Alliage | n°69 - Octobre 2011 Amateurs ? 

Edito : Amateurs de science, des curieux aux citoyens

p. 19-20

Texte intégral

1Ce numéro d’Alliage se propose d’éclairer la figure de l’amateur, qui fournit une grille d’analyse des rapports entre science, culture et société originale et éclairante. Elle fait désormais l’objet de travaux auxquels les pages qui suivent font écho. La question de l’existence et du rôle des amateurs de science offre la possibilité à la fois de confronter la science avec les formes reconnues de la culture (artistique, littéraire, etc.), de comprendre d’une façon inédite l’évolution historique des pratiques scientifiques et de réfléchir aux rapports de la science avec le corps social.

2Une activité de création ou de production ne peut revendiquer une dimension culturelle si elle reste intégralement aux mains de ses professionnels ; elle doit, pour être reconnue comme participant de la culture, connaître une série continue de médiations entre spécialistes et profanes. Si la musique fait sans contestation partie de la culture (qu’il s’agisse de musique savante ou populaire), c’est qu’à côté des compositeurs et interprètes de métier, il existe toute une gamme d’amateurs, allant de pianistes de haut niveau jusqu’aux gratteurs de guitare débutants, et aux simples auditeurs. Une caractérisation analogue vaudrait pour les arts plastiques ou la littérature.

3À cet égard, la science contemporaine est dans une situation des plus complexes. Dans certaines disciplines, en général d’origine ancienne, telles l’astronomie, l’entomologie, l’archéologie, la géologie, la paléontologie, tous domaines qui entretiennent un rapport étroit avec l’imaginaire collectif et la tradition culturelle (littéraire, artistique), la présence des amateurs est largement reconnue. On y trouve nombre d’associations d’amateurs, déployant sur le terrain une intense activité, souvent en liaison fructueuse avec les chercheurs. Une autre catégorie donne lieu à des activités ludiques ou de divertissement, au premier chef la mathématique, mais aussi plus récemment la chimie culinaire. D’autres disciplines, parmi les plus modernes, comme la physique des particules ou la biochimie, n’ont de longtemps guère permis aux non-professionnels de s’investir. Mais l’informatique comme d’autres domaines technoscientifiques contemporains, semble opérer un brouillage de la frontière même entre amateurisme et professionnalisme, comme le montre le développement des logiciels libres. S’ensuit l’apparition de nouvelles pratiques amateurs, au sein même de la science de pointe : projets scientifiques lourds utilisant la puissance informatique des particuliers (plateforme boinc, projets seti@Home, FightAids@Home, etc.) ou, mieux, leurs compétences personnelles sous forme de jeux vidéos scientifiques en ligne (GalaxyZoo, Foldit). Ces interactions entre la recherche professionnelle institutionnalisée et la recherche participative amateur ne vont pas sans poser de sérieux problèmes quant à la gratuité et à la propriété des connaissances scientifiques voire des innovations techniques ainsi produites — comme le montre, dans le cas de l’informatique, la confrontation entre partisans de l’open source et défenseurs des logiciels libres.

4C’est sans doute dans les champs correspondants aux sciences naturelles les plus directement impliquées dans la vie sociale que se développent les expériences les plus novatrices : la santé, avec le rôle croissant des associations de malades, l’environnement, etc. Il est donc nécessaire d’examiner le rapport entre les activités amateurs au sens classique, celles des curieux avec leur désir de connaissance, et les formes plus nouvelles d’intervention des profanes dans le champ technoscientifique, via leurs contributions innovantes et les débats ou même les actions militantes sur les nouvelles technologies et leurs impacts sociaux. Reste pour autant largement ouverte la question de la pertinence de la notion d’amateur dans les sciences sociales et humaines. Les réflexions proposées dans ce numéro permettent enfin de poser des questions cruciales quant à l’enseignement des sciences, par la confrontation entre les procédures de l’institution scolaire et les pratiques des associations para-éducatives. Elles ne sollicitent pas moins les institutions de culture scientifique (musées, ccsti, etc.) et devraient les inciter à développer des initiatives originales.

5Sans doute est-il temps de passer de la notion d’amateurisme, avec sa connotation quelque peu dépréciative, à celle d’amatorat, qui implique la reconnaissance d’un véritable statut.

Pour citer cet article

« Edito : Amateurs de science, des curieux aux citoyens », paru dans Alliage, n°69 - Octobre 2011, Edito : Amateurs de science, des curieux aux citoyens, mis en ligne le 16 juillet 2012, URL : http://revel.unice.fr/alliage/index.html?id=3231.