs sketches télévisés dans la série Télé la kour ressemblent plus à de la bouffonnerie improvisée dans laquelle chacun pourrait s’inviter, qu’à du texte écrit.
26 Edward W. Saïd, Culture et impérialisme, Paris, Fayard, 2000, pp. 12-13.
27 L’exemple du groupe de « maloya malgache » Lindigo en est significatif. Tenus par une partie de la population créole comme ceux qui réhabilitent les racines malgaches des Réunionnais, ils remportent un énorme succès y compris à l’étranger. Pourtant, on voit apparaître dans la presse des courriers de lecteurs leur reprochant de véhiculer une image « inauthentique », car trop malgache, de La Réunion, ce qui montre la variabilité permanente des notions d’identité et d’altérité.
28 L’exemple des festivals musicaux en est criant : le festival Sakifo, pourtant fort apprécié par beaucoup et délivrant des prix et des soutiens aux artistes locaux, mais en même temps tourné vers l’international et soutenu par France Inter a l’image caricaturale d’un gouffre financier destiné aux zorey alors que les publicités pour le Wayo festival de Saint-Paul dont la première édition aura lieu en septembre 2012 le présentent comme « enfin » destiné à « tous » les Réunionnais.
29 Stuart Hall, Identités et cultures, Politiques des Cultural Studies, Paris, Eds Amsterdam, 2007, p. 226.
30 Stuart Hall, Identités et cultures, Politiques des Cultural Studies, Paris, Eds Amsterdam, 2007, p. 219.
31 Stuart Hall, Identités et cultures, Politiques des Cultural Studies, Paris, Eds Amsterdam, 2007, p. 222.
32 Stuart Hall, Identités et cultures, Politiques des Cultural Studies, Paris, Eds Amsterdam, 2007, p. 222.
33 http://rolledsleeves.fr/2011/02/14/interview-kid-kreol-boogie
34 http://kidkreol-and-boogie.tumblr.com.Ils s’inscrivent dans une sorte de continuité avec le travail des « Tèt kaf », têtes d’esclaves de Wilhiam Zitte, exposition permanente dans un souterrain sous la N1 à la Ravine des sables.
35 Jean-Louis Joubert, Littératures de l’Océan Indien, Vanves, Edicef/Aupelf, 1991, p. 151. Révélations du Grand Océan du Réunionnais Jules Hermann inspirèrent les Mauriciens Hart puis Chazal pour la constitution du mythe d’autochtonie de la Lémurie, continent et peuple premiers de l’humanité.
36 C’est leur différence avec les « gouzous » de Jace, petites créatures stylisées qui parsèment toute l’île et y sont très populaires. Le travail de Jace est avant tout drôle, et ne se veut ni politique, ni identitaire, ni perturbateur.
37 Michel Watin, « Fait urbain et espace public : une nouvelle donne dans la société réunionnaise », communication au Forum des cultures urbaines, Saint-Denis, 13 avril 2011.
38 Sheldon Pollock cité in Sarah Brouillette, Postcolonial Writers in the Global Literary Marketplace, Hampshire and New-York, Palgrave Macmillan, 2007, p. 157.
39 Stuart Hall, Identités et cultures, Politiques des Cultural Studies, Paris, Eds Amsterdam, 2007, p. 299.
40 Bernard Lahire, La Culture des individus. Dissonances culturelles et distinction de soi, Paris, La Découverte, 2004.
Pour citer cet article
Valérie Magdelaine-Andrianjafitrimo, « Effets d’ancrage. Parcours dans quelques propositions artistiques réunionnaises », paru dans Loxias, Loxias 37., mis en ligne le 12 juin 2012, URL : http://revel.unice.fr/loxias/index.html/lodel/docannexe/file/7601/lodel/docannexe/fichier/1245/index.html?id=7084.
Auteurs
Valérie Magdelaine-Andrianjafitrimo
Maître de conférences en littératures françaises et francophones à l’Université de La Réunion, membre du laboratoire LCF, spécialisée dans les littératures de l’Océan Indien, les littératures de la diaspora indienne dans les Caraïbes et l’Océan Indien, les problématiques postcoloniales, identitaires, le champ littéraire et artistique réunionnais. A publié de nombreux articles, co-dirigé ou dirigé plusieurs ouvrages dont, entre autres, deux ouvrages de la série Univers créoles (Contes et romans et Le champ littéraire réunionnais en questions), plusieurs numéros de revues consacrées à l’Océan Indien et La Réunion (Francofonia, Nouvelles Etudes Francophones), un ouvrage consacré à l’outre-mer (Paroles d’outre-mer), un ouvrage sur la réécriture d’une figure épique indienne (Draupadi, tissages et textures)…