Alliage | n°53-54 - Décembre 2003 Métallurgie - Art - Informatique 

Philippe Colin  : 

Métallurgie et textile, l’émergence de la transparence métallique

Plan

Texte intégral

Figure 1

« Le rire des Dieux retentit dans l’Olympe lorsque Héphaïstos (ou Vulcain) châtia Aphrodite, son épouse infidèle, en l’emprisonnant sur sa couche avec son amant Hadès (ou Mars), au moyen d’un filet métallique qu’il avait forgé… ».

L’utilisation de métal dans l’architecture, remonte à la plus haute antiquité : des agrafes en bronze du Parthénon (Ve siècle avant notre ère) aux tiges de fer de la coupole de Saint-Pierre de Rome (XVIe siècle), en passant par les renforts du fer forgé du péristyle de l’église Sainte-Geneviève à Paris (XVIIIe siècle). Mais il faut attendre le milieu du XIXe siècle pour que ce matériau soit utilisé à grande échelle, et de manière plus systématique, la structure métallique s’affiche alors de plus en plus comme symbole de progrès. Ce développement est inhérent d’une part, aux progrès technologiques, d’autre part, à des ingénieurs ou architectes novateurs. tel Viollet-le-Duc, et à des ingénieurs progressistes, tel Gustave Eiffel. Dans la réalisation de ce dernier pour l’Exposition universelle de 1889, à la fois la plus controversée et la plus admirée, la fameuse tour Eiffel, l’architecture en treillis métallique pèse sept mille tonnes, dont quarante de peinture antirouille, et constitue un véritable manifeste pour la construction métallique. Édités en 1872, les Entretiens sur l’architecture de Viollet-le-Duc auront une profonde influence sur les architectes à l’origine de l’Art nouveau. L’inauguration du Crystal Palace à Londres en 1851 pour ouvrir la première Exposition universelle avait marqué les débuts d’une nouvelle architecture. Pour la première fois en effet, on associait le verre et l’acier afin de construire un édifice transparent à partir de matériaux industriels.

Figure 2 : Escalier

Remplissage du garde-corps en Rhinoband DDO. Rénovation et mise en valeur du hall et de la cage d’escalier de l’Abbaye de Saint-Germain des Prés. Architectes : J. Calvela, M. Girousse, T. Mazellier.

Depuis, les architectes n’ont cessé de chercher la structure idéale : invisible, mais néanmoins capable de protéger la construction de la violence des éléments. Grâce au fer, puis à l’acier, il est devenu possible de réaliser des structures légères et élégantes, permettant d'envisager des façades, des toitures ou des planchers pratiquement transparents. La Lorraine, à la fin du XIXe siècle, participe activement à ces bouleversements techniques et industriels, et s’ouvre progressivement aux courants novateurs. Ce domaine industriel est en pleine expansion pour différentes raisons : l’annexion de la Moselle et de l’Alsace, après le traité de Francfort, a entraîné un afflux de capitaux qui permirent de nouveaux investissements, en particulier dans la métallurgie. Ainsi, le procédé Thomas, utilisé dès 1894, permit une meilleure exploitation de la minette lorraine, et de nouvelles mines, comme celle de Briey, furent ouvertes.

Au début du XXe siècle, les architectes adoptent  une nouvelle démarche analytique, faisant éclater la structure classique cubique. Ils jouent sur les lignes verticales et courbes offertes par ce support ductile. Le métal est aussi employé dans la ferronnerie architecturale, conçue et réalisée par Louis Majorelle, comme dans la villa Majorelle, 1901/1902, réalisée par l’architecte parisien Henri Sauvage. Cette remarquable villa, considérée lors de sa construction comme un véritable événement architectural, n’influencera pas le milieu nancéien. Mais elle prouve que la ferronnerie peut contribuer activement à l’unité architecturale d’un édifice. La même année, Lucien Weissenburger et Alexandre Mienville construisent à Nancy l’hôtel d’Angleterre et la brasserie Excelsior. La structure associe à nouveau béton armé et planchers métalliques. Elle est masquée par une enveloppe, à trame rigoureusement géométrique, évoquant les réalisations d’Otto Wagner à Vienne. La façade, récemment ravalée, est en parfait état. Cet édifice est l’un des derniers à s’inscrire dans le courant Art nouveau à Nancy, lequel s’est développé en architecture sur une quinzaine d’années.

Figure 3

Thierry Vide (Paris) réalise des sculptures monumentales en structures métalliques qui font également office d'éclairage public. La plupart de ces créations sont réalisées en tissus métalliques ou synthétiques, en tôles perforées etc...

En architecture, le concept de transparence recouvre les solutions architecturales les plus diverses, appliquées à des constructions très variées, où l’acier joue désormais souvent un rôle prédominant, et cela pour plusieurs raisons :

— facilité de mise en œuvre

— possibilités architecturales presque illimitées

— légèreté, donnant des structures plus esthétiques, plus élégantes.

— enfin, l’acier est entièrement recyclable.

La fin du XXe siècle voit le grand retour du métal dans l’architecture. Si le fer avait été à l’origine des bâtiments majeurs de la fin du XIXe siècle, l’acier, utilisé seul ou en combinaison avec d’autres matériaux, est présent dans les réalisations les plus stimulantes d’aujourd’hui : centre Pompidou, 1971/1977, architectes Renzo Piano et Richard Rogers ; rénovation de l’opéra de Lyon, 1986, architecte Jean Nouvel.

Le métal tissé et perforé

Figure 4

Métier à tisser le métal

Dans le domaine de la transparence, la terminologie de la langue française est au moins aussi riche que celle de la gamme des produits apportés par les professionnels du métal tissé et perforé. Sans rechercher aucune correspondance entre produits et applications présentés, en voici un abondant florilège, non exhaustif : filigranes, membranes, résilles, treillis, tissus, tamis, trames, mailles, filtres, tentures, rideaux, voiles, filets…

Figure 5

Tentures métalliques

À l’origine, les tissus métalliques ont été inventés pour les meuneries, papeteries et industries de la filtration. Ils furent réinventés pour l’architecture et le design en raison de leur attrait visuel dû à la réflexion lumineuse. Les toiles métalliques possèdent des propriétés dont on n’a pas fini de mesurer l’ampleur, ni d’élargir la variété pour répondre à de nouvelles demandes. Les champs d’applications architecturaux de ce produit, à l’origine destiné à l’industrie, ne cessent de s’élargir avec les tapis transporteurs. Leur entrée en force sur les façades des parkings aériens, où elles laissent passer l’air et la lumière tout en répondant à la sécurité des personnes et aux normes d’incendie, en est l’exemple le plus manifeste. Le créateur dispose d’une série de types de tissus extrêmement diversifiés. En effet, les différentes compositions de tissus constituent diverses familles permettant de multiples alternatives aux différents critères définis par les architectes et stylistes. Les dimensions du tissage, illimitées dans la longueur, atteignant huit mètres dans la largeur pour les tentures câblées et deux mètres pour les toiles métalliques, donnent au créateur une considérable liberté dans la conception de ses projets. Fruit d’un désir de transparence et de souplesse, voici une étoffe qui invite la lumière à appréhender finement la matière, à devenir scintillante, brillante ou argentée.

Fig. 6

Tissus métalliques, effet de moirage sur tissu métallique perforé.

Les tissus métalliques sont constitués de fils tréfilés d’un diamètre de vingt microns à dix millimètres. Le tissage, à lui seul, configure déjà le fil de façon intéressante, et cette configuration influe sur l’effet que produisent les surfaces du tissu métallique. La lumière artificielle ou naturelle qui se brise dans les structures du tissu, fait naître constamment de nouvelles réflexions et moirages, voulus ou involontaires, et les mailles métalliques permettent aussi de contrôler la luminosité.

Les fabricants offrent une gamme complète de fils disponibles dans plus de cent nuances, depuis les aciers inoxydables les plus courants jusqu’aux alliages réfractaires. Les câbles et fils de ces tissus sont en acier inoxydable nuances n°304, n°316 et n°316. Présence Métal propose des systèmes et des modes d’assemblage adaptés à chaque projet. Gantois, Gkd, Gondrexon, Haver et Bocker, Tissmetal, Saulas tissent les mailles. L’entrelacement offre une transition fluide entre reflet et lueur, délicatesse et protection, tel un voile au vent prêt à dessiner le contour d’une forme ou à servir de barrière. Pour les tentures, le choix du modèle détermine de façon essentielle la structure de la surface et son effet visuel. Chaque type de tissu peut être fabriqué selon différentes épaisseurs de fils, en fonction des exigences du projet. De concert avec le créateur, les tisseurs fabricants mettent au point des solutions individuelles liées à un projet défini, tant en ce qui concerne le choix du modèle de tissu que les possibilités de fixation et les éléments de montage.

Le métal tissé et perforé dans la haute couture

Du lamé proprement dit à la maille métal patiemment tissée, ou la broderie de paillettes métalliques, les créateurs ont utilisé le métal pour créer des ambiances. Paco Rabanne dans les années 60, a expérimenté les matériaux contemporains et présenté des collections de rhodoïd et métal dans son rythme du « Marteau sans Maître ». Puis ses collections se succèdent et cuir, métal et tissu tendent à devenir de plus en plus souples. Coco Chanel l’appelait le « Métallurgiste », il restera l’inventeur de la cotte de mailles, référence auprès de bon nombre de stylistes. Les grands couturiers, tels Thierry Mugler, Christian Lacroix, Jean-Charles Castelbajac, ont depuis mis en œuvre le métal et notamment le tissu métallique. Styliste et plasticienne Béatrice Gevedeau a utilisé des toiles de blindage (BG 50/40) en bronze, lors de sa collection de juin 2002, toile également utilisée dans l’industrie pour la réalisation de blindage électromagnétique de la carlingue des Airbus. Mais dans la haute couture, les toiles ne protégent absolument pas des coups de foudre…

Figure 7

Les grands couturiers ont depuis les années 60 mis en œuvre le métal et notamment le tissu métallique. Ici, une cape de Jean-Charles de Castelbajac

Figure 8

Sculpture de Clémence Van Lunen, l’artiste a utilisé de la toile métallique galvanisée n° 4, pour sa malléabilité et ses nombreux effets de moirage.

Le métal tissé et perforé dans l’architecture

Fig. 9

Tôles perforées à bords défléchis

Les toiles métalliques et tôles perforées peuvent être utilisées comme brise-soleil et font aussi office de brise-vent (elles laminent les flux d’air) dans des zones urbaines exposées ou à proximité des aéroports. Elles protègent contre l’effraction, et leur capacité à contenir les projectiles en cas d’explosion, tout en laissant passer le souffle d’air, intéresse aujourd’hui les concepteurs de bâtiments à risques. Elles sont souples et peuvent résister à des vents forts ou au poids de la neige. Elles sont pourtant assez rigides pour former d’une seule pièce et sans armature intermédiaire des pans de façades de plusieurs mètres de haut. Non inflammables, elles résistent à des températures voisines de 600°C. En inox, avec addition de molybdène ou d’autres alliages d’installation facile, elles ne subissent aucune corrosion, sont légères, et demandent très peu d’entretien. Souvent utilisées pour revêtir les façades et les tentures de plafonds, les toiles font paraître les surfaces légères et transparentes.

Figure 10 Grillage

Ce type de grillage servait à l’origine de surface criblante pour la granulométrie des matériaux. Il a été détourné comme remplissage de sécurité ou tout occultant résistant aux agressions.

L’ouverture de la maille, les diamètres de fil et le mode de tissage permettent une multitude de compositions. Ainsi, les possibilités d’application vont-elles des revêtements muraux aux plafonds cintrés et de tous types (grâce à sa facilité d’ondulation), de la scénographie de stands d’exposition aux revêtements intérieurs, d’une utilisation comme tissu mobile apte à la protection solaire et anti-effraction. La simplicité de la maille facilite l’assemblage. La longueur des lés est presque illimitée pour les câbles tissés (livrés en rouleaux). Les toiles peuvent ainsi cacher gicleurs, gaines d’aération ou dispositifs acoustiques, sans gêner leur fonctionnement. Elles peuvent être colorées par des peintures Epoxy (leur dimension est alors déterminée par celle des bains) et même sérigraphiées.

Il est juste, pour terminer, de rendre ici hommage au pionnier de l’intégration de la technologie à l’architecture, l’inventeur des panneaux de façades-rideaux, Jean Prouvé (1901-1984), né à Nancy. Il est l’homme de l’acier et de l’aluminium, le ferronnier d’art devenu styliste.

Pour citer cet article

Philippe Colin, « Métallurgie et textile, l’émergence de la transparence métallique », paru dans Alliage, n°53-54 - Décembre 2003, Métallurgie et textile, l’émergence de la transparence métallique, mis en ligne le 07 août 2012, URL : http://revel.unice.fr/alliage/index.html?id=3643.

Auteurs

Philippe Colin

Ingénieur HEI Lille E57, président du Conseil de la société Gantois (« Tout le métal tissé et perforé »)