Loxias-Colloques |  4. Camus: "un temps pour témoigner de vivre" (séminaire) 

Sylvie Ballestra-Puech  : 

Lucrèce et Tchouang-tseu : Albert Camus lecteur du De rerum natura

Résumé

Cet article a pour point de départ une note des Carnets dans laquelle Camus affirme que « Tchouang-Tseu […] a le point de vue de Lucrèce ». Cette note offre une clé de lecture pour reconsidérer la lecture que Lucrèce a faite du poète latin et en particulier le rôle décisif qu’a joué le De rerum natura dans l’écriture de La Peste. Elle éclaire aussi la place qui lui est réservée dans L’Homme révolté.

Index

Mots-clés : Camus (Albert) , épicurisme, Grenier (Jean), Lucrèce, Tchouang-tseu

Keywords : Camus (Albert) , Grenier (Jean), Lucrèce, Tchouang-tseu

Géographique : France

Chronologique : XXe siècle

Schlagwortindex : Camus (Albert) , Grenier (Jean), Lucrèce, Tchouang-tseu

Palabras claves : Camus (Albert) , Grenier (Jean), Lucrèce, Tchouang-tseu

Plan

Texte intégral

Tchouang Tseu (3e des grands taoïstes — 2e moitié du IVe siècle av. J.-C.) a le point de vue de Lucrèce : « Le grand oiseau s’élève sur le vent jusqu’à une hauteur de 90 000 stades. Ce qu’il voit de là-haut sont-ce des troupes de chevaux sauvages lancées au galop. »1

1Ces lignes d’Albert Camus, écrites en 1942, ne semblent guère avoir retenu l’attention des commentateurs2. Elles sont pourtant riches d’enseignements sur la lecture que Camus a faite de Lucrèce et sur le dialogue, parfois explicite, plus souvent allusif, qu’il a engagé avec lui.

2Cette note devient déjà moins sibylline lorsqu’on lit la suite de la citation, vraisemblablement empruntée par Camus à l’Histoire de la Chine de René Grousset, publiée en 1942 : « Est-ce la matière originelle qui voltige en poussière d’atomes ? Sont-ce les souffles qui donnent naissance aux êtres ? Est-ce l’azur qui est le ciel lui-même ou n’est-ce que la couleur du lointain infini ?3 ». La mention des atomes — qui ne figure ni dans la traduction antérieure de Léon Wieger4, ni dans les traductions postérieures de Liou Kia-Hway5 et Jean Lévi6, ni dans la traduction anglaise de Burton Watson7 — suggère une réminiscence lucrétienne chez le traducteur lui-même. Il est vrai que l’image n’est pas sans analogie avec celle des grains de poussière dans un rayon de soleil que Lucrèce a empruntée à Démocrite et qui est emblématique de l’atomisme antique8. S’agissant de Camus, on peut penser que le rapprochement s’est d’autant plus facilement imposé à lui que Jean Grenier, féru de bouddhisme et de taoïsme, n’hésitait pas, dans son enseignement de la philosophie, à faire dialoguer entre elles les sagesses du monde, comme il le fait dans ses livres9.

3L’affirmation de Camus met en lumière ce qui caractérise Lucrèce à ses yeux : un « point de vue ». Or la métaphore lexicalisée retrouve toute sa force lorsqu’elle se trouve ainsi associée aux images de Tchouang-tseu. Comme le souligne Jean-François Billeter à propos d’un autre passage, ce que partagent Tchouang-tseu et Lucrèce, c’est notamment une écriture visionnaire10. La manière dont Camus a tronqué la citation, avec pour conséquence une agrammaticalité manifeste, semble suggérer — à moins de considérer que la note avait une simple fonction d’aide-mémoire — que c’est principalement le mouvement de prise de distance qui a retenu son attention. Telle qu’elle se présente dans le cahier de Camus, la citation de Tchouang-tseu rappelle surtout le deuxième exemple que donne Lucrèce pour caractériser la position du sage épicurien, celle de celui qui observe du sommet d’une montagne les armées qui s’affrontent dans la plaine qu’il surplombe11. Le fait est d’autant plus notable que cette ouverture célèbre du chant II, dont les premiers mots sont devenus un lieu commun, le Suave mari magno, n’est jamais évoquée directement par Camus dans le texte où il s’attarde le plus longuement et le plus explicitement sur Lucrèce, le chapitre intitulé « Les fils de Caïn » de L’Homme révolté. La note du carnet de 1942 nous invite à ne pas interpréter ce silence comme l’expression d’un désintérêt. Bien au contraire, c’est précisément cette question de la distance qui se trouve au cœur du débat que Camus a engagé avec Lucrèce. Celui-ci pourrait bien avoir joué un rôle déterminant dans la genèse de La Peste dont plusieurs moments décisifs peuvent se lire comme des réécritures assumées de passages célèbres du poème latin, et notamment du Suave mari magno. Si, de l’aveu même de Camus, L’Homme révolté et La Peste appartiennent au même moment de son évolution, la complémentarité des deux textes est particulièrement flagrante en ce qui concerne le rapport à Lucrèce. Alors que l’essai philosophique semble reprendre à son compte certains poncifs de la lecture chrétienne de Lucrèce, le roman permet de mieux saisir les enjeux tout personnels de cette reprise. Dans un mouvement symétrique, la dernière et fugace mention de Lucrèce dans le chapitre « Révolte et art » vient confirmer ce que révèle la lecture du roman : c’est dans le registre de la poétique que l’héritage lucrétien s’est avéré le plus fécond pour Camus.

D’une peste à l’autre

4Lucrèce a d’emblée joué un rôle important dans la genèse de La Peste puisque Camus a envisagé pendant longtemps d’y faire figurer parmi les personnages principaux un « professeur de latin-grec », mentionné dans une note d’avril 1941, qui reçoit le nom de Philippe Stephan12. Durant l’épidémie, celui-ci n’évoque plus dans son journal les joies perdues de son amour de jeunesse mais « les grandes lignes du commentaire qu’il projetait sur Thucydide et Lucrèce13 ». Dans la version finale du roman, le personnage de Philippe Stephan a disparu et son journal avec lui, ainsi que le nom de Thucydide. Lucrèce, lui, demeure, mais associé à Rieux. Paul Demont en conclut que « Rieux reçoit donc, ici et là, comme un reste du professeur de Latin-grec, mais refusé, dénié14 ». S’agissant de Lucrèce, il s’agit peut-être moins de refus et de déni que d’une véritable remise en question par la réécriture qui montre à quel point la fiction romanesque constitue pour Camus un instrument heuristique.

Du commentaire à la réécriture

5Les notes de Camus montrent que c’est la lecture de Lucrèce qui l’a conduit à s’intéresser au texte de Thucydide15. Dans le journal de Stephan, la différence de nature entre ces deux évocations de la peste est fortement soulignée :

« Bien entendu, disait-il, le texte de Lucrèce n’est jamais qu’un commentaire à celui de Thucydide. » (Stephan pour abréger écrivait Thucy. et Luc.) « C’est Thucy. qui a vu la peste, qui a erré dans une ville que les oiseaux mêmes fuyaient, qui a patiemment attendu que la mort vienne. Luc. a peut-être vu des pestiférés, il n’a pas vraiment connu la peste. Ce qui l’intéresse par conséquent c’est ce qui nous intéresse le témoignage d’un homme qui a eu des relations avec la vraie peste. Luc. commente et il n’est pas mauvais que nous le commentions à notre tour. Ce n’est pas trop de deux commentaires pour un texte aussi important. Les chrétiens depuis des siècles vivent au milieu d’une cascade de commentaires. Pourquoi pas les pestiférés. C’est une religion qui en vaut bien une autre16.

6Cette première évocation du projet de Stephan est décisive en ce qu’elle met aussi en lumière celui de Camus, de manière sans doute trop explicite, d’où sa disparition finale. Les dernières lignes du passage cité éclairent les raisons de l’usage des abréviations qui crée pour le lecteur un étrange effet de superposition, la figure de l’évangéliste Luc se trouvant d’autant plus facilement convoquée par la forme abrégée du nom de Lucrèce que Luc était un médecin grec avant sa conversion. Que cet effet ait été voulu par Camus ne fait guère de doute dès lors que s’instaure un parallèle explicite entre christianisme et religion de la peste. La suite du texte est encore plus éloquente :

« Thucy. donne les grandes lignes comme quelqu’un qui a éprouvé le malheur dans son ensemble. Luc. ajoute les détails qui rendront sensible la vérité qu’il veut transmettre. Thucy. prêche et Luc. enseigne. Thucy. écrit que les hommes mouraient comme des brebis, Luc. ajoute que leur gorge toute noire distille une sueur de sang, que les crachats, rares, menus, couleur de safran et salés, sont arrachés avec peine du gosier par une toux rauque et qu’enfin un hoquet ininterrompu brise le patient et met le comble à son épuisement. En somme, et sur cet exemple particulier, Thucy. donne la loi “comme des brebis” et Luc. décrit les rites de cette étrange religion, le hoquet, les crachats safran et la sueur de sang. A nous d’ajouter la prière « Dieu des brebis, je t’adore dans les hoquets et les crachats. Dieu des brebis, voici le sel de ma sueur de sang.” Et le Dieu des brebis approuve et gronde, rumine et se délecte. Il leur envoie la mort du troupeau accompagnée d’une odeur infecte pour que personne ne songe à toucher ces victimes réservées. Et comme le dit Luc., les oiseaux et les bêtes sauvages s’écartent alors de cette proie (à ce mot, Stephan avait mis une note de renvoi au bas de la page où on pouvait lire : les cadavres) pour fuir l’effroyable infection. Ainsi le Dieu reçoit les hoquets, les crachats, le sel et la sueur de sang et il se montre alors généreux de sa grâce. Il la dispense sans compter et l’odeur putride de ses faveurs empeste les cités dévastées. Les riches bêlent et se serrent les uns contre les autres. C’est leur façon de remercier. Tout est bien. Tout est bien. Elles sont dans la tradition. La seule vraie religion, c’est ce pour quoi on a été mis au monde. […]17 »

7Si ce texte a disparu en tant que tel de la version finale de La Peste, la révolte contre ce « Dieu des brebis » si reconnaissable s’y manifeste selon d’autres modalités, l’ironie y prenant une forme plus dialogique avec la conclusion du « prêche véhément18 » du père Paneloux sur ces chrétiens d’Abyssinie qui « voyaient dans la peste un moyen efficace, d’origine divine, de gagner l’éternité19 ». Quant au mot « grâce », son surgissement dans le dialogue au cours duquel s’affrontent Paneloux et Rieux après la mort de l’enfant n’y est sans doute pas d’une ironie moins terrible que dans le journal de Stephan :

« Non, mon père, dit-il. Je me fais une autre idée de l’amour. Et je refuserai jusqu’à la mort d’aimer cette création où les enfants sont torturés. »
Sur le visage de Paneloux, une ombre bouleversée passa.
« Ah ! docteur, fit-il avec tristesse, je viens de comprendre ce qu’on appelle la grâce. »
Mais Rieux s’était laissé aller de nouveau sur son banc. Du fond de sa fatigue revenue, il répondit avec plus de douceur :
« C’est ce que je n’ai pas, je le sais. Mais je ne veux pas discuter cela avec vous. Nous travaillons ensemble pour quelque chose qui nous réunit au-delà des blasphèmes et des prières. Cela seul est important.20 »

8Cette discussion qui n’a pas lieu, Camus la reprendra dans L’Homme révolté en mettant en scène ces « fils de Caïn » auxquels Paneloux compare les habitants d’Oran dans son prêche21. L’évocation de Lucrèce s’y inscrira dans le droit fil du journal de Stephan qui semble avoir servi de matrice à la fois à l’essai et au roman. Dans la version finale de ce dernier, c’est donc Rieux qui devient le lecteur de Lucrèce et pas seulement, comme semblent le penser les rares exégètes qui ont accordé de l’importance à cette mention, de l’évocation finale de la peste d’Athènes sur laquelle s’achève pour nous le De rerum natura. Si Camus a pris soin de se référer très précisément aux derniers vers du poème, il l’a fait selon des modalités bien particulières et a situé cette évocation à un moment très significatif dans la composition du roman. C’est alors que « le mot de “peste” venait d’être prononcé pour la première fois », première phrase du chapitre, que Rieux s’abandonne à « ses réflexions » en regardant le spectacle de la ville à travers la fenêtre :

Seule la mer, au bout du damier terne des maisons, témoignait de ce qu’il y a d’inquiétant et de jamais reposé dans le monde. Et le docteur Rieux, qui regardait le golfe, pensait à ces bûchers dont parle Lucrèce et que les Athéniens frappés par la maladie élevaient devant la mer. On y portait les morts durant la nuit, mais la place manquait et les vivants se battaient à coup de torches pour y placer ceux qui leur avaient été chers, soutenant des luttes sanglantes plutôt que d’abandonner leurs cadavres. On pouvait imaginer les bûchers rougeoyants devant l’eau tranquille et sombre, les combats de torches dans la nuit crépitante d’étincelles et d’épaisses vapeurs empoisonnées montant vers le ciel attentif. On pouvait craindre…22

9Alors qu’il s’agissait dans le journal de Stephan de commenter un commentaire, le mouvement de ce passage suggère que Camus a finalement opté pour une autre forme d’hypertextualité : la description de Lucrèce fait naître un spectacle dans l’imagination de Rieux. La fiction « au second degré », pour reprendre l’expression de Genette dans le sous-titre de Palimpsestes23, vient remplacer le commentaire au second degré. La phrase qui suit « Mais ce vertige ne tenait pas devant la raison. » implique-t-elle, comme l’affirme Paul Demont, le refus et le déni ? Celui du personnage, à ce moment du roman, sans doute. Mais pour le lecteur, les images nées du texte de Lucrèce se chargeront rétrospectivement d’une valeur programmatique et ce n’est plus dans l’imagination de Rieux mais dans la trame romanesque elle-même que les vers de Lucrèce connaîtront leur ultime métamorphose, lorsque les cadavres des pestiférés seront brûlés au bord de la mer : « Et malgré les patrouilles qui interdisaient l’accès de la corniche, des groupes parvenaient à se glisser bien souvent dans les rochers qui surplombent les vagues, et à lancer des fleurs dans les baladeuses, au passage des tramways24 ». D’un texte à l’autre, la volonté de rendre au défunt les honneurs funèbres qui lui sont dus, fût-ce au prix d’une transgression et au péril de sa vie, demeure. La reprise quasi textuelle des derniers vers du De rerum natura au moment où commence véritablement le combat de Rieux contre la peste, avec la phrase célèbre qui clôt le chapitre, « L’essentiel était de faire son métier », ne pourrait-elle dès lors signifier que Camus entend prendre la suite de Lucrèce, non seulement sur le plan de la diégèse mais aussi, les deux aspects étant indissolublement liés, dans le registre philosophique, en mettant l’épicurisme à l’épreuve de la peste, c’est-à-dire du mal et du malheur ?

L’enfant naufragé : amplification tragique d’une métaphore lucrétienne

10Le mal et le malheur sont bien sûr loin d’être absents du poème de Lucrèce. Nombre de ses commentateurs, notamment parmi ceux qui ont inspiré Camus, comme on le verra dans L’Homme révolté, considèrent même qu’il est omniprésent25. Aussi le romancier n’a-t-il qu’à puiser dans les images du poème pour conférer à son récit une dimension quasi allégorique ou, si l’on préfère, pour donner une incarnation romanesque au discours lucrétien sur la condition humaine. Parmi ces images, celle du naufrage est remarquable, à la fois par sa récurrence au sein du poème et par la fortune qui a été la sienne ultérieurement. La mer comme symbole « de ce qu’il y a d’inquiétant et de jamais reposé dans le monde », dans le fragment camusien précédemment cité, est d’ailleurs déjà sans doute un avatar de la « mer perfide26 » de Lucrèce. Quant à la comparaison célèbre du nouveau-né et du naufragé :

Tum porro puer, ut saeuis proiectus ab undis
nauita, nudus humi iacet, infans, indigus omni
uitali auxilio, cum primum in luminis oras
nixibus ex aluo matris natura profudit,
uagituque locum lugubri complet, ut aecumst
cui tantum in uita restet transire malorum.

Et l’enfant ? Comme un marin par les flots cruellement
rejeté, il gît par terre, nu, incapable de parler,
sans secours pour vivre, dès qu’aux rives du jour
la nature en travail hors du ventre maternel l’a vomi.
De vagissements lugubres il emplit l’espace,
justes plaintes quand la vie lui réserve tant de maux27.

11la reprise qu’en fait Camus dans le récit de l’agonie de l’enfant — qui figure déjà dans le premier manuscrit — est particulièrement saisissante :

Justement l’enfant, comme mordu à l’estomac, se pliait à nouveau, avec un gémissement grêle. Il resta creusé ainsi pendant de longues secondes, secoué de frissons et de tremblements convulsifs, comme si sa frêle carcasse pliait sous le vent furieux de la peste et craquait sous les souffles répétés de la fièvre. La bourrasque passée, il se détendit un peu, la fièvre sembla se retirer et l’abandonner, haletant, sur une grève humide et empoisonnée où le repos ressemblait déjà à la mort28.

12C’est cette agonie qui déclenche l’affrontement de Rieux et de Paneloux, ce qui prouve, si besoin était, que la comparaison n’a pas une valeur moins emblématique chez Camus que chez Lucrèce : il s’agit bien d’un symbole de la condition humaine, qui, chez le poète latin, réfute l’hypothèse de dieux créateurs qui se soucieraient des hommes, tandis que chez Camus il exprime la révolte contre une création injuste. Dès La Peste, le romancier métamorphose donc, par le biais de la réécriture, Lucrèce en « fils de Caïn ». Mais il ne peut évidemment ignorer la distorsion qu’il fait ainsi subir au poème latin et si le texte de L’Homme révolté laisse planer le doute, on le verra, celui de La Peste assume plus directement le refus de la posture lucrétienne. La deuxième reprise de l’image du naufrage29 le confirme. Cette fois, c’est à l’agonie de Tarrou qu’assiste Rieux :

L’orage qui secouait ce corps de soubresauts convulsifs l’illuminait d’éclairs de plus en plus rares et Tarrou dérivait lentement au fond de cette tempête. Rieux n’avait plus devant lui qu’un masque désormais inerte où le sourire avait disparu. Cette forme humaine qui lui avait été si proche, percée maintenant de coups d’épieu, brûlée par un mal surhumain, tordue par tous les vents haineux du ciel, s’immergeait à ses yeux dans les eaux de la peste et il ne pouvait rien contre ce naufrage. Il devait rester sur le rivage, les mains vides et le cœur tordu, sans armes et sans recours, une fois de plus contre ce désastre. Et à la fin, ce furent bien les larmes de l’impuissance qui empêchèrent Rieux de voir Tarrou se tourner brusquement contre le mur, et expirer dans une plainte creuse, comme si, quelque part en lui, un corde essentielle s’était rompue30.

13Si Camus ne mentionne jamais explicitement le Suave mari magno, ce texte lui apporte pourtant le démenti le plus radical. Sans doute le recours à la fiction s’imposait-il dès lors qu’une critique abstraite, telle qu’elle a été souvent formulée, tombait sous le coup du reproche de contresens. Camus sait très bien que la figure de celui qui contemple le naufrage imminent depuis la rive, comme d’ailleurs celle du spectateur des combats dans la plaine, n’est chez Lucrèce qu’une métaphore de la position distanciée du sage par rapport à ceux qui s’agitent pour satisfaire les vains désirs de richesse, de pouvoir et de gloire. Mais les images choisies par Lucrèce attirent l’attention, à son insu peut-être, sur les limites de cette posture épicurienne. Que deviennent les templa serena de la sagesse épicurienne par temps de peste ? Ni l’agonie de l’enfant ni celle de Tarrou ne peuvent être la métaphore de quoi que ce soit d’autre que du combat voué à l’échec contre la souffrance et la mort. « La mort n’est rien pour nous » proclame Lucrèce mais si le sage peut accepter sereinement la perspective de son propre retour au néant — acceptation sereine de la finitude qui semble au demeurant avoir été toujours étrangère à Camus —, cela ne règle en rien la question de l’agonie et surtout de l’agonie d’autrui lorsque cet autrui est perçu comme un proche.

La réponse de la fiction camusienne au Suave mari magno

14Si la souffrance de Rieux qui contemple impuissant depuis la rive la vaine lutte de son ami contre le naufrage peut donc être lue comme une contestation radicale du Suave mari magno, elle ne constitue en fait qu’une partie de la réponse camusienne et ne prend sa véritable signification qu’en tant que second volet du diptyque qu’elle forme avec une autre scène maritime, celle du plaisir partagé de la baignade avec le même Tarrou. Celle-ci clôt l’avant-dernier chapitre de la quatrième partie et intervient après la longue confidence autobiographique de Tarrou qui se termine sur la « paix » comme but ultime de sa quête, ce qui serait en parfaite conformité avec l’éthique épicurienne. Mais « après un silence » Rieux demande « si Tarrou avait une idée du chemin qu’il fallait prendre pour arriver à la paix » et la réponse de Tarrou, « Oui, la sympathie. », résume la réponse que le roman apporte au Suave mari magno. A la distance qui caractérise pour Camus le « point de vue » de Lucrèce comme de Tchouang-tseu, le romancier oppose une proximité allant jusqu’au partage de ce que l’autre sent, qu’il s’agisse de la souffrance, dans le cas de l’agonie, ou du plaisir, significativement évoqué dans La Peste sous le signe de l’amitié, dont l’épicurisme fait la valeur suprême. Aussi les paroles suivantes de Tarrou ont-elles une résonance épicurienne qui n’est certainement pas fortuite :

— « Savez-vous, dit-il, ce que nous devrions faire pour l’amitié ?
— Ce que vous voulez, dit Rieux.
Prendre un bain de mer. Même pour un futur saint, c’est un plaisir digne. »
Rieux souriait.
« Avec nos laissez-passer, nous pouvons aller sur la jetée. À la fin, c’est trop bête de ne vivre que dans la peste. Bien entendu, un homme doit se battre pour les victimes. Mais s’il cesse de rien aimer par ailleurs, à quoi sert qu’il se batte.
— Oui, dit Rieux, allons-y.31 »

15La dernière réplique de Tarrou dessine assez nettement les contours de l’épicurisme tel que Camus les redessine : le plaisir reste la seule fin valable de l’action humaine même si celle-ci inclut désormais le souci des autres, très présent au demeurant dans ce qu’on connaît de la vie d’Épicure et du fonctionnement des communautés épicuriennes, mais qui semble a priori difficilement compatible avec le choix d’un point de vue distancié. Or c’est très précisément la possibilité d’une conciliation que laisse entrevoir ce passage de La Peste : il y a bien prise de distance, avec la sortie de la ville, mais celle-ci ne saurait être qu’une parenthèse dans le combat quotidien, parenthèse sans laquelle pourtant ce combat n’aurait plus de sens.

16Dans le De rerum natura, les joies de l’amitié se goûtent « couchés dans l’herbe tendre » ; dans La Peste, le locus amoenus est une mer « épaisse comme du velours, souple et lisse comme une bête », à la « respiration calme ». Là résident les seuls templa serena du roman :

Devant eux, la nuit était sans limites. Rieux, qui sentait sous ses doigts le visage grêlé des rochers, était plein d’un étrange bonheur. Tourné vers Tarrou, il devina, sur le visage calme et grave de son ami, ce même bonheur, qui n’oubliait rien, pas même l’assassinat.
[…]
Habillés de nouveau, ils repartirent sans avoir prononcé un seul mot. Mais ils avaient le même cœur et le souvenir de cette nuit leur était doux. Quand ils aperçurent au loin la sentinelle de la peste, Rieu savait que Tarrou se disait, comme lui, que la maladie venait de les oublier, que cela était bien, et qu’il fallait maintenant recommencer32.

17Camus a pris soin d’encadrer l’évocation du plaisir partagé de la baignade d’une manière qui en souligne fortement la teneur épicurienne et confirme l’hypothèse du dialogue intertextuel avec Lucrèce : le primat de la sensation, la douceur nocturne qui rappelle les noctes serenas du poète latin33, la valorisation du souvenir, si importante dans la Lettre à Ménécée, enfin ce qu’Alain Gigandet appelle « l’intensification et l’autonomisation calculée du moment présent34 ». En somme, s’il y a bien réfutation du Suave mari magno, celle-ci consiste surtout à en montrer les limites au sein même du texte de Lucrèce en rapprochant des moments distants du poème et en privilégiant l’évocation finale de la peste d’Athènes. En cela, Camus n’a pas totalement renoncé au commentaire que constituait le journal de Stephan de la première version : il a seulement choisi une forme particulière de commentaire, celui qui passe par la fiction. On notera au passage que cette rencontre du récit et du commentaire caractérise déjà une certaine pratique de la mythographie qui est notamment celle de Lucrèce mais qu’Ovide, dans son sillage, a porté à sa perfection, le mythe devenant chez lui un récit qui raisonne. Camus pourrait bien s’inscrire dans cette lignée et écrire à son tour un mythe de la peste.

« Le rebelle magnifique qu’il n’était pas » : analyse d’une métamorphose

18Dans L’Homme révolté, l’évocation de la peste sur laquelle s’achève — ou s’interrompt — le poème de Lucrèce a valeur de preuve rétrospective :

Les héros grecs pouvaient désirer devenir des dieux, mais en même temps que les dieux déjà existants. Il s’agissait alors d’une promotion. L’homme de Lucrèce, au contraire, procède à une révolution. En niant les dieux indignes et criminels, il prend lui-même leur place. Il sort du camp retranché et commence les premières attaques contre la divinité. Dans l’univers antique, le meurtre est l’inexplicable et l’inexpiable. Chez Lucrèce, déjà, le meurtre de l’homme n’est qu’une réponse au meurtre divin. Et ce n’est pas un hasard si le poème de Lucrèce se termine sur une prodigieuse image de sanctuaires divins gonflés des cadavres de la peste35.

19Or c’est bien La Peste qui permet de comprendre l’étonnante lecture que Camus propose ici de Lucrèce, feignant d’oublier que le poète latin ne s’en prend pas aux dieux dont il affirme, conformément à la doctrine épicurienne, l’existence et la perfection, laquelle prouve qu’ils ne sauraient justement être à l’origine d’un monde aussi manifestement imparfait. Comment comprendre une telle distorsion ? La lecture de la première version de La Peste met en lumière la continuité entre la vision de Lucrèce qui se dégage du journal de Stephan et celle qu’en propose L’Homme révolté. Sans doute Camus n’a-t-il pu s’engager si avant sur la voie d’une interprétation que le poème de Lucrèce dément manifestement, qu’en s’autorisant d’une tradition critique remise au goût du jour par des publications récentes.

L’épicurisme comme religion de la peste

20Si l’évocation de l’épicurisme dans L’Homme révolté a de quoi surprendre, le journal de Stephan nous réserve une surprise bien plus grande qui nous permet de mesurer à quel point Camus a considéré l’évocation finale de la peste comme la clé du poème de Lucrèce. On ne peut que regretter avec Paul Demont que dans l’édition de La Pléiade, le journal de Stephan ait été tronqué et ainsi délesté sans explication de sa conclusion pourtant si révélatrice :

Le Dieu des brebis n’a pas d’avenir. Il n’offre rien. Il n’a pas de consolation future à distribuer. Son paradis, c’est l’odeur sans nom qui monte des bûchers. Il ne s’agit pas de le mériter, il s’agit seulement d’y monter. Mais le dieu est aussi sans passé et enlève toute mémoire à ses adeptes. C’est Luc. qui note qu’on en vit qu’envahit l’oubli de toutes choses au point qu’ils ne pouvaient se reconnaître eux-mêmes. Ainsi les pestiférés ne redoutent et n’espèrent rien. On a coupé derrière eux cette grande chaîne d’actes qui les contraignaient et qui leur donnait [sic] la ressemblance. [Soudain ?] on a coupé devant eux cette encore plus grande chaîne d’actes à venir qui donnaient leurs couleurs aux décisions qu’ils prenaient. Ils sont sur un tout petit bout de présent fragile et brillant comme un bûcher, consumés par l’intérieur, au bord de l’équilibre. Ils ne sont pas tout à fait seuls. On leur a laissé au moins la volupté. Mais la volupté elle aussi est un bûcher et tout aussi [brûlant ?], tout aussi vulnérable à la flamme intérieure. On ne peut pas dire [ainsi ?] qu’ils sont vraiment seuls comme on ne peut dire qu’ils ne le sont pas. Ils sont seulement sans origine et sans conséquences. Leur nouvelle religion disparaîtra avec eux.
[…] Tous les chemins mènent à la peste. Jeanne meurt de la peste et les filles publiques meurent de la peste. Que faire ? Au moins la volupté ? La volupté mène à la peste36.

21Par la dernière phrase, comme le souligne Paul Demont, « le professeur de Latin-grec suggère en fait, à partir de sa propre vie, une interprétation globale du De natura rerum de Lucrèce37 ». Le poème se trouve réduit au trajet qui conduit de la célébration de la volupté, dans l’hymne à Vénus qui en constitue l’ouverture, au tableau de la peste sur lequel il s’achève. Cette lecture peut bien sûr être envisagée comme l’une des manifestations de la mélancolie du personnage que vient corroborer son suicide. Mais Camus n’ignorait certainement pas que selon la biographie de Lucrèce rapportée par saint Jérôme, le poète latin, rendu fou par un philtre d’amour, avait fini par se donner la mort. Dès lors il est tentant de considérer le personnage de Stephan non seulement comme le commentateur de Lucrèce mais aussi comme son avatar dans le processus d’actualisation romanesque du poème. Si Stephan et son journal n’apparaissent plus dans la version finale de La Peste, n’est-ce pas parce qu’à travers eux se donnait à lire de manière un peu trop claire la genèse même de l’œuvre ? La fin du journal de Stephan avait aussi pour conséquence de faire de la peste une image de la condition humaine, dimension qui n’a évidemment pas disparu de la version finale, comme en témoignent l’affrontement entre Rieux et Paneloux ou l’échange du même Rieux avec Tarrou, mais que Camus semble avoir voulu subordonner à l’ancrage du roman dans le passé récent. Aussi, s’agissant de Lucrèce au moins, est-ce L’Homme révolté qui a offert le cadre propice au développement d’une réflexion métaphysique dont les prémices sont néanmoins bien présentes dans la conclusion du journal de Stephan où l’on relève plusieurs motifs et expressions qui constituent autant d’allusions à la philosophie antique38. Ainsi la « grande chaîne d’actes » évoque une image d’origine stoïcienne39, abondamment reprise, notamment par les néo-platoniciens40, que Camus connaissait bien pour avoir consacré son diplôme universitaire à Plotin et saint Augustin, celle de la series causarum, ou plus tardivement catena causarum41 . Cette « chaîne des causes » caractérise notamment le déterminisme stoïcien par opposition à la causalité épicurienne qui, chez Lucrèce notamment, fait place au hasard avec le clinamen. Quant au « tout petit bout de présent fragile et brillant comme un bûcher », il correspond parfaitement à « l’autonomisation de l’instant présent » des épicuriens, à cette différence capitale près, que cet instant, au lieu d’être sous le signe du plaisir et de la sérénité, se trouve placé sous celui de la souffrance et du malheur. Et la volupté elle-même est « vulnérable à la flamme intérieure », c’est-à-dire qu’il s’agit beaucoup plus des ravages de la passion dénoncés par Lucrèce que du pur plaisir sensuel. Comme on l’a vu, la version finale de La Peste, grâce à l’épisode de la baignade partagée par Rieux et Tarrou, offre une réponse beaucoup plus nuancée à Lucrèce, que cette véritable « œuvre au noir » que constitue le journal de Stephan. C’est L’Homme révolté qui hérite de cette lecture, tout en révélant, par les formulations qu’il en donne, les sources critiques auxquelles a puisé Camus pour la construire.

« L’affreuse tristesse d’Épicure » : généalogie d’un paradoxe devenu lieu commun

22« Je n’ai jamais compris que Camus ait pu parler de “l’affreuse tristesse d’Épicure”, ce qui m’a paru un contresens42 ». On ne peut, en l’occurrence, que partager la perplexité d’André Comte-Sponville. Mais lui-même suggère l’origine de cette étrange formule en évoquant l’éventuelle influence du livre sur Lucrèce de Constant Martha « qui fit longtemps autorité43 » et dont le neuvième chapitre s’intitule « Tristesse du système ». Plus encore, le livre s’achève, après la mention du supposé « fanatisme de l’impiété » de Lucrèce, sur cette phrase éloquente : « La véritable réfutation de la doctrine qui prêche la volupté, est la tristesse de son plus grand interprète44 ». Cette conclusion est en parfait accord avec l’avant-propos du livre :

Le Poëme de la Nature offre un intérêt moral qui sollicite davantage notre attention : il renferme une sorte de mystère psychologique qu’il n’est point facile de pénétrer tout d’abord et dont l’obscurité nous tente. On est obligé de se demander d’où vient que ce poëte impie remue le cœur, on s’étonne que ce contempteur des dieux ait le ton d’un inspiré, on voudrait savoir comment cette âme ardente a prétendu trouver le repos et la paix dans la moins consolante des doctrines, dans la négation de la Providence divine et de l’immortalité de l’âme, car tout le poème n’a été entrepris que pour aboutir à la destruction des vérités où l’humanité semble avoir voulu placer toujours ses plus chères espérances. […] Le seul poëte latin qui ait éprouvé vraiment une curiosité émue devant les grands problèmes de la vie, le plus sincère, le moins soupçonné d’artifice ou de déclamation, est précisément celui qui devient l’interprète passionné de la plus triste et de la plus mal famée des doctrines antiques45.

23C’est bien dans le sillage de cette vision chrétienne de l’épicurisme que se situe Camus lorsqu’il affirme qu’«  Épicure tue la sensibilité ; et d’abord le premier cri de la sensibilité qui est l’espérance46 », espérance qui est, rappelons-le, l’une des trois vertus théologales. Dès lors l’entreprise d’Épicure se trouve définie en des termes que Martha n’aurait pas désavoués : « Le long effort de ce curieux esprit s’épuise à élever des murailles autour de l’homme, à remanteler la citadelle et à étouffer sans merci l’irrépressible cri de l’espoir humain47 ». Il n’est pas sûr pour autant que Camus ait été influencé directement par Martha dont la visée très explicite n’aurait pu manquer de le mettre en garde contre une reprise inconsidérée de ses postulats. Il est probable que Jean Grenier a joué un rôle de relais car il est aussi question chez lui de « la sagesse désespérée de Lucrèce48 ». Mais c’est plus probablement l’écho d’un ouvrage récent qui s’entend dans les pages de Camus : L’Anxiété de Lucrèce du docteur Logre, ouvrage qui a connu en son temps un grand retentissement. Chez Logre le discours psychiatrique a remplacé le discours moral et religieux de Martha et ce n’est plus « la tristesse du système » qui est en cause mais les troubles psychiques du poète latin. Camus ne saurait évidemment adopter le point de vue de la psychopathologie mais va réutiliser dans une perspective métaphysique ce qui, chez Logre, fait figure de symptôme. Même si la dette de Logre envers Martha est immense, il donne une inflexion particulière à certains motifs qui se retrouvent précisément dans le texte de Camus mais avec des retournements significatifs. Le plus important est sans doute celui de la « citadelle » — mot qui n’apparaît pas chez Martha — dont Logre fait le symptôme de l’angoisse lucrétienne par opposition à la sérénité d’Épicure :

La doctrine épicurienne apparaît comme le produit naturel d’un esprit calme et pondéré : Epicure ne l’a conçue, semble-t-il, que pour mieux assurer sa quiétude. L’épicurisme de Lucrèce est, au contraire, le négatif d’une angoisse et il n’y fait appel, semble-t-il, que pour mieux rassurer son inquiétude. Quant aux « templa serena » d’Epicure, nous les connaissons : c’était un jardin paisible et souriant, où le Maître, entouré d’amis, devisait à loisir sur les conditions du bonheur et les avantages de la « médiocrité ». Les « templa serena » de Lucrèce ont une tout autre allure : ce sont des « hauts lieux bien défendus » (bene munita edita), une sorte d’acropole organisée en citadelle. André Lefèvre, dans sa traduction en vers, a rendu les mots « bene munita templa » par cette expression singulière : « le fort de la sérénité » ; alliance de mots hardie et qui met en relief une contradiction intime : cette architecture sourcilleuse indique une paix de l’âme toute relative, une « paix armée ». Il s’agit d’un ouvrage défensif, d’un refuge contre la peur. Cet impassible fort est bien le négatif d’une angoisse49.

24Camus, lui, associe d’emblée la citadelle à Épicure, comme on l’a vu, et lui attribue une posture défensive à laquelle il oppose la révolte de Lucrèce :

La citadelle aveugle devient camp retranché. Mœnia mundi, les remparts du monde, sont une des expressions-clés de la rhétorique de Lucrèce. Certes la grande affaire dans ce camp est de faire taire l’espérance. Mais le renoncement méthodique d’Épicure se transforme en une ascèse frémissante qui se couronne parfois de malédictions. La piété, pour Lucrèce, est sans doute de « pouvoir tout regarder d’un esprit que rien ne trouble ». Mais cet esprit tremble cependant de l’injustice qui est faite à l’homme50.

Lucrèce « fils de Caïn »

25Camus emprunte l’expression qu’il cite, non sans en détourner le sens, on le verra, au premier éloge d’Épicure qui célèbre en lui le libérateur de l’humanité et le héros de l’exploration scientifique :

Humana ante oculos foede cum uita iaceret
in terris, oppressa graui sub religione
quae caput a caeli regionibus ostendebat,
horribili super aspectu mortalibus instans,
primum Graius homo mortalis tollere contra
est oculos ausus, primusque obsistere contra ;
quem neque fama deum nec fulmina nec minitanti
murmure compressit caelum, sed eo magis acrem
inritat animi uirtutem, ecfringere ut arta
naturae primus portarum claustra cupiret.
Ergo uiuida uis animi peruicit, et extra
processit longe flammantia moenia mundi,
atque omne immensum peragrauit mente animoque,
unde refert nobis uictor quid possit oriri,
quid nequeat, finita potestas denique cuique
quanam sit ratione atque alte terminus haerens.
Quare religio pedibus subiecta uicissim
opteritur, nos exaequat uictoria caelo.

La vie humaine, spectacle répugnant, gisait
sur la terre, écrasée sous le poids de la religion,
dont la tête surgie des régions célestes
menaçait les mortels de son regard hideux,
quand pour la première fois un homme, un Grec,
osa la regarder en face, l’affronter enfin.
Le prestige des dieux ni la foudre ne l’arrêtèrent,
non plus que le ciel de son grondement menaçant,
mais son ardeur fut stimulée au point qu’il désira
forcer le premier les verrous de la nature.
Donc, la vigueur de son esprit triompha, et dehors
S’élança, bien loin des remparts enflammés du monde.
Il parcourut par la pensée l’univers infini.
Vainqueur, il revient nous dire ce qui peut naître
ou non, pourquoi enfin est assigné à chaque chose
un pouvoir limité, une borne immuable
Ainsi, la religion est soumise à son tour,
piétinée, victoire qui nous élève au ciel51.

26Il est clair qu’il ne s’agit pas ici de s’en prendre aux dieux véritables mais seulement à des croyances superstitieuses, à une réputation usurpée (fama) et de dissiper l’angoisse provoquée par ces illusions en découvrant les « lois de la nature » (foedera naturae) mentionnées à plusieurs reprises dans le poème52. Mais Logre, pour les besoins de sa cause, feint de l’ignorer et conclut le long commentaire qu’il fait de ce texte sur ce constat :

Bien entendu, à peu près rien de tout cela n’est d’Épicure : c’était un calme qui enseignait le calme. Il n’avait pas le moins du monde ces allures de cambrioleur sublime, prêt à forcer les portes closes et à traverser les murailles de feu : il ne maltraitait pas, il ne piétinait pas les Dieux53.

27Camus reprend à son compte la distorsion, pour faire de Lucrèce, non un anxieux mais un révolté. Au « cambrioleur sublime » du psychiatre fait écho « le rebelle magnifique » du philosophe, superbe formule qui caractérise pour l’auteur la métamorphose d’Épicure dans le texte de Lucrèce mais qui, pour nous, s’applique remarquablement aussi à celle de Lucrèce dans le texte de Camus.

28Martha et Logre ont donc aussi frayé la voie de cette métamorphose qui permet que Lucrèce occupe près de la moitié du chapitre intitulé « Les fils de Caïn », le premier de « La révolte métaphysique », première des cinq parties qui constituent L’Homme révolté. Martha donne le ton :

Lucrèce est le seul54 qui, en argumentant contre les dieux, ait l’air de plaider sa propre cause, de venger une injure, d’exhaler les chagrins d’une âme longtemps opprimée et de pousser des cris de révolte contre la tyrannie céleste. On ne peut comparer cette haine qu’à celle de Prométhée enchaîné […]55.

29Logre lui emboîte le pas, dans son livre, mais aussi, dans un article paru en 1946 dans la revue Psyché dans lequel le psychiatre s’aventure, non sans précautions oratoires, sur le terrain de la psychanalyse, ce qui nous vaut une formulation plus incisive dont la proximité avec celles de Camus est assez remarquable :

Lucrèce est un révolutionnaire, offrant ce que j’appellerai — sans doute après d’autres auteurs — un complexe de Prométhée. Cet homme, fixé à la Mère, est aussi un ennemi farouche de notre Père qui est aux Cieux — ou des Divinités païennes qui l’incarnent. C’est un iconoclaste intellectuel qui renverse les idoles pour substituer au règne oppressif et périmé des Dieux celui de l’Homme et de la Raison Humaine56.

30Dans L’Homme révolté, Lucrèce vient naturellement s’inscrire dans la lignée de Prométhée, première grande figure de la révolte pour Camus : « On ne peut donc dire que les Anciens aient ignoré la révolte métaphysique. Ils ont dressé, bien avant Satan, une douloureuse et noble image du Rebelle et nous ont donné le plus grand mythe de l’intelligence révoltée57 ». Cette dernière formule n’est pas sans évoquer précisément le « complexe de Prométhée » tel que Bachelard l’avait défini en 1938 dans La Psychanalyse du feu58 et auquel fait sans doute allusion aussi Logre dans son incise même s’il s’abstient de le nommer. Mais Camus souligne que la trilogie d’Eschyle s’achevait sur l’annonce du « règne du révolté pardonné » alors qu’il trouve chez Lucrèce un « blasphème nouveau », différent de « la malédiction antique ». Comme Logre, bien que pour des motifs très différents, Camus croit pouvoir déceler chez Lucrèce les prémices de « la notion d’un dieu personnel » car « c’est au dieu personnel que la révolte peut demander personnellement des comptes59 », oubliant ou feignant d’ignorer que Lucrèce ne saurait demander des comptes aux dieux car, comme Épicure, il les tient pour totalement irresponsables d’un monde qu’ils n’ont pas créé mais qui résulte seulement de l’action conjuguée du hasard et de la nécessité dans la combinaison des atomes puis dans la sélection naturelle. Camus a donc projeté sur Lucrèce, comme il a incarné en Rieux, dans La Peste, sa propre révolte contre un monde qu’il ne parvient pas à penser autrement qu’en tant que « création ». Ce phénomène de projection, constant dans toute son évocation du poète latin, atteint son paroxysme dans sa conclusion, comme l’avait déjà justement souligné Simone Fraisse :

Aussi Camus est-il entraîné par ses propres perspectives lorsqu’il écrit : “Ce n’est pas un hasard si le poème de Lucrèce se termine sur une prodigieuse image de sanctuaires divins gonflés des cadavres accusateurs de la peste.” Accusateurs ? Lucrèce ne le dit pas. Comment accuserait-il puisqu’il s’est proposé de prouver qu’Apollon n’était pour rien dans l’épidémie que seuls expliquaient des germes microbiens ? Au spectacle de la souffrance, sa sensibilité frémit, mais son intelligence se satisfait d’enchaîner lucidement les effets et les causes60.

31Peut-être faut-il aussi envisager cette opposition entre sensibilité et intelligence dans une perspective générique : Lucrèce n’écrit pas un traité philosophique mais un poème épique, comme le souligne l’hommage appuyé à Ennius. Et si Camus tient tend à considérer le monde comme création, alors même que cela contredit l’athéisme qu’il revendique, c’est sans doute aussi parce que sa conception de la création artistique en général et de l’écriture romanesque en particulier repose entièrement sur la possibilité d’instaurer une relation non seulement d’émulation mais aussi d’antagonisme entre l’œuvre comme création humaine et le monde comme création divine.

« Rhétorique des remparts » et « fabrication d’un univers de remplacement »

32La mise en exergue de l’expression moenia mundi du premier éloge d’Épicure s’explique difficilement au sein du chapitre « Les fils de Caïn ». Comme on l’a vu, en le rattachant à la thématique de la citadelle défensive développée par Martha et Logre à sa suite, Camus inflige au texte une distorsion qui semble frôler le contresens puisque ces « remparts du monde » désignent, comme le rappelle José Kany-Turpin61, l’enveloppe ignée constituée par les particules les plus légères qui se trouvent rejetées à la périphérie lors de la création d’un monde dans la cosmologie épicurienne. C’est ce qu’indique très clairement l’épithète flammantia omise à dessein, semble-t-il, par Camus. Lorsqu’il ajoute qu’il s’agit d’« une des expressions-clés de la rhétorique de Lucrèce » alors qu’il s’agit d’un hapax dans le poème, on a quelques raisons de penser que c’est pour lui que cette image est si importante. Son retour dans l’ouverture de la quatrième partie de L’Homme révolté, intitulée « Révolte et art » le confirme pleinement :

Dans toute révolte se découvrent l’exigence métaphysique de l’unité, l’impossibilité de s’en saisir, et la fabrication d’un univers de remplacement. La révolte, de ce point de vue, est fabricatrice d’univers. Ceci définit l’art, aussi. L’exigence de la révolte, à vrai dire, est en partie une exigence esthétique. Toutes les pensées révoltées, nous l’avons vu, s’illustrent dans une rhétorique ou un univers clos. La rhétorique des remparts chez Lucrèce, les couvents et les châteaux verrouillés de Sade, l’île ou le rocher romantique, les cimes solitaires de Nietzsche, l’océan élémentaire de Lautréamont, les parapets de Rimbaud, les châteaux terrifiants qui renaissent, battus par un orage de fleurs, chez les surréalistes, la prison, la nation, le camp de concentration, l’empire des libres esclaves illustrent à leur manière le même besoin de cohérence et d’unité. Sur ces mondes fermés, l’homme peut régner et connaître enfin62.

33On peut bien sûr rester sceptique devant cette énumération hétéroclite et s’il faut considérer que « ce texte présente en raccourci la plupart des “déviations” ou des “infidélités” des révoltés métaphysiques et historiques63 », on comprend mal que Lucrèce inaugure la série, même si le docteur Logre avait déjà accusé Épicure de « reléguer [les dieux] dans une sorte de camp de concentration, très loin de la terre, dans les “intermondes”64 ». De fait, dans les pages qui suivent, Camus met surtout l’accent sur ce qui distingue « la révolte de l’artiste contre le réel » et la rend « suspecte à la révolution totalitaire » dès lors que « la contemplation risquait de balancer l’action65 », pour conclure, avant d’aborder la question du roman : « Mais il y a peut-être une transcendance vivante, dont la beauté fait la promesse, qui peut faire aimer et préférer à tout autre ce monde mortel et limité66 ». La comparaison de Lucrèce et de Tchouang-tseu nous invite à penser que Camus a été sensible aussi à la manière dont l’éloge de la contemplation permettait à Lucrèce d’attribuer une portée éthique à la création artistique.

Éloge de la limite entre éthique et esthétique

34Quoique pour des raisons très différentes, Lucrèce et Camus ont affronté la même question : quelle peut être la justification éthique de la création artistique ? Camus répond en faisant de cette création un acte de révolte, c’est-à-dire, comme il le précise à propos du roman, « la correction de ce monde-ci, suivant le désir profond de l’homme67 » ; Lucrèce en suggérant que la lecture du poème donne un avant-goût du plaisir promis par la sagesse épicurienne. Ces deux réponses ont pour point commun de considérer l’œuvre d’art comme satisfaction du désir humain. Pour Lucrèce, conformément à l’ascèse des désirs qui caractérise l’épicurisme, le plaisir de la contemplation est le plaisir du sage par excellence. C’est lui qui est célébré dans le Suave mari magno, lui aussi que le poète offre à son lecteur, dès lors qu’il transforme pour lui l’expérience humaine en spectacle. Ce que Camus appelle « la rhétorique des remparts » serait donc plutôt une rhétorique de la contemplation mais les deux dimensions peuvent se rejoindre si l’on se souvient de l’étymologie du mot contemplation. Le templum est originellement un espace délimité dans le ciel par les augures. Et s’il est une notion qui joue un rôle central dans la pensée épicurienne et que Lucrèce décline sous toutes ses formes, c’est bien celle de limite. On la retrouve chez Camus, lorsqu’il élargit la notion de correction à tous les arts avec la définition qu’il donne du style : « Cette correction, que l’artiste opère par son langage et par une redistribution d’éléments puisés dans le réel, s’appelle le style et donne à l’univers recréé son unité et ses limites68 ». Or dans la cinquième et dernière partie de L’Homme révolté, « La pensée de midi », la notion n’est plus circonscrite à la sphère esthétique et acquiert la même place centrale que chez Lucrèce : « Si la révolte pouvait fonder une philosophie, au contraire, ce serait une philosophie des limites, de l’ignorance calculé et du risque69 ». La composition de L’Homme révolté suggère donc que, chez Camus comme chez Lucrèce, l’œuvre d’art et plus particulièrement, pour les écrivains qu’ils sont, le texte littéraire, constitue un espace privilégié d’expérimentation philosophique, non pas une copie mais une modélisation du monde. Là et là seulement l’humain peut satisfaire son désir de maîtrise qui, s’il reste illusoire et voué à l’échec, ne produit pas du moins les ravages qu’il déchaîne lorsqu’il s’exerce dans le champ historique. Si Lucrèce n’a pas connu ceux du totalitarisme qui jouent un rôle déterminant dans la réflexion de Camus, l’expérience des guerres civiles romaines a sans doute renforcé chez lui la condamnation sans appel de l’appétit de pouvoir qui était déjà un corollaire de la doctrine épicurienne. C’est d’ailleurs aussi l’un des points de rencontre majeurs entre sa pensée et celle de Tchouang-tseu.

Les « instants fulgurants de la plénitude »

35Il en est un autre, aussi décisif et plus spécifique, qui constitue d’ailleurs aussi un lien entre La Peste et L’Homme révolté et qui concerne ce que Jean-François Billeter nomme « les régimes de l’activité ». Camus l’aborde dans sa réflexion sur le roman dès lors que le « désir profond » auquel répond la création romanesque découle de la condition humaine telle qu’il la définit : « Sauf aux instants fulgurants de la plénitude, toute réalité est pour eux inachevée. Leurs actes leur échappent dans d’autres actes, reviennent les juger sous des visages inattendus, fuient comme l’eau de Tantale vers une embouchure encore ignorée70 ». Qu’en est-il de ces instants de plénitude dans l’œuvre de Camus ? La Peste en réserve un à Rieux et Tarrou qui constitue en même temps, on l’a vu, une moitié de la réponse qu’apporte le roman au Suave mari magno de Lucrèce. Or cette évocation du plaisir partagé de la baignade fait largement écho à un passage de « Noces à Tipasa » qui en explicite davantage la portée :

Ici même, je sais que je ne m’approcherai jamais assez du monde. Il me faut être nu et puis plonger dans la mer, encore tout parfumé des essences de la terre, laver celles-ci dans celle-là, et nouer sur ma peau l’étreinte pour laquelle soupirent lèvres à lèvres depuis si longtemps la terre et la mer. Entré dans l’eau, c’est le saisissement, la montée d’une glu froide et opaque, puis le plongeon dans le bourdonnement des oreilles, le nez coulant et la bouche amère — la nage, les bras vernis d’eau sortis de la mer pour se dorer dans le soleil et rabattus dans une torsion de tous les muscles ; la course de l’eau sur mon corps, cette possession tumultueuse de l’eau par mes jambes — et l’absence d’horizon. Sur le rivage, c’est la chute dans le sable, abandonné au monde, rentré dans ma pesanteur de chair et d’os, abruti de soleil, avec, de loin en loin, un regard pour mes bras où les flaques de peau sèche découvrent, avec le glissement de l’eau, le duvet blond et la poussière de sel71.

36La nage est donc clairement ici l’expérience de la proximité avec le monde, de l’abandon au monde, dont l’éclipse du « je » est l’expression la plus simple et la plus efficace dans cette évocation. La leçon qu’en tire Camus est tout aussi limpide :

Pourtant, on me l’a souvent dit : il n’y a pas de quoi être fier. Si, il y a de quoi : ce soleil, cette mer, mon cœur bondissant de jeunesse, mon corps au goût d sel et l’immense décor où la tendresse et la gloire se rencontrent dans le jaune et le bleu. C’est à conquérir cela qu’il me faut appliquer ma force et mes ressources. Tout ici me laisse intact, je n’abandonne rien de moi-même, je ne revêts aucun masque : il me suffit d’apprendre patiemment la difficile science de vivre qui vaut bien tous leurs savoir-vivre72.

37La convergence avec un passage de Tchouang-tseu cité et commenté par Jean-François Billeter est assez remarquable car la nage y sert aussi de paradigme à la « difficile science de vivre », le chapitre dont il est extrait s’intitulant d’ailleurs « Comprendre la vie73 ». Ce récit met en scène Confucius admirant des chutes d’eau et y apercevant soudain un homme en train de nager. Croyant que « c’était un malheureux qui cherchait la mort », il demande à ses disciples de se porter à son secours mais « quelques centaines de pas plus loin, l’homme sortit de l’eau et, les cheveux épars74, se mit à se promener sur la berge en chantant ». Confucius le rejoint et engage le dialogue :

« Je vous ai pris pour un revenant mais, de près, vous m’avez l’air d’un vivant. Dites-moi : avez-vous une méthode pour surnager ainsi ? — Non, répondit l’homme, je n’en ai pas. Je suis parti du donné, j’ai développé un naturel et j’ai atteint la nécessité. Je me laisse happer par les tourbillons et remonter par le courant ascendant, je suis les mouvements de l’eau sans agir pour mon propre compte. — Que voulez-vous dire par : partir du donné, développer un naturel, atteindre la nécessité ? » demanda Confucius. L’homme répondit : « Je suis né dans ces collines et je m’y suis senti chez moi : voilà le donné. J’ai grandi dans l’eau et je m’y suis peu à peu senti à l’aise : voilà le naturel. J’ignore pourquoi j’agis comme je le fais : voilà la nécessité75.

38Dans la traduction de Liou Kia-Hway, c’est le mot « destin » qui apparaît à la place de « nécessité » et le même phénomène pourrait s’observer pour des traductions du grec ou du latin. Or chez Camus « le désir profond de l’homme » est précisément d’atteindre ce sentiment de nécessité et si le roman le satisfait, c’est dans la mesure où il « fabrique du destin sur mesure ».

39L’alliance, a priori paradoxale, de la maîtrise et de l’abandon, qui caractérise chez Camus les « instants fulgurants de la plénitude » mais aussi la création artistique dès lors que celle-ci est supposée répondre au même « désir profond », se retrouve fréquemment chez Tchouang-tseu et, chez lui aussi, la nage et l’art— sans qu’il faille distinguer celui de l’artisan de celui de l’artiste — en offrent deux figures privilégiées. Au récit du nageur dans les chutes succèdent plusieurs exemples d’artisans dont les œuvres suscitent l’admiration, la dernière proposant une sorte de synthèse des précédentes :

L’artisan Chouei tournait des objets aussi parfaits que s’ils eussent été faits au compas et à l’équerre ; son doigt suivait la forme des choses sans que sa conscience intervînt. Il atteignait à une telle habileté parce que son âme, étant concentrée, était libre d’entrave.
Faire oublier l’existence des pieds, c’est l’adaptation parfaite des souliers ; faire oublier l’existence des reins, c’est l’adaptation parfaite de la ceinture ; faire oublier la distinction entre le pour et le contre donne la mesure de l’adaptation parfaite de l’esprit humain ; ne subir aucun changement intérieur et ne pas se laisser diriger par le monde extérieur, c’est s’adapter toujours et dans tous les cas, c’est posséder une faculté d’adaptation qui s’oublie elle-même76.

40La dernière phrase de ce texte nous ramène aux templa serena de Lucrèce que Camus, pour les diverses raisons qui ont été exposées précédemment, a choisi de désigner en mettant en exergue le motif des « remparts ». La limite toute mentale qu’ils figurent n’implique nullement l’établissement d’une frontière étanche entre soi et le monde mais bien cette faculté d’adaptation mise en lumière par Tchouang-tseu qui exige d’abord de conserver sa propre intégrité.

Notes de bas de page numériques

1 Albert Camus, Carnets 1935-1948, Cahier IV (janvier 1942-septembre 1945), Œuvres complètes, sous la direction de Jacqueline Lévi-Valensi, pour les deux premiers volumes, et sous celle de Raymond Gay-Crosier pour les deux suivants, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », t. II, 2006, p. 959. Toutes les références ultérieures renvoient à cette édition.

2 L’absence de note dans l’édition de La Pléiade est révélatrice à cet égard.

3 René Grousset, Histoire de la Chine, Paris, Fayard, 1942, p. 39. René Grousset avait déjà cité ce passage dans L’Art de l’Extrême-Orient. Paysages, fleurs, animaux, d’après les tableaux des vieux maîtres chinois et japonais, Paris, Plon, 1936, p. 7.

4 Léon Wieger, Taoïsme, t. II : Les pères du système taoïste, Hien-Hien, 1913, p. 209 : « Ce qu’on voit là-haut dans l’azur, sont-ce des troupes de chevaux sauvages qui courent ? est-ce de la matière pulvérulente qui voltige ? sont-ce des souffles qui donnent naissance aux êtres ?... Et l’azur est-il le ciel lui-même ? Ou n’est-ce que la couleur du lointain infini […] ». La très grande proximité de la traduction citée par Grousset avec celle de Wieger suggère qu’il s’est borné à effectuer quelques corrections de détail, dont la substitution de « poussière d’atomes » à « matière pulvérulente », à moins qu’il ne cite de mémoire, ce qui n’est pas impossible car il s’agit manifestement pour lui d’une citation de prédilection (voir note précédente).

5 L’Œuvre complète de Tchouang-tseu, traduction, préface et notes de Liou Kia-hway, Paris, Gallimard, 1969 ; traduction reprise dans Philosophes taoïstes, sous la direction d’Etiemble, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », t. I, 1980, p. 87 : « Sont-ce des chevaux sauvages ou bien des poussières voltigeant dans les airs ou bien des êtres vivants qui soufflent les uns sur les autres ? Le bleu est-il la couleur naturelle du ciel, ou est-il le simple reflet d’une distance infinie ? »

6 Les Œuvres de Maître Tchouang, traduction de Jean Lévy, Paris, Éditions de l’Encyclopédie des Nuisances, 2006, révisée et augmentée 2010, p. 13 : « Ces galops de chevaux sauvages, cette fine poussière, qu’est-ce donc ? Rien d’autre que la respiration de tous les êtres de la création qui soufflent leur haleine ? Ce bleu si pur, si profond que l’on voit au ciel, est-ce sa vraie couleur ? Ou bien est-ce une illusion d’optique due à un éloignement infini ? »

7 The Complete Works of Chuang Tzu, translated by Burton Watson, New York, Columbia University Press, 1968, p. 29 : « Wavering heat, bits of dust, living things blowing each other about — the sky looks very blue. Is that its real color, or is it because it is so far away and has no end ? ».

8 Voir notamment Jean Salem, Démocrite : grains de poussière dans un rayon de soleil, Paris, Vrin, 1996, rééd. 2002.

9 Jean Grenier a publié une anthologie intitulée L’Esprit du Tao chez Flammarion en 1957. Quant à Lucrèce, il n’est guère d’ouvrage dans lequel il ne s’y réfère à plusieurs reprises.

10 J. F.Billeter, Études sur Tchouang-tseu, Paris, Allia, 2002, rééd. 2014, p. 140. L’auteur se réfère aux vers célèbres qui concluent l’éloge d’Épicure à l’ouverture du chant III (v. 28-30), le spectacle de la nature dévoilée par le philosophe suscitant chez le poète une « sorte de volupté divine » (quaedam diuina uoluptas) et un frisson sacré (horror). Les références au poème de Lucrèce seront données dans l’édition bilingue de José Kany-Turpin (Paris, GF Flammarion revue 1998).

11 Lucrèce, De la nature, II, v. 5-6.

12 Voir les trois articles de Paul Demont : « La Peste : un inédit d’Albert Camus, lecteur de Thucydide », Antike und Abendland, XLII, 1996, p. 137-154 ; « La crise d’un professeur : le journal de Philippe Stephan et la genèse de La Peste », dans Pour un humanisme romanesque. Mélanges offerts à Jacqueline Lévi-Valensi, éd. par Gilles Philippe et Agnès Spiquel, Paris, SEDES, 1999, p. 211-218 ; « Le journal de Philippe Stephan dans la première version de La Peste d’Albert Camus », Revue d’histoire littéraire de la France, vol. 109, 2009/3, p. 719-724.

13 Albert Camus, première version de la La Peste, BNF, Nouvelles acquisitions françaises, n°25248, folios 79-82, datés de la main de Camus d’août 42-septembre 43 ; passage cité  dans l’édition de la Pléiade, t. II, p. 258.

14 Paul Demont, « Le journal de Philippe Stephan […] », RHLF, 109, 2009/3, p. 724.

15 Paul Demont, « Le journal de Philippe Stephan […] », RHLF, 109, 2009/3, p. 721.

16 Albert Camus, première version de La Peste, Œuvres complètes, II, p. 258-259.

17 Albert Camus, première version de La Peste, Œuvres complètes, II, p. 259.

18 A. Camus, La Peste, Deuxième partie, Œuvres complètes, II, p. 96.

19 A. Camus, La Peste, Deuxième partie, Œuvres complètes, II, p. 101.

20 A. Camus, La Peste, Quatrième partie, Œuvres complètes, II, p. 185.

21 A. Camus, La Peste, Deuxième partie, Œuvres complètes, II, p. 100.

22 A. Camus, La Peste, Première partie, Œuvres complètes, II, p. 61.

23 Gérard Genette, Palimpsestes : la littérature au second degré, Paris, Éd. du Seuil, 1982.

24 A. Camus, La Peste, Troisième partie, Œuvres complètes, II, p. 157.

25 Cette vision est encore celle d’André Comte-Sponville, Le miel et l’absinthe. Poésie et philosophie chez Lucrèce, Paris, Hermann, 2008.

26 Lucrèce, De la nature, II, v. 557 et, plus largement, tout le tableau du naufrage (v. 552-559), p. 144.

27 Lucrèce, De la nature, V, v. 222-227, p. 327.

28 A. Camus, La Peste, Quatrième partie, Œuvres complètes, II, p. 182.

29 La méconnaissance de l’intertexte lucrétien conduit Sophie Jollin-Bertocchi à considérer la métaphore du naufrage comme un simple « cliché » (« Les métaphores dans Le Premier Homme : roman, lyrisme et poésie », Albert Camus, l’histoire d’un style, éd. Anne-Marie Paillet, Louvain-la Neuve, Harmattan-Academia, 2013, p. 153). Dans le même volume, Éric Pellet signale pourtant en note qu’il s’agit d’ « une inversion du suave mari magno sénéquien [sic !] » (« “Camus/Faulkner” : la neutralisation du style haletant dans Requiem pour une nonne », p. 58, note 12).

30 A. Camus, La Peste, Cinquième partie, Œuvres complètes, II, p. 234.

31 A. Camus, La Peste, Quatrième partie, Œuvres complètes, II, p. 211-212.

32 A. Camus, La Peste, Quatrième partie, Œuvres complètes, II, p. 212-213.

33 Lucrèce, De la nature, I, v. 142, p. 60. Ces nuits sereines sont aussi placées sous le signe de l’amitié dans le partage non du plaisir sensuel de la baignade mais de la lumière du poème.

34 Alain Gigandet, Lucrèce. Atomes, mouvement. Physique et éthique, Paris, P.U.F., 2001, p. 126.

35 A. Camus, L’Homme révolté, Œuvres complètes, III, p. 87.

36 Albert Camus, première version de La Peste, transcription de Paul Demont dans « Le journal de Philippe Stephan […], RHLF, 109, 2009/3, p. 722.

37 Paul Demont, « Le journal de Philippe Stephan […] », RHLF, 109, 2009/3, p. 722.

38 Malgré le discrédit que Sartre et ses adulateurs ont prétendu jeter sur les compétences philosophiques de Camus, tentative dont les causes et les enjeux ont été bien mis en lumière par Michel Onfray dans L’Ordre libertaire. La vie philosophique d’Albert Camus, Paris, Flammarion, 2012.

39 Cf., par exemple, Sénèque, Consolatio ad Helviam matrem, VIII, 3 : « immutabilis causarum inter se cohaerentium series », « l’enchaînement immuable des causes liées entre elles ». Dans sa redondance, l’expression construit l’image de la chaîne dont chaque maillon est relié à la cause qui le précède et à la conséquence qui le suit. Elle s’insère, en l’occurrence, dans l’évocation de l’ordre providentiel censé régir l’univers.

40 Cf, par exemple, Chalcidius, Commentaire du Timée, §144.

41 Cette dernière expression est fréquente dans la philosophie européenne à partir du XVIIe siècle. On la rencontre notamment chez Bacon et Kant.

42 André Comte-Sponville, Le miel et l’absinthe, p. 37.

43 André Comte-Sponville, Le miel et l’absinthe, p. 37, note 1.

44 Benjamin Constant Martha, Le Poëme de Lucrèce : morale, religion, science, Paris, Hachette, 1869.

45 B. C. Martha, Le Poëme de Lucrèce, p. XIII-XIV.

46 A. Camus, L’Homme révolté, Œuvres complètes, III, p. 85.

47 A. Camus, L’Homme révolté, Œuvres complètes, III, p. 86.

48 Jean Grenier, Le Choix, Paris, P.U.F., 1941 ; rééd. sous le titre Absolu et choix, Paris, P.U.F., 1961, p. 101.

49 Dr [Benjamin-Joseph] Logre, L’Anxiété de Lucrèce, Paris, J.B. Janin, 1946, p. 173-174.

50 A. Camus, L’Homme révolté, Œuvres complètes, III, p. 86-87.

51 Lucrèce, De la nature, I, v. 62-79.

52 Lucrèce, De la nature, I, v. 586, p. 85,  II, v. 302, 131 et V, v. 310, p. 333. José Kany-Turpin traduit l’expression respectivement par « pactes de la nature », « nature », et « lois de la nature ».

53 Dr Logre, L’Anxiété de Lucrèce, p. 94.

54 Par opposition aux autres « philosophes destructeurs [qui] ont tous cela de commun qu’ils ne sont pas émus, qu’ils gardent le calme de la science ou la légèreté railleuse du dédain ». Martha semble tenir pour négligeable la question du genre : Lucrèce n’a pas écrit un traité philosophique mais un poème se situant ouvertement dans la tradition épique et recourant très fréquemment à l’hypotypose.

55 B. C. Martha, Le Poëme de Lucrèce, p. 104.

56 Dr Logre, « L’anxiété de Lucrèce. Essai psychanalytique », Psyché, n°27-28, 1949, p. 51.

57 A. Camus, L’Homme révolté, Œuvres complètes, III, p. 83.

58 Gaston Bachelard, La Psychanalyse du feu, Paris, Gallimard, 1938, rééd. « Folio essais », 1992, p. 30-31 (fin du premier chapitre, « Feu et respect : le complexe de Prométhée ») : « Nous proposons donc de ranger sous le nom de complexe de Prométhée toutes les tendances qui nous poussent à savoir autant que nos pères, plus que nos pères, autant que nos maîtres, plus que nos maîtres. Or, c’est en maniant l’objet, c’est en perfectionnant notre connaissance objective que nous pouvons espérer nous mettre plus clairement au niveau intellectuel que nous avons admiré chez nos parents et nos maîtres. La suprématie par des instincts plus puissants tente naturellement un bien plus grand nombre d’individus, mais des esprits plus rares doivent aussi être examinés par le psychologue. Si l’intellectualité pure est exceptionnelle, elle n’en est pas moins très caractéristique d’une évolution spécifiquement humaine. Le complexe de Prométhée est le complexe d’Œdipe de la vie intellectuelle ».

59 A. Camus, L’Homme révolté, Œuvres complètes, III, p. 88.

60 Simone Fraisse, « De Lucrèce à Camus, ou les contradictions de la révolte », Esprit, mars 1959, p. 441. Si cet article comporte certaines analyses très justes, il a bien pour visée, comme l’indique son titre, de démontrer l’échec des deux entreprises qu’il compare : « Lucrèce a échoué à nous faire pénétrer dans le paradis d’Épicure. Camus ne peut nous arracher à l’obsession de la responsabilité et de la justification. Il ne peut faire que l’homme ne soit toujours en posture d’accusé ». (p. 452)

61 José Kany-Turpin, De la nature, chant I, note 9, p. 470.

62 A. Camus, L’Homme révolté, Œuvres complètes, III, p. 280.

63 Maurice Weyembergh, Albert Camus ou la mémoire des origines, Bruxelles, De Boeck Université, 1998, p. 35.

64 Dr Logre, L’Anxiété de Lucrèce, p. 11. Cette remarque est faite dans une parenthèse qui précède la comparaison de Lucrèce et de Prométhée déjà évoquée.

65 A. Camus, L’Homme révolté, Œuvres complètes, III, p. 282.

66 A. Camus, L’Homme révolté, Œuvres complètes, III, p. 283.

67 A. Camus, L’Homme révolté, Œuvres complètes, III, p. 287.

68 A. Camus, L’Homme révolté, Œuvres complètes, III, p. 292.

69 A. Camus, L’Homme révolté, Œuvres complètes, III, p. 309.

70 A. Camus, L’Homme révolté, Œuvres complètes, III, p. 285.

71 A. Camus, « Noces à Tipasa », Noces, Œuvres complètes, I, p. 107.

72 A. Camus, « Noces à Tipasa », Noces, Œuvres complètes, I, p. 108.

73 Liou Kia-Hway traduit « Avoir une pleine compréhension de la vie », L’Œuvre complète de Tchouang-tseu, p. 150.

74 Ce détail est significatif comme le souligne le commentaire de Jean François Billeter : « Le nageur a les cheveux épars alors que Confucius et ses disciples ont certainement des chignons impeccablement noués ». (Leçons sur Tchouang-tseu, p. 32).

75 Tchouang-tseu, ch. XIX : « Comprendre la vie », traduit par Jean-François Billeter dans Leçons sur Tchouang-tseu, p. 31.

76 Tchouang-tseu, ch. XIX : « Avoir une pleine compréhension de la vie », trad. Liou Kia-hway, Philosophes taoïstes, p. 224.

Bibliographie

Textes

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Pour citer cet article

Sylvie Ballestra-Puech, « Lucrèce et Tchouang-tseu : Albert Camus lecteur du De rerum natura », paru dans Loxias-Colloques, 4. Camus: "un temps pour témoigner de vivre" (séminaire), Lucrèce et Tchouang-tseu : Albert Camus lecteur du De rerum natura, mis en ligne le 23 mars 2015, URL : http://revel.unice.fr/symposia/actel/index.html?id=697.


Auteurs

Sylvie Ballestra-Puech

Sylvie Ballestra-Puech est professeur de littérature comparée à l’Université de Nice-Sophia Antipolis où elle dirige actuellement le Centre Transdisciplinaire d’Épistémologie de la Littérature et des Arts vivants (C.T.E.L.). Elle a notamment publié Lecture de La Jeune Parque (Klincksieck, 1993), Les Parques. Essai sur les figures féminines du destin dans la littérature occidentale (Éditions Universitaires du Sud, 1999), Métamorphoses d’Arachné. L’artiste en araignée dans la littérature occidentale (Droz, 2006) et Templa Serena : Lucrèce au miroir de Francis Ponge (Droz, 2013).