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Nicolas Gex  : 

« Ne pouvant dire ce que je pense en Suisse, je le dis ailleurs, où je peux. » Louis Dumur : un critique de la Suisse en exil à Paris ?

Résumé

Cette communication a pour objet l’étude des lieux d’édition et des stratégies éditoriales retenus par Louis Dumur pour faire entendre ses critiques contre l’attitude des autorités suisses durant la Première Guerre mondiale. En jouant sur les spécificités des champs journalistiques, littéraires et intellectuels français et suisses, qu’il connaît fort bien, Dumur est parvenu à faire entendre sa voix par l’intermédiaire de différents titres, tant suisses que français (Cahiers vaudois, La Guerre mondiale, Mercure de France), ce qui lui a permis de contourner la censure helvétique (a posteriori), contre laquelle il n’aura de cesse de lutter, tout en acceptant les mesures de contrôle de la presse en France (a priori). Cette situation particulière l’a amené à adopter une posture d’« exilé » pour le moins paradoxale, qu’il convient d’examiner.

Index

Mots-clés : censure , Dumur (Louis), intellectuel critique, Mercure de France

Géographique : France , Suisse

Chronologique : Première Guerre mondiale

Plan

Texte intégral

1La Suisse1 connaît durant la Grande Guerre une période de fortes tensions internes, autant politiques, culturelles que socio-économiques2. Dès le début du conflit, le pays est marqué par une polarisation en différents camps aux positions plus complexes que la simple barrière linguistique (le fameux « fossé »), même si globalement les Alémaniques tiennent pour la cause des Empires centraux et les Romands et les Italophones pour celle de l’Entente, de la France en particulier. Ce contexte a été propice, comme l’a souligné Alain Clavien, à l’émergence de la figure de l’intellectuel, car la guerre offrait « les éléments nécessaires à un engagement plus marqué et plus soutenu : un grand débat national portant sur une question “morale” propice aux déclarations dramatiques et à la confrontation musclée. Ce grand débat porte sur la neutralité, sa définition, sa portée3. » Cela a pris la forme d’affrontements dans la presse, de conférences, de brochures, de pétitions, de manifestations de soutien à telle ou telle cause, etc. Ce climat pesant, accentué par l’octroi des pleins pouvoirs au Conseil fédéral et par la mise en place de la censure, s’alourdit suite à de nombreuses affaires, propres à attiser les tensions ; l’affaire des colonels est probablement celle qui aura la plus large audience. En parallèle, les difficultés économiques et d’approvisionnement accentuent le « fossé » social. Dans un tel paysage, la figure de Louis Dumur et son engagement méritent d’être examinés. Genevois installé à Paris depuis la dernière décennie du XIXe siècle, il y mène une riche activité littéraire et journalistique, tout en occupant le poste de secrétaire général d’une grande revue, le Mercure de France. Excellent connaisseur des espaces politiques et médiatiques français, dans lesquels il évolue depuis de nombreuses années, il l’est également de la scène culturelle romande. Dumur entretient des contacts étroits tout d’abord avec les artistes et écrivains suisses installés dans la capitale française, à la fois en raison de sa position institutionnelle et de ses fonctions au sein de la colonie suisse de Paris. Il collabore aussi épisodiquement à plusieurs revues et périodiques édités en Suisse romande. Dès le déclenchement du conflit, Dumur fait entendre sa voix parmi celles de nombreux intellectuels romands. Au fur et à mesure des événements, il développe un discours critique sur la politique menée par les autorités helvétiques. Ses prises de positions ne sont pas particulièrement originales, car partagées par de nombreux contemporains, quoique le ton vif soit une de ses caractéristiques. Son positionnement à cheval entre la Suisse et la France et le choix de publier ses articles dans ces deux différents espaces, obéissant à des logiques totalement différentes, l’est bien davantage, même s’il n’a pas été le seul dans ce cas.

2Dans le cadre d’un recueil consacré à l’écriture et à l’édition en Suisse durant la Première Guerre mondiale, étudier la figure de Dumur, à côté de celles de Pierre Jean Jouve, Romain Rolland ou Stefan Zweig peut sembler incongru. Le but de cette communication est de souligner les particularités, voire les paradoxes, de la trajectoire et de l’engagement de Dumur. Un accent particulier sera mis sur les lieux de publication retenus par l’écrivain, sur ses stratégies éditoriales, ainsi que sur ses motivations. Ces éléments permettront d’inscrire de manière plus globale Dumur dans la galaxie des intellectuels critiques sur tel ou tel aspect du conflit. À ce titre, l’approche « comparatiste » sera mobilisée, non pour déceler minutieusement les analogies entre les différents parcours ou pour relever les contrastes, mais pour souligner quelques éléments de la trajectoire de Dumur.

Dumur à Genève (été 1914-automne 1915) : dire la vérité mezza voce

3Dumur prend la parole dès les premiers mois du conflit en recourant aux divers canaux utilisés à l’époque. Rapidement, il privilégiera la collaboration avec des publications, suisses puis françaises, qui lui permettront de distiller son message sous forme de chroniques d’actualité. La fin de sa collaboration à la rubrique « Suisse » du Mercure de France en octobre 1918 n’est pas liée à un désintérêt de sa part pour la Grande Guerre. Il continuera à s’y intéresser, mais sous la forme romanesque, y consacrant quatre romans entre 1919 et 1925.

4Peu après le déclenchement de la guerre, Dumur quitte Paris pour Genève, où il séjournera auprès de sa famille jusqu’au mois de novembre 1915 environ. La distance et les circonstances ne marquent pas une rupture dans la vie de l’écrivain ; très rapidement il rétablit le contact avec Alfred Vallette, directeur du Mercure de France, interrompu par le début de la guerre. Les deux hommes échangent régulièrement sur la gestion de la maison d’édition et de la revue (suspendue dès le début de la guerre), et s’occupent de la lente phase de réorganisation qui aboutira à la reparution du Mercure de France le 1er avril 1915.

5Dans le même temps, Dumur travaille avec son père pour l’Agence internationale des prisonniers de guerre, comme bon nombre de compatriotes et d’étrangers en résidence plus ou moins forcée dans la cité de Calvin, dont Rolland4. Cette position lui permet d’informer Vallette sur le sort de plusieurs collaborateurs du Mercure de France mobilisés dans les rangs français : Guy-Charles Cros, interné dans un camp de prisonniers en Allemagne, ou Louis Pergaud, mort au front, mais dont le corps n’avait pas été retrouvé (il ne le sera pas)5. Cette expérience à l’Agence internationale des prisonniers de guerre donne lieu à un article, rédigé entre décembre 1914 et janvier 1915. Bien que conçu pour le Mercure de France6, il paraît finalement dans La Revue bleue à l’été 19157. Soumis au mois de mai 1915 à Paul Flat, son directeur, ce texte avait été accepté, à la réserve près de diminuer la liste des personnes citées dans l’article et surtout, comme le précise Flat, de supprimer le nom de « Romain Rolland, dont l’attitude, vraiment inqualifiable dans certains de ses articles du Journal de Genève, nous impose, comme moyen de réponse, la conspiration du silence8. » Dumur accepte cette suggestion (sa réponse n’est pas conservée), car l’article publié ne comporte aucune mention de Rolland. Ce dernier avait été mis au courant de la condition posée par le directeur de La Revue bleue quelques mois après sa parution (par Dumur ?, nous l’ignorons). Il avait déploré cette clause dans une lettre à sa mère, tout en relevant que de telles actions ne pouvaient que lui servir9. Peu après, la Feuille littéraire, dirigée par Gustave Fuss-Amoré (un ancien collaborateur de L’Aurore et du Courrier européen, titre dont Dumur avait été secrétaire de rédaction de 1904 à 1907), publie ce texte, tiré, selon le témoignage de Dumur, à 100 000 exemplaires et largement diffusé sur le front10.

6Le Genevois ne reste pas muet face aux événements. Il joint sa voix au chœur des protestations qui se fait entendre en Suisse romande dès les premiers mois du conflit, choqué par l’incendie de Louvain et par le sort réservé à la Belgique, ainsi que par la destruction de la cathédrale de Reims. Dumur signe la protestation qui s’élève contre un « attentat injustifié », assimilé à un « acte de barbarie qui atteint l’humanité entière dans un des plus nobles témoins de sa grandeur morale et artistique11. » Initiée par Marcel Rouff et René Morax, la pétition munie de 125 signatures paraît dans La Suisse le 27 septembre 191412. Elle sera suivie de douze listes supplémentaires, publiées dans la Tribune de Genève entre le 28 septembre et le 22 octobre13. Au-delà de l’événement auquel elle réagit directement, cette protestation critique la passivité des autorités fédérales face à la violation de la neutralité belge. Il est intéressant de noter que cette manifestation de protestation, provenant en bonne partie de représentants des professions libérales et des élites culturelles romandes, s’incarne en une pétition, forme usuelle de mobilisation à laquelle sont habitués les intellectuels depuis l’affaire Dreyfus14.

7Quelques mois après, Dumur exprime pour la première et unique fois, semble-t-il, en public ses sentiments sur l’actualité, même si le cercle de ses auditeurs est relativement restreint. Le cadre est un discours de circonstance, tenu à l’occasion du banquet de l’Escalade de la Société d’étudiants de Belles-Lettres15, au mois de décembre 191416. Son allocution contient la base du discours critique qu’il développera contre le Conseil fédéral. Au cœur de l’engagement et des dénonciations de Dumur se trouve le viol de la neutralité belge, compris comme un véritable crime contre le droit et les traités internationaux. Il formalise son indignation par l’exigence d’une attitude ferme vis-à-vis de l’Allemagne en général et la dénonciation de la germanophilie de tout ou partie des élites politiques, militaires et économiques suisses. En premier lieu, le Genevois plaide vigoureusement pour la sauvegarde de la neutralité helvétique. Elle passe par le respect des frontières, ce qui est le cas pour la Suisse, certes. Toutefois, affirme-t-il, elle est avant tout morale et, à ce titre, elle n’a pas été respectée :

C’est cette neutralité, c’est cet idéal national qui me paraît comme ayant été abominablement violenté. Je ne comprends pas que des Suisses aient pu supporter sans broncher cette injure, pire encore, à mes yeux, que si telle route, telle portion de notre territoire avait été foulée par la botte étrangère. Nous avons vu l’un des belligérants violer brutalement les garanties, toutes semblables aux nôtres, qui protégeaient un peuple frère ; nous l’avons vu déchirer cyniquement les traités solennels où à côté de sa signature figurait celle de notre Conseil fédéral. Quel affront et quelle déloyauté ! Quel outrage nous était ainsi porté ! A-t-on protesté ? Non. Tout s’est tu. Nous n’avons rien entendu17.

8Face au silence assourdissant du Conseil fédéral et de la Suisse officielle, quelques protestations sont venues de la seule Suisse romande. Les valeurs authentiquement helvétiques, pour Dumur, ne résident donc que dans cette partie du pays.

Le Suisse, c’est celui qui met au-dessus de tout son besoin de justice, le respect de la parole jurée et sa soif d’indépendance. Ce Suisse-là ne tiendra pas son drapeau dans sa poche à l’heure du danger. Il le déploiera tout entier, sachant qu’en même temps que la patrie matérielle, son territoire et ses frontières, il a à sauvegarder la patrie morale, tout ce que signifie et que contient pour lui ce beau nom de Suisse. Et si c’est aujourd’hui la Suisse romande qui le tient, ce drapeau, et peut le déployer dans toute sa noblesse et dans toute son ampleur, qu’elle ne craigne pas de le brandir d’un bras ferme et d’en faire éclater à tous les yeux les couleurs sacrées18.

9Au-delà de tournures propres aux discours patriotiques de circonstance, Dumur affirme haut et fort la nécessité pour la Suisse de se positionner dans ce conflit19. Petit pays démocratique, neutre et composé de plusieurs communautés linguistiques et confessionnelles, il lui est indispensable de rappeler l’attachement à l’État de droit et aux règles du droit international et de condamner vertement l’attitude de l’Allemagne : seul un engagement au côté de l’Entente s’impose. Cette vue est partagée dans les grandes lignes par de nombreux journalistes et intellectuels romands : Philippe Godet, Maurice Millioud, Ernest Bovet, les journalistes Albert Bonnard et Fernand Feyler, ainsi qu’Édouard Secretan, directeur de la Gazette de Lausanne. À ces « enragés » font face les « neutralistes »20, qui estiment nécessaire de préserver la cohésion nationale et de ménager la partie alémanique du pays en se rangeant derrière une stricte neutralité. Paul Seippel et Georges Wagnière, le directeur du Journal de Genève honni par Dumur, sont deux figures parmi les plus représentatives de cette tendance21.

Les Cahiers vaudois

10Dumur n’est pas resté muet entre la protestation de septembre et le discours de décembre. Dans la suite de la pétition de septembre 1914, il collabore au double numéro des Cahiers vaudois, intitulé Louvain… Reims…, initié peu après les événements contre lesquels il s’élève. Lancée au début 1914, cette revue culturelle était a priori détachée de toute prise de position politique et cherchait à revendiquer une littérature libérée de quelque contrainte que ce soit22. Au déclenchement de la guerre, ses collaborateurs se rangent unanimement du côté de l’Entente, réprouvant le sort réservé à la Belgique et l’attitude des autorités fédérales face à la violation de la neutralité belge, même si les prises de position individuelles de ses divers animateurs ont pu diverger23. Conçu par Morax24 et Rolland dès les premières semaines du conflit, la réalisation de cet ouvrage collectif sera longue et laborieuse, suite aux divergences qui ne tarderont pas à apparaître entre ses deux promoteurs25. Proche de cette revue depuis son lancement en février 1914, Dumur y avait donné un article sur les représentations des pièces de Mathias Morhardt à Genève, prétexte à critiquer vertement la vie théâtrale genevoise26. Le texte publié dans Louvain… Reims… est bref27. Sur deux pages, il dénonce le vandalisme des troupes impériales : « C’est la barbarie consciente et voulue, la barbarie savante, la barbarie germanique28. » Il conclut en relevant que seuls des Turcs et quelques Suisses allemands les admirent, manière à peine détournée de blâmer l’attitude d’une partie des Suisses.

11En avril 1915, Dumur fait paraître à la même enseigne un bref essai : Culture française et culture allemande29. Reprenant une thématique qui l’occupe depuis plusieurs années (questionnement sur la culture à partir de réflexions de Nietzsche30), il développe une thèse assez simple : il n’existe pas de civilisation allemande, à la différence de la française, de l’italienne ou de l’anglaise. Une vraie civilisation tient à la coexistence d’une Bildung (formation) et d’une Kultur (culture) ; l’Allemagne est fortement pourvue de la première, mais dénuée de la seconde. Dès lors, il n’est pas étonnant que les Allemands ne soient pas des créateurs et qu’ils se bornent à adapter ce qui vient de l’étranger, de France en particulier. Ce texte est à placer à côté des nombreux autres essais qui paraissent alors dans les pays de l’Entente, comportant des réflexions visant à minimiser ou à nier l’apport allemand dans les domaines culturels ou scientifiques, voire à montrer que les peuples germaniques se livrent par essence à des actes de violence et de cruauté débridés31. Le ton de cet ouvrage attire sur les Cahiers vaudois les bonnes grâces des services de la propagande française, certainement en partie sollicités par Dumur32. La revue leur était déjà connue, car ils avaient collaboré à l’édition de Louvain… Reims… en mettant à disposition des documents. À la fin de l’année 1915, l’Ambassade de France passe commande de 2300 à 3000 volumes des Cahiers vaudois, permettant de les sortir de difficultés financières chroniques33.

La Guerre mondiale

12Dans le même temps, Dumur collabore à une entreprise journalistique originale. De novembre 1914 à mai 1915, il donne quinze articles à La Guerre mondiale, publication genevoise dirigée par le journaliste Jean Debrit34. L’objectif de ce quotidien créé en septembre 1914 était de couvrir la guerre de façon objective et non partisane. Malgré ce credo, le titre fait l’objet d’un avertissement des autorités fédérales, précisément pour manquement à la neutralité, suite à la publication de poèmes dénonçant le comportement des troupes allemandes en Belgique35.

13Sollicité à la fin du mois d’octobre, Dumur accepte de livrer un article hebdomadaire36, séduit par le ton francophile de la publication, selon son témoignage postérieur37. Rapidement, il livre un premier texte dénonçant avec vigueur les atrocités commises par les troupes allemandes en Belgique38. Debrit le refuse tant en raison de son ton que de sa forme, craignant de s’attirer à nouveau les foudres de Berne. De plus, il estime que, toute légitime que soit l’indignation de Dumur, la déontologie journalistique ne lui permet pas de faire paraître une telle prise de position39. Peu après, le Genevois fait parvenir un nouvel article, protestant contre la destruction de Reims et plus généralement des œuvres d’art, non sans glisser une pique contre Debrit en conclusion40. Ainsi débute une collaboration de plusieurs mois, émaillée par des critiques du directeur, rappelant inlassablement et sur un ton sentencieux la nécessité de s’en tenir à une absolue neutralité. S’abstenant de traiter de thématiques helvétiques pour éviter les avertissements de la censure, selon son témoignage41, les quinze articles de Dumur, publiés entre le 14 novembre 1914 et le 1er mai 1915, se concentrent sur des aspects culturels et politiques, sans lien direct avec l’actualité du conflit. Ce biais lui permet de dénoncer le comportement des Allemands, en particulier en Belgique et dans le Nord de la France, sans verser dans une germanophobie virulente. Ses critiques prennent la forme d’examens scrupuleux, présentés comme objectifs de tel ou tel écrit allemand ou de tel ou tel événement, parfois même avec humour.

14La rupture intervient en deux temps au printemps 1915, même si des tensions entre les deux hommes étaient présentes depuis le début de leur collaboration. Le directeur de La Guerre mondiale refuse tout d’abord un compte rendu de la brochure de Joseph Bédier sur les crimes allemands. Puis il supprime plusieurs passages jugés hostiles à l’Allemagne dans un article sur la neutralité américaine et y ajoute des notes destinées à nuancer le propos de l’auteur et à s’en distancier, sans le prévenir42. Ces gestes inacceptables pour l’écrivain sont le signe, selon lui, d’une évolution de Debrit : après l’avertissement d’octobre 1914, le directeur de La Guerre mondiale est passé d’une attitude francophile à un point de vue neutraliste, puis insidieusement germanophile43. Ce jugement de Dumur mérite d’être considéré avec prudence, car il est rétrospectif. Il le présente en 1918, lorsque les attaques contre Debrit se multiplient et lorsque son engagement dans des revues soutenues par l’Allemagne ou adoptant une ligne germanophile est connu44.

15La collaboration avec La Guerre mondiale, davantage qu’avec les Cahiers vaudois, met Dumur au contact de la censure et de sa gestion à l’intérieur même d’un titre. Durant le conflit, le contrôle de la presse en Suisse s’exerce a posteriori, contrairement à ce qui se pratique dans les pays belligérants, où les textes sont soumis aux autorités responsables de la censure avant leur publication. Les sanctions à disposition de l’organe qui en est responsable, le Bureau de presse de l’État-Major puis de la Commission fédérale de contrôle de la presse qui lui succède dès l’été 1915, sont assez restreintes : l’avertissement, l’amende, voire la suspension du titre (temporaire ou définitive) dans les cas les plus graves45. Si Dumur ne semble pas avoir été confronté à une intervention officielle, il évolue dans un climat lourd, où la menace d’une action de la censure est permanente. Debrit l’entretient en ne cessant de faire référence au risque de sanction et en procédant lui-même, en temps que directeur de publication, à un contrôle des textes de son journal. Dès lors s’est développé chez Dumur le sentiment de ne pouvoir écrire librement dans la presse suisse, impression qui le poursuivra.

Exprimer la vérité : la tribune du Mercure de France

16Le 1er avril 1915, le Mercure de France paraît à nouveau. Un profond remaniement de la revue a été conduit par Vallette, afin d’adapter son organisation interne aux nouvelles conditions (rythme de parution mensuel, la formule bimensuelle sera reprise en 1916). Des rubriques sur l’actualité des différents pays belligérants et neutres sont introduites au sommaire de la « Revue de la quinzaine » (« Revue du mois » en 1915), sur le modèle des chroniques sur les différentes littératures. L’ancienne « Chronique suisse romande », consacrée à l’actualité culturelle et littéraire, cède sa place à une rubrique « Suisse », où la politique helvétique est au centre du propos46. Son titulaire d’avant-guerre, René de Weck, renonce à poursuivre sa collaboration, jugeant cette nouvelle orientation incompatible avec ses fonctions d’attaché de Légation suisse à Londres47. Sollicité par Vallette, Dumur accepte cette nouvelle tâche48 et assume la responsabilité de cette chronique du 1er mai 1915 au 1er octobre 191849. Il dispose ainsi d’un espace où il peut, selon lui, exprimer ouvertement ses réflexions sur la politique helvétique. D’autant plus qu’il avait été contraint de les ressasser durant de longs mois, en raison de l’impossibilité de les publier, selon lui, en Suisse.

17Face à la faillite des idéaux fondamentaux à l’origine de la Suisse, dont les grandes lignes ont été esquissées dans le discours de décembre 1914, Dumur juge nécessaire d’avertir ses compatriotes des dangers qui les guettent et de les mettre en garde contre l’impasse dans laquelle les conduit le Conseil fédéral et une partie des élites économiques et militaires, germanophiles :

Faire silence, c’est paraître approuver les actes de son gouvernement. Prendre une attitude d’opposition, c’est montrer qu’on désapprouve son gouvernement. Eh bien, je crois que le devoir de tout Suisse établi à l’étranger, du moins dans les pays de l’Entente, est d’adopter franchement, résolument cette attitude d’opposition, ce qui sera pour lui la meilleure façon de servir les intérêts de son pays50.

18Cette prise de parole est comprise par Dumur comme le seul moyen de faire entendre à ses compatriotes la vérité, vérité qui ne peut être dite dans le pays en raison de la censure51. Il répète une dernière fois ce credo lorsqu’il cesse ses chroniques suisses :

Je ne sers aucune politique, je ne fais la politique de personne. Je dis la vérité. Je ne puis qu’apporter la simple et rude vérité, – sans me préoccuper de savoir à qui elle peut être utile ou nuisible, –– et qu’exprimer, dans cette mesure où la décence le permet, l’impression qu’elle me produit. Si cette vérité ne peut plus être dite, je préfère m’abstenir52.

19L’autorité symbolique du Mercure de France renforce la portée des propos de leur auteur, car la ligne patriotique adoptée par la revue lors de la reparution n’a rien cédé à la haute exigence littéraire qui est sa marque de fabrique53. Le poids de la parole de Dumur, s’il est difficile de mesurer le degré de pénétration de ses articles en Suisse romande, est souligné par trois aspects : des polémiques avec un grand titre helvétique (Journal de Genève), la reprise par une partie de la presse romande (plutôt genevoise) de ses propos et le soin apporté à la diffusion des articles, le tout dans un climat politique marqué par une très forte polarisation.

20Sans revenir sur l’ensemble des thèses de Dumur et des objections qui lui sont opposées en Suisse, deux griefs se dégagent, soulignés par le directeur du Journal de Genève. Le premier tient à l’utilisation d’un espace médiatique étranger pour critiquer la Suisse, ses autorités et la politique menées par ces dernières, au-delà même des reproches contenus dans les articles54. Le second est lié à la critique permanente de la censure et de ses dérapages en Suisse, alors que les articles en question du Genevois portent les marques de coupes, parfois importantes, des autorités françaises55. Ces remarques entraînent des répliques de Dumur, qui aboutissent à des polémiques (été 1915, printemps et automne 1916) avec le quotidien conservateur genevois, ainsi qu’au redoublement des piques contre ce dernier dans le Mercure de France56. Les adversaires politiques du Journal de Genève (la presse radicale principalement) relaient avec gourmandise les attaques de Dumur, tout d’abord pour soutenir le point de vue du Genevois qu’ils partagent largement, ainsi que pour des raisons touchant à des enjeux politiques locaux57.

21Ces deux objections concernent de près ou de loin la question de la censure. Dès le début de ses chroniques du Mercure de France, Dumur en critique le principe même, ainsi que les pleins pouvoirs. Il pointe sans relâche les interventions, maladroites parfois, de la censure. Fondamentalement, il estime qu’elle n’est pas justifiée en Suisse, car le pays n’est pas en guerre. En France, elle l’est et c’est à ce titre qu’il s’y soumet. Là où ses adversaires voient un paradoxe ou de la mauvaise foi, il estime que son raisonnement est parfaitement logique. Certainement suite à des remarques dans cette veine, Dumur se sent dans l’obligation de se justifier à nouveau dans la préface des Deux Suisse, le volume reprenant l’essentiel des articles du Mercure de France58.

22Tout en rejetant la censure suisse, le Genevois craint ses agissements à l’égard de ses propres écrits. L’origine de cette crainte tient vraisemblablement au climat général de méfiance marqué par différentes affaires (brochure et ouvrage de William Vogt saisis et interdits par les autorités fédérales en 1914 et 1915, condamnation du directeur de la Bibliothèque universelle Maurice Millioud en 1915, etc.59), voire peut-être par l’attitude de Debrit, car aucun article du Genevois n’a donné lieu à des avertissements ou à des saisies en Suisse à notre connaissance, qu’il s’agisse des textes écrits en Suisse ou de ceux publiés à Paris60. À l’exception de La Guerre mondiale, ses articles ont paru dans des revues dont le propos n’était ni politique ni en lien avec l’actualité et non dans des quotidiens ou des journaux politiques, lesquels étaient davantage surveillés. Dumur a élaboré très tôt des stratégies pour contourner les éventuelles interdictions et diffuser ses textes du Mercure de France, en recourant notamment à l’envoi ciblé de tirés à part61. La correspondance du Genevois contient de nombreuses marques d’approbation de connaissances et d’amis à qui ces articles avaient été adressés. Il est difficile de se faire une idée exacte des destinataires de ces envois et des effets produits, Dumur prêchant bien souvent à des convaincus, bien que des exceptions soient attestées.

23La question de la censure en Suisse est au centre des préoccupations de Dumur lorsqu’il prépare la parution en volume d’un choix de ses chroniques du Mercure de France. Il songe à un tel recueil dès l’été 1916 au moins, ayant déjà retenu les Éditions Bossard62, basées à Paris, pour l’impression. Le recours à un éditeur suisse est indispensable afin de rétablir les passages supprimés par la censure française. Ce dernier apparaîtrait comme l’éditeur et les Éditions Bossard ne seraient que le dépositaire. Le Genevois avait usé d’arguments spécieux pour justifier ces rétablissements, affirmant que le volume est destiné à être vendu uniquement en Suisse et que son auteur et son éditeur (A. Bossard) sont suisses. Ce système de coédition avait aussi pour but d’empêcher que les autorités helvétiques ne protestent auprès du gouvernement français63. Dumur craignait également que le Conseil fédéral ordonne la saisie de cet ouvrage sur le territoire helvétique, comme cela avait été le cas avec l’ouvrage de Vogt en 191564. À cette fin, Payot et Attinger sont contactés, mais déclinent la proposition65. Quelques mois plus tard, il tente sa chance auprès des Cahiers vaudois, proposant visiblement un arrangement matériel à l’avantage de ces derniers. Dans une longue lettre, Edmond Gilliard, après avoir consulté Paul Budry, décline cette offre, mettant en avant la « mauvaise colère » que la publication de cet ouvrage ne manquerait pas d’attirer sur les Cahiers vaudois. Gilliard estime la situation déséquilibrée, car Dumur peut, de Paris,

braver assez impunément l’opinion, ici en Suisse, c’est nous qui, pour l’opinion, serons responsables, étant les plus proches, étant sous la main, pour la satisfaction du public, étant à sa merci – et pouvant être atteints par cette opinion, dans les situations mêmes d’où nous tirons notre subsistance. Il n’y a pas à dire, c’est un engagement moral, et non simplement une opération d’éditeur66

24Il propose tout de même que les Cahiers vaudois se chargent du service, proposition que Dumur ne relèvera pas67. La prudence des Cahiers vaudois est source d’interrogation ; la revue avait bien profité des largesses des autorités françaises en 1915 et avait publié plusieurs textes très critiques à l’égard de la Suisse, en particulier Dans le chaos de Florian Delhorbe en 1915, charge violente contre la neutralité helvétique68. Est-ce la thématique abordée par Dumur qui gênait les Cahiers vaudois ou est-ce la personne même de Dumur ? Il n’est malheureusement pas possible d’en dire davantage en raison de l’absence de documentation explicite.

25Malgré ces échecs, le volume, contenant les éléments censurés dans le Mercure de France, paraît aux seules Éditions Bossard à Paris au début du printemps 1917, avec l’accord des responsables de la censure et de la Maison de la presse (liée aux services d’information et de propagande du Gouvernement français)69. La prudence et les précautions de Dumur se sont donc révélées inutiles. Ce changement d’attitude tient-il d’une modification du climat à l’intérieur des services de la censure et de la Maison de la presse ou du gouvernement français70 ? Cet aspect mériterait d’être repris et analysé sur la base d’une étude plus globale, notamment appuyée par des sources officielles françaises. Bref, le volume sera diffusé en France et aura droit à des comptes rendus dans plusieurs journaux et revues français, ainsi qu’en Suisse, sans que l’on ne connaisse l’ampleur de sa diffusion. Les autorités fédérales ne lanceront aucune mesure contre l’ouvrage, un peu au regret de son auteur.

Un dissident en exil ou un « Romain Rolland inversé » ?

26Plusieurs éléments du parcours et du discours de Dumur permettent de nous interroger sur l’image qu’il avait de lui-même et sur la représentation qu’il s’en faisait. Il insiste principalement sur son rôle de champion de la vérité, tout en laissant entendre que les conditions pour l’exprimer ouvertement n’étaient pas réunies en Suisse. Ainsi, seul l’« exil » lui permettait de surmonter cette difficulté. Deux paragraphes dans une lettre au poète Henry Spiess en novembre 1916 vont clairement dans ce sens :

Je suis tout simplement de l’avis de Ragaz (son dernier article Vérités suisses), à savoir que la vérité – ou ce qu’on croit la vérité – est toujours bonne à dire, “en tout temps et en tous lieux”, ce sont ses expressions. Ne pouvant dire ce que je pense en Suisse, je le dis ailleurs, où je peux. Les conséquences m’importent peu, conscient que je suis que ma modeste prose ne peut déterminer aucune conséquence, celles-ci résultant entièrement de ce qui se passe en Suisse, des événements intérieurs et extérieurs et de leurs auteurs responsables. Si ce que je dis a quelque intérêt, c’est en raison même des faits, qu’il ne servirait à rien de cacher, car je n’apprends rien à personne.
Il me semble au reste étrange qu’un homme de lettres se laisse aller aux reproches que tu m’exposes. La littérature de tous les temps et de tous les pays n’a vécu en grande partie que de la critique, parfois contre des mœurs, des institutions, des gouvernements, de Rabelais à Nietzsche, en passant par Shakespeare, Molière, Voltaire, Dostoïewsky, Tolstoï ; et quand elle ne pouvait le faire chez elle, elle le faisait à l’étranger : Victor Hugo, Heine et cent autres. Autant de mauvais patriotes, selon l’optique du Journal de Genève. Tout ce qu’on m’objecte est du pur sophisme71.

27Dumur se place donc dans une double tradition, celle des écrivains critiques à contre-courant de leurs gouvernants et celle des hommes de lettres contraints à l’exil pour exprimer leurs opinions. Il se présente ou se représente comme une sorte de dissident, bien que cette posture soit absente des textes publiés, ou du moins pas évidente. Christophe Prochasson et Anne Rasmussen ont souligné que la Première Guerre mondiale avait réuni les conditions propres à l’émergence d’une véritable dissidence, ce que l’affaire Dreyfus n’avait pu faire :

S’estimant menacée dans sa vie même, la nation se dota d’armes efficaces à l’encontre de ceux qui prétendaient contester le bien-fondé du conflit et en exigeaient l’arrêt immédiat. Il devint désormais beaucoup plus risqué de manifester publiquement son désaccord. […] Dépourvu de son innocence, l’intellectuel critique devint un dissident. Il prit l’habitude de mettre sa vie en péril. Une condition qui put longtemps lui tenir à cœur72.

28Rolland est évidemment la figure par excellence du dissident, réfugié en Suisse durant la Grande Guerre (il y était au moment du déclenchement du conflit) et y trouvant un lieu pour formuler et diffuser sa pensée et son message73. En raison de sa neutralité, la Suisse a pu devenir la « patrie symbolique de l’intelligentsia pacifiste74 », offrant aux exilés en provenance des Etats belligérants un espace d’expression absent dans leurs pays d’origine, avec un Rolland agissant comme un pôle d’attraction pour de nombreux pacifistes européens, français en premier lieu. De là à mettre sur le même plan Dumur et Rolland ou à faire du premier un « anti-Romain Rolland » ou un « Romain Rolland inversé », il y a une limite qu’il ne faut pas franchir. Notons que le premier n’a jamais été menacé dans sa vie, ni n’a fait l’objet de campagnes de presse violentes, voire calomniatrices comme le Français. Néanmoins, une comparaison du parcours des deux hommes permet de souligner quelques aspects intéressants.

29Des contacts directs entre les deux écrivains ne sont pas attestés, ni avant, ni pendant la Première Guerre mondiale. En Suisse, ils ont fréquenté quelques lieux où ils ont pu se croiser : l’Agence internationale des prisonniers de guerre et les Cahiers vaudois. Ils ont travaillé pour l’organisation installée au Musée Rath au début de la guerre, au milieu de très nombreux autres bénévoles. Les Cahiers vaudois est le deuxième lieu de rencontre. Tous deux apparaissent au sommaire du premier volume de Louvain… Reims…, même si leurs rapports avec cette revue diffèrent fortement. Rolland s’en éloigne peu de temps après avoir rédigé sa contribution (« Pro Aris »), notamment en raison de son évolution personnelle et de la germanophobie de Morax, l’autre protagoniste de ce volume75, alors que Dumur y donne Culture française et culture allemande en 1915.

30Pourtant riche en notations sur la vie intellectuelle, journalistique et culturelle romande, le journal tenu par Rolland durant la guerre ne contient que trois références à Dumur, par ailleurs marginales. La première et certainement la plus intéressante, en date du 13 octobre 1916, se trouve dans un passage où le diariste s’interroge sur les raisons de l’hostilité des Romands à tout ce qui est germanique. Il la met sur le compte du « ressentiment lointain contre l’hégémonie de la Suisse allemande. Morhardt dit en plaisantant : “Dans tout Vaudois sommeille le désire de venger le major Devel (sic)”76. » Les Vaudois (Morax, Dumur, Maurice Muret et Secrétan sont nommés) sont particulièrement « atteints » par ce syndrome. La présence de Dumur dans cette liste n’est pas surprenante, car il était effectivement Vaudois, sa famille étant bourgeoise de Grandvaux77. Toutefois, il était davantage perçu comme Genevois, canton où il était né, où résidait sa famille, où il avait été au Collège, etc. Il était également bien introduit dans les milieux politiques genevois, en particulier auprès de certains membres importants du mouvement radical, ainsi qu’auprès de quelques socialistes. Cette information biographique avait dû être rapportée à Rolland par une personne bien informée, à moins qu’elle fût de notoriété publique ou qu’il ait déduit cette appartenance de la participation de Dumur aux Cahiers vaudois (les collaborateurs n’étaient pas tous Vaudois). Les deux dernières mentions prennent place dans la relation des attaques dont Henri Guilbeaux était l’objet dans la presse française et helvétique78. Il est vrai qu’à partir de 1917 et l’arrivée du second ministère de Clemenceau, la lutte contre les « défaitistes » prend une tournure plus violente. Le Journal de Rolland en fait état régulièrement durant cette période, lui qui alors « ne sait ce qui se trame en France et [qui] commence à douter de la neutralité des Suisses79. »

31Un point de convergence étonnant apparaît dès 1915 : ils se rejoignent sur des sentiments mitigés, voire hostile, envers le Journal de Genève, mais pour des raisons opposées. Après avoir trouvé dans ce quotidien, grâce au soutien de Seippel, un lieu d’expression pour quelques-uns de ses grands textes (« Lettre ouverte de Romain Rolland à Gerhart Hauptmann » le 2 septembre 1914, « Au-dessus de la mêlée », le 22 septembre, « Inter arma caritas », le 4 novembre), ces colonnes se ferment progressivement au Français. Le quotidien conservateur se montre réticent à publier les articles d’un homme fort mal vu en France, ce qui pourrait induire une baisse des ventes80. Dans le même temps, Rolland regrette le glissement du journal vers une ligne francophile, en particulier sous l’influence de ses deux principaux chroniqueurs, Bonnard et Feyler :

Sous couleur de neutralité, cette feuille [i. e. le Journal de Genève] se fait la pourvoyeuse de l’abattoir, la rabatteuse de la tuerie. Plus acharnée et plus haineuse que les journaux français, avec hypocrisie, elle dénature chaque jour les faits de guerre, entretient les illusions et les illusions meurtrières, et par la plume d’Albert Bonnard et de Feyler, sert aux basses œuvres de Poincaré et de sa bande81.

32Dumur, quant à lui, considère ces deux journalistes comme les seules plumes crédibles du quotidien82 ! Dès l’été 1915, il avait critiqué la ligne neutraliste du Journal de Genève, s’attirant des répliques de son directeur, puis l’avait accusé d’être purement et simplement le porte-parole des germanophiles romands à l’automne 191683.

33Il est difficile, à partir de ces seuls éléments, de développer une plus grande analyse sur la relation entre ces deux hommes. Ces différents indices ne doivent pas faire oublier leurs parcours fondamentalement différents, tout comme leurs messages respectifs. Il est néanmoins intéressant de relever que Rolland, figure certes mythifiée par ses disciples et autres admirateurs, et Dumur partagent un point commun, qui permet de les considérer tous deux comme des « exilés » ou des « dissidents », même si ces catégories doivent être relativisées et remises en contexte : ils ont la conviction que leur vérité, qu’ils considèrent comme la vérité, ne peut être dite que depuis une tribune située dans un pays qui n’est pas le leur. Pour le premier, la Suisse, vue comme une île de liberté au cœur de l’Europe en guerre84 heureusement épargnée par la censure et la propagande gouvernementale, pour le second la France, où la censure suisse, aux mains d’autorités germanophiles voire carrément de l’Allemagne85, ne peut l’atteindre. Dumur avait implicitement mis en parallèle leurs deux situations en 1916. Il avait relevé que Rolland et lui occupaient une position marginale qui les poussait à s’exprimer dans des publications situées dans un pays autre que le leur. En formulant cette remarque, le Genevois cherchait avant tout à dénoncer l’injustice qui lui était faite par le Journal de Genève. Il regrettait amèrement que le quotidien conservateur n’acceptât pas de publier ses prises de position, alors qu’il avait ouvert ses colonnes à Rolland, au nom de la liberté : « ce n’est pas le journal qui a accueilli les articles d’un Français écrits “au-dessus de la mêlée” qui devrait en vouloir à un Suisse d’essayer en toute franchise, et selon les moyens qui sont en son pouvoir, de voir clair en lui-même et autour de lui. »86

Conclusion

34Les différents éléments exposés plus haut permettent de mettre en perspective le discours critique de Dumur dans le contexte si particulier de la Grande Guerre. En fin connaisseur des champs politiques, littéraires et journalistiques suisses et français, il a pris en compte les spécificités de chacun pour faire part de son message. Les articles parus en Suisse ont la particularité de s’attaquer à l’Allemagne, dans un discours assez général, pointant en particulier le comportement de ses troupes en Belgique et dans le Nord de la France, tout en dénonçant le recours à la force brute au lieu du respect du droit (viol de la neutralité belge). Les sujets touchant à la politique suisse sont proscrits, semble-t-il de sa propre initiative, afin d’éviter la censure. En revanche, les chroniques du Mercure de France forment une sorte d’observatoire de la politique menée par le Conseil fédéral et des entorses à la neutralité. Cet espace français supplée à celui qui lui manquait en Suisse, il peut ainsi s’y exprimer librement, réserve faite des interventions de la censure française, qui ne laissent presque aucun article intact87. Cet accommodement, consciemment accepté, offre à Dumur, selon lui, le seul moyen d’exprimer la vérité, ce qu’il répète à de nombreuses reprises. La voie solitaire qu’il dit avoir choisie, lui donne l’impression d’être une sorte de Cassandre en exil. Ce dernier point n’est pas thématisé en tant que tel dans son discours, il apparaît, secondairement, comme une conséquence de la censure helvétique (a posteriori). De façon plus générale, il estime simplement se borner à « essayer d’être un simple observateur et un honnête homme88. »

35Cette figure solitaire est à nuancer. Les nombreuses marques de soutien qu’il reçoit en France et surtout en Suisse montrent qu’il peut s’appuyer sur un public qui partage ses opinions. Il n’est en effet pas le seul intellectuel à s’être élevé contre l’attitude de la Suisse durant le conflit et à s’être exprimé à ce sujet, ni le seul à avoir collaboré à des publications éditées hors du territoire suisse. Dumur a par exemple ouvert les colonnes du Mercure de France à Louis Courthion, journaliste valaisan, rédacteur au Confédéré, journal radical de Martigny89, ou à Florian Delhorbe, qui publiera également un Essai sur le neutre aux Editions Bossard en 191790. Cet aspect, encore relativement peu connu, pourrait faire l’objet d’une étude en soi. Les quelques indices rassemblés dans cette étude soulignent la circulation des idées et des écrits entre ces différents pays, malgré des circonstances peu propices à ce type de transfert.

Notes de bas de page numériques

1 Je tiens à remercier le Professeur François Vallotton (Université de Lausanne) pour sa relecture critique et ses précieuses remarques.

2 Sur la Suisse durant la Première Guerre mondiale cf. Roland Ruffieux, La Suisse de l’entre-deux-guerres, Lausanne, Payot, 1974, pp. 9-48 ; Hans Ulrich Jost, « Menace et repliement. 1914-1945 », in Nouvelle histoire de la Suisse et des Suisses, Lausanne, Payot, 1983, pp. 91-178, Georg Kreis, Insel der unsicheren Geborgenheit. Die Schweiz in den Kriegsjahren 1914-1918, Zürich, Verlag Neue Zürcher Zeitung, 2014, (NZZ Libro) et Roman Rossfeld, Thomas Buomberger, Patrick Kury (éd.), 14/18. La Suisse et la Grande Guerre, Baden, hier + jetzt, 2014.

3 Alain Clavien, « Les intellectuels suisses et la Grande Guerre. Un engagement vigoureux », in Roman Rossfeld, Thomas Buomberger, Patrick Kury (éd.), 14/18. La Suisse et la Grande Guerre, op. cit., p. 104.

4 Etienne Clouzot (dir.), L’Agence internationale des prisonniers de guerre. Genève, 1914-1918, s. l., s. n., 1919, pp. 115-116.

5 Archives cantonales vaudoises (abrégé dorénavant ACV), Chavannes-près-Renens (ci-après ACV), PP 538, 187/3, lettres d’Alfred Vallette à Louis Dumur, Paris, 20 janvier et 4 mai 1915.

6 ACV, PP 538, 187/3, lettres d’Alfred Vallette à Louis Dumur, Paris, 23 décembre 1914 et 28 janvier 1915.

7 Louis Dumur, « L’Agence internationale des prisonniers de guerre à Genève », Revue politique et littéraire. Revue bleue, 15, 53e année, 31 juillet-7 août 1915, pp. 333-338, article repris dans la première édition des Deux Suisse ; Louis Dumur, Les deux Suisse. 1914-1917, Paris, Éditions Bossard, 1917, pp. 308-314.

8 ACV, PP 538, 187/4, lettres de Paul Flat à Louis Dumur, Paris, 3 mai et 22 juin 1915 (cette dernière pour la citation).

9 Lettre de Romain Rolland à sa mère, Vevey, 6 octobre 1915, in Je commence à devenir dangereux. Choix de lettres de Romain Rolland à sa mère (1914-1916), introduction d’Else Hartoch, Paris, Albin Michel, 1971 (Cahiers Romain Rolland, 20), pp. 174-175.

10 Dans la même revue paraît également le roman de Dumur Les trois demoiselles du père Maire ; ACV, PP 538, 187/3, lettre de Gustave Fuss-Amoré à Louis Dumur, Paris, 11 août 1915, Louis Dumur, Les deux Suisse, op. cit., 19171, p. 308.

11 La Suisse, 27 septembre 1914.

12 Pascal Bongard, « L’autre guerre ». Intellectuels et propagande française en Suisse pendant la Grande Guerre (1914-1918), Fribourg, mémoire de licence, 1996, p. 232.

13 Tribune de Genève, 29, 30 septembre, 1er, 2, 4-5, 8, 9, 11-12, 15, 20, 28 octobre 1914. La liste complète des signataires paraît en 1915 dans le second volume du double numéro des Cahiers vaudois, Louvain… Reims… II Documents, Lausanne, C. Tarin, 1915, (Cahiers vaudois, 10), pp. 79-90.

14 Jean-François Sirinelli a noté que l’activité pétitionnaire avait cessé durant la guerre en France, remplacée par d’autres types de mobilisations, notamment le manifeste ; Jean-François Sirinelli, Intellectuels et passions françaises. Manifestes et pétitions au XXe siècle, Paris, Fayard, 1990, p. 35.

15 Dumur venait d’être reçu membre honoraire de la Société d’étudiants de Belles-Lettres Genève ; Société de Belles-Lettres Genève. Livre d’or, Genève, Kündig, 1939, p. 194.

16 Le discours n’est pas daté, mais il a dû se tenir autour du 12 décembre, date de célébration de l’Escalade (commémoration de l’attaque manquée du duc de Savoie contre Genève dans la nuit du 11 au 12 décembre 1602). Il est en tout cas postérieur au 7, car Dumur fait allusion au discours de Henry Fazy, doyen d’âge du Conseil national, qui avait protesté contre le non respect de la neutralité belge dans le discours d’ouverture de la 23e législature fédérale le 7 décembre 1914, ACV, PP 538, 195/4, Discours prononcé à l’occasion du banquet de l’Escalade de la Société de Belles-Lettres de Genève en décembre 1914, f. 7.

17 ACV, PP 538, 195/4, Discours prononcé à l’occasion du banquet de l’Escalade de la Société de Belles-Lettres de Genève en décembre 1914, f. 6.

18 ACV, PP 538, 195/4, Discours prononcé à l’occasion du banquet de l’Escalade de la Société de Belles-Lettres de Genève en décembre 1914, f. 8.

19 L’audience et l’impact de ce discours, tenu dans un cercle relativement restreint, ne sont pas connus. Il n’a semble-t-il pas fait l’objet de compte rendu dans la presse.

20 Dumur définit ainsi les neutralistes : « Ce sont des gens qui, terrorisés à l’idée d’une scission possible en Suisse, préfèrent renoncer à défendre l’idéal helvétique, au profit d’une neutralité de convention, plutôt que de se résoudre à parler un peu fermement aux oreilles entêtées de nos embochés. La Suisse au-dessus de tout, c’est leur unique refrain, même si la Suisse ne doit plus rien signifier dans le monde. Leur soi-disant patriotisme s’émeut de toute velléité de résistance aux injonctions venues de Berne. Du moment que la Suisse allemande est la plus forte, il n’y a qu’à s’incliner, telle est leur mentalité. » Louis Dumur, Les deux Suisse, Paris, Éditions Bossard, 19183 (19171), p. 90 ; sauf mention contraire, les citations des Deux Suisse sont tirées de la troisième édition.

21 Sur cette question, cf. les pages très éclairantes d’Alain Clavien, Histoire de la Gazette de Lausanne. Le temps du colonel. 1874-1917, Vevey, L’Aire, 1997, pp. 290-297 et du même, Grandeur et misère de la presse politique. Le match Gazette de Lausanne – Journal de Genève, Lausanne, Antipodes, 2010, pp. 81-85. Cf. également sa récente étude sur les intellectuels suisses durant le conflit, « Les intellectuels suisses et la Grande Guerre. Un engagement vigoureux », art. cit.

22 Sur les Cahiers vaudois, cf. récemment, mais centré davantage sur Ramuz, Reynald Freudiger, « Un prophète en son pays », in C. F. Ramuz, Essais. 1. 1914-1918, Genève, Slatkine, 2009, (Œuvres complètes, XV), pp. IX-XLIX, et la mise au point synthétique avec une bonne bibliographie de Stéphane Pétermann, « Cahiers vaudois », in Bruno Curatolo (dir.), Dictionnaire des revues littéraires au XXe siècle. Domaine français, Paris, H. Champion, 2014, (Dictionnaires & Références, 30), vol. I, pp. 113-116.

23 Sur la question des écrivains suisses face à la Première Guerre mondiale, dont celle du groupe des Cahiers vaudois, cf. Daniel Maggetti, « Ramuz, les écrivains suisses et la Grande Guerre », in Annamaria Laserra, Nicole Leclercq, Marc Quaghebeur (dir.), Mémoires et Antimémoires littéraires au XXe siècle. La Première Guerre mondiale, Bruxelles, P. I. E.-Peter Lang, 2008, (Documents pour l’histoire des francophonies, Théorie, 15), vol. I, pp. 111-125.

24 Lettre de René Morax à C. F. Ramuz, Morges, 30 août 1914, in C.-F. Ramuz ses amis et son temps. V. 1911-1918, présentation, choix et notes de Gilbert Guisan, Lausanne, La Bibliothèque des Arts, 1969, p. 227.

25 Le premier tome de Louvain… Reims… paraît en janvier 1915, daté de 1914, le second en mars 1915. Sur la genèse de ce double cahier surtout du point de vue de Morax cf. Pierre Meylan, René Morax et son temps, Morges, Editions du Cervin, 1973, pp. 90-96.

26 Entièrement conçu avant le déclenchement de la guerre et prévu pour le mois de juillet, ce volume ne paraîtra qu’en novembre 1914 ; Louis Dumur, « Les représentations. Mathias Morhardt à Genève », in D’avant la guerre, Lausanne, C. Tarin, 1914, (Cahiers vaudois, 6), pp. 35-39.

27 Louvain… Reims… I, Lausanne, C. Tarin, 1914, (Cahiers vaudois, 10), pp. 54-55.

28 Louvain… Reims… I, op. cit., p. 55.

29 Louis Dumur, Culture française et culture allemande, Lausanne, C. Tarin, 1915, (Cahiers vaudois, 11).

30 La publication en 1908 d’articles dans le Mercure de France s’était accompagnée d’une polémique, cf. Antoine Piatoni, « La naissance de la polémique. Louis Dumur et la philosophie nietzschéenne », Cahiers Louis Dumur, 1, 2014, pp. 15-30.

31 Christophe Prochasson, Anne Rasmussen, Au nom de la patrie. Les intellectuels et la Première Guerre mondiale (1910-1919), Paris, La Découverte, 1996, (Textes à l’appui. L’aventure intellectuelle du XXe siècle), pp. 130-138.

32 ACV, PP 538, 194, lettres de Paul Budry à Louis Dumur, Lausanne, 8 juin et 1er décembre 1915. Le premier tirage était de 900 exemplaires, 1000 seront retirés au mois de juin, certainement pour satisfaire la future commande française.

33 Edmond Gilliard signale un achat total de 3000 exemplaires par l’Ambassade de France du double Cahiers et Jean-Claude Montant, à partir d’archives françaises, arrive à 800 exemplaires du premier volume de Louvain… Reims…, 500 du second et 1000 de celui de Dumur, soit 2 300 exemplaires pour un total de 2 300 francs ; Edmond Gilliard, Tout-y-va (1963), in Œuvres complètes, établies et publiées par François Lachenal et al., Genève, Editions des Trois Collines, 1965, p. 948, Jean-Claude Montant, La Propagande extérieure de la France pendant la Première Guerre mondiale. L’exemple de quelques neutres européens, thèse Paris 1-Panthéon-Sorbonne, Lille, Atelier national de reproduction des thèses, 1988, p. 1127.

34 Sur cette publication, cf. les pages d’Alexandre Elsig, « Les shrapnells du mensonge ». La Suisse face à la propagande allemande de la Grande Guerre, thèse de l’Université de Fribourg, 2014, pp. 143-147.

35 Archives fédérales, Berne (ci-après : AF), E 1004.1, 1000/9, 1/258, procès-verbal de la séance du Conseil fédéral du 7 octobre 1914, p. 2, Jules Carrara, « À la Vierge d’Aerschot », La Guerre mondiale, 26, 30 septembre 1914, p. 208 et Jules Carrara, « Pas encore ! », La Guerre mondiale, 27, 1er octobre 1914, p. 215.

36 ACV, PP 538, 187/2, lettre de Jean Debrit à Louis Dumur, Genève, 30 octobre 1914.

37 Louis Dumur, « Presse germanophile en langue française », Mercure de France, 475, t. 126, 1er avril 1918, p. 552.

38 Cet article n’a pas été conservé, il n’est connu que par la critique qu’en donne Debrit.

39 ACV, PP 538, 187/2, lettre de Jean Debrit à Louis Dumur, Genève, 8 novembre 1914.

40 « Mon enviable situation de neutre m’interdit d’émettre publiquement des vœux pour le succès de l’un ou de l’autre des camps adverses néanmoins, si la fortune des armes – sinon celle du droit – veut que les armées alliées franchissent à leur tour la frontière, j’espère qu’elles laisseront intacts le dôme de Cologne et la basilique de Worms, se bornant, pour toutes représailles de cet ordre, à jeter bas l’horrible et grosse Germania des bords du Rhin, pour donner ainsi aux incendiaires de Louvain et aux projecteurs de bombe sur le toit de Notre-Dame de Paris la meilleure des leçons d’art. » Louis Dumur, « L’art et la guerre », La Guerre mondiale, 65, 14 novembre 1914, pp. 513-515.

41 Louis Dumur, « Presse germanophile en langue française », art. cit., p. 552.

42 Sept notes de la rédaction ont été ajoutées dans cet article, afin de nuancer le propos de Dumur et surtout, de manière maladroite, à dissocier le cas étudié et celui de la Suisse, Louis Dumur, « L’Allemagne et la neutralité américaine », La Guerre mondiale, 196, 19 avril 1915, pp. 1561-1562, Louis Dumur, « Presse germanophile en langue française », art. cit., pp. 552-553.

43 Louis Dumur, « Presse germanophile en langue française », art. cit., p. 552.

44 De plus, Alexandre Elsig a bien montré que les services allemands de propagande cherchaient à acheter La Guerre mondiale au printemps 1915, démarches qui n’aboutiront pas. Dumur, comme les autres contempteurs de Debrit, ignoreront ces démarches, Alexandre Elsig, « Les shrapnells du mensonge », op. cit., pp. 144-146.

45 Sur la censure, cf. Alain Clavien, Histoire de la Gazette de Lausanne, op. cit., pp. 300-304 et Alexandre Elsig, « Les aléas de la censure », in Roman Rossfeld, Thomas Buomberger, Patrick Kury (éd.), 14/18. La Suisse et la Grande Guerre, op. cit., pp. 52-53.

46 ACV, PP 538, 187/3, lettres d’Alfred Vallette à Louis Dumur, Paris, 19 février, 17 mars et 23 avril 1915.

47 ACV, PP 538, 187/3, lettre de René de Weck à Louis Dumur, Londres, 6 mars 1915. De Weck aurait accepté à la condition que ses textes paraissent sous pseudonyme.

48 BGE, Ms. fr. 1750/1, 2, 3, lettre de Louis Dumur à Alfred Vallette, Genève, 22 février [1915], ACV, PP 538, 187/3, lettre d’Alfred Vallette à Louis Dumur, Paris, 26 février 1915.

49 Il y consacre 37 articles (huit en 1915, neuf en 1916, treize en 1917 et sept en 1918). Un choix d’articles paraîtra en volume sous le titre Les deux Suisse au printemps 1917, réédité en 1918 dans une version augmentée. Sur ces articles et ce recueil, cf. notre contribution « Louis Dumur ou un regard critique sur la Suisse durant la Première Guerre mondiale », in Christophe Vuilleumier (dir.) La Suisse et la guerre de 1914-1918, Genève, Slatkine, 2015, pp. 207-233.

50 Louis Dumur, Les deux Suisse, op. cit., p. 46.

51 Louis Dumur, Les deux Suisse, op. cit., p. 14 et p. 48.

52 Louis Dumur, « Le sablier tourne », Mercure de France, 487, t. 129, 1er octobre 1918, p. 553. Outre qu’il estime pouvoir se taire en raison de la victoire de l’opinion favorable à l’Entente en Suisse, la dernière phrase fait allusion à l’interdiction de publication d’un article entier par les autorités françaises, dans lequel le conseiller fédéral Edmund Schulthess, responsable du Département de l’économie, était violemment pris à parti.

53 Yoan Vérilhac, « Mercure de France », in Bruno Curatolo (dir.), Dictionnaire des revues littéraires au XXe siècle, op. cit., vol. II, p. 953.

54 Gustave Ador, alors président du CICR et homme politique genevois libéral plutôt francophile, réagit fortement au fait que Dumur critique la Suisse dans une revue étrangère, ce qu’il ne manque pas de lui signaler, suite à l’envoi par ce dernier d’articles du Mercure de France, tout en réfutant les accusation portées contre le Journal de Genève. Ador conclut en relevant que « En dénigrant Genève dans un journal français, vous faites sciemment le plus grand tort à notre patrie et à la cause des Alliés. », ACV, PP 538, 195/10, lettres de Gustave Ador à Louis Dumur, Genève, 24 août 1915 et Cologny, 18 octobre 1916 (cette dernière pour la citation).

55 Des signes typographiques suggèrent des coupes, qu’il s’agisse de suites de points ou d’indications plus explicites (« [L’article ci-dessus a été fortement échoppé par la censure française] »). C’est par exemple le cas dans l’article à l’origine des remarques de Wagnière, Louis Dumur, « Sous la botte », Mercure de France, 428, t. 114, 16 avril 1916, p. 748, p. 750 et p. 751, repris dans Les deux Suisse, Louis Dumur, Les deux Suisse, op. cit., pp. 134-147.

56 Une partie des articles de Wagnière et des réponses de Dumur, publiées ou non, figurent en annexe de la première édition des Deux Suisse, Louis Dumur, Les deux Suisse, op. cit., 19171, pp. 287-295 et pp. 298-307.

57 Sur le contexte politique à la veille et durant la guerre, cf. Paul-E. Martin, « De la Séparation à la Guerre. 1907-1914 », in Paul-E. Martin (dir.), Histoire de Genève de 1798 à 1931, Genève, Alexandre Jullien, 1956, pp. 373-399 et Marguerite Maire, « Genève pendant la Première Guerre mondiale. 1914-1918 » et « La politique intérieure. 1915-1918 », in Paul-E. Martin (dir.), Histoire de Genève, op. cit., pp. 409-421 et pp. 423-431.

58 Louis Dumur, Les deux Suisse, op. cit., p. 8 et p. 18.

59 Louis Dumur, Les deux Suisse, op. cit., pp. 72-74 et pp. 98-118.

60 Le cas de L’Après-Guerre, publication suspendue en janvier 1918 par le Conseil fédéral, mériterait un examen particulier. Il n’est pas sûr que Dumur y ait collaboré directement, malgré un article en forme de réclame vantant les mérites des Deux Suisse, L’Après-Guerre, 4, octobre 1917, p. 40, AF, E27/1000/721-13725, L’Après-Guerre (Lausanne).

61 ACV, PP 538, 187/3, lettre d’Alfred Vallette à Louis Dumur, Paris, 19 mai et 19 novembre 1915. Dans cette dernière lettre, Vallette assure à Dumur être prêt à lui envoyer 50 exemplaires de la feuille contenant son article, tout en craignant que le colis soit intercepté à la frontière.

62 Cette maison d’édition est assez peu connue. Créées en 1917 (pour permettre à Dumur de publier son volume ?), les Éditions Bossard sont spécialisées dans les ouvrages d’histoire et la publication de documents historiques, en lien avec la Grande Guerre pour une grande partie, suivant une ligne germanophobe et patriotique. Une cinquantaine de titres avaient paru en 1918, d’après son catalogue. Après la guerre, la maison poursuit dans la même veine, publiant notamment les Cahiers de l’Anti-France entre 1922 et 1924, cf. Catalogue des Editions Bossard publié le 15 mars 1918, Paris, Editions Bossard, 1918, p. et les quelques éléments (très critiques) dans l’article de Charles Vildrac, « Du P.C.D.F à l’ancien combattant », Europe. Revue mensuelle, 134, 15 novembre 1934, pp. 479-480.

63 ACV, PP 538, 195/5, Note pour M. Berthelot, [février-mars 1917].

64 ACV, PP 538, 187/3, lettre de Louis Dumur à René Claparède, Paris, 17 mai 1917.

65 ACV, PP 538, 195/5, lettres des Éditions Payot à Louis Dumur, Paris, 20 juillet 1916 et de Victor Attinger à Louis Dumur, Neuchâtel, 18 août 1916.

66 ACV, PP 538, 195/5, lettres de Edmond Gilliard à Louis Dumur, Lausanne, 4 et 7 mars 1917 (lettre du 7 mars pour la citation).

67 ACV, PP 538, 195/5, lettre de Edmond Gilliard à Louis Dumur, Les Diablerets, 26 juillet 1917.

68 Dumur en fera un compte rendu enthousiaste dans le Mercure de France ; Louis Dumur, Les deux Suisse, op. cit., pp. 93-97.

69 ACV, PP 538, 195/5, lettres de A. Besson (employé du secrétariat particulier du Ministre de la Guerre) à Louis Dumur, Paris, 14 mars 1917 et de A. Bossard à Louis Dumur, Paris, 15 mars 1917.

70 En mars 1917 s’achève le ministère d’Aristide Briand, également responsable des Affaires étrangères, dont dépend la Maison de la presse dirigée par Philippe Berthelot. Ce changement provoque une réorganisation de ces services. Sur ce sujet, cf. Jean-Claude Montant, « L’organisation centrale des services d’informations et de propagande du Quai d’Orsay durant la Grande Guerre », in Jean-Jacques Becker, Stéphane Audoin-Rouzeau (dir.), Les Sociétés européennes et la guerre de 1914-1918, [Paris], Publications de l’Université de Nanterre, 1990, pp. 135-143.

71 BGE, Ms. fr. 2333, f. 6 v., lettre de Louis Dumur à Henry Spiess, [Paris], 26 novembre 1916.

72 Christophe Prochasson, Anne Rasmussen, Au nom de la patrie, op. cit., p. 142.

73 La bibliographie relative au séjour de Rolland en Suisse et à son activité durant la guerre est immense ; cf. récemment : Jean-Pierre Meylan, « Romain Rolland au-dessus mais aussi dans la mêlée. Appréciation socio-politique de son pacifisme dans le contexte européen et suisse 1914-1918 », in Bernard Duchatelet (dir.), Romain Rolland, une œuvre de paix, Paris, Publications de la Sorbonne, 2010, (Homme et société, 36), pp. 73-87, Landry Charrier, « Romain Rolland, les relations franco-allemandes et la Suisse (1914-1919) », Les cahiers de l’Irice, 8/2, 2011, pp. 91-109 et Alain Clavien, « “Ce faux Christ des nations…” Romain Rolland et quelques intellectuels romands, 1914-1918 », in Alain Corbellari (éd.), Romain Rolland et la Suisse, Lausanne, Etudes de Lettres, 2012, (Etudes de Lettres 2012/3, 291), pp. 11-28, sans oublier le très riche Journal des années de guerre de Rolland ; Journal des années de guerre. 1914-1919. Notes et documents pour servir l’histoire morale de l’Europe de ce temps, texte établi par Marie Romain Rolland, Paris, Albin Michel, 1952.

74 Christophe Prochasson, Les Intellectuels, le socialisme et la guerre, Paris, Le Seuil, 1993, coll. L’Univers historique, p. 162.

75 Romain Rolland, « Pro Aris », in Louvain… Reims… I, op. cit., pp. 13-24. Le second volume contient la reprise de la « Lettre de Romain Rolland à Gerhart Hauptmann », ainsi que la réponse de l’Allemand et la réaction de Rolland à ce dernier texte ; Louvain… Reims… II, op. cit., pp. 122-129.

76 Le major Davel tente seul de libérer le Pays de Vaud de la tutelle bernoise en 1723. Rapidement arrêté, jugé puis exécuté, il devient une sorte de « héros national » vaudois à partir des années 1830-1840, incarnation de la résistance à Berne, mort en martyr pour la liberté vaudoise, Romain Rolland, Journal des années de guerre, op. cit., p. 927 (13 octobre 1916).

77 Dans la préface aux Deux Suisse, rédigée en janvier 1917, Dumur souligne l’enracinement immémorial de sa famille dans le Pays de Vaud, antérieur même à la conquête bernoise de 1536. Il mentionne également la tentative du major Davel : « Nous [i. e. la famille Dumur] y étions quand notre voisin le major Davel, à la tête de ses cinq cents hommes en parements rouge, bas rouges et chapeaux bordés, prit un matin de 1723 la grand’route de Lausanne où, dans son héroïque et infructueux dessein de soulever son pays contre la tyrannie, il allait trouver le martyre et la gloire. », Louis Dumur, Les deux Suisse, op. cit., p. 48.

78 Romain Rolland, Journal des années de guerre, op. cit., p. 1400 (début février 1918) et pp. 1807-1808 (1919). Dans la première, Rolland est encore relativement modéré pour Dumur, car ce dernier « prend soin de séparer ma cause de celle de Guilbeaux. Il admet que je sois “honnête”. Même tactique dans un article du Petit Parisien qui traite Guilbeaux et Debrit d’agents allemands, mais qui me met à part de ces accusations, en ne me blâmant que de “faiblesse”. » Dans la seconde mention, le ton est plus dur, estimant que Dumur a poursuivi Guilbeaux d’une haine personnelle et s’offusquant que le premier ait colporté que le second fût son secrétaire.

79 Jean-Pierre Meylan, « Romain Rolland au-dessus mais aussi dans la mêlée », art. cit., p. 84.

80 Alain Clavien, Grandeurs et misères de la presse politique, op. cit., pp. 85-89.

81 Romain Rolland, Journal des années de guerre, op. cit., p. 709.

82 Louis Dumur, Les deux Suisse, op. cit., pp. 195-198.

83 Louis Dumur, Les deux Suisse, op. cit., pp. 188-200. Le contentieux de Dumur avec le Journal de Genève a certainement des origines antérieures à la position du quotidien durant la Première Guerre mondiale.

84 A la fin de l’année 1917, au moment où les pressions des Alliés se font de plus en plus fortes sur la Suisse, Rolland craint que « le dernier îlot de liberté [soit] submergé », Romain Rolland, Journal des années de guerre, op. cit., p. 1346.

85 « On m’a reproché d’avoir dit, devant les intrusions de M. de Romberg, ministre d’Allemagne, dans une boutade que je ne retire pas, que c’était l’Allemagne qui gouverne à Berne. Me fera-t-on le même reproche si j’ajoute que c’est l’Allemagne qui censure ? », Louis Dumur, Les deux Suisse, op. cit., p. 105.

86 ACV, PP 538, 195/5, lettre de Louis Dumur à Georges Wagnière, Paris, 12 mai 1916. Cette lettre est reproduite en annexe dans la première édition des Deux Suisse ; L. Dumur, Les deux Suisse, op. cit., (19171), pp. 293-295.

87 Il explique les raisons et la variation des coupes dans la préface à la troisième des Deux Suisse ; Louis Dumur, Les deux Suisse, op. cit., pp. 7-8.

88 BGE, Ms. fr. 2333, f. 6 v., lettre de Louis Dumur à Henry Spiess, [Paris], 26 novembre 1916.

89 Louis Courthion, « Le front des langues en Suisse », Mercure de France, 420, t. 112, 1er décembre 1915, pp. 636-645 ; Louis Courthion, « L’origine des “clous” d’Hindenburg », Mercure de France, 450, 1. 120, 16 mars 1917, pp. 267-270 ; Louis Courthion, « Les Allemands comprennent-ils la liberté ? Schiller et Guillaume Tell », Mercure de France, 492, t. 130, 16 décembre 1918, pp. 627-636.

90 Florian Delhorbe, « Essai sur le neutre », Mercure de France, 441, t. 118, 1er novembre 1916, pp. 70-85. L’article en question, dédié à Dumur, constitue une partie du bref ouvrage qui paraît aux Éditions Bossard, sous le même titre en 1917 ; Florian Delhorbe, Essai sur le neutre, Paris, Éditions Bossard, 1917.

Pour citer cet article

Nicolas Gex, « « Ne pouvant dire ce que je pense en Suisse, je le dis ailleurs, où je peux. » Louis Dumur : un critique de la Suisse en exil à Paris ? », paru dans Loxias-Colloques, 8. Ecrire en Suisse pendant la grande Guerre, Ecrire en Suisse pendant la Grande Guerre, « Ne pouvant dire ce que je pense en Suisse, je le dis ailleurs, où je peux. » Louis Dumur : un critique de la Suisse en exil à Paris ?, mis en ligne le 22 août 2017, URL : http://revel.unice.fr/symposia/actel/index.html?id=929.


Auteurs

Nicolas Gex

Nicolas Gex est assistant et doctorant en histoire contemporaine à l’Université de Lausanne, il est également membre du comité de la Société Louis Dumur (Genève). Il a publié quelques articles sur divers aspects de l’œuvre de Louis Dumur.