Lu & Vu

Antonio Castronuovo
Macchine fantastische (Manuale di stramberie e astuzie elettro-meccaniche)
[Machines fantastiques (Manuel de bizarerries et de ruses électro-mécaniques)]
Stampa Alternativa, 2007

Dans ce petit volume, l’écrivain et critique Antonio Castronuovo se livre à un exercice de transversalité au sein du grand corpus de la culture européenne. Il tente d’y repérer, décrire et analyser les différentes inventions techniques, raisonnables ou folles, impraticables ou concrètes, qui y ont un jour trouvé naissance. Faisant preuve d’une étourdissante érudition, il propose à son lecteur une promenade qui embrasse aussi bien la littérature que la peinture, les arts plastiques que la musique, depuis Homère jusqu’au cinéma de science-fiction contemporain. Mais loin de constituer un collage arbitraire, cet itinéraire est sous-tendu par une thèse générale : que les inventions imaginaires proposent à celles réalisées tous les jours dans les laboratoires spécialisés la possibilité de s’émanciper de leur destin utilitaire.
Caractérisé avant tout par son élégance, Macchine fantastiche doit être compris comme un objet littéraire destiné aussi bien aux amateurs de style et de culture qu’aux amateurs de techniques. Le gai savoir qu’il expose permet de jeter sur l’histoire des inventions techniques le regard décalé des écrivains et des artistes, regard fait de fascination, de défi, et, parfois, de concurrence. Loin de n’être qu’un royaume de rêveurs, l’univers des écrivains et artistes créateurs d’inventions imaginaires a lui-même parfois pris la forme d’un laboratoire échevelé aux rapports desquels se sont abreuvés.de nombreux scientifiques Parfois, au contraire, ce laboratoire a permis — comme dans le cas des machines sexuelles de Tomi Ungerer ou des poupées de Hans Bellmer — d’exorciser des pulsions irréalisables, voire de les prévenir.
Les enseignements du livre d’Antonio Castronuovo sont innombrables. Cependant, son objectif est de procurer à son lecteur du plaisir davantage qu’une morale. Celle-ci – la possible émancipation des machines par leurs parentes imaginaires – n’est qu’une clef que l’auteur propose en introduction de son livre. L’essentiel est cette promenade dans le musée imaginaire de la création technique, musée témoignant de l’extraordinaire capacité humaine à inventer des machines susceptibles de n’importe quelle fonction. Par un étrange effet d’écho, le lecteur pourra peut-être en concevoir une admiration plus grande encore pour les machines concrètes : au fond, c’est à la même source que vont puiser les grands inventeurs et les grands artistes, lorsqu’il s’agit pour eux de créer. Ode pudique et parfois ironique à la création, Macchine fantastiche en est lui-même une magnifique preuve.

Laurent de Sutter

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Nicola Nosengo
L’Estinzione dei tecnosauri (L’extinction des technosaures)
Sironi, 2004.

Les techniques qui gagnent ne sont pas forcément les meilleures. C’est sur cette affirmation, somme toute évidente, mais qui vient battre en brèche une idée reçue que le journaliste scientifique Nicola Nosengo débute sa balade à travers des objets et techniques disparus ou en voie d’extinction, ces « technosaures », comme il les appelle. Cette promenade dans l’histoire des techniques contemporaines se décline en quatre parties, traversant les standards, les stratégies industrielles et les questions de culture technique. Les techniques vidéo domestiques reviennent à plusieurs reprises, reflétant certes davantage les préoccupations d’aujourd’hui que celles du xxe siècle, mais l’auteur en profite pour suivre son idée de départ, prendre la métaphore de l’extinction des espèces pour éclairer notre histoire. Comme il l’affirme à propos du Betamax « en somme, l’enregistrement vidéo est, pour la technodiversité, l’équivalent d’une forêt équatoriale ». : il est vain de croire qu’on puisse classer toutes les espèces qui y vivent.
Alors que, pour le Betamax et le phonographe, on voit qu’une technique pourtant très prometteuse doit attendre l’épreuve des faits et lutter parfois plusieurs années pour s’imposer, le cas du pneumatique montre qu’une technique installée durablement peut disparaître très vite. Dans le chapitre sur la voiture électrique, l’auteur balaie l’histoire de l’automobile depuis ses débuts pour relever les différents moments où aurait pu s’imposer cette fameuse voiture électrique. Mais dans ce domaine, « on n’a pas une seconde chance ». Ne s’étant pas imposée avant les années 1970, les nouvelles conditions, notamment sociales, ont fait que sa chance est passée.
Dans un autre domaine, l’idée de départ que la civilisation de l’image conduirait nécessairement à l’avènement du visiophone est battue en brèche par des considérations sociologiques. S’appuyant sur les travaux de Hugh Miller, il nous montre que c’est justement l’absence d’image qui a fait le succès du téléphone. Avec la machine volante, et plus précisément l’équivalent aérien de l’automobile, l’auteur met aussi en avant l’importance de la notion de réseau : le succès d’une technique ne peut se mesurer à l’aune de simples critères d'utilité ou de faisabilité. Une innovation ne peut s’imposer que si l’organisation législative et logistique le permet. En l’occurrence, la mise en place d’un système de régulation du trafic dans le cas de la machine volante représente un obstacle rédhibitoire.
Dans la troisième partie, l’auteur nous montre, à travers les exemples du disque vinyle, de la cassette audio et du fax, que le neuf ne remplace pas toujours l’ancien et que ce que l’on prend pour une nouveauté n’en est pas forcément une. L’histoire du disque, d’Edison au cd, est particulièrement édifiante, car derrière la lutte entre de grosses sociétés comme Philips et Sony pour imposer leur stratégie se cache la sanction du consommateur pour lequel le prix reste une arme fatale. Et face à l’incroyable résistance du disque analogique à son concurrent numérique, Nosengo se demande lequel des deux est finalement le technosaure. L’avènement du fax, quand on voit l’étonnante ingéniosité du pantélégraphe de Caselli, du photophone de Bell ou du bélinographe, nous ramène à une autre question fondamentale : pourquoi vient-il si tard ? En l’occurrence, l’intrication de facteurs fort divers est la cause autant de son apparition tardive que de son avènement rapide.
La quatrième partie, immanquablement, nous conduit sur le terrain de l’évolution des techniques sur un plan général. Le titre de cette partie, « L’origine des espèces », est explicite. Que peut nous apprendre, en matière d’évolution des machines, la leçon de l’évolution du monde vivant ? La question de la lutte entre Whitworth et Sellers pour imposer un standard dans les filetages à la fin du xixe siècle est astucieusement rapprochée de la concurrence entre les systèmes d’exploitation Windows et Macintosh. « Le William Sellers de notre époque est naturellement Bill Gates », nous dit l’auteur, réaffirmant l’impact des stratégies industrielles dans le choix de standards dominants, et notamment la « gestion de l’attente » : faut-il être pionnier ou attendre qu’un autre essuie les plâtres ?
Immanquablement, l’histoire du clavier de machine à écrire s’impose comme archétype du technosaure. Mais Nosengo s’en tire astucieusement en nous proposant un « making of de l’histoire du qwerty », nous narrant comment et pourquoi Paul A. David, dans un article classique, a pris cet exemple désormais célèbre. La question centrale est bien la suivante : qui, « de l’État ou du marché », impose des normes ?
En guise de conclusion, on a plaisir à retrouver Pitt-Rivers et Butler jadis, mais aussi Basalla, Flichy, et surtout Stephen J. Gould naguère, pour une discussion finale sur les mécanismes de l’évolution et de la spéciation, du processus de changement technologique, « continu et graduel ou discontinu et fait de sauts ». Évidemment, on pourrait souhaiter que l’auteur aille jusqu’au bout de la réflexion pour analyser l’époque actuelle, nous projette d’ici quelques dizaines d’années pour nous suggérer quels seront les technosaures de demain. Mais l’on sait, dans le domaine, combien la prospective est un art à la fois difficile et risqué…
Le mot de la fin revient à l’inconnu que l’auteur interpelle : « La technologie n’a pas encore son Darwin, encore moins son Gould. » Et cet appel salutaire se traduit par un autre, qu’on ne cessera jamais assez de répéter, « l’idée que la technologie et la société ne peuvent être pensées séparément ».

Bruno Jacomy

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Sylvain Gouguenheim
Aristote au Mont Saint-Michel
Seuil, 2008

La recette est éculée. Elle fonctionne. D’abord vous vous saisissez d’un thème à la mode, par exemple le choc des civilisations, le fondamentalisme religieux, l’origine chrétienne de l’Europe. Ensuite, vous mobilisez l’islamophobie ambiante et voulez la nourrir : pour cela, vous vous adressez à des ignorants ou à des idéologues. Enfin, vous fournissez à ceux-ci, de manière péremptoire, une série d’arguments dans lesquels ils vont pouvoir puiser pour leurs invectives et leurs diatribes. Vous habillez le tout en démonstration « rationnelle », développée en trois temps. Premier temps, vous prêtez à vos adversaires des thèses qu’ils n’ont jamais émises ou vous les déformez à souhait. Deuxième temps, vous ferraillez contre ces arguments avec force citations de deuxièmes ou troisièmes mains et présentez comme « nouvelles » des informations connues. Bien sûr, vous choisissez dans votre attaque un angle qui oublie des pans entiers de l’Histoire, des aspects essentiels, pour ne développer qu’un point particulier. Troisième temps, vous triomphez. La clarté de votre livre, la force de votre démonstration, l’autorité universitaire dont vous vous êtes paré, le prestige de la collection dans laquelle vous publiez assurent votre succès. Le Monde, Libération, Le Figaro applaudissent et facilitent la diffusion. Les universitaires spécialistes s’indignent de tant d’arrogance, d’approximations et de mensonges. Ils rédigent des réponses. Certains des titres cités les publient, d’autres non. Une polémique enfle. Le piège se referme. Les sites de la droite extrême en rajoutent : « Nouveau procès de Moscou » ; « les défenseurs de la pensée unique s’insurgent contre un esprit libre ». Succès de librairie. Réédition. Les bénéfices sont idéologiques et financiers. Voici le schéma auquel répond le livre de Sylvain Gougenheim, Aristote au Mont Saint-Michel. Tout a déjà été dit, et par les meilleurs, sur la mystification que constitue ce livre de propagande. Les Arabes auraient été les « transmetteurs » de la pensée d’Aristote ? Qui prétend ceci ? La civilisation islamique dans sa période de fécondité (viiie-xiiie siècles), s’est appropriée les philosophies, les connaissances (y compris pratiques) rencontrées au cours de son expansion. Participèrent à cette appropriation des musulmans, des juifs, des chrétiens, des païens, des athées … qui en firent non pas une synthèse ou un syncrétisme, mais une culture profondément originale, en particulier la science — profane — en pays d’Islam qui, pour les domaines que j’ai étudiés, inventa la première théorie physique de la lumière au moyen d’une méthode nouvelle appelée à un bel avenir, la méthode expérimentale.
Cette culture, cette science, cette philosophie, les chrétiens des xiie au xive siècles se les approprièrent à leur tour pour les utiliser à une autre fin : celle d’unir Foi et Raison. Ce but fut atteint à la fois en continuité et en rupture avec la culture occidentale latine antérieure. En continuité par l’ancrage dans la foi, par la poursuite de la querelle des universaux, par la maturation des tendances néoplatoniciennes, augustiniennes et aristotéliciennes préexistantes (qui le nie ?). En rupture grâce à l’afflux de nouvelles connaissances : la science en pays d’Islam, un Aristote complet revisité et rétabli par Ibn Rushd (Averroès), savoirs que de jeunes aventuriers allèrent chercher dans l’Andalus, en Italie, que les communautés juives établies les unes en pays d’Islam les autres en terres chrétiennes se transmettaient de manière « transfrontalière »…La fièvre des traductions de l’arabe enrichit la langue latine de ces mots n’y ayant pas d’ équivalent (luth, rebec, algèbre, alchimie …). Les nouveaux savoirs posaient problèmes quant à la cohérence exigée entre Foi et Raison : on interdit l’enseignement d’Aristote tout en nommant des commissions pour concilier sa philosophie avec les Dogmes. Sortirent de cette intense activité intellectuelle les Sommes, cathédrales philosophiques de l’Occident latin, superbes édifices originaux mais qui ignorent, par exemple, la « méthode expérimentale », que les clercs médiévaux, regardant ailleurs, ne s’approprièrent pas. A la Renaissance, la « sciences des mécènes » se souviendra de celle-ci et y fera appel pour renverser Aristote, comme elle fera appel, dans le « jeu des possibles » qui la caractérise, au pythagorisme, au platonisme, à la mystique, à l’astrologie…
Si le pamphlet de notre auteur récuse une influence islamique sur les civilisations médiévales et de la Renaissance, Jean de Meung, dans le Roman de la Rose la revendique, lorsqu’il conseille aux clercs qui veulent expliquer l’arc-en-ciel de lire Alhazen (Ibn al Haytham). Un Dante l’exalte, lorsqu’il place au Paradis Siger de Brabant, tenant de « l’averroïsme latin ». À la Renaissance, lorsque Kepler fonde l’optique moderne, il intitule son premier livre sur le sujet Paralipomènes à Vitellion, Vitellion, ce moine silésien du xiiie siècle, travaillant dans la cité papale de Viterbe où il est affublé du sobriquet de « singe d’Alhazen », tant son optique copie celle de son illustre prédécesseur. Et que dire du frontispice des œuvres complètes d’Helvétius, où l’on voit représentés ceux que l’auteur considère comme les deux piliers de la science moderne : Alhazen et Galilée… un Galilée affublé d’un turban, symbole, en ce milieu du xviie siècle encore, du savoir.
La publication du pamphlet est témoin de la croisade que mènent actuellement les fondamentalistes « chrétiens » contre la science, contre la civilisation islamique aussi, hérauts qu’ils sont dans leur pensée binaire de la guerre de nouveaux blocs. Qu’en reste-t-il six mois après ? Des bénéfices pour un auteur et un éditeur. Une preuve – parmi d’autres – de l’incompétence d’une certaine presse dite « de référence », prompte à sortir trop rapidement un pseudo « scoop ». La réputation écornée d’une collection par l’absence de compétence, l’idéologie douteuse de certains et la défaillance des contrôles collectifs mis en place chez l’éditeur, nouvel exemple lyonnais d’utilisation des positions universitaires à des fins révisionnistes .

Bernard Maitte

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Terradas architects, Jorge Wagensberg
CosmoCaixa, the Total Museum through Conversation between Architects and Museologists
Sacyr, 2006

Créer un musée total, l’ambition peut paraître démesurée, certes, mais le résultat, pour ceux qui connaissent CosmoCaixa, est à la hauteur des ambitions de ses créateurs. Le volumineux ouvrage que nous proposent Jorge Wagensberg, directeur de CosmoCaixa, et les architectes Robert et Esteve Terradas, est à la fois le manifeste et la mémoire d’un projet scientifique ambitieux, ouvert depuis 2004 à Barcelone, au pied du Tibidabo. Le livre est globalement organisé en deux grandes parties : la première, de la main de Jorge Wagensberg, définit dans ses détails la problématique de ce qu’il nomme la « muséologie totale »; la seconde, très largement illustrée de photographies des lieux et de plans et dessins du bâtiment et du chantier, donne au lecteur tous les détails de la conception architecturale. Entre les deux, un entretien croisé entre le muséologue et les architectes vient appuyer la thèse centrale de l’ouvrage, inscrite en gros caractères sur la couverture : la nécessaire « conversation » entre architectes et muséologues. Le découpage peut sembler en contradiction avec la philosophie affirmée de dialogue entre fond et forme, contenu et contenant, mais à la lecture, ce plan simple permet de bien se rendre compte de la démarche originale qui a servi de fondement à l’aventure.
Jorge Wagensberg le précise non sans émotion dès ses premières lignes : c’est une chance unique, un « privilège invraisemblable » pour un concepteur de musée, de pouvoir, vingt ans après une première réalisation, recommencer un nouveau musée, en profitant des erreurs, des questionnements, de l’expérience de la première phase pour élaborer un projet correspondant à une vision vraiment novatrice de ce que peut être, de ce que doit être un musée de sciences du xxie siècle. L’auteur nous rappelle les trois éléments qui ont marqué cette chance incroyable : pouvoir accroître les surfaces d’un facteur dix, créer une architecture et une organisation des espaces intérieurs et extérieurs entièrement nouvelles, enfin, mettre en œuvre une muséographie inédite. Cette muséographie est sans conteste l’un des points forts du projet, et elle se devait de reposer sur quelques principes de base intangibles. Ce sont ces principes que développe Jorge Wagensberg en illustrant son propos d’exemples concrets pris dans l’exposition permanente, telles la vitrine hypercubique des outils, l’évolution de l’Homme ou la « forêt inondée » d’Amazonie. La « conversation » est le maître mot de l’affaire : conversation entre publics, muséologues, architectes et constructeurs. On sait bien la difficulté que représente cette démarche dans la conception de tout projet. L’organisation, les modes de fonctionnement et de pensée des uns et des autres viennent généralement freiner ce dialogue pourtant fécond. Jorge Wagensberg le reconnaît : il a fallu apprendre à travailler ensemble, à écouter les propositions de l’autre pour faire jaillir des idées nouvelles. L’art est présent dans ce schéma en tant qu’autre forme de savoir parallèle à la science, mais avec laquelle il peut à son tour dialoguer. « La science progresse, l’art progresse-t-il ? », se demande le muséologue, mais qu’importe, ce qui compte, c’est que sciences et arts s’entrechoquent pour donner lieu à de nouvelles créations.
À ces concepts de base s’ajoutent les compléments indispensables à un musée de sciences moderne : à côté des expositions permanentes et temporaires doit se développer un programme soutenu d’activités favorisant l’émergence d’une « opinion scientifique » : cours, conférences, séminaires, débats… Ainsi se dessine le programme sur lequel architectes et muséologues ont planché ensemble pour élaborer CosmoCaixa.
Reste toutefois une question subsidiaire dont les auteurs ne font pas mention : la présence d’objets authentiques, de témoins réels de l’avancée des sciences, de l’œuvre des scientifiques. La présentation de collections patrimoniales au sein d’expositions interactives ou à proximité d’éléments biologiques vivants n’est pas forcément aisée à mettre en place, mais faut-il pour autant, dans un projet à portée encyclopédique où le sensible joue un rôle important, éluder la question ?
La lecture des plans et des images de la seconde partie vient ensuite illustrer clairement la mise en œuvre de la problématique. Le « mur géologique » jaillit à la fois d’une réalité matérielle –— la présence d’un immense mur de soutien — et d’une idée née de rencontres avec un géologue brésilien. L’ascenseur initialement imaginé au centre de l’escalier hélicoïdal d’accès au musée cède un jour la place à l’« arbre de la vie ». Le principe adopté par les architectes Terradas d’implanter le bâtiment en creusant dans la colline fait naître l’idée d’une « Place des sciences » de trente mille m2 offerte à la population.
Comme toujours en pareil cas, sur certains points le lecteur restera un peu sur sa faim. Par exemple, on aimerait savoir, avec un tantinet de recul, comment les publics s’approprient cette connaissance, de même que les inévitables ratés qui ont dû émailler l’aventure, et dont, comme lors de la première phase du musée, les concepteurs ont appris à tirer les leçons. Qu’importe, au moment où d’autres « musées du xxie siècle » sont en préparation (je pense bien évidemment au musée des Confluences), l’expérience de CosmoCaixa est fondamentale, et cet ouvrage nous invite pertinemment à garder un œil critique sur les nouvelles réalisations comme sur nos propres pratiques.

Bruno Jacomy

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George Pólya, Les mathématiques et le raisonnement plausible, préface de Louis Couffignal,
traduit de l’anglais par Robert Vallée,
299 p., 60 euro, éditions Jean Gabay, Paris, 2008.

George Pólya, (1887-1985), célèbre mathématicien d’origine hongroise, enseigna à l’École polythechnique fédérale de Zurich et à l’université de Standford.Il s’est intéressé, entre autres, au problème de la découverte comme le firent, en mathématiques, Poincaré et Hadamard. Il publia Mathematics and plausible reasoning en 1954. La traduction française, parue en 1958 chez Gauthier-Villars, vient d’être rééditée chez Gabay.
On peut dire que cet ouvrage est consacré à l’art de deviner. Celui-ci, contrairement à une croyance trop répandue, est particulièrement utile en mathématiques. Avant de démontrer un théorème, il convient d’abord d’en trouver un premier énoncé qui, en général, ne sera pas définitif : deviner avant de prouver. Si l’attitude dite communément cartésienne paraît aller à l’encontre de ce préconise Pólya, c’est que l’on oublie l’importance que Descartes accordait à l’imagination.
La méthode que propose George Pólya est résumée par quelques lignes de sa préface de l’édition en langue anglaise : « Nous assurons la validité de nos connaissances par un raisonnement déductif, tandis que nous justifions nos hypothèses par des raisonnements plausibles ». Une telle démarche est valable en mathématiques, en physique, aussi bien que dans la recherche historique et l’investigation du détective.

Robert Vallée