Loxias | 81. Le 100e numéro de Loxias! | I. Varia: les membres du CTEL publient 

Annick Fiaschi-Dubois  : 

Une lecture du Nerone (1868-1918) « Tragedia Lirica » d’Arrigo Boito au regard d’Il Nerone, ossia l’Incoronazione di Poppea (1642) de Claudio Monteverdi (1567-1643) et des Tragédies en musique (1673-1687) de Jean-Baptiste Lully (1632-1687)

Résumé

Deuxième et ultime opéra d’Arrigo Boïto librettiste et compositeur, Nerone, Tragedia lirica occupa A. Boïto de 1869 à 1870 pour la rédaction du livret et jusqu’à sa mort pour la composition musicale laissée inachevée. Inspiré des Annales de Tacite, le Nerone de Boïto est marqué par les intrigues politiques, les stratégies amoureuses, les calculs cyniques et l’amoralité, tout comme le fut, 300 ans auparavant, celui de Claudio Monteverdi (1567-1643), fraîchement redécouvert en 1883. Cette lecture en diptyque des deux Nerone posera la question des choix qui président à la rédaction d’un texte écrit pour la mise en musique, tout comme elle montrera ce qui rapproche musicalement les deux compositeurs italiens. Par ailleurs, le Nerone d’A. Boïto créé en 1924 et sous-titré « Tragedia lirica » ne reprend-il pas les idées mises en œuvre dans les tragédies lyriques (1673-1687) de Jean-Baptiste Lully ?

Abstract

Second and last opera of A. Boïto librettist and composer, Nerone, Tragedia lirica occupied A. Boïto from 1869 to 1870 for the writing of the libretto and until his death for the musical composition, although left unfinished. Inspired by the Annals of Tacitus, Boito’s Nerone is marked by political intrigues, amorous strategies, cynical calculations and amorality, just as was, 300 years ago, Cl. Monteverdi’s work, just rediscovered in 1883. This diptych reading of the two Nerone’s will raise the question of the choices that preside over the writing of a text written for music, just as it will show what brings together the two Italian composers musically. Moreover, doesn’t A. Boïto’s Nerone, created in 1924 and subtitled “Tragedia lirica”, take up the ideas implemented in the lyrical tragedies (1673-1687) of J. B. Lully ?

Index

Mots-clés : Arrigo Boito , Claudio Monteverdi, livret, mise en musique, opéra, tragédie lyrique

Géographique : France , Italie

Chronologique : XIXe-XXe siècles , XVIIe siècle

Plan

Texte intégral

Nerone : écrire une « Tragedia lirica »

1Écrire Nerone, « Tragedia lirica1 » occupa Arrigo Boïto2, librettiste des textes d’Otello (1887) et du Falstaff (1893) de Giuseppe Verdi, traducteur italien des livrets de Rienzi et de Tristan und Isolde de Richard Wagner et compositeur émérite d’un Mefistofeles (1868), de 1869 à 1870 pour la rédaction du livret3, et jusqu’à sa mort en Juin 1918 pour la composition musicale. Laissé inachevé, Nerone fut complété par Arturo Toscanini4, Antonio Smareglia5 et Vittorio Tommasini6, pour la création posthume au Teatro della Scala de Milan le 1er mai 1924.

2Inspiré des Annales de Tacite7, le Nerone d’A. Boïto est marqué par les intrigues politiques, les stratégies amoureuses, les calculs cyniques et l’amoralité, tout comme le fut, 300 ans auparavant, Il Nerone, ossia l’Incoronazione di Poppea8 de Claudio Monteverdi fraîchement redécouvert en 1883 par une copie vénitienne9 que connaissait peut-être A. Boïto, et dont la musique fut aussi le fruit d’une collaboration artistique puisque, Francesco Cavalli10, Benedetto Ferrari11 et Francesco Sacrati12 participèrent à la composition d’une œuvre lyrique au livret moderne soigneusement élaborée par Giovanni Francesco Busenello13 pour s’adapter parfaitement à la musique de l’auteur de l’Orfeo (1607).

3Cette lecture en diptyque des deux Nerone pose la question des choix et des arbitrages qui s’imposent aux librettistes quand il faut penser un texte écrit pour la mise en musique. Sous-titré « Tragedia lirica », le Nerone d’A. Boïto semble également reprendre les idées mises en œuvre dans les « tragédies en musique14 », appelées par les modernes « tragédies lyriques » de Jean-Baptiste Lully15, écrites entre 167316 et 168617.

4Cette mise en perspective de trois auteurs, Claudio Monteverdi18, Jean-Baptiste Lully19, Arrigo Boïto20 pour lesquels le verbe et le son, la parole et le chant s’interpénètrent, permettra peut-être d’entendre autrement l’œuvre ultime de celui qui « cherche à être original21 » selon G.iuseppe Verdi, et qui parvint à signer deux « œuvres d’Art Total », Mefistofeles (1868) et Nerone (1924) qui posent la question des relations texte-musique.

Nerone : écrire en héritier une œuvre révolutionnaire

5Arrigo Boito reste l’un des rares compositeurs célébré à la fois pour ses livrets et pour sa musique22. Un demi-siècle sépare la rédaction du livret du Nerone (1868), commencé à Paris en 1862, de la mort d’A. Boito qui laisse la musique de son Nerone inachevée. C’est auprès de G. Verdi, auquel l’éditeur Giulio Ricordi23 propose ce sujet hautement dramaturgique le 26 janvier 1871, abandonné au profit de la composition d’Aida24 écrite sur un livret d’Antonio Ghislanzoni25, qu’A. Boïto découvre ce sujet consacré à l’empereur poète et musicien. Auréolé par le succès enfin rencontré par son Mefistofeles en 1875, A. Boïto cherche un sujet peu traité jusqu’alors pour revenir sur la scène lyrique, à la fois comme auteur de livret et comme compositeur de la musique. Il doit pourtant l’abandonner pour écrire les livrets de La Gioconda (1875) d’Amilcare Ponchielli ainsi que ceux d’Otello (1887) et de Falstaff (1893) de G. Verdi qui l’encourage pourtant à terminer sa deuxième et ultime grande œuvre qui le plonge, jusqu’à sa disparition en janvier 1901, dans les plus grandes inquiétudes, l’autocritique paralysante et le pousse à questionner sans cesse les relations texte-musique .Quatre actes sont pourtant achevés, non sans mal, en 1911, dans une version pour piano, mais il reste encore toute l’orchestration à mettre en œuvre et à composer un cinquième acte qui ne verra jamais le jour. Pourtant, en 1913, A. Boïto avait annoncé l’achèvement de sa « Tragedia lirica », mais perfectionniste et éternel insatisfait, il décida aussitôt de la refondre. Il réécrit le premier acte en 1916 et meurt en 1918 en laissant les trois premiers actes orchestrés et corrigés tandis que le dernier acte est à peine ébauché. Son exécuteur testamentaire, Luigi Albertini confie alors la partition au chef d’orchestre A. Toscanini qui l’orchestre, entre 1922 et 1923, avec A. Smareglia et V. Tommasini, suivant avec respect les nombreuses et précises indications qu’A. Boïto avait annotées sur la particelle pour piano.

6A. Boïto, qui sait ce qu’il vaut comme librettiste, mais doute sans cesse de ses capacités de musicien, eut donc beaucoup de difficultés à composer une œuvre aux proportions gigantesques, mettant en scène cinq actes accompagnés par plus de deux heures trente de musique. Neuf solistes aguerris, « Asteria, éprise de Néron26 », et « Perside, une Chrétienne » (Soprani), « Cerinto, Compagne de Simon » (Contralto), « Rubria, Vierge Vestale convertie au christianisme27 » (Mezzo-Soprano), « Nerone, Empereur de Rome28 » et « Gobrias, Romain compagnon de Simon » (Ténors), « Fanuèl, Chef chrétien29 », « Le Mage Simon, un Sorcier30 » et « Dositéo, Vieux Prêtre » (Barytons), enfin « Tigellino, Compagnon de Néron, Capitaine de la Garde Prétorienne31 » (Basse), se partagent un plateau aux décors exotiques.

7Les chœurs omniprésents incarnent « Le Peuple », « Les Prétoriens », « Les Augustani », « Les Ambubaiae », « Les Artistes dionysiaques », « Des Fidèles » « Les Prêtres », « Les Chrétiens, Les Chrétiennes (les Dirce) », « Les Femmes », « Les Partisans de la faction verte et de la faction bleue », « La Plèbe », « Les Acteurs » ou « Les Simoniens », les « Voix du cirque » ou des « Cris venant du Colisée ». Les chœurs donnent également vie aux décors tandis que les « Voix lointaines », « Des Voix indistinctes », et « Des Voix proches venant du cirque » conférent à la scène une profondeur inédite et permettent de mettre en valeur des espaces éloignés du proscenium.

8Un orchestre wagnérien faisant appel à l’intégralité du pupitre de cuivres et des percussions, mais aussi aux harpes et à un orgue, montrent enfin combien A. Boïto connaissait les atouts du « grand opéra français32 » autrefois servi par G. Verdi33.

9Le vaste et épique livret de cet opéra spectaculaire écrit par le compositeur lui-même, ne sera publié chez Trèves à Milan qu’en 1901, bien qu’il fût lu avec enthousiasme par G. Verdi dès 1890. Le compositeur habitué à collaborer avec A. Boïto, son librettiste attitré, sait que son ami tient là un « splendide livret, l’œuvre est sculptée magistralement et profondément […]. Ses vers me semblent plus beaux que tous ceux qu’il a composés jusqu’ici34 ».

10L’acte I se passe « à Rome sur la Via Appia » où Tigellino et le Mage Simon accompagnent Néron venu enterrer secrètement les cendres de sa mère Agrippine qu’il vient d’assassiner. Une femme, avec des serpents autour de son cou, surgit de terre. Néron et Tigellino qui craignent que ce soit une Érinye, divinité persécutrice qui obsède et tourmente les coupables de crimes familiaux, s’enfuient. Reste Simon qui lui promet (en fait il s’agit d’Asteria, une mortelle éperdument amoureuse de l’Empereur) de lui faire rencontrer Néron si elle lui obéit aveuglement. Elle le mène vers une crypte secrète où se réunissent des chrétiens et où Simon dissimule des objets rituels. Fanuèl, chef chrétien doit quitter la vestale Rubria convertie au christianisme, ils sont surpris par Simon qui demande à Fanuèl de lui enseigner « la manière d’accomplir des miracles », il refuse. Néron qui avait fui croyant que le Sénat l’avait condamné pour le meurtre d’Agrippine revient et la foule le célèbre, acclamant son double divin Apollon.

11L’acte II prend place « à Rome, dans le temple souterrain du Mage Simon » préparé pour la visite de Néron. Asteria à sa demande joue le rôle d’une déesse. Le Mage et Dositéo crient les paroles de l’oracle proféré par la bouche d’un masque de pierre, une série de machines lui permettent de s’élever dans les cieux, fascinant la foule. Néron avoue à celle qu’il prend pour une déesse qu’il a profané le temple de Vesta en violant la vierge Rubria, la déesse se dévoile et Néron furieux d’avoir été abusé fait arrêter Asteria et condamne le Mage, qui s’était un jour vanté de pouvoir voler, à être jeter d’une tour lors des jeux du cirque. Néron ordonne la destruction du temple, se proclame dieu, joue de la cithare et chante parmi les ruines.

12L’acte III se déroule à Rome dans « Un Verger » : au coucher du soleil, Fanuèl commente les Béatitudes. Asteria prévient les chrétiens des dangers qui les menacent. Ils sont espionnés par le Mage Simon et son compagnon, Gobrias. Les gardes arrêtent Fanuèl. Rubria, son ami Perside et les autres chrétiens pleurent et prient.

13L’acte IV s’ouvre sur le « Cirque Maximus » et s’achève dans « Une Crypte ». Là, Gobrias veut incendier Rome pour sauver Simon auquel il est tout dévoué. Tigellino révèle ce complot à Néron qui choisit de laisser faire. Les chrétiens sont poussés dans l’arène, Simon qui a bricolé une machine pour montrer qu’il peut voler se jette du haut de la tour. L’incendie gagne le cirque et fait fuir les spectateurs. Asteria et Fanuèl ont échappé à la mort et se rendent au spoliarium pour prier devant les corps de leurs compagnons morts. Ils y découvrent Rubria qui agonise et avoue qu’elle s’était fraîchement convertie. Fanuèl lui pardonne et l’épouse tandis qu’elle meurt dans ses bras.

14L’acte V, qu’A. Boïto n’a pas eu le temps de mettre en musique, prend place dans « le Palais de Néron » qui joue l’Orestie devant Rome en flammes. Il s’identifie à Oreste, avoue ses crimes, les justifiant par une démence à laquelle il ne peut plus échapper. Il manque donc à ce Nerone la résolution de la catastrophe fomentée par Néron dès la première scène du premier acte et qui aurait dû conclure cette grande fresque historique par un cinquième acte écrit pour la partie livret mais dont la musique n’a jamais été composée. La conclusion rédemptrice du quatrième acte, proposée aujourd’hui, n’est pas celle choisie par A. Boïto qui aurait préféré montrer que la mort de la jeune chrétienne Rubria, dans une Rome en proie aux flammes, permettait de convertir la vestale Asteria, tandis que l’ancien monde païen s’effondrait pour laisser place au nouveau monde des chrétiens.

15Nerone est créé à Milan au Teatro alla Scala le 1er mai 1924 sous la direction d’A. Toscanini qui assurait également avec C. Fornaroli la mise en scène, c’est un immense succès, contrairement au Mefistofeles de 1868, car le goût du public, entre temps éduqué aux drames lyriques par la Tétralogie (1849-1878) de R. Wagner, par le Pelléas et Mélisande de Claude Debussy (1902), par les derniers opéras Otello (1887) et Falstaff (1893) de G. Verdi, ceux de G. Puccini, Tosca (1900), Madame Butterfly (1904), La fanciulla del West (1912), Il Trittico (1917), comme par les musiques écrites pour les Ballets russes, Le Sacre du Printemps d’Igor Stravinski (1913) ou Parade d’Erik Satie (1917), avait suffisamment évolué pour que cette grande fresque écrite par un librettiste également compositeur puisse être acceptée sans critique.

16Le Nerone d’A. Boito est également l’héritier d’une longue lignée d’opéras consacrés aux affres de l’empereur musicien et poète, Nero de G. F. Haendel (1705), Agrippine de Porpori (1708), Nero de G. Orlandi (1720), Nerone d’A. Vivaldi (1715), Nerone d’E. Duni (1735), La morte di Nerone de Tarchi (1792), Nero (1822) de K. G. Reissinger, d’A. Rubinstein (1879), d’I. Hallström (1882) et Néron (1888) de R. Rasori, eux même descendants d’Il Nerone overo l’Incoronazione di Poppea de Cl. Monteverdi, créé lors du Carnaval de Venise en 1642, où Néron présente en scène, pour la première fois dans l’histoire alors récente de l’opéra ouverte en 1600 par l’Euridice de J. Peri, un personnage historique, là où on y voyait jusque-là que des Dieux et leur Cour.

Nerone : une relecture d’Il Nerone overo l’Incoronazione di Poppea (1642) de Cl. Monteverdi

17Le Nerone d’A. Boïto naît de la volonté du compositeur ultramontain, suiveur de G. Verdi et contemporain de G. Puccini, de réformer l’opéra, d’ouvrir une ère nouvelle à la vocalité italienne, comme le fit Il Nerone overo l’Incoronazione di Poppea (1642) dernier opéra de Cl. Monteverdi, compositeur qui fut le passeur de la musique de la Renaissance à l’âge baroque et qui avait réformé plusieurs fois l’opéra qu’il avait contribué à inventer avec Orfeo (1607), Arianna (1608) et Le Retour d’Ulysse (1641).

18À chaque fois qu’il aborde la composition d’une nouvelle œuvre de théâtre lyrique, Cl. Monteverdi cherche une autre vocalité que celle de ses opéras précédents. Il réalise ainsi une réforme magistrale en 164235 parce que son Nerone est destiné à une salle publique, le Teatro SS. Giovanni de Venise, et non plus à un public princier comme le furent Orfeo36 ou Arianna37. Comme Il Nerone de Cl. Monteverdi, celui d’A. Boïto oublie Deus ex machina, Olympe, nymphes, scènes pastorales et autres sujets mythologiques pour coller au plus près d’un sujet historique développé dans un livret dramatique conçu et écrit pour la musique :

Monteverdi montre ici un monde qu’il faut désormais appréhender à travers l’histoire et dans ses personnages les plus humains au sens baroque du terme, c’est-à-dire les plus passionnés. Néron fut choisi pour présider à la naissance accomplie d’un genre nouveau au destin que l’on connaît parce qu’il est le prototype même du héros baroque, confronté à l’histoire, au monde, à sa famille, enfin à lui-même et à ses passions. Lui seul pouvait fasciner les spectateurs plébéiens des premiers théâtres publics, inspirer le premier librettiste de l’histoire de l’opéra, enfin faire le succès de ce théâtre des passions, œuvre générique, œuvre par excellence puisqu’on lui a donné le nom d’opéra38.

19Pour pouvoir composer un opéra où le texte est traité à part égal avec la musique, Cl. Monteverdi fait appel à un excellent librettiste, G. F. Busenello, intellectuel fréquentant le cercle des « Incogniti39 », une Académie fondée en 1626 qui réunissait historiens, poètes et librettistes chargés de faire la promotion à Venise d’un nouveau Théâtre musical aux livrets avant-gardistes abordant des questions philosophiques et politiques et mettant en scène des héros amoraux. G. F. Busenello montre ainsi, dès le prologue du Nerone de Cl. Monteverdi, et de la même façon que l’intégralité du livret du Nerone de Boïto, que les maîtres du monde restent la Fortune, le Pouvoir et l’Amour charnel, dieux païens qui se querellent pour élire celui qui régnera sur les âmes. Le monde est ici corrompu, la force y fait loi et la raison tourne à vide, car G. F. Busenello, comme A. Boïto, aiment à peindre les plus vaines ambitions, la lubricité, les vices, les intrigues de palais, une société en dissolution, des personnages puissants asservis à leurs caprices, et Néron en monstre capricieux, concupiscent jusqu’au délire meurtrier, tyrannique et pourfendeur de chrétiens, mais aussi homme apeuré, perclus de remords et qui a peur de son ombre autant qu’il a peur de lui-même.

20À la différence des florentins Jacopo Peri et Giulio Caccini qui privilégiaient le texte poétique et son énonciation, Cl. Monteverdi œuvre dans son Nerone pour une conception novatrice des rapports entre poésie et musique, rêvant de réussir, comme Apollon et la musique de la Grèce antique, l’union égalitaire de la poésie et de la musique que Boïto recherche aussi dans son Nerone. Et c’est Néron, piètre musicien et épouvantable poète, « homme qui a perdu son centre, obscurs par le voile épais de l’illusion. Illusion qui prend […] les formes de l’ambition, de la luxure, du goût pour la pompe, de la mégalomanie, en un mot de la volonté de puissance40 », qui engendre, dans les deux cas, un drame « in genere rappresentativo41 » mêlant « recitar cantando42 », ariosos en « stile concitato43 », arie passionnés aux sombres chromatismes, aux silences expressifs, aux courbes suggestives, chœurs, pièces symphoniques, et ensembles vocaux dialogués. Car ici, tous les moyens sont mis en œuvre pour que la musique mette en scène le livret. Les timbres des voix correspondent ainsi aux visages et aux psychologies des personnages et A. Boïto, comme Cl. Monteverdi l’avait fait dès son 8e Livre de Madrigaux44 et dans son Nerone de 1642, d’indiquer le placement de la voix qui correspondrait le mieux aux passions à mettre en scène, rédigeant, acte par acte, un script vocal dramaturgique réclamant des voix « lointaines » et « menaçantes45 », « blanches46 » et froides, « faibles47 », « terribles48 », étouffées « à peine audibles49 », passionnées, mécaniques, déclamatoires, articulées, ou aux débits rapides et colériques50.

21Comme Cl. Monteverdi, A. Boïto use de toutes les ressources des différents pupitres d’un orchestre pléthorique pour peindre les sentiments. Les préludes, les interludes et les postludes tiendront donc lieu de décors. Également personnages du drame, l’orchestre participe directement de la mise en œuvre du livret assurant les transitions entre les scènes pour éviter toutes interruption d’une ligne dramaturgique pensée, à la manière de R. Wagner comme une grande arche qui ouvre la catastrophe à la première note et s’achève, comme le Nerone de Cl. Monteverdi terminait sur le Duo sensuel Nerone/Poppea « Pur ti miro » (« Je le regarde, je le veux/Je l’étreins, je t’enchaîne »), avec le Duo Fanuèl/Rubria tout aussi incarné :

Comme la caresse de ta main
M’est douce et bonne
Viens plus près… plus près
Comme cela… comme cela
C’est toi qui m’as appris la grande douceur
De sourire à travers les larmes
[…] Ne pleure pas Fanuèl, serre moi fort contre toi…
Tant que tu me serreras ainsi, mon âme ne me fuira pas 51.

22Envisagé comme un Orphée diabolique, Néron est, depuis Cl. Monteverdi, lié au monde de la musique, car, « en jouant et en chantant, j’entrevois des choses dont j’ignorais l’existence dans mon empire et dans l’Univers. Je suis César et le monde m’appartient, je puis tout. Et cependant la musique me fait découvrir de nouveaux royaumes […] et des jouissances inéprouvées. Je ne sais ni les nommer, ni les définir, mais je les sens », écrit H. Sienkiewics dans son Quo Vadis52 et A. Boïto de penser également son Nerone comme une « Tragedia lirica » à la manière de J. B. Lully inventeur d’un genre opératique particulièrement adapté à la mise en scène.

Nerone, une « Tragedia lirica » (« Tragédie Lyrique ») écrite à la manière de J. B. Lully « Ut pictura poesis »

23Auteur de quatorze tragédies lyriques ou tragédies en musique53, J. B. Lully (1632-1687) veut avec elles, comme A. Boïto avec son Nerone, se démarquer de l’opéra italien alors en vogue en Europe. J. B. Lully pense en effet, comme A. Boïto trois siècles plus tard, son nouvel opéra comme une fusion du ballet, de la pastorale, de la pièce à machine, de la comédie, où le texte chanté est essentiel. Il conçoit ainsi, pour rivaliser avec l’opéra italien qu’il connaît bien pour être né à Florence, berceau de la « Nuove Musice54 », un spectacle complet en cinq actes, qui met sur un pied d’égalité le texte, la musique, les décors, les costumes, la danse, les machines et les lumières :

Espèce de poème dramatique fait pour être mis en musique et chanté sur le théâtre avec la symphonie, et toutes sortes de décorations en machines et en habits, la tragédie chantée tient l’esprit, les oreilles et les yeux dans une espèce d’enchantement55.

24Le Nerone de Boïto qui savait, pour avoir été librettiste, tout l’importance d’un texte pensé pour la voix et la scène musicale, comme la tragédie en musique de J. B. Lully, est d’abord un texte écrit pour être mis en musique. Le livret est donc ici comme la toile d’un tableau « qui est ensuite colorié par le musicien. Le poète doit diriger les acteurs, les danseurs, les peintres, les machinistes […]. Il doit en un mot, être l’âme du Spectacle56 » car, « les belles paroles sont les premiers fondements de la belle musique57 ». Ce texte théâtral pensé pour la musique, porte aussi en lui une gestuelle scénique et un langage musical symbolique pensé pour un « homo symbolicus en action58 ». Il contient donc des gestes musicaux différents de ceux que J. B. Lully ou qu’A. Boïto auraient écrits pour le théâtre seul puisque, « la poésie composée pour s’unir avec la musique est dès lors d’une nature différente que la poésie ordinaire59 ».

25Chez J. B. Lully et ses librettistes, Ph. Quinault, Th. Corneille, N. Boileau, J. Galbert de Campistron, comme chez A. Boïto, les numéros clos propres à l’opéra ultramontains sont gommés, et l’alexandrin laisse place à une versification assouplie qui permet un phrasé musical plus souple, la versification est infléchie, variée et présente un grand nombre de vers impairs plus propres à être chantés et qui facilitent l’expression des passions. A. Boïto comme Ph. Quinault60 signent donc, dans leurs « Tragedie Lyrice », une poésie conçue pour la scène puisque l’action est concentrée, les psychologies fouillées, le rythme rapide, les vers à la prosodie inédite exposent des passions exacerbées, mettent en marchent la catastrophe finale et se veulent également leçon de politique et d’éducation morale.

26A. Boïto comme Ph. Quinault, le librettiste attitré de J. B. Lully, mettent en scène des personnages « archétypes » tel le héros partagé entre la Gloire et l’Amour, l’Amante sacrificielle, l’Intrigant cruel, la Suivante écartelée entre son devoir et ses désirs, car pour « mettre en son jour la beauté de la constance et de la fidélité conjugale, il était de l’industrie du poète de donner un exemple d’inconstance et d’infidélité qui inspira de la haine et du mépris pour cette faiblesse de l’esprit humain61 ».

27A. Boïto, comme J. B. Lully, font si peu de cas d’une virtuosité véloce alors prisée par les opéras italiens de leurs contemporains, qu’ils ne composent que très peu des airs de soliste ornés et volubiles auxquels ils préfèrent des ariosos ou des récitatifs incarnant les passions par la mise en valeur de tous les registres vocaux, du souffle et des sons voisés. « Si le désir est modéré, il s’exprime par une voix faible62 » écrit R. Bary dans sa Méthode pour bien prononcer un discours de 1679, comme A. Boïto demande une « Voix de l’oracle tonitruante63 », « Néron d’une voix terrible et haletant de colère en prononçant les premiers mots64 » ou « Fanuèl, la voix haute sereinement65 ». Comme dans une tragédie chantée, la voix des interprètes du Nerone sera donc « flexible selon les besoins »66 pour communiquer les effets suggérés par le texte, elle montrera un chant « véritable confirmation du sens des mots »67, discontinu car « beaucoup d’inégalité dans la voix et le geste, c’est là ce qui rend l’action si puissante »68. Pour A. Boïto, comme pour J. B. Lully, chanter c’est être avant tout un « acteur lyrique »69quand, pour les contemporains d’A. Boïto, l’homogénéité de la voix70 restait essentielle, bien qu’elle entrave l’expression des passions et du discours qui reste, au contraire dans le Nerone, le seul but du chant. Le chanteur-acteur « modifie le timbre de sa voix […] il les voile [les sons], il les dilate […]. Il donne des sons mâles et assurés, des sons troublés et entrecoupés71 ». Asteria chantera donc « d’une voix faible72 », « les voix venant du cirque férocement, hurlant, sauvagement73 » et les chœurs des « fidèles du mage Simon » de « bêler74 ».

28Comme le rappelle B. de Bacilly dans ses Remarques curieuses sur l’Art de Bien Chanter75 (1668), quatre éléments sont essentiels au geste chanté de la tragédie en musique : la prononciation, résultat des consonnes et des voyelles choisies par le librettiste76, l’ornementation, la prosodie, la respiration et les silences qui laissent le temps à l’acteur de forcer les attitudes, de positionner son corps, de dire le texte, de le mettre en scène, auxquelles il faut ajouter le rythme qui différencie les syllabes longues des syllabes courtes, les accents qui « se mêlent avec celui du discours, et voilà le vrai nœud qui unit la Poésie et la Musique77 », le phrasé et les nuances, l’intonation, les attaques, la mesure et les tempi78, autant d’objets qui « sont très propres à exprimer les passions qu’elles peignent avec vigueur […] elles sont dans le chant ce que les couleurs sont dans la Peinture79 ». Tout cela fait la modernité du Nerone de Boïto80, comme celle des tragédies en musique de J. B. Lully81.

29La ligne de chant du Nerone ne sert donc pas à faire valoir les chanteurs, elle montre leur aptitude à l’expression du texte, de la langue, à marquer les accents, à souligner les pauses du discours, les syllabes fortes, les mots importants, goût français de la clarté, de la simplicité, style « naturel, coulant, tendre82 » et refus du grandiloquent, du sublime, du démesuré, de la virtuosité gratuite, car « la simplicité, la perfection de la musique, consiste dans le naturel, la netteté, l’épargne d’ornements […]83 ». Et puisque « chez les anciens grecs la déclamation, c’est-à-dire le ton et le geste était comme naturellement unie à la langue84 », on comprendra que le geste vocal est ici toujours accompagné, ou précédé, d’un geste physique, « peinture retraçant à nos sens le vrai de la nature85 », car « il ne suffit point de peindre aux oreilles par des sons, il faut encore peindre aux yeux par des gestes86 ».

30Le geste chanté du Nerone est systématiquement, comme chez J. B. Lully, associé à un geste théâtral, qu’indique, avec force détails, A. Boïto : « Gobrias modifiant sa voix, il parle du nez, d’un ton sinistre87 », ou « Rubria brisée de chagrin d’une voix à peine audible88 ». Les deux compositeurs aident aussi à placer la voix puisque « le secret de peindre aux yeux par des gestes ce qu’on peint aux oreilles et à l’esprit, doit être regardés comme autant de degrés par où on peut s’élever la perfection du chant89 ». À la fois peinture, son, mot, danse et geste scénique, le geste vocal du Nerone, comme celui de la tragédie en musique, en appelle à l’éloquence du corps pour communiquer sur le texte. « La musique qui n’est rien qu’une représentation harmonique des mouvements de l’âme90 » incarnera donc les passions les plus exacerbées dans de vastes fresques91, défilés militaires92, triomphes93, pompes funèbres94, rites liturgiques95, descentes aux Enfers96, divertissements97, scènes archétypiques de la tragédie en musique de J. B. Lully auxquelles elles semblent avoir été empruntées.

31Comme dans la tragédie chantée versaillaise, A. Boïto réserve également une place importante à la danse, qui sert à mettre en scène des fêtes98, des bacchanales99, des cortèges100, intermèdes instrumentaux participant de l’action dramatique que l’on retrouve dans la grande scène du « Cirque Maximus » ouvrant l’acte IV où « Une jeune gitane sort d’une taverne avec un groupe d’admirateurs et se met à danser pour eux sous la voûte du cryptoportique une petite danse accompagnée par un cor, un tambourin et des castagnettes, tandis qu’un jeune homme joue du double tibia101 ».

32Comme dans une tragédie en musique de J. B. Lully, les chœurs sont ici divisés en « Petit chœur » décrit comme n’étant que « Quelques voix » par A. Boïto, et « Grand Chœur » noté « Tous ». Personnages omniprésents, ils incarnent « Des Voix lointaines102 », ou « indistinctes », « Le Peuple », « Les Prétoriens », « Les Augustani », « Les Ambubaiae », « Des Voix », « Les artistes dionysiaque103 », « Les Fidèles104 », « Les Prêtres », « Le Chœur du Temple105 », « Les Chrétiens, Les Chrétiennes (les Dirce)106 », « Les Partisans de la faction verte et de la faction bleue », des « Cris venant du Cirque », des « Voix proches », « Les Simoniens107 ». Le chœur est ici un puissant moteur dramatique, ce qu’avait bien compris, J. B. Lully dans Amadis108 où chantent « plusieurs démons et monstres terribles », et G. Verdi dès Les Vêpres Siciliennes (1855), qui conclut son grand opéra par le chœur « Oui vengeance ! Vengeance ! ».

33Le « Merveilleux109 », élément indispensable à la mise en œuvre d’une tragédie en musique de J. B. Lully, est également très présent dans le Nerone où il s’incarne, comme au 17e siècle, grâce aux machines. L’acte II du Nerone d’A. Boïto, qui se déroule dans le temple souterrain de l’enchanteur impérial Simon, montre ainsi tous les miracles accomplis par le mage pour impressionner la foule, et ainsi mieux prendre le contrôle de l’esprit fantasque d’un Néron superstitieux qui aime à voir le devin monter au ciel, ou entendre la voix de l’oracle sortir d’une bouche taillée dans un mur de pierre. Car, ainsi que le rappelle La Bruyère dans ses Caractères :

C’est prendre et cultiver un mauvais goût que de dire que la machine n’est qu’un amusement d’enfant et qui ne convient qu’aux marionnettes, elle augmente et embellit la fiction, soutient dans les spectateurs cette douce illusion qui est tout le plaisir du théâtre, où elle jette encore le merveilleux. Il ne faut point de vols, ni de chars, ni de changements, aux Bérénice et à Pénélope, il en faut aux Opéras, et le propre de ce spectacle est de tenir les esprits, les yeux et les oreilles dans un égal enchantement110.

34Les décors aux topiques imposés depuis J. B. Lully111, tels le monde souterrain et troglodyte vu comme antichambre des enfers, le désert épouvantable rempli de monstres, antre de la discorde, le tombeau, ruine et lieu de désolation, la campagne salvatrice et apaisante, les jardins cadre de scènes familiales, lieux propices aux confidences, participent également de cette volonté, commune aux deux compositeurs, d’enchanter un public d’autant plus captif qu’il aime ces mises en scène merveilleuses et fantastiques montrant, le sens caché des choses. C’est pourquoi le premier tableau de l’acte I dévoile, dans une mystérieuse pénombre,

un champ situé en bordure du tronçon de la Via Appia qui va de Rome au Mont Albain, à la hauteur de la sixième borne militaire. La route forme une ligne oblique entre ce champ et ceux qui s’étendent de l’autre côté. C’est la nuit, le ciel est couvert, et les rayons de la lune pénètrent difficilement les épais nuages qui la cachent. Sur la Via Appia et sur les tombeaux, l’obscurité est à peine trouée d’une lueur cendrée qui ne fait pas d’ombres, le champ lui-même est d’un noir plus soutenu […].

35Ces décors sont d’ailleurs souvent incarnés par un orchestre pictural, comme celui qui fait entendre, dans la deuxième partie de l’acte IV des « sonorités lugubres » pour évoquer l’atmosphère mortifère du spoliarium, pièce disposée sous le Colisée où les gladiateurs tombés au combat étaient dépouillés de leurs armes et armures. Lors de la mort de Rubria, à la fin du quatrième acte, « la musique fait appel à tous ses moyens, à toutes ses caresses » pour adoucir ses derniers instants, musique qui rappelle celle composée par J. B. Lully pour accompagner la dépouille d’Alceste qui vient de s’immoler pour sauver son époux Admète112.

36Tandis qu’une partie de l’orchestre reste en fosse, incarnant les sons dont la source est située hors du champ scéniques, d’autres instruments, en particulier les cuivres, jouent sur le plateau pour incarner « les appels de buccin », quand la harpe imite la lyre qui accompagne le chant de Néron et l’orgue soutient le chant des Chrétiens, enfin les percussions donnent du relief aux processions de l’acte IV. Ces instruments joués sur la scène du Nerone d’A. Boïto, font entendre, comme dans les pièces de W. Shakespeare113, des sons « visibles » puisqu’ils existent réellement. C’est ainsi que la nuit de l’acte I « résonne de chants provenant de la vaste campagne environnante et des parties lointaines de la Via Appia114 », et que « des fragments de chanson apportés et dispersés par le vent », sortent du fond de la scène. Ces sons diégétiques, qu’utilisait également J. B. Lully, participent de cette esthétique « du merveilleux » indispensable à toute « Tragedia lirica ».

37Tous ces éléments communs aux deux compositeurs, font d’A. Boïto, comme le fut J. B. Lully, des scénographes accomplis. A. Boïto publie d’ailleurs en 1877, La Disposizione scenica115 de son Mefistofeles, à l’imitation de celles publiées par G. Verdi pour les Vêpres Siciliennes116 quand Aida ne peut être chantée sans ses Posizioni117. Ces textes consacrés exclusivement à la mise en scène des opéras, fixent un modèle de représentation afin de limiter les caprices des chanteurs et des directeurs de théâtre en décrivant point par point les décors, les costumes, les déplacements, les effets scéniques, le jeu théâtral, l’interprétation. Ils permettent de représenter, même en l’absence du compositeur, l’opéra tel qu’il fut pensé par son concepteur embrassant d’ailleurs, chez A. Boïto, tous les aspects de la performance théâtrale puisque même le travail de la lumière est ici réfléchi, ce que montrent les très nombreuses didascalies élaborant les plus raffinés clairs obscurs : « C’est la nuit, le ciel et couvert, et les rayons de la lune pénètrent difficilement les épais nuages qui la cachent. Sur la Via Appia et sur ses tombeaux, l’obscurité est à peine trouée d’une lueur cendrée qui ne fait pas d’ombres118. »

38Pour A. Boïto, comme pour J. B. Lully, défendant la primauté d’un drame unifié sur la prééminence de la musique, le théâtre d’opéra n’est pas seulement le lieu d’une représentation du livret, il est aussi un espace à remplir de musique, de son, de mots, de parole qui s’interpénètrent, et pose la question de la représentation sur la scène du drame lyrique, de tous les arts mis au service d’un texte hautement dramaturgique.

Nerone, un Gesamtkunstwerk (« Œuvre d’art total ») écrit pour ouvrir les portes d’un monde nouveau

39Librettiste de G. Verdi, A. Boïto, comme J. B. Lully, parce qu’il sait l’importance de la réalisation du spectacle dans sa globalité, ne séparent pas la danse du chant, ni la comédie de la musique, encore moins le livret du résultat scénique, les différents arts vivants ne s’entendant pas les uns sans les autres car « Agere, Saltare, Cantare119 » sont ici synonymes et son Nerone le fruit d’une pensée holistique. Le décloisonnement des disciplines et la juxtapositions des gestes musicaux et théâtraux permettent de maîtriser les difficultés de la mise en œuvre d’une « Tragedia lirica » colossale et « Gesamtkunstwerk120 ». Chaque élément vocal, instrumental et scénique121, permet de regarder le Nerone d’A. Boïto comme une « Œuvre d’Art Total » manifeste d’une volonté de penser l’opéra de manière inédite. Comme trois siècles plus tôt, Il Nerone, ossia l’Incoronazione di Poppea de Cl. Monteverdi où Armide, diptyque féminin de l’empereur poète et musicien mis en scène en 1687 par J. B. Lully, le Nerone d’A. Boïto, parce qu’il est œuvre d’art total, obligent les spectateurs à une conduite nouvelle : ne pas bavarder avec ses voisins, ne pas applaudir les airs qui ont d’ailleurs disparus, ne pas siffler les prestations des chanteurs, admirer autant les chœurs que les solistes, prêter une attention accrue à l’orchestre.

40En supprimant les séquences closes et les airs indépendants qui se succèdent, les trois compositeurs proposent un discours continu qui transforme chaque acte en une scène unique, actes eux même enchaînés qui font de leur Nerone ou d’Armide, une œuvre « durchkomponiert122 » qui semble écrite d’un seul tenant, longue courbe musicale chantée sur un seul souffle.

41Cl. Monteverdi, J. B. Lully et A. Boïto ont donc pensé des opéras modernes et inédits, qui évitent les académismes et cherchent le mélange des goûts italiens et européens au moment où l’italianité devait s’ouvrir aux influences extérieures. Pour A. Boïto, qui fut membre des « Scapigliati123 », autrement dit « les Échevelés », il s’agit de révolutionner l’art lyrique italien en sortant du seul « génie propre » de sa nation. En réconciliant « Achille et Siegfried, Hélène et Isolde124 », A. Boïto fonde un opéra d’inspiration transnationale héritier à la fois de V. Bellini125, G. Donizetti126, G. Rossini127, G. Verdi,128 mais aussi d’H. Berlioz129, de Ch. Gounod130 et de G. Meyerbeer131 comme de J. Haydn132, L. van Beethoven133 et R. Wagner134 qui unit le langage des « classiques » et celui des « modernes ».

42Riche en images saisissantes, tableau historiquement bien informé du monde néronien où le verbe, le son, la parole, et le chant s’interpénètrent, le Nerone d’A. Boïto est certes une œuvre dramatique, cinématographique et métaphysique, mais il est aussi une réflexion sur le monde et il y a ici une volonté de poser, grâce aux péripéties individuelles, des questions existentielles sur la foi, le paganisme, la morale, les enjeux politiques, l’amour, la rédemption et l’écartèlement entre deux désirs.

43Le Nerone d’A. Boïto présente également une cosmogonie où s’affrontent le monde de Néron, païen, sombre, crépusculaire qui s’enfonce dans la nuit éternelle, obscurité qui envahit la scène puisque toute la partition se passe quasiment exclusivement de nuit, dans des cryptes et des temples souterrains où dans le tréfonds de l’âme des personnages, et celui des chrétiens, lumineux, plein d’espérances, conquérant. Tout cela pousse A. Boïto à composer une musique tout en contrastes qui oppose elle aussi les deux mondes, ce qu’incarne à l’Acte I, l’air « Amour che non uccide, no, Amor no è135 » passionné, pathétique, pleins d’élans chanté par Asteria, éprise de Néron, air funèbre et colérique qui s’oppose à la suave oraison « Padre nostro » de Rubria, vierge vestale convertie au christianisme éprise de Fanuèl et édifiée en martyre par les tous derniers vers de la partition : « Ah sainte martyre ! Paix ! Paix ! Paix ! ». Le paganisme est ici incarné par des chromatismes, une grande instabilité tonale, un orchestre puissant et jouant « forte », tandis que Néron ne chante que des airs entrecoupés, haletants, lyriques dans la tradition du bel canto quand il est au pied de la déesse Asteria136, ou quand il s’adresse à la tombe d’Agrippine137. Le monde chrétien est, au contraire, peint par des nuances douces, des harmonies consonantes, une musique sensuelle, des prières chantées a cappella et les airs de Fanuèl et de ses compagnons, surtout durant tout l’acte III, seront fluides, doux, rassurants et d’une sobriété toute classique pour nous convertir au nouveau monde.

44Dans le Nerone d’A. Boïto, l’empereur aède n’est plus le mal incarné, il n’est que l’outil nécessaire, le bras armé, involontaire mais puissant, qui pousse le monde vers une vie nouvelle purifiée par les flammes de Rome qu’Asteria a allumées. Néron qui coure, esquive, complote tout au long de l’opéra, sorte d’incarnation du temps qui fuit, désordre et impermanence d’un monde qui tourne à vide et erre sans but et sans avenir. A. Boïto incarne, en cette fin de siècle vécu comme une « Apocalypse joyeuse138 » par la Sécession viennoise139, la mort d’une civilisation où « tout n’est qu’apparence, tout éclat est faux, toute séduction éphémère, et [qui] ne possède ni réalité, ni substance, aussi trompeur que les sens ». « L’homme n’est pas [ici] le figurant d’une foire aux vanités, il invite le monde à se convertir140 », puisque celui qui est en train de s’effondrer dans les tranchées, alors qu’A. Boïto compose son Nerone, appelle à une nouvelle musique qui ne cesse d’aller de l’avant, et transfigure tous les savoirs acquis, le compositeur-librettiste rêvant « d’un Art éthéré/ Qui a peut-être au ciel une norme,/ Libéré des liens rudes/ Du mètre et de la forme/ Plein de l’Idéal/ Qui fait battre mon aile141 ».

Notes de bas de page numériques

1 Néron, tragédie lyrique.

2 Arrigo Boito (1842-1918), compositeur, romancier, poète italien, auteur des livrets d’opéra pour G. Verdi (Simon Boccanegra version 1881, Otello, Falstaff), familier de l’œuvre de W. Shakespeare, de Nietzsche et de Schopenhauer. Il signe le texte et la musique de Mefistofeles en 1868 puis un Nerone, objet de notre étude en 1924.

3 Proposé et refusé par G. Verdi en 1871 au profit d’Aida.

4 Arturo Toscanini (1867-1949), compositeur, directeur musical, chef d’orchestre.

5 Antonio Smareglia (1854-1929), compositeur italien auteur d’opéras célèbres, La Falena (1897), Odeana (1903) ou Abisso (1914).

6 Vittorio Tommasini (1878-1950).

7 Livre d’histoire qui couvre la période des quatre empereurs Julio-Claudien, soit les successeurs de l’empereur Auguste. Il s’intéresse en partie au règne de Tibère et de Néron.

8 Néron ou le couronnement de Poppée, un opéra en un prologue et trois actes généralement attribué à Cl. Monteverdi, créé en 1643 à Venise sur un livret de G. Fr. Busenello, quelques mois avant la disparition du compositeur. On salue l’excellence de la construction dramatique, une œuvre n’abordant que les passions les plus viles et les plus exacerbées, l’alternance de scènes dramatiques, pathétiques et comiques, la caractérisation des personnages, la beauté du texte poétique unis étroitement à une musique au service de la scène.

9 Et sa création œuvre tombe dans l’oubli et ce n’est qu’en 1888 qu’on redécouvre, à Venise, un exemplaire datant de 1646, puis à Naples une autre copie, bien différente, datant de 1651. Les deux partitions sont notées à plusieurs mains, on y reconnu l’écriture de Fr. Cavalli, Ferrari, Sacrati, tous élèves de Cl. Monteverdi.

10 Francesco Cavalli (1602-1676), compositeur et organiste, chanteur à la basilique Saint Marc de Venise, Maître de Chapelle de la Cappella Marciana et auteur d’opéras sont l’Egisto (1646), Il Giasone (1649).

11 Benedetto Ferrari (1603-1681).

12 Francesco Sacrati (1605-1650), compositeur pour le Teatro Novissimo de Venise, célèbre pour La finta pazza (1641) jouée en France.

13 Giovanni Francesco Busenello (1598-1659), juriste, librettiste, poète, auteur d’au moins cinq livrets d’opéras vénitiens.

14 Opéra à la française représenté sur la scène de l’Académie royale de Musique de Paris au XVIIe et au XVIIIe siècles. Son créateur, Jean-Baptiste Lully, en le nommant ainsi, cherche à montrer combien il se démarque de l’opéra italien que l’on entend alors dans toute l’Europe. Jean-Baptiste Lully invente avec Molière, une tragédie en musique, fusion des éléments du ballet de Cour, de la Pastorale, de la Pièce à machine, de la Comédie, du Ballet, et de l’Opéra-ballet. Son principal librettiste, Philippe Quinault lui fournira l’essentiel de ses quatorze tragédies en musique créées pour Louis XIV entre 1673, Cadmus et Hermione et Armide, 1686.

15 (1632-1687), né à Florence, arrivé en France comme « baladin » (danseur) vers 1646, J. B. Lulli entre dans la « Grande Bande du Roi en 1652 et danse aux côtés de Louis XIV dans Le Ballet Royal de la Nuit. Il collabore avec Molière, est nommé « Surintendant de la musique du Roi » en 1661 et compose sa première tragédie en musique en 1673, Cadmus et Hermione, sur un livret de Ph. Quinault qui ne cessa de collaborer avec lui, jusqu’à son décès.

16 Cadmus et Hermione.

17 Armide.

18 Compositeur des premiers opéras italiens au commencement du XVIIe siècle.

19 Auteur et inventeur, avec Molière des opéras en français ou « tragédie en musique », à la fin du XVIIe siècle.

20 Librettiste récurent de G. Verdi et compositeur de transition vers les XXe siècle.

21 « Ouvrage curieux d’un homme qui cherche à être original », tel est le jugement porté par G. Verdi sur le Mefistofele d’A. Boïto, in I. Possamai, « La Quête de la théâtralité : les livrets d’Arrigo Boïto d’après Shakespeare », Shakespeare en devenir, n° 8, 2014, « Appropriations italiennes de Shakespeare », en ligne, U. de Poitiers, 2014.

22 Voir le numéro spécial de Loxias-colloques, http://revel.unice.fr/symposia/actel/index.html?id=1538

23 Giulio Ricordi (1840-1912), éditeur renommé des opéras de G. Verdi, d’A. Ponchielli, de G. Puccini, d’A. Catalani et d’U. Giordano, l’essentiel de l’école italienne lyrique du XIXe siècle.

24 Créé en 1871, à l’opéra du Caire.

25 Antonio Ghislanzoni (1824-1893), librettiste de G. Verdi, A. Ponchielli, A. Cagnoni, A. Catalani.

26 Rôle créé par L. Bertana.

27 Rôle créé par P. Raisa.

28 Rôle créé par A. Pertile.

29 Rôle créé par C. Galeffi.

30 Rôle créé par M. Journet.

31 Rôle créé par E. Pinza.

32 Opéra de grandes dimensions dont le livret évoque un événement historique, chanté en français au XIXe siècle dans des décors spectaculaires. Toujours accompagné par un orchestre philarmonique, il insère également au début du 3e acte un ballet. Les « grands opéras » qui firent le succès de ce genre couru au XIXe siècle furent Robert le Diable (1831) et Les Huguenots (1836) de G. Meyerbeer, La Juive (1835) de Fr. Halévy et Jérusalem de G. Verdi.

33 Don Carlos (1867), Aida (1871).

34 Lettre à Giulio Ricordi du 25 mai 1891.

35 Encore joué en 1651 à Naples avant de disparaître et de n’être redécouvert qu’au début du XXe siècle grâce à deux manuscrits, une version simplifiée de la main de Fr. Cavalli avec ses annotations, l’autre conservée à la bibliothèque San Pietro a Majella de Naples qui fait entendre un Nerone reconstruit à partir de ces deux archives.

36 Créé en 1607 sur un livret d’A. Striggio au palais ducal de Mantoue.

37 Créé en mai 1608 lors des noces du duc héritier Fr. Gonzaga avec la fille du duc de Savoie. Il ne reste de la partition qu’un célèbre « Lamento d’Arianne » pleurant la mort de Thésée publié en 1614 et 1640.

38 A. Fiaschi, « Néron préside à la naissance de l’opéra : Le Couronnement de Poppée de Cl. Monteverdi (1642) », Actes du Colloque international de SIEN Neronia V « Néron : histoire et légende », Clermont-Ferrand et Saint Etienne, 2-6 novembre 1994, Latomus, Revue d’études latines, Bruxelles, 1999, pp. 443-456, p. 444.

39 « L’Accademia degli Incogniti » ou « Académie des Inconnus » est une société savante où des intellectuels réfléchissent sur les arts et promeut le théâtre d’opéra à Venise. Parmi eux se trouvent l’essentiel des librettistes d’opéras vénitiens de la seconde moitié du XVIIe siècle.

40 J. F. Maillard, Essai sur l’esprit du héros baroque, Paris, Nizet, 1973, p. 49, commentaires qui conviennent parfaitement au Néron de Boïto.

41 Ou « stile rappresentativo » ou « style dramatique », musique discours mi déclamation mi chant, composé comme un récitatif, aux qualités dramatiques et expressives inédites, essentielle aux premiers opéras de l’histoire de la musique occidentale et décrite dans Le Nuove Musiche (1601) de G. Caccini.

42 « Récitation Chantée » ou « chant récité » constituant la base des premiers opéras puisqu’elle permettait la parfaite diction du texte.

43 Soit un chant agité pendant lequel les syllabes sont répétées pour exprimer la colère, les sentiments violents.

44 Ou Madrigali guerrieri e amorosi SV 146-167 publié par Cl. Monteverdi en 1638 à Venise.

45 I, 1.

46 I, 4.

47 I, 7.

48 I, 9.

49 III, 18.

50 Voir tableau des didascalies vocales placé en Annexe.

51 III, 16-17-18.

52 Roman des temps néroniens, publié à Varsovie en 1896, qui lui vaudra le prix Nobel de littérature en 1905, Paris, Le Livre de Poche, 2001, pp. 315-317.

53 Cadmus et Hermione (1673), Alceste (1674), Thésée (1675), Atys (1676), Isis (1677), Psyché (1678), Bellérophon (1679), Proserpine (1680), Persée (1682), Phaéton (1683), Amadis (1684), Roland (1685), Armide (1686) et Achille et Polyxène (1687).

54 Recueil de la plume de G. Caccini, l’un des compositeurs à l’origine, avec Cl. Monteverdi de la musique baroque, qui présente des monodies pour voix seule et basse continue. Révolutionnaire, il est publié à Florence en 1602, indiquant comment faire les ornements et interpréter la monodie accompagnée.

55 L. de Jaucourt, « Tragédie lyrique », Encyclopédie.

56 F. J. de Chastellux, Essai sur l’Opéra, Pise, Paris, Chez Ruault, 1773, p. 10.

57 J. Bonnet et P. Bourdelot, Histoire de la musique et de ses effets depuis son origine jusqu’à présent, II, La Haye, 1743, p. 100.

58 Marc Fumaroli, L’âge de l’éloquence, Paris, Droz, 1980, p. II.

59 J. Lacombe, Le Spectacle des Beaux-Arts, Paris, chez Vincent, 1758, p. 143.

60 (1635-1688), excellent auteur de tragédies, il collabore avec J. B. Lully en 1671 pour la rédaction des livrets d’une partie des intermèdes de Psyché. J. B. Lully assurait qu’il était le seul « qui sut si bien varier les mesures et les rimes dans la poésie, qu’il savait lui-même varier les tours et les cadences en musique », Répertoire de la littérature ancienne et moderne, Paris, Castel de Courval, 1827, p. 9.

61 Ch. Perrault, Critique de l’opéra Alceste ou le Triomphe d’Alcide, Paris, L. Billaine, 1674, chez Cl. Barbin, p. 48.

62 R. Bary, Méthode pour bien prononcer un discours, Paris, chez l’auteur, 1679, p. 14.

63 II, 18.

64 IV, 12.

65 IV, 17.

66 Albert de Paris, La véritable manière de prêcher selon l’esprit de l’Évangile, Paris, chez Nicolas Couterot, 1691, p. 283 cité par Verschaeve, Traité de chant et mise en scène baroque, Genève, Zurfluh, 2017, p. 50.

67 E. E. de Bethisy, Effets de l’air sur le corps humain considérés dans le son ou Discours sur la nature du chant, Amsterdam, Paris, chez Lambert, 1760, p. 18.

68 Aristippe, Théorie de l’art du comédien ou manuel théâtral, Paris, A. Leroux éditeur, 1826, p. 49.

69 M. Boye, L’expression Musicale mise au rang des Chimères, Paris, chez Esprit, 1779, p. 13.

70 Voix égale sur l’intégralité du registre ou « una voce » à l’italienne.

71 M. Boye, op. cit., p. 13.

72 I, 7.

73 IV, 13.

74 II, 1.

75 Paris, Chez l’auteur et chez Pierre Bienfait, 1668.

76 Au théâtre c’est le geste qui donne le rythme, comme ce petit arrêt avant de dire une consonne et ses liaisons pour dire les voyelles, d’où l’importance de ne pas chanter le français de la Médée (1693) de M. A. Charpentier comme l’opéra séria italien où les consonnes n’arrêtent pas le son porté par les voyelles.

77 L. Garcin, Traité du mélodrame ou réflexions sur la musique dramatique, Paris, chez Vallat-La-Chapelle, 1772, p. XV.

78 L’Affilard donne dans ses Principes très faciles pour bien apprendre la musique, Paris, Ballard, 1705, les indications métronomiques pour exécuter les danses et les danses chantées dans un tempo adéquate. Le menuet se joue à 105 à la noire (Conversion métronome Maelzel) en 2 groupes de 2 temps chacune avec une hémiole sur les temps 2 ou 3, mais le poème chanté détermine aussi les rythmes et les accents, comme les articulations, la projection des rythmes.

79 M. Bérard, L’Art du Chant dédié à madame de Pompadour, Paris, Chez Dessaint et Saillant, 1755, p. 155.

80 Voir les didascalies de la dernière scène de l’acte IV où Néron chante « avec exaltation », Gobryas en « ricanant », Tigellinus « froidement », La foule « férocement », les Dirce « lamentablement », Asteria « vivement » puis « terrifiée », Fanuèl « avec une douceur infinie », Rubria « comme dans un rêve » puis exhalant son dernier souffle « extatique, d’une voix de plus en plus faible », « avec un filet de voix », « dans un souffle d’une voix à peine audible ».

81 I, 1, Cadmus et Hermione, « Combattants que l’on entend et que l’on ne voit point », Roland « se met dans un grand désordre », à l’acte IV, sc.5 de Amadis, et Armide « soupire » dans la scène 4 de l’acte II.

82 S. de Brossard, Dictionnaire de musique, Amsterdam, chez Pierre Mortier, 6e édition, 1710.

83 J. L. Le Cerf de la Vieville, Comparaison de la musique italienne et de la musique française, Paris, chez J. Le Clerc, 1726, II, p. 182.

84 F. Ph. Gourdin, Considérations philosophiques sur l’action de l’orateur, Amsterdam, Paris, chez la Veuve Desaint, 1775, p. 48.

85 Serré de Rieux, Les Dons des enfants de Latone, Paris, Prault, 1734.

86 J. B. A. Bérard, op. cit., p. 155.

87 III, 5.

88 Id.

89 Bérard, op. cit.

90 Cureau de La Chambre, Les Charactères des Passions, Paris, chez Jacques d’Allin, 1648-1662, II, p. 348.

91 Proserpine, Prologue.

92 Alceste, II.

93 Persée, IV.

94 Alceste, III, 5.

95 Atys, I, 8.

96 Alceste, IV.

97 Armide, Passacaille, V.

98 Nerone, I,11.

99 Id.

100 Nerone, IV, 10.

101 On remarquera au passage la très grande précision historique du livret rédigé par A. Boïto.

102 I, 1.

103 Tout cela au cours d’une même scène, celle de l’acte I, sc.10.

104 II, 1.

105 II, 2.

106 III, 2.

107 IV, 1.

108 I, 5.

109 Registre qui place le spectateur dans un cadre sans rapport avec la réalité, on y côtoie des personnages aux pouvoirs magiques, des sorciers, des mages, des monstres, des dragons, des fées, des objets magiques, on y découvre des lieux lointains et irréels comme des forêts enchantées, des îles Eden, des dieux et des déesses.

110 La Bruyère, Les Caractères de Théophraste, Paris, chez Michallet, 1688.

111 Dessinés par C. Vigarini « Intendant des Plaisirs du Roi », puis par J. Berain, les décors font l’objet, comme dans le Nerone d’A. Boïto, de nombreuses didascalies dans les partitions des tragédies en musique de J. B. Lully. On peut ainsi lire dans le prologue de Cadmus et Hermione : « Dans cette obscurité soudaine, l’Envie sort de son antre qui s’ouvre au milieu du théâtre : elle évoque le monstrueux serpent Python, qui paraît dans son marais bourbeux, jetant des feux par la gueule et par les yeux, qui sont la seule lumière qui éclaire le théâtre : elle appelle les vents les plus impétueux pour seconder sa fureur, elle en fait sortir quatre de ceux qui sont renfermée dans les cavernes souterraines, et elle en fait descendre quatre autres de ceux qui forment les orages, qui tous après avoir volé et s’être croisés dans les airs viennent se ranger autour d’elle, pour l’aider à troubler les beaux jours que le soleil donne au monde ».

112 III, 4.

113 « Sonneries de trompettes, Chansons, Airs et ballades dans la tragédie d’Hamlet, prince du Danemark de Shakespeare : un théâtre de vérité qui « génère de la réalité et recrée du vivant », Hamlet : Lectures critiques, Paris, L’Harmattan, Nice, Cycnos, n° 3, vol. 38, 2023, pp. 181-210.

114 I, 1.

115 Milan, Londres, Giulio Ricordi.

116 Milan, G. Ricordi, 1855.

117 Milan, G. Ricordi, 1872.

118 I, 1.

119 Libanius cité par G. Boissier, « De la signification des mots « saltare » et « cantare tragoediam », Revue Archéologique, vol. 4, 1861, pp. 333-343, p. 337.

120 « Œuvre d’art total ».

121 Langage du corps, force de la voix, gestes d’action, gestes qui s’accordent à la taille de la salle, gestes qui aident à la compréhension du texte et qui incarnent les affects, gestes rhétoriques.

122 Composée d’un seul tenant.

123 Mouvement littéraire et artistique, développé en Italie du Nord dans les années 1860-1880, Les « Bohèmes » mènent une vie anticonformiste, et prônent un esprit de rébellion contre la culture traditionnelle et le monde bourgeois. Il lutte surtout contre le conservatisme de la culture officielle italienne, méprisent les normes morales, les règles et critiquent le romantisme italien jugé trop « langoureux ». A. Boïto, A. Catalani, A. Ponchielli, G. Puccini appartiennent à ce cercle d’avant-garde.

124 T. Picard, « Pour une autre Italie musicale : Le Mefistofeles d’Arrigo Boito », Mefistofeles, Avant-Scène Opéra, n° 238, p. 64.

125 La Sonnanbula (1831), Norma (1831), I Puritani (1835).

126 La Fille du régiment (1840), La Favorite (1840), Don Pasquale (1843).

127 Otello (1816), Armida (1817).

128 Rigoletto (1851), La Forza del destino (1863), Don Carlos (1867).

129 Benvenuto Cellini (1838), La Damnation de Faust (1846), Les Troyens (1858).

130 Faust (1859).

131 Semiramide (1819), Robert le Diable (1831), Les Huguenots (1836).

132 Il Mondo della luna (1777).

133 Fidelio (1814).

134 Lohengrin (1850), Parsifal (1882).

135 « Amour qui ne tue pas n’est pas Amour ».

136 « Tu dal sen disoit » (« Tout comme tu ôtes de ton sein »), II.

137 « Queste ad un lido fatal » (« À un rivage fatal »), I.

138 Titre du catalogue de l’exposition « Vienne 1880-1938-L’Apocalypse joyeuse », Paris, Centre G. Pompidou, 1986.

139 Courant artistique rattaché à l’Art Nouveau et au Jugendstil.

140 J. F. Maillard, Essai sur l’esprit du héros baroque, pp. 23 et 171.

141 Libro dei versi, Dualisme, 1863, v. 71-77, cité par Y. Pelloso « Arrigo Boito entre musique et poésie », Mefistofeles, Avant-scène Opéra, n° 238, Juin 2007, p. 66.

Annexes

Annexe : Tableau des didascalies vocales

Acte 1

« Voix lointaines »

« Voix menaçantes »

« Voix lugubre »

« Néron d’un ton angoissé »

« Asteria sans s’émouvoir, d’une voix blanche comme si elle était en transe »

« Asteria d’une voix faible comme un soupir »

« Rubria prononce son nom »

« Fanuèl la voix basse »

« Rubria, bas avec appréhension »

« Fanuèl d’une voix terrible »

« Néron sombrement »

« Néron très agité »

« Voix indistinctes »

« En écho »

Acte 2

« Écoutez les bêlements »

« les voix chantent »

« Un petit cri »

« Néron lentement »

« Voix de l’oracle plus tonitruante »

« Néron à mi-voix »

Acte 3

« Les Chrétiens répétant après lui, bas »

« Asteria de l’oliveraie, à peine audible »

« Asteria avec une subite véhémence »

« Rubria après un instant de silence chargé d’angoisse »

« Gobrias modifiant sa voix, il parle du nez, d’un ton sinistre, du fond de l’oliveraie »

« Le Mage Simon, à mi-voix à Gobrias »

« Gobrias lui répond à mi-voix »

« Le Mage Simon toujours à mi-voix »

« Fanuèl avec amertume »

« Fanuèl d’une voix terrible »

« Rubria, brisée de chagrin, d’une voix à peine audible »

« Les Chrétiennes de très loin, d’une voix à peine audible »

Acte 4

« Gobrias à mi-voix, rapidement »

« Le Mage Simon d’un ton trahissant une grande surprise »

« Gobrias rassurant »

« Néron impérieusement »

« Voix proches venant du cirque »

« Voix lointaines venant du cirque »

« Une voix venant du cirque »

« Voix proches et lointaines »

« Néron dans un accès de colère »

« Cris venant du cirque »

« Les Simoniens, Hurlez »

« Fanuèl, la voix haute sereinement »

« Les Simoniens et la Plèbe, Hurlez, Aboyez »

« Quelques voix dans la foule »

« Néron d’une voix terrible et haletant de colère en prononçant les premiers mots »

« La Vestale d’une voix atterrée »

« Néron dans un éclat de colère »

« Les Chrétiens qui chantent sereinement à haute voix »

« Néron en riant »

« Voix venant du cirque férocement, hurlant, sauvagement »

« La Voix des Dirce lamentable, venant du Cirque »

« Asteria vivement », « Rubria extatique »

« Rubria d’une voix de plus en plus faible »

« Rubria avec un filet de voix »

« Rubria dans un souffle, d’une voix à peine audible », « Asteria avec une extrême violence »

Pour citer cet article

Annick Fiaschi-Dubois, « Une lecture du Nerone (1868-1918) « Tragedia Lirica » d’Arrigo Boito au regard d’Il Nerone, ossia l’Incoronazione di Poppea (1642) de Claudio Monteverdi (1567-1643) et des Tragédies en musique (1673-1687) de Jean-Baptiste Lully (1632-1687) », paru dans Loxias, 81., mis en ligne le 15 juin 2023, URL : http://revel.unice.fr/loxias/index.html/lodel/docannexe/file/7601/lodel/lodel/index.html?id=10195.


Auteurs

Annick Fiaschi-Dubois

Maîtresse de conférences (HDR, Madame de Sévigné, Lettres sur la Musique, Paris, Sorbonne Université) en musicologie. Ses recherches portent sur la musique française du XVIIe siècle et les relations qu’elle entretient avec l’Italie, la rhétorique, la mise en scène de la parole et le geste musical dans les formes scéniques de l’âge baroque ainsi que sur l’influence et la pérennité de l’esthétique baroque sur les musiques postérieures.

Université Côte d’Azur, CTELA