Les mots tombés du ciel

Les nouveaux astres

La découverte des astres qui composent notre Univers sera la grande aventure des deux derniers siècles. Cette aventure prendra au moins trois chemins différents :
— L’innovation technique des télescopes modernes dominera le début de notre siècle, alliée à la technique photographique et à la spectroscopie. C’est en Californie que sera résolu le mystère de ce qui était pudiquement nommé nébuleuse. Le mot même de nébuleuse traduit bien les limitations qui empêchent les astronomes de distinguer davantage ! La plupart de ces nébuleuses, sont ces galaxies qui permettent de lire l’Univers dans toute son immensité. Parmi les nébuleuses, les astronomes découvriront également des berceaux d’étoiles entourés d’un gaz luminescent, qu’ils appelleront « régions Hll », ainsi que de vieilles étoiles baptisées « planétaires » par William Herschel, qui croyait deviner des systèmes solaires en voie de formation. Ils verront également des étoiles rassemblées par paquets de quelques dizaines, de milliers voire de millions, que l’on nomme « amas » ou « amas globulaires » pour ceux dont la forme régulière, quasi sphérique, évoque celle d’un petit globe.
— L’exploration d’autres domaines de longueurs d’ondes sera le fait marquant des années qui ont suivi la seconde guerre mondiale. L’astronomie de l’invisible dévoilera peu à peu un ciel que notre œil ne peut voir et utilisera pour cela des récepteurs sensibles au rayons infrarouges puis aux ondes radio. Les années 50 verront la naissance de l’astronomie en rayons X. Ces techniques font apparaître un ciel totalement insoupçonné. Des astres, invisibles auparavant seront découverts, d’autres déjà connus, deviendront aussi méconnaissables que le soleil vu aux rayons X. Un même astre redécouvert plusieurs fois portera plusieurs noms !
— L’astronomie spatiale, en hissant notre regard au‑dessus de l’atmosphère terrestre, prendra un véritable essor au cours des années 70 et permettra, entre autres, l’exploration méthodique du système solaire, et un cortège inédit de nouveaux noms de baptême.

Malgré l’adoption de noms génériques de plus en plus numérisables, la poésie courtoise, le sens de l’honneur ou de la métaphysique se retranchent dans un dernier carré. Il est amusant de constater à quel point les avancées nouvelles s’ancrent dans des héritages du passé. Comme les mentalités progressent moins vite, la précipitation dans un monde nouveau s’accompagne d’inquiétudes que l’on désire raisonner. Ainsi, les astronomes ont-ils baptisé « Doigt de Dieu » une association de milliers de galaxies dont la forme dans le ciel des grands télescopes modernes rappelle la représentation divine. D’autres structures du même type renvoient aux épopées de la science-fiction comme le « Grand Attracteur » ou déifie nos savants avec la « Croix d’Einstein ».

Parmi les astres qui se dévoilent, les galaxies tiennent l’avant scène de cette fin de siècle.
Au XVIIIe siècle, Charles Messier, insatiable chasseur de comètes, avait titubé sur des nébulosités qu’il prenait pour des comètes mais qui n’en étaient pas ! Afin de détourner les futurs astronomes de pareils errements, il décida de constituer un catalogue exhaustif en recensant tous ces objets indésirables devenus aujourd’hui les cent-quatre objets de Messier et classés de M1 à M104. Un siècle plus tard, William Herschel construisit le plus grand télescope de son temps et s’en fut explorer ces mystérieuses nébuleuses. Dans l’obscurité des froides nuits de l’Angleterre, muni d’un carnet à dessin et d’un crayon bien taillé, il fit de somptueux croquis de tout ce qu’il observait. La plaque photographique n’existant pas, l’œil de l’observateur devait témoigner avec le maximum d’objectivité.
Deux sortes de nébuleuses attirèrent d’abord son attention : des astres flous se présentant sous forme de nuages indécis ou d’un tourbillon de lumière, et des nébuleuses apparentées à des ronds de fumée avec parfois, au centre, une étoile brillante.
Avec les progrès de l’instrumentation et l’avènement des grands télescopes du XXe siècle, la nature de ces mystérieuses nébuleuses a pu être élucidée. L’astronome américain Edwin Hubble résolut cette énigme, et l’on sait aujourd’hui que ces énigmatiques nébuleuses sont des galaxies, ces Univers-îles dispersés par milliards dans l’immensité de I’Univers et qui, semblables à notre Voie lactée, contiennent des centaines de milliards d’étoiles.
Parmi les objets de Messier, on trouve des galaxies, et parmi les plus somptueuses, M31 la célèbre galaxie d’Andromède, M33, M101 et d’autres astres caractéristiques, aujourd’hui astres favoris des astronomes amateurs et les plus étudiés du ciel, en dépit de Messier, qui les vouait à l’oubli mais ont contribué à les sortir de I’anonymat.

La région de l’amas de la Vierge

L’astronomie moderne accorde une place importante à la constellation de la Vierge car dans cette région du ciel, les plus grands télescopes ont révélé le plus stupéfiant amas de galaxies qui soit. Situé à plus de cinquante millions d’années-lumière cet amas contient plus de deux mille cinq cents galaxies réunies par le jeu de l’attraction gravitationnelle. Cette région du ciel baptisée Royaume des nébuleuses, avait intrigué les premiers observateurs du ciel — dont Charles Messier. Que l’amas de la Vierge ne soit pas très éloigné dans le ciel du Doigt de Dieu me laisse perplexe. Mais cet état d’âme n’engage que moi.
Quelques objets de Messier, nichés au sein de l’amas de la Vierge, sont aujourd’hui de véritables célébrités parmi les galaxies. Citons M104, galaxie du Sombrero qui doit son sobriquet à sa forme caractéristique, et M87 un galaxie elliptique du cœur de laquelle semble jaillir un puissant jet électromagnétique radio. C’est également (devrais-je écrire forcément ?) dans la Vierge que brille le quasar le plus brillant du ciel 3C273 situé à la bagatelle de trois mille années-lumière de la Terre. Ces astres furent découverts par hasard, en 1965, alors que rien ne permettait de les distinguer des étoiles, pas même la formidable énergie qui s’en dégage. Dans quasar, on retrouve quasi­étoile, quant à 3C273, il pointe tout simplement la deux cent soixante-treizième source radio du troisième catalogue de l’observatoire de Cambridge, en Angleterre. Aujourd’hui, nous en connaissons des milliers et savons que les quasars sont situés au centre même des galaxies, et irradient une formidable énergie provenant d’un trou noir massif.
Toujours dans la Vierge, qui n’en finit pas d’étonner ses zélateurs se trouve Porrima (nom latin) l’une des plus remarquables étoiles doubles du ciel, tellement remarquable que l’éminent astronome Smith lui consacra un poème de vingt-deux stances intitulé « Adieu à l’étoile double gamma de la Vierge, en l’époque de 1858 ».

Supernovae et pulsars

Dès qu’un nouvel astre est découvert, il doit être nommé. La première phase consiste à délivrer une série de nombres et de lettres permettant d’identifier la nature de l’astre découvert, la date et son numéro d’ordre. Par suite, quand seront bien connues toutes les caractéristiques de l’astre nouveau, ce nom sera validé par l’Union astronomique internationale, seule habilitée à le faire.

Les supernovae qui résultent de l’explosion soudaine d’une grosse étoile, n’échappent pas à la règle. Par exemple, celle de 1987, découverte au Chili, à l’œil nu, par un astronome américain est connue sous le nom SN1987b, b désignant la deuxième supernova découverte cette année-là. Une supernova est l’un des phénomènes les plus saisissants du ciel. En quelques secondes une étoile ayant des dizaines de fois la masse du soleil implose et rebondit dans l’espace en dégageant une énergie aussi considérable que des milliards d’étoiles réunies. En 1054, les Chinois aperçurent, à leur grand étonnement, un astre nouveau qui dit‑on pouvait même être distingué en plein jour. C’est au XIXe siècle seulement que l’astronome irlandais lord Rosse (Willial Parsons, 1800-1867) identifia les débris de cet astre, présentant la forme de filaments lumineux ressemblant à des pinces de crabe. Depuis, la nébuleuse M1 (premier objet mis au monde par Messier au siècle précédent) est devenue la nébuleuse du Crabe.

Une fois le feu d’artifice achevé, il ne subsiste d’une supernova qu’un astre hyperdense, à peine plus gros que la Terre et qui tourne sur lui-même à parfois plus de mille tours chaque seconde en libérant dans l’espace un rayonnement radio intermittent, à la manière d’un phare.

Le premier pulsar fut découvert en 1967 dans la constellation du Renard par Jocelyn Bell, alors étudiante à l’université de Cambridge. Les péripéties de cette fabuleuse découverte et les polémiques alimentant l’attribution de sa paternité à l’astronome Martin Ryle, seul auquel fut décerné le prix Nobel de physique, ont été largement commentés depuis. Cet objet céleste s’est manifesté par une émission radio à pulsation régulière de 1,33 secondes. La régularité du phénomène amena certains astronomes à se demander s’ils ne venaient pas de capter pour la première fois un signal intelligent provenant d’une civilisation extraterrestre. Le pulsar fut d’abord désigné sous le nom de LGM, ceci  ni plus ni moins que l’acronyme de « Little Green Men » les petits hommes verts tant attendus ou redoutés selon chacun !
Notre prochaine chronique reviendra une dernière fois sur les acquis de la conquête spatiale de ces dernières décennies qui ont vu des centaines de noms de baptême attribués aux nouveaux satellites des planètes, ou aux détails les plus marquants de la topographie planétaire.

Bibliographie

Astronymie par André Le Bœuffle éd. Burillier, 1996.

Dictionary of Astronomical Names par Adrian Room, éd. Routledge, 1988.

Les Quasars par Daniel Kunth, coll. Dominos, éd. Flammarion,1998.

Le folklore de France : Le ciel, la nuit et les esprits de l’air par Paul Sébillot, Imago, Paris, 1982.