Loxias-Colloques |  7. Images de l’Oriental dans l’art et la littérature 

Alessandra Sini  : 

L’archaïsme fécond dans la recherche gestuelle de Fabrizio Favale : Mahâbhârata-Episodi scelti (2005-2007)

Résumé

À partir de l’analyse chorégraphique du projet Mahâbhârata-Episodi scelti du chorégraphe Fabrizio Favale, je propose une lecture critique qui voit cet artiste s’emparer de la structure pluricellulaire du texte Mahâbhârata pour mettre en question les outils de sa pratique performative. Son écriture chorégraphique est ainsi le lieu de confrontation d’imaginaires différents, ni d’orient ni d’occident ; le lieu d’un rencontre interculturel où des héritages éloignés dans le temps et dans l’espace, sont mis en perspective situationnelle, intersubjective et dialogique.

Index

Mots-clés : analyse chorégraphique , écriture chorégraphique, empathie kinesthésique, Favale (Fabrizio), Mahâbhârata

Géographique : Italie

Chronologique : Période contemporaine

Plan

Texte intégral

Pendant la lecture des documents critiques sur l’activité artistique de Fabrizio Favale1, j’ai trouvé un article décrivant le spectacle Kauma. J’en transcris ici l’extrait plus significatif :

Siamo in un Oriente immaginato : le torsioni e i repentini stop dei corpi, i ghirigori delle braccia disegnano figure che richiamano bassorilievi di templi indù ; i suoni virano elettronicamente motivi e strumenti tradizionali, voci di mercati, abbandoni in un altrove fascinoso2.

J’avais vu le spectacle dont je gardais un souvenir très vif mais je ne le reconnaissais pas en lisant ces mots. J’ai cependant douté de ma mémoire et je suis allée revoir les enregistrements vidéo du spectacle.

Dans la plupart des critiques spécialisées et parfois dans les descriptifs préparés par les chorégraphes mêmes, je ne trouve pas ce qui devrait m’aider à m’immerger dans/avec la danse. Je trouve plutôt des interprétations qui conditionnent et parfois m’empêchent d’entrer en relation avec le geste dansé car ils élaborent un discours éradiqué des pratiques corporelles. C’est pour cela que je préfère ne pas lire les infos écrites avant d’avoir assisté au spectacle. Reporter ce moment de lecture m’aide à me concentrer sur mon expérience d’empathie kinesthésique3 et à laisser parler le mouvement quand et où il se présente.

Avec cette perception sensible et mes compétences acquises au travers de mon expérience de danseuse et de chorégraphe professionnelle, soutenues par une perception kinésique4 comme le suggère Guillemette Bolens5, je procède par degrés à l’analyse chorégraphique en puisant dans mes savoirs d’origine corporelle. Ces savoirs sont toujours convoqués dans la réception des œuvres d’art, ils activent la cognition et la sensorimotricité en même temps. À travers ma pratique d’observation participante nourrie par la fréquentation du chorégraphe et de son studio, je propose ici une première lecture du projet Mahâbhârata-Épisodes choisis.

Dans cet article il s’agira de comprendre comment la source littéraire opère dans les pratiques gestuelles et structurelles de l’écriture chorégraphique6 de Fabrizio Favale. L’analyse se focalisera sur un extrait de Kauma (cinquième et dernier épisode du projet chorégraphique fondé sur le Mahâbhârata) en tant que modèle d’une pratique opérationnelle utilisée pour tout le projet qui a occupé le chorégraphe italien pendant trois ans. Je propose ici une lecture des pratiques de la scène ouverte à l’interculturel pour mettre en valeur un point de vue artistique indépendant de toutes interprétations orientalistes qui en ont été faites.

Une approche littéraire pour les pratiques gestuelles

Fabrizio Favale, chorégraphe et danseur depuis les années 1990, développe son écriture chorégraphique à partir de son propre corps entraîné aux codes techniques de la danse académique et contemporaine. Il a remis en question ce corps et ses savoir-faire, pour une recherche corporelle et poétique autonome et personnelle. Il poursuit une pratique performative lointaine de toute narration et pourtant il nourrit assez souvent sa recherche de suggestions littéraires qui l’ont conduit jusqu’à l’orient. Dans une conversation récente, il m’a confié que ses recherches littéraires lui donnent la possibilité d’attribuer « un nom aux matières corporelles » qui sont en train d’émerger dans la recherche chorégraphique en studio et qui sont étroitement liées aux « matières imaginatives qui se forment dans l’imagination créative7 ». Il associe donc au corps et à sa pratique chorégraphique des mots et des notions empruntés à la littérature. Il trouve dans les mythes, dans la culture grecque et indienne archaïque les mots pour travailler et dire sa danse, agie dans le présent en Italie et accueillie avec plus d’enthousiasme dans d’autres pays européens8.

Il a travaillé le mythe de Ganymède dès son premier spectacle homonyme Ganymède show (1999) en s’appuyant sur le texte de Roberto Calasso Les Noces de Cadmos et Harmonie9. À travers cette lecture il est arrivé à d’autres auteurs tels que Károlyi Kerényi, James Hillman, Joseph Campbell, Heinrich Zimmer, Eric Robertson Dodds10 et, il a voyagé parmi les archétypes occidentaux, en particulier dans la Grèce archaïque11, jusqu’à s’approcher en 2005 de l’Orient et ses mythes quand il s’est confronté au Mahâbhârata.

Le Mahâbhârata est un monumental poème épique de l’Inde ancienne, transcrit en sanskrit probablement entre 400 av. J.-C. et 400 apr. J.-C., mais remontant à des sources orales bien plus anciennes.

[Il est] censé avoir été rédigé par Ganesh12 sous la dictée du sage Vyasa. En réalité, on ne sait s’il s’agit d’une œuvre collective, revue et modifiée au fil des siècles […] ou celle d’un unique poète […]. Ces deux points de vue opposés, et parfaitement défendables en l’absence de données historiques et scientifiques sûres, conduisent à une compréhension globale de l’œuvre radicalement différente13.

L’hypothèse d’une œuvre collective est soutenue par la structure pluricellulaire du texte, constituée d’un noyau central d’où démarre une intrigue fine et ramifiée. Dans l’hypothèse d’un poète unique, renforcée par l’unicité du récit et de son intrigue, « l’épopée constituerait en partie une réponse à la montée du bouddhisme après le règne d’Aśoka (dynastie des Gupta), vers 300 av. J.-C., dans un contexte socio-politique de crise bien identifié14 ». Les paroles de Bouddha rejettent les enseignements védiques et la société brâhmanique, menaçant par là-même la suprématie des brâhmanes.

Le Mahâbhârata n’est pas seulement un poème épique, on pourrait le définir une encyclopédie versifiée. Il est encore aujourd’hui au centre de la culture indienne. Il retrace tout ce que connaissaient les indiens en matière de mythologie, de sagesse politique, de religion et de philosophie ; il enseigne les règles de comportement à suivre et le moyen de sauvegarder l’équilibre du monde. Ce texte raconte de nombreuses histoires, il conte des dizaines de personnages dont chacun a des noms multiples. Il comprend plus de cent vingt mille strophes recueillies en 18 livres15, mais on trouve aussi, en bien moindre quantité, certains passages en prose ou en des mètres différents de ceux de la poésie classique indienne.

Mahâbhârata-Episodi scelti : le projet chorégraphique

À propos de son projet chorégraphique Fabrizio Favale écrit :

Del Mahabharata ci ha attratto anche l’apertura infinita, nonché il mistero di chi l’ha composto. Al suo interno sono state apportate rivisitazioni continue, l’aggiunta di inserti, di inserimenti successivi di storie, e ancora storie. Questo ci ha dato la possibilità di strutturare il lavoro per episodi e assegnarne la realizzazione parziale o totale ad artisti ospiti, mantenendo così un carattere panoramico e variegato, dove gli accadimenti sono organizzati da sguardi diversi sullo stesso tema16.

Le spectacle Kauma (auquel la citation initiale se réfère) est le cinquième et dernier épisode du projet chorégraphique pluriannuel Mahâbhârata-Épisodes choisis. Il me semble judicieux de donner la liste complète de toutes les premières présentations publiques des spectacles/épisodes dont le projet est constitué.

juillet 2005

Trentaseimila fuochi

prologue au projet (ou épisode zéro).

décembre 2005

Ermanno Olmi

1er épisode constitué par trois chapitres : I. la coperta di Prajapati, II. la coperta degli altri, Manasaputra, III. lo stendardo di Garuda (chapitre secret)

février 2006

Il palazzo di Maya

Tu sei Kumara, Fanciullo

2e épisode. La 2e partie de cet épisode contient le chapitre Centocinque cugini commandité à un autre chorégraphe et performé par son groupe de performeurs (MK)

avril 2006

Raggruppamento I Diecimilaottocento mattoni

recueille matériaux chorégraphiques antécédents dans un différent déploiement.

juillet 2006

Foresta



Ladro del cuore e del burro

3e épisode commandité à trois danseurs de la William Forsythe Company : Francesca Caroti, David Kern e Roberta Mosca

4e épisode.

octobre 2006

Raggruppamento II- Une histoire de caché

reprise de matériaux chorégraphiques divers.

avril 2007

Kauma

5e et dernier épisode

Cette liste énumère les épisodes qui ont été réalisés et présentés sur scène.

Le projet initial était plus complexe, il impliquait plus de collaborateurs et certains épisodes prévus ou commandités n’ont jamais été réalisés.

L’analyse chorégraphique

Le spectacle Kauma17 s’ouvre sur une scène presque vide. Deux danseurs sont pris par un flux continu de mouvement en s’appuyant sur le rythme monocorde et répétitif du son ; le danseur au premier plan18 (qui est le chorégraphe même) suit la vitesse maximale de la pulsation musicale, la danseuse au deuxième plan semble suivre un rythme quatre fois plus lent que celui du premier danseur. Les deux danseurs s’ignorent, chacun suit sa propre obsession rythmique.

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Kauma, spectacle de Fabrizio Favale (2007), photographe Alberto Trebbi, dans la photo Fabrizio Favale et Marina Giovannini

La répétition de certains gestes nous donne l’impression d’un cycle continu entre clôture ou nouveau commencement d’une phrase de mouvement dansé, ou plutôt la clôture/commencement d’une strophe avec sa métrique cadencée. La scène est en noir et blanc ou plutôt elle est divisée entre ombre et lumière. Les corps, habillés en noir, se confondent assez souvent avec l’écran noir posé en demi-hauteur sur le fond de l’espace. Cette perspective visuelle tend à amoindrir la dimension spatiale de la profondeur et force le regard du spectateur à se plonger plus attentivement dans l’espace de la danse pour chercher un rapport plus proche au corps. Quand le mouvement ré-émerge de l’obscurité et se détache du fond grâce à la lumière, le corps retrouve sa tridimensionnalité et révèle sa mutation : le corps est transformé, contaminé par le monde imagé qu’il habite. Au moment de se présenter sur scène, moment vif du partage avec le spectateur, la danse créée par Favale fusionne les corps de danseurs avec les autres éléments scéniques : objets, tissus, images vidéo, bribes de textes écrits, poussières, fumées, et cetera. L’hybridation est une composante active dans la création des lieux agis par la danse. Elle est aussi une qualité poursuivie dans la transformation des possibilités dynamiques et rythmiques des corps quand le chorégraphe travaille sur la superposition d’imaginaires de référence pour la recherche en studio et quand il opère ses choix pour orienter la perception du spectateur. Pour lui la chorégraphie tisse des relations entre plusieurs éléments composant le lieu matériel des événements. Il dit que « […] la danse traverse les formes et les dynamiques et nous pouvons les percevoir seulement lorsque elles s’évanouissent. Si une forme est gardée dans notre mémoire visuelle, elle n’existe plus sur la scène19 ». Favale m’a révélé dans une conversation récente qu’il s’est fortement appuyé sur l’image de la statue du Shiva Nataraja : le danseur cosmique dont il a trouvé la description dans Myths and Symbols in Indian Art and Civilization de Robert Heinrich Zimmer. Cette image représente le dieu qui traverse simultanément toutes les formes ou plus exactement il les traverse quand elles émergent et en les traversant, il les détruit. Shiva dansant est l’Énergie Éternelle, il est l’image symbolique de la création, du maintien et de la destruction.

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Jean-Pierre Dalbéra, Shiva Natarâdja, Seigneur de la Danse (musée Guimet)20

Le nœud thématique des dernières expérimentations dynamiques et corporelles de Favale côtoyait de manière remarquable la signification symbolique de cette image sacré. Shiva Nataraja possède le dynamisme qui ne se fige pas dans des formes, il a la capacité de rendre l’invisible visible et d’en dissoudre l’apparition avant toutes concrétisations. Favale a appris que ce qu’il recherchait dans son corps et dans l’écriture chorégraphique avait été accompli dans un temps mythique, agi par un personnage mythique. Le temps mythique est l’espace de la danse où on peut tout réaliser. Etant donné que c’était quelque chose de déjà rendu réel, bien que dans un ailleurs légendaire, imaginaire, Favale s’est renforcé dans son idée : réaliser avec le corps du danseur, les outils de l’écriture chorégraphique et les outils scénographiques, ce passage entre les formes et leur disparition. La structure des ses spectacles a été marquée par cette recherche obsessionnelle et particulière. Cela se voit dans la conception du projet Mahâbhârata-Épisodes choisis, mais, je souligne, elle est toujours évidente dans ses créations successives.

Je reprends mon analyse : un troisième danseur émerge de l’obscurité, il porte de petites cornes noires collées sur son front pour se qualifier. Il apparaît comme les autres, mais ces petits éléments (les cornes) révèlent qu’il est différent, ou mieux, qu’il y a une différentiation entre les danseurs ; on pourrait alors supposer que cette différentiation est symptomatique du fait que les danseurs incarnent des personnages, qu’ils rendent manifeste leur propre monde, par leur danse et leurs actions. Ces détails qui font des danseurs des personnages, fonctionnent comme une clef de voûte pour suivre leurs actions et les relations qu’ils instaurent entre eux et avec l’espace, pour mieux accéder au monde qu’ils créent sur scène.

Ce troisième personnage est pris lui aussi par l’obsession rapide du flux de son mouvement, de part son ancrage au sol, et se règle sur la pulsation maximale du son. Son mouvement est similaire à celui des autres, mais dans son action même, il déclare une différence. Ce sont peut être les cornes ou l’imaginaire qu’elles ont déclenché (dans le spectateur) à nous aider à focaliser sur la façon de bouger de ce danseur/dieu et sur ses caractéristiques qui nous parlent différemment. Le spectateur s’approche ainsi au style kinésique du danseur21 : il serait constitué par les caractéristiques dynamiques des gestes et par les variations de la posture et du mouvement qui donnent à la personne qui danse une allure singulière, une façon individuelle et inconsciente d’interaction avec les autres. Guillemette Bolens nous l’explique ainsi :

Le style kinésique est donc la marge de liberté non contrôlable de la personne dans la dynamique de ses gestes. […] Il se manifeste dans des variations insubstituables et imprévisibles qui imprègnent les gestes en permanence à travers les encodages multiples des relations interpersonnelles. […] Certains artistes sont remarquables en ce qu’ils disent avec ou sans paroles cela exactement : leur art et leur maestria consistent à styliser corporellement ou langagièrement l’expression d’une maîtrise impossible du kinésique en tant que le kinésique est l’espace aléatoire et fondateur du contact au monde, à l’autre et à soi22.

L’attention au style kinésique de la personne est une qualité propre aux pratiques créatives de Favale (comme à d’autres chorégraphes) qui utilise un système extrêmement varié dans son processus de création : la transmission et l’incorporation de phrases dansées créées par le chorégraphe même et l’improvisation (libre et guidée) pour une recherche gestuelle et rythmique très fine et indépendante. Je crois que mon habitude à l’observation attentive et ma connaissance des pratiques de danse, m’ont conduite à remarquer dans cette séquence, des caractéristiques qui sont propres au style kinésique de la personne (le danseur en question) et qui ont été travaillées ponctuellement pour adhérer au personnage. Ce dieu dansant est marqué par une puissance musculaire qui donne tension à la gestuelle des bras. Son goût pour la coupure du mouvement, dans ce cas harnaché par la consigne de continuité, confère plus d’importance aux extrémités périphériques des bras : les mains produisent des signes fort lisibles. Il se caractérise aussi par le rapport contrôlé entre les deux centres du corps (diaphragme et diaphragme pelvien), qui oblige à baisser le centre de gravité pour garantir le mouvement tourbillonnant des bras, en donnant au corps une posture soupçonneuse et agressive.

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Kauma, spectacle de Fabrizio Favale (2007), photographe Alberto Trebbi, dans la photo Filippo Di Prima

La signature du chorégraphe sur les corps qualifie néanmoins de communauté ces personnages qui nous laissent contempler les paysages qu’ils habitent et le flux d’écoulement des actions. Le rythme propre à chacun libère l’individualité du personnage. Un mouvement-fleuve constitué de transformations, de passages, d’errance et de nomadisme entre les formes, désigne l’état des corps. Le silence comme l’arrêt n’arrivent que très rarement. L’écriture chorégraphique à son tour garde un rythme à pulsation continuelle rendu évident par l’extinction répétitive de la lumière. Les différentes scènes s’écoulent entre visibilité et invisibilité car la lumière se répand seulement sur le devant de la scène bien que la danse se manifeste derrière aussi, dans le noir.

La scelta del Mahâbhârata, che prosegue la traiettoria delineata finora, è stata il frutto di connessioni e similitudini fra suggestioni lanciate dal mito indiano e il tipo di ricerca corporea che stavamo perseguendo in sala prove. Eravamo concentrati su una serie di accadimenti : ad esempio, sulle possibilità di attraversare le forme mentre stanno per dileguarsi. Questo voleva dire, forse, intendere la danza come “manifestazione” e non come rappresentazione ? Non quindi un’azione che va interpretata, quanto piuttosto un panorama da contemplare ?23

Pour aller plus au fond de l’analyse chorégraphique, j’ai confronté l’ensemble des épisodes24 du projet Mahâbhârata-Épisodes choisis et j’ai pu identifier deux aspects où j’ai distingué des constantes.

Le premier aspect concerne les qualités corporelles, parmi lesquelles j’ai observé : le flux continu du mouvement plus ou moins suspendu dans des gestes identifiables qui font signe dans les mains et aussi dans certaines postures ; le simple état de présence où le corps serait en repos mais en attente de quelque chose, ou « en contemplation » pour utiliser les mots de Favale lui-même ; et encore l’apparition/disparition du corps soulignées par la lumière ou bien recherchées par le corps même.

Le deuxième aspect est celui des dispositifs accessoires au mouvement, tels que l’aller-retour de la lumière qui travaille le noir pour renforcer ce qui deviendra visible ; l’utilisation du contre-jour qui change la matérialité du corps et sa perception ; le mouvement des écrans et l’utilisation des hampes en bois qui matérialisent l’architecture des lieux de la danse ; les draps, les étendard, le tissu, le rouleau de papier ou le beurre en paquet qui prolongent et donnent motivation aux actions des corps ; les mots et les phrases extraits du texte du Mahâbhârata et projetés sur les écrans pour focaliser l’imagination du spectateur.

Le lieu de rencontre des imaginaires : l’écriture chorégraphique

Dans l’écoulement du temps du spectacle, nous découvrons des actions/histoires qui commencent et qui finissent en continu. La réitération du mécanisme structurel nous plonge dans un flux hypnotique qui attire notre attention sur la matière corporelle. Nous découvrons également de nouvelles manières de se mouvoir qui vont des évolutions articulaires complexes à la déambulation simple.

Si je peux trouver une analogie avec le texte du Mahâbhârata, je pourrai probablement dire que les vers en ce moment, ont laissé la place à la prose ; que les contes philosophiques ont laissé la place à la description, par exemple celle d’un champ de bataille, d’un jardin ou d’un palais. Les corps se déplacent à contre-jour lentement, ils assument un simple état de présence alors que l’aller-retour de la lumière ne cesse pas. Cette pulsation lumineuse presque inchangée hypnotise notre perception et nous donne aussi la possibilité de nous distraire pour évoquer l’invention d’un récit personnel. Est-ce que nous serions passés du noyau central du récit à une des paraboles ou dans un intermède du texte ?

Indépendamment de mes manques inévitables dans l’approfondissement des histoires et dans la construction d’ensemble du Mahâbhârata, il me semble de pouvoir arriver à dire, que ce texte-fleuve, avec son mètre épique, sa prose, ses histoires et ses personnages, a bien été une base constitutive pour le spectacle Kauma et pour les autres épisodes du projet Mahâbhârata-Épisodes choisis élaborés pendant trois ans. Ce texte a été pour Favale une source structurelle, bien plus qu’une source descriptive d’un imaginaire narratif à représenter sur scène.

Il me semble que l’écriture chorégraphique est le lieu de confrontation d’imaginaires différents ; ainsi la scène est le lieu d’une rencontre interculturelle où des héritages éloignés dans le temps et dans l’espace, sont mis en perspective situationnelle, intersubjective et dialogique. L’écriture chorégraphique de Favale crée une réalité autre25, ni d’Orient ni d’Occident, la réalité « simple » de la scène, engendrée par les actions dansées dans le lieu incorporé/construit en partage avec les danseurs et le public. Il ne s’agit en aucun cas d’exploiter l’image que l’Occidental se construit de l’Orient mais de laisser coexister sur la scène différentes associations entre les images convoquées par les dynamiques des corps. Il construit son imaginaire sans ethnocentrisme, en cherchant d’une façon hétérogène à donner des coordonnées de référence cohérentes aux éléments constitutifs de son écriture.

Le titre du projet et le programme du spectacle évoquent une Inde mythologique et littéraire. La lecture et l’interprétation de la danse sont orientées avant le regard même. La vision et l’interprétation des danses sont influencées par un filtre régulateur26 extérieur à toutes pratiques, qui oriente, rend homogène et rassurant le partage de la danse. Je me demande si, libres de ce filtre, on pourrait placer cette iconographie dans d’autres contextes culturels et historiques.

L’immaginario che la parola kauma27 porta con sé è fortemente legato a un luogo geografico, al Peloponneso : enormi distese di arbusti spinosi, montagne brulle e sole cocente. Così l’ultimo episodio del Mahabharata che ho messo in scena si chiama appunto Kauma e ha trovato spazio in questo scenario occidentale, pur provenendo dall’Oriente28.

Je crois que ce n’est pas par hasard si j’ai vu dans certains mouvements iconographiques, la figure du voltige par-dessus le taureau peinte dans le palais de Cnossos ou le Satyre Dansant de la Grèce attique du Ier siècle av. J.-C.

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Wolfgang Sauber, Voltige par-dessus le taureau fresque Minoen (1600-1450 av. J.-C.), détail, Musée Archéologique d’Héraklion29

Marie-Lan Nguyen, Satyre dansant portant une pardalide et un thyrse ; détail de la face A du Vase Borghèse. Œuvre attique.(40-30 av. J.-C.) Musée du Louvre30

Cela pour dire que chacun peut voyager avec son propre imaginaire, avec ses mémoires/associations par rapport à la danse perçue en vif, mais ce voyage, bien que légitime et satisfaisant, reste la lecture superficielle du premier regard.

La question ne réside pas dans ce que chacun peut reconnaître dans cette danse. Je crois que la question est de connaître le monde qui vit sur la scène devant nos yeux, de s’immerger dans un univers et d’en accepter les règles. Il ne s’agit donc pas de reconduire la danse à des sources préexistantes ou coexistantes, mais de trouver les sources propres à la danse. Ces sources se trouvent dans l’imaginaire créatif du chorégraphe et dans sa capacité de le rendre perceptible. Il sait bien comment alimenter ses visions et ses intuitions pour les mettre en corps, pour leur donner visibilité. Les paysages intérieurs du chorégraphe existent dans les corps des danseurs et dans l’écriture chorégraphique qui donne aussi les coordonnées pour garder une relation ouverte avec le spectateur.

Nel momento dell’azione spettacolare mi interessa mettere in campo una serie di strategie ritmiche ed emozionali : una sorta di drammaturgia della percezione. […] Nella contemplazione di un panorama vastissimo si rischia il vuoto, per cui ogni tanto c’è bisogno di una “sterzata” della direzione dell’attenzione, di un segno che permetta di non lasciare completamente il pubblico in balia della propria fantasia31.

Conclusions

Dans la production chorégraphique de cet auteur il est possible de distinguer les épisodes (des écritures particulières selon l’occasion) qui sont des spectacles à part entière et qui comblent de sens et d’images les spectateurs. Ces pièces seraient les chapitres d’une écriture incorporée. Favale ne s’intéresse pas au niveau esthétique évoqué dans les descriptions du Mahâbhârata, mais il s’approprie d’une façon personnelle de certaines notions, de certaines logiques littéraires, de certains éléments qui rebondissent dans sa perspective créative.

Il est possible de prendre en compte le projet et son processus entier d’activation et d’achèvement dont émergent d’un côté le noyau d’une recherche corporelle bien ciblée (la question radicale de la traversée des formes) et d’un autre côté, la vision d’un monde imagé avec les bases de son actualisation dans la réalité de la scène (la poétique du temps/lieu mythique et les modalités particulières pour le concrétiser et le communiquer sur scène). Ce projet pluricellulaire serait l’œuvre. L’écriture entière.

La question créative demeure dans ce qui fuit la forme, dans la valeur que l’on attribue à la danse en tant que telle, c’est à dire de s’intéresser au mouvement et de se concentrer sur le moment de transfert du poids d’un appui à l’autre. Qu’il soit le transfert d’un pied à l’autre ou entre différents centres périphériques appuyés dans l’espace, la danse reste toujours question de déplacement d’ici à plus loin, de suspension de l’action dynamique entre A et B. La recherche chorégraphique est concentrée sur ce point et l’écriture chorégraphique oriente l’attention du spectateur sur ce même point. Si la forme s’accomplit c’est pour rendre évident le passage à d’autres moments de l’action où les formes envahissent le corps mais temporairement.

Je crois que l’analyse chorégraphique et la confrontation avec l’auteur et sa pratique, m’ont permis de contredire la lecture généraliste et captivante que j’ai trouvée dans l’article de Massimo Marino mentionné plus haut et que je reprend ici :

Nous sommes dans un Orient imaginé : les torsions et les arrêts soudaines des corps, les entrelacs des bras dessinent des figures qui rappellent les bas-reliefs des temples hindou ; les sons électroniques virent les airs et les instruments traditionnels, voix du marché, abandons à un ailleurs fascinant32.

En considération de l’analyse que j’ai proposée, la seule affirmation que je partage serait que dans le spectacle Kauma – comme dans les autres spectacles de Favale – nous nous trouvons dans un « ailleurs fascinant ». Les spectacles de Favale transportent le public dans un ailleurs, le temps sacré de la scène, qui coïncide pour lui avec un temps archétypique de l’homme. Il fonde ce temps sans lieu en utilisant le mythe, qu’il soit grec ou indien. Il construit les bases pour rendre visible et dès lors réel ce monde autre qui naît de son imaginaire, qui se nourrit des littératures, qui se mêle aux imaginaires des danseurs, qui s’incarne dans les corps des danseurs et dans l’écriture chorégraphique et qui séduit l’imaginaire du spectateur dans le moment du partage.

Il apparaît ainsi évident que la rencontre entre la recherche chorégraphique de Favale et le texte du Mahâbhârata ne soit pas arrivée pour renforcer l’imaginaire chorégraphique d’exotisme ou pour nourrir d’ornements33 l’iconographie de la danse. Favale est loin de l’esthétique qui fait spectacle. Avec ce projet pluriannuel, il ne s’est pas agi, ni d’interpréter/réactualiser une tradition étrangère ni de nourrir la narration du dialogue entre les traditions d’Orient et d’Occident et encore moins de refonder une nouvelle image de l’Orient.

Mon regard a été partiel, volontairement ancré dans la matière chorégraphique car j’ai essayé de laisser émerger les mots des pratiques en danse pour mettre en perspective ce domaine du savoir. L’écriture chorégraphique est un texte à part entière, elle est à enquêter à plusieurs niveaux car les intentions du chorégraphe ne sont pas toutes explicites et chaque spectacle doit trouver sa place dans l’entier processus créatif de l’auteur.

J’espère avoir éclairci la spécificité et la liberté de l’approche à l’Orient pas du tout ordinaire de la part de ce chorégraphe et d’avoir mis en lumière une différente perspective critique pour ses recherches chorégraphiques. Je termine avec les mots du chorégraphe :

il danzatore è sempre, per così dire, in fuga. È da sempre e da subito un momento al di là di quello che di lui possiamo percepire. Dunque il danzatore non sta narrando delle cose del mondo ma, in un certo senso, le sta trapassando tutte. Come una sagitta scagliata da un arco, le sta attraversando per porsi sempre al di là di esse, sempre in fuga, sempre in procinto di scomparire. Se così stanno le cose, allora la danza somiglia sempre meno a noi e sempre più a un evocare che non ha oggetto34.

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Kauma, spectacle de Fabrizio Favale (2007), photographe Alberto Trebbi, dans la photo Filippo Di Prima et Andrea Del Bianco

Notes de bas de page numériques

1 Fabrizio Favale est chorégraphe et danseur italien. Après une formation académique et contemporaine à la Duke University of North Caroline et un cours de perfectionnement chorégraphique au Centre pour la danse du Théâtre Romolo Valli de Reggio Emilia, il danse dans la Compagnie Virgilio Sieni jusqu’en 1998. Il obtient le prix Danza & Danza 1996 en tant que meilleur danseur italien. Il fonde Le Supplici, sa propre compagnie de danse avec laquelle il conduit sa recherche chorégraphique (www.lesupplici.it ). L’écriture chorégraphique de Favale, ses pratiques en studio et son processus créatif constituent une des études de cas de mon travail de thèse qui porte sur la recherche chorégraphique en Italie entre 1995 et 2010.

2 « Nous sommes dans un Orient imaginé : les torsions et les arrêts soudains des corps, les entrelacs des bras dessinent des figures qui rappellent les bas-reliefs des temples hindou ; les sons électroniques virent les airs et les instruments traditionnels, voix du marché, abandons à un ailleurs fascinant. » La citation est un extrait d’une critique de Massimo Marino, « La ricerca di Fabrizio Favale.Tra il sole e i corpi dei danzatori » Corriere della sera, ed de Bologne du 27/04/2007, p. 10. La traduction est personnelle. Marino est professeur a contratto à l’Université de Bologne, à l’Académie Nationale d’Art Dramatique Silvio D’Amico à Rome et critique théâtral. La traduction est personnelle. Pour lire un peu plus que la citation voir http://www.lesupplici.it/archivio_scritti.html.

3 Etymologiquement le mot ‘kinesthésie’ provient du grec kine, mouvement, et aisthesis, sensation. Ce terme renvoie à la sensation interne de mouvement par l’intermédiaire des muscles gravitaires. « Par empathie kinesthésique on entend le phénomène au cours duquel le spectateur ressent dans son propre corps le mouvement de l’interprète. […] l’empathie est ce phénomène au cours duquel le sujet se fond et se confond dans l’objet, pour éprouver intrinsèquement, jusque dans sa « chair », un vécu identique. Mais plutôt qu’une confusion, l’Einfühlung est véritablement une projection du moi, de sorte que la chair d’autrui n’apparaît en dernière instance que comme le reflet de ma chair propre. » Christine Leroy, « Empathie kinesthésique, danse-contact-improvisation et danse-théâtre », De Boeck Supérieur Staps, 2013/4 n° 102, pp. 75-88, ici p. 77, http://www.cairn.info/revue-staps-2013-4-page-75.htm (cons. le 12 novembre 2014).

4 Ce qui est de l’ordre du kinésique est un événement qui a lieu dans l’espace et dans le temps intersubjectif. Il serait l’expression et la perception des mouvements corporels dans l’interaction ; il est référé à la perception motrice des mouvements en fonction des paramètres visuomoteurs, traduits en donnés communicables (amplitude, vitesse, extension du geste, etcetera). Consulter Ray L. Birdwhistell, Michèle Lacoste, « L’analyse kinésique », Langages, 3e année, n° 10, 1968. Pratiques et langages gestuels. pp. 101-106. http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/lgge_0458-726x_1968_num_3_10_2553 (cons. le 20 avril 2013). Voir aussi Alain Berthoz, Le sens du mouvement, Paris, Odile Jacob, 2013 (1997).

5 Je m’associe à son objectif qu’elle déclare être le développement d’« une pratique perceptive du kinésique dans la formalisation stylisée qu’est l’œuvre, où la perception est envisagée comme une action selon l’idée explicitée par Alain Berthoz que la perception est « exploration active ». Développer une pratique perceptive du kinésique implique d’envisager la perception et la cognition comme des dynamiques renvoyant […] à un savoir d’origine corporelle ». Cfr. Guillemette Bolens, « Les événements kinésiques dans le cinéma burlesque de Buster Keaton et de Jacques Tati », Studia philosophica, 2010, vol. 69, pp. 143-161, ici p. 144, http://archive-ouverte.unige.ch/unige :17190 (cons. le 15 septembre 2014).

6 L’écriture chorégraphique ne renvoie pas ici à la phase de la notation graphique de la danse en amont ou après les étapes de la création. Elle se déploie au travers les dynamiques des corps, parmi les relations qu’ils instaurent avec l’espace dans le moment même du partage avec le public. En danse contemporaine écriture chorégraphique et mise en scène sont deux temps indissociables de la création. « L’"écriture chorégraphique" commence avec le véritable développement conscient des processus de composition en danse, la saisie par les danseurs de leur spécificité. Cette scène moderne où s’élaborent de nouvelles grammaires consiste essentiellement en la quête d’un langage en soi que le corps travaille à l’intérieur du mouvement même, et dont il redécouvre les ressorts. […] Le pré-requis d’une vision chorégraphique singulière porte en effet, à partir de la naissance de la danse moderne, autant sur le choix d’un matériau que sur sa distribution. Sur les textures d’un imaginaire corporel tout autant que sur leur articulation syntaxique. » Laurence Louppe, « Écriture littéraire, écriture chorégraphique au XXe siècle : une double révolution », in Littérature, n. 112, 1998, La littérature et la danse, pp. 88-99, ici p. 89 cCons. le 13 février 2015). L’écriture chorégraphique est une notion crée et utilisée pendant le XXe siècle, fortement répandue dans le domaine des études en danse contemporaine. Voir aussi Marcelle Michel, Isabelle Ginot (éds.). La danse au XXe siècle, Paris, Bordas, 1995.

7 Entretien du 10 novembre 2014.

8 Sa recherche de nomination plonge maintenant sur les phénomènes naturels ou animaux et sur la tradition folklorique païenne en Europe. Nous pensons à Il gioco del gregge di capre, à Tre inverni consecutivi ou à Alberi, ses dernières productions.

9 Roberto Calasso, Les Noces de Cadmos et Harmonie, Paris, Gallimard 1991. Traduit de l’italien par Jean-Paul Manganaro.

10 Eric R. Dodds, Les Grecs et l’irrationnel, traduit de l’anglais par Michael Gibson, Paris, Aubier, Éditions Montaigne, 1965 ; Károly Kerényi, La religion antique, ses lignes fondamentales, traduit de l’allemand par Y. Le Lay, Genève, Librairie de l’Université, Georg éditeurs, 1957 ; Homère, L’Iliade, traduit du grec par Philippe Brunet, Paris, Éditions du Seuil, 2010 ; Roberto Calasso, La folie qui vient des Nymphes, traduit de l’italien par Jean-Paul Manganaro, Paris, Flammarion, 2012 ; James Hillman, Pan et le cauchemar : Guérir notre folie, traduit de l’anglais par Marie-Jeanne et Thierry Auzas, Paris, Imago éditions, 2006 ; Joseph Campbell, Les mythes à travers les âges, traduit de l’anglais par Marie Perron, Paris, Le Grand livre du mois, 1997 ; Bruce Chatwin, Le chant des pistes, Paris, Grasset, 2013 ; Heinrich Zimmer, Mythes et symboles dans l’art et la civilisation de l’Inde, Edité par Joseph Campbell, traduit de l’anglais par M.-S. Renou, Paris, Payot 1951 ; Jean-Claude Carrière, Le Mahâbhârata, Paris, Albin Michel, 2008 (liste non exhaustive des textes de référence pour le projet en question, donnée par le chorégraphe même).

11 Nous rappelons le spectacle Il prodigio del Fellatore en 2003 avec ses scènes internes : Fade out Fidia et Delay of metamorphosis qui se réfèrent à la mythologie grecque.

12 Pour plus de précisions sur ces éléments de la culture et de la mythologie indiennes, nous renvoyons à des sites grand public.

13 http://ajurna.skyrock.com/ (cons. le 8 octobre 2013).

14 http://ajurna.skyrock.com/ (cons. le 8 octobre 2013).

15 Pour une publication référencié mais encore partielle voir Le Mahâbhârata, Québec, Presses universitaires Laval, 2004-2009, 4 tomes, traduits du sanskrit et annotés par G. Schaufelberger et Guy Vincent. Pour plus de détails voir : http://www.utqueant.org/mbh/accueil.html.

16 « Nous avons été pris par le Mahâbhârata grâce à son extrême ouverture ainsi que grâce au mystère de sa genèse. Il est composé de reconstitutions continues, de l’ajout d’insertions, de l’enclenchement successif de récits. Cela nous a donné la possibilité de structurer en plusieurs épisodes notre œuvre chorégraphique. Certains de ces épisodes ont été commandités en partie ou en entier à des artistes invités pour assurer au projet chorégraphique le caractère varié et la perspective large que j’ai perçus dans le texte indien. Ici aussi les événements sont organisés par des regards différents posés sur le même thème », Favale Fabrizio in Lanteri Jacopo (éd), « Il mito, la danza e l’impossibilità di tradurre », Art’O, hiver 2006-2007, n. 22, p 45. La traduction est personnelle.

17 Pour voir un extrait vidéo du spectacle : https://www.youtube.com/watch ?v =-LpCtBqNabk.

18 Je choisis d’utiliser la terminologie cinématographique (au lieu de celle qui se réfère à l’espace de la scène théâtrale) pour analyser les spectacles de Favale car lui aussi l’utilise dans sa pratique chorégraphique pour décrire la scène de la danse et les rapports des corps avec l’œil du spectateur. Cette terminologie est désormais d’usage commun parmi un certain nombre de chorégraphes italiens contemporains, dont moi-même.

19 Alessandra Cava, « Il corpo e il paesaggio. Conversazione con Fabrizio Favale », in Culture Teatrali, Studi, interventi e scritture sullo spettacolo, pp. 1-5, ici p. 2. http://www.cultureteatrali.org/images/pdf/Favale_intervista.pdf (cons. le 5 septembre 2009).

20 http://commons.wikimedia.org/wiki/File :Flickr_-_dalbera_-_Shiva_Natar %C3 %A2dja,_Seigneur_de_la_Danse_(mus %C3 %A9e_Guimet).jpg

21 Guillemette Bolens, « Les styles kinésiques. De Quintilien à Proust en passant par Tati », in Laurent Jenny, Le Style en acte. Vers une pragmatique du style, Genève, Métis Presses, 2011, p. 59-85, http://archive-ouverte.unige.ch/unige :17418 (cons. le 8 octobre 2013). « Quelle est la nature de ces particularités incommunicables, de ces propriétés qui ne peuvent pas être transférées, transmises, qui sont radicalement singulières a la personne ? Ces propriétés ne sont pas à confondre avec les actions et les gestes eux-mêmes. Ce n’est pas le geste en soi qui fait la différence mais bien sa dynamique particulière dans l’économie globale du style kinésique de la personne. » p. 62.

22 Guillemette Bolens, « Les styles kinésiques. De Quintilien à Proust en passant par Tati », in Laurent Jenny, Le Style en acte. Vers une pragmatique du style, op. cit., p. 78.

23 « On a choisi le Mahâbhârata à cause de la coïncidence entre les suggestions lancées par le mythe indien et la recherche corporelle qu’on poursuivait en studio. Nous étions concentrés sur une série d’événements : par exemple, la possibilité de traverser les formes en même temps qu’elles nous échappent. Est-ce que cela signifiait potentiellement considérer la danse comme un phénomène de l’ordre de la manifestation au lieu de la penser comme un phénomène de l’ordre de la représentation ? La danse ne serait pas une action à interpréter, de préférence elle serait un panorama à contempler ». Fabrizio Favale in Jacopo Lanteri (éd.), « Il mito, la danza e l’impossibilità di tradurre », Art’O, hiver 2006-2007, n. 22, p. 45. La traduction est personnelle.

24 J’ai analysé les épisodes Il palazzo di Maya, Foresta, Il ladro del cuore e del burro, Raggruppamento I. Pour voir des extraits vidéo des spectacles : https://www.youtube.com/watch ?v =lx2CpUOivx4 ; https://www.youtube.com/watch ?v =8t3l8Yyp8DI ; https://www.youtube.com/watch ?v =XyvzWOPZejk ; https://www.youtube.com/watch ?v =XkvQ1ikKHAs ;

25 « L’espace transitionnel, s’il impose un cadre à l’émotion, permet – en vertu de ces mêmes limites – aux inconscients de communiquer et de dialoguer, par la mise en scène des pulsions pré-conscientes. Ainsi, l’étrange phénomène par lequel l’émotion née en la chair de l’interprète se transpose jusqu’au corps-vécu du spectateur n’est autre que le résultat d’un dialogue pré-conscient entre images “inconscientes” de corps : celles du public, celle de l’interprète, et celle du chorégraphe/metteur en scène. Le dispositif transitionnel qu’est la scène permet l’empathie kinesthésique des émotions, par la médiation du corps vécu et mû de l’interprète, auquel le spectateur s’identifie. » Christine Leroy, « Empathie kinesthésique, danse-contact-improvisation et danse-théâtre », « Empathie kinesthésique, danse-contact-improvisation et danse-théâtre », De Boeck Supérieur Staps, 2013/4 n° 102, pp. 75-88, ici p. 86.

26 Ce filtre régulateur se construit dans l’imaginaire du spectateur qui, avant de voir le spectacle, commence à s’en former une idée grâce aux articles publiés ; il construit son horizon d’atteinte, il l’élabore de part son propre imaginaire et à partir de ses références à lui. Souvent le chorégraphe donne à la presse un descriptif du spectacle et consciemment propose une clé pour accéder plus aisément à sa création. Parfois, ce sont des indications évocatrices et séduisantes qui traduisent en mots ce qui n’est pas possible de traduire, elles font explicitement appel à la mémoire et a l’imagination du lecteur/spectateur. La critique aussi essaye de décrire ce qui se voit sur scène et de donner la saveur de l’événement au travers métaphores surtout visuelles.

27 Kauma est un mot grec qui signifie : chaleur vive, brûlante. De là le mot italien calma. Ce mot explicite, selon Favale « un état du corps sans intentionnalité de vitesse qui n’est néanmoins pas stase. » Il a trouvé une connexion surprenante entre ce mot et le mot sanskrit tapas qui signifie ardeur. Tapas serait l’ardeur cosmique et en même temps l’ardeur dans l’esprit humain, une chaleur telle que celle de la couvée. Le frottement entre ces deux mots a déclenché un nouveau déplacement pour Favale qui, après le spectacle Kauma s’est orienté à nouveau vers l’Occident, en particulier sur la tradition folklorique païenne en Europe.

28 « L’imaginaire que le mot kauma implique est étroitement lié à un lieu géographique, le Péloponnèse : des amples étendues d’arbustes épineux, de montagne arides et du soleil brûlant. Donc, le dernier épisode de mon Mahâbhârata s’appelle Kauma, il a trouvé sa place dans ce scénario occidental bien qu’il arrive de l’Orient. » Alessandra Cava, « Il corpo e il paesaggio. Conversazione con Fabrizio Favale », op. cit., p. 1. Traduction personnelle.

29 http://commons.wikimedia.org/wiki/File :AMI_-_Stiersprungfresco_3.jpg

30 http://commons.wikimedia.org/wiki/File :Borghese_Vase_Louvre_Ma86_n4.jpg

31 « Dans le moment du spectacle je mets en œuvre une série de stratégies rythmiques et émotionnelles, j’active une sorte de dramaturgie de la perception. […] En contemplant un panorama très large on risque le néant, le vide, donc il y a parfois besoin d’un virage dans la direction de l’attention. On a besoin d’un repère pour ne pas abandonner entièrement le public à son imaginaire ». Fabrizio Favale in Lanteri Jacopo (éd), « Il mito, la danza e l’impossibilità di tradurre. Conversazione con Fabrizio Favale/Le supplici », Art’O, Bologne, hiver 2006-2007, p. 45. La traduction est personnelle.

32 Massimo Marino, « La ricerca di Fabrizio Favale.Tra il sole e i corpi dei danzatori » Op. cit. p. 10.

33 L’ornement étant un élément figuratif qu’on a tendance à assimiler à l’art oriental.

34 « […] le danseur est pour ainsi dire, en fuite. Il est depuis toujours et immédiatement un instant au delà de ce qui nous est possible de percevoir de lui. Donc le danseur ne raconte pas des choses de ce monde, mais dans un certain sens il est en train de percer toutes les choses. Comme une flèche tirée avec l’arc, il perce ces choses pour se poser toujours au delà, toujours en fuite, toujours sur le point de disparaitre. S’il en est ainsi, la danse, alors, ressemble de moins en moins à nous et toujours plus à une évocation sans objet. » Ces phrases font partie du texte enregistré pour le spectacle Fantasmata du 2012, où le chorégraphe, seul sur scène, reprend des danses ou des éléments de ses danses, pour revenir sur son entier parcours chorégraphique. Avec le son, une voix récitante raconte des moments importants de sa formation et de sa vie ainsi que ses déclarations de poétique. La traduction est personnelle.

Bibliographie

Œuvres de Fabrizio Favale

https://www.youtube.com/watch ?v =lx2CpUOivx4 ; https://www.youtube.com/watch ?v =8t3l8Yyp8DI ; https://www.youtube.com/watch ?v =XyvzWOPZejk ; https://www.youtube.com/watch ?v =XkvQ1ikKHAs ;

Autres textes

CARRIERE Jean-Claude, Le Mahâbhârata, Paris, Albin Michel, 2008

Études

BERTHOZ Alain, Le sens du mouvement [1997], Paris, Odile Jacob, 2013

BIRDWHISTELL Ray L., LACOSTE Michèle, « L’analyse kinésique », Langages, 3e année, n° 10, 1968, Pratiques et langages gestuels, pp. 101-106, http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/lgge_0458-726x_1968_num_3_10_2553 (cons. le 20 avril 2013)

BOLENS Guillemette, « Les événements kinésiques dans le cinéma burlesque de Buster Keaton et de Jacques Tati », Studia philosophica, 2010, vol. 69, pp. 143-161, http://archive-ouverte.unige.ch/unige :17190 (cons. le 15 septembre 2014)

BOLENS Guillemette, « Les styles kinésiques. De Quintilien à Proust en passant par Tati », in JENNY, Laurent, Le Style en acte. Vers une pragmatique du style, Genève, Métis Presses, 2011, p. 59-85, http://archive-ouverte.unige.ch/unige :17418 (cons. le 8 octobre 2013)

CAVA Alessandra, « Il corpo e il paesaggio. Conversazione con Fabrizio Favale »,, Culture Teatrali. Studi, interventi e scritture sullo spettacolo, p. 1-5, http://www.cultureteatrali.org/images/pdf/Favale_intervista.pdf (cons. le 5 septembre 2009)

LANTERI Jacopo (éd), « Il mito, la danza e l’impossibilità di tradurre », Art’O, hiver 2006-2007, n. 22, p. 45

LEROY Christine, « Empathie kinesthésique, danse-contact-improvisation et danse-théâtre », De Boeck Supérieur Staps, 2013/4 n° 102, pp. 75-88, http://www.cairn.info/revue-staps-2013-4-page-75.htm (cons. le 12 novembre 2014)

LOUPPE Laurence, « Écriture littéraire, écriture chorégraphique au XXe siècle : une double révolution », in Littérature, n. 112, 1998, La littérature et la danse, pp. 88-99. http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/litt_0047-4800_1998_num_112_4_1603 (cons. le 13 février 2015)

MARINO Massimo, « La ricerca di Fabrizio Favale.Tra il sole e i corpi dei danzatori », Corriere della sera, édition de Bologne du 27 avril 2007

MICHEL Marcelle et GINOT Isabelle (éds.), La danse au XXe siècle, Paris, Bordas, 1995

Pour citer cet article

Alessandra Sini, « L’archaïsme fécond dans la recherche gestuelle de Fabrizio Favale : Mahâbhârata-Episodi scelti (2005-2007) », paru dans Loxias-Colloques, 7. Images de l’Oriental dans l’art et la littérature, L’archaïsme fécond dans la recherche gestuelle de Fabrizio Favale : Mahâbhârata-Episodi scelti (2005-2007), mis en ligne le 09 mai 2016, URL : http://revel.unice.fr/symposia/actel/index.html?id=862.

Auteurs

Alessandra Sini

Danseuse, enseignante et chorégraphe elle est doctorante en danse à l’Université Nice Sophia Antipolis (CTEL) sous la direction de Marina Nordera. Après une formation à l’Académie Nationale de Danse de Rome elle obtient sa maîtrise en Arts et Sciences du Spectacle à l’Université La Sapienza. Son projet de recherche actuel met en œuvre une approche sur l’histoire de la danse et sur la performativité et l’esthétique des arts contemporains grâce à une méthodologie transdisciplinaire qui enquête la pratique artistique. Elle fait partie de AIRDanza, de l’association de Chercheurs en Danse et de l’équipe des Ateliers des Doctorants en Danse auprès du CND.