Chronique du Savant flou

Santos Dumont, pionnier de l’aviation, enfant subissait les railleries de ses petits copains quand, au jeu de « Pigeon vole ! », il levait invariablement le doigt à l’appel « Homme vole ! ».

Avis aux cloneurs : « Je crois volontiers que l’homme créera un jour l’homoncule, ou homme artificiel, mais pour l’amour du ciel, je le conjure de ne pas faire la même erreur que Dieu et de ne pas créer cet homme à son image. » Stanislaw Jerzy Lec, Nouvelles Pensées échevelées (Rivages, 200).

« (…) Sokal est venu nous le dire : vous, littérateurs, philosophes, essayistes, vous exagérez avec fractal, catastrophe ou exponentiel (mais déjà peut-être avec racine ou intégrale, différentielle ou groupe ?… Je me pose la question). (…) Je me rappelai un mot de Valéry, parmi cent : « La fonction de l’imaginaire est réelle. » Clin d’œil ; double jeu ; car tout le monde n’a pas été présenté à √-1, et les guillemets ne sont pas une excuse suffisante. Oui, ce sont des catachèses ! Mais qui abuse de quoi ? L’abus est premier. C’est le frayage de l’exception, ou figure qui fonde la règle, puis la loi. Après quoi, ce privilège est menacé d’abolition. Ou plutôt, qui a commencé ? N’est-ce pas le mathématicien ou le scientifique ? Car le matheux est un homme, et qui parle. Le mathème provient du poème ; la formule, de la langue. D’où viendraient-ils, sinon ? Soit fragment, fragile, fracture (frange ?) qui hantent fractal : l’air latin fait respirer la pensée du mathématicien. Il faut nommer la théorie. La science parle, et pense. Si la théorie connaît la gloire (Mandelbrot, Thom), l’éclat retombe sur ses mots : tout devient fractal et catastrophe pendant une génération. Aller et retour : mise en boucle. Ainsi va la pensée. Autrement dit, tout est courant de métaphoricités se ravitaillant les unes les autres. Transactions, biunivoques, d’origine. Commerce de comparaisons. Avant même de sténographier une théorie, la langue pensive l’inspire, la parle. Puis la vulgarisation de la pensée scientifique révèle des choses. Ça revient dans le lexique relesté, les discours, la doxa. » Ces lignes sont dues au poète Michel Deguy, dans Doubles jeux (Seuil, 2001), « fantaisies sur des mots mathématiques » proposées par une quarantaine d’écrivains sous la houlette de Stella Baruk, salubre entreprise de retournement — et non de détournement — de la terminologie mathématique.

Prenons la science au pied de la lettre (pour initiés) :
— Einstein : Il ne fait pas de la quantique, mais ce qu’il mc2 toute évidence la relativité.
— Boltzmann : Le kT-schisme l’a rendu fou.

Pour sourire avec la science de façon moins docte, deux historiettes narrées par Henri Bergson dans son classique et très sérieux ouvrage Le rire (Félix Alcan, 1917, p. 45) : « Le mot d’une dame que l’astronome Cassini avait invitée à venir voir une éclipse de Lune et qui arriva en retard : “M. de Cassini voudra bien recommencer pour moi ?” Ou encore cette exclamation d’un personnage de Gondinet arrivant dans une ville et apprenant qu’il existe un volcan éteint aux environs : “Ils avaient un volcan et ils l’ont laissé s’éteindre !” »

Il n’est pas trop tard, hélas, pour revenir sur le branle-bas de combat suscité voici quelques mois par un article de génétique (A. Arnaiz-Villena & al., Human Immunology 62, pp. 889-900, sept. 2001) : les auteurs y étudiaient la variabilité génétique du complexe hla sur un échantillon de la population palestinienne et concluaient à l’existence d’une étroite parenté génétique entre Palestiniens et Juifs… Suite aux réactions indignées de nombreux lecteurs (de quel groupe ? devinez !), l’éditeur, Elsevier Science, l’un des grands du secteur, retira l’article de la version électronique en ligne du journal, et alla jusqu’à écrire à tous les abonnés de la version imprimée, chercheurs et bibliothèques, pour leur demander d’ignorer l’article incriminé « ou, mieux, de supprimer physiquement les pages correspondantes ». Envoyez la censure…

Mais les publications scientifiques montrent aussi des situations, de plus en plus fréquentes, où l’on souhaiterait, sinon une censure, du moins une certaine vigilance. Des fraudes grossières (affaires Schön et Ninov) se sont produites l’an dernier en physique, discipline qui prétendait être d’une rigueur la protégeant de telles dérives. Mais comment penser y remédier lorsqu’un membre d’une commission d’enquête sur ces cas appelle les co-auteurs, désormais souvent nombreux (jusqu’à plusieurs centaines en physique expérimentale des particules), des articles scientifiques à une plus grande responsabilité mutuelle, tout en admettant candidement que « nombre de publications ne sont jamais lues par une fraction importante de ceux qui les signent » — et en justifiant cette situation ? (George Trilling, « Co-authors are responsible too », Physics World 16/6 (juin 2003), p. 16).

Cette physique des particules, justement, atteint des échelles de coût qu’elle a le plus grand mal à justifier (la dizaine de milliards d’euros pour un grand accélérateur). Après avoir promis dans les années 50 des applications militaires encore plus puissantes que les bombes nucléaires, puis s’être réfugiée dans une justification mystico-culturelle (les grand accélérateurs comme « cathédrales modernes »), la voilà quelque peu en panne d’argumentaire. Heureusement, la très complexe « spectrométrie gamma ultra-bas bruit de fond » vient de se trouver une application majeure : permettre de dater les vins — sans ouvrir les bouteilles (Philippe Hubert, Bulletin de la Société française de Physique 139, mai 2003, p. 4). La présence dans le même périodique d’un article intitulé « La nature du vide, contribution à la fête de la science » ne saurait pour autant être interprétée de façon ironique.

Réactions offensées en Australie après la mise sur le marché par un fabricant chinois de téléphones portables aromatisés au cannabis. Mais est-il vraiment nécessaire de parfumer l’objet pour se droguer avec ?

Le Savant flou, au cours de son récent premier voyage dans l’hémisphère Austral, s’est émerveillé du spectacle des Nuages de Magellan, ces galaxies satellites de la nôtre, comme des lueurs laiteuses dans le ciel de nuit. Mais évidemment, Magellan ne les a pas plus découvertes que Christophe Colomb l’Amérique : bien des humains les avaient depuis longtemps observées. Comment donc les civilisations au sud de l’Équateur dénommaient-elles ces objets célestes ? Merci d’avance pour toute information à ce sujet.

Les astres ont toujours fait rêver, mais les instruments d’observation aussi. Sait-on que le fils qui naquit des amours aussi érudites que passionnées d’Héloïse et Abélard fut prénommé Astrolabe ?