Loxias | 81. Le 100e numéro de Loxias! | I. Varia: les membres du CTEL publient 

Rémy Gasiglia  : 

« Counquistaren […] La Touisoun d’Or emai Medèio » ou Une hypothèse de relecture du Pouèmo dóu Rose de Frédéric Mistral

Résumé

Le propos est d’étudier les rapports que Lou Pouèmo dóu Rose (Le Poème du Rhône), dernière épopée de Frédéric Mistral (1896), entretient avec le mythe de Médée et des Argonautes, tel qu’il a été traité par Ovide, Apollonios de Rhodes et Valerius Flaccus. On verra que le texte provençal se réfère souvent à ces hypotextes, mais ne se limite pas à leur imitation. Car la réécriture mistralienne conte l’échec des voleurs de Toison d’or, vaincus par une nouvelle Médée assistée de ses dragons qui délivre le Rhône de ses conquérants, puis retourne se « baigner dans le poème » du fleuve.

Index

Mots-clés : Frédéric Mistral , Le Poème du Rhône, Les Argonautes, Littérature occitane, Lou Pouèmo dóu Rose, Médée

Plan

Texte intégral

1 On le sait, Lou Pouèmo dóu Rose (Le Poème du Rhône), dernière épopée de Frédéric Mistral (1896) est une œuvre mystérieuse et ambiguë. Il recèle entre autres une énigme sur laquelle il est intéressant de se pencher. Pourquoi le navire à vapeur qui provoque le naufrage final s’appelle-t-il « Le Crocodile » ? Ainsi nommé, cet actant entre paradoxalement dans le même réseau lexical et thématique que ses victimes. En effet, ce produit du progrès technique détruit la batellerie rhodanienne séculaire et cause, selon les mariniers, la mort du fleuve (« A creba, vuei, pèr tóuti, lou grand Rose1 »). Mais symboliquement transformé en saurien, il se trouve associé au Drac, dragon tutélaire du même fleuve, et lié à deux personnages dont il provoque la disparition, Guilhem, prince d’Orange, qui serait un avatar du Drac, et son amoureuse au nom de lézard, l’Anglore. Comment expliquer cette « sorte de parenté2 » onomastique ? Pour tenter de résoudre la contradiction, on doit se demander quel rôle jouent les reptiles dans l’œuvre. On voit alors que tout repose sur un hypotexte dont Mistral joue avec brio et qu’il désigne avec un indice mis dans la bouche de Guilhem. Celui-ci, apprenant que l’Anglore est orpailleuse, lance, non sans pédantisme :

Sian pas lis Argounauto dóu Caburle ?
Counquistaren, d’abord que sian en courso,
La Touisoun d’Or emai Medèio… Vogo3 ! –

2Claude Mauron écrit qu’« il y a sûrement beaucoup à déduire de [cette] boutade » et relève dans le poème plusieurs allusions au mythe de Médée et des Argonautes4 – ajoutons : un mythe dans lequel les reptiles jouent un grand rôle. Le critique signale comme source Apollonios de Rhodes, auquel on adjoindra son imitateur Valerius Flaccus et surtout Ovide. L’examen des similitudes et des différences par rapport à ces modèles permettra d’expliquer les réemplois et d’avancer une hypothèse sur la signification du Pouèmo tout entier.

Présence du mythe

3Dès l’incipit, des traits antiquisants préparent la référence argonautique. D’abord une allusion à la statuaire, les bateliers lyonnais ayant le visage doré « coume un brounze5 », et à la peinture des vases grecs, car lors des joutes, « li drole nus se fasien vèire / Valènt e fort is iue di bèlli chato6 ». Puis ces mariniers du Rhône du début du XIXe siècle sont implicitement comparés aux héros des épopées homériques, étant

Grand, courpourènt, clapu tau que de chaine,
Boulegant un saumié coume uno busco
7.

4L’assimilation de ce passé à une antiquité dont il ne reste que des traces archéologiques s’accomplit à la fin de la laisse III :

[...] d’aquéu varai tout ço que rèsto
Es lou traçan e la rousigaduro
Que la maio a cava contro li pèiro
8.

5Puis apparaît une allusion à la « Naïado antico », « Ninfo » que Guilhem brûle de rencontrer9. Tout cela prépare le lecteur à lire la réécriture d’un mythe gréco-latin.

6Mistral décrit d’abord les barques de Patron Apian, « Calfatado emé de flo d’estoupo / Que retenien li tèsto di senepo, / De pego negro en foro enquitranado10 », avant l’ekphrasis des sculptures décorant le Caburle, saint Nicolas à la proue et croix des mariniers à la poupe. C’est l’équivalent du début des Argonautiques de Flaccus qui raconte l’achèvement de la nef Argo : « sa coque est pour longtemps impénétrable à l’eau ; ses fentes sont enduites de cire, et la déesse l’orne de diverses peintures », lesquelles font aussi l’objet d’une longue ekphrasis11. Si les Argonautes de Flaccus, comme ceux d’Apollonios, banquettent avant de partir, les bateliers de Mistral le font plus tard et plusieurs fois pendant leur voyage. Apollonios imagine que ses Argonautes, après avoir navigué sur l’Éridan (le Pô), descendent le Rhône :

De ce fleuve, le vaisseau fut conduit dans un autre, dont les eaux se mêlent en murmurant à celles de l’Éridan. Il porte le nom de Rhône et prend sa source aux extrémités de la terre, près des portes du couchant et du séjour de la nuit. Une de ses branches [le Rhin] se jette dans l’Océan, l’autre dans la mer Ionienne, en se confondant avec l’Éridan, la troisième enfin se rend par sept embouchures au fond d’un golfe de la mer de Sardaigne [le golfe du Lion].

7Ils se fourvoient et

[Junon] leur fit prendre le chemin par lequel ils devaient revenir dans leur patrie et les enveloppa d’un nuage, à la faveur duquel ils traversèrent, sans être aperçus, le pays des Celtes et des Liguriens. Étant enfin parvenus à la mer après être sortis du fleuve par l’embouchure du milieu, ils abordèrent heureusement aux îles Stoechades [les îles d’Hyères]12.

8Ce passage inattendu dans la future Provence peut avoir conforté le poète provençal dans son intention de rapprocher le Pouèmo du mythe, ou lui avoir suggéré de le faire.

9Surgit ensuite dans le Pouèmo le thème de la Toison d’or. Au chant III, Guilhem plaisante donc sur l’état d’orpailleuse de l’Anglore. Cela situe l’héroïne au cœur d’un réseau cohérent. Au chant V, elle est associée au métal précieux qu’elle arrache aux sables de l’Ardèche (« Li pampaieto d’or que, raro e tèuno, / L’Ardecho carrejavo après li plueio ») et sa technique d’orpaillage répond au thème de la Toison :

Lavado e relavado, li paiolo
Se retenien, lusènto, sus la bourro
D’uno pèu de móutoun
13

10De plus, dès le chant I, on apprend que les bateaux à destination de Beaucaire participent à un concours dont un mouton est le prix :

Au prat de fiero lou proumié qu’arribo
E tiro lou canoun, pèr bèn-vengudo
Li Bèu-Cairen ié baion un bèu mòti
14.

11L’équipage du Caburle parti de Condrieu à destination de la célèbre foire cherche à obtenir cette récompense. Il est encore question de « gagna la móutounesso15 » au chant III, insistance qui désigne comme un des modèles du Pouèmo le voyage des héros en quête de la « toison du bélier de Phryxus », qu’ils atteignent après avoir eux aussi navigué sur un fleuve, le « Phasis qui roule ses eaux rapides sur un épais limon16 ».

12Quant à l’or, il en est beaucoup question. Sans revenir sur le métier de l’Anglore, notons que le mot est présent dans son surnom, sous l’accent tonique (Angl-òr-o) et qu’elle rêve de voir « la flamo dis Oulurgue / Que van plourant e gemissènt i rode / Ounte an aclapa d’or17 ». Apian porte « dous grand tourtis d’or que ié pènjon / À sis auriho18 ». Si tous ses passagers veulent s’enrichir, les plus énigmatiques, les Vénitiennes, rêvent d’or. L’une porte un peigne garni de « perlo d’or19 », elles chantent une chanson évoquant l’« aneloun aurin20 » de la belle Norine et veulent découvrir « douge estatuo / En or massis » enterrées à Avignon, tout en craignant d’employer le nombre treize, car « èron li douge aposto / Emé lou Crist en subre21 ». La Provence que découvre Guilhem est donc le pays d’un or dont on veut s’emparer.

13La plupart de ces aventuriers avides d’or ne sont pas des Provençaux22, mais des étrangers, à l’instar des Argonautes qui, Grecs, débarquent dans la Colchide « barbare ». « Franchimands » comme les bateliers lyonnais, italiens comme les Vénitiennes, hollandais (certes de lointaine origine provençale) comme Guilhem, ils sont mus par une cupidité et un esprit de conquête inquiétants. « Counquistaren », a dit Guilhem23. Ils appartiennent à la kyrielle des « counquistaire li mai trule24 » qui au fil des siècles sont passés par la vallée du Rhône25. Le poète résume leur attitude avec « La baisso lis atiro26 », ce qu’il traduit par « Le Midi les attire ». La Provence, « empèri dóu soulèu27 », est l’objet de leur conquête comme la Colchide, royaume d’Aiétès fils du Soleil, est le but des Argonautes. L’origine des mariniers est indiquée par une métaphore aviaire – « Èro Coundriéu soun nis28 » – réutilisée à propos de Guilhem qui cherche « Lou nis, lou couvadou29 » ancestral. Cette image rappelle les « Conquérants » de Heredia30 : « Comme un vol de gerfauts hors du charnier natal… ». Les conquistadors étaient « penchés à l’avant des blanches caravelles » ; sur leurs « lòngui tiero blanquinello31 » bateliers « dre sus la poupo32 » et passagers du Caburle pensent aussi « conquérir le fabuleux métal ». L’évocation des « Coundriéulen33 » par Mistral est ambiguë. Il en fait « li veiturin de l’aboundànci », « bèn-vengu de tóuti34 », comme pour atténuer un début de portrait moins mélioratif, celui de modernes conquistadors mâtinés de croisés : « patroun de la ribiero, / Èron de rèi verai, de counquistaire. / Vers la Prouvènço, aquelo Palestino, / […] Éli […] / Ié davalavon35 ». En effet, sont-ils vraiment des porteurs d’abondance si la Provence est la « terre promise », si elle possède déjà l’abondance ? Faut-il souligner la violence d’Apian, interrompant son Notre Père d’un juron qui dissimule un blasphème (« Capounas de pas Diéu36 »), agressif avec les pêcheurs et refusant par orgueil de céder le passage au « Crocodile » ? Faut-il oublier l’hybris-ébriété de Jean Roche et de ses camarades ?

Quand se vesien [...]
Li mèstre en plen d’aquéu reiaume eiguèstre,
D’aquel empèri dóu Maïstrau rude
[...],
D’uno ourgueianço estrèmo venien ébri
E se cresien lis invincible au mounde
37.

14Guilhem est lui aussi ivre « d’un rêve héroïque et brutal » et, s’il n’espère pas « des lendemains épiques », il éprouve « lou regrèt di counquisto perdudo38 ». Certes, il prétend pacifiquement « recounquerre aquéu flouroun d’Aurenjo, […] / En s’afreirant i bòni gènt dóu pople39 », mais parce qu’il ne peut faire autrement. En effet, il rêve d’

Èstre nascu dins li tèms de bagarro,
De bourroulis, de noun-rèn, d’aventuro,
Ounte, uno espaso en man, lou valènt ome
Poudié, prenènt counsèu que de soun èime,
Poudié, dins lou grouün di treboulino,
Se taia libramen un bèu reiaume
40

15Ce prince « fourestié41 » célèbre les patriotes défaits lors de la croisade contre les Albigeois et boit à leur « causo vincudo42 », toast ambigu et démoralisant.

16Guilhem a les deux visages de Jason. D’une part, l’ascendance royale et le goût de l’aventure. D’autre part, l’infidélité. Il flirte avec les Vénitiennes alors que l’Anglore lui a juré son amour comme Jason abandonne Médée, à qui il doit tout, pour épouser Créuse et succéder à Créon sur le trône de Corinthe. Et aussi l’incapacité d’agir seul. Guilhem fait appel à Jean Roche au « cop de man d’Ercule43 » pour chercher les statues d’or d’Avignon comme Jason a besoin de Médée et des autres Argonautes, dont justement Hercule, pour s’emparer de la Toison.

17En cette nouvelle Colchide, l’Anglore serait une autre Médée. Au milieu de ces navigateurs étrangers, elle seule est provençale et semble comme Médée renier ses origines en aidant les conquérants, subjuguée par Guilhem-Jason. Quoique misérable, issue d’une famille vivant en marge de la société, elle est une « rèino44 » métaphorique, et Médée l’authentique princesse d’un peuple méprisé des Grecs. Celle-ci, dont le nom a la même étymologie que le mot français médecin, est à l’origine une guérisseuse et sait utiliser les simples. L’Anglore est aussi associée aux plantes, cueillant « la flour de Rose45 ». Toutes deux ont avec la nature un rapport étroit que Mistral souligne en contant les baignades de son héroïne dans le Rhône. Médée crée les philtres qui préservent Jason dans ses affrontements avec les monstres, mais est également capable du pire. Toutes proportions gardées, l’Anglore est aussi contradictoire. Son ambiguïté entre innocence et agressivité se lit dans ses yeux, puisque « èro de peno / De saupre se risien d’enfantoulige / O d’alegresso folo o bèn pèr trufo46 ». Charmante (« risènto », « poulido proun47 »), enfantine (« enfantoulido48 », « nino49 »), naïve (« simplo50 »), émouvante (« pauro », « paureto51 ») et pieuse52, elle est aussi « arrouganteto53 » et attend les mariniers dans une posture autoritaire et provocante, « Lou poung sus l’anco54 ». Elle se mue parfois en démente effrayante, « esglariado », « esperitado55 », « enaurado […], lis iue alabre / E de l’esglai la caro sang-begudo56 », à « l’iue faurèu57 », « talo qu’un escalustre58 ». L’oxymore « bèuta ferouno59 » la résume. Au dénouement, Apian constate sa nature pitoyable, car c’est une victime, et redoutable, car elle est peut-être responsable de la catastrophe :

Iéu lou sentiéu, qu’aquelo malurouso
(Car dèu avé, jitado à la ribiero,
Fa puto-fin) èro pèr nous adurre,
A tèms o tard, quauque marrit rescontre
60.

18C’est l’énigme de Médée, dont on ne sait s’il faut la plaindre d’avoir trop aimé l’infidèle Jason au point d’en perdre la raison, ou bien la détester pour ses crimes abominables.

19Comme Médée, l’Anglore est une sorcière (une « vièio masco bourguesano61 » l’a instruite), une magicienne « astrugo62 ». À Jean Roche qui l’aime, ses camarades disent « Siés enmasca63 » et de la jeune fille « a marrit iue64 ». Les patrons mariniers craignent « que d’un regard ié destimbourle, / En lis embelinant, sis equipage65 », ce que Mistral traduit par « que d’un regard elle ne brouille magiquement leurs équipages ». Elle utilise même une marmite qui rappelle le chaudron dont use Médée pour rajeunir Éson coupé en morceaux. Dans le Pouèmo, le récipient est plein de viande boucanée :

[…] sus la carato
Avien planta l’arpi, mounte se pènjo
Li farlambias de car, prouvèndo cruso
Que fan seca au soulèu. N’en desacrocon,
Ardit, quàuqui bon tros pèr metre à l’oulo ;
E lou chat dóu batèu fai la bouiaco.
Entandóumens l’Angloro que l’ajudo66

20La scène serait banale si la marmite où bout la viande n’était un des rares objets associés à l’Anglore.

21Celle-ci entretient un rapport privilégié avec la lune, la redoutable Hécate, à laquelle les bateliers la comparent :

E, hòu ! avisas-vous que noun vous guinche
De caire, quand passas : la luno jouvo,
Coume se dis, es banarudo e fèlo
67 !

22Elle-même voit sur les gravures de la fontaine de Tourne « La Luno fèlo68 » que déifie la majuscule. Un peu plus tôt, les bateliers ont murmuré : « Parèis que vuei sara soun jour de luno69 ». On vérifie ce lien lors de sa baignade nocturne dans le Rhône :

S’èro levado en camiso à la luno
Pèr ana prene un pau lou fres deforo.
La luno dins soun plen la regardavo,
Mingoulouno, descèndre vers la ribo,
A pèd descaus, dins lou prefound silènci
De la naturo inmènso e dourmihouso…
[…]
Leissè d’un cop toumba sa camiseto
E dins lou Rose, ardènto e trefoulido,
[…]
Descendié ’ncaro un pau, alusentido
Pèr li rai de la luno
70

23La scène est inspirée entre autres du rituel de Médée implorant l’aide d’Hécate et des forces de la nature pour rajeunir Éson71 :

Trois nuits devaient encore s’écouler avant que la lune, réunissant ses cornes, eût pleinement arrondi les contours de son disque : à peine s’est-il montré à la terre, radieux et dans son entier développement, Médée sort de son palais, la robe flottante, un pied nu, et les cheveux épars sur ses épaules nues. Seule, au milieu du profond silence de la nuit, elle promène à l’aventure ses pas errants : les hommes, les oiseaux, les hôtes des forêts, tout est plongé dans le sommeil […] : Médée […] tourne trois fois en cercle, répand trois fois sur ses cheveux l’onde puisée dans un fleuve, et trois cris lamentables s’échappent de sa bouche. Elle fléchit le genou sur le sable aride, et s’écrie : « Ô nuit, fidèle témoin des mystères ; et vous, astres étincelants dont la clarté unie à celle de la lune succède aux feux du jour ; et toi, triple Hécate, confidente et protectrice de mes desseins…

24Dans les deux cas le contact avec le fleuve permet la rencontre des dragons. La prière de Médée fait vivre au lecteur l’apparition de ceux qui tirent son char volant :

« ce n’est pas en vain que les astres ont brillé de tant d’éclat ; ce n’est pas en vain que ce char, traîné par des dragons ailés, est descendu vers moi ». Près d’elle, en effet, était un char descendu des cieux.

Elle y monte, et caressant le cou des dragons soumis au frein, elle agite les rênes légères et s’élève, emportée par un essor rapide72...

25Dans le Rhône, l’Anglore voit le Drac, tantôt « bèu jouvènt73 », tantôt « oumbrinello blanco e serpentino74 », tantôt poisson serpentiforme (« Anguiela coume un lampre75 »). Il a des attitudes reptiliennes (« Pipant coume un lesert la souleiado76 ») et son nom indique qu’il est un dragon. La jeune fille pense qu’à « Mount-Dragoun » il possède son « castelas ounte la niue draquei[o]77 ». Elle ne l’a pas invoqué, mais le cherche sans doute inconsciemment depuis que les contes de sa mère lui ont appris son existence.

26Grâce à ses dragons, Médée va cueillir les « simples propres à ses enchantements » entre autres sur « les rives du Boebès, couvertes de joncs78 ». Le Drac tend à l’Anglore la « flour roso / D’esparganèu79 ». Leurs rencontres, ayant lieu « I lunesoun clarino de setèmbre80 », sont placées sous le signe d’Hécate. En outre, la vision de Jason dont renaît la passion de Médée – « Elle le contemple et fixe ses regards sur lui, comme si elle le voyait pour la première fois. Dans son délire, elle ne croit pas voir les traits d’un mortel, et ne détourne pas un instant ses yeux81 » – est la source du premier face-à-face de l’Anglore et de Guilhem, avec la même confusion entre l’humain et le surnaturel :

Èro subitamen vengudo palo :
Faguè, soun sang, un cabus dins si veno
Que, d’entant-lèu, toumbavo cor-falido.

– Es éu ! es éu ! – quilè coume uno folo
En s’agripant de-reculoun i courbo ;
E tau qu’un diéu, èro aqui, la paureto,
Que lou belavo, amourouso e cregnènto
82.

27L’Anglore rappelle Médée jusque dans son attitude finale (« Au paradis ié sèmblo que s’envolo83 ») calquée sur l’envol de la magicienne après le meurtre de Pélias : « Si les dragons ailés ne l’avaient emportée dans les airs, elle n’aurait pas échappé au châtiment84 ». L’autotraduction de Mistral est plus proche du mythe, « au paradis » devenant « dans le ciel ».

28Telle Médée, l’Anglore ne peut, au dénouement, que sortir du monde. L’héroïne antique rejoint « le monde des contes mythologiques »85 et l’orpailleuse les créatures surnaturelles aquatiques. Après s’être vengée, la fille de Colchide, toujours « Emportée par les dragons qu’elle reçut du Soleil »86, laisse derrière elle les ruines de Corinthe qu’elle a détruite. La fille du Rhône disparaît entre les épaves d’un naufrage que selon Apian elle a provoqué. Quant à Guilhem, sa fin rappelle un peu celle de Jason. Certes, il tente de sauver l’Anglore, mais disparaît aussi parmi les épaves du Caburle. Le Grec, bien après ses aventures avec Médée, est tué sur un rivage par la chute d’un morceau de la proue vermoulue de l’Argo, épave à l’ombre de laquelle il dormait.

Réécriture

29Si les similitudes ne manquent pas entre les personnages principaux, les structures narratives du poème et du mythe diffèrent. Après l’épisode de la Toison, les crimes de Médée, du meurtre de son jeune frère jusqu’à celui de ses propres enfants selon Euripide et Sénèque, n’ont aucun équivalent avec l’Anglore, qui est au contraire affectueuse à l’égard du mousse, seul enfant du récit. Il est plus intéressant d’examiner les inversions que Mistral fait subir à l’hypotexte.

30Jason part à la recherche de la Toison pour obtenir le retour sur le trône d’Iolcos de son père dépossédé par Pélias ; selon la rumeur Guilhem « [E]n se brouiant emé lou rèi soun paire, / […] es parti pèr courre l’aventuro87 ». Jason conquiert la Toison d’or ; Guilhem ne conquiert rien, car le mouton de Beaucaire est remporté par des Tunisiens :

[…] lou bastimen de Tùnis
A la pèu de móutoun qu’es pendoulado !
Es arriba lou bèu proumié
88 […].

31Même aidé par Jean Roche, Guilhem renonce à découvrir les statues d’or d’Avignon, effrayé par le puits où elles seraient cachées. Il fait preuve de muflerie à l’égard des Vénitiennes, qui l’accusent de lâcheté et l’humilient en évoquant un hypothétique reptile, gardien d’une nouvelle Toison d’or.

[…] – Quau se i’abrivo ?
Demando frejamen Guihèn d’Aurenjo
En regachant li tres femeto mudo.
Jan Rocho ié respond ; – S’avian de cordo...
– Vous ié davalarian, diguè lou prince
I dono. – Vàutri dous, que sias de mascle,
Ausas nous dire acò ? la dougaresso
En lou fissant abramado e ferouno
Ié repliquè.
Ié soun, lis estatuo !
[…].
I’aguèsse-ti lou Baseli pèr gàrdi,
Segnour, leissarés pas
89

32Jean Roche tire d’affaire cet antihéros en prétextant que l’aube va poindre (alors que minuit vient tout juste de sonner) et invoque un appel imaginaire : « lou patroun, ause que crido : À Rose90 ! » D’où le soulagement91 d’un prince paresseux et rêveur. Pendant le voyage, ce Jason « Jasènt »92 (sorte de paronomase in absentia) « fai miejour », « L’iue mita claus », « Atrevari93 », « Entre-dourmi94 », s’imagine « Bevènt l’óublit95 » avec l’Anglore et transforme le Rhône en Léthé.

33Quant à l’or que son amie doit vendre à Beaucaire, elle n’en tire rien, alors que « N’i’avié pèr vint escut96 », car le prince demande à un orfèvre d’en faire deux bagues de fiançailles. Curieux cadeau, que paie celle qui le reçoit !

34Le poème s’achève sur la négation du début des aventures de Jason et Médée. Grâce à la magicienne, Jason triomphe des taureaux d’airain du roi de Colchide puis du dragon gardant la Toison d’or, mais Guilhem échoue face au « Crocodile » qui synthétise ces monstres. En effet, cette machine, qu’avec la plupart des critiques nous avons vue jusqu’ici comme le symbole du progrès technique, sort en fait de la mythologie. C’est un « moustre » précédé par une « toussido / Coume aquelo d’un brau o d’un coulobre » tandis qu’« un flo de tubo / Ennegrissié lou cèu ». Ce « batèu à fiò » est une « nau qu’arpatejavo emé si rodo97 ». Or la double et peu cohérente comparaison avec le taureau ou le dragon n’a de sens que si elle désigne les hypotextes ovidiens. Premièrement, l’épisode des taureaux d’airain fournit le feu, la fumée et la métaphore de la toux :

Tout à coup les taureaux aux pieds d’airain vomissent la flamme de leurs naseaux de fer ; […] de même qu’on entend gronder un foyer rempli de flamme, ou comme, au sein d’une fournaise souterraine, se dissout et bouillonne la chaux qu’arrose une onde abondante ; ainsi des tourbillons de feu roulent en mugissant au fond de leur poitrine et dans leur gueule embrasée. Cependant le fils d’Éson marche à leur rencontre : à son approche […] leurs cornes armées de fer frappent la terre avec leurs pieds fourchus, et remplissent l’air de poudre, de fumée et de mugissements98.

35En outre, l’image du four suggère la malédiction que lance Apian sur le vapeur : « Que moron, / Aquéli que te servon, dins la braso / […] De l’infernas negras ounte t’empures99 ! » Deuxièmement, le « dragon vigilant, […], monstre hideux qui veille sur la Toison d’Or100 » fournit la notion de monstruosité, le nom du vapeur et la métaphore des griffes.

36Guilhem et ses compagnons n’ont su vaincre les monstres du roi de Colchide devenus le bateau « Le Crocodile » (quasi-anagramme du nom du royaume, assonançant avec celui-ci), ce qui concorde avec l’échec de la quête de l’or et de la Toison.

Pourquoi Médée ?

37Mais Guilhem est un personnage double et contradictoire. Aventurier peureux, Argonaute vaincu par le dragon, antihéros incapable de sauver l’Anglore, il est aussi, selon celle-ci et Jean Roche, un dragon, le Drac du Rhône « assabenta dóu grand naufrage101 » qui annonce aux Argonautes éberlués du Caburle la disparition de la batellerie et qui, tels les dragons volants de Médée, « dins si bras aguènt l’Angloro102 » l’emporte « dins si toumple103 », c’est-à-dire dans l’autre monde où elle veut aller, car « n’es plus d’aqueste mounde104 ».

38Deux dragons président au dénouement, ce Drac à figure de prince et « Le Crocodile », machine à nom d’animal. Ils reflètent les deux types de dragons du mythe antique, celui qui veille sur la Toison et que Médée aide à neutraliser, puis ceux qui tirent le char sur lequel Médée s’envole, tous servant la famille royale de Colchide amie des reptiles. Le premier veille sur le trésor royal et ne s’oppose à Médée que lorsqu’elle trahit son père et aide le voleur Jason. Les autres restent ses adjuvants jusqu’au bout. Dans le Pouèmo, ils aident tous l’héroïne. « Le Crocodile » coule les navires des nouveaux Argonautes mais n’est pas un opposant à l’Anglore, car, loin d’aider les hommes du Caburle, elle a prédit avec une joie sauvage leur sort catastrophique : « Piquè dóu pèd em’uno ricanado, / E de soun iue faurèu fissant la chourmo105 ». Autant que le Drac, « Le Crocodile » permet son « envol ». Il est la forme moderne du dragon. On ne s’étonnera donc pas que le prince-dragon, le bateau-dragon et l’Anglore « sourreto dóu Coulobre106 » soient liés par leurs noms.

39Quel est le sens du travail de Mistral sur le mythe de Médée ? Car le choix d’une héroïne aussi sulfureuse pour construire le personnage de l’Anglore ne laisse pas d’interroger. Effrayante illustration du thème de la vengeance, ce mythe est ici un avertissement à tout conquérant. Décrivant le « fièr jouvènt107 » qui immole le taureau de la Pierre de Tourne et représente le « destrùssi / Que dèu un jour tua la marinaio108 », l’Anglore souligne qu’il est « couifa de la bouneto / De liberta109 », « bounet rouge110 » phrygien des esclaves affranchis. C’est un libérateur. La « Mau-parado »111 provoquée par le dragon mécanique serait une revanche sur tous ceux qui, « attirés par le Midi », croisés de Simon de Montfort ou simples bateliers, se sont crus maîtres du Rhône et de la Provence112. Comme dans le mythe, « Le Crocodile » défend l’ordre des choses, mais il ne s’agit pas de l’ordre immobile de la Colchide où la Toison garantit le pouvoir royal. Le bateau-dragon, avatar du génie du Rhône, n’assure nulle immuabilité sur un fleuve qui est l’image héraclitéenne de l’écoulement du temps (« lou mounde viro113 », dit l’Anglore). Ce qui est éternel dans Lou Pouèmo, c’est le Rhône et son libre mouvement. Cette interprétation semble concorder avec la phrase de Mistral rapportée par Paul Souchon : « En dépit de ce qui peut flotter à sa surface, bateaux à rames, à chevaux, à vapeur ou à pétrole, le fleuve reste le maître du pays et des gens, avec le vent114. »

40Alors que dans Mireille l’héroïne sacrifiée part sur la barque des Saintes Maries pour le paradis sidéral des amants, dans Le Poème du Rhône l’héroïne révoltée et vengeresse, une fois sa tâche accomplie, part « quau saup mounte115 ». Ainsi l’œuvre de Mistral s’inscrit-elle entre Mirèio et une nouvelle Medèio, très différentes mais que rapprochent leurs noms et leur départ « anywhere out of the world ». « Enfer ou Ciel, qu’importe ? », il s’agit toujours de « Plonger au fond du gouffre », « Au fond de l’Inconnu pour trouver du nouveau », ce que fait l’Anglore « mudo, / Lis iue cluca, […] fisançouso »116, c’est-à-dire « ravie » et « pensive » comme les noyés du Bateau ivre, tandis que coule le Caburle – « Oh ! que [s]a quille éclate ! » – qui n’est plus « guidé par les haleurs ». Grâce à des personnages « pareils à des acteurs de drames très antiques », Mistral termine sa dernière épopée avec une remarquable contribution à la thématique des naufrages symboliques qui hante Baudelaire, Rimbaud et Mallarmé :

Et, peut-être, les mâts, invitant les orages
Sont-ils de ceux qu’un vent penche sur les naufrages
Perdus, sans mâts, sans mâts, ni fertiles îlots…

41Sans doute fallait-il une sorcière, une héroïne transgressive pour explorer une nouvelle esthétique. Le terme de la navigation de la scandaleuse Anglore qui s’est « baignée dans le poème » du fleuve libéré, c’est le poème du Rhône, aboutissement symboliste117 de l’aventure poétique mistralienne.

Notes de bas de page numériques

1 Il a crevé pour tous, aujourd’hui, le grand Rhône (p. 336). Les citations du Pouèmo et leurs traductions par Mistral proviennent de l’édition de Raphèle-lès-Arles, Culture Provençale et Méridionale – Marcel Petit, 1979.

2 Céline Magrini-Romagnoli, « Lou Mounde viro », Lou Pouèmo dóu Rose, Montfaucon, A l’asard Bautezar !, 2015, p. 30.

3 Sommes-nous pas les Argonautes du Caburle ? Nous conquerrons, puisqu’on est en campagne, la Toison d’Or et Médée… En avant ! (p. 74).

4 « Grandeur d’une épopée », Frédéric Mistral, Le Poème du Rhône, Paris, Aralia, 1997, pp. 12-13. Cf. aussi Christophe Imbert, « Que reste-t-il du Mistral classique ? Le Poème du Rhône, latin et grec », pp. 22-25.

5 Comme un bronze (p. 2). Cf. Christophe Imbert, « Que reste-t-il du Mistral classique ? Le Poème du Rhône, latin et grec », p. 4.

6 Les garçons se montraient nus, vaillants et forts, aux yeux des belles filles (p. 8).

7 Grands, corpulents, membrus, tels que des chênes, remuant une poutre come on fait d’un fétu (p. 4).

8 De ce mouvement, hélas ! tout ce qui reste, c’est la trace rongée, c’est le sillon que le câble a creusé contre les pierres (p. 8).

9 Naïade antique ; Nymphe (p. 32). Cf. Christophe Imbert, « Que reste-t-il du Mistral classique ? Le Poème du Rhône, latin et grec », pp. 12-18.

10 Calfatées de flocons d’étoupe que retenaient les têtes des crampons, et de poix noire goudronnées en dehors (p. 12).

11 Lucrèce, Virgile, Valérius Flaccus, Œuvres complètes, traduction par divers traducteurs sous la direction deCharles Nisard, Firmin Didot, 1868, pp. 485-486.

12 Apollonios de Rhodes, L’Expédition des Argonautes ou la conquête de la Toison d’or, traduit par J.-J.-A. Caussin, in Les Petits poèmes grecs…, Paris, Desrez, 1838, p. 460.

13 Les paillettes d’or que, ténues et rares, l’Ardèche charriait après les pluies. Lavées et relavées, les paillettes légères de là s’attachaient, luisantes, à la laine d’une peau de mouton (p. 120). Christophe Imbert indique que « Strabon voit dans la toison d’or une peau qui sert à l’orpaillage » (« Que reste-t-il du Mistral classique ? Le Poème du Rhône, latin et grec », p. 23).

14 Au pré de foire le premier qui arrive et tire le canon – reçoit, pour bienvenue des Beaucairois, un beau mouton ! (pp. 16-18).

15 Gagner le mouton (p. 66).

16 Ovide, Les Métamorphoses, traduction par auteurs multiples, texte établi par Désiré Nisard, Paris, Firmin Didot, 1850, p. 358.

17 La flamme des Oulurgues qui vont pleurant et gémissant aux lieux où ils ont enfoui de l’or (p. 168).

18 Deux grands anneaux d’or qui pendent à ses oreilles (p. 18).

19 Perles d’or (p. 210).

20 Petit anneau d’or (p. 110).

21 Douze statues en or massif (c’étaient les douze apôtres avec le Christ en plus) (p. 200).

22 C. Magrini-Romagnoli reconnaît « que les héros du Pouèmo dóu Rose ne sont pas vraiment provençaux », puis note que nombre de critiques ont vu dans les félibres « les Argonautes de la langue provençale, pour qui la Toison d’or est une peau de chagrin » et que « naturellement, les héritiers de Mistral se reconnurent dans ces Argonautes dépossédés » (« Lou Mounde Viro », pp. 16, 34, 36). Ajoutons que Berthe Gavalda par exemple oublie en effet que les Condrillots habitent près de Lyon et en fait « le peuple réel des Méridionaux authentiques » (Études mistraliennes, t. I, Berre l’Etang, L’Astrado, 1988. p. 133).

23 À juste titre cette fois, B. Gavalda le classe parmi les « touristes, superficiels, snobs, bêtes ou cyniques, et les "businessmen" exploiteurs, et aussi les écrivains et les politiciens renégats. C’est de ces gens-là que le Midi en général, la Provence en particulier, ont tant souffert ! […] Il vient non pour découvrir un pays et une civilisation et pour les servir mais pour se trouver lui-même ; pour jouer, pour s’emparer des apparences superficielles, et les faire miroiter ; pour régner, peut-être, en une tyrannie d’opérette » (Études mistraliennes, p. 132).

24 Les conquérants les plus goulus (p. 62).

25 Cf. C. Magrini-Romagnoli, « Lou Mounde viro », p. 20.

26 P. 52.

27 Empire du soleil (p. 46).

28 Leur nid était Condrieu (p. 4).

29 L’aire qui le couva (p. 40).

30 Le Pouèmo a paru quelques années après Les Trophées, chez le même éditeur, Lemerre.

31 Les longues files blanches (p. 264).

32 Droits sur la poupe (p. 132).

33 Condrillots (passim).

34 Les porteurs de l’abondance, […] bienvenus de tous (p. 132).

35 Patrons de la rivière, [ils] étaient vraiment des rois, des conquérants. Vers la Provence, terre de promission […], ils descendaient (p. 130).

36 Grand capon de pas Dieu (p. 26). Pas sert à nier en apparence l’intention blasphématoire.

37 Lorsqu[’ils] se voyaient les maîtres absolus du royaume liquide, de cet empire du Maëstral rude [...], d’un orgueil extrême ils devenaient ivres et se croyaient invincibles au monde (p. 130).

38 Le regret des conquêtes perdues p. 42).

39 De reconquérir ce fleuron d’Orange, […] en s’accointant aux bonnes gens du peuple (p. 42).

40 Être né dans les temps de bagarre, de pêle-mêle, de néant, d’aventures, où, une épée en main, le vaillant homme pouvait, ne consultant que son instinct, pouvait, dans le ferment des troubles, se tailler librement un beau royaume (p. 46).

41 Étranger (p. 264).

42 Cause perdue (p. 264).

43 Coup de main d’Hercule (p. 214).

44 Reine (p. 102).

45 La fleur de Rhône (p. 74).

46 Difficilement on pouvait deviner s’ils riaient enfantins ou d’allégresse folle ou bien par gausserie (p. 118).

47 Souriante ; assez jolie (p. 118).

48 Comme une enfant (p. 186).

49 Fillette (p. 308).

50 Ingénue (p. 228).

51 Pauvre, pauvrette (p. 124, 150, 160, 170) ; pauvre petite (p. 282).

52 Cf. p. 314.

53 Arrogante (p. 118).

54 Le poing sur la hanche (p. 116).

55 Hallucinée (pp. 166, 180).

56 Exaltée […] l’œil ardent et d’effarement le visage exsangue (p. 168).

57 L’œil fauve (p. 170).

58 Comme une possédée (p. 174).

59 Beauté farouche (p. 70).

60 Je le pressentais, que cette malheureuse (car elle doit avoir, jetée à la rivière, fait triste fin) devait tôt ou tard amener sur nous quelque malencontre (p. 336).

61 Vieille sorcière du Bourg (p. 174).

62 [Qui a] les astres pour ell[e] (p. 68).

63 Tu es ensorcelé (p. 68).

64 Elle a mauvais œil (p. 72).

65 P. 72.

66 Au bateau de carate, on avait planté droite la gaffe où l’on suspend les gros quartiers de viande, provision qu’au soleil on fait boucaner crue. Ils en décrochent, bravement, quelques bons lopins pour la marmite ; et du bateau le mousse, lui, est le maître-coq. Or voilà que l’Anglore, qui l’aide à cuisiner… (p. 280).

67 Et prenez garde, ohé ! qu’elle ne vous guigne de côté, en passant : la lune jeune, comme l’on dit, est cornue et félonne ! (p. 68)

68 La Lune mauvaise (p. 172).

69 Ce sera, paraît-il, aujourd’hui, son jour de lune (p. 170).

70 Elle s’était levée en chemise à la lune pour aller prendre un peu le frais dehors. La lune dans son plein la regardait, toute mince, descendre vers la rive et pieds nus, dans le profond silence de la nature immense et endormie, […] [elle] laissa d’un coup tomber sa chemisette et dans le Rhône, ardente et tressaillie, […] elle allait encore, vivement éclairée par les rayons de la lune... (pp. 144-146).

71 C. Imbert (« Que reste-t-il du Mistral classique ? Le Poème du Rhône, latin et grec », pp. 15-18) décèle ici la présence d’un autre hypotexte, l’histoire d’Aréthuse et Alphée (Les Métamorphoses, V). Cette influence est certaine, mais, fuyant la concupiscence du fleuve dans lequel elle s’est rafraîchie, la nymphe est bien différente de l’Anglore séduite par le Drac.

72 Ovide, Les Métamorphoses, pp. 362-363.

73 Beau jouvenceau (p. 148).

74 Ombre vague, serpentine et blanche (p. 152).

75 Svelte ainsi qu’une lamproie (p. 138).

76 Humant comme un lézard la réverbération (p. 138).

77 Mont-Dragon ; grand château, où la nuit [il] dragonn[e] (p. 168).

78 Ovide, Les Métamorphoses, p. 363.

79 Ombelle rose de jonc fleuri (p. 152).

80 Aux lunaisons si claires de septembre (p. 152).

81 Ovide, Les Métamorphoses, p. 360.

82 [Elle] était soudain devenue pâle : le sang lui tourna si fort dans les veines qu’elle faillit tomber en pâmoison. – « C’est lui ! c’est lui ! » cria-t-elle affolée, en s’agrippant à reculons aux courbes ; et, tel qu’un dieu, la pauvrette était là qui l’admirait, amoureuse et craintive (p. 160).

83 Il lui semble prendre l’essor dans le ciel (p. 330).

84 Ovide, Les Métamorphoses, p. 366.

85 Cf. Florence Dupont, Médée de Sénèque, ou comment sortir de l’humanité, Paris, Belin, 2000, p. 79.

86 Ovide, Les Métamorphoses, p. 367.

87 Se brouillant avec le roi son père, a dû partir pour courre l’aventure (p. 30).

88 Le bâtiment des Tunisiens a la peau de mouton qui est pendue ! Il arriva beau premier (p. 238).

89 – « Qui s’y élance ? » demande froidement Guilhem d’Orange en regardant les trois femmes muettes. Jean Roche lui répond : – « Si nous avions des cordes... » – « On pourrait vous descendre, » dit le prince à ces dames. – « Vous deux, vous qui êtes des mâles, oser ainsi parler ? » la dogaresse, fixant sur lui des yeux enflammés, furieux, lui répliqua. « Les statues sont au fond ! Regardez la baguette qui se tord... Y aurait-il, pour les garder, le Basilic, vous ne laisserez pas, seigneur... » (p. 218).

90 J’entends le patron qui déjà crie : Au Rhône ! (p. 218).

91 Il devient soudain « gai » (gai) (p. 218).

92 Couché (p. 106).

93 Fait la sieste ; l’œil mi-clos ; ensommeillé (p. 106).

94 [Dans] son demi-sommeil (p. 112).

95 Buvant l’oubli (p. 108).

96 Cela montait à vingt écus (p. 250).

97 Monstre ; toux saccadée, comme on eût dit d’un taureau, d’un dragon ; un flot de fumée obscurcissait le ciel ; bateau à feu ; barque dont les roues battaient comme des griffes (pp. 324-326).

98 Ovide, Les Métamorphoses, p. 360.

99 Qu’ils meurent, ceux qui te servent, dans la braise […] du noir enfer où s’attise ton feu ! (pp. 328-330).

100 Ovide, Les Métamorphoses, p. 361.

101  Instruit du grand naufrage (p. 336).

102 Ayant l’Anglore dans ses bras (p. 332).

103 Dans ses gouffres (p. 336).

104 [Elle] n’est plus de ce monde (p. 330).

105 [Elle] frappa du pied en ricanant, et sur l’équipage fixant son œil fauve (p. 170).

106 Sœur du Dragon (p. 260).

107 Fier jeune homme (p. 172).

108 Destructeur qui doit un jour tuer les mariniers (p. 174).

109 Coiffé du bonnet de liberté (p. 172).

110 Bonnet rouge (p. 174).

111 Catastrophe (p. 306).

112 Selon Albert Thibaudet, Lou Pouèmo montre la victoire des mythes rhodaniens sur le christianisme qui conquit autrefois la Provence : « La vieille navigation protégée par saint Nicolas ne lutte pas ici contre les forces neuves de la science. Elle lutte contre des forces plus vieilles qu’elles, et le Rhône de deux mille ans contre un Rhône éternel. Le sujet du poème est l’opposition de la vieille navigation chrétienne et d’une plus vieille mythologie païenne. Les forces de la nature ont été enchaînées par les saints et les saintes, comme la Tarasque par sainte Marthe, mais pas assez pour que ne surviennent leurs retours et leurs sursauts » (« Le Poème du Rhône », La Revue universelle, t. LVIII, n° 9, 1er août 1934, p. 269).

113 Le monde vire (p. 320).

114 Mistral poète de France, Paris, Tallandier, 1945, p. 307. Cf. C. Magrini-Romagnoli, « Lou Mounde viro », pp. 34-37.

115 Qui sait où ? (p. 332).

116  Muette, l’œil clos, confiante (p. 330).

117 Cf. nos « L’Espace dans Le Poème du Rhône de Frédéric Mistral », Cahiers de narratologie, n° 8, 1997, pp. 117-130, et « Aquéli mot galant, plèn de magìo… Le lexique poïétique du Pouèmo dóu Rose de Frédéric Mistral », Loxias, n° 1, 2001, pp. 69-88.

Bibliographie

APOLLONIOS DE RHODES, L’Expédition des Argonautes ou la conquête de la Toison d’or, traduit par J.-J.-A. Caussin in Les Petits poèmes grecs…, Paris, Desrez, 1838.

DUPONT Florence, Médée de Sénèque, ou comment sortir de l’humanité, Paris, Belin, 2000.

GASIGLIA Rémy, « L’Espace dans Le Poème du Rhône de Frédéric Mistral », Cahiers de narratologie, n° 8, 1997, pp. 117-130.

GASIGLIA Rémy, « Aquéli mot galant, plèn de magìo… Le lexique poïétique du Pouèmo dóu Rose de Frédéric Mistral », Loxias, n° 1, 2001, pp. 69-88.

GAVALDA Berthe, Études mistraliennes, t. I, Berre l’Etang, L’Astrado, 1988.

IMBERT Christophe, « Que reste-t-il du Mistral classique ? Le Poème du Rhône, latin et grec », Jornada d’estudi Agregacion Occitan – 10 de febrièr de 2018 – Universitat Tolosa Joan Jaurés, https://occitanica.eu/items/show/19219 (cons. 10 juin 2023).

LUCRÈCE, VIRGILE, VALERIUS FLACCUS, Œuvres complètes, traduit par divers traducteurs sous la direction de Charles Nisard, Paris, Firmin Didot, 1868.

MAGRINI-ROMAGNOLI Céline, « Lou Mounde viro », in MISTRAL Frédéric, Lou Pouèmo dóu Rose / Le Poème du Rhône, Montfaucon, À l’asard Bautezar !, 2015, pp. 7-37.

MAURON Claude, « Grandeur d’une épopée », in MISTRAL Frédéric, Le Poème du Rhône, Paris, Aralia, 1997, pp. 7-20.

MISTRAL Frédéric, Lou Pouèmo dóu Rose / Le Poème du Rhône, Raphèle-lès-Arles, Culture Provençale et Méridionale – Marcel Petit, 1979.

OVIDE, Les Métamorphoses, traduction par auteurs multiples, texte établi par Désiré Nisard, Paris, Firmin Didot, 1850.

SOUCHON Paul, Mistral poète de France, Paris, Tallandier, 1945.

THIBAUDET Albert, « Le Poème du Rhône », La Revue universelle, t. LVIII, n° 9, 1er août 1934, pp. 257-279.

Pour citer cet article

Rémy Gasiglia, « « Counquistaren […] La Touisoun d’Or emai Medèio » ou Une hypothèse de relecture du Pouèmo dóu Rose de Frédéric Mistral », paru dans Loxias, 81., mis en ligne le 15 juin 2023, URL : http://revel.unice.fr/loxias/index.html/lodel/docannexe/file/7601/lodel/lodel/index.html?id=10197.


Auteurs

Rémy Gasiglia

Rémy Gasiglia, ancien élève de l’ENS de Saint-Cloud, agrégé de Lettres Modernes et Docteur d’État en Études romanes avec une thèse intitulée Le Théâtre nissart des XIXe et XXe siècles ; étude historique, dramaturgique et thématique d’un phénomène culturel de langue d’oc (Université Nice Sophia Antipolis, 1994, 2015 p.), est Professeur émérite de Langue et littérature d’oc de l’Université Côte d’Azur. Membre du Centre Transdisciplinaire d’Épistémologie de la Littérature et des Arts vivants (CTELA), il consacre ses travaux de recherche à la littérature occitane de l’Âge baroque à la période contemporaine, en particulier à l’œuvre de Frédéric Mistral.

Université Côte d’Azur, CTELA