Loxias-Colloques |  8. Ecrire en Suisse pendant la grande Guerre |  Ecrire en Suisse pendant la Grande Guerre 

Denis Bussard  : 

« Il est peut-être nécessaire que l’art se jette en pleine mêlée » : parcours éditorial de Pierre Jean Jouve durant la Grande Guerre

Résumé

De nombreuses zones d’ombre subsistent encore à propos des activités pacifistes que Pierre Jean Jouve (1887-1976) a menées en Suisse durant la Grande Guerre, à commencer par son parcours éditorial. Se basant sur des correspondances inédites (dont les échanges épistolaires entre Jouve et Romain Rolland), cette contribution revient sur les choix éditoriaux, les conditions de publication, les stratégies de diffusion, ou encore les liens entretenus par le poète avec le monde du livre en Suisse. Jouve a ainsi expérimenté, entre 1915 (Vous êtes des hommes, Éditions de La N.R.F.) et 1918 (Le Défaitisme contre l’homme libre, Édition d’Action sociale), différents modèles d’édition, au gré de ses rencontres et des opportunités qui se sont offertes à lui. Toujours proactif, sollicitant des partenariats et tentant de fonder des entreprises éditoriales durables, le poète a buté sur de nombreux obstacles : la frilosité des éditeurs suisses, les problèmes de diffusion rencontrés par les organes pacifistes, le manque de soutien et de réseaux influents ou encore les difficultés de trésorerie. Autant d’obstacles qui ont condamné Jouve, et les pacifistes, à un certain isolement – en Suisse comme vis-à-vis de l’Europe. Étudier le parcours éditorial de Jouve permet de mettre en exergue les différentes formes qu’a pu prendre le combat pacifiste ; c’est aussi l’occasion d’apporter quelques éléments utiles à une future histoire de l’édition suisse durant la Première Guerre mondiale.

Index

Mots-clés : histoire éditoriale , pacifisme, Pierre Jean Jouve, Romain Rolland

Géographique : Genève , Suisse, Valais

Chronologique : 1914-1918 , Première Guerre mondiale, XXe siècle

Plan

Texte intégral

Réformé du service militaire dès 1905, pour cause de santé fragile, le poète Pierre Jean Jouve (1887-1976) a vécu la première année de la Grande Guerre en France avant de rejoindre la Suisse en octobre 1915 pour rencontrer Romain Rolland1 et soigner une maladie pulmonaire – contractée alors qu’il est infirmier volontaire à l’hôpital de Poitiers. Si Jouve a bel et bien répondu à l’appel de Rolland sur lequel se termine « Au-dessus de la mêlée2 » par l’envoi d’une première lettre en novembre 1914, il envisage dès le printemps 1915 la publication d’une œuvre artistique : « Il faudra leur montrer par des œuvres violentes et amères, leur néant [...]. Il faudra leur donner, par des œuvres fortes, simples et sages, l’affection des hommes3. » Mais alors que la prise de position du poète face au nazisme est désormais bien connue, il subsiste encore de nombreuses zones d’ombre sur les activités pacifistes que Jouve a menées durant la Première Guerre mondiale. À commencer par son parcours éditorial4. Cette contribution vise donc à combler ce manque : reprenant la bibliographie de Jouve, il s’agira de s’interroger sur les choix éditoriaux, les conditions de publication, les stratégies de diffusion, ou encore les liens entretenus par le poète avec le monde du livre en Suisse. La consultation des correspondances privées, et en premier lieu celle échangée entre Jouve et Rolland, doit permettre de passer derrière les coulisses de la publication des trois recueils de poèmes et des récits d’hôpital que Jouve a fait paraître entre 1915 et 1918 : Vous êtes des hommes (Éditions de La N.R.F., 1915), Poème contre le grand crime (Édition de la revue Demain, 1916), Danse des morts (Édition des Tablettes, 1917, Édition d’Action sociale, 1918) et Hôtel-Dieu (Édition d’Action sociale, 1918). À cet égard, les échecs et les tentatives d’édition en disent parfois plus long sur les espoirs et les aspirations d’un écrivain que ne le laisse deviner la liste de ses œuvres publiées. En outre, si l’histoire éditoriale permet de mieux comprendre les choix opérés par le poète, à l’inverse, et de manière complémentaire, étudier le parcours de Jouve sera peut-être l’occasion d’apporter quelques éléments utiles à une future histoire de l’édition suisse – et de l’accueil réservé aux écrivains étrangers – durant la Grande Guerre, encore peu connue jusqu’à présent. À titre d’exemple, si Jouve reprend à son compte en 1916 l’image d’une « île de la pensée libre5 » pour parler de la Suisse, il fera preuve de sentiments beaucoup plus ambivalents à la veille de l’armistice : aux mots élogieux prononcés en tête du Défaitisme contre l’homme libre – » Nous sommes quelques groupes d’hommes qui nous refusons à cette guerre universelle. [...] Parmi eux, ceux qui, comme nous, se sont volontairement exilés en Suisse pour penser et publier sans contrainte6 » – répond, comme en miroir, ce coup de sang en septembre 1918 suite au silence fait autour de la réédition de Danse des morts : « Mais quel étouffoir que cette Suisse ! On peut y crever à son aise7. »

« Je rencontre des difficultés dans le choix d’un éditeur » : Jouve entre la Suisse et la France

Le chemin qui mène de l’adhésion silencieuse à la participation active aux idées de Rolland n’est pas dépourvu d’embûches. Si le premier recueil de Jouve, Vous êtes des hommes, paraît finalement en octobre 1915 aux Éditions de La N.R.F., à Paris, les archives nous apprennent que la France n’a pas, en premier lieu, les faveurs du poète.

Je n’envisage pas la publication en France, chez un de mes éditeurs8 antérieurs comme possible ni convenable. – La France est trop ardemment crispée sur elle-même, dans sa tâche surhumaine. Il faut laisser passer la crise la plus aiguë de la maladie pour entreprendre certaines cures9.

Ni possible, ni convenable : toute la difficulté d’une édition à Paris tient en ces deux termes. Parmi les éditeurs chez qui il lui est désormais impossible de publier, citons Eugène Figuière : l’éditeur de son œuvre unanimiste est mobilisé durant la guerre et il ne rouvrira sa maison d’édition qu’en février 1919. Quant aux éditeurs chez qui il ne serait pas « convenable » de publier, c’est très certainement à Georges Crès que pense alors Jouve. Celui qui avait racheté Les Bandeaux d’or à Figuière fin 1912 et qui a publié Présences et Parler de Jouve est encore actif durant la guerre mais l’accueil de Maurice Barrès et de Henri Massis dans la collection Bellum, lancée en 1915, ne laisse guère de doutes sur ses opinions d’alors – sans parler de l’ouverture à Zurich en 1916 d’une première librairie à l’initiative du ministère français des Affaires Étrangères. Quant à Jean-Richard Bloch, qui a publié Les Deux Forces de Jouve en 1913 à l’enseigne de L’Effort libre, il cumule impossibilité et inconvenance : mobilisé dès le début de la guerre, il embrasse la cause nationale10. En somme, les anciens éditeurs de Jouve, quand ils ne doivent pas cesser leurs activités, ne sont guère susceptibles d’accueillir des écrits prenant trop leur distance avec l’union sacrée qui prévaut alors largement chez les intellectuels11. « Publier en France me semble difficile matériellement, – et moralement12 » résume Jouve dans une lettre à Jacques Copeau en juillet 1915 ; des « scrupules mal fondés13 » – probablement à l’idée de publier une œuvre d’art quand des hommes tombent sur le front – s’ajoutent aux difficultés pratiques : les tribunes offertes aux voix discordantes sont rares, les journaux favorables à Rolland sont décapités, et la censure, qui a trouvé son organisation définitive en janvier 1915, édicte un maximum de consignes sous le gouvernement de René Viviani14.

N’entrevoyant guère de débouchés en France pour la publication de ses écrits, Jouve se tourne vers la Suisse. Le pays, dans lequel il a résidé une première fois en 1907, n’est quasiment pas mentionné dans ses lettres durant la première année de guerre, mais il jouit alors d’une aura de liberté, d’expression et d’information, renforcée par la présence de Romain Rolland – » Entre les deux haines vous respirez l’air libre, et je vous envie – que ne puis-je vous rejoindre ! », lui écrit-il le 19 avril 1915. Totalement ignorant du milieu éditorial helvétique, Jouve s’en remet à son maître et ami pour trouver une tribune susceptible de publier ses poèmes. Et de les diffuser ! Car c’est bien là l’essentiel pour le jeune poète : « je dois agir en vue de donner au livre la plus utile expansion15 ». Convaincre l’opinion publique suisse ne constitue évidemment pas une motivation pour Jouve, qui évitera d’ailleurs durant son séjour de s’impliquer dans les affaires internes de son pays d’accueil16. Les organes suisses (journaux, revues et maisons d’édition) vers lesquels le poète se tourne témoignent de son désir d’être diffusé au-delà des frontières helvétiques et de sa volonté de marcher dans les traces de son glorieux aîné. Large diffusion (espérée du moins) et caution de Rolland : voilà les critères de sélection de Jouve dans sa recherche d’un lieu de publication. Le Journal de Genève est naturellement le premier cité17 : le quotidien suisse, qui a publié Rolland dès septembre 1914, bénéficie d’une réputation internationale bien établie, de ventes accrues en France et d’un tirage atteignant 45’000 exemplaires à l’automne 191518. Puis ça sera la Revue des Nations de Gonzague de Reynold (1880-1970), directeur du Bureau des conférences de l’État-Major de l’armée, co-fondateur de La Nouvelle Société Helvétique et ancien chargé de cours à l’Université de Genève, recommandée par Romain Rolland19. Le programme de la revue – « créer la possibilité, sur un terrain absolument neutre, d’une reprise de contact entre les principaux intellectuels des nations belligérantes20 » – et l’ambition européenne du projet – la revue devait compter trois éditions différentes, française, allemande et anglaise pour un tirage de 2000 à 3000 exemplaires – ont tout pour séduire le poète qui peut alors nourrir de grands espoirs pour la diffusion de son œuvre.

Je vous pose avec franchise la question : la Revue des nations serait-elle disposée à associer son œuvre à la mienne, en lançant ce livre en Europe, sous sa firme ? Ce serait à elle de l’envoyer dans divers pays, aux principaux organes de presse, aux principales personnalités politiques ou artistiques [...], – et aux librairies21.

Mais dans les deux cas, Journal de Genève et Revue des Nations, Jouve arrive trop tard. Le torchon brûle entre Rolland et le quotidien genevois qui adopte une ligne de plus en plus partisane (et francophile) allant jusqu’à tenter de s’opposer, à l’été 1915, à un de ses articles sur Jaurès ; quant au projet de Revue, il est abandonné dès fin avril 1915, torpillé par d’éminentes personnalités françaises qui critiquent l’intervention de la Suisse dans les débats et voient derrière le projet la mainmise de la propagande allemande22. La Suisse ne se révèle donc pas une terre d’accueil aussi favorable qu’espéré ; Jouve subit ainsi pour la première fois, et de manière encore indirecte, les conséquences du climat francophile et belliciste qui règne en Suisse romande et de la partie d’échecs que se livrent les propagandes étrangères dans les pays neutres23.

Regrettant la mort de la Revue des Nations, le poète entend toutefois profiter de ce nouveau contact et sollicite Reynold, bien décidé à publier malgré tout son livre en Suisse : « ne connaissez-vous pas, à Genève ou Berne, un éditeur qui soit disposé à accepter ce groupe de poèmes que je vous offrais [...]. – Cet éditeur devrait me fournir une édition simple et peu coûteuse, mais, surtout s’occuper avec conscience d’un lancement utile. [...] Excusez-moi pour la liberté que je prends avec vous ; mais l’isolement est grand en France, et c’est le temps de lier de nouvelles et fécondes relations24. » La quatrième tentative sera la bonne – après un nouvel échec auprès de Rosius Verlag, éditeur de La Nouvelle Société Helvétique – puisque Delachaux & Niestlé, maison neuchâteloise recommandée par Reynold et Rolland et qui devait lancer la Revue des Nations, accepte la publication du manuscrit. Mais alors qu’il s’apprête à finaliser un accord avec l’éditeur suisse, Jouve reçoit une proposition inespérée. Jacques Copeau lui demande « le manuscrit en vue d’une publication possible à la Nouvelle Revue Française » : « Il vient de m’écrire, en des termes qui sont voisins des vôtres, et il communique le MS à Paris avec son avis, qui est de le prendre25. »

Jouve, s’il n’avait encore jamais publié à La N.R.F. jusque-là, en connaissait néanmoins l’un des piliers, Jacques Copeau, depuis 1913 et la fondation du Vieux Colombier, pour lui avoir soumis des pièces de théâtre. Durant l’été 1915 les deux hommes sont susceptibles de s’entendre : Copeau a renié son sentiment guerrier de l’automne 1914 tandis que Jouve n’a pas encore embrassé totalement la cause du pacifisme radical inspiré de Tolstoï.

Je crois qu’une publication à la N.R.F. [amènerait] au livre bien des avantages. Copeau d’ailleurs me conseille, au cas où la N.R.F. ne l’accepterait pas, de publier pourtant en France – " Il faut chanter au milieu des combattants ". Mais la question est délicate. Que vaut-il mieux, un livre bien répandu venant de Suisse, – ou une édition dormant dans une cave d’éditeur à Paris ? – J’aimerais savoir votre avis sur la question de l’effet moral attaché à une publication en Suisse26.

Le dilemme auquel Jouve est confronté à l’été 1915 est révélateur des attentes et des états d’âme du poète. Les Éditions de La N.R.F., fondées en 1911 et occupant une place marginale dans le paysage éditorial de l’époque, viennent tout juste de reprendre leurs activités, non sans difficultés : aux soucis propres au comptoir d’édition parisien – personnel mobilisé et imprimerie occupée par les Allemands – s’ajoutent les obstacles rencontrés par l’édition française en général : censure, hausse des prix du papier, réduction des transports, etc. À l’inverse, Jouve espère de la Suisse, qui sert alors de relais pour des publications qui ne peuvent plus transiter directement d’un pays belligérant à un autre, et, peut-être, de son éditeur neuchâtelois – deuxième plus gros éditeur romand et propriétaire d’une imprimerie – une large diffusion de son recueil, s’inspirant de l’exemple de Rolland, dont les écrits publiés en Suisse sont connus dans l’Europe entière.

Il est vrai d’un certain point de vue que [Rolland] est mal placé en Suisse. Mais n’est-il pas sûr que jamais, en France, il ne lui eût été possible de parler comme il l’a fait ? [...] Et d’autre part ne faut-il pas convenir que s’il a eu une certaine action en France en vue de l’avenir, il en a aussi une en Allemagne et surtout en Autriche [...]. En France, il n’était utile qu’à la France, et il ne pouvait poser la question dans son ampleur tragique27.

Les « avantages » d’une publication à La N.R.F., s’ils ne sont pas matériels, sont donc de nature morale, éthique : publier en France permet à Jouve de lutter contre la guerre de l’intérieur et de se prémunir contre les reproches de désertion-trahison qui visaient alors Rolland. C’est ainsi que Vous êtes des hommes paraîtra finalement aux Éditions de La N.R.F. le 15 octobre 1915 : l’ambigüité du titre et la retenue dont Jouve fait (encore) preuve permettent au livre de trouver sa place dans un catalogue aux accents certes patriotiques mais pas empreint de nationalisme ou de bellicisme exacerbé28.

« J’attends de savoir auparavant les intentions de la n.r.f. quant à la publication » : Jouve et La N.R.F., une idylle de courte durée

La parenthèse ouverte avec la publication de Vous êtes des hommes à La N.R.F. aura cependant tôt fait de se refermer. Il faudra effectivement patienter dix ans pour revoir un ouvrage de Jouve frappé du célèbre monogramme (Paulina 1880). La rencontre avec Gaston Gallimard, qui séjourne à Montana fin 1915, aurait pourtant pu favoriser la collaboration entre les deux hommes, fondée sur leur commune horreur de la guerre et leur séjour en Suisse.

Gallimard nous parle parfois des projets [...] de la n.r.f.29 tant au point de vue théâtre qu’au point de vue édition. Il faut convenir, – en mettant à part l’esprit esthétique de la maison, s’il en est un, – que c’est là une œuvre extrêmement vivante, et peut-être la seule œuvre vivante en France. [...] Gallimard est un esprit très actif et qui réalise. Nous avons grand besoin de ces hommes-là, en France30.

Les fréquentes mentions du comptoir d’édition qui émaillent la correspondance échangée avec Romain Rolland et Marcel Martinet – pas une année entre 1915 et 1918 qui ne contienne une allusion à La N.R.F. et pas un seul ouvrage pour lequel une publication à Paris n’ait pas, au moins, été envisagée (hormis Le Défaitisme contre l’homme libre, en 1918) – ne sont en effet pas synonyme de collaboration fructueuse. Dès le 10 décembre 1915 Jouve doute par exemple très fortement de voir son pamphlet, Nous, les esclaves (resté inédit), publié dans son pays d’origine en raison de sa violence : « J’essaie de voir tout en face, d’exprimer complètement ce que je pense ; il est un peu de direction tolstoïenne ; il est terrible. [...] Je ne sais encore ce que je pourrai en faire. En tous cas, il ne pourra être question de le faire paraître en France31. » En dépit de ses réserves, le poète soumet le manuscrit de son pamphlet ainsi que les chants qui composeront Poème contre le grand crime à Gallimard, entre décembre 1915 et janvier 1916, pour une publication à La N.R.F. Ses propositions témoignent-elles cependant d’une réelle volonté de publier en France ? ou sont-elles le fruit du devoir – comme il l’écrit à Jules Romains en 1921 : « je me croyais tenu de faire [des propositions] en vertu de mon contrat32 » ? Un peu des deux sûrement... Si le jugement rétrospectif de 1921 doit évidemment être lu à l’aune des refus que le poète a essuyés – « sous des prétextes fallacieux33 » écrit-il – il n’en demeure pas moins que Jouve a pu un temps se croire lié à la maison parisienne : ne dit-il pas qu’il se « dégagera momentanément de la n.r.f.34 » en mai 1916 et qu’il en est « évincé35 » en 1919 suite au refus de rééditer Hôtel-Dieu ? À l’inverse, si Jouve éprouve effectivement durant tout le conflit le désir d’être lu et diffusé en France, créditant la première hypothèse, le poète témoigne aussi d’une volonté de rupture avec son pays d’origine, qui s’inscrit dans l’idéologie internationaliste qu’il embrasse dès 1916. La question reste difficile à trancher à l’heure actuelle et illustre la relation très complexe que le poète a entretenue avec son pays. Quoiqu’il en soit, aucun des textes proposés par Jouve ne sera publié à La N.R.F. après 1915 : au refus vindicatif de Gallimard pour l’édition du pamphlet36 succède probablement le silence que La N.R.F. oppose à la publication des poèmes. Le lien ne sera toutefois pas totalement rompu puisque la maison d’édition réapparaît sous la plume de Jouve en 1917, dans un contexte un peu différent toutefois et sans grand espoir de publication : face aux difficultés rencontrées au printemps pour l’édition de Danse des morts, recueil de poèmes accompagnés de gravures d’Edmond Bille, Jouve propose de remettre l’édition illustrée en Suisse à plus tard, et d’éditer le « poème seul en France (si c’est possible, à la n.r.f.) au préalable37 », « sans trop espérer qu’ils le publieront38. » Le manuscrit, envoyé à Gallimard39, parvient à André Gide, douchant les maigres espoirs de Jouve : « il paraît que M. Gide a en mains mon MS partiel envoyé à Paris. Vous devinez ce que peut en penser ce grand maître du sérail des lettres40. » Mais c’est finalement Gallimard lui-même qui fera sentir à Jouve, durant l’été 1917, l’impossibilité de publier en France41 – le poète n’aura pas plus de succès après l’armistice, alors qu’il espère la réédition de Hôtel-Dieu par La N.R.F.

Les trajectoires individuelles et l’évolution idéologique de Jouve et des membres de La N.R.F. expliquent la brièveté de leur collaboration. Le jeune poète semble avoir rapidement pris conscience de ce qui le sépare du comptoir d’édition parisien ; sans doute pressent-il que la violence et l’intransigeance de ses écrits rendent bien difficile toute publication en France à l’heure actuelle. Car le ton de ses textes a changé : la mauvaise conscience due à l’exemption de service militaire, l’appel à la fraternité et la compassion pour les soldats qui dominent dans Vous êtes des hommes ont laissé place dans les recueils suivants à la dénonciation violente de la guerre (impérialiste), de ses responsables (hommes d’affaires et politiques) et de ses motifs (financiers). Le poète avait en outre émis des réserves quant au rôle de La N.R.F. dès l’été 1915, écrivant que cet « instrument très fort [...] devra encore croître en force et en conscience pour répondre au but nouveau42 » – et il se déclare écœuré en mai 1916 par le sort réservé à Charles Péguy – dont les deux premiers volumes des Œuvres complètes doivent être préfacés par Alexandre Millerand et Maurice Barrès43. La position du poète ne pouvait alors que l’éloigner du milieu de La N.R.F. dont les deux seules personnalités susceptibles de le soutenir, Copeau et Gallimard, suivent des itinéraires différents. Le premier, totalement absorbé par son projet d’école de théâtre et ses tournées aux États-Unis, ne possède de plus aucune part dans l’entreprise éditoriale et s’est brouillé avec Rolland fin 1915 – significativement, la correspondance échangée avec Jouve prend fin la même année. Gallimard, qui supporte avec grande peine le caractère de Jouve44, n’a rien d’un pacifiste militant et se montre un fidèle partisan de l’autonomie de la littérature, chère aux fondateurs de la revue. La démobilisation du catalogue de La N.R.F. est d’ailleurs patente dès 1917, année marquée par les rééditions : les titres consacrés au conflit sont désormais minoritaires et les questions esthétiques priment45. Enfin, Jouve se doute bien qu’il ne faut rien attendre de Gide (membre avec Jean Schlumberger du triumvirat qui préside aux destinées de la maison d’édition) qui se rapprochera progressivement de l’Action française...

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Si le mouvement de balancier entre éditeurs suisses et français est très marqué en 1915, penchant pour un temps du côté de La N.R.F., un tournant se dessine en 1916 : la lassitude et l’amertume engendrées par les grandes batailles de Verdun et de la Somme vont conduire à une « violente secousse propagandistique46 » visant la remobilisation des esprits et provoquer, par effet de ricochet, une intensification des actions de protestation, qui se traduira, dans le cas de Jouve, par une radicalisation des textes et par un rapprochement, rendu possible par son arrivée en Suisse fin 1915, avec les milieux pacifistes, révolutionnaires et internationalistes établis à Genève. La situation nouvelle du poète, si elle lui donne une plus grande liberté de parole, ne sera pas sans effets sur le destin éditorial des textes rédigés dès 1916 puisque le balancier oscillera alors pour longtemps du côté de la Suisse. Jouve expérimentera, entre 1916 et 1918, différents modèles d’édition, au gré de ses rencontres – avec les pacifistes établis à Genève ou avec des personnalités suisses amies – et des opportunités qui s’offrent à lui. Toujours proactif, sollicitant des partenariats et tentant de fonder des entreprises éditoriales durables, le poète butera sur de nombreux obstacles : la frilosité des éditeurs suisses, les problèmes de diffusion rencontrés par les organes pacifistes, le manque de soutien et de réseaux influents ou les difficultés de trésorerie. Autant d’obstacles qui condamneront Jouve, et les pacifistes, à un certain isolement. Le récit de trois « aventures éditoriales » permettra de mettre en exergue les espoirs nourris et les déceptions vécues par le jeune poète durant son séjour en Suisse.

Une première publication sur sol suisse : Poème contre le grand crime (1916)

Jouve prend contact dès l’hiver 1915-1916 avec la revue pacifiste Demain, fondée en janvier par Henri Guilbeaux, journaliste et militant anarcho-syndicaliste français ayant rejoint la Suisse à l’été 1915. Les deux hommes entretiennent pourtant des relations tendues : Guilbeaux s’est montré très critique vis-à-vis des unanimistes en général et de Jouve en particulier47 ; quant à Jouve, il n’apprécie guère le ton impétueux et enragé de la brochure Pour Romain Rolland publiée par Guilbeaux en 1915, ni la critique que ce dernier fait de Vous êtes des hommes dans Demain48. Mais qu’importe, la guerre fait passer les animosités personnelles au second plan : la revue de Guilbeaux a le mérite d’exister et Jouve désire s’associer à son combat par l’envoi de quelques poèmes, qui formeront Poème contre le grand crime. Le projet de publication sous la forme d’une plaquette (acte de naissance des Éditions de la revue Demain) est proposé par Jouve le 17 avril 1916 déjà, précipité par les nombreux ajournements de publication des poèmes dans la revue et motivé par l’espoir d’une meilleure pénétration de son œuvre en France (la censure frappant plus durement les périodiques et les journaux que les livres49). Ses espoirs seront toutefois vite déçus. Jean-Henri Jeheber (1866-1931), l’éditeur genevois de Demain proche de la cause pacifiste, est alors en proie à de graves problèmes financiers qui l’incitent à renoncer à tout nouveau projet de publication. Les difficultés proviennent en grande partie de la revue Demain dont l’interdiction d’entrer en France est prononcée le 23 avril. Le nombre d’abonnements est largement en dessous des attentes et chaque numéro fait alors perdre un millier de francs au libraire genevois50. Plus grave encore pour Jeheber : l’accès au marché français pourrait être refusé à l’ensemble de son catalogue51. Jouve ressent pourtant la nécessité de voir paraître ses poèmes, plus encore depuis sa première rencontre avec la censure française... Quelques jours seulement après l’interdiction de la revue Demain, c’est en effet Jouve lui-même qui subit les foudres d’Anastasie : publié dans Les Hommes du Jour, « À la Belgique » est transformé en poème anti-allemand par la suppression de 35 versets sur 9452.

Ces différents épisodes, auxquels s’ajoute le silence vexatoire que lui oppose certainement La N.R.F., incitent Jouve à multiplier les démarches en vue de la publication de son œuvre en Suisse. Qu’il se tourne vers la Suisse allemande (par l’intermédiaire de Felix Beran, traducteur de Vous êtes des hommes), qu’il demande à Rolland de solliciter Robert Grimm (1881-1958), ou qu’il envisage la publication de la plaquette sous la seule enseigne du libraire genevois.

Il me semble que ce n’est pas l’heure d’accumuler son travail pour en faire un livre plus ou moins parfait, mais l’heure de prendre parti de toutes façons ; l’heure de s’exprimer. [...] Mais évidemment il ne faut pas songer à publier en France. [...] Je me dégagerai momentanément de la n.r.f. – Reste la Suisse. Peut-être chez Jeheber, qu’en pensez-vous53 ?

Durant le printemps, le projet d’une édition auprès de la revue Demain, qui refait surface à intervalles réguliers, et une publication isolée auprès d’un éditeur suisse alternent périodiquement, au gré des menaces qui pèsent sur l’existence de la revue. La situation semble enfin se débloquer en juin.

J’ai renoué avec Jeheber des pourparlers, touchant l’édition de mon ouvrage. Il m’a proposé de traiter directement avec une imprimerie, et moyennant 50 % du prix de vente, il acceptait que l’édition se fasse sous sa firme. Or les Imprimeries réunies de Lausanne m’envoient aujourd’hui un devis très acceptable ; – à moins que la réponse de Zürich, que j’attends pour demain, ne se déclare plus favorable encore, – je pense faire une édition de demain dans ces conditions. [...] Guilbeaux se déclare d’accord avec nous54.

L’accord final précise que Jouve couvre les frais d’impression, que Jeheber se charge du service de librairie, et que Demain héberge le volume sous son nom. La « firme » de Jeheber ne figure donc finalement pas sur l’ouvrage55. Ce mouvement de recul est significatif des craintes qu’une interdiction pouvait susciter et des pressions que la France exerçait – indirectement ici – sur les éditeurs suisses. Jeheber, qui se retirera de la revue peu de temps après, se chargera des envois de 50 services de presse en Suisse et dans les pays neutres ainsi que de la mise en librairie. Pour la France, Jouve, qui « renonce à toute vente56 », devra en revanche compter sur les réseaux clandestins utilisés par Guilbeaux pour faire entrer les 80 services prévus. Le 15 juillet, Guilbeaux peut ainsi annoncer dans le numéro 7 de Demain la naissance des éditions, inaugurées par la plaquette de Jouve vendue 1.- franc et tirée à 1000 exemplaires.

Malgré le lien avec une maison d’édition bien implantée et sympathisante de la cause pacifiste (Jeheber), la publication en Suisse d’un recueil de vers aussi radical que Poème contre le grand crime ne va donc pas de soi. La parution du livre en juillet 1916, à l’enseigne d’un organe de presse aux mains des exilés français (Demain), n’est finalement possible que grâce à l’activisme de son auteur et à l’argent qu’il peut (encore) y consacrer.

Edmond Bille, une rencontre synonyme d’espoir

La publication de Danse des morts (1917) s’annonce sous de meilleurs auspices que celle de Poème contre le grand crime. Et cela grâce à une rencontre que le poète espère déterminante : le peintre suisse Edmond Bille (1878-1959). L’artiste, nommé responsable de la place d’internement de Sierre après une brève carrière militaire qui s’est soldée par la naissance de sentiments antimilitaristes, se montre fort bienveillant à l’égard du jeune poète rencontré en Valais et des projets littéraires germent alors rapidement dans l’esprit des deux hommes : Jouve sollicite Bille pour la réalisation de la couverture de Poème contre le grand crime et rédige le programme de la revue satirique L’Arbalète lancée par le peintre en juillet 1916 ; Bille, qui travaille à une danse des morts dans la tradition de Holbein, propose à Jouve de bâtir l’ouvrage avec lui. Ce dernier projet prend véritablement forme lors du séjour à Sierre, durant l’hiver 1916-1917, de Jouve et Rolland dans le voisinage du peintre suisse. Le 30 septembre 1917, seuls les poèmes de Jouve, tirés à 200 exemplaires, paraissent pourtant sous la forme d’une plaquette éditée par la revue Les Tablettes, que Jean Salives (alias Claude Le Maguet) dirige depuis octobre 1916.

Me voilà loin de la large diffusion que je rêvais. Mais il faut se contenter de ce qui est seulement possible ; et tout naturellement, ne pouvant en aucune façon réaliser le grand tirage (l’imprimerie est à présent extraordinairement chère) je me suis trouvé orienté vers une édition belle et soignée, bien que très simple d’aspect. [...] Je considère donc ceci comme un premier pas – l’œuvre existera (c’est peu et c’est beaucoup). Il sera absolument nécessaire que, plus tard, un éditeur [la] reprenne pour [la] lancer largement57.

La déception du poète est à la hauteur de ses ambitions : dépourvu de relations lors de son arrivée en Suisse, Jouve a sans doute pensé trouver, en la personne de Bille, un soutien d’envergure susceptible de lui ouvrir les portes de l’édition suisse. Le peintre jouit en effet depuis le début du siècle d’une réputation bien établie et d’une large visibilité. Membre de la Société suisse des peintres et sculpteurs, affiches placardées sur tout le territoire, expositions nationales et internationales, etc. : à l’aube de la guerre le peintre est de toutes les sociétés et manifestations58. En outre, Bille avait déjà collaboré avec des écrivains – avec Ramuz en 1908 ou Reynold en 1914 – et se trouvait alors en relations avec la plus importante maison d’édition romande de l’époque. Car c’est bien Payot qui avait publié, en plus des deux collaborations citées, son recueil de planches satiriques qui dénonce la violation de la neutralité belge ou l’instauration de la censure, Au Pays de Tell, en 1915. Autant d’éléments qui ont poussé Jouve à « compter un instant sur les espoirs d’une édition Payot59 », comme il l’avoue au peintre en août 1917. Pour Jouve, comme pour Rolland qui a cherché à y publier avant lui60, Payot présente tous les avantages : catalogue important et investissement dans le domaine littéraire, situation financière aisée, participation dans la librairie et l’imprimerie, et surtout diffusion garantie à l’étranger grâce à la succursale parisienne ouverte en 1912. Une personnalité suisse reconnue (Bille) et un gros éditeur ayant ses entrées en France (Payot) constituaient un duo incontestablement plus prometteur que le tandem formé par un militant français surveillé (Guilbeaux) et un petit éditeur craignant pour la santé financière de sa maison (Jeheber). Des divergences artistiques61, et surtout idéologiques, auront toutefois raison du projet commun. « Je n’avais pas voulu ou pas pu suivre [Jouve]62 » écrira Bille en 1939.

Le conflit couve en vérité depuis l’été 1916 : Bille estime que Jouve est « sectaire » tandis que celui-ci reproche au peintre de « nourrir complaisamment en [lui] des inconciliables63 », et d’être peut-être plus romand qu’il ne l’imagine64 – faisant sans doute référence à la germanophobie que Rolland perçoit aussi chez le peintre65. Jouve, qui se déclare « toujours plus profondément anarchiste, de pensée, de cœur66 », pressent d’ailleurs les réserves de son ami : « S’agit-il du caractère et de la pensée de l’œuvre que j’ai faite, – qui pourraient ne plus s’accorder avec l’évolution de vos sentiments67 ? » Si les deux artistes partagent certaines convictions – à propos du rejet massif de la censure et de l’exploitation du peuple dans les usines par exemple – la part de responsabilités attribuée à chacun des belligérants les a donc séparés. Subissant des pressions de ses amis et soutiens, Bille semble également n’avoir pas voulu associer son nom à une œuvre aussi révolutionnaire que celle de Jouve. Rien n’indique d’ailleurs que le peintre ait soumis le projet à Payot ; et l’eût-il fait que cela n’aurait probablement rien changé : Payot, qui s’est mis à disposition du Comité Lavisse, édite toute une littérature ouvertement francophile et distribue des ouvrages de propagande servant la cause alliée68.

Devant mener seul les démarches en vue de trouver un éditeur – le conflit avec Bille ayant conduit à la publication séparée – Jouve se voit confronté à de grandes difficultés. La lecture de la correspondance dévoile les nombreuses tentatives, toutes infructueuses, menées par Jouve. À la suite des échecs avec Payot et avec La N.R.F., c’est à un véritable tour de suisse des éditeurs auquel se livre le poète : les éditeurs genevois pressentis (il nomme Atar) ne travaillent qu’à compte d’auteur tandis que les maisons alémaniques (Rascher et Orell Füssli notamment) ne veulent pas se charger d’un recueil de vers français. L’été 1917 représente ainsi un des moments les plus difficiles dans le parcours éditorial du poète : la situation financière précaire de Jouve ne lui permet plus de couvrir les frais, contrairement à 1916 ; l’augmentation massive du prix du papier et les maigres perspectives de vente d’un tel recueil incitent les éditeurs genevois (acquis de plus à la cause française pour la plupart d’entre eux) à ne pas prendre de risques éditoriaux ; le fossé qui divise la Suisse en fonction des affinités culturelles avec les belligérants entrave les échanges ; le manque de soutien de personnalités suisses davantage francophiles (ce qui est vrai du duo Jouve-Bille l’est aussi du tandem Rolland-Seippel69) isole les pacifistes étrangers. Alors que le poète espérait même retirer un peu d’argent de cette publication (vente du manuscrit et droits d’auteur), le voilà réduit à une édition « de guerre », financée grâce à des souscriptions, auprès de la revue de Jean Salives.

Conclusion : l’édition à faible tirage que j’entrevois, permettant à l’œuvre d’exister, sinon de se répandre largement, il faut que je la fasse moi-même, en organisant, par des souscriptions etc., des moyens de couvrir les frais qui devront être le moins élevé possible. – Il faut s’y résigner [...] Et c’est encore tellement mieux que le sommeil dans les cartons70 !

À la recherche de nouvelles tribunes

J’aperçois toujours plus clairement que c’est, en soi (c’est à dire sans tenir compte des contingences, parfois nécessaires) une erreur de ma part, de notre part, de publier une telle œuvre [Danse des morts] sous une forme qui la rend inaccessible au grand nombre. Car nous n’écrivons pas, n’est-ce pas, pour les gros bourgeois de Genève, les fabricants de munitions, et les gens assez fortunés pour mettre, par ces temps de disette, 10 francs dans un livre. Nous n’écrivons pas pour eux. Je voudrais que l’on réalisât une édition populaire, – trois francs au maximum71.

Le désir de Jouve de toucher le plus large public possible sera finalement exaucé en 1918, à la suite du rapprochement avec les milieux socialistes de La Chaux-de-Fonds et de la réédition du recueil (tiré à 2000 exemplaires et vendu 1,30 franc) par la société d’édition « Action sociale » en juin.

Les difficultés rencontrées dans la diffusion de ses œuvres incitent Jouve à explorer une autre voie, peu utilisée par le poète jusqu’à présent : les lectures populaires. La Révolution russe, pour laquelle Jouve s’enthousiasme, n’est pas étrangère non plus à la volonté du poète de se tourner vers les masses ouvrières. L’idée trouve un écho dans le milieu des Tablettes, qui organise les premières lectures à Genève en hiver 1917, mais plus encore auprès des socialistes de La Chaux-de-Fonds réunis autour du journal La Sentinelle. Il faut dire que les sentiments pacifistes et antimilitaristes sont particulièrement virulents dans la cité horlogère et l’éducation de la classe ouvrière fait alors partie des stratégies visant la naissance d’une conscience de classe et l’établissement d’une société pacifiste72. Jouve, qui a déjà publié dans La Sentinelle, participe à plusieurs lectures à la mi-février 1918 et en revient enchanté : « j’avais besoin de sentir devant eux que j’écris non pas seulement pour le dieu intérieur, mais pour des hommes tels que ceux-là73. » Les conférences vont alors générer une forte demande de l’œuvre de Jouve, et inciter Ernest Paul Graber (1875-1956), rédacteur en chef de La Sentinelle, à rééditer la Danse, dont la première édition est épuisée. C’est l’acte de naissance de la société d’édition « Action sociale », qui vise à mettre les beaux livres « à la portée de toute bourse », à participer à « l’éducation des peuples par le Livre » et à devenir « le foyer des forces intellectuelles indépendantes du monde entier74 ». Le programme très ambitieux de la société, dont Rolland est nommé président d’honneur, ne se réalisera pas : seuls trois livres (Danse des morts et Le Défaitisme contre l’homme libre de Jouve ainsi que Le Mal 1914-1917 de René Arcos) seront publiés en 1918 avant la disparition de la maison.

Le rapprochement avec les milieux socialistes de La Chaux-de-Fonds résulte également, pour Jouve, d’un dégoût vis-à-vis de Genève, qu’il a rejoint en avril 1917 et dont il fustige le luxe ou la francophilie. À son exécration de la ville s’ajoutent les conflits idéologiques et personnels qui divisent les pacifistes et révolutionnaires de Genève. Si Jouve s’est beaucoup investi durant toute l’année 1917 dans les revues pacifistes nées en Suisse, en prenant même une part indirecte dans la direction des Tablettes et en tenant des chroniques régulières dans La Nation et La Feuille de Jean Debrit (1880-1956), le poète doute de plus en plus de son action comme polémiste et ses relations avec les directeurs de revue se détériorent considérablement. Voilà Jouve privé de toute tribune alors même que les premiers chapitres de ses récits d’hôpital, Hôtel-Dieu, voient le jour. Les lignes éditoriales de plus en plus dogmatiques des revues pacifistes (anarchisme des Tablettes contre bolchévisme de Demain), de même que la francophilie des éditeurs de l’arc lémanique, entravent en outre l’action commune – « depuis longtemps nous déplorons de ne pouvoir rassembler autour d’une édition ou d’une revue, toutes les œuvres françaises (et internationales) libres dont nous disposons » – tandis que le prix du papier et le manque de financement rendent impossible la fondation d’un nouveau périodique en Suisse – « Le libre [plan] des Cahiers de la Quinzaine, qui est si excellent, ne peut donc être réalisé75. » Ce constat, que partage le graveur belge Frans Masereel, conduit les deux artistes à multiplier les démarches pour trouver de nouvelles tribunes76. Quitte à les créer... Max Rascher (1883-1962), avec qui Jouve est en pourparlers pour l’édition allemande de ses poèmes, est le premier éditeur contacté : à la tête d’une maison alémanique depuis 1908, il vient tout juste de lancer, sous la direction de René Schickele (fondateur de la revue Die Weissen Blätter) la collection Europäische Bibliothek qui vise à publier de petits volumes reprenant les principaux textes d’auteurs pacifistes77.

J’ai écrit [...] à Rascher, en lui faisant remarquer qu’il n’existe encore maintenant, après trois ans, aucune édition libre et européenne en langue française, – en Suisse. En France, aucune initiative, et de plus la censure [...] Or, il serait absolument important que nous puissions publier en Suisse, dans une maison suisse, et faire venir ainsi en Suisse des œuvres françaises qui ne demandent qu’à naître. [...] J’ai donc proposé à Rascher d’étendre la Bibliothèque Européenne, de publier des œuvres françaises78.

Mais l’éditeur alémanique refuse, craignant très probablement l’interdiction qui frapperait les volumes en France. Les deux autres tentatives du duo Jouve-Masereel se révèlent tout aussi infructueuses. Le projet de créer « un ensemble d’éditions (cahiers plus ou moins gros, à intervalles plus ou moins éloignés) d’œuvres d’art hautes et humaines, répondant à notre libre pensée à tous79 » (Rolland, Gorki, Martinet, Arcos, Zweig et Leonhard Frank sont mentionnés) auprès de la société d’édition « Action sociale » à La Chaux-de-Fonds reste sans suite – la société, récemment fondée, manquait certainement de l’assise financière nécessaire à un tel projet. André Germain, fils du fondateur du Crédit lyonnais, fait figure de dernier espoir : Jouve compte sur l’aide du généreux mécène des Tablettes, qui l’avait également soutenu lors de la publication de Danse des morts, pour lancer ex nihilo cette fois « des cahiers libres, ou encore œuvres libres, de périodicité variable, et donnant avant tout des œuvres, ou des extraits d’œuvres80. » Malentendu ou retrait du mécène français ? toujours est-il que la proposition, transmise par Paul Birukoff, n’aboutira pas... « Il ne faut donc plus compter sur ce projet de publications libres, qui eussent pu nous aider à vivre. Ce qu’on bâtit un jour, à grands coups d’espoirs et de difficultés, s’écroule le lendemain » écrit Jouve à Rolland le 17 avril 1918.

La publication de Hôtel-Dieu souffre des relations conflictuelles que Jouve entretient avec les revues pacifistes genevoises et pâtit du manque de débouchés auprès des éditeurs suisses. Comme un épilogue malheureux, l’édition du volume condense tous les écueils que Jouve a essayé en vain d’éviter durant la guerre : financé grâce à un appel à souscription, le livre, en édition de luxe et tiré à 302 exemplaires, sort des presses Sonor à Genève sans le soutien d’un éditeur ou d’une revue – « Croyez bien que moi aussi, je n’aime guère les éditions de luxe. C’est pourtant le seul moyen de publier maintenant, dans la situation présente, sans éditeur, soi-même, de manière à ce que l’œuvre ait sa date81. »

*

Je n’attends plus rien. Je voudrais seulement dormir, et pour longtemps. L’art même m’apparaît empoisonné. De l’art pour ces fous ? De l’art pour qui ? – J’ai parfois envie de rentrer en France ; l’idée [revient] aujourd’hui et m’assiège – qu’est-ce que je fais ici ? Rien. La victoire qui se [rue] maintenant en Europe nous condamne à dix ans d’exil et à plus encore de mépris public – si ce n’est à la prison. Eh bien, mieux vaut la franche prison que [le] fumier où nous vivons ici82.

Le grand rôle attribué à l’art dans la bataille (perdue) contre la guerre et l’eldorado que représentait alors la Suisse aux yeux du poète n’ont pas résisté à l’épreuve des faits. Le parcours éditorial de Jouve est à cet égard significatif du manque de tribunes offertes aux pacifistes. Alors qu’une publication auprès d’un éditeur suisse est encore possible en 1915 (chez Delachaux & Niestlé) grâce au soutien de Reynold et Rolland, l’édition s’avère autrement compliquée dès 1916 : les frontières sont moins perméables (les livres et revues publiés en Suisse font l’objet d’interdiction dans les pays voisins) et la propagande française intensifie ses activités, en s’attachant notamment le concours de plusieurs enseignes éditoriales suisses. Pour Jouve, cela se traduira par une publication autofinancée auprès d’une revue « française » (Demain), avec le soutien pour le moins discret d’un éditeur suisse (Jeheber). En 1917 et 1918, la publication auprès d’une maison helvétique devient impossible : le prix du papier, le climat francophile ou le manque de soutien entravent les projets d’édition ; la publication n’est dorénavant possible que dans des cercles restreints (sympathisants mais très minoritaires) par le biais de la souscription. Si le poète a bel et bien écrit en Suisse, on peut donc dire, sous forme de provocation, qu’il y a peu publié : à l’exception de Rascher pour une traduction83 et, dans une certaine mesure, de la société d’édition « Action sociale » (encore qu’il a contribué à sa fondation), aucune maison suisse n’a publié les écrits de Jouve. Ce constat, qui s’impose par la simple lecture de sa bibliographie, prend une autre dimension à la lumière des correspondances privées : on y apprend que le poète a continuellement tenté de publier auprès des enseignes suisses. Seule une bonne dose de volontarisme a donc permis à Jouve de faire entendre sa voix : le poète est en effet à l’origine de la fondation des éditions de la revue Demain, des éditions des Tablettes et de la société d’édition « Action sociale ». Ces différentes entreprises témoignent également de la forme que Jouve a voulu donner à sa lutte contre la guerre. Alors que Rolland a attendu la fin des combats pour publier des œuvres littéraires pourtant achevées (Colas Breugnon, Liluli, Clerambault), et que Guilbeaux ou Salives se sont consacrés à leur revue, Jouve a manifesté sa foi dans les puissances de l’art par la préférence donnée à la publication de poèmes et de prose sous la forme de livre ou de plaquette. Ces supports, dont le poète espérait aussi une meilleure diffusion, reflètent le caractère de Jouve : primauté de la conscience individuelle et des « grandes voix du temps84 » (dont Tolstoï est la figure tutélaire) sur l’action collective et la brûlante actualité. Si Jouve a bel et bien collaboré durant l’année 1917 aux revues pacifistes nées à Genève, il n’a en revanche jamais fondé de périodique indépendant et considérait par exemple ses articles dans La Nation et La Feuille, non seulement comme un moyen d’action, mais surtout comme une source de revenus dont il ne pouvait se passer. Cette prédominance de l’artiste sur l’intellectuel, contrairement à la position adoptée par Rolland, a également influencé les choix du poète : alors que Rolland a publié des articles dans toutes les revues pacifistes et a fait paraître uniquement un recueil (Au-dessus de la mêlée) chez son éditeur traditionnel (Ollendorff), Jouve a publié majoritairement des œuvres littéraires auprès d’enseignes qu’il a contribué à créer.

Le manque de débouchés et la préférence donnée à l’œuvre d’art ont donc joué un grand rôle dans le destin des textes de Jouve. Mais ce ne sont pas les seuls facteurs qui expliquent son parcours éditorial. Il faut aussi prendre en compte l’évolution idéologique de Jouve : de la compassion de Vous êtes des hommes, paru à La N.R.F., à l’anarchisme de Danse des morts, publié aux Tablettes ; ne pas sous-estimer l’importance des relations interpersonnelles : l’exploitation des réseaux rollandiens (Reynold, Seippel, Guilbeaux), le rapprochement avec Salives et Masereel, ou la rencontre de Bille, Debrit et Graber. Rappeler le rôle joué, plus ou moins discrètement, par les officines de propagande des pays belligérants, en particulier dans le domaine de l’écrit : aux maisons d’édition et aux organes de presse romands liés à l’Entente et donc peu enclins à accueillir les voix dissidentes francophones, répond, par exemple, le soutien (surtout financier) apporté par l’Allemagne aux revues pacifistes nées à Genève en 1916-191785. Et enfin garder à l’esprit que le choix d’un média est, en partie du moins, motivé par l’espoir d’obtenir la plus large diffusion possible. Les questions de tirage, de diffusion, de services de presse et de librairie sont d’ailleurs omniprésentes durant les années de guerre. Mais la frilosité des éditeurs et les faibles tirages d’une part, à quoi s’ajoutent les difficultés de communication et la censure d’autre part ont isolé de plus en plus les pacifistes réunis en Suisse. « C’est en somme le meilleur coin pour étouffer, quand on n’est pas assez grand pour que la tête dépasse86 » écrit d’ailleurs Jouve, qui ne bénéficie pas de l’aura de Romain Rolland. La métaphore de l’« île », que le poète reprend à son compte pour parler de la Suisse, comporte finalement deux faces : les pacifistes ont certes pu se réunir, écrire, et parler (relativement) librement en Suisse mais les voix des naufragés n’ont guère franchi les limites d’un récif submergé dès le début de la guerre par les vagues de propagande des belligérants. Et c’est bien de ce double isolement – au sein de la Suisse, comme vis-à-vis du monde – dont parle Jouve en 1920 lorsqu’il dit des écrivains et artistes exilés qu’ils ont été « plus perdus dans cette Suisse romande qu’ils ne l’eussent été au fond de l’Afrique87 ».

Notes de bas de page numériques

1 « Il est peut-être nécessaire que l’art se jette en pleine mêlée » : L.a.s. de Pierre Jean Jouve à Romain Rolland, 19.4.1915, Paris, Bibliothèque nationale de France (BnF), Département des manuscrits, Fonds Romain Rolland (NAF 28400). Pour les années de guerre, il existe 134 l.a.s. et c.a.s. de Jouve à Rolland du 24.11.1914 au 11.11.1918.

2 Romain Rolland, « Au-dessus de la mêlée », Journal de Genève, 22-23 septembre 1914, p. 5.

3 L.a.s. de Jouve à Rolland, 6.6.1915.

4 Les aspects idéologiques et littéraires ont été étudiés par Daniel Leuwers, Jouve avant Jouve ou la naissance d’un poète, Paris, Klincksieck, 1984 (« Deuxième partie. L’idéal pacifiste (1914-1920) », pp. 97-182).

5 L.a.s. de Jouve à Rolland, 26.6.1916.

6 Pierre Jean Jouve, Le Défaitisme contre l’homme libre, La Chaux-de-Fonds, Édition d’Action Sociale, 1918, p. 9.

7 L.a.s. de Jouve à Rolland, 16.9.1918.

8 « Je rencontre des difficultés dans le choix d’un éditeur » : L.a.s. de Jouve à Rolland, 6.6.1915.

9 L.a.s. de Jouve à Gonzague de Reynold, 21.7.1915, Berne, Archives littéraires suisses (ALS), Fonds Gonzague de Reynold. Le Fonds Reynold contient 4 l.a.s. de Jouve du 13.5.1915 au 21.7.1915.

10 La correspondance entre Jouve et Jean-Richard Bloch est conservée à Paris, BnF, Département des manuscrits, Fonds Jean-Richard Bloch (NAF 28222).

11 Christophe Prochasson, Anne Rasmussen, Au nom de la patrie. Les Intellectuels et la Première Guerre mondiale (1910-1919), Paris, Éditions la découverte, 1996.

12 L.a.s. de Jouve à Jacques Copeau, 24.7.1915, Paris, BnF, Département des Arts du spectacle, Fonds Jacques Copeau (COL-1). Le Fonds Copeau contient 13 l.a.s. et 6 c.a.s. de Jouve du 16.7.1912 au 21.9.1915.

13 L.a.s. de Jouve à Copeau, 16.8.1915.

14 Olivier Forcade, « Voir et dire la guerre à l’heure de la censure (France, 1914-1918) », Le Temps des médias, n° 4, 2005/1, pp. 50-62. Jouve, s’il souhaite d’ailleurs voir les articles de Rolland réunis dans une brochure en France, « prévoi[t] mal comment, et où et de quelle manière on pourrait assurer le lancement (sans intervention d’Anastasie) », l.a.s. de Jouve à Rolland, 23.8.1915.

15 L.a.s. de Jouve à Copeau, 22.8.1915.

16 Voir à ce sujet la position défendue par Jouve dans « L’internationalisme en Suisse », Les Tablettes, n° 4, novembre 1917, en réponse à Robert de Traz : « En tout cas, veuillez croire que notre objet n’est pas de convertir l’opinion spécialement suisse, quelque estime que nous ayons pour elle. » Cette problématique a notamment été abordée par Alain Clavien, « "Ce faux Christ des nations..." Romain Rolland et quelques intellectuels romands, 1914-1918 », Romain Rolland et la Suisse, Études de Lettres, n° 3, 2012, pp. 11-28.

17 L.a.s. de Jouve à Rolland, 19.4.1915.

18 Alain Clavien, Grandeurs et misères de la presse politique. Le match Gazette de Lausanne – Journal de Genève, Lausanne, Éditions Antipodes, 2010 (« 3. Le Journal revient dans la course 1914-1918 », pp. 75-98).

19 Ce dernier avait en effet donné son accord de principe au projet lancé par G. de Reynold et Paul Häberlin, l.a.s. de Rolland à Reynold, 18.1.1915, Berne, ALS, Fonds Reynold.

20 Extrait de l’appel de G. de Reynold et P. Häberlin du 1.1.1915, cité par Aram Mattioli, Gonzague de Reynold, idéologue d’une Suisse autoritaire, Fribourg, Éditions universitaires, 1997, p. 78.

21 L.a.s. de Jouve à Reynold, 13.5.1915 (Jouve souligne).

22 Landry Charrier, « La neutralité suisse à l’épreuve de la Première Guerre mondiale. L’Internationale Rundschau, une entreprise de médiation internationale " torpillée " par la France (1914-1915) », Histoire@Politique. Politique, culture société, n° 13, janvier-avril 2011.

23 Voir à ce propos la récente publication de la thèse d’Alexandre Elsig, consacrée à la propagande allemande en Suisse durant la guerre : Les Shrapnels du mensonge. La Suisse face à la propagande allemande de la Grande Guerre, Lausanne, Éditions Antipodes, 2017, 581 p.

24 L.a.s. de Jouve à Reynold, 1.6.1915.

25 L.a.s. de Jouve à Rolland, 23.8.1915 (Jouve souligne).

26 L.a.s. de Jouve à Rolland, 23.8.1915.

27 L.a.s. de Jouve à Copeau, 22.8.1915.

28 Laurence Campa, « Polyphonie de la Grande Guerre », in Les Éditions Gallimard 1911-2011. Lectures d’un catalogue, Pascal Fouché (dir.), Paris, Gallimard, coll. « Les Cahiers de la NRF », 2012, pp. 13-33.

29 « J’attends de savoir auparavant les intentions de la n.r.f. quant à la publication » : L.a.s. de Jouve à Rolland, 27.1.1916.

30 L.a.s. de Jouve à Rolland, 10.12.1915 (Jouve souligne).

31 L.a.s. de Jouve à Rolland, 10.12.1915.

32 L.a.s. de Jouve à Jules Romains, 18.5.1921, Paris, BnF, Département des manuscrits, Fonds Jules Romains (NAF 28403). Le Fonds Romains ne contient aucune lettre de Jouve durant les années de guerre ; la correspondance, interrompue le 18.05.1914, reprend le 27.9.1919.

33 L.a.s. de Jouve à Romains, 18.5.1921.

34 L.a.s. de Jouve à Rolland, 8.5.1916.

35 L.a.s. de Jouve à Rolland, 12.6.1919.

36 L.a.s de Gaston Gallimard à Jacques Copeau, 27.12.1915, Paris, BnF, Département des Arts du spectacle, Fonds Jacques Copeau (COL-1).

37 L.a.s. de Jouve à Rolland, 27.3.1917.

38 L.a.s. de Jouve à Rolland, 2.4.1917.

39 L.a.s. de Jouve à Marcel Martinet, 25.5.1917, Paris, BnF, Département des manuscrits, Fonds Marcel Martinet (NAF 28352). Pour les années de guerre, il existe 20 l.a.s. et c.a.s. de Jouve du 23.10.1915 au 23.12.1918.

40 L.a.s. de Jouve à Rolland, 28.5.1917.

41 L.a.s. de Jouve à Edmond Bille, 9.8.1917, Sion, Archives de l’État du Valais, Fonds Edmond Bille. Le Fonds Bille contient 16 l.a.s. et c.a.s. de Jouve du 2.7.1916 au 14.9.1917 (1 l.a.s. et 1 c.a.s. ne sont pas datées).

42 L.a.s. de Jouve à Copeau, 16.8.1915.

43 L.a.s. de Jouve à Rolland, 12.5.1916 et Romain Rolland, Journal des années de guerre 1914-1919, Paris, Éditions Albin Michel, 1952, p. 771.

44 L.a.s. de Gallimard à Copeau du 7.12, 12.12 et 27.12.1915.

45 Yaël Dagan, La Nouvelle Revue Française entre guerre et paix 1914-1925, Paris, Éditions Tallandier, 2008.

46 Landry Charrier, « Romain Rolland, les relations franco-allemandes et la Suisse (1914-1919) », Les cahiers Irice, 2011/2, n° 8, pp. 96-97.

47 Henri Guilbeaux, « Le poète P.-J. Jouve », La Guerre mondiale, 8.8.1916, n° 598, p. 4778.

48 Henri Guilbeaux, « Parmi les livres – P.-J. Jouve : Vous êtes des Hommes », Demain, n° 1, janvier 1916, p. 56.

49 Nicolas Beaupré, Écrire en guerre, écrire la guerre. France, Allemagne 1914-1920, Paris, CNRS Éditions, 2006 (« Censures et autorités militaires face à la littérature de guerre », pp. 73-95).

50 Romain Rolland, Journal des années de guerre 1914-1919, op. cit., pp. 739, 751 et 771. La revue sera d’ailleurs aussi interdite en Angleterre et en Italie (Demain, n° 6, juin 1916).

51 Romain Rolland, Je commence à devenir dangereux. Choix de Lettres de Romain Rolland à sa mère (1914-1916), Paris, Éditions Albin Michel, Cahiers Romain Rolland, n° 20, 1971, 1.6.1916, p. 265.

52 L.a.s. de Jouve à Rolland, 29.4.1916.

53 L.a.s. de Jouve à Rolland, 8.5.1916.

54 L.a.s. de Jouve à Rolland, 17.6.1916 (Jouve souligne).

55 Voir également à ce sujet la contribution de Muriel Pic, dans ce même numéro. Elle y présente notamment une l.dact.s. de Jean-Henri Jeheber à Jouve, datée du 19.6.1916, dans laquelle l’éditeur écrit : « Pour le moment je crois qu’il est plus prudent de laisser mon nom de côté. »

56 L.a.s. de Jouve à Rolland, 21.7.1916.

57 L.a.s. de Jouve à Rolland, 17.8.1917 (Jouve souligne).

58 Bernard Wyder, Edmond Bille, une biographie, Genève, Slatkine, 2008.

59 L.a.s. de Jouve à Bille, 9.8.1917, Sion, Archives de l’État du Valais, Fonds Edmond Bille.

60 L.a.s. de Rolland à Paul Seippel, 14.7.1915, Berne, ALS, Fonds Paul Seippel.

61 Philippe Kaenel, « La danse macabre de l’ouvrier et du soldat. Edmond Bille face à la Première Guerre mondiale », L’Héritage culturel. Cahiers d’histoire du mouvement ouvrier, n° 19, 2003, pp. 45-53.

62 Edmond Bille, Le Carquois vide (souvenirs d’un arbalétrier) 1914-1918, Neuchâtel, La Baconnière, 1939, p. 168.

63 L.a.s. de Jouve à Bille, 19.8.1916, Sion, Archives de l’État du Valais, Fonds Edmond Bille.

64 L.a.s. de Jouve à Bille, 14.8.1916, Sion, Archives de l’État du Valais, Fonds Edmond Bille.

65 L.a.s. de Jouve à Rolland, 5.4.1917 et Romain Rolland, Journal des années de guerre 1914-1919, op. cit., p. 1016.

66 L.a.s. de Jouve à Bille, 14.3.1917, Berne, ALS, Collection Edmond Bille. La collection Bille contient 9 l.a.s. et c.a.s. et 1 l.dact.s. de Jouve du 1.6.1916 au 6.4.1921 (1 l.a.s. n’est pas datée).

67 L.a.s. de Jouve à Bille, 25.3.1917, Sion, Archives de l’État du Valais, Fonds Edmond Bille.

68 François Vallotton, L’Édition romande et ses acteurs 1850-1920, Genève, Slatkine, 2001, pp. 301-304.

69 Hans Marti, Paul Seippel 1858-1926, Basel und Stuttgart, Verlag von Helbing & Lichtenhahn, 1973 (« 9. Kapitel. Die Begegnung mit Romain Rolland », pp. 166-177).

70 L.a.s. de Jouve à Bille, 9.8.1917, Sion, Archives de l’État du Valais, Fonds Edmond Bille (Jouve souligne). Voir également le bulletin de souscription (30 ex. à 10.- fr., 170 ex. à 3.50.- fr.) publié par la revue Les Tablettes (n ° 11, août 1917), portant la mention suivante : « [Jouve] veut publier cette œuvre pendant la guerre même. [...] Mais en un tel temps il ne se trouve pas d’éditeurs pour répandre largement une telle œuvre. »

71 L.a.s. de Jouve à Bille, 14.3.1917, Berne, ALS, Collection Edmond Bille (Jouve souligne).

72 Christophe Stawarz, La Paix à l’épreuve. La Chaux-de-Fonds 1880-1914. Une cité horlogère au cœur du pacifisme international, Hauterive, Éditions Gilles Attinger, 2002.

73 L.a.s. de Jouve à Rolland, 18.2.1918.

74 Joseph Chapiro, « La Danse des morts de P.-J. Jouve » et « Vers la Cité des Hommes libres », La Sentinelle, n° 105, 10.5.1918 et n° 221, 24.9.1918.

75 L.a.s. de Jouve à Rolland, 3.3.1918 (Jouve souligne).

76 16 l.a.s. et 4 c.a.s. du 22.6.1918 au 29.11.1922 de Jouve à Frans Masereel sont conservées à Paris, Bibliothèque littéraire Jacques Doucet, Ms. Ms. 32762 - Ms. Ms. 32780. Les 2 c.a.s et la l.a.s. datées de 1918 ne comportent aucune indication relative aux projets éditoriaux des deux amis.

77 Albert M. Debrunner, « Bücher gegen den Krieg : René Schickeles " Europäische Bibliothek " », Librarium. Revue de la Société Suisse des Bibliophiles, n° 44/2, 2001, pp. 100-117, Landry Charrier, L’Émigration allemande en Suisse pendant la Grande Guerre, Genève, Slatkine, 2015, pp. 90-92 et Alexandre Elsig, Les Shrapnels du mensonge, op. cit., pp. 350-354.

78 L.a.s. de Jouve à Stefan Zweig, 1.2.1918, Fredonia, Daniel A. Reed Library, Stefan Zweig Collection.

79 L.a.s. de Jouve à Rolland, 3.3.1918.

80 L.a.s. de Jouve à Rolland, 30.3.1918 (Jouve souligne) et Romain Rolland, Journal des années de guerre 1914-1919, op. cit., p. 1337.

81 L.a.s. de Jouve à Rolland, 17.4.1918 (Jouve souligne).

82 L.a.s. de Jouve à Rolland, 30.9.1918 (Jouve souligne).

83 Pierre Jean Jouve, Ihr seid Menschen, Felix Beran (trad.), Zurich, Max Rascher Verlag AG, 1918.

84 Titre de l’un de ses articles parus dans Les Tablettes, n° 14, novembre 1917, pp. 3-4.

85 « L’Empire allemand s’intéresse alors de près aux revues pacifistes de Genève et Lausanne pour toucher, par contrecoup, l’opinion française. […] Au printemps 1917, l’Allemagne saisit l’opportunité qu’elle peut tirer d’une infiltration de ces réseaux et de leurs capacités “défaitistes” », in Alexandre Elsig, Les Shrapnels du mensonge, op. cit., pp. 419-420 (chapitre 12, « La paix, rien que la paix ? », pp. 419-461).

86 L.a.s. de Jouve à Martinet, 6.8.1918.

87 Pierre Jean Jouve, Romain Rolland vivant, Paris, Librairie P. Ollendorff, 1920, pp. 35-36.

Pour citer cet article

Denis Bussard, « « Il est peut-être nécessaire que l’art se jette en pleine mêlée » : parcours éditorial de Pierre Jean Jouve durant la Grande Guerre », paru dans Loxias-Colloques, 8. Ecrire en Suisse pendant la grande Guerre, Ecrire en Suisse pendant la Grande Guerre, « Il est peut-être nécessaire que l’art se jette en pleine mêlée » : parcours éditorial de Pierre Jean Jouve durant la Grande Guerre, mis en ligne le 22 août 2017, URL : http://revel.unice.fr/symposia/actel/index.html?id=911.

Auteurs

Denis Bussard

Études de Lettres à l’Université de Lausanne puis archiviste aux Archives littéraires suisses (Bibliothèque nationale, Berne) depuis 2011. Responsable de la Collection Romain Rolland, de la Collection Edmond Bille et des fonds d’archives de Paul Seippel, de Gonzague de Reynold, de Jacques Chessex et des Éditions Bertil Galland. Il est notamment l’auteur de « Pierre Jean Jouve et Marc Eigeldinger. Une amitié de circonstances ? » (Quarto, 2014).