Alliage | n°41-42 - Décembre 1999 Dialogue euro-chinois 

Par Chen Fangzheng  : 

Réflexions sur l’origine de la science moderne à partir de l’Almageste

p. 123-134

Plan

Texte intégral

1Si les Chinois reconnaissent que la science moderne provient de l’Occident, ils continuent de s’interroger : pourquoi n’est-elle pas née en Chine ? Selon eux, dans l’Antiquité, la Chine et l’Occident avaient le même niveau scientifique. C’est seulement à partir de l’époque de la Renaissance que l’Occident a pris son essor, la Chine ne faisant que stagner à cause de sa propension à l’étude de l’esprit (ou du cœur humain, Xin) et de la nature innée (Xing). Depuis lors, l’écart n’a cessé de se creuser.
Cette opinion correspond, au fond, à la vision de Joseph Needham. Dans l’Histoire de la science chinoise, il semble montrer que la science était très riche et développée dans l’ancienne Chine, tandis qu’en Occident, le développement de la science s’effectuait selon un processus, non pas continu et stable comme en Chine, mais discontinu et avançant par bonds. Ces derniers siècles constitueraient une période de phase ascendante qui a permis à l’Occident de dépasser l’Empire du Milieu.1
Ces deux hypothèses reflètent, au fond, la même conception, selon laquelle la suprématie scientifique de l’Occident ne résulterait pas de sa spécificité sociale et culturelle, mais serait un phénomène accidentel ou transitoire. Une telle analyse est certes séduisante sur le plan nationaliste, mais il s’agit de savoir dans quelle mesure elle correspond à la réalité.Il nous semble difficile de faire ici une étude comparée et exhaustive de la science chinoise et occidentale, ne serait-ce que pour décrire le développement d’une quelconque tradition scientifique. Nous nous contenterons alors d’observer et d’analyser la naissance de la science moderne à partir d’un traité d’astronomie de Ptolémée, intitulé Syntaxe mathématique (Almageste), ce qui nous permettra d’apporter quelques éléments de réponse à la question de l’origine de la science moderne.

Sur les épaules des géants

2On sait que l’émergence de la science moderne a été marquée par la publication, dans la deuxième moitié du XVIIesiècle, des Principes mathématiques de philosophie naturelle de Newton. Certes, la mécanique classique et le calcul infinitésimal de Newton étaient révolutionnaires, mais ces découvertes n’auraient pas été possibles sans les travaux réalisés par les générations précédentes. Ainsi, tout le monde sait que les trois lois de la dynamique de Newton sont fondées sur les travaux de Galilée, recueillis dans Discours et démonstrations mathématiques concernant deux nouvelles sciences (1638), traitant de l’inertie, de la chute des corps dans le vide, de l’accélération, de la pesanteur dans la chute selon un plan incliné, des relations entre l’espace et le temps dans le mouvement accéléré, etc. La fameuse théorie de la gravitation, elle, est en étroit rapport avec les trois lois de Kepler relatives au mouvement des corps célestes. De son côté, Kepler utilisa la documentation accumulée par un astronome danois, Tycho Brahé, pour découvrir l’orbite elliptique des planètes. Si l’on remonte encore plus loin, c’est la théorie de l’héliocentrisme élaborée par Copernic qui est à l’origine de toutes ces nouvelles découvertes.
Donc, Newton put commencer sa recherche à partir d’un héritage scientifique accumulé pendant au moins deux siècles (voir le schéma 1). En se tenant « sur les épaules des géants », reconnaissait-il lui-même, on peut voir plus loin. Il faut savoir aussi que cette tradition scientifique, inaugurée par Copernic, provient d’un mouvement culturel qui a duré du XIIe siècle jusqu’à la Renaissance proprement dite (XVe et XVIe siècles).

3Schéma 1.

Ce qui se passe avant la Renaissance

4En fait, l’origine de la science moderne remonte au XIIe siècle, époque marquée par la traduction des textes de l’Antiquité et la création des universités en Europe. Copernic, par exemple, étudia à Cracovie, en Pologne, où il fut grandement influencé par l’astronome Albert de Brudzewo, qui utilisa dans son enseignement un ouvrage de Peurbach, astronome allemand, intitulé Nouvelle théorie des planètes (publié en 1472). L’œuvre de Peurbach, très appréciée à l’époque, était inspirée de la Théorie des planètes, livre d’un auteur inconnu devenu à la mode à partir du XIIe siècle. Mais de toute évidence, ce dernier est une synthèse de l’Almageste dont la réapparition en Europe date de la deuxième moitié du XIIesiècle. Par ailleurs, Copernic fut plus directement influencé par l’Almageste à travers un ouvrage intitulé Aperçu de l’Almageste, rédigé par Peurbach et Regiomontanus (de son vrai nom, Johannes Müller), et la traduction latine complète de l’Almalgeste de Ptolémée, publiée en 1515.
Dans son Commentariolus, premier manuscrit achevé vers le XVe siècle, Copernic exposait déjà les idées fondamentales de sa théorie de l’héliocentrisme, mais les calculs lui faisaient défaut. De 1529 à 1532, il réalisa le Traité du mouvement des corps célestes, l’une de ses œuvres maîtresses, dont de nombreux passages reflètent des traces d’influence du système de Ptolémée, qu’il avait dû connaître à travers la traduction latine complète de l’Almageste.

5Il convient de préciser que les traces d’influence dont nous venons de parler concernent essentiellement la structure et la méthode de l’astronomie mathématique. Le double mouvement des planètes, l’une des idées principales exposées dans le Traité du mouvement des corps célestes, n’est pas non plus une conclusion formulée sans aucune référence historique. D’après le Commentariolus, la découverte de Copernic est inspirée de théories remontant à Ptolémée et à Aristote, voire jusqu’à l’astronomie de la Grèce antique du IIIe au Ve siècle avant Jésus-Christ. Le modèle de l’astronomie mathématique de Copernic, appliqué au double mouvement des planètes, semble aussi inspiré de l’Aperçu de l’Almageste et d’Ibn al-Shatir, astronome musulman du XIVe siècle. Sur le plan des illustrations et des paramètres, on remarque des similitudes particulières entre le Commentariolus et le Traité du mouvement des corps célestes et les travaux antérieurs sus-cités.

6Schéma 2.

7En résumé, les origines du système de Copernic s’avèrent assez complexes, car liées à la fois au mouvement culturel du XIIe siècle et à l’astronomie mathématique traditionnelle du monde islamique et de la Grèce antique. Pendant mille cinq cents ans, du IIe au XVIe siècle, l’Almageste de Ptolémée fut la poutre maîtresse sur laquelle reposait cette tradition scientifique.

L’origine et la disparition de l’Almageste

8Dans l’histoire de la science moderne, Ptolémée, le pape et Aristote sont toujours vus comme des personnages négatifs. D’une manière générale, le système géocentrique de l’astronome grec n’est rien d’autre, aux yeux de beaucoup d’entre nous, qu’un exemple de l’ignorance humaine. Cependant, il suffit d’analyser les influences considérables qu’a exercées l’Almageste  sur des génies comme Copernic et Kepler — qui durent consacrer plus d’un siècle à élaborer une nouvelle théorie — pour apprécier l’impact et l’importance de l’œuvre maîtresse de Ptolémée. Tout le monde sait que la mécanique quantique et la théorie de la relativité n’auraient pas été possibles sans le fondement de la mécanique classique. Il en est de même pour le Traité du mouvement des corps célestes de Copernic et la Nouvelle astronomie de Kepler à l’égard de l’Almageste. 
De plus, le sort de l’Almageste a été bien plus mouvementé que celui de ses successeurs. C’est un véritable miracle dans l’histoire des sciences si cette œuvre a pu être totalement conservée depuis une époque si reculée. Le texte de la version anglaise actuelle de l’Almageste comporte plus de six cents pages, soit environ quatre cents mille mots. On y trouve également près de deux cents illustrations, environ vingt tableaux, avec de nombreuses données de calculs (plus de soixante pages), ainsi qu’une cinquantaine de pages contenant des chiffres relatifs à la longitude, au parallèle et à la luminosité de plus d’un millier d’étoiles. Partant de quelques hypothèses et principes de base, Ptolémée applique la géométrie et la trigonométrie sphérique aux divers calculs, afin de déterminer sur l’axe de l’écliptique les fonctions du temps relatives aux mouvements des planètes. Puis il compare les résultats de ces calculs aux données accumulées au cours des observations astronomiques du passé. Il y a donc, dans le système de l’astronomie mathématique de Ptolémée, quantité d’équations et de démonstrations complexes.
L’apparition de cet ouvrage, à la fois immense et très fouillé, vers le milieu du IIe siècle, est le résultat de la tradition vieille de cinq siècles incarnée à l’époque par le fameux musée d’Alexandrie. Il y eut durant cette longue période, inaugurée par Aristote, de nombreux savants comme Archimède, Euclide, Appolonius, Aristarque et Hipparque. On sait très peu de chose sur Ptolémée lui-même. D’après ses propres œuvres et les études réalisées par les chercheurs, Ptolémée, astronome et mathématicien grec, a vécu entre 100 et 165 de notre ère. Il est surtout l’auteur d’un célèbre ouvrage, Syntaxe mathématique, qui résume toutes les connaissances acquises et ses propres études en matière d’astronomie mathématique.
Entre le IVe et le Ve siècle, de nombreux savants continuèrent à annoter l’œuvre de Ptolémée. Cependant, à partir de l’époque de Ptolémée, en raison de l’annexion des régions orientales de la Méditerranée par l’Empire romain, l’esprit scientifique a commencé à décliner et à perdre de sa créativité dans la Grèce antique. Au début du VIe siècle, l’Empereur Justinien ordonna de fermer l’Académie d’Athènes créée par Platon, signe de la fin de la civilisation occidentale antique. Puis, au milieu du VIIe siècle, des musulmans fanatiques détruisirent la plupart des livres anciens en brûlant la Grande Bibliothèque d’Alexandrie. Ainsi se sont perdues en Occident les traces de l’astronomie et de la Syntaxe mathématique.

Transition par une période d’obscurité

9La période allant du VIe au XIe siècle est tenue en Occident pour une époque d’obscurité et de désordre, où la civilisation grecque, notamment sa tradition scientifique, semblait avoir disparu. Toutefois, il existait à l’époque une civilisation orientale, présente jusqu’en Europe de l’Est et du Sud, initialement hostile à la tradition scientifique de la Grèce antique. Ainsi, grâce à la civilisation orientale, l’Empire byzantin et le Califat, dont les centres se trouvaient respectivement à Constantinople et à Bagdad, pouvaient procurer à la science un lieu de transition jusqu’à la Renaissance.  
Si Byzance a su conserver un grand nombre de manuscrits grecs, c’est que l’Empire, profondément influencé par la culture grecque, attachait une importance primordiale à la science et à l’éducation. Il faut dire que Justinien 1er ne visait pas la civilisation grecque elle-même, mais la fameuse Académie d’Athènes, symbole de la science des païens.
Curieusement, les musulmans ont su conserver, voire promouvoir, la tradition philosophique et scientifique de la Grèce antique. Les chercheurs n’arrivent pas à prendre connaissance de la façon dont ils y sont parvenus à l’époque, faute de documents historiques. Néanmoins, on peut voir en ce fait une conséquence de l’hellénisation des régions du Moyen-Orient (y compris la Syrie, la Perse, et les régions comprises entre le Tigre et l’Euphrate), résultant des deux événements historiques suivants : conquête de l’Asie (334-323 av. J.-C.) par Alexandre le Grand et exode massif des Nestoriens vers l’Est (au milieu du Ve siècle av. J.-C.), à la suite d’un échec dans les querelles doctrinales religieuses. Après la fermeture de l’Académie d’Athènes par Justinien 1er, de nombreux savants grecs, invités par Khorso 1er, roi assanide de Perse, sont allés s’installer en Perse. Ils emportaient avec eux beaucoup de livres et de documents. Plus tard, Jundishapur, ville située non loin de Bagdad, se transforma en un centre de la civilisation grecque, autre exemple, donc, de l’hellénisation de la région. À partir du VIIe siècle, la religion islamique a pris son essor et y conquis, en l’espace d’un siècle, tout le Moyen-Orient, la plupart des régions de l’Afrique du Nord, de la Sicile et de l’Espagne. À partir du VIIIe siècle, les imams musulmans, épris de la civilisation grecque déjà très présente au Moyen-Orient, se sont mis à traduire en langue arabe les livres écrits en grec ou en syrien. Ainsi, la civilisation grecque — notamment la philosophie, la mathématique, l’astronomie et la médecine —, absorbée par les imams musulmans, et faisant désormais partie intégrante de la culture islamique, fut-elle transmise en Afrique, en Sicile et en Espagne.
Au XIIe siècle, si les savants européens ont pu redécouvrir la culture de la Grèce antique, c’est que les pays de l’Europe occidentale ont vivement réagi aux pressions militaires que faisait peser sur eux l’Islam — la reconquête de la Sicile par les Normands (1060-1093), les Croisades (à partir de 1099), ainsi que la reconquête de la cité de Tolède par Alphonse VI en 1085, leur ayant permis de rencontrer la culture islamique et de traduire en latin les livres grecs écrits cette fois-ci en arabe. Comme la ville de Constantinople, reprise par les croisés, fut tenue par l’Europe latine pendant près de soixante ans (1204-1261), de nombreux manuscrits grecs ont pu revenir en Occident. Presque à la même époque, fleurissaient en Europe les études universitaires, la théologie et la science médiévales.

10Schéma 3

11Le schéma 3 permet d’illustrer le parcours, si sinueux, de la diffusion et du rayonnement d’une civilisation.
La première version arabe de la Syntaxe mathématique grecque a été traduite de la langue syriaque, semble-t-il, par al-Hajjaj Ibn Yusuf de Bagdad en 829-830. Le traité d’astronomie de Ptolémée, la Syntaxe mathématique, a pris alors le titre de Kitab al-mijisti, appelé aussi l’Almageste. Il y a eu, du IXe au Xe siècles, plusieurs versions arabes de cette œuvre, ce qui a permis de stimuler le développement de la science astronomique dans le monde islamique. Vers le milieu du XIIe siècle, un manuscrit grec de la Syntaxe mathématique fut transmis de Constantinople à la Sicile, où il fut traduit en latin. Un peu plus tard, Gérard de Crémone, célèbre traducteur italien, traduisit en latin, à Tolède, l’une des versions arabes du traité d’astronomie grec. Au XVe siècle, à la veille de la conquête turque de Constantinople, une version grecque de la Syntaxe mathématique fut traduite en latin par le philosophe George de Trébizonde. La traduction la plus connue de toutes, entre les XIIe et XVIe siècles, est celle de Gérard de Crémone. La Théorie des planètes, citée plus haut, serait un résumé de la Syntaxe mathématique, écrit par Gérard de Crémone lui-même. Copernic et d’autres scientifiques des XVIe et XVIIe siècles ont pu lire les versions de Gérard de Crémone et celle de George de Trébizonde, respectivement éditées en 1515 et en 1528. En raison de l’ampleur de ces deux versions fut édité en 1538, à Bâle, le texte original en grec, lequel aurait été acheté, à prix d’or, par l’Allemand Johannes Müller. Celui-ci aurait voulu le traduire, mais la mort l’en empêcha.2
Voilà, résumé ci-dessus, le parcours de la Syntaxe mathématique grecque. On peut également voir cet itinéraire à travers le schéma 2.

12Après le XVIIe siècle, Ptolémée fut négligé pendant deux cents ans. Il fallut attendre la fin du XIXe siècle pour constater un regain d’intérêt envers l’Almageste, que suscita la publication par le Danois Johan Ludwig Heiberg de la version grecque, revue et corrigée, de cette œuvre. De cette parution résulta, indirectement, la traduction allemande très complète publiée par K. Manitius en 1912-1913. Deux ouvrages en anglais ont vu le jour dans les années 80. Le premier, intitulé Guide de l’Almageste, publié par Olaf Pedersen en 1983, permet de faciliter la recherche actuelle sur La Très Grande, tandis que le second, publié par G. J. Toomer en 1984, contient nombre d’annotations. Ainsi, peut-on dire qu’aujourd’hui, l’œuvre de Ptolémée est connue du monde entier.

Les hypothèses sur la naissance de la science

13Revenons maintenant au problème de l’origine de la science moderne.

14Tout d’abord, reconnaissons que, si la science est tenue pour une activité académique définie par son caractère démonstratif et systématique, la tradition scientifique est plus longue et plus marquée en Occident qu’en Chine. À l’époque des Han orientaux (25-220), seules deux œuvres scientifiques chinoises, Traité de la médecine interne et Essais sur la typhoïde, étaient comparables à l’Almageste sur le plan tant quantitatif que qualitatif. Ces deux livres sont, effectivement, à l’origine de la médecine et de la pharmacologie chinoises. Dans le domaine des sciences exactes, comme les mathématiques et la physique, on ne peut citer que Neuf Chapitres sur l’art mathématique et Canon des calculs sur le cadran solaire (ou Zhou bi suan jing) dont la valeur scientifique est insignifiante par rapport à la Syntaxe mathématique grecque.
De plus, l’Almageste est le fruit de cinq siècles de recherches effectuées à l’Académie d’Alexandrie, foyer de la civilisation hellénistique. Avant l’apparition de cette œuvre considérable, pendant le premier siècle de cette période, étaient déjà parus de nombreux écrits, de valeur scientifique tout à fait comparable, dans les domaines des mathématiques, de l’astronomie et de la physique. Pour remonter encore plus loin dans la tradition scientifique hellénistique, on peut citer l’Académie d’Athènes, créée par Platon, voire l’école de Milet et celle de Pythagore, qui ont existé du VIe au VIIe siècle avant notre ère. Par contre, en Chine, seule la tradition confucéenne est comparable dans la mesure où elle a perduré des siècles durant et exercé une influence considérable. Il ne faut pas non plus oublier que l’origine de la science hellénistique remonte à la nuit des temps : les papyrus de l’ancienne Égypte et les milliers de tablettes d’argile de l’empire de Babylone, durant le règne d’Hammourabi, datent des XVIe et XIXe siècles avant Jésus-Christ, période donc plus ancienne que celle de l’écriture chinoise sur les carapaces de tortue. Et ces écrits, conservés jusqu’à nos jours, font état de questions mathématiques déjà aussi complexes que celles contenues dans les Neuf Chapitres sur l’art mathématique.
Ensuite, la science s’est développée, semble-t-il, dans différentes villes et différentes cultures, qui font cependant partie de cette vaste zone que constituait la « civilisation occidentale ». Ainsi, les côtes occidentales de l’Asie mineure, Athènes, Alexandrie, Bagdad, Tolède, ont-elles été tour à tour le centre de recherches scientifiques. Au contraire, pendant très longtemps, l’Égypte antique et la dynastie babylonienne, puissantes et stables, n’ont pas vu leur science progresser, même si, au début, étaient apparus des écrits mathématiques de haut niveau. Leur véritable rayonnement n’a débuté qu’après l’importation de cultures presque totalement différentes. Il apparaîtrait que la science ait besoin d’un terrain riche et fertile, où l’on puisse sans cesse explorer et confronter.
Chaque progrès de la science semble lié à un personnage scientifique qui sort du rang et écrit un ouvrage remarquable. Toutefois, les scientifiques ont toujours eu besoin d’être formés dans des institutions académiques. Ainsi, y a-t-il eu l’Académie de Platon et celle d’Alexandrie, l’école fondée par Pythagore ainsi que Bait al-hikma du calife al-Mamum. Chacune de ces institutions, animée par des hommes exceptionnels et soumise à des règles de fonctionnement, a perduré des siècles, voire un millénaire. Les universités, quant à elles, créées à partir du XIIe siècle, ont joué un rôle encore plus important, tout en contribuant au progrès de la science à l’époque de la Renaissance et au XVIIe siècle.

Notes de bas de page numériques

1 . Académie des sciences : « Tradition scientifique et culture », notamment pp. 3-16, 356-369. On y trouve de nombreux articles qui citent les éléments, liés à la structure sociale, à la politique, voire à la langue chinoise, ayant contribué à étouffer le développement de la science en Chine.

2 . Voir Pedersen pp. 13-22 ; Toomer pp. 1-5

Bibliographie

— Mathématiques et histoire de l’astronomie en Occident :
Carl B. Boyer, A History of Mathematics, Princeton UP, 1985.
David C. Lindberg, The Beginnings of Western Science, Chicago UP,1992.
Otto Neugebauer, A History of Ancient Mathematical Astronomy, 3 pts., Spring-Veerlag, 1975.

— Égypte et Babylone :
Otto Neugebauer, The Exact Science in Antiquity, Dover, 1969.

— Grèce antique :
George Sarton, A History of Science, 2 vols., Havard UP, 1966.
G. E. R. Lloyd, Greek Science after Aristote, Norton, 1973.
Sir Thomas Heath, Greek Mathematics, 2 vols., Oxford UP, 1965.

— Monde arabe :
David C. Lindberg, The Beginnings of Western Science, Chicago UP,1992, ch. 8 ;
Carl B. Boyer, A History of Mathematics, Princeton UP, 1985, ch. 13.

— Europe médiévale :
Charles H. Haskins, The Renaissance of the Twelfth Century, Havard 1933.
Charles H. Haskins, Studies in the History od Mediaeval Science, Ungar 1967.

— Europe des XVIe  et XVIIe siècles :
Alexandre Koyré, The Astronomical Revolution, Cornell UP, 1973.
A. Rupert Hall, The Revolution in Science 1500-1750, Longman 1985.

L’Almageste :
G. J. Toomer, transl. & annot. Ptolemy’s Almagest, Spring-Verlag, 1984.
Olaf Pedersen, A Survey of the Almagest, Odense UP, 1974, Stanford.

— Science en Chine :
Christopher Cullen, Astronomy and Mathematics in Ancient China : the Zhou bi suan jing, Cambrige UP, 1996.
Jean-Claude Martzloff, ( Wilson, translation), A History of Chinese Mathematics, Spring-Verlag, 1997.
Qian Baozong (annotation), Dix chapitres sur l’art mathématique, Éditions Zhonghua, Pékin, 1963.
Histoire des mathématiques en Chine, sous la direction de Qian Baozong, Édition de la science, Pékin, 1964.
Tradition scientifique et culture, sous la direction du « Bulletin d’information de la dialectique », Éditions de la science, Province de Shanxi, 1983.

Annexes

Légende illustration :.

Schéma de la théorie de Ptolémée sur les mouvements des planètes supérieures (Mars, Jupiter, Saturne) et de Vénus. Georg Peuerbach, Theoricœ Novœ Planetarum, 1472.

Carte du fuseau Tsse-Wi-Houan

Cette miniature du XVIe siècle montre des astronomes au travail dans la tour de Galata à Istanboul.

Pour citer cet article

Par Chen Fangzheng, « Réflexions sur l’origine de la science moderne à partir de l’Almageste », paru dans Alliage, n°41-42 - Décembre 1999, Réflexions sur l’origine de la science moderne à partir de l’Almageste, mis en ligne le 05 septembre 2012, URL : http://revel.unice.fr/alliage/index.html?id=3930.


Auteurs

Par Chen Fangzheng

Physicien, directeur de l’Institut de culture chinoise à l’université du chinois de Hong-Kong.