Alliage | n°40 - Septembre 1999 Nouvelles relations aux savoirs et aux pouvoirs 

Mary Douglas  : 

Les risques du fonctionnaire du risque

La diversité des institutions et la répartition des risques
p. 61-74

Plan

Texte intégral

1Cet article propose d’appeler l’attention sur les difficultés inhérentes au poste de cadre chargé du risque. Le ministère de la Santé publique britannique exige pour cette fonction un spécialiste, ou un cadre administratif expérimenté. Ce dernier accomplit alors cette tâche en même temps que d’autres responsabilités. Dans une grande institution, j’ai demandé un entretien avec le cadre chargé du risque. On m’a présenté au Secrétaire général, qui n’a fait aucune difficulté pour admettre que ce poste n’existait pas ; la gestion du risque faisait globalement partie de sa charge. En réalité, a-t-il expliqué, la responsabilité pour les risques de feu ou de cambriolage se retrouve aux différents niveaux et fonctions d’autorité. La question que je pose est la suivante : pourquoi certains organismes payent-ils un cadre chargé du risque et d’autres pas ? quelle est la meilleure approche du problème du contrôle des risques ? faut-il payer un spécialiste ou non ? La recherche sur ce sujet est peu avancée.1

2 Si j’étais un cadre chargé du risque avisé, je chercherais un maximum d’information sur l’institution qui veut m’employer avant de signer. La première chose que je demanderais serait l’emplacement de mon bureau. Il m’arrive parfois de demander où travaille le cadre chargé du risque. Souvent, on me montre une petite dépendance, qui ressemble plutôt à une cabane, ou bien un petit coin sombre du bâtiment. Moi-même, en tant qu’universitaire, j’ai souvent travaillé dans ces conditions, sans me sentir pour autant marginalisée. Mais si j’étais cadre chargé du risque, je n’accepterais pas d’être logée dans un tel antre, à moins d’avoir terriblement besoin de travailler, ou  bien de me résigner à l’idée d’une marginalisation totale. Je m’attendrais plutôt à être la personne chargée d’assister aux réunions sur les normes de santé et de sécurité pour le compte de mon administration, censée expliquer mes connaissances à l’équipe qui manipule des substances dangereuses. Je surveillerais la stricte observation des règles de sécurité et ferais des rapports à ce sujet. Bref, je m’attendrais à un certain respect et à une certaine dignité.
Continuons cet entretien imaginaire avec mon futur employeur. Après m’être assurée de mon confort, je l’interrogerais sur le degré d’autonomie dont bénéficierait mon travail. Plus on m’assurerait de ma totale autonomie, plus je me persuaderais du peu d’intérêt que suscitera mon travail. Quiconque accepte ce travail sait qu’il ne sera pas soutenu par sa hiérarchie en cas de crise. Si j’acceptais ce travail, je devrais surveiller depuis ma petite cabane l’observation quotidienne des règles de sécurité. Ces règles sont censées protéger le personnel. On s’attend donc à ce qu’il les respecte avec enthousiasme. Mais c’est assez improbable. Je devrais choisir entre prendre rendez-vous, ou débouler au hasard dans l’équipe en plein travail. Mais cela ne changerait pas grand-chose. Si j’essaie de prendre rendez-vous, les gens auront du mal à trouver le temps de s’y rendre. Mais si j’arrive sans rendez-vous, je trouverais le laboratoire vide, le personnel ayant eu vent de mon arrivée et s’étant volatilisé, à l’exception du petit stagiaire.
Si je devais accepter ce travail, je serais tentée de rester dans mon bureau à dessiner des affiches et à redéfinir les règles de sécurité. À la cantine, je ne connaîtrais personne. Rien d’étonnant, puisque je passerais mon temps à empiler des papiers. Mais si mes collègues savaient qui je suis, ils feraient des plaisanteries sur les risques. J’ai vu une fois, dans un laboratoire de biophysique, une grande affiche qui disait : « Ne pas boire au robinet, eau contaminée. » Elle était manifestement là pour taquiner le cadre chargé du risque. Un autre département affichait une note citant l’Épître aux Thessaloniciens (II, 3).
Face à ces provocations, je ne tarderais pas à éviter la cantine et à manger des sandwichs dans mon cagibi. Dur métier, et bien solitaire !
La question suivante de cet entretien imaginaire concernerait la responsabilité finale. Si le toit tombe ou que le coffre-fort est forcé, si le laboratoire explose, qui blâmera-t-on ? Ce sera moi, bien sûr. Je saurais alors qu’il n’est pas raisonnable d’accepter de travailler dans cette institution. C’est dangereux d’y être cadre chargé du risque. Mais n’est-ce pas le cas partout ailleurs ?

La philosophie morale du risque

3Les grandes institutions peuvent se révéler des lieux dangereux. Il n’est pas nécessaire qu’elles soient très grandes. On peut observer différentes espèces d’institutions, dotées de niveaux et de divisions différents, de relations internes et extérieures différentes. Les risques ne sont pas répartis de la même façon dans tous les organismes. Cela conduit les étudiants en gestion des risques à examiner les divers types d’organisation. Mais quelle typologie adopter ? Il faut distinguer la taille et l’âge des institutions. Mais quoi d’autre ? La théorie de la gestion des risques ne s’est pas vraiment intéressée à de telles questions. Elle est largement dominée par deux concepts : celui d’individu rationnel, et celui d’institution bien gérée. En réalité, la théorie du choix rationnel domine cette pensée. Elle ne prend en compte que deux types d’individus : les rationnels et les irrationnels. Ces derniers ne l’intéressent pas. Dans la même veine, cette théorie ne conçoit que deux types de gestion du risque, une mauvaise et une bonne. Seule, cette dernière l’intéresse vraiment.
La gestion du risque a pour fin l’identification et la réduction des risques. On les mesure et on évalue leurs probabilités par des moyens scientifiques. Mais il y a également le facteur humain. Il s’agit de l’erreur humaine, mais aussi de la décision de prendre un risque une fois mesuré, ou de l’éviter. Le contrôle du risque est un acte empreint de jugements moraux. Face au cadre chargé du risque, des dilemmes se dressent où, partout, le choix est une question de vie ou de mort. Une formation en philosophie morale du risque ne serait pourtant d’aucune utilité pour prendre une décision. Le premier principe fondamental est que l’administration a le devoir moral de ne pas mettre en danger la vie des employés, leur intégrité corporelle, leur santé et leurs biens. Le second est que ni les membres du personnel, ni le public ne sont autorisés à toucher sans permission les biens de l’organisme en question. L’inadéquation de ces principes donne lieu à d’interminables débats sur la responsabilité du personnel et celle de l’administration, celle de l’institution et celle du public. On voit se dessiner le fossé entre les analystes du risque, qui s’intéressent aux risques mesurables, et les anthropologues, qui s’intéressent au facteur humain. Les gens acceptent de prendre une quantité de risques, et pas seulement dans les sports de l’extrême, mais à la maison, à cause d’un sol glissant ou d’une échelle branlante. Ils imposent volontairement des risques aux autres, comme quand un chien mord le postier, qu’une machine est défectueuse au travail, une voiture mal entretenue, une route t dangereuse, sans parler de la nocivité des rejets industriels.
Il peut y avoir beaucoup de bonnes raisons de prendre des risques. Cela peut être une fin : on prend un risque en connaissance de cause, parce que quelque chose en vaut la peine, ou pour devenir la personne que l’on souhaite être, ou pour d’autres buts fort louables. Ces considérations appartiennent à la philosophie du risque. Le risque peut aussi être un moyen. Il relève alors de l’économie du risque. On prend certains risques pour gagner de l’argent et du temps, réaliser certaines fins. Je me demande dans quelle mesure le cadre chargé du risque est censé se prononcer sur la valeur de ces fins. Probablement en aucune manière. L’anthropologie du risque arrive après que l’on a déterminé les véritables risques. Ou peut-être avant. Elle s’intéresse à la pression sociale qui entoure la prise de risque ou son évitement.
Il existe un lien naturel entre l’analyste, qui mesure le risque et l’économiste qui analyse l’économie de la prise de risque. Ce rapprochement est facilité par leur accord sur l’idée que la détermination des fins morales excède leur domaine de compétence. Cet accord sur les limites du champ d’application de leur discipline creuse un trou béant au cœur de leur objet. Toute prise de risque a des implications morales. Une frontière nette sépare forcément la recherche sur les risques en termes de mesurabilité et de coût, de la philosophie morale. Cependant, les conversations qui roulent sur les risques, au bistrot, au ministère ou au parlement, parlent toutes de responsabilité morale. On a tendance à ignorer ce problème central, entre autres à cause de la fragmentation des disciplines universitaires concernées. Mais l’anthropologie a les moyens de rassembler les morceaux du puzzle.
La première chose à faire est de replacer les débats sur les risques dans leur contexte social. On le fait généralement de manière fort décousue, par touches impressionnistes, en confrontant un risque avec un ensemble d’objectifs. Il est rare de trouver un ouvrage centré sur la philosophie morale du risque qui comprenne en même temps la prise de risque comme une partie intégrante de la vie sociale des individus moraux. Parfois, certains philosophes essaient de traiter le sujet de façon impartiale et de prendre au sérieux la question des conditions sociales de la prise de risque,2 tandis que certains scientifiques abordent la notion de crédibilité et la philosophie de la connaissance.3 La plupart des réflexions philosophiques se fondent sur des risques choisis soit pour illustrer une idée politique, comme le fait Beck dans son livre The Risk Society,4 soit pour attaquer une idée politique, comme le fait Schrader Frechette, avec son essai au vitriol, Risk and Rationality.5 La seule exception que je connaisse est un livre remarquable et assez ancien, The Anatomy of Value, de Charles Fried.6 D’autres développent une philosophie du risque dans le cadre d’une théorie générale de la société, mais ils doivent être peu nombreux.

Le fonds commun de risques

4Fried s’appuie sur l’idée du philosophe moral selon laquelle l’être rationnel recherche prioritairement à vivre dans une société juste. Il a donc beaucoup à dire sur les règles de justice. L’originalité de son propos tient au fait qu’il applique systématiquement la notion de justice à celle de risque, tout en considérant qu’il est impossible de vivre sans risque. Il ne parle pas de risque au sens trivial, comme de traverser la rue pour acheter son journal, mais il ne les écarte pas non plus : « Tout choix a des conséquences, fussent-elles minimes, sur la probabilité de la mort. Pour tout choix, il existe une décision alternative, qui a plus, ou moins, de chance de se solder par la mort de la personne qui le fait ou par celle d’autres personnes. » Les risques encourus à cause d’autrui montrent bien que la question du risque est au cœur de la philosophie morale. L’auteur s’appuie sur trois idées pour développer ce point de vue : le plan de vie individuel, le  budget-risque individuel, et le fonds commun de risque.
L’idée d’un plan de vie découle de celle que tout être rationnel est censé avoir pour but de donner sens à sa vie, grâce à une certaine cohérence. De l’idée qu’il n’y a pas de vie sans prise de risque, on conclut que l’individu rationnel doit s’attendre à courir certains risques, et doit les mettre en rapport avec les objectifs qui font partie de son plan de vie. L’approche de l’auteur est statistique ; elle s’appuie sur de nombreux exemples d’assurance-vie. Les individus rationnels choisissent leur identité et leurs valeurs. Leur plan de vie établit l’ampleur des risques qu’ils sont prêts à accepter selon différentes circonstances. Puisque tout choix comporte un risque, tout plan de vie implique un budget-risque. On fait la balance entre les actes, les valeurs et les risques qui valent la peine d’être pris. Il passe ensuite au droit d’imposer des risques aux autres. Tout choix individuel a des effets sur la personne qui le prend, mais aussi sur le budget-risque des autres. Les problèmes moraux pointent leur nez. Lorsque je fais mon budget-risque, ai-je le droit d’user de la vie des autres comme il me plaît ? Y a-t-il un principe éthique qui m’oblige à choisir des fins destinées à prolonger la vie d’autrui ? Cela constituerait une limitation drastique de ma liberté, et Fried, l’auteur-juge-philosophe, se déclare sans hésiter contre cette dernière proposition : « Il est évident que nier le droit qu’a chacun d’utiliser la vie des autres dans un sens large conduirait à limiter sa liberté et à nier les fins et les possibilités humaines. » Il propose ensuite de considérer la justice dans la prise de risque comme le principe du droit kantien : une personne reçoit la plus grande part de liberté compatible avec une égale liberté chez toutes les autres personnes, conformément aux lois générales. Cela veut dire qu’une personne a la liberté totale d’imposer un risque de mort aux autres, liberté compatible avec un droit égal de la part des autres de lui imposer un risque de mort, selon les lois universelles. Par exemple, si je pars chasser avec un groupe, je risque de me faire tuer par un coup de fusil de mon voisin, et réciproquement. Nous sommes autorisés à élaborer des lois pour les mêmes types de fusils ou pour une adresse au tir comparable, avant de permettre à quiconque de se joindre à la partie de chasse. On crée ainsi un fonds commun de risques doté d’une échelle limitée par des lois. Ce système ne fonctionne que si l’on présuppose des échanges équitables entre les personnes rationnelles. L’idée d’un fonds commun de risques est le parallèle collectif de celle de budget-risque individuel.
« Toute personne, par ses actions, contribue, pour ainsi dire, à un fonds commun des risques que l’on peut imposer aux autres, et sur lequel on peut compter lorsque l’on poursuit des buts suffisamment louables. » Ce que l’on puise dans le fonds commun de risques est un droit accordé d’avance par les autres de leur imposer des risques admis comme nécessaires pour la poursuite de buts communs, ou de buts individuels acceptés. Quiconque retire plus que sa part de prise de risque partagé doit indemniser les autres, c’est-à-dire s’exposer à des sanctions pénales. Nous arrivons à l’aspect légal du problème.
Pour Fried, l’étude du risque doit avoir une forme systématique. Il ne traite jamais le risque et la valeur comme deux problèmes distincts. La société et ses règles sont structurées par le cadre dans lequel on juge de la valeur et du risque. C’est une approche générale, et non comparative, mais elle permet de rendre compte de la diversité culturelle. Dans des cultures différentes, les membres de la société ont établi des valeurs et des buts communs différents. D’où la création de fonds communs de risques très différents, liés à un ensemble de valeurs et de buts assumés en commun. Cette thèse, totalement abstraite, est truffée denids de poules, qui attendent un remplissage concret. Il s’agirait d’exemples de ces ensembles de buts, des budgets-risques correspondants, que la société crée pour permettre à ses membres de réaliser des plans de vie raisonnables sans s’empêcher les uns les autres d’en faire autant.

Institutions

5L’environnement du risque se présente ainsi comme un dédale de principes moraux, dans lequel se perd quiconque entre dans un débat politique. Les risques sont réels, et tout ce que l’on fait les modifie : ce n’est donc pas une réalité statique. Cette image, où nous sommes pris dans un réseau d’arguments sur les risques et les valeurs, permet à l’anthropologue de développer une vision différente et plus complète du risque. Toute institution, pouvoir local, usine ou  système de transport, est considérée comme lieu de production et de contrôle des risques. La manière dont les hommes se comportent alors dépend de leur degré de connaissance.
Les membres de la société sont dans le même bateau. C’est une expérience de risque totale, où la situation n’est pas statique. Lorsqu’ils interagissent, ils produisent des risques et imaginent des moyens de s’en préserver, s’accordant sur les risques qui valent la peine d’être encourus et ceux que l’on doit absolument éviter. Tous les jours, ils lancent des poursuites pénales les uns contre les autres, quand certains risques subis sont jugés inacceptables. Cela aboutit régulièrement aux compensations qui s’imposent. Lorsqu’on assouplit les lois sur le risque, comme dans le cas de la responsabilité financière limitée, ou qu’on les renforce, comme dans celui des risques alimentaires, les autres institutions changent également. Nous passons notre temps à négocier les valeurs et les buts partagés, c’est-à-dire les limites du fonds commun de risques. La théorie du risque doit donc tenir compte des valeurs de la société pour comprendre quels risques elle est prête à courir. Grâce à ces choix, nous pouvons quitter un niveau trop élevé de généralité et combler l’un des trous que présentait le modèle de société du risque de Charles Fried.
Nous voulons toujours savoir pourquoi certaines institutions ont un cadre chargé du risque et pourquoi d’autres, tout aussi dangereuses, n’en ont pas. Les premières sont-elles plus sensibles aux risques qu’elles font courir à leurs employés ? les autres, qui laissent les cadres gérer le problème, ont-elles moins de sens moral ? L’idéal serait de savoir si elles présentent des fonds communs de risques différents. Les grandes institutions qui ne créent pas un poste spécial de cadre chargé du risque s’imaginent-elles assez intelligentes pour avoir éliminé les risques majeurs ? ou pratiquent-elles la politique du pire, et « après nous, le déluge » ? Aucune de ces hypothèses n’est vraisemblable. Sans des principes moraux, sans prévision des risques, c’est-à-dire en l’absence de toute valeur, ces institutions ne survivraient pas un seul jour. L’institution est une organisation formelle des interactions. Ses membres doivent entrer en interaction, et ainsi constituer un fonds commun de risques. L’institution doit aussi entrer en interaction avec l’exérieur et se conformer aux principes du fonds commun de risques du niveau supérieur d’organisation sociale. Dans le cas contraire, il faut s’attendre à des sanctions pénales. Notre point de départ nous a conduit à comparer les institutions et leur fonds commun de risques respectif. La littérature scientifique sur ce sujet est assez rare, mais je propose de considérer deux tentatives très intéressantes.

Les accidents normaux

6La première appartient entièrement au domaine des risques mesurables. Elle n’empiète pas sur des questions de morale ou de choix. Le livre de Charles Perrow, publié en 1984, Normal Accidents, présente une étude comparative éclairante des grands institutions. Le comparatisme constitue un progrès dans la théorie du risque. C’est également un excellente manière de rendre compte des réelles situations de risque. Le sous-titre de l’ouvrage est : « Living with High Risk Technology » (Vivre avec les technologies à hauts risques). Ces situations de risques se produisent toutes à grande échelle, mais ne sont pas égales face au risque : l’analyse du risque doit donc aller plus loin que l’évaluation spontanée du grand public, pour s’attaquer à la voie ardue des problèmes d’échelle. Cette dernière représente également un progrès.
Perrow identifie certains accidents, qu’il appelle « accidents de système ». Ils résultent de types d’organisation repérables. Dans sa typologie des organisations, il met l’accent sur les interactions des groupes qui les composent. Il distingue :
a) Les interactions linéaires, qui se produisent à l’intérieur d’un processus de production ou de maintenance planifié et prévisible. Elles sont visibles et connues. Les interactions linéaires comprennent également les séquences de travail, qui sont visibles, sans être cependant planifiées. Les réseaux électriques et miniers, les transports ferroviaires ou maritimes en sont des exemples.
b) Les interactions complexes, correspondant à des séquences inhabituelles, non-planifiées, inattendues ou incompréhensibles. Ainsi, plus le travail est spécialisé et compartimenté, moins on sait ce qui se passe, et plus les interactions sont invisibles et inattendues. Les organisations complexes ne sont pas nécessairement plus risquées. Lorsque Perrow ajoute une autre dimension, comme on va le voir, on peut retrouver un type d’organisation sujette à ce qu’il appelle des accidents normaux.
c) Cette autre dimension est le degré de densité. Les interactions sont-elles plus denses, ou plus lâches, selon l’espace et le temps ? La densité des interactions désigne un entassement d’objets qui ne laisse pas d’espace de manœuvre, ou des processus si rapides qu’ils ne laissent pas de temps de réaction. Aucune stratégie de substitution n’est possible. Redondances et répétitions doivent être délibérément imposées. À l’inverse, une interaction lâche veut dire que l’organisation du travail occupe peu d’espace, est lente, ou comporte des moments vides. On peut adopter des processus de substitution, changer de séquences de production. Grâce à une certaine redondance, les conditions de travail sont plus détendues.
Il est facile de comprendre que les industries aux interactions à la fois complexes et denses sont les plus exposées aux catastrophes. On doit reconnaître que les accidents de système sont une chose normale pour les usines nucléaires, missions spatiales, systèmes de détection et d’alarme militaires. Cette typologie de l’exposition aux risques industriels relativise la classification habituelle, par la taille. Certains systèmes de production à grande échelle, comme les chaînes d’assemblage et, en fait, la plupart des unités de fabrication, sont lâches et linéaires, et peu exposés aux accidents de système. La taille n’est pas le problème majeur. Les firmes de recherche et de développement, organismes de sécurité sociale, universités, sont importants et complexes, mais lâches ; en dépit de leur taille, ils sont davantage protégés des accidents de système.
Le schéma de Perrow s’attaque aux risques réels en termes de mesurabilité. Leur présence est déterminée par les processus physiques et les services que ceux-ci sont censés produire. Sa théorie devrait être riche d’enseignements quand on conçoit le fonctionnement des institutions. Quelle est la meilleure organisation des relations sociales dans un organisme exposé aux accidents de système ? Cette question dépasse le cadre de son travail, mais ne manque pas d’intérêt. On peut supposer que les membres du personnel devraient bien se connaître les uns les autres, se faire confiance, et être capables de prévoir les réactions des uns et des autres. Une telle familiarité implique des années de collaboration ; elle nécessite donc un faible taux de renouvellement du personnel.
La redondance, constituée par le doublement du personnel et la substituabilité des compétences humaines, doit permettre une compensation des lacunes des processus matériels. Autant que je sache, ce sont les critères admis pour gérer le personnel de ces institutions exposées aux risques. Paradoxalement, tout se passe comme s’il fallait contrôler les processus de production complexes et denses par un système social linéaire et lâche. Nous y reviendrons.
Nous sommes encore loin de répondre à notre question initiale. On ne peut prédire quel type d’insitution va employer un cadre chargé du risque, et quel autre va juger inutile de créer un poste spécial. Perrow ne nous dit rien sur la façon dont interviennent les problèmes moraux, ou comment les risques de catastrophes affectent la constitution du fonds commun de risques. Son schéma explicatif est trop fortement centré sur l’identification des processus de production complexes. Il est donc impossible de le faire coïncider avec un schéma explicatif comparable, centré sur les formes d’organisation sociale adaptées à la gestion et au contrôle de ces processus.

L’autodestruction des institutions perverses

7L’étude qu’a consacrée Christopher Hood à la variété des institutions7 s’intéresse à un problème parallèle. Quels sont les dangers qui guettent les différents types de bureaucratie ? Il ne s’agit pas des risques réels, mais des risques de mauvais jugement et de faiblesse qui peuvent aller à l’encontre des efforts des dirigeants administratifs. Hood s’inspire librement de la théorie de la culture pour dégager quatre types de culture.8 Il les applique aux mécanismes destructurants qui se développent au sein de différents types de contrôles employés par les grandes institutions. Ce n’est pas une histoire très reluisante. Chaque type de procédé de contrôle a des buts spécifiques, et chacun est exposé à la production d’effets pervers. Il ne se demande pas si la création d’un poste spécial de cadre chargé du risque constitue un contrôle efficace des risques. Mais sa réflexion est intéressante.
Revenons sur les mécanismes liés aux quatre types de culture.
Le premier, appelé mécanisme du hasard volontaire, s’appuie sur la métaphore du presse-fruits. Il s’agit de développer des procédés destinés à limiter la corruption et la conspiration. Le mécanime consiste à sélectionner par lots, à attribuer des postes au hasard, et à instaurer des procédures de surveillance surprise. Personne ne sait avec qui il va travailler l’année suivante. On utilise cette méthode dans les bureaucraties où les tentations mentionnées précédemment sont les plus courantes. Ainsi dans le fisc, les unités de terrain  et les grands empires. Son objectif est de lutter contre les pratiques répréhensibles et la conspiration, mais sa faiblesse vient du manque d’incitation à l’innovation et à l’émulation qu’elle provoque.
Le second, appelé mécanisme de mutualité, repose sur l’utilisation de groupes de contrôle de tuteurs, la rotation des postes de responsabilité, et des règles consensuelles. L’objectif est la création d’un type traditionnel d’organisation collégiale, qui fonctionne par la surveillance mutuelle, la consultation de groupes de tuteurs et l’exercice du veto. L’idée est de décourager toute tentative de contre-pouvoir au sein de l’institution. Sa force est de créer de la redondance et de fournir l’accès à d’importants flux d’informations. Mais sa faiblesse, d’après les spécialistes, est qu’elle empêche bien les dysfonctionnements individuels, mais pas les comportements frauduleux sur un plan collectif.
Le troisième, appelé mécanisme de compétition, consiste à instaurer des mises en concurrence pour toute la gestion de l’institution : sélection, budgets, clients, etc. Selon cette théorie, on doit encourager la rivalité de telle sorte que l’ambition contrôle l’ambition, réduise le gâchis, et maîtrise les comportements égoïstes. Ses avantages sont une promotion de l’innovation, l’élévation du niveau des performances. Mais ses inconvénients sont la création de camps au sein de l’institution.
Le dernier, appelé mécanisme de surveillance et de régulation, privilégie l’usage de normes, la référence à l’autorité, la régulation et l’inspection. La surveillance continuelle contribuerait à maintenir une gestion critique du système en faisant appel à des autorités supérieures et aux instructions de la hiérarchie. Les avantages sont une forte pression en faveur de l’intégration, et la circulation de meilleures pratiques au sein du système
Comme le dit Hood, ces types de contrôle constituent différents pôles de système. Chacun a sa manière propre de générer des échecs. En réalité, on peut trouver ces quatre types de mécanismes à l’œuvre aux différents niveaux d’une grande institution. Poussés trop loin, ces contrôles ont des effets pervers. Une attention exclusive portée aux dangers de corruption d’abus internes peut entraîner à une utilisation excessive des moyens de surveillance et de répression. Les efforts pour libérer la motivation personnelle, augmenter la productivité ou l’innovation, peuvent conduire à l’éclatement. L’institution qui se consacre exclusivement à un type de contrôle travaille à sa propre perte.
L’article de Hood se concentre sur une espèce de problème administratif, la réglementation. En réalité, il ne trouve pas quatre, mais trois types d’institutions. Le premier, décrit comme « le contrôle par hasard volontaire », est le moyen de contrôle favori, aussi bien dans la hiérarchie adminstrative que dans le secteur compétitif. Il s’applique aux deux, et a les mêmes effets désastreux : le manque de motivation. Il semble appartenir à un autre niveau d’analyse. Les requins de l’économie de marché recherchent un système d’interaction sociale hiérarchisé, sans chercher à justifier les inégalités. Tous les moyens sont bons, même les plus sauvages, pour contrôler les strates inférieures de la société, y compris le hasard volontaire. En fait, disons que les trois types d’institutions provoquent quatre catégories de réactions chez les employés concernés.
Au cours de son entretien d’embauche, notre jeune et enthousiaste cadre chargé du risque doit songer à une nouvelle série de problèmes. Il doit s’enquérir de la forme de contrôle choisie par l’organisme. S’il s’agit du système de contrôle aléatoire du type “presse-fruits”, il sait qu’il va rejoindre une équipe composée d’individus démotivés et désimpliqués. Pourquoi se soucieraient-ils davantage de ses avertissements que des propos de leur chef ? Ils n’ont rien à défendre dans ce système, ils sont apathiques et fatalistes. Si notre sujet pense que d’autres postes l’attendent ailleurs, il ferait mieux de laisser tomber celui-ci.
Mais supposons que l’entretien suivant le mette face à une institution qui a choisi le système du contrôle par tutorat. Là encore, il doit bien réfléchir. Ces relations fraternelles et égalitaires ne vont-elles pas l’exclure et l’isoler ? C’est probable. Si vous pensez que ce n’est pas grave, vous avez tort. IL lui importera beaucoup de savoir que pour le personnel, seul un membre du groupe peut connaître les véritables dangers, et rejette tout contrôle extérieur. Dans son essai sur le biais culturel des scientifiques industriels, Bloor étudie les spécialistes du sodium. Ils forment un groupe très uni et chaleureux, partagent leurs secrets et leurs repas. Les groupes fraternels ont tendance à résister à tout contrôle venant de l’extérieur. Bloor évoque un entretien avec les spécialistes du sodium en ces termes :

« De manière significative, le docteur Merchinston voit dans la personne de son manager la source de contrainte la plus immédiate... “Actuellement, nous avons un chef qui vient d’un autre départemen,t et qui a du mal à comprendre ce que nous faisons, alors que c’est lui qui décide de la construction de tel ou tel appareil. Non seulemen,t il vient d’un autre département, mais en plus, d’un département complètement différent : c’est vraiment insuppportable de savoir que c’est lui qui décide de l’orientation de notre travail. En fait, il est responsable de la sécurité du sodium, alors qu’il est probablement celui qui en connaît le moins sur le sodium dans tout le bâtiment.” »9

8Être ressenti comme un étranger peut entraver l’exercice du cadre chargé du risque, lequel doit jouir d’une certaine autorité. Il est difficile de travailler avec un groupe de plus en plus hostile à toute ingérence.
Si le cadre chargé du risque a sagement préféré renoncer à ce poste, ses soucis vont continuer avec le prochain, dans une institution qui mise sur la concurrence tout azimuts comme moyen de contrôle. Si c’est le cas, il peut s’attendre à ce que le personnel l’ignore au mieux, le méprise au pire. La direction les encourage à repousser toujours plus loin les limites, à innover, courir partout, arrondir les angles, diviser les coûts. Face à des gens pour qui le danger est un défi, toute intervention est vouée à l’échec. Ce contexte attire des individus pétris de valeurs machistes, qui mettent un point d’honneur à mépriser ouvertement leur sécurité personnelle.10 Le risque que comporte leur travail constitue un argument dans la rivalité qui les oppose les uns aux autres. L’affrontement du danger devient un enjeu personnel ; il s’agit d’être le plus téméraire, le plus fou, le genre qui tente le diable… C’est l’environnement institutionnel le pire pour un cadre chargé du risque. Il sera la risée de tous, le dindon de la farce. Et pourtant, les risques ne manqueront pas. Il lui faudra un salaire très élevé pour compenser tout ce stress. Il serait bien mieux ailleurs, dans une institution calme, ordonnée et hiérarchisée.

La diversité des institutions

9Les études d’administration publique ne recouvrent pas l’étude de Perrow sur les accidents. Mais les deux auteurs mentionnés précédemment ont en commun un intérêt particulier pour les institutions dotées de systèmes autodestructeurs. Perrow met l’accent, en amont, sur les conditions institutionnelles d’accidents violents à grande échelle. Hood montre davantage les mécanismes insidieux d’une destructuration interne. Tous les deux ont suivi une méthode comparatiste, qui donne une idée de la diversité des institutions. Nous allons enfin pouvoir combler les trous de la théorie des fonds communs de risques de Charles Fried. La théorie de la culture permet d’attacher des valeurs et des normes positives aux trois types d’institutions précédemment distingués.
Afin de développer sa théorie, Hood part du système de contrôle pour arriver à des types de comportements chez les personnels concernés. Cette perspective est compatible avec celle de Charles Fried concernant l’évaluation du risque par la société. Les personnels sont alors tenus pour des êtres rationnels qui échangent des accords en vue de la construction d’une société juste. Dans chaque cas, l’accent est mis sur l’angoisse de l’injustice, et l’oubli des objectifs communs. C’est toujours le même problème : comment se débarrasser des individus qui font cavaliers seuls et des groupes qui entrent en collusion ? L’objectif de justice est ruiné si les membres peuvent détourner les ressources communes au profit de fins privées. La survie de l’institution implique la surveillance de ceux qui prétendent faire cavalier seul. Deux types d’institutions essaient de prévenir la corruption par la provocation d’un hasard volontaire du type du presse-fruits. Un autre type d’institution essaie d’empêcher le copinage et les détournements privés par la création de groupes de tuteurs, qui assurent la surveillance de tous par chacun. Un troisième type d’institution essaie de contrôler par un système de régulation et de surveillance. Le seul cas radicalement différent est le troisième type, qui parie davantage sur les récompenses que sur les punitions. Dans le système de la concurrence interne, il s’agit de concevoir des moyens d’incitation tels que l’intérêt personnel de chaque membre serve les objectifs de la communauté.

Conclusion

10Il faut conclure par un résumé rapide (et sans doute répétitif) des possibilités de nourrir l’analyse des différents types de fonds communs de risques par la prise en compte des différents types d’institutions. Les individus démotivés et isolés ont peu de chances de créer un fonds commun de risques qui soit le fondement moral de leur société. S’il en va ainsi, il sera réduit à sa plus simple expression. Leur cas n’est pas bien défini dans le modèle de Charles Fried. Ils n’ont pas vraiment de plan de vie, et, par définition, ils se regroupent rarement. Leur fonds commun de risques n’est donc pas très développé, leurs valeurs sont éclectiques, et le budget-risques personnel reste flou.
Le cas des opportunistes du système concurrentiel n’est pas plus brillant. La préservation des biens communs n’entre pas dans leurs priorités. Ils visent davantage à faire passer avant tout les droits individuels. Bref, le concept de fonds commun de risques est par définition moins pertinent pour les individus que pour les groupes clos sur eux-mêmes et hiérachisés. Les objectifs d’une institution hiérarchisée et les moyens mis en œuvre pour les réaliser ne sont guère compatibles avec ceux d’une institution fondée sur les marchés concurrentiels. Dans le premier cas, le fonds commun de  risques est important ; il reflète les intérêts de chacun, ceux des générations passées et à venir. Mais c’est un enchevêtrement de croisements, verrous, barrages et ponts, toute une série de règles régissant le droit du risque à chaque niveau et à chaque passage. Les objectifs de ce système dépendent fortement d’une grosse valeur accordée à la rationalisation des échanges. Le système de contrôle par marchés concurrentiels représenterait, de ce point de vue, une perte de cohérence interne. Le système hiérarchisé fonde ses valeurs sur la notion de tradition. Chacun reçoit une place, un rang. La forme de surveillance naturelle est alors celle exercée par un niveau hiérarchique supérieur sur un niveau inférieur. Il en est de même du système de contrôle par hasard volontaire, comme nous l’avons vu. Toute interaction doit se justifier en référence à au projet d’ensemble ; elle doit être en harmonie avec le passé et l’avenir.
Le système de contrôle par surveillance et régulation est nécessarement désagréable à toute personne opposée aux obstacles relationnels et aux contrôles impersonnels. La technologie et d’autres moyens peuvent offrir une solution alternative, par la formation d’un groupe informel et égalitaire. Les autorités seront alors tentées de mettre en place un système de surveillance mutuelle. Remarquons que les groupes clos sur eux-mêmes sont exposés aux risques d’une manière spécifique. Animés d’une opposition de principe contre l’opinion du plus gand nombre, les membres du groupe développent une perception du monde qui leur est propre et qui échappe à tout principe de réalité concernant les risques. La prise de risque volontaire devient leur apanage.11 L’idée que les autres imposent des risques à leur groupe et à des innocents devient un cri de ralliement. Ils prennent des risques pour se défendre les uns les autres. Ces risques sont intégrés dans le travail de définition et maintien du groupe. Les membres sont prêts à prendre des risques pour écarter toute menace de risque sur leur principe central ; ils sont également prêts à imposer des risques graves à des personnes extérieures qui rejettent ce principe.
Nous avons à présent une idée de la diversité à laquelle est confrontée la notion de fonds commun de risques et des difficultés structurelles qui attendent le cadre chargé du risque dans l’exercice quotidien de ses fonctions. Le livre de Perrow aboutit à la conclusion que le meilleur modèle d’interaction sociale dans les situations à hauts risques est une longue collaboration entre les membres du personnel. Elle permet de s’assurer des réactions de chacun en cas de crise. Seule une organisation hiérarchique donne cette sécurité et cet engagement à long terme. Nous pouvons donc être tentés de le qualifier de meilleur système pour prévenir les accidents catastrophiques. Le cadre chargé du risque apparaît alors comme l’instrument approprié d’une telle hiérachie. C’est dans ses cordes et tout à son honneur : organiser des surveillances, des inspections, et des régulations. Mais l’image que nous donne Hood des mécanismes de contrôle hiérarchiques fait froid dans le dos. Notre candidat enthousiaste au poste de cadre chargé du risque va au-devant de bien des déceptions. On pourrait penser qu’un procédé hybride, entre le système fraternel et le système hiérachique, serait mieux à même de combattre les dangers d’une interaction physique aléatoire et brusque. Mais, de nouveau, Christopher nous montre que cette voie mixte, qui mélange deux principes d’organisation contraires, est semée d’embûches. Dans un système égalitaire, les employés ne peuvent supporter un commandement extérieur, pourtant inhérent au système hiérarchique.
Nous n’avons donc guère de conseils à donner concernant le meilleur type d’institution pour contrôler les risques. Nous pouvons cependant indiquer au cadre chargé du risque le poste le plus sûr. Comme pour tous les autres personnels, il vaut mieux se trouver dans une institution hiérachisée, aux processus linéaires et lâches, pour reprendre les termes de Charles Perrow. Le futur cadre chargé du risque souhaite travailler dans une institution où l’attribution de l’autorité est clairement définie en tout point d’interaction important. Mais il ne veut cependant pas vivre dans un environnement où la méfiance est une règle et l’exercice du contrôle un pain quotidien. En fait, l’idéal serait d’entrer à La Poste. Chacun met tout ce qui ne va pas sur le dos de son supérieur hiérarchique, et ainsi jusqu’en haut, selon l’autorité dont chacun peut se prévaloir. Le travail de contrôle des risques serait alors présent à tous les niveaux. Il ne serait jamais banalisé ni tourné en dérision ; les règles seraient appliquées à la lettre. Mais c’est précisément dans ce type de lieux que le cadre dirigeant est de facto le cadre chargé du risque. Si un spécialiste du risque était engagé, son travail serait largement chapeauté. À son tour En clair, il n’aurait aucune perspective de carrière. Il pourrait alors devenir apathique.

Remerciements

Je remercie David Bell, John Adams pour leurs fructueux commentaires et Christopher Knight pour ses idées sur le travail dans un bureau de poste.

11Traduit de l’anglais par Julie Brumberg-Chaumont

Notes de bas de page numériques

1 .  Nicolas Dodier, Les hommes et les machines : la conscience collective dans les sociétés technicisées, Métailié, Paris, 1995.

2 .  Ian Hacking, The Taming of Chance, Cambridge, 1990.

3 . B. Wynne, (edit.) Risk Management and Hazardous Waste, Implementation and the Dialectics of Credibility, Berlin, Springer, 1988.

4 . U. Beck, Risk Society, Towards a New Modernity, SAGE, 1992. Originally, Risikogesellschaft: auf dem Weg in eine, Surhkamp Verlag, Frankfurt, 1986.

5 . K. S. Shrader Frechette, Risk and Rationality, Philosophical Foundations for Populist Reforms, University of California Press, 1994.

6 . Charles Fried, An Anatomy of Values, Problems of Personal and Social Choice, Harvard University Press, 1970.

7 . Christopher Hood, « Control and Bureaucracy: Cultural Theory and Institutional Variety », Journal of Public Policy, 15, 3, 1996, pp. 207-230.

8 . M. Thompson et A. Wildavsky, Cultural Theory, Boulder, Westview Press, 1992.

9 . David Bloor et Celia Bloor, « Twenty Industrial Scientists: a Preliminary Exercise », edit Mary Douglas, Essays in the Sociology of Perception, Routledge and kegan Paul, 1982.

10 . Steve Rayner, « Magement of Radiation Hazards in Hospitals: Plural Rationalities in a Single Institution », Social Studies of Science 16, 1986, 573-91.

11 .Steve Rayner, « Time and Space in a Millenarian Sect », edit Mary Douglas, Essays in the Sociology of Perception, Routledge and Kegan Paul, 1982.

Pour citer cet article

Mary Douglas, « Les risques du fonctionnaire du risque », paru dans Alliage, n°40 - Septembre 1999, Les risques du fonctionnaire du risque, mis en ligne le 06 septembre 2012, URL : http://revel.unice.fr/alliage/index.html?id=3946.


Auteurs

Mary Douglas

Anthropologue, Fellow of the University College, Londres ; dernier ouvrage traduit en français, Comment pensent les institutions, La Découverte, Paris, 1999.

Traducteurs

 Brumberg-Chaumont