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Souad Labidi  : 

Le viol dans Les Hommes qui marchent et Le siècle des sauterelles de Malika Mokeddem

Résumé

Dans la sphère littéraire des années 90, nous étudierons deux romans de l’auteure algérienne Malika Mokeddem. Elle est née à Béchar, dans le sud algérien, et a grandi dans le désert, c’est pourquoi cet espace marque la quasi-totalité de son œuvre. Nous comptons analyser ses deux premiers romans, Les Hommes qui marchent (Ramsay, 1990) et Le Siècle des sauterelles (Ramsay, 1992), en nous intéressant ici à la violence exercée sur le corps de la femme, spécialement, à l’acte du viol. Saâdia, le personnage du premier roman, comme Nedjma, le personnage du deuxième, ont subi toutes les deux ce drame dont les conséquences ont été considérables sur les plans corporel, émotionnel et surtout sur le devenir des deux victimes.

Index

Mots-clés : écriture , libération, Mokeddem (Malika), mort, viol

Géographique : Algérie

Chronologique : Période contemporaine

Plan

Texte intégral

1Parmi les multiples textes qui sont sur la scène littéraire algérienne des années quatre-vingt-dix, période de différentes mutations et bouleversements sur plusieurs plans, une grande quantité de récits rédigés par des femmes se consacrent à écrire l’extrême, autrement dit à représenter des expériences violentes, douloureuses et traumatiques. Ces expériences présentent la souffrance, le mal et l’insupportable, mais aussi l’ouverture, le questionnement et la libération de la femme. À travers différents genres, les écrivaines entreprennent de représenter et de raconter les maux subis à travers des mots. Les scènes de violence qui hantent ces romans traduisent l’impact sur la psyché et le devenir des femmes violées. Par ailleurs, avant d’évoquer le viol dans les deux romans Les Hommes qui marchent et Le Siècle des sauterelles de l’écrivaine algérienne Malika Mokeddem, nous jugeons utile de tracer l’histoire du viol dans l’écriture algérienne des années quatre-vingt-dix.

L’écriture du viol dans la littérature algérienne des années quatre-vingt-dix

2Les années quatre-vingt-dix ont permis aux écrivains, femmes et hommes confondus, d’écrire sur les violences sexuelles. Bien qu’elles soient présentes dans la société algérienne avant les événements douloureux de la « décennie noire », ce phénomène n’a pas fait l’objet propre d’une œuvre littéraire tout simplement puisque la société ne voulait ni les entendre ni même les reconnaître. Et c’est ainsi qu’elle a préféré les nier non pas par complicité mais par peur de détruire ses valeurs qui sont fondées sur la pudeur. Cependant si la société a pu longtemps dissimuler certaines pratiques injustes à l’égard de la femme, c’est elle-même qui a ouvert le champ devant les écrivains pour qu’ils puissent narrer, chacun à sa manière, ce qui se passe. Nous constatons chez ces auteurs un besoin impérieux, viscéral, de rendre visibles les horreurs vécues durant une période sanglante dans l’histoire algérienne. Nombreux sont les auteurs algériens qui ont souligné la nécessité d’écrire tout en étant conscients de la difficulté de dire l’indicible :

En ce temps-là, chaque jour m’apportait sa nouvelle luisante de suie […], sa nouvelle de mort […], une mort en somme si proche qui giclait, en un éclair, ses hideux détails, sa violence invraisemblable […]. En ce temps-là… pourquoi l’évoquer et pourquoi prendre la plume : désespoir de survivre, dégoût de parler et de dire ?... Mais d’écrire1 ?

3À l’instar d’Assia Djebar, Rachid Boudjedra souligne également cette difficulté d’écrire toutes les cruautés :

Parfois, écrire les mots sur la page blanche fait prendre conscience de leur incapacité à dire la cruauté des choses et du monde. Ils en deviennent indécents, obscènes, odieux, inutiles. Juste un fatras de gribouillages venimeux, vipérins. […] Juste une façon de ne pas avoir peur, de ne pas trahir sa propre conscience toujours leste à déserter, […] à regarder passer le réel, filer la réalité comme un spectateur gêné par la médiocrité d’un interprète qui n’a pas le sens de la fluidité musicale. […] Mais non ! Il n’est pas question de laisser sa main rester inerte devant ce cataclysme, ce fatalisme, qui mène tout droit à l’abattoir. […] Parce que seul le silence est haïssable dans ces cas-là. Dire, épeler, nommer les choses par leur nom est la seule attitude capable de calmer cette affreuse démangeaison au niveau du cortex, parce que les mots non-dits peuvent macérer, pourrir, tourner comme du mauvais lait, noircir très vite comme du mauvais sang2.

4Ce sont les conditions des années quatre-vingt-dix qui ont donné naissance à une littérature explicitement liée à ce qui est nommé « tragédie algérienne », « décennie noire » ou encore « décennie sanglante » qui a été surtout marquée par la violence. Ces années ont déclenché « la mise en mots » des violences sexuelles subies même dans le passé. C’est ainsi que Christiane Chaulet-Achour qualifie d’exceptionnel le témoignage de Louisette Ighilahriz dans l’ouvrage Algérienne3 puisqu’elle a réussi à dire son drame quarante ans après. C’est par ces propos que L. Ighilahriz confie sa douleur : « Mon corps était couvert d’ecchymoses. Mon pubis était rouge et enflé. De toute évidence, […], les traces de violence à mon encontre étaient manifestes4. » Louisette Ighilahriz n’est sortie de son silence qu’après avoir été assurée de ne pas porter atteinte à ses parents et surtout de ne pas les blesser. En évoquant son expérience douloureuse, elle savait déjà qu’elle allait être jugée et même déshonorée. C’est pourquoi elle a préféré garder le silence. C’est en cela que le sort des victimes de viol se ressemble : se taire et supporter seules la douleur infligée au corps et à l’âme.

5Les années quatre-vingt-dix arrivent avec un mouvement de renouveau sur tous les plans. « Cette précipitation de l’Histoire acculant la créatrice […] à dire le sang et les flammes de sa terre a, sans doute, aussi, des effets bénéfiques puisqu’il révèle certains talents et incite un plus grand nombre à écrire5. » Cette forme d’écriture est, selon Chaulet-Achour, une écriture prise dans l’urgence et non une écriture d’urgence puisque le terme ne désigne pas une « écriture bâclée élaborée dans la superficialité. Urgence, c’est l’obligation […] de dire et de témoigner6. » Le terme d’urgence est donc lié à l’immédiateté de témoigner et d’écrire sans écarter la création et l’esthétique littéraires.

6Cette littérature n’avait pas un caractère circonstanciel puisqu’elle ne s’est pas contentée de la présentation des événements marquants de cette époque douloureuse et agitée par les différents motifs socio-politiques, mais elle était sans doute une littérature de toutes les occasions puisqu’elle a réussi à persister loin de l’époque de son émergence. En effet, à travers l’écriture de la « décennie noire », un nombre important d’écrivains a brisé le silence pour dire ce qu’on n’avait pas osé dire quelques années plus tôt. Et à la faveur de ce changement de mentalité, ces écrivains ont choisi de se libérer en transgressant les normes scripturales et thématiques en abordant des sujets qui étaient restés longtemps tabous : la femme reconnue dans son corps, ses désirs et sa sexualité ; mais aussi la femme niée, victime de toutes les formes de violence. Le viol en particulier a pris la part du lion dans un grand nombre de récits.

Les choses ont été différentes dans les années 90 d’une part parce qu’il y a eu un vrai mouvement de la société civile représenté par les mouvements des femmes avec des procès symboliques des violeurs, d’autre part, parce que écrivains et écrivaines ont inscrit, dans leur trame narrative, cette réalité qui témoigne d’une évolution des mentalités en la matière7.

7Ce n’est qu’à partir de ces années de trouble mais aussi d’écriture émergente qui refuse de se taire que les écrivains ont eu l’occasion de dire dans la majorité de leurs textes des réalités douloureuses relatives aux différentes violences corporelles et spécialement celles qui sont liées au viol. Rose d’abîme8 d’Aissa Khelladi évoque un double viol : celui de la mère et de sa fille. Ce roman retrace l’histoire tragique de Khadidja, la mère, qui a été poussée par Mouloud son mari à dire la vérité sur leur passé. Dans la mémoire enflammée du mari se mélangent donc deux violences : celle de la résistance au colonialisme et celle des émeutes dans les rues d’Alger en 1988 qui ont engendré à leur tour une violence contre les femmes, des tortures et des viols individuels et collectifs. C’est ainsi que le viol d’aujourd’hui (celui de la fille) fait écho à ceux du passé (ceux de la mère) puisque Khadidja a été alternativement violée par des Français ensuite par l’un des siens, un combattant. Ces viols et leurs conséquences forment le sommet tragique du roman qui évolue lentement vers son dénouement : « l’horreur ne se dément pas mais sa répétition en corrode les aspérités et l’installe presque comme une banalité du quotidien9. » Mais ce qui attire l’attention c’est cette concentration sur le sort de la fille, Warda (« rose » en arabe), qui a subi le même destin douloureux que sa mère. Warda a été aussi enlevée puis violée par des intégristes :

L’homme était venu dans la grotte, seul. Il dut l’assommer pour la déshabiller et la prendre. […]
– Ne t’inquiète pas ma fille … Je suis ton frère en religion. […]
– Tout se passe bien ma sœur… laisse-toi faire.
Elle émergeait de sa scissure. Lentement. Il était sur elle, le visage énorme, déformé par les reflets de l’obscurité. Sa sueur, son souffle, sa barbe, son regard plus pâle que la nuit. Elle crut entendre une mouche bourdonner à ses oreilles.
Puis la déchirure reprit, la divisa, la démultiplia10.

8À partir de ce moment, le corps de Warda devient un objet sexuel à la portée de tous les intégristes rassemblés dans la grotte. Khelladi n’est pas le seul à écrire le drame de ces femmes victimes. D’autres écrivains à l’instar de Maïssa Bey dans plusieurs récits et de Rachid Boudjedra dans son dernier roman Printemps ont fait du viol une thématique essentielle de leur œuvre. Dans Sous le jasmin la nuit11, qui est un recueil de nouvelles, Maïssa Bey retrace une histoire de viol, celle d’une jeune fille rescapée des camps terroristes fanatiques et enceinte des viols collectifs. Au fil du récit, la victime se sent coupable de ce déshonneur qui a touché sa famille alors qu’elle n’y est pour rien : « Si mon père et mes frères étaient encore en vie, ils m’auraient tuée. Pour ne pas avoir à affronter le déshonneur… J’ai déshonoré ma famille12 ». Pour Boudjedra dans son dernier roman Printemps13 le viol de son personnage principal Teldj (« neige » en arabe) n’est qu’un prétexte pour fuir tout ce que dicte la société « Depuis mon viol, j’ai toujours voulu fuir14. » Elle a fui le traumatisme du viol, subi à sept ans, vers d’autres perspectives. Ainsi, Teldj est une jeune femme de trente ans, ancienne championne olympique et professeure de Lettres arabes à l’université. Elle est donc cultivée et distinguée. Son désir de fuir est peut être l’une des raisons qui ont fait d’elle une championne du 400 mètres haies. Elle a également trouvé refuge dans les livres et la science grâce à son père Salim, mathématicien et philosophe, qui a initié sa fille très tôt aux principes de sa religion, en lui inculquant les fondements de l’islam des Lumières qui fut d’abord tolérant avant d’être conquérant.

9À partir de ce parcours rapide des différents récits de viols, nous constatons que l’écriture des années quatre-vingt-dix a réellement levé le voile sur ce sujet jugé longtemps tabou. Ces récits représentent sous de multiples angles cette atteinte portée au corps de la femme. D’abord, pour Khelladi c’est la représentation du viol entre le passé et le présent. Il s’agit d’un acte de mémoire qui convoque les tourments de la période coloniale vécues par la mère et qui se reproduisent de la même manière avec la fille. C’est un semblant d’héritage double. Un héritage historique qui frappe l’Algérie : Violence coloniale et violence socio-politique à partir de l’année 1988. Et un autre de mère en fille, celle-ci hérite ce que sa mère a vécu il y a longtemps. C’est en fait une histoire de viol qui se perpétue. Ensuite, le viol pour Bey a une couverture religieuse, couverture indigne des plus basses des pulsions. Et enfin, pour Boudjedra c’était l’occasion pour dénoncer le viol comme acte pédophile puisque son personnage a été violé à l’âge de neuf ans par le boulanger de son quartier qui doit avoir l’âge de son père. Dire l’indicible est devenu dès lors une responsabilité collective de tous les auteurs de cette période, qui ont écrit pour briser le silence, chacun à sa manière et avec son style propre toutes les formes de violences exercées sur les femmes. Ecrire l’extrême chez les auteurs des années quatre-vingt-dix est aussi une manière d’interpeller les consciences et de faire agir les individus afin de mettre fin à ce genre de violences. C’est ainsi que Bey, dans son recueil de nouvelles, explique davantage cette prise de position contre le silence, sans pour autant négliger de souligner la complication de dire les choses ouvertement :

Voici des nouvelles d’Algérie. Nouvelles écrites en ce temps où le souffle de la mort taillade à vif la lumière de chaque matin. Textes écrits dans l’urgence de dire, la nécessité de donner la parole aux mots mais qui en même temps, je veux le croire, ne sont pas seulement une litanie de malheurs déclinée au quotidien, parce qu’écrits dans le désir de croire que tout est encore compréhensible, sans avoir toutefois la prétention de croire que j’ai compris. Pour pouvoir écrire ce livre, il m’a fallu un jour regarder en face ce que jusqu’alors je n’avais pu imaginer, non, même pas imaginer, sans peur et sans souffrance. J’ai dû alors lutter contre la tentation du silence, aller à la rencontre de ma peur, l’affronter et essayer de la faire plier sous le poids des mots. Expérience difficile s’il en est, que celle de trouver les mots pour dire l’indicible15.

10Par cette prise de position qui donne dans la majorité des textes « raison » à la femme victime, ces écrivains ; hommes et femmes confondus, dénoncent toutes pratiques inacceptables vis-à-vis de la femme et de son corps.

11Malika Mokeddem, qui fait partie de la nouvelle génération d’écrivains des années quatre-vingt-dix, ne fait pas exception et ne peut pas échapper à la nécessité d’écrire l’extrême. Ses deux premiers romans traitent du viol. Ce dernier ne se situe pas dans la tranche temporelle des années 90 mais dans la période coloniale. Dans Les Hommes qui marchent Mokeddem donne la parole à Saâdia, personnage féminin et victime de viol, pour dire ce qu’elle a subi ; tandis que pour son deuxième roman, Le Siècle des sauterelles, elle a confié la tâche à un narrateur extradiégétique pour narrer minutieusement tout ce qui s’est passé avant, pendant et après le viol.

Le viol de Saâdia : de la condamnation à la libération du corps

12Le mal vécu par Saâdia commence déjà avant cette histoire de viol. Sa belle-mère ne la laisse jamais se reposer. Elle lui demande souvent d’effectuer les travaux ménagers les plus difficiles :

Une autre infortune accablait Saâdia : l’hostilité de sa marâtre, Aicha. Personne ne comprenait pourquoi Aicha, par ailleurs une femme de toutes les générosités, détestait autant cette enfant, la reléguant au rang d’esclave dans sa propre famille16.

13La petite Saâdia a beaucoup souffert du manque d’affection. Ainsi, elle est incapable de vivre une enfance saine et équilibrée comme les autres enfants puisque personne ne veille sur ses besoins. Il lui arrivait même de voler pour se nourrir, « Alors qu’il y avait tant de richesses dans la ferme17 ! ». Cependant, le jour de son viol avait déjà annoncé de mauvais signes et la brisure de la cruche de la belle-mère, entre les mains de Saâdia, ne vient que pour les confirmer. La brisure du récipient nous fait penser à sa représentation dans les différentes cultures et civilisations. En effet, dans la culture traditionnelle algérienne sa brisure est de mauvais augure puisqu’elle annonce un malheur à venir. Cette croyance relative à la brisure de la cruche est partagée par plusieurs cultures car les contes du Moyen Âge présentent à ce titre deux analyses : celle de la cruche brisée, qui représente la perte de la virginité, et celle de la cruche comme contenant d’un liquide précieux à la vie (eau, lait) et que l’on doit rapporter après un grand effort (fontaine, traite) et que l’on doit obligatoirement protéger18. Cette représentation n’est pas uniquement limitée au domaine de la littérature puisqu’il y a un autre domaine qui fait également de la cruche un emblème de la virginité : la peinture. Cette dernière présente à travers le tableau de Jean-Baptiste Greuze La cruche brisée (1772 ou 1773) l’image d’une jeune fille qui revient des champs et qui à la fontaine ne peut remplir sa cruche brisée.

Son corsage a été butiné, ses cheveux s’échappent de sa coiffure, le rouge est monté à ses joues, un téton dépasse de sa voilette et une fleur a même glissé dans son corsage. Cette interprétation de la défloraison est confirmée par la position des mains de la jeune fille qui semblent cacher son sexe. La cruche, réceptacle est brisée, comme l’intimité de cette jeune fille qui revient des champs19.

14Ce parallélisme entre littérature et peinture confirme déjà une conformité de visions et de représentations, vis-à-vis de la brisure de la cruche et la virginité, entre différentes cultures. Cette symbolique partagée par tous est donc universelle. Et c’est ainsi qu’après l’incident Saâdia a préféré quitter la maison et se sauver pour fuir la punition de sa marâtre tout en étant certaine que son malheur n’était pas fini : « Mais ce petit matin encore immobile inaugurait une journée funeste. Fuyant la haine, Saâdia tomba dans la violence et l’abjection20. »

15La journée funeste a été à son comble au moment du viol de Saâdia. Il est raconté par la victime quelques années après : « Des décennies plus tard, l’amertume et la colère se mêlaient encore dans ses yeux et dans sa voix quand elle évoquait la tragédie de ce jour21. » C’est ainsi que l’auteure lui donne la parole :

Je m’étais arrêtée à l’ombre d’un bosquet, au bord de l’oued Sidi Yahia. J’aimais bien cet endroit. Je m’y sentais à l’abri. En m’y rendant ce jour-là, je pris quelques fruits dans les champs. Assise au calme, l’oued chantant à mes pieds, je dégustais ma cueillette. Soudain, je vis surgir un homme. Il devait avoir l’âge de mon père. Il s’arrêta à une vingtaine de mètres de moi et me scruta. Il ne souriait pas, ne parlait pas. Il y avait quelque chose de sinistre en lui. Je me levais pour me sauver, mais mes jambes refusèrent d’obéir. La terreur me paralysait. Quand l’homme se remit à avancer vers moi, je trouvai la force de reculer de quelques pas. Mais il fendit l’air avec une rapidité surprenante pour un corps aussi lourd. Des mains velues me saisirent, me jetèrent à terre. Je me débattis. Crier vainement. J’étais trop loin. J’ai toujours été trop loin de tout. Il me viola. Plus que la douleur qui me déchira le ventre, c’est un sentiment de révolte et de honte qui me fut le plus insupportable. J’ai furieusement désiré la mort. Là, tout de suite22.

16Ce long passage s’ouvre sur une mise en scène du lieu du crime. La description de l’endroit démontre l’amour de Saâdia pour cet espace et sert de prétexte à la narration pour annoncer le pire. En effet, cette pause sous l’ombre d’un arbre n’est que momentanée puisque le désastre était proche. Ce lieu heureux devient en une fraction de seconde le lieu du crime, Celui-ci est introduit très rapidement par une phrase très courte « il me viola » ce qui témoigne d’une pudeur et d’un moment de vide où le langage n’est plus là. Même après plusieurs années il est difficile à Saâdia d’exprimer la douleur subie mais cet effondrement physique et psychique qui résulte de son traumatisme l’a laissée submergée par la honte. Sa vie n’a plus de valeur d’où son désir de mort. Saâdia sait bien que l’évocation crue de cette mise à mort qu’est le viol est difficile à supporter. Le retour aux souvenirs, aux origines du traumatisme reste toujours une souffrance. En effet, bien que le viol soit passé, ses séquelles resteront à jamais non seulement sur le corps mais surtout dans la psyché. Ce mal l’accompagnera pour toujours.

17Ce souvenir amer du moment du viol donne à lire la grande souffrance de la victime. Son viol est introduit dans la narration par sa propre parole car il est difficile de pouvoir mettre en mots ce qui est dur également à vivre. Mettre en texte le viol dans les œuvres littéraires est difficile comme le confirme Christiane Chaulet-Achour :

Dans les œuvres littéraires hantées par la question du viol, la mise en texte de ce crime est difficile à mettre […] en mots. Commencer à y travailler c’est participer à l’histoire du viol dont Georges Vigarello affirme qu’elle « n’est pas écrite », première phrase de sa remarquable étude23.

18Effectivement, référer au moment du viol est très pénible. Comment une femme victime peut-elle témoigner de la réalité du drame qu’elle a traversé ? Le viol est un acte criminel à caractère sexuel et il est surtout une tentative de mise à mort, que Mokeddem nomme « tragédie » puisqu’elle représente une action pathétique liée à la présence d’une puissance qui domine le personnage et sur laquelle celui-ci n’a pas de contrôle. D’après Henri Gouhier « il y a tragédie par la présence d’une transcendance, quelle que soit cette transcendance24. » Cette dernière peut être figurée par une passion, par une divinité ou par des valeurs sociales imposées. L’écriture du viol est constituée de ce que Jean-Marie Domenach appelle « le matériau ordinaire de la tragédie […], la souffrance, le deuil, les larmes25. » Ce matériau engendre la déchéance et la perte du personnage féminin. La tragédie condamne l’être, Saâdia ici, à une existence fermée, sans issue et s’il tente de combattre c’est en pure perte : il n’a pas de contrôle sur ce qui se passe, sur les événements, sur les autres, il ne peut pas agir sur eux ; ce sont plutôt eux qui ont le pouvoir sur lui. Et c’est dans cette impuissance devant un pouvoir supérieur qui décide du sort d’un sujet victime de violence l’essence même du tragique. Vigarello ne limite pas l’histoire du viol au simple fait de brutalité ou de violence corporelle puisque selon lui il s’agit d’ « un entremêlement complexe entre le corps, le regard, la morale26 ». La victime préfère s’effacer, se nier dans son identité puisqu’on a porté atteinte à son intimité la plus profonde, et elle se trouve condamnée plus que le violeur. La femme n’est plus victime mais elle est « avilie, le mal subi la contamine27 ». C’est justement ce qui s’est passé avec Saâdia qui est victime d’une violence physique mais la société l’a jugée coupable et l’a condamnée à vivre des années dans l’enfermement puisque, d’après les médisances, Saâdia n’est plus une femme honorable mais elle est plutôt « une traînée » qui peut présenter un danger sur les jeunes filles du village, c’est pourquoi les villageois ont décidé de son sort et ont prévu de la mettre dans une maison close.

19Si la narration semble vite orientée vers la petite, la victime brisée et hébétée, par la vue du sang qui maculait sa robe, c’est que le violeur n’est plus évoqué après son méfait – « l’homme remit lentement de l’ordre dans sa tenue28 ». Par cette action lente de remettre de l’ordre dans ses vêtements pour les rendre adéquats à son statut social, le violeur est loin d’avoir pitié de la petite, victime de son acte. Son intérêt se limite au souci d’être correct dans les yeux des autres, un fait qui écarte toute considération pour les vraies valeurs de la société, qui devient par ce genre de comportement une société superficielle qui accorde plus d’attention à l’allure et à l’habit pour juger les individus. Le violeur de Saâdia se perd donc dans les labyrinthes du récit mais avant de disparaître à jamais il lui demande de ne pas bouger. Saâdia avait tout de suite compris qu’il s’apprêtait à la tuer alors, de toutes ses forces, elle fuit. « Et je compris aussi qu’il serait vain de quémander sa pitié. L’épouvante et le regain d’instinct de conservation propulsèrent mon corps. Je m’enfuis éperdument29. » La fuite était donc la première solution pour elle, qui avait deviné la condamnation de la société et a donc décidé de partir loin : « je voulais seulement fuir » ; car elle savait déjà ce qui l’attendait si elle revenait à la maison avec ce déshonneur dont elle n’était pas responsable : « comment revenir à la maison après ça ? On me tuerait. Pas de doute. Alors où aller ? » Dans sa tête, il n’y avait que cette idée de fuite puisque après le viol tout se confond. En effet, l’espace et le temps sont confondus dans ce moment où tout se mélange. « Alors où aller ? ». C’est ainsi que la victime est confrontée à l’innommable « après ça », le viol n’a plus de nom : il est désigné par le pronom « ça ». La mort est également au rendez-vous durant et après la tragédie.

20Cette première fuite est certes salvatrice mais elle a entraîné Saâdia dans un parcours très dur : même après la rencontre de Mahfoud qui l’a aidée à surmonter sa douleur et à essuyer ses larmes, elle n’a pas pu échapper à la loi impitoyable de la société. Une fois que Mahfoud, son sauveur, est mort, toute une société l’a jugée et condamnée à vivre quatorze ans dans un « bordel »

Les regards des hommes ne la lâchaient pas. Gras, rosses ou chassieux, ils ne pouvaient la meurtrir davantage. Saâdia était déjà brisée. Mahfoud ne viendrait pas. Jamais plus. […] Saâdia était déjà une traînée. On l’enferma donc au bordel. Elle n’avait pas treize ans. […] Saâdia ne connaîtra, pendant de longues années, que les bordels. Lieux d’incarcération du plaisir, tombeaux du désir30.

21Saâdia n’avait aucune chance de se défendre. Après avoir été confiée à la couturière qui doit confectionner les robes de son trousseau pour son mariage avec Mahfoud, elle se retrouve encore une fois devant un destin choisi par les autres et elle n’avait pas d’autre choix que d’obéir à ce qu’ils lui dictent. La société a jugé que cette fille devait quitter le douar puisqu’elle était devenue un mal risquant de contaminer d’autres filles. Saâdia est devenue aux yeux des autres une femme porteuse de danger qu’il faut absolument enfermer dans un bordel et humilier ; alors qu’elle n’est pas encore guérie du traumatisme de son viol, on vient lui infliger une autre punition. À treize ans et encore enfant, elle se trouve confrontée à cette injuste condamnation.

22Au bout de quatorze ans d’enfermement Saâdia quitte la maison close grâce au soutien de son médecin le docteur Vergne.

Un jour radieux. […] Un songe. […] Saâdia en était ivre. […] elle s’éloigna de la ville. Elle marcha longtemps, longtemps. Elle marcha pour éprouver charnellement, à chaque foulée, sa liberté31.

23C’est vers la liberté que Saâdia va courir à présent. Elle a commencé en premier lieu par conquérir son indépendance financière en ouvrant une blanchisserie et en gagnant de l’argent plus que tout autre Algérien de l’époque :

Sur les conseils de Vergne, Saâdia avait ouvert une blanchisserie. La première de la ville. Elle louait une maison dont elle avait aménagé une partie en lieu de travail. Vergne lui avait avancé les fonds pour lancer son entreprise. Il lui fournissait aussi une large clientèle : l’armée française, du troufion au plus gradé des convives du mess des officiers. Saâdia s’était mise à gagner plus d’argent qu’elle n’en avait jamais espéré. Plus qu’aucun autre Algérien en tout cas. Très vite, elle avait pu rembourser son ami et engager des employées32.

24À travers la trajectoire du personnage de Saâdia nous constatons une volonté et un désir de changement et de libération. Son viol était sans doute un crime qui a porté atteinte à son enfance et a également été un drame qui a bouleversé sa vie mais cela ne l’a pas empêchée d’avoir la conviction que les jours à venir seraient meilleurs. Cependant, si à un moment donné de sa vie elle a été condamnée à accepter l’enfermement dans une maison close ou encore les humiliations et les décisions des autres, c’est qu’elle a réussi quelques années après à forger une sorte de résistance, d’espoir qui l’a propulsée vers l’avant. La triste histoire de Saâdia est celle de la jeune femme qui ne perd pas l’espoir de retrouver sa liberté même si celle-ci rime parfois avec la mort : « Plutôt mourir que céder. La mort était certes la moins séduisante des libertés. Mais liberté tout de même33 ».

25C’est ainsi que la triste histoire de viol de la petite Saâdia devient un passage initiatique pour la jeune femme libre. L’évocation du souvenir de ce drame est certes douloureuse mais le personnage a réussi à dépasser ce traumatisme en se libérant corporellement puis psychologiquement par le récit, quelques années plus tard, du viol subi. Cette sorte de confession faite aux lecteurs par la victime est une délivrance du corps et d’esprit et également l’affirmation de sa liberté.

26Par une sorte de rhétorique du voilement l’auteure a essayé de glisser l’acte du viol en lui-même très timidement dans la narration. Mais au fur et à mesure que le récit progresse, il dévoile toutes les conséquences de cet acte indigne. Mokeddem a tenté de nous faire part des sentiments de la petite fille par le biais du monologue qui décrit les souvenirs dramatiques vécus dans le passé et le fait qu’elle fut jugée à tort et enfermée dans une maison close. Ainsi Malika Mokeddem, à travers les propos de Saâdia, la fille violée, prend la défense des femmes réprimées et maltraitées. Elle prend position également contre ces « violeurs » anonymes dans la fiction mais aussi dans la vie réelle qui vivent en paix alors que leurs victimes « paient » lourdement en sombrant malgré elles dans le déshonneur.

Le viol de Nedjma ou la mort de l’être

27Après avoir analysé l’acte du viol dans Les Hommes qui marchent, nous tenterons de voir comment Mokeddem a procédé pour écrire le viol dans Le siècle des sauterelles qui est un roman ponctué par des actes de violences dès le début ; ils sont fréquents dans la totalité du récit. Ainsi le viol de Nedjma (« étoile » en arabe) sous les yeux de sa fille inaugure la narration et constitue le point de départ de l’histoire.

28Contrairement au précédent roman, Le siècle des sauterelles nous présente la scène du viol d’une manière claire. C’est la voix narratrice qui assume la responsabilité de rapporter les faits. Nous pouvons suivre ce qui se passe et suivre la violence et la torture subie par Nedjma, cette femme métisse d’une beauté rare. Il est question de séquences narratives pour lesquelles Mokeddem utilise une écriture qui donne tout à voir directement. Grâce à la description minutieuse et aux différentes actions menées entre les trois personnages l’auteure insiste à la fois sur la violence en acte et sur les effets et les conséquences sur la victime. Cette description détaillée et crue des gestes faits et ce langage imagé permettent au lecteur une visualisation presque réelle des scènes d’horreur. Le passage est très long, il va de la page 14 jusqu’à la page 17. Il commence par décrire le lieu du viol. Ce dernier a comme décor le désert. Les auteurs du crime sont deux voyageurs étrangers. Ils étaient de passage à côté de la tente de la femme nomade qui attendait le retour de son mari. Ils avaient de l’audace et ont commencé par l’interroger sur ses origines, son mari, sa famille puis ils lui ont ordonné de découvrir son visage « Découvre ton visage ! Je veux te voir34 ! », et enfin ils lui ont demandé de leur préparer du thé :

Elle prépare le thé. Les hommes se taisent. Nedjma dépose devant eux la théière et les verres, puis recule. Le maigre se lève […]. Il s’empare d’un pain chaud, le coupe en deux et tend une moitié à son compagnon35.

29Les deux étrangers commencent par provoquer la femme qui affiche une totale indifférence à leur égard. Cette indifférence alimente l’occasion facile qui se présente aux deux hommes et dans ce décor de la soif et de nudité désertique, l’avidité du sexe est là comme une urgence. Peu importe la couleur de la peau de la femme du moment que les motifs sont là :

Ya sidi, elle a le verbe plein de feu, la drôlesse ! Mais ce n’est pas mauvais pour l’envie, ça ! Je l’aurais préférée blanche, évidemment. Blanche avec une gorge de lait, avec un mollet comme un pain de sucre. Ce n’est qu’une négresse. Mais pour des pauvres voyageurs tels que nous… T’es-tu déjà frotté à une Noire ? demande-t-il soudain à l’adresse de son acolyte36.

30Ces propos échangés entre les deux passagers introduisent déjà la scène de viol qui se déroule juste après. Mais avant de narrer le viol et son déroulement, la narration continue à baigner dans cette atmosphère qui annonce « la tragédie » :

Elle doit avoir le goût de gibier, une autre sauvagine. Ce disant, il s’avance doucement vers Nedjma. Elle recule. Il bondit, l’empoigne par l’encolure de sa robe et tire. Le tissu se déchire avec un bruit sec. Un bruit qui sonne comme un petit cri d’effroi. Aussitôt, surgit un sein rond qui pointe un gros mamelon cramoisi. L’homme en a le souffle coupé. Les bras lui en tombent. Nedjma en profite pour recouvrir la poitrine et faire un bond en arrière37.

31Le corps de Nedjma devient pour les deux passagers celui d’une proie qu’il faut absolument avoir. La déchirure de sa robe annonce déjà la brutalité et la violence qui vont suivre. Cette déchirure laisse apparaître une des parties intimes du corps et augure déjà d’une déchirure plus grave qui porte atteinte au corps et à l’âme. Le petit cri d’effroi de Nedjma ne trouve pas d’écho mais il trouve plutôt un prolongement à ce sentiment de peur. La peur du pire. La bestialité des deux intrus la nie comme être humain et comme personne, nie son existence et la réduit au rang d’« objet ». Nedjma implorait « l’autre homme » en le suppliant de demander à son compagnon d’arrêter mais en vain : « Je t’en prie ! Je t’en prie, dis-lui d’arrêter ! Implore-t-elle en se tournant vers l’autre, toujours assis à siroter son thé38 . » Viennent, ensuite, toutes les autres scènes pour décrire et relater ce qui se passe :

L’homme […] fond sur elle, la culbute et la cloue au sol. Nedjma se débat, crie, insulte, supplie, pleure, griffe. Rien n’y fait. Déjà d’une main, il achève de déchirer la robe, sur toute sa longueur. Son compère, jusqu’alors resté à l’écart comme hypnotisé par la scène, se lève et vient à son aide. Il s’agenouille à la tête de la femme. Enserrant les poignets d’une main, il se saisit de la fouta de l’autre. En deux temps, Nedjma se retrouve ligotée. Son compagnon est déjà sur elle. Dans un ultime sursaut de révolte, Nedjma dresse la tête et mord le bras gauche de l’homme et ne le lâche plus. Un hurlement de douleur vrille l’atmosphère. L’homme la gifle violemment, tente de dégager son bras. Le piège des dents ne se desserre pas. Les yeux de la femme sont terribles. Épouvante et fureur y mêlent leur violence. Du sang jaillit sous ses dents, souille ses lèvres. Des commissures, il coule vers la nuque39.

32Dans cet extrait et également dans tous les autres précédemment cités, l’auteure témoigne d’une grande solidarité avec la victime puisqu’elle nous dépeint fidèlement toutes ses réactions et nous laisse vivre et participer mentalement à la souffrance et à la résistance de la femme, qui essaie par tous les moyens de repousser le mal mais finit par être violée. Son corps est inerte, elle est morte :

La tête de Nedjma retombe en arrière. Ses yeux se révulsent. Sa bouche s’ouvre, enfin. […] Lorsque les hommes se relèvent enfin, Nedjma reste au sol, inerte, yeux exorbités, bouche maculée de sang40.

33La mort de Nedjma est la conséquence du refus de porter atteinte à son corps. Sa résistance témoigne de sa force et malgré son incapacité à repousser le drame, elle s’est battue jusqu’à son dernier souffle.

34 

35Il est intéressant de remarquer ici qu’écrire l’innommable, le « ça », est difficile. Puisque pour pouvoir trouver le langage qui l’exprime il a fallu attendre des décennies. Quand le silence dicte les lois, il est difficile de le rompre. Un silence qui se perpétue comme une tradition séculaire qui s’est imposée. Les femmes victimes de viol, dans les deux romans analysés, malgré les violences qu’elles ont subies, les humiliations, ne pouvaient pas raconter leur malheur. Évidemment, Saâdia n’a pu dire sa révolte qui bout en elle que des années plus tard. Nedjma ou l’étoile de Mahmoud n’a pas pu briller longtemps à cause de son assassinat par ses violeurs malgré l’amour de son mari. C’est ainsi que Mokeddem, comme un nombre important d’auteurs dans les années 90, a élevé la voix pour dire ce que ressent une femme déchirée.

36C’est ainsi que l’auteure narre les différents viols subis par les victimes. Elle a donné à Saâdia la parole pour extérioriser son traumatisme quelques années plus tard et a préféré garder la parole pour exprimer et présenter le viol de Nedjma. Cependant, ce qui retient l’attention c’est que les deux viols sont qualifiés de tragédie et de crime alors que les violeurs restent impunis. Dans la narration, Mokeddem a représenté ce qui se passe dans la vie réelle. En effet, la victime est obligée d’assumer sa honte seule puisqu’elle est le plus souvent considérée comme coupable tandis que l’auteur du viol reste sans punition. Le violeur est, en fait, libre et peut par conséquent refaire tous ses actes violents sans la moindre crainte du fait qu’il n’est jamais jugé ni par la victime, ni même par la société.

37Le corps violé est donc un corps qui ne parvient plus à sentir la vie en soi, un corps anesthésié, paralysé et mort. Le jour du traumatisme quelque chose de soi s’est définitivement retiré de l’être, de la femme victime. Le corps de Saâdia est resté frigide, sans amant ni mari, mais elle a choisi la libération dans une société traditionnelle conservatrice, dans laquelle la femme n’a de place que dans le foyer conjugal. Tandis que le corps de Nedjma refusant de subir le viol reste inerte à jamais.

Notes de bas de page numériques

1 Assia Djebar, Oran, langue morte, Arles, Actes Sud, 1997, pp. 71-73.

2 Rachid Boudjedra, FIS de la haine, Paris, Denoël, 1992, pp. 108-110.

3 Louizette Ighilahriz, Algérienne, récit recueilli par Anne Nivat, Fayard/Calmann-Lévy, 2001.

4 Louizette Ighilahriz, Algérienne, récit recueilli par Anne Nivat, op. cit., p. 118.

5 Christiane Chaulet-Achour, Noûn, Algérienne dans l’écriture, Biarritz, Atlantica, 1999, p. 49.

6 Christiane Chaulet-Achour, Noûn, Algérienne dans l’écriture, op. cit., p. 49.

7 Christiane Chaulet-Achour, « À propos du viol : le corps escamoté, in Sylvie Brodziak (dir.), Le corps à l’œuvre, Paris, Le Manuscrit-Université, 2007, p. 191.

8 Aïssa Khelladi, Rose d’abîme, Paris, Le Seuil, 1998.

9 Christiane Chaulet-Achour, « GLN, violence et société algérienne d’aujourd’hui : Aïssa Khelladi et Boualem Sansal », Francofonia, n°12, 2013, p. 49.

10 Aïssa Khelladi, Rose d’abîme, Paris, Le Seuil, 1998, p. 161.

11 Maïssa Bey, Sous le jasmin la nuit, La Tour-d’Aigues, L’Aube, 2004.

12 Maïssa Bey, Sous le jasmin la nuit, La Tour-d’Aigues, L’Aube, 2004, p. 109.

13 Rachid Boudjedra, Printemps, Paris, Grasset, 2014.

14 Rachid Boudjedra, Printemps, Paris, Grasset, 2014.

15 Maïssa Bey, Nouvelles d’Algérie, Paris, Grasset, 1998, pp. 11-13.

16 Malika Mokeddem, Les Hommes qui marchent, Paris, Grasset, 1990, p. 40.

17 Malika Mokeddem, Les Hommes qui marchent, Paris, Grasset, 1990, p. 40.

18 Par exemple le motif de la défloration donne aussi son titre à une pièce de Heinrich von Kleist, La cruche brisée (1806).

19 La cruche brisée, http://missionaulouvre.blogspot.fr/2010/04/la-cruche-brisee.html , consulté le 07/07/2014.

20 Malika Mokeddem, Les Hommes qui marchent, Paris, Grasset, 1990, p. 44.

21 Malika Mokeddem, Les Hommes qui marchent, Paris, Grasset, 1990, p. 44.

22 Malika Mokeddem, Les Hommes qui marchent, Paris, Grasset, 1990, pp. 44-45.

23 Christiane Chaulet-Achour, « À propos du viol : le corps escamoté », in Sylvie Brodziak (dir.), Le corps à l’œuvre, Paris, Le Manuscrit-Université, 2007, p. 193.

24 Henri Gouhier, Le théâtre et l’existence, cité par Paul Ricœur dans « Sur le tragique », Esprit, mars 1953, p. 455.

25 Jean-Marie Domenach, « Résurrection de la tragédie », Esprit, numéro spécial Notre théâtre : Théâtre moderne et public populaire, n° 338, mai 1965, p. 998.

26 Georges Vigarello, Histoire du viol, XVIe-XXe siècle, Paris, Le Seuil, 1998, p. 8.

27 Christiane Chaulet-Achour, « À propos du viol : le corps escamoté », op. cit., p. 193.

28 Malika Mokeddem, Les Hommes qui marchent, Paris, Grasset, 1990, p. 45.

29 Malika Mokeddem, Les Hommes qui marchent, Paris, Grasset, 1990, p. 45.

30 Malika Mokeddem, Les Hommes qui marchent, Paris, Grasset, 1990, p. 56.

31 Malika Mokeddem, Les Hommes qui marchent, Paris, Grasset, 1990, p. 66.

32 Malika Mokeddem, Les Hommes qui marchent, Paris, Grasset, 1990, p. 90.

33 Malika Mokeddem, Les Hommes qui marchent, Paris, Grasset, 1990, p. 64.

34 Malika Mokeddem, Le Siècle des sauterelles, Paris, Ramsay, 1992, p. 15.

35 Malika Mokeddem, Le Siècle des sauterelles, Paris, Ramsay, 1992, p. 15.

36 Malika Mokeddem, Le Siècle des sauterelles, Paris, Ramsay, 1992, p. 16.

37 Malika Mokeddem, Le Siècle des sauterelles, Paris, Ramsay, 1992, p. 16.

38 Malika Mokeddem, Le Siècle des sauterelles, Paris, Ramsay, 1992, p. 16.

39 Malika Mokeddem, Le Siècle des sauterelles, Paris, Ramsay, 1992, p. 17.

40 Malika Mokeddem, Le Siècle des sauterelles, Paris, Ramsay, 1992, p. 17.

Bibliographie

Corpus

Mokeddem Malika, Les Hommes qui marchent, Paris, Grasset, 1990

Mokeddem Malika, Le Siècle des sauterelles, Paris, Ramsay, 1992

Autres œuvres

Djebar Assia, Oran, langue morte, Arles, Actes Sud, 1997

Bey Maïssa, Nouvelles d’Algérie, Paris, Grasset, 1998

Bey Maïssa, Sous le jasmin la nuit, La Tour-d’Aigues, L’Aube, 2004

Boudjedra Rachid, Printemps, Paris, Grasset, 2014

Khelladi Aïssa, Rose d’abîme, Paris, Le Seuil, 1998

Ouvrages, études et articles

Chaulet-Achour Christiane, Noûn, Algérienne dans l’écriture, Biarritz, Atlantica, 1999

Chaulet-Achour Christiane, « À propos du viol : le corps escamoté », in Sylvie Brodziak (dir.), Le corps à l’œuvre, Paris, Le Manuscrit-Université, 2007, pp. 193-217

Chaulet-Achour Christiane, « GLN, violence et société algérienne d’aujourd’hui : Aïssa Khelladi et Boualem Sansal », Francofonia, n°12, 2013, pp. 47-56

Domenach Jean-Marie, « Résurrection de la tragédie », Esprit, numéro spécial Notre théâtre : Théâtre moderne et public populaire, n° 338, mai 1965, pp. 995-1015

Ricœur Paul, « Sur le tragique », Esprit, mars 1953, pp. 449-467

Ighilahriz Louisette, Algérienne, récit recueilli par Anne Nivat, Fayard/Calmann-Lévy, 2001

Vigarello Georges, Histoire du viol XVIe-XXe siècle, Paris, Le Seuil, 1998

Sitographie

La cruche brisée, http://missionaulouvre.blogspot.fr/2010/04/la-cruche-brisee.html, consulté le 07/07/2014

Pour citer cet article

Souad Labidi, « Le viol dans Les Hommes qui marchent et Le siècle des sauterelles de Malika Mokeddem », paru dans Loxias, Loxias 46., mis en ligne le 08 septembre 2014, URL : http://revel.unice.fr/loxias/index.html/docannexe/image/8647/index.html?id=7888.


Auteurs

Souad Labidi

Souad Labidi est Maître Assistante au département des Lettres et Langue Française à l’Université de M’Sila en Algérie et Coordinatrice du Centre d’Enseignement Intensif des Langues de M’Sila. Après avoir consacré ses recherches à la littérature orale féminine, qui ont abouti à un mémoire de Magistère sur la poésie orale féminine, la bouqala, elle a focalisé ses études sur la littérature algérienne des années 90 avec un intérêt particulier pour l’œuvre de Malika Mokeddem. Elle enseigne les Littératures Comparées et Les Littératures Orales. L’écriture du corps et sa représentation dans les différentes littératures francophones font partie de son domaine de recherche.