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Claude Ecken  : 

In memoriam Arthur C. Clarke

p. 199-203

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Thématique : Descartes (René) , Heinlein Centennial, ingénieur, savant

Texte intégral

1Arthur Charles Clarke est décédé le 19 mars 2008, à Colombo, au Sri-Lanka. Trois mois plus tôt, il avait fêté ses 90 ans, recevant à cette occasion la visite du chef de l’État Mahinda Rajapakse et les journalistes du monde entier.

2Rompant avec son habituel optimiste, il avait formulé trois souhaits : la découverte d’un substitut propre à l’énergie pétrolière, l’instauration de la paix au Sri Lanka, et la preuve de l’existence de forme de vie extra-terrestre, qu’il comptait jadis voir de son vivant. Il est vrai qu’il avait déjà écrit : « l’avenir n’est plus ce qu’il était ». Mais il est vrai aussi que Clarke, c’est avant tout l’ode au voyage et la foi dans l’avenir, conjuguant science et spiritualité.

3Sa popularité, immense, n’était pas seulement due à 2001 : l’Odyssée de l’espace, film de Kubrick dont il écrivit le scénario, à partir d’une de ses nouvelles, « La Sentinelle », qui, dès 1951, introduisait l’idée des “grands anciens”, extraterrestres évolués donnant un coup de pouce aux formes de vie à la technologique moins avancée. Elle était aussi due à ses contributions scientifiques et ses textes de vulgarisation.

4Né le 16 décembre 1917, à Minehead, dans le Somerset, dans une famille pas assez fortunée pour lui payer l’université (le père est quand même ingénieur des télécommunications), il devient, après le lycée, auditeur dans une administration scolaire, avant de rejoindre la Royal Air Force pendant la guerre. Passionné d’astronomie au point de construire son premier télescope à l’âge de 13 ans (le manque d’argent, finalement, est émulateur), il découvre la science-fiction avec la fresque d’Olaf Stapledon, Les Premiers et les derniers, entre à la Société interplanétaire britannique qui se trouvait à côté de chez lui, avant d’en être le président de 1947 à 1950 puis en 1957.

5Mais entre-temps, Arthur C. Clarke a pris du galon à l’armée : d’abord dans les bureaux, il finit Flying Lieutenant de la RAF (de 1941 à 1946), où il travaille au développement du premier système de radar. Il est surtout à l’origine de l’orbite géostationnaire sur lesquels se placent les satellites de télécommunication, décrit dans un article, « Extra-Terrestrial Relays », dans Wireless World, en octobre 1945. Cette orbite, appelée aussi orbite de Clarke, lui valut d’obtenir la même année la médaille d’or de l’institut Franklin. Il en tire une nouvelle : « Je me souviens de Babylone » dans Playboy, mai 1960. Dans ce récit, il se met en scène en prenant comme point de départ son article et ce qui en advint (preuve qu’il savait soigner sa publicité), pour adresser une mise en garde contre l’utilisation à des fins de propagande ou de lavage de cerveau : « Lorsque les transmissions télévisées seront rendues possibles grâce à des satellites en orbite au-dessus de nous, leur utilisation comme arme de propagande pourra être décisive » (p. 20). Il a aussi imaginé en 1950 un lanceur électromagnétique, le lunartron, qui «expédierait» les colis d’un satellite (extraction de minerai par exemple) au point L2 de Lagrange pour récupération.

6Et c’est bien cette célébrité, et non celle de 2001…, encore dans les limbes, qui lui permit de rédiger des articles de vulgarisation scientifique pour Playboy, ce qui était une position enviable, aussi bien pour la reconnaissance du grand public que sur le plan financier. La plupart de ces articles ont été réunis dans son ouvrage prospectif Profil du futur, souvent cité pour certains aphorismes qui, depuis, ont fait florès ; en effet, c’est là que sont décrites les trois fameuses lois de Clarke :

  1. Quand un savant distingué mais vieillissant estime que quelque chose est possible, il a presque certainement raison, mais lorsqu’il déclare que quelque chose est impossible, il a très probablement tort.

  2. Le seul moyen de cerner les limites du possible est de s’aventurer un peu au-delà dans l’impossible.

  3. Toute technologie suffisamment avancée serait prise pour de la magie par une civilisation inférieure.

7Ses romans, bien sûr, reprennent souvent les idées scientifiques que l’homme pourrait un jour mettre en oeuvre, notamment dans la conquête de l’espace, son grand dada. Il n’est pas forcément le premier à avoir utilisé certains projets dans ses fictions, mais la rigueur de ses démonstrations font qu’on se souvient plus facilement des siennes : l’ascenseur spatial des Fontaines du Paradis, la récupération de l’énergie du vide dans 3001, une des suites à L’Odyssée de l’espace, un rien pesante par son didactisme.

8Considéré comme un auteur de hard science, Clarke ne répugne pas à utiliser les poncifs de la SF, usant au besoin de loufoquerie : chez lui, l’humour et la dérision n’étaient jamais bien loin. Rien n’est impossible à cet optimiste forcené qui décrit avec minutie, dans ses oeuvres de jeunesse la conquête de la Lune et de Mars. L’humanité est mûre pour l’espace dans Les Enfants d’Icare, le chemin des étoiles est même préférable à l’immobilisme de l’immortalité dans La Cité et les astres. Ces voyages ne sont pas prétextes à l’aventure mais à des méditations métaphysiques, non dénuées de lyrisme, sur la place de l’homme dans l’univers, comme par exemple celles suscitées par l’exploration d’un gigantesque vaisseau spatial dans Rendez-vous avec Rama. On reconnaît en cela l’influence de Stapledon alors que l’humour de ses spéculations sur ce qui se passerait si… rappelle davantage le sarcastique Erik Franck Russel avec qui il a longtemps correspondu. Progressiste, Clarke n’est cependant pas le chantre aveugle de la science : plutôt que de préconiser un impossible retour à la nature, il estime que la science peut et doit résoudre les problèmes qui se présentent à elle. Spiritualité n’est pas non plus religiosité : contempteur de la superstition et il est aussi très critique envers la religion dans « L’Étoile ». Pragmatiques, ses réflexions sociales échappent à la morale commune en s’adaptant aux nécessités. La rigueur scientifique prendra cependant le pas sur son imagination poétique même si on lui doit de très belles pages sur l’univers et son évolution finale.

9Par la suite, Clarke se contentera de rédiger des synopsis que d’autres transforment en romans : le cycle de Rama avec Gentry Lee, la suite de La Cité et les astres avec Benford, la série Base Vénus avec Paul Preuss, sans parler d’autres collaborations avec des auteurs capables de la même rigueur scientifique comme Baxter, Mc Quay ou Kube-McDowell. Ce n’est pas l’appât du gain qui le pousse mais la crainte de sa disparition ; en effet, ces collaborations ont commencé avec l’annonce d’une dégénérescence neurologique du cerveau, fatal à court terme, diagnostic erroné, ses problèmes de santé de l’époque s’avérant être des séquelles de la poliomyélite contractée dans l’enfance, et qui le conduira sur une chaise roulante.

10La mer et l’espace sont souvent considérés de façon similaire. Ce n’est sans doute pas un hasard si Clarke s’est révélé un furieux adepte de plongée sous-marine. C’est dans un stage de plongée qu’il rencontre son épouse, Marilyn Mayfield, épousée presque immédiatement le 15 juin 1953, dont il se sépare en décembre et de qui il divorce quelques années plus tard. Il ne se mariera plus jamais et on ne lui connaîtra pas d’autre liaison. Mais sa passion de la mer ne cesse de croître : il écrit, outre ses récits de sciencefiction, des documentaires sur les chercheurs d’épaves ou sur la mer, s’établit à Ceylan en 1954, ébloui par les récifs coralliens. Il a d’ailleurs crée dans ce qui est devenu le Sri Lanka une école de plongée pour enfants défavorisés. Là-bas, une académie scientifique porte son nom.

11La popularité de Clarke a grandi au sein du fandom au point d’éclipser Van Vogt, en 49, du trio des grands auteurs (les deux autres sont Heinlein et Asimov). C’est ce qui conduira à conclure en 1988, soit après la mort de Heinlein, le pacte de non-agression de Park Avenue, stipulant qu’ils ne se disputeront pas le titre de meilleur auteur de SF et/ou de vulgarisation, le partage étant fait ce jour là. C’est donc le 1er auteur de science-fiction qui vient de rejoindre, au panthéon de la littérature d’anticipation, Asimov, titulaire de la place de 1er vulgarisateur scientifique.

12Avant de mourir, Clarke avait eu le temps de corriger la version finale de son dernier roman The Last Theorem, co-écrit avec Frederik Pohl, un autre vétéran de la SF.

Bibliographie

Œuvres citées

Arthur C. CLARKE « Je me souviens de Babylone » (I Remember Babylon, 1960) ; in rec. Avant l’Éden, J’ai Lu, 1986.

--------------, « La Sentinelle » (Sentinel of Eternity, 1951) ; in recueil Les Odyssées de l’espace, Omnibus, 2001.

--------------, « Les Enfants d’Icare » (Childhood’s End, 1953) ; J’ai Lu, 2003.

--------------, « Profils du futur » (Profile of the Future, 1962) ; Planète, 1964.

--------------, « Les Fontaines du paradis » (Fountains of paradise, 1979) ; Folio SF, 2005.

--------------, « Base Vénus » (Venus Prime, 1987—1990), cycle avec Paul Preuss ; J’ai Lu, 1989-1992.  

--------------, « L’Étoile » (« The Star », 1955) ; in rec. éponyme, J’ai Lu, 1992.

--------------, « Rendez-vous avec Rama » (Rendez-vous With Rama, 1973) ; J’ai Lu, 2002.

--------------, « La Cité et les astres » (The City and the Stars, 1956) ; Présence du Futur, 1994.

--------------, « 2001 : l’Odyssée de l’espace » (2001 : A Space Odyssey, 1968) ; J’ai Lu, 2000.

--------------, « 3001, finale » (3001 : The Final Odyssey, 1997) ; J’ai Lu, 2002.

Olaf STAPLEDON, « Les premiers et les derniers » (Last and First Men, 1930) ; Présence du Futur, 1978.  

FILMS

Stanley KUBRICK, « 2001 : L’Odyssée de l’espace » (2001 : A Space Odyssey, 1968).

Pour citer cet article

Claude Ecken, « In memoriam Arthur C. Clarke », paru dans Sciences et Fictions, Robert A. Heinlein et la pédagogie du réel, Annexes, In memoriam Arthur C. Clarke, mis en ligne le 08 février 2010, URL : http://revel.unice.fr/symposia/scetfictions/index.html?id=360.


Auteurs

Claude Ecken