La Chronique du Savant flou

Vers 1830, le jeune Victor Hugo, en plein romantisme, écrivait : « Le savant est d’un naturel étroit. Dans l’esprit du savant un coin seulement est éclairé, épaisses ténèbres partout ailleurs. Au fond de ces hommes utiles et spéciaux il y a presque toujours une antipathie incurable pour toutes les choses de sentiment, d’imagination, de foi, de poésie, d’art, de religion, c’est-à-dire pour tout le grand côté de l’humanité. Questionnez Laplace sur Mozart, Cuvier sur Raphaël, Arago sur Virgile, tous sur Jésus-Christ, et vous verrez quelle barbarie ! Dans l’intelligence limitée de l’homme, la science d’une chose n’est souvent que l’ignorance profonde de tout le reste. » Peu après, il rencontrait Arago, justement, et allait assouplir son opinion sur les savants (voir Muriel Toulotte, « De Géo à Démos, Victor Hugo et François Arago », Alliage26, p. ). Mais sommes-nous si sûrs qu’il avait entièrement tort ?

On trouve dans la grande Encyclopédie, à l’article satellite, la remarque désabusée suivante : « Nous ne connoissons point d’autres satellites que ceux de la Terre de Jupiter et de Saturne ; & il n’y a point lieu d’espérer que l’on en découvre d’autres, attendu qu’on a examiné  toutes les planètes avec les télescopes les plus longs et les meilleurs qu’il paroît possible de faire. Cependant il est douteux s’il n’y en a point un qui tourne autour de Vénus. » On connaissait alors les quatre satellites galiléens de Jupiter et cinq satellites de Saturne. On dénombre aujourd’hui plus de soixante satellites pour Jupiter, plus de cinquante pour Saturne, plus de vingt pour Uranus (et près de dix pour Neptune, encore inconnue à l’époque) — mais aucun autour de Vénus, deux autour de Mars et toujours un seul autour de la Terre (sans compter les artificiels).

Le Conseil général des Alpes-Maritimes vient de lancer un « Challenge Collège sans papier ». Le Savant flou a commencé par se réjouir d’une initiative semblant promettre l’intégration scolaire aux enfants étrangers en situation irrégulière, avant de réaliser qu’il s’agissait en fait d’une opération de promotion du tout-informatique (dont on sait au demeurant qu’il amplifie plutôt que de réduire la consommation de papier).

Les lecteurs d’Alliage, toujours avides de nouvelles initiatives en matière de culture scientifique devraient aller voir sur le net le site Symphony of Science (www.symphonyofscience.com/), du compositeur John Boswell. Il y propose des « initiations à la connaissance scientifique et à la philosophie sous forme musicale ». Plus précisément, on y voit nombre de vidéo-sketches en lipdub1 chanté d’interventions de scientifiques réputés (américains). On appréciera la portée épistémologique du projet à l’aune du refrain de la dernière production en date : « Science is the poetry of reality ».

On pourra ensuite se rincer les oreilles et les yeux en visionnant Ian Dury, excellent chanteur de rock anglais hélas disparu en 2000, dans son désopilant « There Ain’t Half Been Some Clever Bastards » dont nous extrayons ce couplet

« Einstein can’t be classed as witless

He claimed atoms were the littlest

When you did a bit of splittin’ness

Frightened everybody shitless »

(www.youtube.com/watch?v=CY83bpdXusc)

Une histoire vraie : un collègue, cherchant dans une très grande librairie du Nord l’excellent ouvrage de Bernard Pourprix, La fécondité des erreurs (Presses universitaires du Septentrion, 2003), qui porte sur l’histoire des idées dynamiques en physique au xixe siècle, ne le trouvant pas dans les rayons scientifiques, s’adresse à un vendeur qui finit par le dénicher au rayon maternité.

Qui croirait encore que la science est une pratique élitiste et artisanale pourra utilement réfléchir à la statistique suivante qui montre son échelle désormais industrielle jusque dans le secteur des mathématiques : ce sont environ 200.000 (oui, deux cent mille) théorèmes qui sont publiés chaque année (voir Claude Rosental, Weaving Self-Evidence. A Sociology of Logic, Princeton University Press, 2008).

Alliage offre un abonnement gratuit à qui expliquera dans ses colonnes la découverte suivante (www.couplebiomagnetique.org/). « Le Biomagnétisme médical ou Couple biomagnétique est une thérapie naturelle complémentaire découverte par le médecin Isaac Goiz, en 1988, qui utilise des paires d’aimants afin de rééquilibrer le pH de l’organisme. Selon le biomagnétisme médical, une bonne part des maladies, y compris le cancer et bien d’autres maladies complexes, sont associées aux altérations fondamentales du pH des organes internes et à la présence de virus, bactéries, champignons, parasites, toxines et autres facteurs nocifs. À la différence de la magnétothérapie et de la magnéto-acupuncture de ces dernières, le Couple biomagnétique utilise des paires d’aimants (positifs et négatifs) pour dépolariser les zones du corps déséquilibrées par des pathogènes ou autres facteurs, qui agissent en résonance vibrationnelle et énergétique. Ce système permet de détecter, diagnostiquer et corriger une anomalie avant même sa manifestation symptomatologique. C’est donc une thérapie non seulement curative, mais aussi préventive. »

« L’artiste, l’écrivain n’a pas besoin de savoir. Il lui suffit de faire. La signification de son entreprise se dessinera d’elle-même, sans passer par la conscience claire. De là, la nécessité de l’accompagnement critique. Il statue sur le sens d’une œuvre qui n’en a pas connaissance et ne peut le produire que dans cette ignorance. » Pierre Bergougnoux, Deux écrivains français, Fario, 2009, p. 34.

Execrcice : remplacer les mots « L’artiste, l’écrivain » par « Le chercheur, le scientifique » et montrer que l’assertion reste parfaitement valide.

« Il disait que dans cet empire (…), les hommes qui croyaient que la pensée était une connaissance désintéressée ne voyaient pas combien ils étaient intéressés à ce désintérêt. » Pascal Quignard, La Raison, Le Promeneur, 1990, p. 41.

Notes de bas de page numériques

1  À l’intention de ceux de nos lecteurs assez heureux pour avoir jusqu’ici échappé à la chose, indiquons qu’un lipdub (étymologiquement, quelque chose comme « doublage sur les lèvres ») est un clip vidéo chantant réalisée en playback et destiné à une diffusion sur internet ou autres réseaux.