Loxias-Colloques |  4. Camus: "un temps pour témoigner de vivre" (séminaire) 

Colette Guedj  : 

L’humanisme solaire de Camus : une éthique du courage et de la lucidité

Résumé

Dans la préface écrite pour la réédition de L’Envers et l’endroit en 1958 Camus écrit que chaque artiste garde « au fond de lui, une source unique qui alimente pendant sa vie ce qu’il est et ce qu’il dit ». C’est cette source que cet article tente de mettre en lumière en étudiant le sol dont elle jaillit et la manière dont elle irrigue toute la production littéraire et philosophique de l’écrivain dès lors, comme l’écrit Camus dans le même texte, « qu’une œuvre d’homme n’est rien d’autre que ce long cheminement pour retrouver par les détours de l’art les deux ou trois images simples et grandes sur lesquelles le cœur, une première fois, s’est ouvert ».

Index

Mots-clés : Camus (Albert)

Géographique : Algérie , France

Chronologique : XXe siècle

Plan

Texte intégral

Je débuterai par une mise au point terminologique concernant le concept d’éthique. Qu’est-ce qui différencie l’éthique de la morale ? Si l’on en croit la définition généralement admise, l’éthique est la science de la morale et des mœurs. C’est une discipline philosophique qui réfléchit sur les finalités, sur les valeurs de l’existence, sur les conditions d’une vie heureuse, sur la notion de « bien ». L’éthique peut également être définie comme une réflexion sur les comportements à adopter pour rendre le monde humainement habitable. En cela, l’éthique est une recherche d’idéal de société et de conduite de l’existence. La morale, quant à elle, est un ensemble de règles ou de lois ayant un caractère universel, irréductible, voire éternel.

Mais pour moi la réponse la plus appropriée qui permet de distinguer ces deux concepts, me semble être celle d’André Comte-Sponville. On connaît ce philosophe, excellent vulgarisateur d’idées complexes, l’ardent défenseur des thèses d’Épicure et de Lucrèce1, dans leur philosophie du bonheur, cet humaniste qui fut l’élève et l’ami de Louis Althusser, et qui siège également au Comité Consultatif National d’Éthique. Pour lui, la morale est ce que l’on fait par devoir (en mettant en œuvre la volonté) et l’éthique est tout ce que l’on fait par amour (en mettant en œuvre les sentiments) : « bien agir, c’est faire d’abord ce qui se fait (politesse), puis ce qui doit se faire (morale), enfin parfois c’est faire ce que l’on veut, pour peu qu’on aime2 ». Et c’est la définition que j’ai envie de retenir.

Que Camus ait été considéré comme un moraliste surtout par ses détracteurs ne peut être mis en doute, notamment par sa constante réflexion sur la question du bien et du mal, mais ce qui ressort de son œuvre est surtout comment se conduire face au mal, à la violence, à l’injustice. En cela il propose une éthique, une conduite de vie.

Quant au terme d’humanisme je m’en expliquerai plus loin.

I. L’enfance algérienne

1. Une pauvreté baignée de lumière

Camus naît à Mondovi, à proximité d’Annaba, le 7 novembre 1913, dans un quartier déshérité, au milieu de gens simples. Il a vécu une enfance pauvre parmi les pauvres, proche des humbles, des milieux populaires et ouvriers. En 1921 la famille s’installe à Alger près de Belcourt en lisière du quartier arabe. « La pauvreté n’a jamais été un malheur pour moi : la lumière y répandait ses richesses. Même mes révoltes en ont été éclairées3. »

Il faut relire Le Premier Homme (titre en écho au nihilisme du « dernier homme » de Zarathoustra) : Camus réinvente sa naissance dans une chambre misérable où l’on a allumé le feu et préparé des serviettes, sorte de reconstitution de la nativité, tableau poignant où le père se découvre devant l’enfant qui naît.

Son père, ouvrier agricole, est « mort au champ d’honneur » comme on dit. Sa mère fait des ménages, elle est sourde, infirme, « pensa[n]t difficilement4 », regardant de sa fenêtre passer les trams, quasi-muette, vivant avec un frère infirme qui était lui-même ouvrier. Elle-même est sous l’emprise d’une mère rude et dominatrice qui mène tous ses gens à la baguette, ou plutôt au nerf de bœuf. Que de fois, elle essaiera de s’interposer avec ses pauvres moyens pour que sa mère ne frappe pas trop fort ses enfants…

L’Algérie de son enfance, c’est celle des plaisirs simples, les matchs de foot (Camus sera gardien de but mais ne pourra poursuivre une carrière professionnelle à cause de sa tuberculose5) et ces « quelques biens périssables et essentiels qui donnent un sens à notre vie : mer, soleil et femmes dans la lumière6 ». La lumière comme antidote au malheur ? Les lieux de son enfance, transfigurés par la magie des couleurs et des odeurs, Camus les célébrera aussi en de sublimes pages lyriques qui ne sont pas sans faire penser au Gide des Nourritures terrestres même si le rapport de Camus à cette œuvre est particulièrement complexe7, de l’échec, à seize ans, de sa première tentative de lecture, à « l’ivresse » et à « l’extase » de la seconde mais aussi à la dénonciation d’une aporie : « Nourritures terrestres : cette apologie de la sensation… n’est jamais qu’une intellectualisation des sens8 ». Noces, publié en 1939 à Alger aux Éditions Charlot, empreint de gravité festive, doit beaucoup au livre Les Îles de Jean Grenier, son professeur de philosophie qui deviendra son maître incontesté, son initiateur, son compagnon fidèle. Louis Faucon9 a suggéré que le titre du recueil de Camus dérive de la citation que Jean Grenier fait de l’Évangile de Matthieu dans un texte paru en 1930 et repris ultérieurement dans Inspirations méditerranéennes : « Les noces sont prêtes… Allez donc dans les carrefours et appelez aux noces tous ceux qui seront là10 ».

Mais le royaume de Camus n’est pas celui des cieux, c’est celui des hommes de ce monde. Pour ce « penseur radical de l’immanence11 », il ne s’agit pas de célébrer dans les noces de la terre et de la mer une puissance mais la beauté d’ici-bas et la plénitude de la nature méditerranéenne, éclatante aussi bien dans les paysages que sur le corps de femmes. Et les heureux pour Camus, ce sont ceux qui appartiennent à « toute une race née du soleil et de la mer, vivante et savoureuse12 » qui ont le culte et l’admiration du corps, où se conjuguent pauvreté matérielle et richesse sensuelle :

Il me faut être nu et puis plonger dans la mer, encore tout parfumé des essences de la terre, laver celles-ci dans celles-là, et nouer sur ma peau l’étreinte pour laquelle soupirent lèvres à lèvres depuis si longtemps la terre et la mer13.

Ajoutons que Camus jouit d’autant plus de la vie, qu’il porte en lui l’imminence d’une mort « annoncée » qui fera naître en lui un « tragique solaire ». Atteint de tuberculose, avec de nombreuses récidives, il hébergera dans son corps, sa vie durant, cette maladie mortelle. Pourtant la mort arrivera là où l’on ne l’attendait pas, comme c’est souvent le cas, sur l’axe sud-nord d’une route de vacances, de retour de Provence, à l’âge de quarante-sept ans en 1960. Dans la voiture accidentée : les épreuves du Premier Homme et un exemplaire du Gai Savoir de Nietzsche.

2. Le tournant de la vie

Survient l’élément capital de son enfance, qui va transformer son rapport à la pauvreté. Il est lié à la figure inoubliable d’un homme qui va jouer un rôle décisif dans son destin et changer sa vie.

En 1923, élève du cours moyen deuxième année, Camus est remarqué par son instituteur, Louis Germain, qui tente de convaincre sa grand-mère de le préparer au concours d’entrée en sixième, au lieu de le présenter au certificat d’études qui aurait clos sa scolarité. La grand-mère refuse d’abord : prolonger ses études est un luxe qu’on ne peut se permettre dans une famille pauvre. Mais l’instituteur lui rend visite et obtient gain de cause : « Il avait pesé de tout son poids d’homme, écrit Camus dans Le Premier Homme, […] pour modifier le destin de cet enfant dont il avait la charge, et il l’avait modifié en effet14. »

Louis Germain, pédagogue passionné, maître admiré et adulé, le père aussi, « sauvera » aussi – mais faut-il mettre des guillemets ? – d’autres enfants arabes comme le kabyle algérien Mouloud Feraoun, instituteur puis inspecteur de l’Éducation nationale, et écrivain, qui sera assassiné par l’OAS quelques jours après la fin de la guerre, à quatre jours du cessez-le-feu en 1962.

C’est à lui, Louis Germain, modeste instituteur de la IIIe république, qu’il dédie le Discours de Suède, prononcé le 19 décembre 1957, à la réception du prix Nobel de littérature. Un mois plus tôt, c’est déjà à lui qu’il avait écrit :

J’ai laissé s’éteindre un peu le bruit qui m’a entouré tous ces jours-ci avant de venir vous parler de tout mon cœur. On vient de me faire un bien trop grand honneur, que je n’ai ni recherché ni sollicité. Mais quand j’en ai appris la nouvelle, ma première pensée, après ma mère, a été pour vous. Sans vous, sans cette main affectueuse que vous avez tendue au petit enfant pauvre que j’étais, sans votre enseignement, et votre exemple, rien de tout cela ne serait arrivé. Je ne me fais pas un monde de cette sorte d’honneur. Mais celui-là est du moins une occasion pour vous dire ce que vous avez été, et êtes toujours pour moi, et pour vous assurer que vos efforts, votre travail et le cœur généreux que vous y mettiez sont toujours vivants chez un de vos petits écoliers qui, malgré l’âge, n’a pas cessé d’être votre reconnaissant élève. Je vous embrasse de toutes mes forces15.

Mais alors même que le cours de sa vie va prendre une autre direction de façon inespérée, Camus ressent un étrange sentiment de culpabilité, une véritable trahison, à sentir à quel point cette école du savoir l’éloigne de sa mère et du monde des humbles, lui qui aurait dû rester « cet écolier en rade dans une usine du quartier pauvre » auquel sa pauvreté le destinait :

Une immense peine d’enfant lui tordait le cœur, comme s’il savait d’avance qu’il venait par ce succès d’être arraché au monde innocent et chaleureux des pauvres16.

Cette pauvreté, Camus dit à maintes reprises, qu’elle lui a inculqué les vraies richesses, celles du cœur. Elle est au cœur du projet d’écriture de son dernier livre : « Arracher cette famille pauvre au destin des pauvres qui est de disparaître de l’histoire sans laisser de traces. Les Muets. Ils étaient et ils sont plus grands que moi17 ». Mais Camus prend soin de distinguer cette pauvreté de la misère dans laquelle vit la communauté arabe qui résulte d’une politique injuste et cruelle, comme il l’explique dans « Misère de la Kabylie » :

Et à cette heure où l’ombre qui descend des montagnes sur cette terre splendide apporte une détente au cœur de l’homme le plus endurci, je savais pourtant qu’il n’y avait pas de paix pour ceux qui, de l’autre côté de la vallée, se réunissaient autour d’une galette de mauvais orge. Je savais aussi qu’il y aurait eu de la douceur à s’abandonner à ce soir si surprenant et si grandiose, mais que cette misère dont les feux rougeoyaient en face de nous mettait comme un interdit sur la beauté du monde18.

Rappelons la position peu glorieuse de Sartre qui plus tard, lui dira, non sans cynisme : « Il se peut que vous ayez été pauvre mais vous ne l’êtes plus. Vous êtes un bourgeois comme Jeanson et comme moi19 ». Pourtant Camus, que l’on sache, ne s’en est jamais glorifié, il en a seulement fait son alliée dans ses justes combats.

II. Un homme épris de justice

Camus en effet n’aura de cesse de combattre sous toutes ses formes les inégalités sociales qui le hérissent.

1. Des prises de position courageuses

Tout jeune, Camus se montre viscéralement rebelle notamment à l’injustice, aux inégalités, qui frappaient les Musulmans d’Afrique du Nord, avec lesquels il vit en quasi osmose. Sans doute cette attitude s’explique-t-elle par sa proximité avec les pauvres, les humbles, ceux à qui la parole a été confisquée.

Depuis l’intervention providentielle de Louis Germain, la voie des études lui est tracée (mais l’autorisation de préparer l’agrégation lui sera refusée pour cause de tuberculose). Après avoir réussi sa première partie du bac en 34, il entre en classe de philosophie où il est l’élève de Jean Grenier dont l’influence va être considérable. À peine sa licence de philosophie en poche, en 1935, il crée à 22 ans le Théâtre du travail et participe à la rédaction de la pièce Révolte dans les Asturies, conçue comme un canevas sur lequel les comédiens sont invités à broder, destinée à être jouée dans son théâtre par des amateurs. La pièce décrit l’insurrection de mineurs de 1934, qui eut lieu dans la nuit du 5 au 6 octobre 1934 et qui fut brisée par la répression. Le gouvernement de centre-droit (deuxième gouvernement) de la IIe République espagnole fit intervenir l’armée le 19 octobre, avec pour conséquence entre 1 500 et 2 000 victimes, dont 300 à 400 militaires. 30 000 ouvriers sont emprisonnés. Le maire d’Alger fait interdire la pièce.

Les prises de position courageuses se succèdent ; en charge de la « propagande dans les milieux musulmans » au Parti communiste, auquel il adhère en 1934 et qu’il quittera en 1937, il diffuse et signe un manifeste d’intellectuels algériens s’opposant au projet de loi Blum Violette (1936) qui prévoit que seuls vingt mille indigènes sur six millions pourront obtenir la nationalité française.

Mais surtout il déploie une intense activité journalistique parallèlement à son œuvre d’écrivain, que ses talents d’essayiste, de romancier, de philosophe, d’homme de théâtre ont parfois tendance à faire oublier. Ainsi a-t-il collaboré du côté des deux rives de la Méditerranée, à Alger républicain, « journal des travailleurs », remplacé par le Soir républicain fin 1939, quotidien algérois qu’il dirige, dont il a été le rédacteur en chef, en pleine censure. Un article édifiant et terriblement actuel a été récemment exhumé des cartons des archives d’outre-mer par une journaliste du Monde, Macha Sery20. Camus appelle les journalistes à servir la vérité et à rester libres face à tous les pouvoirs. Le texte sera interdit de publication et restera inconnu jusqu’en 2012 ! Comment, se demande-t-il, en pleine guerre, conserver sa liberté ? La réponse se résume en quatre points : lucidité, refus, ironie (elle ne rejette pas ce qui est faux, mais dit ce qui est vrai) et obstination.

Il collabora aussi à Paris-soir dont il fut le secrétaire de rédaction, au journal Combat en 1944 (dont il a rejoint le réseau de résistance en 43), à L’Express, en 1955, entre autres.

2. « Misère de la Kabylie »

Je m’arrêterai sur le très important recueil d’articles écrits à l’occasion du reportage qui lui a été commandé par Alger républicain, lors de la famine qui a frappé cette région misérable (« Le dénuement »).

« Misère de la Kabylie » est un recueil d’articles qui seront repris dans Chroniques algériennes en 1958 (1939-1958), où il dénonce les injustices dont est victime la communauté indigène, et combat avec véhémence les idées reçues concernant « l’infériorité de la main d’œuvre indigène21 », et le mépris où on la tient.

Par un petit matin, j’ai vu à Tizi-Ouzou des enfants en loques disputer à des chiens kabyles le contenu d’une poubelle. À mes questions, un Kabyle a répondu : « C’est tous les matins comme ça. » Un autre habitant m’a expliqué que l’hiver, dans le village, les habitants, mal nourris et mal couverts, ont inventé une méthode pour trouver le sommeil. Ils se mettent en cercle autour d’un feu de bois et se déplacent de temps en temps pour éviter l’ankylose. Et la nuit durant, dans le gourbi misérable, une ronde rampante de corps couchés se déroule sans arrêt. Ceci n’est sans doute pas suffisant puisque le Code forestier empêche ces malheureux de prendre le bois où il se trouve et qu’il n’est pas rare qu’ils se voient saisir leur seule richesse, l’âne croûteux et décharné qui servit à transporter les fagots. […] Il me suffit de savoir qu’à l’école de Talam-Aïach les instituteurs, en octobre passé, ont vu arriver des élèves absolument nus et couverts de poux, qu’ils les ont habillés et passés à la tondeuse. Il me suffit de savoir qu’à Azouza, parmi les enfants qui ne quittent pas l’école à 11 heures parce que leur village est trop éloigné, un sur soixante environ mange de la galette et les autres déjeunent d’un oignon ou de quelques figues22.

Le texte fait surtout référence à des questions économiques. Camus se penche sur les problèmes économiques d’un pays surpeuplé qui consomme plus qu’il ne produit sur une terre aride et montagneuse. Il dénonce le manque d’écoles qui se fait cruellement sentir, et lutte pour la suppression de la séparation établie en 1892 entre deux systèmes d’enseignement destinés l’un aux enfants européens, l’autre aux indigènes. D’un point de vue socio-économique, il analyse l’expérience des « centres municipaux » créés en 1938 pour former les populations à un vrai régime municipal à travers l’exemple du village des Oumalous près de Tizi Ouzou. Il propose d’étendre la même expérience à d’autres villages. Cette émancipation administrative permettrait de rattraper l’erreur que les Français auraient commise d’imposer le statut personnel de musulman aux Kabyles. Sans cesse il revient sur la société kabyle méprisée par le pouvoir, dont il n’a de cesse de louer la fierté et le courage de son peuple, et son amour absolu pour la liberté.

Plus tard en en 45, pour ne citer que ces quelques exemples, il signera un appel à d’urgentes mesures de justice après les émeutes du Constantinois à Sétif en 1945 et la violente répression qui s’ensuivit. Et par la suite certains articles sous le pseudonyme Mohamed Bensalem, se mettant du côté des gens réduits au silence dont il aura été le porte-parole.

III. Le rêve généreux d’une fusion multiethnique

1. L’École d’Alger et la revendication d’une culture méditerranéenne

En 1936, un foyer informel se crée autour de l’École d’Alger qui regroupe la « bande à Charlot », dont la réflexion est alimentée par la guerre d’Espagne, et la montée du fascisme en Italie, la lutte contre les méfaits de l’état colonial.

La participation à l’École d’Alger va être à l’origine d’une prise de conscience de ses choix décisifs, mais aussi de ses rejets. Pour Camus, la Méditerranée ne doit pas être ramenée à la romanité chrétienne du Bas-Empire, à une latinité non dépourvue de relents malsains, qui fera plus tard le lit des nationalismes et des fascismes. Il combat également l’idée, qui était dans l’air, d’une hiérarchie des cultures. Et en ce sens l’École d’Alger se démarque fondamentalement de l’École coloniale que revendiquaient les algérianistes tendant à justifier la colonisation française enchantant l’énergie des colons venus mettre en valeur la patrie algérienne. Pendant la guerre d’Algérie, la position de Camus est ambiguë, voire ambivalente : s’il se montre réfractaire à l’indépendance, bien que révolté contre certains aspects du colonialisme, il est en faveur de la cohabitation entre les deux pays ; deux pays, deux peuples, Français et Arabes d’Algérie. Écartelé, c’est à n’en pas douter chez lui une posture fondatrice, mais tenant des positions courageuses, souvent intenables. En1956 quand il prononça un appel en faveur de la trêve civile, il fut conspué aux cris de « À mort Camus ».

2. L’influence de saint Augustin

Féru de culture méditerranéenne, Camus, imprégné de cette pensée « inspirée par les jeux du soleil et de la mer », rêve de promouvoir une culture vivante, multiethnique en Afrique du Nord qui est la terre de Jugurtha, roi de Numidie et de saint Augustin l’Africain, cet évêque, né en Afrique du Nord près de Bône, non loin du lieu de naissance de Camus, professeur de rhétorique qui adhère au manichéisme fondé par le perse Mani (religion dualiste pour qui le bien et le mal sont deux principes égaux, et qui est, pour le dire vite, un syncrétisme du zoroastrisme, du bouddhisme et du christianisme) ; puis se convertira au christianisme après sa découverte de la philosophie néo-platonicienne qui se développe alors à Alexandrie au IIIe siècle. Camus se sent particulièrement proche de celui qui croit en la foi sans refuser la raison et prônera une conception métaphysique de la beauté et de l’amour. C’est de cet Augustin-là que Camus se sent proche, et auquel il va consacrer une partie de son mémoire « Métaphysique chrétienne et néo-platonisme entre Plotin et saint Augustin », rapports entre la pensée hellénistique et la pensée chrétienne, et non de celui qui représente l’idéal ascétique chrétien fondé sur le péché.

Dans son rêve de fusion multiethnique, il veut associer des écrivains arabes, kabyles, berbères, juifs, chrétiens, autant de communautés vivant en osmose avec la nature méditerranéenne. C’est au nom de ce commun amour de la terre mère, cette « patrie de lumière », qu’il pensera plus tard que Français d’Algérie et Arabes, « frères de soleil », pouvaient s’entendre.

IV. L’absurde ou la philosophie du bonheur

1. « Il faut imaginer Sisyphe heureux »

La notion d’absurde qui fonde la philosophie de ce livre, est d’un enjeu majeur. La notion d’absurde (« ce qui est dissonant ») est centrale dans l’œuvre de Camus, on le sait. Elle est présente dans L’Étranger (1942), au théâtre dans Caligula et Le Malentendu (1944), elle se retrouve à travers une évolution sensible de sa pensée, jusque dans La Peste (1947). Et surtout dans Le Mythe de Sisyphe, essai sur l’absurde (1942). En exergue, une phrase de Pindare : « Ô mon âme, n’aspire pas à la vie immortelle, mais épuise tous les champs du possible ». On retrouve l’auteur de Noces.

Le sentiment de l’absurde peut surgir de la « nausée » (référence à Sartre) qu’inspire le caractère machinal de l’existence sans but, de l’hostilité primitive du monde auquel on se sent tout à coup étranger.

Il arrive que les décors s’écroulent. Lever, tramway, quatre heures de bureau ou d’usine, repas, tramway, quatre heures de travail, repas, sommeil et lundi mardi mercredi jeudi vendredi et samedi sur le même rythme, cette route se suit aisément la plupart du temps. Un jour seulement, le « pourquoi » s’élève et tout commence dans cette lassitude teintée d’écœurement23.

À quoi bon vivre puisqu’au bout la seule certitude est la mort, ce « côté élémentaire et définitif de l’aventure » qui conduit à l’anéantissement de nos efforts et nous révèle donc l’absurdité de la vie. « Sous l’éclairage mortel de cette destinée, l’inutilité apparaît24 ». À quoi bon ? serait-on tenté de dire. Mais Camus ne se satisfait pas de ce constat désabusé. En fait, ce n’est pas le monde qui est absurde mais la rencontre entre son caractère irrationnel et ce désir éperdu de clarté dont l’appel résonne au plus profond de l’homme.

[…] l’homme se trouve devant l’irrationnel. Il sent en lui son désir de bonheur et de raison. L’absurde naît de cette confrontation entre l’appel humain et le silence déraisonnable du monde25.

Ainsi l’absurde n’est ni dans l’homme ni dans le monde, mais dans leur confrontation. Il naît de leur antinomie.

Le Mythe de Sisyphe est l’exemple même de la révolte, positive, qui prend un sens très particulier chez Camus : c’est celui de la conscience d’un destin écrasant qu’il faut affronter. C’est cette révolte qui confère à la vie son prix et sa grandeur, exalte l’intelligence et l’orgueil de l’homme aux prises avec une réalité qui le dépasse, et l’invite à tout épuiser et à s’épuiser, car il sait que « dans cette conscience et dans cette révolte au jour le jour, il témoigne de sa seule vérité qui est le défi26. » Le défi, la forme extrême du courage.

Le mythe de Sisyphe est l’allégorie même de l’absurde qui va déboucher sur une notion positive. Pour avoir osé défier les dieux, Sisyphe fut condamné à faire rouler éternellement un rocher dans le Tartare depuis le sommet d’une montagne d’où la pierre retombait par son propre poids. Ils avaient pensé, dit Camus, avec quelque raison qu’il n’est pas de punition plus terrible que le travail inutile et sans espoir :

Sisyphe regarde alors la pierre dévaler en quelques instants vers ce monde inférieur d’où il faudra la remonter vers les sommets. Il redescend dans la plaine.

C’est pendant ce retour, cette pause, que Sisyphe m’intéresse. Un visage qui peine si près des pierres est déjà pierre elle-même ! [.. ] À chacun de ces instants, où il quitte les sommets et s’enfonce peu à peu vers les tanières des dieux, il est supérieur à son destin. Il est plus fort que son rocher […] La clairvoyance qui devait faire son tourment consomme du même coup sa victoire. Il n’est pas de destin qui ne se surmonte par le mépris27.

Mais si l’absurde nous révèle l’absurdité de la condition humaine, le revers de la notion est qu’elle permet à l’homme de voir le monde d’un regard neuf : l’homme est profondément libre à partir du moment où il connaît lucidement sa condition sans espoir. Et cette absence totale d’espoir métaphysique, il faut le préciser, « n’a rien à voir avec le désespoir » ou la détresse. Camus le répétera à maintes reprises : « être privé d’espoir, ce n’est pas désespérer28 », bien au contraire. L’homme absurde « a désappris d’espérer29 » : il sait qu’il « n’y a pas de lendemain30 » et que « l’indifférence à l’avenir » est indissociable de « la passion d’épuiser tout ce qui est donné31 ». D’où un bonheur de vivre qui ressortit à l’hédonisme, proche du Carpe diem. La vie sera vécue d’autant plus pleinement qu’elle n’a pas de sens : « Il faut imaginer Sisyphe heureux32. » Notons que l’expression pourrait avoir été inspirée à Camus33 par le philosophe japonais Shûzô Kuki (1888-1941), qui, après un séjour universitaire auprès de Husserl puis de Heidegger, en 1927 et 1928, prononça à Pontigny en 1928 deux interventions rassemblées sous le titre Propos sur le temps, ouvrage publié la même année. Évoquant la reconstruction de Tokyo après le grand tremblement de terre de 1923, celui-ci propose déjà une relecture du mythe de Sisyphe qui serait « un homme passionné par le sentiment moral. Il n’est pas dans l’enfer, il est au ciel » car « sa bonne volonté, la volonté ferme et sûre de se renouveler toujours, de toujours rouler le roc, trouve dans cette répétition même toute la morale, en conséquence tout son bonheur34 ». 

Pour Camus, il s’agit de multiplier avec passion les expériences lucides, pour « être en face du monde le plus souvent possible35 ». C’est ainsi que l’homme peut alors se sentir délivré des règles communes et apprendre à vivre « sans appel » et à « mourir irréconcilié36 ». Cette attitude est résumée par cette formule saisissante dans la préface de L’Envers et l’endroit, son premier ouvrage paru en 1937 aux Éditions Charlot : « Il n’y a pas d’amour de vivre sans désespoir de vivre37 ».

Théoriquement, face à l’absurde, la réponse pourrait être le suicide. Camus en refuse le principe et l’écrit sans ambages :

Je tire de l’absurde, trois conséquences qui sont ma révolte, ma liberté, ma passion. Par le seul jeu de ma conscience, je transforme en règle de vie ce qui était invitation à la mort – et je refuse le suicide38.

Il prend aussi» la liberté d’appeler […] suicide philosophique l’attitude existentielle39 » qui divinise l’irrationnel et cherche refuge hors du monde. Ainsi, selon Camus, pour Jaspers « l’absurde devient dieu40 » et « du dieu abstrait d’Husserl au dieu fulgurant de Kierkegaard, la distance n’est pas si grande41 ». Pour Camus, il s’agit de refuser résolument toute « métaphysique de consolation42 » et d’opter pour « la raison lucide qui constate ses limites43 ». Au terme du « raisonnement absurde », s’impose la valorisation du présent et la révolte :

Le présent et la succession des présents devant une âme sans cesse consciente, c’est l’idéal de l’homme absurde. Mais le mot idéal garde un son faux. Ce n’est pas même sa vocation, mais seulement la troisième conséquence de son raisonnement. Partie d’une conscience angoissée de l’inhumain, la méditation sur l’absurde revient à la fin de son itinéraire au sein même des flammes passionnées de la révolte humaine44.

2. La révolte, une tension positive

L’Homme révolté en 1951 qui fait suite au Mythe de Sisyphe, s’interroge entre autres sur le rôle de la révolte philosophique et historique (qui l’opposera à Sartre en particulier). L’ouvrage qui comprend quatre parties va se clore sur la question importante de la pensée de midi laquelle est au cœur de la réflexion particulièrement éclairante de Camus. Il en sera question un peu plus loin.

On connaît la célèbre formule liminaire : « Qu’est-ce qu’un homme révolté ? L’homme révolté est celui qui dit non ». Mais on connaît moins peut-être la suite : « C’est aussi un homme qui dit oui, dès son premier mouvement45. » On reconnaît bien là les paires antithétiques propres à Camus, qui ne sont pas de pures contradictions mais relèvent sans doute de la dialectique toujours présente dans son œuvre. Camus prend l’exemple précisément de la dialectique du maître et de l’esclave. Un esclave qui se révolte contre son maître dit non à la situation qui lui est faite mais il affirme en même temps sa dignité d’homme. L’antinomie, une fois encore, est le maître mot. La révolte soustrait l’homme à sa solitude, car elle est expérience collective, solidaire, mais elle le ramène aussi à cette solitude, car c’est aussi une ascèse. Solidaire/solitaire. En témoignent les figures tutélaires de la révolte, déclinées dans l’ouvrage, Prométhée, Achille (Patrocle), Œdipe, Antigone ou Spartacus. Celle-ci est l’expression la plus pure de la liberté, mais elle impose une tension, une limite, notion fondamentale chez Camus. C’est ce qui la distingue de la révolution, comme le précise Camus à propos de la vaine tentative des surréalistes de concilier les deux :

Les surréalistes voulaient concilier le « transformer le monde » de Marx et le « changer la vie » de Rimbaud. Mais le premier mène à conquérir la totalité du monde et le second à conquérir l’unité de la vie. Toute totalité, paradoxalement, est restrictive46.

Mais Camus fait le procès des révolutions qui ont été dévoyées, engendrant les pires fanatismes, les pires despotismes et totalitarismes. Sartre ne lui pardonnera pas d’avoir été à contre-courant de la vulgate marxiste.

Michel Onfray analyse, à la lumière de la réflexion de Nietzsche dont Camus dut un grand lecteur, l’opposition entre la « gauche dionysienne », incarnée par Camus, et la « gauche de ressentiment » représentée par Sartre et les Sartriens :

La gauche dionysienne « dit oui »et tourne radicalement le dos à la gauche de ressentiment qui dit « non ». La première se nourrit de la pulsion de vie, la seconde de la pulsion de mort.
Nietzsche s’oppose au socialisme de ressentiment : animé par l’envie de revanche, conduit par le désir de vengeance, ce socialisme-là s’installe du côté des passions tristes et de la pulsion de mort47.

La révolte se distingue non seulement de la révolution chez Camus mais également du nihilisme qui est pour lui la perversion de la révolte. L’exemple le plus frappant de « nihilisme radical » pour Camus est celui que prône André Breton, celui qu’on a appelé le « pape du surréalisme » :

[Le surréalisme] a osé dire aussi, et ceci est le mot que, depuis 1933, André Breton doit regretter, que l’acte surréaliste le plus simple consistait à descendre dans la rue revolver au poing et à tirer au hasard dans la foule. À qui refuse toute autre détermination que celle de l’individu et de son désir, toute primauté, sinon celle de l’inconscient, il revient en effet de se révolter en même temps contre la société et la raison48.

La pièce Les Justes, écrite en 1948, jouée en 1949, pose précisément la question du nihilisme. On connaît l’argument historique. En février 1905, à Moscou, un groupe de terroristes, appartenant au parti socialiste révolutionnaire, organise un attentat à la bombe contre le grand-duc Serge, oncle du tsar. Dans la pièce, Ivan Kaliayev (Serge Reggiani) chargé de lancer la bombe est tétanisé au moment de passer à l’acte lorsqu’il s’aperçoit de la présence de deux enfants (nièce et neveu du grand-duc) dans la calèche. Stepan, l’ancien bagnard, porteur d’un nihilisme moral, lui reproche ses hésitations. Dora (Maria Casarès) elle, lui donnera raison. QUELLES QUE SOIENT LES RAISONS IL YA DES LIMITES À NE PAS FRANCHIR. Le sens de la mesure sépare le juste (mesure) de l’assassin (démesure). Et cette limite, c’est que les innocents ne doivent pas payer pour le despote. Si meurtre il doit y avoir, il doit être ciblé, non aveugle. Préserver l’innocence des enfants. Bornage du politique par l’éthique. Sur la question de la violence, et partant du terrorisme, Camus a une attitude claire : « aucune cause ne justifie la mort de l’innocent49 ».

IV. La fascination pour les valeurs de la Grèce antique

1. L’appropriation des grands mythes grecs

Il est capital de s’interroger sur le recours aux mythes grecs dans la révolte camusienne. Dans une note de 1950 il se définit en tant que créateur de mythes : « Je ne suis pas un romancier au sens où on l’entend. Mais plutôt un artiste qui crée des mythes à la mesure de sa passion et de son angoisse50 ». Dans Le Mythe de Sisyphe s’exprime la conviction que « les mythes sont faits pour que l’imagination les anime51 », en accord avec Prométhée aux Enfers, texte publié en 1947 et repris dans L’Été : « Les mythes n’ont pas de vie en eux-mêmes. Ils attendent que nous les incarnions. Qu’un seul homme au monde réponde à leur appel et ils nous offrent leur sève intacte52. »

L’hellénisme de Camus est une composante essentielle de sa philosophie. Ses grandes idées en effet ne peuvent se comprendre sans sa foi profonde dans les valeurs de la Grèce antique : beauté, mesure, équilibre, qu’il ne cesse de revendiquer : « je me sens un cœur grec » répond-il au journaliste qui l’interroge en 194853. Dyonysisme hellénique, atticisme des Hellènes, innocence de l’homme, autant de concepts sous-tendus par l’amour grec de la vie qui affirme : « Tout mon royaume est de ce monde54 ».

Il faudrait se demander pourquoi Camus a recours aux mythes grecs dans les essais (et bibliques dans une moindre mesure dans les récits et nouvelles La Chute, L’Exil et le Royaume, La Femme adultère, Jonas, Le Premier Homme où il réinvente sa naissance comme une nativité laïque. La question reste à éclaircir). Quoi qu’il en soit, il a besoin de la distanciation que lui apporte le mythe et aussi de son universalité pour parler de son propre vécu. Une garantie en quelque sorte d’authenticité. Outre Le Mythe de Sisyphe dont il a déjà été question, il faut citer, dans le recueil L’Été, « Le Minotaure ou La Halte d’Oran ». Camus exècre cette ville de « provinciaux qui font le boulevard », où, journaliste à Paris Soir, il s’installe avec son épouse Francine, oranaise d’origine, à partir de février 1940, puis en 1941 :

Nulle possibilité de salut ne peut venir de cette ville minérale qui tourne le dos à la mer, s’enroule sur elle-même comme un escargot, et où l’on erre comme dans un labyrinthe […]. Oran est un grand mur circulaire et jaune, recouvert d’un ciel dur. Mais on tourne en rond dans des rues fauves et oppressantes, et, à la fin, le Minotaure dévore les Oranais : c’est l’ennui55.

Dans le même recueil, « L’Exil d’Hélène », avec pour dédicace : « À René Char, cette Hélène, passion commune, fraternellement. », est un hymne à la Méditerranée et à la Grèce, qui célèbre les noces du ciel et de la terre, de la beauté et de l’angoisse, de la lumière et des ombres, de silence et de la musique :

La Méditerranée a son tragique solaire qui n’est pas celui des brumes. Certains soirs sur la mer, au pied des montagnes, la nuit tombe sur la courbe parfaite d’une petite baie et des eaux silencieuses monte parfois une plénitude angoissée. On peut comprendre en ces lieux que si les Grecs ont touché au désespoir c’est toujours à travers la beauté et ce qu’elle a d’oppressant56.

Dans le droit fil de ces imprégnations grecques, il faut noter l’influence de Nietzsche (notamment Naissance de la tragédie pour l’opposition entre dionysiaque et apollinien) :» Je dois à Nietzsche une partie de ce que je suis57 », écrit Camus en 1954. Sans doute cet aveu concerne-t-il celui qui salua l’audace des néo-platoniciens, adeptes d’une « philosophie de la nature », mais qui fustigea aussi, sous toutes ses formes, l’illusion des arrières mondes : ce qui compte, c’est notre monde, en tant qu’il est joie, création et plénitude vitale, volonté de puissance. Mais c’est surtout du Nietzsche amoureux du Sud, que Camus se sent fraternellement proche. Stefan Zweig en parle admirablement dans le chapitre intitulé « Découverte du Sud » (Entdeckung des Südens) de l’essai58 dans lequel il évoque Nietzsche en 1925. Ce chapitre a pour épigraphe : « Nous avons besoin du Sud à tout prix, d’accents limpides, innocents, joyeux, heureux et délicats59. (Wir haben Süden um jeden Preis/helle, harmlose, muntere, glückliche/ und zärtliche Töne nötig.) ». Zweig y fait de la découverte du Sud le tournant décisif dans la vie, la pensée et l’écriture de Nietzsche, qui « l’aide à se dégermaniser définitivement ».

2. Le mythe de Némésis et la pensée de midi

Après Sisyphe, Prométhée, Hélène, il nous reste à convoquer un dernier nom que Camus emprunte à la mythologie grecque, Némésis, en laquelle va s’incarner la « pensée de midi » ou le juste milieu. La réinterprétation camusienne de la figure de Némésis, « fléau des hommes mortels », fille de « Nuit la pernicieuse » dans la Théogonie d’Hésiode60, n’est pas moins radicale que celle de Sisyphe. Et elle est faite en toute connaissance de cause comme le souligne un passage de l’« Exhortation aux médecins de la peste » que Camus n’a pas retenue dans la version définitive du roman mais qui fait partie des « Archives de La Peste » publiées dans les Cahiers de la Pléiade en 1947 : « D’une façon générale, observez la mesure qui est la première ennemie de la peste et la règle naturelle de l’homme. Némésis n’était point, comme on vous l’a dit dans les écoles, la déesse de la vengeance, mais celle de la mesure61 ». Camus n’oublie pas pour autant que Némésis est sœur des Érinyes comme le rappelle l’ouverture de « L’Exil d’Hélène » :

La pensée grecque s’est toujours retranchée sur l’idée de limite. Elle n’a rien poussé à bout, ni le sacré ni la raison, parce qu’elle n’a rien nié, ni le sacré ni la raison. Elle a fait la part de tout, équilibrant l’ombre par la lumière. Note Europe, au contraire, lancée à la conquête de la totalité, est fille de la démesure. Elle nie la beauté comme elle nie tout ce qu’elle n’exalte pas. Et, quoique diversement, elle n’exalte qu’une seule chose, qui est l’empire futur de la raison. Elle recule dans sa folie les limites éternelles et, à l’instant, d’obscures Érinyes s’abattent sur elle et la déchirent. Némésis veille, déesse de la mesure, non de la vengeance. Tous ceux qui dépassent la limite sont, par elle, impitoyablement châtiés62.

La révolte de Camus s’éclaire d’un jour nouveau. Ce couple antinomique, mesure et démesure, est au centre de la conception de la révolte chez Camus. La révolte doit respecter la mesure, contrairement à la révolution qui crée historiquement des fanatiques et tyrans et, de ce fait, verse dans la démesure. L’attentat est de l’ordre de l’hybris, crime moral qui s’en prend à l’innocence des enfants. La mesure n’est pas la modération, comme on pourrait le croire, mais» pure tension63 ».

Toutes les images méditerranéennes chez Camus se développent autour de cette « pensée de midi », dans le sillage de Nietzsche qui eut cette formule après avoir entendu la Carmen de Bizet, et dans l’amitié fraternelle de René Char. Comme le rappelle Thierry Fabre64, la première occurrence du syntagme « pensée de midi », en 1948, se trouve dans « L’Exil d’Hélène », dédié à Char65, qui en est pour Camus l’incarnation, comme il l’affirme dans une conférence radiophonique de la même année :

Il est nouveau comme la Grèce, terre fidèle, comme ces présocratiques dont il revendique l’optimisme tragique. Seul vivant parmi des survivants, il reprend à nouveaux frais, la dure et rare tradition de la pensée de midi. Char est né dans cette lumière de vérité. Et il est profondément significatif que les paroles de guérison nous viennent de cette Provence hautaine et tendre, funèbre et déchirante dans ses soirs, jeune comme le monde dans ses matins et qui garde, patiemment, comme tous les pays de la Méditerranée, les fontaines de vie où l’Europe épuisée et honteuse reviendra un jour s’abreuver66.

La pensée de midi conjugue les hasards de la naissance de Camus dans l’alliance du soleil et de la mer et ses choix philosophiques, à la recherche de l’harmonie des extrêmes ou des contraires. Par exemple, le soleil est nécessaire à la terre mais sans excès, sinon il ouvre à la brûlure irrémédiable de L’Étranger.

Mais à ce sens symbolique et allégorique, se greffe un sens littéral qui est au cœur même de l’esthétique solaire de Camus. Le zénith est bien ce moment privilégié où la lumière s’immobilise, » une limite dans le soleil » :

La pensée de Midi pourrait marquer au mitan de la journée l’arrêt du soleil au zénith et désigner cet instant d’équilibre parfait où le jour et la nuit font jeu égal. C’est aussi cela la pensée méditerranéenne de Camus, suspendue entre le oui et le non, retenue entre l’envers et l’endroit, au point d’équilibre entre l’exil et le royaume67.

La notion de mesure est particulièrement importante à l’heure des bilans, en 1948, au sortir de la guerre. Car si la mesure est l’apanage de l’hellénisme, et donc du monde méditerranéen, la démesure hélas aura été celui de l’Europe, avec ses monstrueux totalitarismes :

La pensée autoritaire, à la faveur de trois guerres et grâce à la destruction physique d’une élite de révoltés, a submergé cette tradition libertaire. Mais cette pauvre victoire est provisoire, le combat dure toujours. L’Europe n’a jamais été que dans cette lutte entre midi et minuit. Elle ne s’est dégradée qu’en désertant cette lutte, en éclipsant le jour par la nuit. La destruction de cet équilibre donne aujourd’hui ses plus beaux fruits. Privés de nos médiations, exilés de la beauté naturelle, nous sommes à nouveau dans le monde de l’Ancien Testament, coincés entre des Pharaons cruels et un ciel implacable. […]
Jetés dans l’ignoble Europe où meurt privée de beauté et d’amitié, la plus orgueilleuse des races, nous autres méditerranéens vivons toujours de la même lumière. Au cœur de la nuit européenne, la pensée solaire, la civilisation au double visage, attend son aurore. Mais elle éclaire déjà les chemins de la vraie maîtrise68.

V. La célébration lyrique de la révolte

La révolte camusienne, et c’est l’apport sans doute le plus original de Camus à la notion, n’aurait aucun sens si elle n’était liée avec la beauté, avec le lyrisme. Pour Camus, selon Agnès Spiquel, « il faut chanter la beauté et se révolter69 ». Et surtout : la révolte devient inhumaine si elle ne va pas de pair avec la célébration lyrique par essence, de la beauté : « Le lyrisme est du côté du oui, mais sans lui le non devient nihilisme70 ».

Admirer la beauté du monde. Tel est le devoir de l’homme. Sans doute l’influence de Plotin (205-270 ap. J.-C.), penseur de la beauté, a-t-elle été décisive pour l’auteur de Noces, paru en 1939. Camus, dont le diplôme d’études supérieures s’intitule Métaphysique chrétienne et néoplatonisme, ne peut qu’être séduit par la mystique plotinienne. Rappelons que Plotin est le fondateur du néo-platonisme qui concilie la philosophie de Platon et plusieurs éléments de la spiritualité orientale. L’Âme, entre autres hypostases ou principes divins, pour Plotin, est la médiation entre l’Intelligence dont elle procède et le monde sensible qui en émane. Elle est une parcelle de cette Âme engendrée par l’Intelligence contemplant l’Un. On atteint Dieu par l’élévation spirituelle de la pensée, par l’extase mystique :

Ce sentiment si nuancé et si plein de la divinité : cette exquise mélancolie de certains textes plotiniens nous mènent au cœur de la pensée de leur auteur. « Souvent je m’éveille à moi-même en sortant de mon corps71… » Méditation de solitaire, amoureux du monde dans la mesure où il n’est qu’un cristal où se joue la divinité, pensée toute pénétrée des rythmes silencieux des astres mais inquiète du Dieu qui les ordonne, Plotin pense en artiste et sent en philosophe, selon une raison toute pénétrée de lumière et devant un monde où l’intelligence respire72.

Le vrai lyrisme est dans la beauté du monde. Il faut vivre, ici et maintenant, pour que se déploie le lyrisme, qui se manifeste pour Camus comme conséquence de l’absurde :

À ce moment, l’absurde, à la fois si évident et si difficile à conquérir, rentre dans la vie d’un homme et retrouve sa patrie. À ce moment encore, l’esprit peut quitter la route aride et desséchée de l’effort lucide. Elle débouche maintenant dans la vie quotidienne. Elle retrouve le monde de l’« on » anonyme, mais l’homme y rentre désormais avec sa révolte et sa clairvoyance. Il a désappris d’espérer. Cet enfer du présent, c’est enfin son royaume. Tous les problèmes reprennent leur tranchant. L’évidence abstraite se retire devant le lyrisme des formes et des couleurs73.

Les noces du ciel et de la terre célèbrent la fête des sens, couleurs, lumière, odeurs, atteignant à une jouissance quasi cosmique. L’univers entier est convoqué dans ce chant splendidement jubilatoire. Il faut rappeler à quel point le sud, la Méditerranée de Camus a un rapport, lyrique, géographique et mental, avec les commencements, l’innocence du premier homme. Et tout naturellement c’est l’image de l’Éden qui s’impose : Lourmarin où il s’installera en 1958, pour mourir non loin deux ans après.

Une matinée liquide se leva, éblouissante sur la mer pure. Du ciel, frais comme un œil, lavé et relavé par les eaux, réduit par ces lessives successives, à sa trame la plus fine et la plus claire, descendait une lumière vibrante qui donnait à chaque maison, à chaque arbre, un dessin semblable, une nouveauté émerveillée. La terre, au matin du monde, a dû surgir dans une lumière semblable74.

Si Camus récuse toute transcendance, la sensualité pénétrée d’érotisme qui imprègne ses textes n’est sans doute pas loin de porter en soi certains élans mystiques :

Au printemps, Tipasa est habitée par les dieux et les dieux parlent dans le soleil et l’odeur des absinthes, la mer cuirassée d’argent, le ciel bleu écru, les ruines couvertes de fleurs et la lumière à gros bouillons dans les amas de pierres. À certaines heures, la campagne est noire de soleil. Les yeux tentent vainement de saisir autre chose que des gouttes de lumière et de couleurs qui tremblent au bord des cils. L’odeur volumineuse des plantes aromatiques racle la gorge et suffoque dans la chaleur énorme. À peine, au fond du paysage, puis-je voir la masse noire du Chenoua qui prend racine dans les collines autour du village, et s’ébranle d’un rythme sûr et pesant pour aller s’accroupir dans la mer75.

Le monde chante secrètement selon le rythme que peut percevoir celui qui s’ouvre à lui dans une « tendre indifférence76 ».Une fois encore il faut noter ce couple antithétique, auquel font écho « tragique solaire77 », « plénitude angoissée78 », « mort heureuse79 », « culpabilité raisonnable80 » mais aussi la « sérénité crispée81 » de René Char.

Mais la fusion heureuse avec le monde entre le oui et non, l’envers et l’endroit, entre l’exil et le royaume, l’atticisme et le christianisme, le dyonysisme et l’apollinien est refusée au nom de la lucidité, telle que l’entend Char : « la lucidité est la blessure la plus rapprochée du soleil82 », Char lui-même pénétré de l’influence des présocratiques et d’Héraclite en particulier. Opposition dynamique des contraires. Il s’agit de ne pas choisir entre les contraires mais de se maintenir sur la ligne de crête : « Au sommet de la plus haute tension, va jaillir l’élan d’une droite flèche ; du trait le plus dur et le plus libre83 », tels sont les derniers mots de L’Homme révolté.

Le lyrisme de Camus dit la tension, le balancement entre les antinomies qui ne doivent pas se résorber. Le doute contre la certitude. C’est ce qui le rend si attachant. Émotion et lucidité qui ne vont pas sans souffrance.

Pour Camus, c’est ce monde méditerranéen qui a toujours donné sens à sa vie et que les intellectuels parisiens ont qualifié de sauvage, d’archaïque, et de barbare. Innocence du monde grec et méditerranéen. Mais Camus ne cessera de revendiquer : « [son] heureuse barbarie », et parodiant la phrase de Térence, il écrira : « Rien de ce qui est barbare ne peut nous être étranger84 ».

Conclusion : Une vie de combats

Sa vie a été un combat sur tous les fronts contre l’injustice, les humiliations dont sont victimes les plus faibles et les plus pauvres, contre la barbarie. Il a sans cesse défendu les droits des humbles, des réprouvés, des exclus, il a même ouvert un théâtre aux personnes les plus défavorisées, il a enseigné aux enfants juifs privés d’école pendant la guerre parce que juifs, il en a caché quelques-uns à Chambon-sur-Lignon, il est allé au secours des exilés espagnols antifascistes, il a condamné les totalitarismes (dans La Peste il renvoie dos à dos les fascismes bruns européens de Mussolini, d’Hitler et de Franco mais aussi les fascismes rouges des pays de l’Est comme la Hongrie), il a combattu la peine de mort, à travers ses positions théoriques et aussi dans son œuvre, un principe pour lui infaillible. Je citerai Réflexions sur la guillotine suivi d’un collectif Réflexions sur la peine de mort en 1957, La Peste, L’Étranger, Le Premier Homme85 enfin qui révèle comment le souvenir du père assistant à une exécution capitale qui le révulse « donne une leçon cardinale à partir de laquelle se structure la droiture impeccable de l’homme et du penseur86 ». Pour lui, dans le sillage de Victor Hugo, la peine de mort, outre sa cruauté, est marquée du sceau de l’inutilité et de l’hypocrisie. Quel effet attendre d’une loi qui punit mais ne prévient pas ? Il répugne à la violence qui fait commettre meurtres et attentats mais condamne l’État homicide qui en croyant faire un exemple ne peut que démultiplier la violence. Et parfois engendrer des martyrs. Il demandera ainsi la grâce de Brasillach par principe, bien que l’homme soit antisémite et pronazi. Ou encore de Rebatet. Autres positions qui manifestent une position courageuse : il a refusé de siéger à l’Unesco qui abrita un représentant de l’Espagne franquiste, défendu des objecteurs de conscience, il a été le seul intellectuel occidental à avoir dénoncé l’usage de la bombe atomique deux jours après le bombardement d’Hiroshima et de Nagasaki dans un éditorial resté célèbre à Combat (58 numéros entre 41 et 44, mouvement uni de Résistance et de Libération nationale, réseau de résistance. Refus de la violence ? Nourri de pacifisme dans l’entre-deux guerres, il rejoindra la Résistance sans prendre les armes.

Combat, le maître mot qui à lui seul résume le courage de Camus, et celui de la lucidité sans complaisance, celui de refuser de se couler dans le moule de l’indifférence, celui de résister sur tous les fronts. Et aussi d’être souvent à contre-courant du « politiquement correct », et même ambigu au nom d’une loyauté d’une honnêteté inébranlable. Refusant les diktats des partis. Souvent entre deux feux. À contre-courant de la pensée admise. C’est à n’en pas douter, un homme torturé, écartelé entre doute et certitude, entre passion et devoir. De ces contradictions, Maria Casarès, qui a rencontré Camus en 1944, et vécut avec lui un amour passionné, a écrit dans un livre de souvenirs. Et c’est à elle que je laisserai le dernier mot :

J’ai aimé et j’aime Camus parce que, pris dans ses contradictions qu’il était le premier à dénoncer, même dans les moments de diversion sans lesquels aucun homme ne peut subsister, il a employé toute son attention à ne jamais se laisser distraire de cette veine vive qu’il suivait à même la surface de la pierre sans jamais s’en détourner, au risque même parfois de « sembler » perdre de vue, la ligne même à laquelle il s’attachait pour rester fidèle à sa passion de justice et de vérité87.

 

Notes de bas de page numériques

1 André Comte-Sponville, Le miel et l’absinthe : poésie et philosophie chez Lucrèce, Paris, Hermann, 2008, rééd. Le Livre de Poche, 2010.

2 André Comte-Sponville, Petit traité des grandes vertus, Paris, P.U.F., 1995, p. 295. Voir aussi « Morale ou éthique », Lettre internationale, n° 13, 1991, repris dans Valeur et vérité : études cyniques, Paris, P.U.F., 1994, p. 183-205 et, pour une analyse critique, l’article de Charles Larmore, « L’éthique matérialiste d’André Comte-Sponville », Revue Internationale de Philosophie, 258, 2011, p. 37-55, ainsi que la réponse d’André Comte-Sponville, ibid., p. 110-122.

3 Albert Camus, préface à la réédition de L’Envers et l’endroit, Œuvres complètes, I, 1931-1944, sous la direction de Jacqueline Lévi-Valensi, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 2006, p. 112. Toutes les références ultérieures renvoient à cette édition, dont le troisième volume (1949-1956) et le quatrième (1957-1959) ont été dirigés par Raymond Gay-Crosier et publiés en 2008.

4 Albert Camus, « Entre oui et non », L’Envers et l’endroit, Œuvres complètes, I, p. 49. Dans la première version du recueil, écrite en 1934 et intitulée Les voix du quartier pauvre, la première section a pour titre « La voix de la femme qui ne pensait pas ». Pour une lecture éclairante de ce passage à la lumière des considérations d’André Green sur « le complexe de la mère morte » (« La mère morte », Narcissisme de vie, narcissisme de mort, Paris, Éd. de Minuit, 1983, p. 222-223), voir Géraldine F. Montgomery, Noces pour une femme seule : le féminin et le sacré dans l’œuvre d’Albert Camus, Amsterdam-New York, Rodopi, 2004, p. 195-196.

5 Voir http://toutelaculture.com/livres/albert-camus-et-le-foot-ce-que-je-sais-de-la-morale-cest-au-football-que-je-le-dois/

6 Albert Camus, Présentation de la revue Rivages (Revue de culture méditerranéenne), 1938, Œuvres complètes, I, p. 869.

7 Voir Jean Sarocchi, « Les Nourritures terrestres, par Albert Camus », Retour aux Nourritures terrestres : actes du colloque de Sheffield, 20-22 mars 1997, éd. David H. Walker et Catharine S. Brosman, Amsterdam, Rodopi, 1997, p. 107-121.

8 Albert Camus, Notes de lecture (avril 1933), Œuvres complètes, I, p. 959.

9 Louis Faucon, Commentaires de Noces, dans Albert Camus, Essais, éd. R. Quillot et L. Faucon, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1981, p. 1933. L’éditrice de Noces dans la nouvelle édition de La Pléiade, Zedjiga Abdelkrim, considère ce lien de filiation comme très probable (Œuvres complètes, I, p. 1229).

10 Matthieu, XXII, 1-14, cité par Jean Grenier, Cum apparuerit, Lyon, Audin, 1930, repris sous le titre « L’initiation à la Provence dans Inspirations méditerranéennes », Paris, Gallimard, 1941, rééd., 1998, p. 81.

11 Michel Onfray, L’Ordre libertaire. La vie philosophique d’Albert Camus, Paris, Flammarion, 2012, rééd. J’ai lu, p. 44.

12 Albert Camus, « Noces à Tipasa », Noces [1939], Œuvres complètes, I, p. 110.

13 Albert Camus, « Noces à Tipasa », Noces, Œuvres complètes, I, p. 107.

14 Albert Camus, Le Premier homme, Œuvres complètes, IV, p. 823-824.

15 Albert Camus, Lettre à Louis Germain du 19 novembre 1957. Cette lettre figure parmi les documents joints à la première édition du Premier Homme par Catherine Camus, Paris, Gallimard, 1994, p. 371-372. Elle n’a pas été reprise dans l’édition des Œuvres complètes de La Pléiade. Elle figurait, en revanche, dans les commentaires de Roger Quilliot sur le Discours de Suède (Essais, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1981, p. 1894).

16 Albert Camus, Le Premier homme, Œuvres complètes, IV, p. 848.

17 Albert Camus, note du dossier du Premier Homme, Œuvres complètes, IV, p. 959.

18 Albert Camus, « Misère de la Kabylie » [1939], Actuelles III [1958], Œuvres complètes, IV, p. 311.

19 Jean-Paul Sartre, « Réponse à Albert Camus », Les Temps modernes, n° 82, août 1952, repris dans Situations IV, Paris, Gallimard, 1964, p. 93. Ce texte, constamment méprisant, est la réponse cinglante de Sartre à la lettre que Camus lui a adressée en tant que directeur des Temps modernes après la publication dans cette revue d’un compte rendu très négatif de L’Homme révolté par F. Jeanson. Sur l’« autoportrait » que Sartre « propose sans s’en douter » dans ce texte, voir Michel Onfray, L’Ordre libertaire, p. 434.

20 lien http://www.lemonde.fr/afrique/article/2012/03/18/les-devoirs-du-journaliste-selon-albert-camus_1669779_3212.html

21 Albert Camus, « Misère de la Kabylie » [1939], Actuelles III [1958], Œuvres complètes, IV, p. 319.

22 Albert Camus, « Misère de la Kabylie » [1939], Actuelles III [1958], Œuvres complètes, IV, p. 310.

23 Albert Camus, Le Mythe de Sisyphe, Œuvres complètes, I, p. 228.

24 Albert Camus, Le Mythe de Sisyphe, Œuvres complètes, I, p. 230.

25 Albert Camus, Le Mythe de Sisyphe, Œuvres complètes, I, p. 238.

26 Albert Camus, Le Mythe de Sisyphe, Œuvres complètes, I, p. 257.

27 Albert Camus, Le Mythe de Sisyphe, Œuvres complètes, I, p. 302.

28 Albert Camus, Le Mythe de Sisyphe, Œuvres complètes, I, p. 282.

29 Albert Camus, Le Mythe de Sisyphe, Œuvres complètes, I, p. 255.

30 Albert Camus, Le Mythe de Sisyphe, Œuvres complètes, I, p. 259.

31 Albert Camus, Le Mythe de Sisyphe, Œuvres complètes, I, p. 260.

32 Albert Camus, Le Mythe de Sisyphe, Œuvres complètes, I, p. 304.

33 C’est l’hypothèse avancée par Daniel Charles, « Camus et l’Orient (notes sur Le Mythe de Sisyphe) », Albert Camus et la philosophie, éd. Anne-Marie Amiot et Jean-François Mattéi, Paris, P.U.F., 1997, p. 255-256. Elle devient une certitude sous la plume de Jean-François Mattéi, Citations de Camus expliquées, Paris, Eyrolles, 2013, p. 73.

34 Shuzo Kuki, Propos sur le temps, deux communications faites à Pontigny pendant la décade 8-18 août 1928, Paris, P. Renouard, 1928, p. 26-27. Parmi les autres intervenants de cette décade figuraient Alexandre Koyré, Vladimir Jankélévitch et Raymond Aron. Pour une contextualisation précise, voir Simon Ebersolt, « Le Japon et la philosophie française du milieu du XIXe au milieu du XXe siècle », Revue philosophique de la France et de l’étranger, 137, 2012/3, p. 371-383.

35 Albert Camus, Le Mythe de Sisyphe, Œuvres complètes, I, p. 261.

36 Albert Camus, Le Mythe de Sisyphe, Œuvres complètes, I, p. 257.

37 Albert Camus, « Amour de vivre », L’Envers et l’endroit, Œuvres complètes, I, p. 67.

38 Albert Camus, Le Mythe de Sisyphe, Œuvres complètes, I, p. 263.

39 Albert Camus, Le Mythe de Sisyphe, Œuvres complètes, I, p. 247.

40 Albert Camus, Le Mythe de Sisyphe, Œuvres complètes, I, p. 241.

41 Albert Camus, Le Mythe de Sisyphe, Œuvres complètes, I, p. 251.

42 Albert Camus, Le Mythe de Sisyphe, Œuvres complètes, I, p. 250.

43 Albert Camus, Le Mythe de Sisyphe, Œuvres complètes, I, p. 252.

44 Albert Camus, Le Mythe de Sisyphe, Œuvres complètes, I, p. 262.

45 Albert Camus, L’Homme révolté, Œuvres complètes, III, p. 70.

46 Albert Camus, L’Homme révolté, Œuvres complètes, III, p. 143.

47 Michel Onfray, L’Ordre libertaire, p. 193-194.

48 Albert Camus, L’Homme révolté, Œuvres complètes, III, p. 140.

49 Albert Camus, « Appel pour une trêve civile en Algérie », conférence prononcée à Alger le 22 janvier 1956, repris dans Actuelles III : Chroniques algériennes (1939-1958), Œuvres complètes, IV, p. 374.

50 Albert Camus, Carnets II, Cahier VI (février 1949-mars 1951), Œuvres complètes, IV, p. 1090-1091.

51 Albert Camus, Le Mythe de Sisyphe, Œuvres complètes, I, p. 302.

52 Albert Camus, « Prométhée aux Enfers », L’Été, Œuvres complètes, III, p. 591.

53 Interview d’Albert Camus par Émile Simon, Revue du Caire, 1948, repris dans Actuelles I, Œuvres complètes, II, p. 476.

54 Albert Camus, L’Envers et l’endroit, Œuvres complètes, I, p. 71.

55 Albert Camus, « Le Minotaure ou La Halte d’Oran » [1946], L’Été, Œuvres complètes, III, p. 573.

56 Albert Camus, « L’Exil d’Hélène » [1948], L’Été, Œuvres complètes, III, p. 597.

57 Albert Camus, préface au livre de Konrad Bieber, L’Allemagne vue par les écrivains de la Résistance, Genève, Droz, 1954, Œuvres complètes, III, p. 937.

58 Stefan Zweig, Der Kampf mit dem Dämon : Hölderlin, Kleist, Nietzsche, Leipzig, Insel-Verlag, 1925. Le volume devient le deuxième tome de l’ensemble Die Baumeister der Welt, Versuch einer Typologie des Geistes, publié en 1936, le premier, Drei Meister, regroupant trois essais sur Balzac, Dickens et Dostoïevski tandis que le troisième, Drei Dichter ihres Lebens, associe Casanova, Stendhal et Tolstoï. C’est donc dans la perspective de cette « typologie de l’esprit » chère à Zweig et qui n’est pas étrangère à Camus qu’il faut comprendre cette célébration du Sud.

59 Stefan Zweig, Le Combat avec le démon : Hölderlin, Nietzsche, Kleist, traduit de l’allemand par Alzir Hella [Paris, Stock, 1928 pour l’essai sur Hölderlin, 1930 pour celui sur Nietzsche et 1937 pour l’ensemble incluant l’essai sur Kleist], rééd. Belfond, Librairie générale française, 1994, p. 300.

60 Hésiode, Théogonie, v. 223-224, trad. Paul Mazon [1928], Paris, Les Belles Lettres, C.U.F., 1981, p. 40.

61 Albert Camus, « Les Archives de La Peste », Œuvres complètes, II, p. 283.

62 « L’Exil d’Hélène » [1948], L’Été, Œuvres complètes, III, p. 597.

63 Albert Camus, L’Homme révolté, Œuvres complètes, III, p. 319.

64 Thierry Fabre, « Camus et la pensée de midi », La pensée de midi, 31, 2012/2, p. 113-116.

65 Voir la dédicace citée supra.

66 Albert Camus, « Ce soir le rideau se lève sur… R. Char », Œuvres complètes, II, p. 764-765.

67 Jean-Pierre Ivaldi, « L’Exil et le Royaume », Albert Camus et la pensée de Midi, éd. Jean-François Mattéi, Nice, Éditions Ovadia, 2008, p. 43.

68 Albert Camus, « La pensée de midi », L’Homme révolté, Œuvres complètes, III, p. 319.

69 Agnès Spiquel, article « Lyrisme » du Dictionnaire Albert Camus, éd. Jeanyves Guérin, Paris, Robert Laffont, « Bouquins », 2009.

70 Agnès Spiquel, article « Lyrisme » du Dictionnaire Albert Camus.

71 Plotin, Ennéades, IV, 8, 1, trad. Émile Bréhier, Paris, Les Belles Lettres, 1925 : « Souvent, lorsque je m’éveille à moi-même en sortant de mon corps et qu’à l’écart des autres choses, je rentre en moi je vois une beauté d’une force admirable, et j’ai alors la pleine assurance que c’est là un sort supérieur à tout autre : je mène la meilleure des vies, devenu identique au divin, installé en lui, parvenu à cette activité supérieure en m’étant établi au-dessus de tout le reste de l’intelligible ».

72 Albert Camus, Métaphysique chrétienne et néoplatonisme, diplôme d’études supérieures sous la direction de René Poirier, professeur à la Sorbonne, 1936, Œuvres complètes, I, p. 1055.

73 Albert Camus, Le Mythe de Sisyphe, Œuvres complètes, I, p. 255.

74 Albert Camus, « Retour à Tipasa », L’Été, Œuvres complètes, III, p. 611.

75 Albert Camus, « Noces à Tipasa », Noces, Œuvres complètes, I, p. 105.

76 Albert Camus, L’Étranger, Œuvres complètes, I, p. 213.

77 Albert Camus, « L’Exil d’Hélène », L’Été, Œuvres complètes, III, p. 597.

78 Albert Camus, « L’Exil d’Hélène », L’Été, Œuvres complètes, III, p. 597.

79 Albert Camus, La Mort heureuse [premier roman de Camus écrit entre 1936 et 1938, publication posthume en 1971], Œuvres complètes, I, p. 1103-1196.

80 Albert Camus, L’Homme révolté, Œuvres complètes, III, p. 350.

81 René Char, À une sérénité crispée, Paris, Gallimard, 1951.

82 René Char, « Feuillets d’Hypnos », 1943-1944, Fureur et mystère, Œuvres complètes, éd. Jean Roudaut, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1983, p. 216.

83 Albert Camus, L’Homme révolté, Œuvres complètes, III, p. 324.

84 Albert Camus, Présentation de la revue Rivages (Revue de culture méditerranéenne), 1938, Œuvres complètes, I, p. 870.

85 Albert Camus, Le Premier homme, Œuvres complètes, IV, p. 789.

86 Michel Onfray, L’Ordre libertaire, p. 43.

87 Maria Casarès, Résidente privilégiée, Paris, Fayard, 1980, p. 3.

Bibliographie

Textes

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Camus Albert, Œuvres complètes, I, 1931-1944, sous la direction de Jacqueline Lévi-Valensi, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 2006

Camus Albert, Œuvres complètes, II, 1944-1948, sous la direction de Jacqueline Lévi-Valensi, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade »,2006

Camus Albert, Œuvres complètes, III, 1949-1956, sous la direction de Raymond Gay-Crosier, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 2008

Camus Albert, Œuvres complètes, IV, 1957-1959, sous la direction de Raymond Gay-Crosier, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 2008

Casarès Maria, Résidente privilégiée, Paris, Fayard, 1980

Char René, Œuvres complètes, éd. Jean Roudaut, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1983

Grenier Jean, Inspirations méditerranéennes, Paris, Gallimard, 1941, rééd., 1998.

Kuki Shuzo, Propos sur le temps, deux communications faites à Pontigny pendant la décade 8-18 août 1928, Paris, P. Renouard, 1928

Plotin, Ennéades, trad. Émile Bréhier, Paris, Les Belles Lettres, 1925

Sartre Jean-Paul, « Réponse à Albert Camus », Les Temps modernes, n° 82, août 1952, repris dans Situations IV, Paris, Gallimard, 1964

Zweig Stefan, Der Kampf mit dem Dämon : Hölderlin, Kleist, Nietzsche, Leipzig, Insel-Verlag, 1925

Zweig Stefan, Le Combat avec le démon : Hölderlin, Nietzsche, Kleist, traduit de l’allemand par Alzir Hella [Paris, Stock, 1928 pour l’essai sur Hölderlin, 1930 pour celui sur Nietzsche et 1937 pour l’ensemble incluant l’essai sur Kleist], rééd. Belfond, Librairie générale française, 1994

Études critiques

Charles Daniel, « Camus et l’Orient (notes sur Le Mythe de Sisyphe) », Albert Camus et la philosophie, éd. Anne-Marie Amiot et Jean-François Mattéi, Paris, P.U.F., 1997, p. 241-256

Comte-Sponville André, « Morale ou éthique », Lettre internationale, n° 13, 1991, repris dans Valeur et vérité : études cyniques, Paris, P.U.F., 1994, p. 183-205

Comte-Sponville André, Petit traité des grandes vertus, Paris, P.U.F., 1995

Ebersolt Simon, « Le Japon et la philosophie française du milieu du XIXe au milieu du XXe siècle », Revue philosophique de la France et de l’étranger, 137, 2012/3, p. 371-383

Fabre Thierry, « Camus et la pensée de midi », La pensée de midi, 31, 2012/2, p. 113-116

Ivaldi Jean-Pierre, « L’Exil et le Royaume », Albert Camus et la pensée de Midi, éd. Jean-François Mattéi, Nice, Éditions Ovadia, 2008, p. 17-58

Larmore Charles, « L’éthique matérialiste d’André Comte-Sponville », Revue Internationale de Philosophie, 258, 2011, p. 37-55

Mattéi Jean-François, Citations de Camus expliquées, Paris, Eyrolles, 2013

Montgomery Géraldine F., Noces pour une femme seule : le féminin et le sacré dans l’œuvre d’Albert Camus, Amsterdam-New York, Rodopi, 2004

Onfray Michel, L’Ordre libertaire. La vie philosophique d’Albert Camus, Paris, Flammarion, rééd. J’ai lu, 2012

Sarocchi Jean, « Les Nourritures terrestres, par Albert Camus », Retour aux Nourritures terrestres : actes du colloque de Sheffield, 20-22 mars 1997, éd. David H. Walker et Catharine S. Brosman, Amsterdam, Rodopi, 1997, p. 107-121

Spiquel Agnès, article « Lyrisme » du Dictionnaire Albert Camus, éd. Jeanyves Guérin, Paris, Robert Laffont, « Bouquins », 2009

Pour citer cet article

Colette Guedj, « L’humanisme solaire de Camus : une éthique du courage et de la lucidité », paru dans Loxias-Colloques, 4. Camus: "un temps pour témoigner de vivre" (séminaire), L’humanisme solaire de Camus : une éthique du courage et de la lucidité, mis en ligne le 05 septembre 2014, URL : http://revel.unice.fr/symposia/actel/index.html?id=684.

Auteurs

Colette Guedj

Colette Guedj est professeur émérite de l’Université Nice Sophia Antipolis et membre du CTEL. Elle a dirigé durant plusieurs années la revue Les Mots La Vie, consacrée à Eluard et au surréalisme. Elle a publié une centaine d’articles sur la poésie moderne et contemporaine et sur les rapports entre les arts. Elle est l’auteur de plusieurs ouvrages publiés chez Jean Claude Lattès : Le Baiser papillon en 1999 (puis Pocket en 2000), Ces mots qui nous consolent en 2002, Le Journal de Myriam Bloch en 2004, L’Heure exquise en 2005, ainsi qu’une anthologie « Tu es le grand soleil qui me monte à la tête », poèmes d’amour en 2007. Et chez Ovadia, Nice, Le Perce oreille, 2010 et La femme au poignet tatoué, 2013.