Alliage | n°72 - Novembre 2013 Technobuzz 

Hélène Lestage et Chantal Nedonchelle  : 

Innovation responsable

Plan

Texte intégral

En réponse aux sceptiques qui remettent en cause le caractère positif du progrès technique, aux désillusionnés qui s’inquiètent de ce que les chercheurs feront de l’humain et du monde avec ces technologies douteuses que sont les nanotechnologies, les biotechnologies, l’informatique ; aux incrédules, enfin qui tiennent ces innovations techniques pour des menaces ou des atteintes à la nature humaine, l’innovation se veut et se proclame désormais « responsable ». Dans une époque où la religion de l’innovation tend à remplacer le culte du progrès,1 « l’innovation responsable » est dans la bouche de tous les entrepreneurs, politiciens et technologues, elle est la star des rapports officiels qui traitent de la « gouvernance » de la technique. Celui de l’ambassade de France en Grande-Bretagne, « Science et technologie au Royaume-Uni » de juin 2011, qui a pour thème et pour titre « L’innovation responsable », reflète bien l’esprit d’une génération d’entrepreneurs qui a — dans une dialectique fine — intégré les critiques adressées à la science dans son ensemble et aux inventions technologiques en particulier.

L’association d’un terme désignant la mise sur le marché des inventions avec le concept de responsabilité qui relève de la morale et du droit engage-t-elle un véritable rapprochement des logiques économiques, éthiques et juridiques ? Et si tel est le cas, le mot d’ordre « innovation responsable » propose-t-il des alternatives de recherche visant des solutions durables, écologiques et éthiques ? Ou bien s’agit-il d’une formule rhétorique pour faire accepter des recherches par l’opinion publique, récolter des fonds, voire pour rassurer les consommateurs d’un futur marché supposé libre, décomplexé et source de juteux profits ?

L’innovation comme réponse

Quel poids donner à l’adjectif responsable dans l’expression « innovation responsable » ? À en juger d’après les définitions, cet adjectif semble avant tout faire référence à une réponse. L’innovation responsable est en effet présentée comme une réponse aux défis contemporains de la mondialisation, de la surpopulation, de la crise économique, sociale et énergétique. Xavier Pavie, chercheur-enseignant à l’essec (École supérieure des sciences économiques et commerciales), la définit

« comme une solution pérenne répondant à un besoin du client ; cette solution développée par une entreprise, une institution, un organisme, lui permet de croître profitablement en prenant néanmoins en compte, du mieux qu’elle peut, les possibles impacts à court, moyen et long termes sur les citoyens. »2

Dans un contexte commercial, l’innovation responsable conduit à réviser la relation traditionnelle entre fournisseurs et clients pour y introduire des considérations temporelles relatives au long terme. Alors que le marketing justifie traditionnellement l’innovation comme réponse à un besoin, il s’agit de prendre en compte les effets que peut entraîner cette réponse. Ainsi, l’expression désigne-t-elle la question du temps, ou plutôt de la durabilité comme un dimension nouvelle, un nouveau prisme pour promouvoir des innovations. L’innovation responsable est toujours présentée comme une solution, ce qui suppose la définition d’un problème. Mais quel est le problème ? Est-ce la durabilité des produits mis sur le marché ou est-ce le conflit entre le souci « de croître profitablement » qui anime la vie des entreprises et le souci du bien-être et de la santé des citoyens ? La définition propose à l’entreprise de concilier ces deux objectifs « du mieux qu’elle peut », suggérant ainsi que l’innovation responsable est une sorte de compromis plutôt qu’un objectif attirant ou séduisant.

Sortie du cadre étroit des sciences économiques et commerciales, la définition proposée dans un rapport à la Commission européenne en 2011 donne-t-elle une vision plus positive de l’innovation responsable ? Tout en faisant référence aux problèmes contemporains, elle distingue deux faces :

« En tant que processus, la recherche et l’innovation responsables, cherchent à explorer ces dilemmes de manière réfléchie, inclusive et néanmoins pratique. Comme résultat, la recherche et l’innovation responsables cherchent à générer les bonnes solutions qui bénéficient au peuple, à la planète, et au profit. »3

L’idée de conciliation d’intérêts divergents est bien au cœur du concept d’innovation responsable. Mais prétendre réconcilier « peuple, planète et profit », est-ce une douce utopie ou une démarche responsable ?

Vers une éthique de l’innovation ?

De la notion morale ou juridique de responsabilité, qui renvoie traditionnellement à un acte réfléchi, impliquant un engagement à répondre de ses actions, que retient-on ? Dans le nuage de mots entourant « innovation responsable » on trouve surtout des notions relatives à l’engagement du public (autre mot à la mode, qui fait l’objet d’un article dans ce numéro) et à la société des risques. Toutefois, le contenu du rapport démontre que l’innovation responsable est aussi associée à des notions comme bonnes pratiques, code de conduite… S’agirait-il d’une introduction de l’éthique dans le monde des affaires et, dans ce cas, de quelle éthique ?

Figure 1: extrait de Hilary Sutcliffe:

A Report on Responsible Research & Innovation, p. 1

Veuillez retrouver les illustrations sur la version imprimée.

La définition de Xavier Pavie précise que l’innovation responsable est avant tout responsabilité vis-à-vis des générations futures, proches comme lointaines. L’innovation responsable pose ainsi la question de notre rapport au futur. Or cette notion de responsabilité à l’égard de l’avenir a été introduite par le philosophe Hans Jonas. Considérant que notre technique dépassait par son ampleur et ses effets irréversibles, cumulatifs les risques qu’avait connus auparavant l’humanité, Jonas invitait à tenter de maîtriser cette puissance de la technique par un appel à l’éthique.4 Afin de protéger nos descendants des conséquences de nos choix technologiques, il faut donner un poids authentique au futur au lieu de s’enfermer dans un présent répétitif. Jonas élargit donc la notion traditionnelle de responsabilité, dont la finalité était essentiellement réparatrice, à une responsabilité à l’égard de l’avenir de la vie sur terre.

Cette vision nouvelle de la responsabilité s’est progressivement développée en raison d’une hypersensibilisation aux risques et se trouve aujourd’hui traduite, dans le droit communautaire comme dans notre droit positif, sous la forme du principe de précaution. En effet, à la notion classique de responsabilité comme réparation d’un dommage, il substitue une démarche à la fois préventive et punitive.

Le mot d’ordre « innovation responsable » serait-il le moyen mis en place pour répondre à l’exigence que formule Jonas vis-à-vis de l’avenir ? Serait-ce une attitude de précaution ? Bien plutôt une volonté de prise en compte des conséquences futures de l’avancée technologique. La démarche d’innovation responsable se concrétise dans les programmes d’étude d’impacts : il s’agit des impacts environnementaux ou sanitaires (ehs pour Environment, Health, Safety), ou des impacts éthiques, juridiques et sociétaux (elsi pour Ethical, Legal, Societal Implications). Ces programmes, mis en place pour la génomique, ont été repris dans les initiatives de nanotechnologies et biotechnologies. Ils consistent à réfléchir en amont — soit à anticiper — aux conséquences de la future diffusion des nouvelles technologies, à travers des essais expérimentaux, des simulations par ordinateur, des scénarios fictifs comme des sortes d’expériences de pensée. Il en résulte une liste de problèmes soigneusement formulés, consignés et répétés ad libitum dans les rapports pour donner une impression qu’on maîtrise, que tout est sous contrôle. Bref, on est plus près des démarches de prospective industrielle ou commerciale que de la responsabilité jonassienne à l’égard de l’avenir.

Regards vers l’avenir

Ces démarches d’innovation responsable supposent le pouvoir de rendre l’avenir présent. Sur les décombres de la croyance au progrès, aux lendemains qui chantent, elles s’inscrivent dans le cadre de la « société du risque ».5 Aucune technique n’est inconditionnellement bonne, toute innovation a des revers. La culture réflexive nous oriente vers l’appréciation des coûts et bénéfices. Mais plus encore, les slogans d’innovation responsable pointent vers un problème plus aigu résultant de la prise de conscience des incertitudes radicales auxquelles nous confrontent les biotechnologies, comme les nanotechnologies. Sachant que nous ne savons rien ou presque des interactions possibles de ces nouveaux objets techniques avec les vivants et l’environnement, on cherche par tous les moyens à réduire les incertitudes en risques dont on peut évaluer la probabilité et donc tenter de prévenir ou de minimiser ou, au pire, auxquels on peut se préparer.

Anticiper l’avenir c’est en réalité le construire, et déjà l’habiter, le coloniser pour tenter de le contrôler et de réduire les contingences. Pensons aux feuilles de route roadmaps, ces calendriers précis pour les recherches à mener, qui spécifient avant même le début du travail les résultats attendus… Bien entendu, personne ne croit aux roadmaps, pas même ceux à qui elles sont destinées ! Lorsque Ray Kurzweil,6 en 1999, affirmait qu’en 2020 nos ordinateurs auront dépassé la capacité du cerveau humain, qui pensait-il convaincre ? À vrai dire, sans doute personne : l’important résidant dans la portée performative du discours. Même si l’on n’y croit pas, il a un effet sur l’avenir, il l'oriente dans une direction prédéterminée en excluant d’autres voies possibles.

Les démarches mises en œuvre par le Center For Responsible Nanotechnology (crn) offrent une caricature de la volonté de confiscation de l’avenir. Cette agence fondée par quelques champions des nanotechnologies sur la côte ouest des États-Unis, propose au public des visions de ce que sera le monde avec les nanotechnologies.7 Ces scénarios sont exposés sous forme narrative au présent, et s’offrent comme la réponse à — ou une conséquence de — la pression, l’urgence sociale et politique de penser le développement des nanotechnologies : l’objectif de cette agence est d’offrir des « histoires » plausibles, logiques et compréhensibles, qui sont censées illustrer la conscience de la réalité des défis que doivent relever les technologies de pointe pour contrôler leur impact sur l’environnement ; aussi ces scénarios anticipent-ils des crises, toutes décrites comme inéluctables ou catastrophiques, et cependant comme par magie immédiatement résolues. Le crn

« a pour intention que ces scénarios fournissent un tremplin pour les discussions concernant les politiques sur la fabrication moléculaire et les réponses sociales. »

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L’agence fournit, à titre d’exemple et de démonstration imparable de cette attitude éminemment responsable, le scénario n° 5,8 lequel prédit qu’en 2015 ( !), alors même que la ville de Singapour « subit une panne d’eau » (rien de moins !), une méthode révolutionnaire de fabrication moléculaire, pouvant produire des filtres d’eau en quantité désirée, « est découverte », ce qui permet à la cité de Singapour d’échapper de justesse à une catastrophe. Plus tard, d’ici 2020, cette méthode ayant été définitivement mise au point, il ne reste à résoudre que le problème de la régulation politique de la découverte : faudra-t-il ou non la régionaliser ou la globaliser ? Présenter cette question sur un forum, voilà donc ce qui constitue pour le crn une « innovation responsable »… Il est tenu pour acquis que l’industrie moléculaire comme son développement sont des réalités incontestables et donc incontournables. Une croyance implicite dans la réalité d’un avenir construit par les scénarios eux-mêmes sous-tend de la sorte ces discours.

Les ardents défenseurs des nanotechnologies n’ont pas le monopole de la réduction des avenirs contingents à un demain tout proche. Les programmes elsi agissent de même : ils posent l’existence des nanotechnologies comme inéluctable sous prétexte d’anticiper leurs possibles conséquences. En particulier, ces programmes témoignent d’une prédilection particulière pour des applications futuristes telle la création de transhumains, ou d’une humanité augmentée. Ces scénarios d’éthique spéculative confèrent un caractère presque réel et inéluctable à des perspectives au demeurant assez fantaisistes. La mise en place et l’exposition de ces scénarios pose alors le problème de leur crédibilité. Ces constructions imaginaires et fantaisistes peuvent être prises pour argent comptant.9 Tel est l’effet pervers de la démarche elsi : des promesses de pure rhétorique faites par les lanceurs de nanotechnologies sont perçues comme des réalités vers lesquelles doivent converger tous les efforts de recherche des dix ans à venir. 

Finalement, si le scénario tire son pouvoir stratégique de sa force narrative, c’est que l’imagination en est la composante essentielle. Or, attribuer un tel rôle éthique à l’imagination est une véritable gageure. Pour le dire autrement, la manœuvre consistant à faire fusionner l’imagination et l’idée de responsabilité pour « responsabiliser » les nanotechnologies conduit précisément à des comportements irresponsables. Car dans l’effort pour anticiper sur les impacts à venir et se préparer à répondre à toutes les éventualités, on use du raisonnement déductif « si… alors ». Mais les mesures envisagées dans la principale « alors » tendent à conférer un poids de réalité aux scénarios les plus fantaisistes envisagés dans la conditionnelle « si ». En revanche, une bonne façon d’utiliser la méthode des scénarios serait de rouvrir les choix possibles, qu’ils soient d’ordre social, environnemental ou politique, alors que le cnr présente les nanotechnologies comme la seule réponse possible et efficace, et focalise sur les applications, ce qui dispense de s’interroger sur les implications.

Ray Kurzweil a lancé comme slogan de la Singularity University, école d'été qu’il a fondée sur la côte Ouest, la formule suivante : « The best way to anticipate the future is to make it » (le meilleur moyen d’anticiper l’avenir est de le fabriquer), ce qui résume parfaitement le rapport actuel et l'attention accordée par la technoscience à l’avenir. Ce dernier est devenu un lieu de ressources à exploiter. Les technologues remplacent aujourd’hui les voyants et les médiums d’hier : ils sont nos nouveaux messagers de l’au-delà. L’omniprésence du futur dans les technosciences permet paradoxalement de faire durer le présent en le projetant dans le futur, c’est pourquoi l’on peut sans peine parler d'une « présentification » de celui-ci : alors que le principe de responsabilité de Hans Jonas signifiait qu’un engagement dans la durée est pris avec les générations futures, les solutions technoscientifiques isolent précisément le futur en le détachant du présent.

Contourner le droit ?

La notion de responsabilité vis-à-vis de l’avenir commence à peine à se dessiner qu’elle se voit dévoyée par des slogans visant à s’en affranchir plus ou moins délibérément. En effet, on peut légitimement se demander si le buzzword d’« innovation responsable » n’a pas pour fonction d’atténuer les conséquences juridiques, politiques et économiques du principe de précaution, lequel avait été progressivement mis en place pour déjouer les visées néolibérales d’un développement débridé de la technologie.

Ce principe, modulé sous diverses versions, fortes ou faibles, a suscité maints débats au cours des dernières décennies, et fait encore l’objet de nombreuses attaques après son inscription dans la constitution française.10 Une partie des critiques révèle qu’il est perçu comme une entrave du politique et du juridique dans un monde néolibéral. En réalité, comme le souligne le philosophe Dominique Lecourt,

« ce principe de précaution ne pourrait-il avoir un sens opposé à l’idée ultra-libérale que la politique serait perturbation, parasitage du libre jeu de lois économiques, en définitive toutes bénéfiques ? »11

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Les appels à l’innovation responsable ne viendraient-ils pas à point nommé contrecarrer ce principe de droit devenu trop encombrant, parce qu’il entrave le marché, en empêchant ses produits de circuler librement ? En effet, le slogan « innovation responsable » est généralement associé à un autre mot à la mode : gouvernance. Issu du milieu des entreprises, celui-ci désigne un style non hiérarchique, non contraignant, de management et d’organisation. Les relations de commandement, de contrôle et de sanctions cèdent la place à des démarches individuelles et volontaires d’auto-régulation. On joue ici sur un autre sens du mot « responsabilité » : à savoir la capacité de prendre une décision sans en référer préalablement à une autorité supérieure ou à une cause antérieure. Au lieu de faire appel à l’autorité d’un pouvoir central ou judiciaire, l’innovation responsable repose sur la définition d’objectifs à atteindre, de quelques principes qui guident l’action, assortis d’incitations. Ce système, régi par le jeu d’initiatives individuelles ou collectives, flexibles, informelles, toujours révisables constitue le soft law, un droit doux (ou mou) tout en contraste avec les duretés d’un principe juridique comme le principe de précaution gravé dans le marbre de la constitution. Le principe de précaution jugé trop rigide et trop cristallisé, devrait ainsi fondre (ou se sublimer) pour laisser la place à » l’innovation responsable » ! Ce mot d’ordre posé comme alternative au principe de précaution participe donc de la construction d’un monde qui dissout tout ce est rigide et solide (« tout ce qui est solide s’évapore », disait Marx) en exaltant la plasticité, la flexibilité. Tout principe, tout guide d’action est révisable, négociable. L’innovation responsable n’a pas obligation de résultats elle vise plutôt à entretenir un régime de conversation. C’est le système qui semble se dessiner dans le domaine des nanotechnologies, un domaine stratégique qui fait figure de test ou d’expérimentation sociale.12

Si l’on se réfère néanmoins à la notion traditionnelle de responsabilité, qui requiert un sujet libre, autonome, capable de répondre de ses actes, on peut soupçonner que le slogan d’innovation responsable élude précisément la possibilité d’imputation juridique. Qui oserait raisonnablement prétendre que l’innovation puisse répondre de ses actes ? À quel titre et qui serait alors le sujet de droit ? On voit mal comment l’on pourrait attraire l’innovation devant un quelconque tribunal civil ou pénal. Derrière ce substantif, disparait tout bonnement l’innovateur, l’industriel, l’agriculteur (ne parle-t-on pas également « d’agriculture raisonnée »), et par conséquent l’éventuel agent du dommage. Pur oubli de ceux qui ont forgé ce concept ou volonté consciente ou non de faire disparaître un éventuel « crime de bureau » environnemental… La revendication d’une innovation responsable, dont le procédé rhétorique ne surprend plus tant il est devenu naturel comme outil stratégique de communication, semble avoir pour effet d’aboutir à son parfait contraire, c’est-à-dire à la déresponsabilisation générale de ceux qui sont les décideurs.

Malheureusement, la grande tromperie du slogan « innovation responsable » pourrait être fatale à ceux, justement, qui cherchent à innover de manière responsable et ont la réelle volonté de proposer des alternatives en considérant dans leurs recherches les faits de notre époque. À cet égard, le documentaire de Coline Sarreau, « Solutions locales pour un désordre global », autour de l’agriculture, présente un point de vue intéressant, révélé dans le synopsis :

« Les films d'alertes et catastrophistes ont été tournés, ils ont eu leur utilité, mais maintenant il faut montrer qu'il existe des solutions, faire entendre les réflexions des paysans, des philosophes et économistes qui, tout en expliquant pourquoi notre modèle de société s'est embourbé dans la crise écologique, financière et politique que nous connaissons, inventent et expérimentent des alternatives. »

À la différence des projets affichant avec quelque cynisme s’engager dans la voie d’une « innovation responsable », ces alternatives auraient pour objectif de prendre en compte directement et immédiatement l’ensemble du processus de l’innovation, non pas dans un but exclusivement mercantile, mais en intégrant dans la recherche les aspects sociaux (économie, politique), humains et écologiques. De plus, pourrait être imaginée la mise en place d’une sorte de « principe de subsidiarité » permettant à un public de proposer également des solutions technologiques, dont le caractère sérieux aurait été préalablement établi, au lieu et place de la supposée information et éducation du public, pure et simple mystification pour faire croire à une participation démocratique. Le principe de précaution, dont l’efficacité juridique n’est plus à démontrer, malgré quelques errements justement dénoncés, servirait encore d’ultime garantie juridique à défaut d’être une morale provisoire. L’innovation déresponsabilisée s’effacerait alors devant les innovateurs responsables…

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Notes de bas de page numériques

1 Voir la définition proposée par l’ocde dans la troisième édition du manuel d'Oslo (2005) qui confond les deux termes : « On entend par innovation technologique de produit la mise au point/commercialisation d’un produit plus performant dans le but de fournir au consommateur des services objectivement nouveaux ou améliorés. Par innovation technologique de procédé, on entend la mise au point/adoption de méthodes de production ou de distribution nouvelles ou notablement améliorées. Elle peut faire intervenir des changements affectant – séparément ou simultanément – les matériels, les ressources humaines ou les méthodes de travail. »

2 Xavier Pavie, « Une innovation responsable ? », Constructif, n° 24, nov. 2009.http://www.constructif.fr/Article_44_81_612/Une_innovation_responsable.html

3 Hilary Sutcliffe, 2011 : A Report on Responsible Research & Innovation, p. 7.
http://ec.europa.eu/research/science-society/document_library/pdf_06/rri-report-hilary-sutcliffe_en.pdf (accès le 03.12.2012).

4 Hans Jonas, Das Prinzip Verantwortung,1979, trad fr. J. Greisch, Le principe responsabilité. Essai d’une éthique pour la civilisation technologique, Paris, Le Cerf, 1990. Eric Pommier, Hans Jonas et le Principe responsabilité, Paris puf, collection « philosophies », 2012.

5 Ulrich Beck, Risikogesellschaft, Suhrkamp, Frankfurt am Main, 1986 ; trad. fr. par Laure Bernardi, La société du risque. Sur la voie d’une autre modernité, Aubier, Paris, 2001. Anthony Giddens, Modernity and Self-Identity, Stanford University Press, Stanford, 1991.

6 Cofondateur d'Intel, auteur de programmes informatiques de traduction en braille et de livres sur le trans - et post - humanisme où il définit notamment un seuil à partir duquel nous serons affranchis des limites de l'espèce humaine, le point de singularité.

7 http://www.crnano.org/ctf-Scenarios.htm

8 Cf. http://www.crnano.org/ctf-Scenario5.htm

9 Alfred Nordmann, « If and Then : a Critique of Speculative Nanoethics », Nanoethics, 1, 2007, 31–46. Alfred Nordmann, Arie Rip « Mind the Gap Revisited », Nature Nanotechnology, may 2009, 273-74.

10 Voir Olivier Godard dir., Le principe de précaution dans la conduite des affaires humaines, éditions de la Maison des sciences de l’homme et éditions de l’inra, 1997. Marie Angèle Hermitte, « Principes de précaution et culture du risque », Alliage, n° 48-49, 95-99. opecst, Le principe de précaution : bilan quatre ans après sa constitutionnalisation. Audition publique du 1 octobre 2009.
http://www.senat.fr/rap/r09-025/r09-0250.html (accès le 15 janvier 2013).

11 Dominique Lecourt, « Le nucléaire est-il une question de société ? Heuristique de la peur », Intervention au Colloque Le nucléaire et le principe de précaution, 24 janvier 2006, http://www.fondation-res-publica.org/Le-nucleaire-est-il-une-question-de-societe-Heuristique-de-la-peur_a117.html (accès le 15 janvier 2013).

12 M. Kearnes & A. Rip, 2009, « The Emerging Governance Landscape of Nanotechnology », in S. Gammel, A. Lösch, A. Nordmann (eds), Jenseits von Regulierung: Zum politischen Umgang mit der Nanotechnologie, Berlin, Akademische Verlagsgesellschaft.

Pour citer cet article

Hélène Lestage et Chantal Nedonchelle , « Innovation responsable », paru dans Alliage, n°72 - Novembre 2013, Innovation responsable, mis en ligne le 19 février 2015, URL : http://revel.unice.fr/alliage/index.html?id=4168.

Auteurs

Hélène Lestage

Philosophe et historien des sciences, associé au Cetcopra. Dans le cadre d’un projet anr Nano-éthique-épistémologie, il a effectué un post-doc de novembre 2010 à novembre 2012 sur le thème de l’instrumentation à haut débit du diagnostic moléculaire et ses contextes pratiques et épistémologiques.

Chantal Nedonchelle

Avocate, étudiante du master 2 « socio-anthropologie des techniques » à l’université Paris-1 en 2013, titulaire d’un dea du droit de l’environnement à l’université de Paris-1, d’un certificat de sciences criminelles, d’un certificat de criminologie à l’université Paris-II.