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Dagmar Wieser  : 

« Des scènes qui se passent au front » vues par Romain Rolland

Résumé

Ces pages traitent du shell shock dans le Journal des Années de Guerre (1914-1918) de Romain Rolland. Affectant des prisonniers de guerre internés en Suisse, ce syndrome suscita une effervescence publiciste parmi les milieux médicaux mais passa inaperçu de la population civile. Rolland, lui, recueille des tableaux cliniques précis, transcrits de sa correspondance avec de jeunes combattants, ou enregistrés lors des entretiens menés avec des prisonniers, permissionnaires et autres expatriés austro-hongrois, allemands ou français réfugiés en terre helvétique. Les noms d’E. R. Curtius, P. Latzko ou encore Paul Cassirer défilent ainsi parmi les victimes du syndrome de stress post-traumatique. De ce syndrome, le Journal interroge les versants médical, militaire, juridique et existentiel. Mais jamais Rolland ne se départit des normes d’une écriture rationnelle. Aussi récuse-t-il l’image distordue que lui renvoient de la guerre Apollinaire, dada, le cubisme. Intellectuel d’avant-garde, Rolland milite dans l’arrière-garde littéraire.

Abstract

This paper is about shell shock in Romain Rolland’s diary written near Geneva during the First World War. Medical personnel were strongly concerned about this very new disease. But neurological and psychiatric understanding were still to come and neither civilian nor military authorities were willing to indemnify victims. The latter were suspected of unconscious simulation and were treated with so-called “medical persuasion” or electrotherapy – if not punished for desertion. Due to this medical-military collusion, there was no public awareness of Post Traumatic Stress Disorders. This is what makes Rolland’s diary so singular. He had to deal with plenty of private letters convincing him that PTSD was frequent among all belligerent armies. Travelling through Switzerland, he came across victims of shell shock : prisoners of war interned at Interlaken, furloughed soldiers and refugees (E. R. Curtius, Paul Latzko, the gallery owner Paul Cassirer…). But there is a discrepancy between epistemological awareness (modern war is a war of machines against human beings) and the diary’s aesthetics : Rolland quotes Molière and Jarry (King Ubu) in order to gain distance from pictures of horror. But he refuses “disrupted” representation of war practised by Apollinaire, Dada, cubism, futurism… The claim for moral and intellectual strength puts Rolland among the literary “arrière-garde”.

Index

Mots-clés : anti-modernisme , Guerre de 1914, Rolland (Romain), syndrome de stress post-traumatique

Géographique : États-Unis , Europe, Suisse

Chronologique : période contemporaine , XXe siècle

Plan

Texte intégral

Depuis le dernier tiers du vingtième siècle, les traumatismes de guerre font l’objet d’études historiques de plus en plus fouillées. La « folie au front », selon la formule de J. Bougousslavsky et L. Tatu1, intéresse aujourd’hui l’histoire de la médecine non moins que l’histoire des mentalités. On s’est ainsi aperçu que tout un pan de la mémoire collective avait été occulté au sortir de la Grande Guerre, en raison, notamment, du soupçon de simulation jeté sur les « blessés nerveux » (leur nombre aurait avoisiné 10 % des blessés de guerre, soit environ un quart de million d’hommes, toutes nationalités confondues2). Le premier conflit mondial a révélé une pathologie à laquelle les affrontements récents au Moyen Orient et en Afghanistan ont conféré une actualité neuve : c’est le trouble de stress post-traumatique3.

Au moment de la Grande Guerre, un certain nombre de combattants « commotionnés » ou « émotionnés » fut accueilli en Suisse. Non qu’on y fût mieux préparé qu’ailleurs à les soigner : les malades se trouvaient parmi les prisonniers de guerre échangés, sur l’instigation de la Croix-Rouge, entre nations belligérantes. André Repond (1886-1973), jeune directeur de l’établissement psychiatrique de Malévoz (à Monthey, en Valais), témoigne du désarroi des médecins confrontés à des « psychonévrosés de guerre » : « nous avions la sensation bien nette que nos malades se payaient la tête du naïf médecin suisse4 ». Les grands noms de la psychiatrie européenne se montrèrent non moins démunis face à des tableaux cliniques aussi spectaculaires que flous. Paralysies, claudications, tronc courbé à l’angle droit, spasmes, tremblements, surdité, cécité et mutisme momentanés ou durables, incontinence, vomissements… et autres troubles sensoriels et moteurs pouvaient se compliquer d’affections psychiques : hébètement, amnésie et états confusionnels, hallucinations et cauchemars, idées délirantes pour ne rien dire des états anxieux, baptisés « cafard » par les « poilus ».

En accord avec le dogme médical dominant avant la guerre, on attribua les troubles psychiques au « pithiatisme », une tendance à l’autosuggestion plus ou moins inconsciente5. C’est à Joseph Babinski (1857-1932) que revenait l’invention, en 1901, de ce mot. Mais c’est à Babinski aussi qu’il fut donné, à la faveur de la guerre, de faire la part des « signes organiques de la neurologie et [d]es manifestations hystériques ». Excluant « l’hystérie de guerre » du champ de la neurologie, Babinski n’attribua qu’un rôle contingent à l’expérience du front : elle n’avait d’autre effet que de révéler une prédisposition, une faiblesse innée. Le médecin devait donc « montrer au soldat que sa maladie n’[était] pas due à une lésion organique mais à une conviction erronée, à une mauvaise suggestion qui s’[était] établie dans son esprit6 ». Le soldat traumatisé psychiquement était ainsi considéré comme un simulateur qui s’ignorait ; pour guérir, il n’avait qu’à se laisser persuader de la nature imaginaire de son mal. Ainsi que l’écrivait François Naville (1883-1968), neurologue genevois travaillant au centre neuropsychiatrique militaire de Saint-André de Salins (Franche-Comté), l’invalide psychique est enclin « à solliciter les troubles pithiatiques, à les fixer, et à les rendre très difficilement réversibles dans l’avenir7 ». Or la persuasion médicale dite « rationnelle » demandait du temps. Voici pourquoi on eut recours à l’électrothérapie, véritable « torture patriotique », pour employer les mots de L.-F. Céline8. La presse, même censurée, s’en empara. Elle fut alertée par Paul Meunier, député radical qui se constitua avocat d’un soldat accusé de simulation. Un procès eut lieu à Tours en août 1916. Si le militaire traumatisé fut condamné à six mois de prison (plutôt qu’à être fusillé), le médecin traitant apprit de la bouche des juges qu’il avait eu « tort de torpiller […] par la violence9 ». Un autre procès se tint en 1918 à Besançon et l’on cessa de « faradiser » des soldats contre leur volonté.

Le premier conflit mondial vit donc la naissance d’un anti-héros : c’est le guerrier qui laisse sa raison sur le champ de bataille. Ce personnage n’est pas sorti tout armé du casque d’Athéna : le profil terrifiant que nous lui connaissons aujourd’hui a longtemps été invisible. Il n’a éclaté au grand jour que rétrospectivement, grâce aux découvertes récentes de la neuropsychologie. Les romans nés pendant le premier conflit mondial ne réservent qu’un rôle anecdotique aux traumatisés psychiques. Ils mettent au premier plan tantôt la souffrance des combattants meurtris dans leur chair, tantôt l’incurie des autorités militaires ou encore l’incompréhension de la société civile. L’écrivain austro-hongrois Paul Latzko – officier blessé et réfugié en Suisse – est le seul artiste, à notre connaissance, à avoir immédiatement vu là une entité nosographique à part, pouvant être exploitée à titre de destin romanesque (ce qu’il fit dans Menschen im Krieg, recueil de six nouvelles écrites à Davos, en 1917, et publiées la même année à Zürich, chez Rascher). Ceci dit, dans l’entre-deux-guerres, d’innombrables artistes utilisèrent la métaphore du shell shock pour peindre, dramatiser, raconter la civilisation moderne10… Mais ce n’est qu’au tournant du xxie siècle, et aux États-Unis, que le guerrier fou prit ses galons littéraires11. Il est inscrit désormais au cœur de l’imaginaire de la guerre : son destin semble guetter inéluctablement quiconque est appelé sous les armes.

C’est l’émergence de ce personnage emblématique que nous voudrions retracer, en nous concentrant sur la Suisse au moment du premier conflit mondial. Que savait l’opinion publique des psychonévrosés de guerre ? À peu près rien, si l’on excepte les médecins, confrontés à une véritable effervescence publiciste dans le champ de la (neuro)chirurgie et de la neuropsychologie12. Tout autre fut la situation de la population générale, mal renseignée par une presse censurée. Le silence entourant les « soldats de la honte », réhabilités par Jean-Yves le Naour, apparaît en creux si l’on en juge par les œuvres d’entraide humanitaire auxquelles s’adonnait une partie de la population helvétique13. Les bénévoles se portèrent au secours des mutilés graves, des orphelins, des familles de soldats portés disparus… mais des blessés psychiques, on ne soufflait mot.

Il existe pourtant une figure qui, située au croisement de l’opinion et des lettres, permet de relativiser le tableau d’une ignorance généralisée. Romain Rolland a séjourné en Suisse pendant toute la durée du conflit militaire. Il y eut accès à la presse internationale, de plus en plus censurée, il est vrai. Il a surtout entretenu une correspondance d’une exceptionnelle étendue, quoiqu’entravée par la censure postale. Enfin, il a pu rencontrer un certain nombre d’expatriés français, austro-allemands et italiens, dont quelques « déserteurs ». C’est ainsi qu’il a pu noter et méditer – sinon publier – « des scènes qui se passent au front14 ».

Le Journal de Romain Rolland : un compendium de traumatologie

Le Journal de Rolland fait des traumatismes de guerre un apanage de la modernité industrielle : « Trains, camions, voies ferrées, navires, usines, ateliers, laboratoires, toute la civilisation humaine ne semble plus exister qu’à titre de support pour la machine à tuer15. » 1914 n’est toutefois pas une origine : c’est dans la guerre russo-japonaise, puis dans les troubles qui agitent les Balkans, que Rolland voit un tournant. L’importance de la guerre russo-japonaise est soulignée dans des lignes consacrées à Seichi Narusé, son jeune visiteur japonais, ou encore dans des notes prises lors de la lecture de tel ouvrage de stratégie militaire :

Reçu d’un écrivain militaire français, dont j’avais déjà lu des articles intéressants dans la Bibliothèque Universelle, Émile Mayer (lieutenant-colonel E. Manceau), un volume assez personnel : Autour de la guerre actuelle (Essai de psychologie militaire), non mis dans le commerce. […] Beaucoup des faits de la guerre actuelle avaient été prévus par lui, après examen de la guerre de Sécession et de la guerre russo-japonaise (en particulier des conséquences de l’adoption de la poudre sans fumée et de la guerre d’immobilité16).

Son pacifisme de principe n’empêche point Rolland d’analyser en expert l’évolution des techniques militaires. La guerre actuelle est une « guerre d’immobilité », un conflit de positions et non une guerre de mouvement17. Immobilisés à ras du sol, contrecarrés dans leurs réflexes de fuite, les combattants sont exposés à des agressions sensorielles d’une violence inouïe :

Les hommes se trouvent entre deux feux. Ils sont même si étroitement encadrés (lorsque ce sont les 75, tir de précision qui les devance de 10 à 15 mètres), que la moindre erreur dans la marche, un bond trop rapide en avant, les fait balayer par leurs propres canons. […] lorsqu’ont lieu ces grands tirs de bouleversement total, où il n’y a pas un pouce de terre qui ne soit remué, où on ne peut plus ni avancer ni reculer, c’est la mort sans phrase. Le mot de Verrat : « Soûle-les d’eau-de-vie et fous-leur une batterie au derrière », est éternellement vrai. Point de guerre sans cela18.

Rolland a très tôt l’intuition que l’épreuve des « tranchées », conjointement avec « la terreur des mesures de répression », explique l’apathie – individuelle, collective – des combattants :

Nous causons des possibilités d’une Révolution qui suivrait la guerre. [Edmond] Privat y croit moins que moi : car, dit-il, les armées modernes annihilent toute chance d’un mouvement populaire. […] Privat croit que le mécanisme des armées d’aujourd’hui anéantit les énergies de révolte individuelle19.

Conduite au moyen d’armes de grande puissance, la guerre laisse derrière elle des polytraumatisés. C’est ce que Rolland note au début de juillet 1916. Il vient de s’entretenir avec Julien Lemordant, sous-lieutenant français interné à Interlaken et blessé d’une balle tirée à bout-portant dans la tête :

La souffrance du bruit du canon. Il semble que ce soit l’une des plus insupportables à tous, et de celles qui hantent les blessés longtemps encore après. Bruit continu, ininterrompu, avec toutes les formes possibles. Sans parler de la fumée des marmites, qui dure deux ou trois minutes, pendant lesquelles on ne sait plus ni qui vit, ni qui a été broyé. La commotion du coup cause parfois d’aussi graves blessures que le coup lui-même. À Interlaken, un lieutenant-colonel français est complètement, définitivement aveugle et sourd, sans blessures, par le seul fait d’une explosion d’obus, qui a brisé le tympan et les nerfs optiques. Nous causons de la Correspondance de Flaubert, que nous admirons autant l’un que l’autre20.

Le syndrome décrit par R. Rolland correspond point pour point à celui du shell shock (terme entré dans le vocabulaire général lors de la Guerre de 1914), appelé Marmiten-Schock par les Allemands. Notons au passage que l’écriture se fait synesthésie ; la mention de Flaubert, que l’on sait exceller à rendre d’infimes perceptions sensorielles, ne doit rien au hasard… On voit par ailleurs que les sources d’information de Rolland ne sont point exclusivement livresques (Le Feu de Henri Barbusse, qu’il salue, n’a rien à lui apprendre21). Nombreux sont les jeunes lecteurs qui, appelés sous les armes, ont voulu prendre contact avec celui qui s’est délibérément tenu « au-dessus de la mêlée ». Certains de ces jeunes correspondants ne sont plus guère connus aujourd’hui : le romancier Leonhard Frank, Louis Gillet, Alphonse de Châteaubriand, Jean-Richard Bloch, W. Herzog22, Jean de Saint Prix… D’autres ont acquis une renommée certaine : Robert Curtius23, Paul Latzko, le marchand de tableaux hambourgeois Paul Cassirer24… Comme le rappelle par ailleurs Claire Basquin, grâce à son engagement auprès de l’Agence des prisonniers de guerre à Genève, « Rolland a eu sous les yeux une extraordinaire variété de témoignages directs sur la réalité des tranchées, des combats, et, surtout, du vécu des soldats25 ». Blessés, internés en Suisse, un certain nombre de ses jeunes admirateurs se sont tout naturellement adressés à lui : « je n’étais qu’un rouage de l’immense machine de guerre, une parcelle de force contrainte malgré elle à l’œuvre de mort » lui écrit le « jeune poète français H.D., blessé en Artois, et [interné] à Lausanne26 ». Les combattants sont broyés par une « machine » qui se retourne contre eux. L’idée d’éreintement nerveux se dégage aussi du rapport fourni à Rolland de vive voix par telle bénévole hongroise :

Elle a eu dans son service d’ambulance un grand nombre de jeunes gens chez qui le médecin ne pouvait découvrir trace de maladies ou de blessures, et qui étaient pourtant ruinés physiquement par les commotions nerveuses et l’épuisement, après plusieurs semaines au front. Elle parle de cet horrible état de néant moral, d’apathie prolongée pendant des jours, des semaines, des mois, et d’où l’on ne sort qu’avec l’ordre de se faire tuer27.

Les enfants ne sont pas à l’abri du même syndrome :

De Frederik van Eeeden (9 octobre). […] Pour l’instant, toute la Hollande est dans un frémissement d’horreur, de pitié, et malheureusement aussi de haine, par le sort d’Anvers. Des milliers et des milliers de fugitifs inondent notre pays. Nous faisons ce que nous pouvons, mais la misère est incroyable. Il y a ici une petite fille de quatre ans, complètement paralysée par le son du canon. Elle porte un petit bracelet en argent, qu’elle a reçu d’un officier allemand : « C’est un souvenir de ma petite fille, dit-il, mais tu peux le garder, car, moi, je vais dans le grand abattoir28.

Le tableau clinique du trouble de stress post-traumatique prend dans le Journal de Rolland des contours de plus en plus nets, au fur et à mesure que le conflit militaire s’éternise. Voici ce que lui écrit Édouard Schneider, jeune poète parisien :

Schneider a eu bien cruellement à souffrir lui-même de la guerre. Son frère – une intelligence admirablement organisée pour la médecine et la chimie, – est devenu fou, sans espoir de guérison. Après deux ans d’un service inhumain, l’offensive de Verdun l’a achevé. Il perdit la parole. On continua de le faire travailler, un mois encore. Quand on lui permit de partir de l’hôpital, il n’était plus qu’une ruine. À présent, il ne reconnaît plus personne, a sombré dans une démence de brute, et va mourir, à Charenton. (Le directeur de Charenton a dit à Schneider qu’il fut un temps où on lui amenait jusqu’à 150 fous par jour ! Naturellement, on ne pouvait les garder. On les expédiait, au bout de quelques jours, ici ou là, en province29.)

Attentif aux désastres humains et individuels, le Journal de Rolland dénonce aussi l’impréparation des autorités publiques, rétives à dédommager les invalides psychiques (les tâtonnements des autorités médico-militaires sont aujourd’hui bien étudiées par les historiens de la médecine30). Enfin, Rolland enregistre la bataille juridique et médiatique qui s’alluma autour des traumatisés, forcés, bien malgré eux, à se soumettre au « torpillage » médical :

Diafoirus dictateur ou la guerre pour la liberté des peuples. Molière n’avait pas prévu celui-là ! Le 15 janvier [1918] comparaissent devant le conseil de guerre de Besançon, sous l’inculpation de refus d’obéissance, six grands blessés du début de la guerre, qui après avoir passé par des hôpitaux et des traitements variés, ont finalement refusé de se soumettre au traitement qu’on voulait leur imposer au centre de psycho-névrose de Salins. L’article 218 du code de justice militaire prévoit, pour leur cas, une peine de 5 à 10 ans de travaux publics.
Paul Meunier prend leur défense. […]
Diafoirus général Ubu (suite). Les six blessés de Besançon, dont j’ai parlé plus haut, sont condamnés par le conseil de guerre à cinq ans de travaux publics, avec sursis. Le verdict est rendu à l’unanimité. Le procureur assimile le refus de se laisser hospitaliser au refus de combattre31.

Grâce à ses correspondants, grâce à la presse ouvrière32 et grâce enfin aux prisonniers de guerre rencontrés en Suisse, Rolland est donc averti de l’existence des invalides psychiques, et ceci à un moment où la société civile préfère encore se voiler la face. L’évidence d’une conspiration du silence, favorisée par une certaine collusion médico-militaire, s’impose dès 1916 :

Lettre d’Édouard Schneider (10 novembre [1916] Paris 7, rue Leclerc) : […] Je suis ruiné totalement par la guerre. Je cherche du matin au soir une situation qui nous fasse vivre, ma femme et moi. D’autre part, mon unique frère est revenu fou, incurablement, de Verdun, laissant une femme et deux jeunes enfants, dont je vais avoir la charge. Les événements au milieu desquels je dois me débattre, m’étouffent douloureusement33

Les traumatismes psychiques de guerre apparaissent dans le Journal de Rolland comme une donnée bien réelle. Si Rolland ne peut pas en appréhender le profil médical spécifique, il les envisage néanmoins comme un fait existentiel et épistémologique inédit. Ceci pose, naturellement, la question de l’écriture de la folie guerrière. Quelle poétique se donne à voir ?

Sur le plan de la simple fréquence narrative, le choc de guerre apparaît de façon épisodique, sous une forme qu’on pourrait dire anecdotique. Le Journal est émaillé de loin en loin de récits d’horreur recueillis de vive voix, ou apportés par des témoins indirects (dont P. J. Jouve34). Cette source orale et fortuite détermine l’apparition d’adverbes du type « incidemment », « par ailleurs »… Leur récurrence indique que les témoignages débordent en quelque sorte le plan du Journal. Peut-être faut-il voir là une volonté de mise à distance, un effet de sourdine imposé au récit des horreurs de la guerre :

Latzko a vécu les scènes qu’il raconte dans Menschen im Krieg. Incidemment [ns] il me fait le récit de l’homme sans figure, qui se tordait sur le gazon et sautillait, comme un ver coupé. Il dit que, fou d’horreur, il courut à travers bois, jusqu’à un poste d’officiers, où il fit irruption, demandant qu’une auto emportât au plus vite le malheureux. Il y avait là quatre officiers, en train de jouer au tarot. Un d’eux, un capitaine, le voyant bouleversé, lui demanda tranquillement. « Qu’est-ce que vous avez ? Est-ce que vous êtes blessé ? » – Non… – Eh bien, mon cher, vous devriez vous estimer satisfait. Si l’on devait se tourmenter pour les blessures des autres ! … » Le mot auquel revient toujours Latzko, c’est : « Les gens n’ont pas de fantaisie » (Il veut dire : d’imagination.) C’est là le plus grand mal ; ils ne peuvent pas se représenter la souffrance et l’horreur de la guerre. Même ceux qui y sont. […] Ceux qui voient tomber un camarade blessé ne ressentent pas sa blessure ; il y a un abîme entre leur voisin et eux35.

Ces sortes d’« histoires tragiques » confèrent au Journal de Rolland un penchant narratif et nouvelliste. Elles forment un contrepoint pathétique aux comptes rendus politico-militaires, à la liste des lectures faites, au récit des démêlés avec des diffamateurs de tout bord… Stylistiquement, le recours à l’humour noir permet de contrecarrer le sentiment du gâchis et de l’absurde (Ubu roi et Le Malade imaginaire servent à Rolland de modèles de compréhension, nous l’avons vu) :

Le jeune Jean de Saint Prix me conte avec humour ses impressions de la nuit de bombardement de Paris. Il était aux premières loges (jeudi, 31 janvier) : […] « J’étais couché quand a retenti la sirène avertisseuse. […] Quand soudain retentit le bruit le plus formidable, le plus inouï que j’aie entendu de ma vie. Tout branle, et mon lit tremble. Je me dis, en un éclair : “Inutile de bouger. La maison va s’effondrer.” J’attends une ou deux minutes ; la maison ne s’effondre pas. Je me lève, et je sors. Immédiatement, une impression de comique intense me saisit devant l’affolement puéril des locataires palabrant en robes de chambre dans l’escalier. […] Une dame remonte précipitamment de sa cave, en criant : “J’ai oublié mes bijoux36 !” »

Par sa teneur comique, cette page d’un grotesque proprement proustien37 montre que Rolland ne se sépare jamais d’une esthétique de la représentation. Bien au contraire, il impute à trahison aux artistes contemporains d’avoir mis à mal les conventions de la mimesis artistique : « À Paris, Ballets Russes. Pour le Tout-Paris (augmenté d’officiers anglais), la grande affaire du jour n’est plus la guerre, c’est l’intronisation du cubisme sur la scène du Châtelet. Picasso, Erik Satie. Les snobs béent d’admiration38. » Pour Rolland, le « cubisme » est un maniérisme qui se survit. L’idée ne semble point l’effleurer que l’art puisse cesser d’être imitatif – précisément pour enregistrer ce choc qu’est la guerre… Rappelons en effet que pour Fernand Léger, brancardier de 1914 à 1917, Verdun fut une « académie du cubisme » ; rappelons aussi qu’André Breton, étudiant en médecine, fut affecté pendant l’été 1916 au centre neuropsychiatrique de Saint-Dizier, à mi-chemin entre Paris et Strasbourg : il avouera plus tard avoir trouvé là « tout l’arsenal du surréalisme39 ». Pour Rolland, le cubisme est un art mondain, phénomène non pas d’avant-garde mais d’avant-guerre, dont il s’étonne qu’il puisse « s’épanouir » précisément lorsque le conflit bat son plein. C’est une « maladie intellectuelle » frappant une époque qui aurait besoin de davantage d’intellectualité dépassionnée :

Ceux qui espèrent de cette guerre une transformation radicale de l’art, s’abusent fort. Il leur suffirait de lire Die Aktion de Berlin, pour y retrouver en pleine fleur le cubisme et toutes les maladies intellectuelles du temps. Le futurisme s’épanouit. Il a un organe spécial, Der Mistral, publié à Zürich (collaborateurs : Marinetti, Antoine Huré, Apollinaire, Ludwig Kassak, Hugo Kersten, etc.) On remarquera que plusieurs d’entre eux sont combattants à des fronts opposés et que pourtant ils ont trouvé moyen de réaliser, sans obstacles, une revue internationale. Le premier numéro a paru le 3 mars. […] une bataille (Die Schlacht), en style futuriste, par Ludwig Kassak, de Budapest :
Berr… bum, bumbum, bum…
Ssi… bum, papapa bum, bumm…
Zazzsu. Bum, bum… bumbumbum.
Prä, prä, prä, prä…râ, äh – äh, ää…
Haho !…… […]
Puis une Feldpostbrief en vers, envoyée par Apollinaire « rédacteur au Mercure de France, 2e Canonnier conducteur ». Elle est écrite dans tous les sens, en rond, en rectangle, en losange ; on y lit des pensées comme celle-ci : [Sacré nom de Dieu quelle allure nom de Dieu quelle allure cependant40]

La position de Rolland se comprend mieux si l’on se rappelle combien les représentants du futurisme (sinon du surréalisme) avaient fait preuve d’enthousiasme belliqueux. C’est là pour Rolland un signe de médiocrité intellectuelle et morale :

Le second numéro (21 mars) [de Die Aktion] débute par une double exaltation de la guerre, par Max Hermann-Neisse, en poésie allemande : Kriegs-Begeisterung ; et par P. T. Marinetti, en un manifeste jubilant : In questo anno futurista. Il triomphe. La guerre actuelle est son œuvre41 ! 

On ne s’étonnera point dès lors de constater que la guerre n’a pas d’impact proprement esthétique sur l’œuvre littéraire écrite en Suisse de 1914 à 1919. Cette œuvre comprend notamment un essai, Empédocle d’Agrigente et l’Âge de la haine (1918), une satire théâtrale, Liluli (1919) et un récit destiné à former un scénario cinématographique : La Révolte des Machines (1919). Liluli parut à Genève aux éditions du Sablier fondées par Frans Masereel, qui est aussi l’illustrateur de cette farce aristophanesque consacrée à « l’illusion » (c’est-à-dire à l’erreur, qui est universelle, déguisée qu’elle est en discours du savoir : politique, religions, science…). Quant à La Révolte des Machines, illustré également par Masereel mais publié seulement en 1923 aux États-Unis42, le texte relève bien du thème de l’humanité mise au pied du mur par des robots. Mais le logos du récit (et des protagonistes) n’est point ébranlé. Enfin, dans Empédocle d’Agrigente, Rolland confie aux sages de l’Antiquité, « demi-dieux de la pensée », un plaidoyer pacifiste. Allégorisante, maîtrisée, l’écriture tient à distance cette folie meurtrière qu’elle enregistre sur le plan thématique.

Il en va de même de l’œuvre romanesque écrite en Suisse, à savoir Clérambault, couché sur le papier entre 1916 et 1920, et Pierre et Luce, rédigé en août 1918. Comme l’a montré Claire Basquin, les blessés y tiennent étonnamment peu de place ; ils comptent surtout en tant que fils sacrifiés ; leurs portraits sont « quelque peu stéréotypés » et leurs blessures morales n’affectent jamais le mental43. Mentionnons enfin Colas Breugnon, qui fut publié en 1919, mais dont les épreuves étaient prêtes dès octobre 1914. Romain en suspendit délibérément la publication. Sentait-il son roman bourguignon trop en décalage par rapport à l’actualité ? Ce n’est pas sûr car Rolland ne cesse de se dire en avance sur ses contemporains. « Il n’est pas attaché à une patrie, mais à l’humanité tout entière. […] il demeure persuadé […] qu’il sera compris plus tard, et que l’histoire lui donnera raison44 » constate C. Basquin.

Qu’en est-il du Journal lui-même ? Transcrivant un entretien avec Paul Latzko (narrateur, avant C. E. Gadda, des batailles de l’Isonzo), Rolland adopte un style quasiment télégraphique :

Je demande à Latzko s’il a été blessé. Non. Il a eu une violente commotion nerveuse. Il avait vu deux bœufs et trois hommes mis en pièces par un obus. Sur le moment, il n’avait rien eu. Mais deux jours après, comme on mettait sur sa table un plat de bœuf saignant, il se mit à hurler, vomit, fut pris de convulsions. Pendant six mois, il tremblait de tout son corps, et il refusait toute nourriture : il fallut l’alimenter par l’intestin45.

Affleure la métaphore de la « chair à canon », de la guerre comme forme de cannibalisme… Mais c’est là un pas que Rolland, préférant s’arrêter au seuil d’une esthétique de la superposition, ne franchit point. C’est sans doute la raison pour laquelle, à la différence de ces artistes cubistes, futuristes, surréalistes qu’il rejette, Rolland est entré « dans un purgatoire qui se prolonge46 ». Malgré la force de résistance intellectuelle et morale dont témoigne son Journal, il ne fait « pas partie de notre mémoire ». Dans le foisonnement d’ouvrages consacrés à l’histoire des intellectuels, son « nom apparaît furtivement, pour désigner […] un pacifiste naïf, doctrinaire attardé47 ». L’acuité du regard posé sur les mutilés nerveux et psychiques fait pourtant de R. Rolland un combattant d’avant-garde. Combattant de la plume, traité comme les soldats devenus déments en « danger public », en « ennemi de l’intérieur48 ».

Notes de bas de page numériques

1 Julien Bogousslavsky et Laurent Tatu, La Folie au front. La grande bataille des névroses de guerre (1914-1918), éd. Imago, 2012.

2 Voir Jean-Yves Le Naour, Les Soldats de la honte, Perrin, coll. « Tempus », 2011, p. 11.

3 Terme entré en 1980 dans la troisième version du manuel américain de nosographie psychiatrique DSM, Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders, et créé pour désigner l’apparition, chez des vétérans du Vietnam, de symptômes tels que la désorientation anxieuse, l’altération de la personnalité etc. Voir Guillaume Piketty, « Les fantômes de la guerre », préface à S. Freud, S. Ferenczi, K. Abraham, Sur les névroses de guerre, Payot/Rivages, 2010, p. 28.

4 A. Repond, « L’hystérie des prisonniers de guerre internés en Suisse », Archives suisses de neurologie et de psychiatrie, 1918, no 3, p. 128-146. Alors même qu’il soupçonnait certains patients d’exagérer les symptômes de délire, Repond s’interrogeait sur l’existence d’un traumatisme. Voir J.-D. Zbinden, « L’organisateur Repond », Ch. Müller (dir.), Portraits de psychiatres romands, Lausanne, Payot, 1995, p. 9-75, p. 48.

5 Voir Pierre Darmon, « Des suppliciés oubliés de la Grande Guerre : les pithiatiques », Histoire, économie et société, 2001, 20e année, n° 1, p. 49-64. – Le mot « pithiatisme » est forgé à partir des verbes grecs « je persuade » et « je guéris ».

6 J. Bogousslavsky et L. Tatu, La Folie au front, op. cit., p. 62.

7 F. Naville, « Le traitement et la guérison des psychonévroses de guerre invétérées à l’hôpital Saint-André de Salins », Korrespondenzblatt für Schweizer Ärzte, 22 juin 1918, p. 817-829, p. 819. – F. Naville sera plus tard nommé directeur de l’Institut médico-légal de l’Université de Genève. Il s’illustrera par son esprit d’impartialité en acceptant, à titre privé, de participer à la commission internationale de Katyne convoquée en 1943 par les autorités de l’Allemagne nazie. Voir K. Karbowski, « Vor 60 Jahren. Ein Schweizer Gerichtsmediziner in Katyn », Bulletin des médecins suisses, 2003, 84e année, no 47, p. 2510-2513.

8 L.-F. Céline, Voyage au bout de la nuit, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1981, p. 72.

9 Cité par Jacques Poirier, « Le torpillage des poilus par Clovis Vincent, médecin des hôpitaux de Paris », en ligne (consulté le 10 octobre 2015). – Sur cette affaire judiciaire et médiatique, voir J.-Y. Le Naour, Les Soldats de la honte, op. cit., p. 111-138.

10 L’historien britannique Philip Blom place entièrement sous le signe du shell shock son ouvrage consacré à la période de l’entre-deux-guerres : Die zerrissenen Jahre, 1918-1938, Munich, Hanser, 2014, chap. 1 : « Shell shock ».

11 Quelques titres ont bénéficié d’une traduction française ou allemande : Colby Buzzell, My War : Killing Time in Iraq, 2005 ; David Finkel, The Good Soldiers, 2007 ; Matt Gallagher, Kaboom, 2010 ; Phil Klay, Redeployement, 2014 ; Atticus Lish, Preparation for the Next Life, 2014. Plusieurs de ces jeunes auteurs ont contribué à une anthologie intitulée Fire and forget (2013). On mentionnera aussi le long métrage dû à Clint Eastwood, American Sniper (2015).

12 Mentionnons un deuxième et dernier article rédigé par A. Repond en liaison avec la guerre : « Névroses et psychoses chez les internés de guerre en Suisse », Korrespondenzblatt für Schweizer Aerzte, 1919, no 40, p. 1858-1870.

13 Voir, dans ce volume, la contribution de Marie-Noëlle Crémieux, en particulier la série de cartes postales célébrant les œuvres de bienfaisance déployées en Suisse au profit des victimes de la guerre.

14 Journal des années de guerre 1914-1919 : notes et documents pour servir à l’histoire morale de l’Europe de ce temps, Albin Michel, 1952, Journal de 1916, Cahier XVI, p. 833 (désormais les renvois au Journal […] seront abrégés en « Journal de 19…, Cahier… »).

15 Journal de 1917, Cahier XIX, p. 1089.

16 Journal de 1917, Cahier XIX, p. 1036. Voir aussi le Journal de 1917, Cahier XIX, p. 1089 et la note sur Séichi Narousé dans le Journal de 1918, Cahier XXV, p. 1550.

17 Selon Ph. Blom, seul 1 % des morts de 1914-1919 aurait succombé lors d’un combat à l’arme blanche. En 1870, la proportion aurait été de 90 % (Die zerrissenen Jahre, op. cit., p. 42).

18 Journal de 1916, Cahier XVI, p. 833 – témoignage recueilli par R. Rolland de la bouche de J. Lenormant, que nous retrouverons ci-après. – Au mot « derrière », Rolland ajoute cette note : « Dans mon drame de la Révolution Les Loups ».

19 Journal de 1915, Cahier VII, p. 330.

20 Journal de 1916, Cahier XVI, p. 833.

21 Journal, de 1917, Cahier XIX, p. 1086 et Journal de 1917, Cahier XXIII, p. 1377 : « La Guerre n’est pas terrible, ce qui est terrible, c’est l’accoutumance. »

22 Sur Bloch, voir notamment le Journal de 1919, Cahier XXIX, p. 1811. Sur Herzog, voir le Journal de 1915, Cahier XII, p. 561 : « Mais W. Herzog [contrairement à René Schickele], né malin, a échappé à la caserne. Et il m’écrit de Berlin-Westend (Dr Weilers, Sanatorium, 18 octobre) que depuis trois semaines il est dans ce sanatorium, car ses nerfs sont ébranlés. Il espère se remettre et pouvoir reprendre le combat. »

23 Voir le Journal de 1914, Cahier II, 22 octobre 1914 (p. 89). « Le pasteur Adolf Keller, de Zurich, me donne des nouvelles (23 mars) de notre jeune ami Robert Curtius. Il a été blessé d’une balle anglaise, et a souffert longtemps de graves troubles neurasthéniques. Il est guéri à présent, entièrement libéré du service militaire, et a repris son enseignement à l’Université de Bonn. Il est occupé à écrire un livre sur la nouvelle littérature française. » (Journal de 1916, Cahier XV, p. 706)

24 Voir le Journal de 1917, Cahier XXIII, p. 1376-1377 : « Plus tard, les troubles nerveux vinrent, et il dut être évacué à l’arrière. Encore en racontant ces histoires à Jouve, ses mains se mettent à trembler, la tasse qu’il tient est sur le point de tomber, et sa cigarette lui brûle la bouche, sans qu’il le remarque. Bien décidé ensuite à ne pas retourner à la guerre, il va en Suisse et se fait donner une mission de propagande artistique […] ».

25 Claire Basquin, « Figures et représentations du soldat dans l’œuvre de Guerre de Romain Rolland », Bernard Duchatelet (dir.), Romain Rolland, une œuvre de paix, PUPS, 2010, p. 91-102 (p. 91 et p. 92).

26 Journal de 1916, Cahier XVIII, p. 1023.

27 Journal de 1919, Cahier XXVII, p. 1754. Rolland relate la visite que vient de lui faire Julie Vajkai, de Budapest.

28 Journal de 1915, Cahier II, 15 octobre 1914, p. 82.

29 Journal de 1917, Cahier XXI, p. 1230.

30 J. Bogousslavsky et L. Tatu, La Folie au front, op. cit., chap. 1.

31 Journal de 1918, Cahier XXIII, p. 1393 et p. 1395. – Sur le procès de Besançon, voir J.-Y, Le Naour, Les Soldats de la honte, op. cit., p. 161-169.

32 Mentionnons, parmi les titres évoqués dans le Journal de façon de plus en plus intermittente, The Labour Leader, Avanti, Le Populaire, La Bataille Syndicaliste, L’Union des Métaux, L’Humanité.

33 Journal de 1916, Cahier XVIII, p. 1592-1593. – Le refus d’indemniser le combattant suggère que le diagnostic de « disposition maladive » a été prononcé, ce qui relevait l’État de ses devoirs financiers envers les invalides et leurs familles.

34 Le beau recueil de nouvelles intitulé Hôtel-Dieu. Récits d’hôpital en 1915 (publié à Genève en 1918, avec des bois de Masereel) comporte un chapitre consacré à deux soldats internés pour démence : « Les Fous ». Jouve dénonce au passage le diagnostic de « prédisposition » infligé aux mutilés psychiques, traités d’« éthylique[s] » (p. 70).

35 Journal de 1918, Cahier XXV, p. 1590-1591.

36 Journal de 1918, Cahier XXIII, p. 1406-1405.

37 « il y a eu l’alerte d’avions. […] j’ai pris froid car je me suis mis au balcon et y suis resté plus d’une heure à voir cette Apocalypse admirable où les avions montant et descendant venaient compléter ou défaire les constellations. Quand cela n’aurait fait que faire regarder le ciel, cela aurait déjà été très beau tant il était merveilleux. Ce qui était inouï c’est que comme dans un tableau de Greco où en haut il y a la scène céleste en bas la scène terrestre, pendant que du Balcon on voyait ce sublime « Plein ciel », en bas l’Hôtel Ritz (où tout ce ci se passait) avait l’air d’être devenu l’Hôtel du Libre Échange. Des dames en chemise de nuit ou même en peignoir de bain rôdaient dans le hall « voûté » en serrant sur leur cœur des colliers de perles. » (M. Proust à Mme Straus, fin juillet-début août 1917, Correspondance, t. XVI, Plon, 1995, p. 195-198).

38 Journal de 1917, Cahier XXI, p. 1202.

39 Voir Marguerite Bonnet, « La rencontre d’André Breton avec la folie : Saint-Dizier, août-novembre 1916 », Fabienne Hulak (dir.), Folie et psychanalyse dans l’expérience surréaliste, Nice, Z’Ed., 1992, p. 115-135.

40 Cahier VII, p. 346 et 347.

41 Cahier VII, p. 346 et 347.

42 Voir Chantal Meyer-Plantureux, « Liluli, La Révolte des machines, réédition. Deux œuvres d’une incroyable modernité », Cahiers de Brèves – Études Romain Rolland, no 35, juin 2015 (consulté en ligne le 10 octobre 2015).

43 C. Basquin, « Figures et représentations du soldat […] », art. cit., p. 93.

44 C. Basquin, « Romain Rolland, écriture et réécriture(s) de la Grande Guerre », A. Laserra et al. (dir.), Mémoires et Antimémoires littéraires au xxe siècle, La première Guerre mondiale, vol. 1, Bruxelles, éd. Lang, 2008, p. 95-110 (p. 97).

45 Journal de 1918, Cahier XXV, p. 1592-1593.

46 Henri Vermorel, « Présence de Spinoza dans les échanges entre Romain Rolland et Sigmund Freud », Association Romain Rolland – tude rollandienne n° 18, p. 1-26 (p. 3).

47 Mots dus à Yves Jeanneret, « Effacement d’une figure : Romain Rolland », Les Cahiers de médiologie, 2001/1, n° 11, p. 46-53).

48 J. Bogousslavsky et L. Tatu, La Folie au front, op. cit., p. 9. – « Je deviens un danger public » note Rolland dès la mi-décembre 1914, après lecture du Temps (Journal, de 1914, Cahier III, p. 182).

Pour citer cet article

Dagmar Wieser, « « Des scènes qui se passent au front » vues par Romain Rolland », paru dans Loxias-Colloques, 8. Ecrire en Suisse pendant la grande Guerre, Ecrire en Suisse pendant la Grande Guerre, « Des scènes qui se passent au front » vues par Romain Rolland, mis en ligne le 22 août 2017, URL : http://revel.unice.fr/symposia/actel/index.html?id=949.

Auteurs

Dagmar Wieser

Dagmar Wieser est lectrice pour la littérature française à l’Université de Zurich. Ses publications portent sur la poésie romantique, sur les transferts culturels entre l’Allemagne et la France ainsi que sur le roman moderne, à partir de Proust.