Loxias-Colloques |  5. L’expérience féminine dans l’écriture littéraire | II. Une vision particulière 

Olimpia Gargano  : 

Sur les traces de Lady Montagu. Femmes ottomanes du XXe siècle dans les récits de voyage de Demetra Vaka et Noëlle Roger

Résumé

Cette contribution porte sur la représentation féminine, tant concernant la manière dont la femme est représentée, que les traits éventuellement « genrés » du discours narratif. Les auteurs abordés sont l’écrivaine et journaliste gréco-américaine Demetra Vaka Brown (1877-1946) qui voyagea en Albanie en compagnie de son frère, envoyé en mission politique pour le compte du gouvernement turc, et la romancière suisse Noëlle Roger (1874-1953), qui parcourut l’Europe balkanique et ottomane à la suite de son mari, l’anthropologue Eugène Pittard. Les œuvres rédigées par des femmes voyageant avec leurs maris, frères, ou d’autres hommes de famille sont assez répandues dans la littérature des derniers siècles ; à une époque où il était encore rare que des femmes partissent à l’étranger de leur propre initiative, ces « voyages à la suite de » étaient pour beaucoup d’entre elles l’occasion de franchir le seuil entre l’écriture « privée », à savoir limitée à la rédaction de lettres, que les femmes ont écrites depuis toujours, et l’écriture destinée à la publication, ce qui – depuis toujours – était pratiquement l’apanage des hommes.

Abstract

This contribution focuses on female representation, regarding either the ways women are represented, as the lines possibly gendered of the narrative discourse. The authors discussed are the writer and Greek-American journalist Demetra Vaka Brown (1877-1946), who travelled in Albania with his brother, sent on political mission on behalf of the Turkish government, and the Swiss novelist Noëlle Roger (1874-1953), who toured the Balkans and Ottoman Europe because of the anthropological research of her husband, Eugene Pittard. Travel books written by women journeying with their husbands, brothers or other relatives are quite common in the literature of the last centuries. In a time when it was still rare that women went abroad on their own initiative, these trips were for many of them the opportunity to cross the threshold between « private » writing (namely limited to writing letters, which women have always been doing) and publishing books, which – since forever – has always been a male prerogative.

Index

Mots-clés : Demetra Vaka Brown , études de genre, littérature de harem, littérature de voyage, Noëlle Roger

Keywords : Demetra Vaka Brown , gender studies, Harem Literature, Noëlle Roger, travel literature

Géographique : Albanie , Turquie ottomane

Chronologique : XIXe siècle , XXe siècle

Plan

Texte intégral

J’avais lu des livres et des livres sur les pays que nous allions traverser, et ils m’avaient parlé de l’histoire, des hommes, des querelles politiques et des possibilités commerciales : des femmes, aucun livre n’en parlait. Comment elles étaient, ces femmes qui habitaient dans ce pays de vendettas et de meurtres incessants ? Étaient-elles cultivées ? Étaient-elles ignorantes au point d’être abruties, ou bien étaient-elles sauvages ?1

Demetra Vaka, The Heart of the Balkans, 1917

Telles étaient les questions que se posait l’écrivaine et journaliste gréco-américaine Demetra Vaka Brown, alors qu’au début du XXe siècle elle traversa l’« Albanie indomptée2 » en compagnie de son frère, envoyé en mission politique pour le compte du gouvernement turc.

Née en 1877 sur l’île turque de Büyükada de famille grecque orthodoxe, Demetra Vaka émigra aux États-Unis en 1895, où elle travailla en tant que journaliste et enseignante. En 1904 elle épousa l’écrivain américain Kenneth Brown, avec lequel elle écrivit deux romans3. Une grande partie de sa production fictionnelle et de son activité journalistique fut consacrée aux questions balkaniques et au statut des femmes dans la culture ottomane.

L’autre auteur au cœur de cette contribution est la romancière suisse Noëlle Roger (1874-1953), dont sera traité en particulier La Route de l’Orient, le livre qui fut l’issue de ses voyages à travers l’Europe balkanique et ottomane à la suite de son mari, l’anthropologue Eugène Pittard.

Les œuvres de ces écrivaines-voyageuses montrent une attention particulière à la condition féminine, abordée de manière tout à fait inhabituelle par rapport à ce qui se produisait dans les récits des voyages en terres ottomanes rédigés par des auteurs masculins, où les personnages féminins étaient plus imaginés que véritablement connus.

Dans le cadre de cette contribution, la représentation féminine est entendue dans son sens objectif et subjectif, à savoir tant concernant la manière dont la femme y est représentée, que les traits éventuellement « genrés » du discours narratif.

Écrivaines de l’ailleurs. Le voyage comme espace privilégié de l’écriture féminine

Les œuvres rédigées par des femmes voyageant avec leurs maris, frères, ou d’autres hommes de famille chargés de tâches spécifiques, comme c’est le cas des textes abordés ici, sont assez répandues dans la littérature des derniers siècles ; dans plusieurs cas, leurs auteurs étaient de femmes qui n’avaient rien publié jusque-là, et qui ne devenaient écrivaines qu’à l’occasion de ces voyages.

À une époque où il était encore rare que des femmes partissent à l’étranger de leur propre initiative, ces « voyages à la suite », c’est-à-dire faits pour accompagner des hommes chargés de missions diplomatiques, scientifiques ou religieuses – alors que les femmes « ont rarement été chargées de voyager4 » – étaient pour beaucoup d’entre elles l’occasion de franchir le seuil entre l’écriture « privée », à savoir limitée à la rédaction de lettres, que les femmes ont écrites depuis toujours, et l’écriture destinée à la publication, ce qui – depuis toujours – était pratiquement l’apanage des hommes. Compte tenu de la fréquence de tels cas, il semble raisonnable de se demander si le contexte qui en fut à l’origine – ou au moins qui en déclencha la naissance – affecta les modalités et les contenus du récit.

Si parmi les exemples les plus célèbres demeurent les lettres de Lady Mary Montagu, rédigées pendant ses voyages avec son mari, nommé ambassadeur à Constantinople et publiées de façon posthume en 1763, beaucoup d’autres textes semblables fleurirent entre la fin du XVIIIe et le début du XXe siècle. Curieusement, mais pas tant que cela, il s’avérait que ces voyageuses trouvaient leur propre épanouissement dans l’écriture tout en s’éloignant de leur environnement habituel, comme si ce genre de « déplacement » leur donnait la « chambre à soi » qu’elles n’auraient jamais trouvée, et peut-être même pas cherchée, en restant chez elles.

On pourrait supposer que si, comme le dit Béatrice Didier, pour des religieuses des siècles passés tels qu’Héloïse et sainte Thérèse d’Avila « le couvent fut le lieu, sinon la condition de l’écriture5 », dans des périodes plus récentes ce fut le voyage qui donna à plusieurs femmes non seulement l’occasion, mais également l’espace nécessaire à la création littéraire6.

En s’en tenant aux récits en matière de femmes ottomanes, en dehors des deux auteurs qui seront abordées ici on peut mentionner au moins les Lettres du Caire7 de la Britannique Sophia Lane Poole. Les circonstances qui furent à l’origine de cette œuvre offrent un cas de figure particulièrement intéressant si l’on considère qu’elle fut encouragée à la rédiger par son frère et compagnon de voyage, Edward William Lane, l’orientaliste auteur de la première traduction anglaise des Mille et Une Nuits, qui en tant qu’homme n’avait pas le droit d’entrer dans les harems où il voulait recueillir les informations nécessaires à ses études. Il n’est pas trop surprenant que, avant d’être identifié comme un texte à part entière et ainsi restitué à son auteure légitime, le récit de Lane Poole ait été considéré comme une sorte d’appendice au livre d’Edward W. Lane, An Account of the Manners and Customs of the Modern Egyptians8.

Pré-textes : écrivaines en quête d’auteur

Parmi les traits qui peuvent être considérés comme redevables du genre de l’auteur, il y a le fait que les espaces périphériques du livre tels que les introductions, les avant-propos, les préfaces, en un mot les « pré-textes », étaient rédigés par des hommes qui introduisaient, commentaient, recommandaient la lecture d’œuvres féminines dont ils étaient les présentateurs et, en quelque sorte, les garants. En effet, il y a bon nombre de récits de voyage féminins précédés par des textes rédigés par des hommes, souvent bien connus ou, dans tous cas, mieux connus que l’auteur même ; il semblerait que les écrivaines, ou leurs éditeurs, sentaient la nécessité d’assurer à l’œuvre le sceau d’une « auctorialité » qui ne pouvait être reconnue et légitimée que par un sujet de sexe masculin.

Il y en a un exemple remarquable dans les Travels in the Slavonic Provinces of Turkey-in-Europe de Georgina Mackenzie et Paulina Irby, qui dans les années 1860 furent parmi les premières femmes à visiter les régions de l’actuel Kosovo et de l’Albanie du Nord. L’écho de leur entreprise atteignit la presse américaine, qui lui consacra un article9 dans les mois mêmes de la publication de leur œuvre ; dix ans après, la préface de la seconde édition des Travels10 fut rédigée par le premier ministre britannique William Gladstone.

Si l’on admit que Mackenzie et Irby étaient des voyageuses dépourvues de toute compétence professionnelle, et que par conséquent une présentation rédigée par un personnage aussi prestigieux que Gladstone pouvait constituer un tremplin pour leur œuvre, un cas différent est celui de A Ride through the Balkans, issu d’un voyage entre la Grèce, la Turquie et l’Albanie de l’historienne et archéologue britannique Agnes Conway. Bien qu’elle fût une savante en voyage d’étude, l’introduction rédigée par son père, sir Martin Conway, qui était lui-même écrivain et explorateur, en parle comme d’une voyageuse à la recherche de nouvelles émotions dans des lieux inhabituelles. En fait, après avoir observé avec un certain paternalisme (c’est bien le cas de le dire !) que « les femmes se sont révélées des voyageuses tout aussi aventureuses et capables que les hommes11 », il indiquait les circonstances qui à son avis caractériseraient le voyage féminin, en en déterminant à leur tour un discours à part entière :

Même lorsque les conditions ne sont pas aussi perturbées, le comportement chevaleresque habituel chez les hommes est utile à une femme-voyageuse. Elle est un spectacle nouveau. Elle est généralement douée du pouvoir de se faire des amis. Ses remerciements et plaisirs sont une récompense qui n’a pas besoin de bêtes de charge pour être transportée. Donc, il y a un grand avenir pour les femmes-voyageuses si elles commencent avec un équipement mental approprié. Par nature, elles sont de bonnes observatrices et ont un point de vue sur le monde différent de celui des hommes. Elles reviennent chez elles avec un nouveau genre d’histoire et la disent d’une manière qui leur est propre12.

Dans ces lignes, Martin Conway met en lumière les qualités qui selon lui seraient, pour ainsi dire, consubstantielles à la nature féminine, telles que l’amabilité, le sens de protection qu’elles inspireraient aux hommes, qui à leur tour seraient tout aussi naturellement disposés à aller à leur secours ; tout cela, combiné avec la nouveauté de la condition d’une femme voyageant dans des lieux pas confortables, prédisposerait l’environnement idéal pour que la littérature de voyage puisse profiter des contributions des femmes. En plus, leur sens d’observation très prononcé et la spécificité de leur point de vue par rapport aux hommes assurerait ce nouveau regard qui leur ouvrirait un grand avenir.

Jusqu’ici tout va bien, pourrait-on dire. Sauf que la bienveillance paternelle va aussi loin que de soustraire toute fiabilité à l’écriture féminine en même temps qu’il la loue : « [i]l est rare qu’elles ennuient le lecteur avec le genre de détails dont un voyageur mâle sérieux est susceptible d’être obsédé13. ».

Après ces remarques de nature essentialiste au sujet de l’attitude féminine, Conway va pointer le doigt sur les habitudes alimentaires, en disant que les récits féminins diffèrent des masculins du fait que les femmes « boivent beaucoup de thé, tandis que les souvenirs des hommes mettent l’accent sur les repas solides14 ». À ce point, on ne peut s’empêcher de sourire en comparant cette remarque avec une réflexion exactement à l’opposé, faite par Demetra Vaka à la suite d’une conversation avec des voyageurs rencontrés pendant son voyage en Albanie :

‘Vous devez avoir l’estomac solide pour supporter le régime alimentaire de l’Albanie’, remarqua l’un des Grecs avec une grimace. ‘Le mien a toujours été délicat, et j’ai assez mangé des aliments de ce pays sauvage pour en avoir une indigestion pour le reste de ma vie. Je ne vais pas aller plus loin’. Les autres étaient d’accord avec lui. Ils étaient des hommes de ville bichonnés, et la nourriture grossière, les difficultés inévitables, les constantes déplacements à dos de mulet sur des sentiers qui les laissaient étourdis, – tout cela couplé avec le risque de perdre la vie, s’ils avaient heurté par hasard le fruste sens albanais de la bienséance – n’étaient pas de leur goût15.

Par son dénigrement involontaire, et justement d’autant plus significatif, Conway père en dit long sur la considération dont les récits de voyage féminins jouissaient chez le public masculin de l’époque, qui somme toute était celui qui dictait les règles du marché éditorial, à savoir l’une des structures de pouvoir régissant le domaine de la production et diffusion culturelle.

Le sens de ce que nous venons de lire n’est pas trop différent du message qui sous- tend l’avant-propos de La Route de l’Orient de Noëlle Roger, rédigé par son mari. Journaliste et écrivaine, Noëlle Roger, de son vrai nom Hélène Dufour (au fait, encore un cas de nom de plume), était née à Genève le 25 septembre 1874. Fille du paléographe Théophile Dufour et petite-fille de l’historien français Henri Bordier, elle avait fait un apprentissage de journaliste à Londres avant d’épouser, en 1900, l’anthropologue et ethnographe Eugène Pittard.

Alors qu’elle entreprenait le tour des régions balkaniques, Noëlle Roger avait déjà publié des articles de journaux, des nouvelles et des romans, ainsi que des carnets de voyage16. Pourtant, en dépit de ce riche cursus professionnel, dans son commentaire introductif à La Route de l’Orient, Eugène Pittard, qui dans ces années-là conduisait ses enquêtes scientifiques sur les peuples balkaniques17, tient à préciser que l’auteur (qu’il qualifie de son « collaborateur dévoué18 ») « n’a jamais voulu donner à son œuvre une allure scientifique. Les observations de cet ordre n’étaient pas son fait et ne ressortaient pas de sa discipline19. » Par conséquent,

ces notes, crayonnées dans un café turc, dans les cimetières ombreux, ou dans la steppe, sur les troncs d’arbres en radeaux des rapides rivières moldaves, ou dans les maisons de boue des Tatars, ne peuvent être considérées que comme des impressions recueillies au jour le jour, enregistrées au hasard de l’heure, et où les spécialistes ne doivent pas chercher l’aridité des notions techniques20.

Finalement, comme pour dissiper tout doute qui pourrait subsister quant au fait que l’œuvre de sa femme n’était pas quelque chose de sérieux, l’anthropologue Pittard conclut sa préface en assurant qu’il s’agissait d’un livre qui « n’a donc rien d’un exposé scientifique, malgré ce que certains titres de chapitres pourraient laisser supposer21 ».

Écritures au pluriel. Le narrateur « duel » de Noëlle Roger

S’il est vrai que d’essayer de dégager les spécificités d’une écriture par rapport au genre sexuel de l’auteur peut s’avérer une tâche délicate, qui de surcroît risquerait de donner des résultats déroutants car non objectivement évaluables, nous estimons que la particularité de l’expérience lors de laquelle ces textes furent conçus en fait des échantillons acceptables. Sur la base de cette prémisse, voyons si et en quelle mesure l’écriture de La Route de l’Orient fut affectée par le fait que l’auteur était une écrivaine « à la suite » de son mari.

Un élément à notre avis remarquable est le fait que, tout au long de La Route de l’Orient, l’auteur utilise le « nous », c’est-à-dire que, en racontant les événements, les lieux, les « choses vues », le « nous » prévaut sur le « je », en aboutissant à une espèce particulière d’« écriture au pluriel », alors que l’auteur n’est qu’une seule personne. Voici comment Noëlle Roger décrit une étape dans un couvent en Moldavie.

Nous avons longé des vallées, traversé des rivières. Nous avons laissé derrière nous la petite ville de Neamtzu, étalée au pied des montagnes, et tout entourée de quartiers juifs, d’échoppes entassées, de bâtisses misérables, véritable banlieue de chiffonniers. Nous avons traversé des espaces absolument déserts. Et comme la nuit tombait, nous sommes arrivés au monastère de Neamtzu, le plus ancien, le plus perdu, au milieu des forêts, entre les montagnes. On ne rencontre pas une ferme isolée. La route même s’arrête devant l’enceinte de Neamtzu. Impossible d’aller plus avant. […] Notre rêverie évoque toutes les générations monastiques qui se sont succédé, cherchant le repos, et peut-être les joies d'une existence sanctifiée22.

Dans les lignes suivantes, lisons comment elle se souvient d’une rencontre avec le célèbre peintre roumain Nicolae Grigorescu :

— Ah ! nous disait un jour, à peu près dans ces termes, le peintre Grigoresco, peu de mois avant sa mort, je voudrais vivre dans une roulotte, et m’en aller sans cesse le long des routes, pour saisir tous les aspects du paysage, tous les aspects de l’âme roumaine... Nous nous sommes bien souvent rappelé cette parole du grand artiste, tandis que nous nous en allions le long des routes valaques et moldaves. Bien souvent nous avons pensé à lui lorsque nous avons rencontré au milieu des poussières lumineuses ces attelages de bœufs blancs, enjougués [sic !] deux par deux, et qui se suivaient interminablement, ces bœufs blancs qui lui étaient si chers et qu’il a évoqués tant de fois23.

Conformément à ces exemples que nous venons de lire, il semblerait que le fait que ce récit est issu d’un voyage en couple entraîne un « doublement » du narrateur. Voyons les lignes suivantes, où ce n’est pas seulement le parcours, mais également la « rêverie » et les souvenirs qui sont racontés à deux voix.

Tandis que la voiture en arrière gravit péniblement les détours rapides du sentier, étendus dans l’herbe, nous contemplons ce pays nouveau qui s’est dressé tout à coup : les grandes vagues bleues des Carpathes, de plus en plus pâles, s’en vont jusqu’à l’horizon lointain, s’anéantissent dans l’azur où nous les cherchons en vain. Au premier plan, une vallée se creuse et s’éloigne, et nos yeux s’efforcent de la suivre. Les forêts de sapins sont comme un immense tapis sombre jeté négligemment. Il fait bon. Le soleil, depuis que nous avons quitté les plaines, a cessé d’être l’adversaire auquel on essaie d’échapper. Nous recommençons à l’aimer. Et le vent nous enveloppe de ses caresses parfumées, le parfum des fleurs familières, dans lequel on retrouve un peu l’âme de la patrie24.

À en juger par ces lignes, on dirait que c’est le couple Roger-Pittard ce qui observe, prend des notes, décrit les itinéraires et en rapporte les impressions. Or, il va de soi que les œuvres ayant un narrateur pluriel sont loin d’être rares, quand le texte est le résultat du travail de deux auteurs. Pour s’en tenir au domaine des récits de voyage, l’un des exemples les plus fameux est celui des frères Jérôme et Jacques Tharaud, qui cosignèrent les livres et les reportages issus de leurs voyages entre l’Afrique, l’Asie et les Balkans ; donc, si tel était le cas de La Route de l’Orient, l’œuvre serait justement signée par deux auteurs, ce qui au contraire ne se produit pas. Mais ce qui a attiré notre attention c’est le fait que de temps en temps le narrateur bascule du « nous » au « je », selon des modalités que nous allons montrer.

Lisons les lignes qui suivent, où l’écrivaine est absorbée dans des pensées éveillées par la vue des populations Tartares de la Dobroudja.

Je regarde ces faces un peu mongoles, aux poils rares et raides, aux oreilles écartées, ces yeux étroits dont les paupières se plissent, et je voudrais connaître, au delà de leurs pensées, ce rêve secret qui les fait si différents des autres hommes. En ont-ils la notion précise ? Ou bien, ce rêve, à leur insu, modèle-t-il leurs âmes, guide-t-il leurs actes, les détache-t-il de la vie extérieure25 ?

Ici, il s’avère que, alors que la description de la « chose vue » cède la place à la réélaboration personnelle – à savoir, alors que la vision déclenche la réflexion – le narrateur devient singulier (« je voudrais connaître »). De façon plus générale, il semblerait que la première personne singulière prédomine là où le fait contingent déclenche des souvenirs, des émotions, des images sortant de l’intime ; en voici un exemple d’autant plus significatif par le fait que, dans ce cas, le changement de narrateur a lieu dans le cours du même paragraphe.

Un riche propriétaire grec nous ayant refusé l’hospitalité, la tente militaire fut dressée, et nous devons à cet homme un merveilleux souvenir. Ah ! sentir un pan d’étoffe nous séparer seul de tout le ciel. Goûter le vent de la nuit qui glisse autour de nous... Par une fente, un rayon d’étoile filtrait. Il me semblait accueillir les obscures réminiscences d’admirables voyages que je n’ai jamais faits. Il me semblait participer aux joies primitives. Affranchie de notre heure, de notre temps, j’errais librement dans le plus lointain passé et je croyais retrouver enfin un peu de cette âme ancestrale que nous ne sommes plus assez simples pour évoquer26.

Dans ce passage on peut saisir les circonstances précises où le « nous » de la situation initiale (l’installation providentielle d’une tente qui résout un problème d’hébergement) bascule vers le « je » du remaniement de l’expérience (le sentiment d’immersion dans la nuit étoilée, le détachement de la situation contingente, le sens de libération des contraintes, la prise de contact avec un passé intemporel). Ici, le changement de sujet narrant fonctionne en tant que marque syntaxique identifiant le passage du « dehors » au « dedans », de l’événement à son théorisation, avec tout ce que cela entraîne en termes d’émotions, mémoire, désirs.

À travers le pluriel – que, dans ce cas, vaudrait mieux appeler « duel » – l’écrivaine inclut son compagnon dans le récit en tant que tel, alors que par le singulier elle exprime son monde intérieur ; ce faisant, l’auteur (féminin, il faut le rappeler) prend soin de faire participer l’autre à l’exposition du récit. Que cette « inclusion » soit redevable à une question de genre, on ne peut pas le dire avec certitude ; ce qui est certain, c’est que les récits de voyage en Orient de Noëlle Roger ont été perçus « au pluriel » même par des chercheurs contemporains qui se sont consacrés à son œuvre, comme les montrent ces lignes tirées par une anthologie de ses reportages de l’Albanie, publié il y a quelques années. Ici, l’éditeur parle du

couple Pittard, qui parcourait l’Albanie à pied, à cheval, et parfois en automobile, dans des conditions extrêmement difficiles où il [à savoir, l’anthropologue Roger Pittard ] put connaître de près la réalité, des gens de diverses couches sociales et mener à bien une étude des us et coutumes des pays qu’ils parcoururent27

Quelques pages plus loin, l’œuvre de l’écrivaine suisse est considérée comme ne faisant qu’une avec l’activité de son mari.

L’œuvre de Noëlle Roger est indissociable de celle de son époux. Elles [sic !] renferment toutes les deux des valeurs d’ordre scientifique, humanitaire et public. L’activité professionnelle du couple Pittard s’enchevêtre avec son engagement et ses efforts de soutien en faveur de la cause albanaise28.

Apparemment, il peut toujours arriver que les œuvres des « voyageuses en couple » aient du mal à être reconnues comme issues de leur individualité, alors que c’est la dimension duelle qui prend le relais.

Donner la voix : parler des femmes dans leurs propres mots

Concernant la manière dont les femmes faisaient l’objet de la description, il faut noter que tout au long de la vaste littérature de voyage dans l’Europe balkanique et ottomane des siècles passés on n’avait pas trop l’habitude de laisser parler les sujets féminins à la première personne : si et quand on s’en occupait, le discours était sur les femmes plutôt que des femmes. Une attitude très différente se trouve dans l’écriture de Demetra Vaka, qui au contraire s’adresse directement à elles pour leur demander leurs points de vue et leurs émotions.

C’est une démarche qui émerge très clairement de The Heart of the Balkans : publié en 1917, ce récit recueille ses observations lors d’un voyage en compagnie de son frère entre Albanie, Bulgarie Monténégro et Grèce, où, comme le démontrent les lignes citées en exergue de cette contribution, son intérêt visa à la condition féminine.

La situation politique dans les Balkans avait été pour ainsi dire le lait dont j’avais été nourrie, et j’en avais eu un peu trop. En sachant déjà quels seraient les résultats concrets de nos investigations, ce qui m’intéressait personnellement étaient les femmes de l’Albanie ; et puisque, après avoir quitté l’Albanie, nous devrions traverser les Balkans en long et en large, j’allais avoir l’occasion d’étudier les femmes du Monténégro, de la Serbie, la Roumanie et la Bulgarie. J’aurais vu de mes propres yeux les femmes de toutes ces nationalités, j’aurais eu la chance de parler avec elles et entendre ce qu’elles avaient à dire29.

En se disant consciente que « les femmes paient toujours le plus lourd tribut dans les combats des hommes30 », Demetra Vaka cherchait à en connaître l’état d’esprit par rapport à la vengeance du sang qui depuis des siècles faisait rage parmi les Albanais ; on en a un exemple dans les lignes suivantes, concernant une jeune veuve dont le mari avait été tué par des soldats ottomans. Comme on lui demandait si elle n’avait jamais tiré sur un Turc, elle avait réagi, indignée :

‘[q]ue pensez-vous que je suis – une infirme ? Chacune de nous autres femmes se bat quand les hommes sont dans les montagnes et que nous sommes surprises. Voici mes armes.’. Elle désigna un arsenal d’armes sur le mur, propres et brillantes comme peu de choses le sont en Albanie. Et cette femme avait à peine vingt-deux ans. Elle avait sur sa tête le fez albanais, entouré par un mouchoir chatoyant ; ses yeux étaient grands et bleus, et pourtant elle avait le nez crochu, à la Dante, caractéristique des Albanais du Nord31.

Ce que nous venons de voir est un type de description féminine assez récurrent dans l’œuvre de Demetra Vaka, qui alors qu’elle saisissait les traits physiques et le caractère de ses personnages, en esquissait en même temps le contexte culturel.

Dans le cas de la représentation d’un pays tel que l’Albanie, où la facilité avec laquelle on utilisait les fusils et les pistolets que chaque mâle adulte portait toujours avec lui était l’un des éléments qui frappaient le plus l’attention des voyageurs étrangers, la description de cette jeune veuve montrant sa dotation personnelle d’armes à feu, avec la même complaisance que ses contemporaines d’autres pays européens auraient pu avoir en montrant leur trousseau de mariage, ne dresse pas seulement son portrait – entendu ici dans le sens technique du mot, à savoir en tant que « description à la fois du physique et du moral32 » – mais également celui des valeurs et traditions dont elle est porteuse.

C’est ainsi que, en traçant ce portrait de femme albanaise, l’auteur la voit en relation étroite – concordante ou conflictuelle – avec son environnement d’origine ; il en résulte que l’analyse des modalités de représentations du personnage donne des indications concernant son milieu socioculturel. Puisque ce type de représentation est assez diffusé dans les textes de Vaka abordés ici, nous faisons l’hypothèse que ce genre de « descriptif », presque totalement axé sur le coté féminin, puisse être considéré comme l’un des outils de connaissance utilisés par cette écrivaine.

La « littérature du harem »

Au printemps 1909, une manchette du Boston Evening Transcript annonçait en ces termes le premier livre de Demetra Vaka Brown, Haremlik33, qui marqua également le début de sa trilogie dédiée aux femmes ottomanes :

Mme Brown intègre dans son livre plusieurs romans orientaux bizarres – des romans si extraordinaires que le volume vaudrait seulement pour eux une lecture attentive34.

Alors que, pour la rendre plus séduisante, la publicité appuyait du côté fictionnel, l’auteur ressentait la nécessité de dire qu’il n’était pas fictif, quoique certaines de ses parties pussent apparaître comme « insolites pour les lecteurs américains35 ». Si pour l’écrivaine il était important d’assurer la véridicité de son récit, le marché éditorial devait tirer parti de ce qu’il y avait de « romanesque », voire « oriental », avec toute la séduction produite par la généricité d’un mot qui, avant même et en plus d’être un point cardinal, demeure toujours une source d’imagination.

Si l’on y ajoute que la matière de Haremlik était astucieusement mise en valeur par son titre, choisi par l’auteur elle-même, on a déjà bon nombre des éléments qui concourraient à nourrir le répertoire de l’imaginaire orientalisant. Il faut noter qu’à Londres le livre fut publié seulement avec son sous-titre, Some Pages from the Life of Turkish Women36, en raison du fait que « ses éditeurs estimèrent que ‘les Anglais n’auraient pas supporté le mot Haremlik37‘« . Le fait que ce livre sortît de part et d’autre de l’Atlantique en même temps mais avec deux titres différents, en dit long sur les différentes modalités de réception à l’égard d’un sujet que, apparemment, il fallait encore manier avec précaution en Europe.

La vie des femmes dans les harems avait titillé pendant des siècles l’imagination des artistes et écrivains européens (qui, en tant que mâles, n’y avaient jamais mis le pied), en leur suggérant des visions de danses lascives et de jeux érotiques ensorcelants. Il fallu attendre de lire les Turkish Letters de Lady Montagu pour commencer à dissoudre le mystère qui les entourait. Ces lettres pavèrent la voie à ce qui entre la fin du XVIIe et le début du XIXe siècle allait devenir un genre féminin à part entière, au point que dans le contexte anglophone il a donné lieu à la définition spécifique de harem literature38.

Ces écrivaines, pour la plupart britanniques, s’étaient rendues dans les terres ottomanes à un moment où l’Empire était sur le point de se dissoudre, et où se défaisaient les structures sociales qui en avaient été à la base ; les réformes des Tanzimat, qui au cours du XIXe siècle avaient introduit des systèmes administratifs calqués sur ceux des autres pays européens, avaient apporté avec eux la disparition progressive de la pratique de la ségrégation des femmes dans les sérails. En écrivant au sujet des femmes des harems, ces auteurs saisissaient des traits de la société et de la culture ottomane qui échappaient aux voyageurs mâles, ou en étaient totalement ignorés.

En entrant en contact direct avec des femmes qui étaient souvent très cultivées, en soulignant des raisons d’affinité ou de contraste par rapport à elles, ces auteurs construisaient un espace de dialogue interculturel qui généralement manquait dans les récits masculins, en fournissant en même temps de matériaux abondants, quoique pas suffisamment exploités, pour intégrer le discours orientaliste qui, lui aussi, demeurait toujours fortement axé sur le point de vue des hommes.

Les femmes des harems selon Demetra Vaka

Le cas de Haremlik est assez particulier en ce que son auteur, tout en étant originaire du même milieu que celui qu’elle allait observer, en était à la fois étrangère par son statut de visiteur en provenance des États-Unis, où désormais Demetra Vaka vivait en permanence. Donc, c’est avec le regard d’une « autre » et la tête pleine de questions à poser qu’elle revoit ses amies d’enfance.

J’étais née sujet des Turcs, et en tant que telle je revenais. Je ne trouvais rien de modifié. Tout était comme je l’avais laissé, et quand je rencontrai ma mère, nous terminâmes la dispute que j’avais si dédaigneusement interrompue six ans avant. Pourtant, si rien d’autre n’avait changé, moi j’étais une autre. Je retournais à ma terre natale avec de nouvelles idées et un esprit plein de questionnements occidentaux, et je voulais découvrir des choses. Beaucoup de mes amies d’enfance étaient turques : maintenant je les considérais avec un nouvel intérêt39.

Alors que l’auteur elle-même bougeait entre deux niveaux d’observation différents, l’un relatif à ses origines, l’autre à son pays d’adoption, les lignes qui suivent offrent un spectre d’observation élargi à une autre perspective, concernant la façon dont les Turcs étaient considérés en Amérique : apparemment, la mauvaise réputation qui les entourait avait sa raison principale dans l’état d’esclavage où on disait qu’ils tenaient leurs femmes.

Avant, j’avais considéré elles et leur façon de vivre comme une évidence. Des générations de mes ancêtres m’y avaient préparée, et j’avais vécu parmi eux en regardant à leurs us et coutumes comme étant tout aussi naturel que les miens. Mais pendant mon séjour en Amérique j’avais entendu parler de la Turquie avec haine et mépris, les Turcs accusés d’être méprisable, leurs femmes des créatures misérables, vivant en esclavage pour les infâmes désirs des hommes. J’avais été abasourdie par ces discours. Était-il possible que ce que disaient les Américains fût vrai et que je ne l’eusse jamais su ? Désormais j’allais le voir par moi-même, et non pas seulement à le voir, mais à parler avec les femmes, pour leur demander ce qu’elles pensaient de leur vie et leurs coutumes40.

Animée par la volonté de faire la lumière sur cette question, Demetra Vaka va à la rencontre directe avec ces « créatures misérables » qui suscitaient l’indignation des Américains : il en résulte que nous sommes confrontés à un point de vue encore différent en lisant que ses amies entretenaient des impressions négatives réciproques. De plus, elles s’apitoyaient sur le fait qu’elle vivait dans ce qui à leurs yeux était un « méchant pays41 » ; « [j]e déteste l’idée que tu vis loin, dans ce pays semi-civilisé, tel que l’Amérique42 », lui dit l’une d’elles.

Alors que Vaka lui demande si elle n’avait jamais voulu être « une libre femme européenne43 », son amie Aïshe Hanoum lui répond :

[m]ais je ne voudrais pas être une de ces femmes indépendantes qui nous viennent de l’Ingleterra [sic !] et de ton Amérique. Elles me répugnent. Un être humain est comme un arbre ou une fleur, qui doit être productif et utile. Une femme doit avoir un seigneur et des enfants44.

À noter que, aux leurs yeux, l’auteur fait désormais partie d’un monde autre que le leur (« ton Amérique »). Le fait qu’elle n’était pas mariée (lors de son voyage en Turquie, Demetra Vaka était encore célibataire) fait l’objet de leurs critiques constantes : elles lui reprochent que, « [a]u lieu de laisser un bon homme fort s’occuper d’elle, elle le fait pour elle-même – déshonorant Allah et ses fils45. ».

Les mots d’Aïshe vont de pair avec ceux de Kaniah, une jeune épouse de Sarajevo interviewée dans La Route de l’Orient de Noëlle Roger. Dans ce cas, en l’absence d’un langage commun entre les deux, les réponses de Kaniah étaient traduites par son mari :

‘Quelle est donc son opinion des femmes occidentales qui partagent l’existence de leurs maris, sortent, voyagent avec eux ?’ Osman traduisit. Elle tourna vers lui ses yeux de velours et répondit trois mots à demi-voix : ‘Ah ! bon Dieu !’ exclama Osman, ‘Kaniah ne voudrait pas, Kaniah trouve mauvais, très mauvais’46.

En effet, la situation était plus complexe que les conversations amicales pourraient laisser supposer : l’Empire Ottoman était en émoi, et avec lui les structures sociales sur lesquelles il était fondé. Des nouvelles instances en provenance de l’Europe occidentale et, comme nous allons le voir, notamment de la France, étaient discutées passionnément parmi les femmes turques.

Lectrices in fabula : la littérature française comme source de l’éducation sentimentale des jeunes Turques

Apparemment, dans l’éducation féminine ottomane un rôle très important était joué par la lecture, ainsi que par l’art du conte. À cet égard, Demetra Vaka nous informe sur l’existence d’une figure spécifique appelée miradju47, à savoir la conteuse de profession. Telle une moderne Shéhérazade, elle employait ses vertus fabulatrices pour amuser son auditoire, tout en lui donnant des exemples de sagesse.

Les miradjus jouent un rôle important dans la vie démodée du harem. Certains d'entre elles ont un grand pouvoir d’imagination, elles inventent leurs propres histoires, et atteignent à une célébrité considérable, comme un écrivain fait chez nous. D’autres ne font que reprendre ce qu’elles ont appris, bien qu’elles puissent l’embellir par leur personnalité à travers la récitation, comme un acteur embellit son rôle. Ce jour-là l’histoire était celle, bien connue, de Dérè Vérè, un conte plutôt à la Boccace, qui cependant relevait d’une forte morale48.

L’auteur nous offre également un intéressant exemple de transculturalité littéraire alors qu’elle écrit que l’une des filles de son amie Nassarah « avait été appelée Zelma d’après l’héroïne d’un récit français49 ». Or, si l’œuvre qui avait inspiré le prénom de l’enfant était, comme il semble probable, le poème Les Tourterelles de Zelmis (1765) de Claude-Joseph Dorat, la forme italianisée « Zelma » viendrait par la traduction faite par le vénitien Gasparo Gozzi, à savoir Le tortorelle di Zelma (1768). Si tel est le cas, cela démontrerait que ce texte de Dorat, ainsi que sa traduction italienne, tout en étant quasiment inconnu aujourd’hui, était assez populaire dans ces années-là.

Dans leurs portraits des femmes ottomanes, tant Demetra Vaka que Noëlle Roger font attention aux milieux culturels qui en avaient forgé l’imaginaire. Nous en venons ainsi à savoir qu’elles lisaient beaucoup de romans qui, selon les dires de l’écrivaine suisse, auraient enflammé leur imagination, en leur inculquant des fantaisies en conflit avec la tradition musulmane.

Sans doute, pour les femmes turques des grandes villes, le problème qui se pose aujourd’hui est infiniment complexe. Les institutrices chrétiennes qu’on a données à leur adolescence, les romans qu’elles ont lus ont peuplé leur esprit d’idées et de désirs contraires à la tradition coranique qu’elles doivent observer cependant. Elles deviennent des désenchantées50, elles se révoltent en secret, elles rêvent de s’affranchir, comme on dit. La plus célèbre des désenchantées a raconté récemment comment, après six ans de cette vie occidentale tant rêvée et qui la déçut, voyageuse nostalgique, regrettant chaque jour davantage sa patrie, elle revint à Constantinople, et reprit le voile...51

Que les lectures eussent des conséquences négatives sur l’imagination des jeunes turques, c’est plus ou moins l’opinion de Demetra Vaka, qui indique la cause de leur « maladie » sentimentale dans la lecture de livres français.

‘Mais c’est justement ce que je veux ‘, rétorqua-t-elle. ‘J’en ai assez de ma vie monotone, lorsque des choses tellement délicieuses comme on les lit dans les livres pourraient se produire pour moi.’. Cette jeune fille avec sa jeunesse et sa simplicité fut vraiment révélatrice de la cause de leur maladie. Elles avaient toutes été nourries avec des romans français 52.

On a ainsi une sorte de bovarysme à l’ottomane, que le récit de l’écrivaine gréco-américaine esquisse à travers des portraits des jeunes Turques posant comme des précieuses, à l’instar de leurs homologues fictionnelles.

La culture et l’histoire française semblent être un point de référence important pour les ottomanes cultivées à la recherche de leur indépendance, lesquelles en hommage à l’anarchiste pionnière du féminisme français avaient choisi de s’appeler « les Louises Michel53 ». Grâce à un poignant compte-rendu d’une des réunions de ces que Demetra Vaka appelle « les suffragettes du harem54 », on peut avoir une idée précise des écrivaines qui représentaient leurs idéaux féminins, à savoir « George Sand, George Eliot et d’autres55 », et qui étaient ni plus ni moins que les mêmes icônes idéologiques que celles des lectrices occidentales.

Quelques minutes plus tard Houlmé et moi, en compagnie d’un vieil esclave à l’intérieur du chariot avec nous, et d’un vieil eunuque, qui était l’ombre de Houlmé, assis sur le siège à côté du conducteur, nous nous rendîmes à la maison de Hanoum Zeybah, où devait se tenir la réunion. Il était dix heures et demie quand nous arrivâmes là-bas, et nous étions les dernières. A l’intérieur se tenaient deux fantômes gris, à qui nous donnons le mot de passe, 'Crépuscule'. Dans une grande salle se trouvait le reste des symboles gris de l'aube, tous tellement voilées qu’elles étaient méconnaissables. Elles nous saluèrent silencieusement, à la turque, et puis nous fûmes menées dans une grande salle. C’était très mystérieux, façon conspirateurs. Les neuf fenêtres de la chambre étaient hermétiquement fermées, de sorte qu’aucun rayon de soleil tout sauf romantique ne tombât sur les pionnières d’une nouvelle époque. Nous étions assises jambes croisées et immobiles sur un canapé nu qui courait autour des deux côtés de la salle. Au dessus de nos têtes pendait une bannière de soie bleu ciel, brodée en argent, où on lisait ‘Liberté pour les femmes !’. Au dessous de celle-ci en était pendu une autre, noire, portant l'inscription ‘A bas les vieilles idées ! ‘ en rouge ardent. Il n’y avait pas de chaises. Le beau plancher de chêne était partiellement recouvert de tapis orientaux, et sur des gros coussins au milieu de la pièce était assise notre hôtesse, l’initiatrice et présidente de la société56.

Conclusions

Encore de nos jours, en dépit d’une relative abondance de récits qui, comme nous venons de voir, exploraient tous azimuts la vie menée dans ce qui était l’espace « interdit » (comme l’indique son nom de l’arabe harām, « inviolable » ) le plus fréquenté par l’imagination masculine, le harem reste figé dans l’imaginaire commun comme le lieu de plaisirs charnels par antonomase, de la transgression sexuelle et de la soumission féminine. Il semblerait que, d’un point de vue « économique », on pourrait appliquer également au domaine de l’image la loi de Gresham : s’il est vrai que la mauvaise monnaie chasse la bonne, il s’avère que, quoique fausses, les idées préconçues peuvent jouir d’une très longue durée, pour autant qu’elles aient quelque raison d’être attrayantes – voire avantageuses, ce qui est souvent la même chose.

En ce qui concerne notre question initiale, à savoir s’il y a dans l’écriture féminine des éléments qui peuvent être considérés comme redevables au genre de l’auteur, les résultats recueillis jusqu’ici semblent indiquer que, une fois délimité le champ d’investigation – qu’il s’agisse de thèmes, de sujets, ou de situations bien identifiés – il serait légitime d’en dégager un discours féminin stricto sensu, soit par rapport aux objets narratifs qu’aux registres expressifs.

Quant à la manière dont ces œuvres sont généralement traitées par les critiques, on dirait que, si l’on accepte l’énoncé de Christiane Rochefort, selon laquelle la littérature féminine serait « une catégorie spécifique, pas à cause de la biologie, mais parce qu’elle est, en un sens, la littérature des colonisés57 », les récits féminins concernant les femmes orientales le sont trois fois plus, tant par rapport aux auteurs qu’aux personnages qu’au contexte de référence.

Notes de bas de page numériques

1 Demetra Vaka, The Heart of the Balkans, Boston/New York, Houghton Mifflin Company, 1917, p. 4. « I had read books and books about the countries we were to travel through, and they had told me of the history, of the men, of the political squabbles, and of the commercial possibilities: of the women no book spoke. What were they like, the women who lived in this land of blood-feuds and never-ending killings? Were they educated at all? Were they so ignorant that they were stupefied, or were they savages? » (trad. pers.).

2 Demetra Vaka, The Heart of the Balkans, p. 27 : « untamed Albania » (trad. pers.).

3 Demetra and Kenneth Brown, The First Secretary, New York, B.W. Dodge & Company, 1907 ; Demetra and Kenneth Brown, The Duke’s Price, Boston/New York, Houghton Mifflin Company, 1910.

4 Comme le souligne un passage d’Unsuitable for Ladies. An Anthology of Women Travellers de Jane Robinson, cité par : Susan Bassnett, « Travel writing and gender », in Peter Hulme, Tim Youngs (éds.), The Cambridge Companion to Travel Writing, Cambridge, Cambridge University Press, 2002, p. 226 : « Women [...] ‘have rarely been commissioned to travel’ [...]. » (trad. pers.).

5 Béatrice Didier, L’Écriture-Femme, Presses Universitaires de France, Paris, 1981, p. 43.

6 À cet égard, un cas très prolifique d’écriture née « ailleurs » est celui de Lady Mary Ann Dolling Sanders O’Malley, auteur de nombreux textes fictionnels situés dans les pays où son mari, l’ambassadeur britannique Owen O’Malley, était envoyé en mission diplomatique. En 1932 son premier roman, Peking Picnic, inspiré d’un voyage en Chine, connut un succès immédiat, remportant le prix de livre de l’année décerné par le prestigieux magazine américain The Atlantic Monthly ; le roman était signé Ann Bridge, ce qui dorénavant allait devenir son nom de plume, rallongeant ainsi la liste déjà longue d’auteurs féminins publiés sous un pseudonyme.

7 Sophia Lane Poole, The Englishwoman in Egypt: letters from Cairo, written during a residence there in 1842, 3, & 4, with E.W. Lane, Esq. author of ‘The modern Egyptians’. By his sister, 2 vol., London, C. Knight, 1845.

8 Le fait est rapporté par : Mary Roberts, Intimate Outsiders. The Harem in Ottoman and Orientalist Art and Travel Literature, Durham, Duke University Press, 2007, p. 60-61.

9 « An Adventure in Albania. Two Englishwomen in Peril », Albany NY Evening Journal, May 21, 1867.

10 Georgina Muir Mackenzie Muir, Adeline P. Irby, Travels in the Slavonic Provinces of Turkey-in-Europe, Second Edition Revised, London, Daldy, Isbister & Co, 2 vol., 1877.

11 Ethel Agnes Conway, A Ride through the Balkans. On Classic Ground with a Camera, London, Robert Scott, 1917, p. 24. « Women have shown themselves to be as venturesome and as capable travelers as men », p. 24 (trad. pers.).

12 Ethel Agnes Conway, A Ride through the Balkans, p. 25. « Even where conditions are not so unsettled the normal chivalry of man is helpful to a woman-traveller. She is a novel sight. She is generally gifted with the power of making friends. Her thanks and pleasure are a reward that needs no baggage animal to carry it. Thus there is a great future for women-travellers if they start out with a suitable mental equipment. By nature they are good observers and they look out on the world from a standpoint different from that of men. They come home with a novel kind of story and they tell it in a fashion of their own. » (trad. pers.).

13 Ethel Agnes Conway, A Ride through the Balkans, p. 25. « They seldom bore the reader with the kind of detail a serious man-traveller is likely to be obsessed by. » (trad. pers.).

14 Ethel Agnes Conway, A Ride through the Balkans, p. 25. « It is true they drink a good deal of tea, where the records of men lay stress on solid meals.» (trad. pers.)

15 Demetra Vaka, The Heart of the Balkans, p. 32 : « ‘You must have a strong stomach to stand the diet of Albania’, one of the Greeks remarked with a grimace. ‘Mine has always been delicate, and I have tasted enough of the food of this savage country to give me indigestion for the rest of my life. I go no farther’. The others agreed with him. They were pampered city men, and the coarse food, the unavoidable hardships, the constant traveling on muleback, over trails that made them dizzy, – coupled with the risk of losing their lives should they chance to offend the untutored Albanian sense of propriety, – were not to their taste. » (trad. pers.).

16 Comme nous avons pu le déduire grâce à la liste complète de ses papiers personnels, correspondances, œuvres, carnets de voyages et agendas contenue dans le « Catalogue des Manuscrits » de la Bibliothèque de Genève, consistant en plus de 60 pages auxquelles cette contribution est également redevable des notices biographiques sur une écrivaine qui est rarement abordée dans les histoires littéraires : Papiers Noëlle Roger, Genève, BGE, 2013.

17 Il en donna nouvelles dans Les Peuples des Balkans : recherches anthropologiques dans la Péninsule des Balkans, spécialement dans la Dobroudja – avec 149 figures, graphiques et cartes dont 91 illustrations d’après des photographies prises par l’auteur, Genève et Lyon, Georg et Cie ; Paris, E. Leroux, 1920.

18 Noëlle Roger, La Route de l’Orient, Paris, Perrin et Cie, 1914, avant-propos, p. x.

19 Noëlle Roger, La Route de l’Orient, p. xi.

20 Noëlle Roger, La Route de l’Orient, p. xi.

21 Noëlle Roger, La Route de l’Orient, p. xi.

22 Noëlle Roger, La Route de l’Orient, p. 126-127. Ici et dans les exemples suivants, c’est nous qui soulignons.

23 Noëlle Roger, La Route de l’Orient, p. 101.

24 Noëlle Roger, La Route de l’Orient, p. 136.

25 Noëlle Roger, La Route de l’Orient, p. 190-191.

26 Noëlle Roger, La Route de l’Orient, p. 192.

27 Noëlle Roger, Nëpër Udhët e Shqipërisë/Sur les chemins de l’Albanie, Ilda Poda (éd.), Tiranë, Pegi, 2008, p. 17 ; p. 21.

28 Noëlle Roger, Nëpër Udhët e Shqipërisë/Sur les chemins de l’Albanie, p. 17 ; p. 21.

29 Demetra Vaka, The Heart of the Balkans, p. 3-4. « The political situation in the Balkans had been the milk, so to speak, on which I had been nourished, and I had had a little too much of it. Knowing already what the practical results of our investigations would be, what interested me personally was the women of Albania; and since, after leaving Albania, we should cross the entire length and breadth of the Balkans, I was to have an opportunity to study the women of Montenegro, Servia, Rumania, and Bulgaria. I should see the women of all these nationalities with my own eyes, should have a chance to talk with them, and hear what they had to say. » (trad. pers.).

30 Demetra Vaka, The Heart of the Balkans, p. 1 : « women always pay the largest penalty in the fighting of men ». (trad. pers.).

31 Demetra Vaka, The Heart of the Balkans, p. 4 : « ‘[w]hat do you think I am – a cripple? All of us women fight when the men are in the mountains and we are surprised. Those are my guns’. She pointed to an array of weapons on the wall, clean and shiny as few things are in Albania. And that woman was barely twenty-two. She wore the Albanian fez on her head, with a bright kerchief wound around it. Her eyes were large and blue; yet she had the Dante hooked nose, characteristic of Albanians of the North. ». (trad. pers.)

32 Philippe Hamon, Du Descriptif, Paris, Hachette, 1993, p. 11.

33 Demetra Vaka, Haremlik. Some Pages from the Life of Turkish Women, Houghton Mifflin Company, Boston and New York, 1909.

34 « Mrs. Brown incorporates several curious oriental romances in her book – romances so extraordinary that the volume would be worth the perusal for them alone. ». Boston Evening Transcript, 19 mai 1909, p. 23. (trad. pers.)

35 Demetra Vaka, Haremlik : « unusual as parts of it may appear to American readers ». Note introductive, p. non numérotée (trad. pers.).

36 Dans l’entrée concernant ce livre dans le Catalogue en ligne de la Hathi Trust Digital Library, une note précise que « l’édition américaine avait été publiée sous le nom de Haremlik » (« American edition published as: Haremlik ») (trad. pers.).

37 Rapporté par : Reina Lewis, Rethinking Orientalism: Women, Travel and the Ottoman Harem, London, Tauris, 2004, p. 33 : « her publishers felt ‘the English would not stand for Haremlik’ » (trad. pers.).

38 On le trouve entre autres in : Mary Roberts, Intimate Outsiders. The Harem in Ottoman and Orientalist Art and Travel Literature, Durham, Duke University Press, 2007, p. 60.

39 Demetra Vaka, Haremlik, p. 12 : « I was born a Turkish subject, and as such I returned. I found nothing changed. Everything was as I had left it; and when I met my mother, we finished the argument I had so cavalierly interrupted six years before. Yet, though nothing else had changed, I had. I returned to my native land with new ideas, and a mind full of Occidental questioning, and I meant to find out things. Many of my childhood friends had been Turkish girls: them I now looked upon with new interest. » (trad. pers.).

40 Demetra Vaka, Haremlik, p. 12-13. « Before, I had taken them and their way of living as a matter of course. Generations of my ancestors had prepared me for them, and I had lived among them, looking upon their customs and habits as quite as natural as my own. But during my stay in America I heard Turkey spoken of with hatred and scorn, the Turks reviled as despicable, their women as miserable creatures, living in practical slavery for the base desires of men. I had stood bewildered at this talk. Could it possibly be as the Americans said, and I never have known it? Now, I was to see for myself, and not only to see but to talk with the women, to ask them their thoughts about their lives and their customs. » (trad. pers.).

41 Demetra Vaka, Haremlik, p. 65. « Nasty country [...]. » (trad. pers.).

42 Demetra Vaka, Haremlik, p. 75. « I hate to think of you living away in that half-civilized country of America. » (trad. pers.).

43 Demetra Vaka, Haremlik, p. 104 : « a free European woman ». (trad. pers.).

44 Demetra Vaka, Haremlik, p. 105 : « [b]ut I should not like to be one of those detached females that come to us from Ingleterra [sic] and your America. They are repulsive to me. A human being is like a tree or a flower; it must be productive and useful. A woman must have a lord and children ». (trad. pers.).

45 Demetra Vaka, Haremlik, p. 66. « Instead of letting a good strong man take care of her, she is doing it for herself– disgracing Allah and his sons ». (trad. pers.)

46 Noëlle Roger, La Route de l’Orient, p. 31.

47 D’après notre connaissance actuelle, le mot « miradju » rapporté par Demetra Vaka paraît être un terme rare, pas enregistré dans les répertoires lexicaux jusqu’ici consultés.

48 Demetra Vaka, Haremlik, p. 25. « The miradjus play an important part in old-fashioned harem life. Some of them have great imaginative power, invent their own stories, and attain to considerable fame, as a writer does with us. Others merely repeat what they have been taught, though they may embellish it by their personality in reciting, as an actor embellishes his part. The story that day was the well-known one of Dérè Vérè, a rather Boccaccian tale, that pointed a strong moral, however. » (trad. pers.).

49 Demetra Vaka, Haremlik, p. 23 : « after the heroine of a French novel. » (trad. pers.).

50 Ici l’auteur cite implicitement le livre homonyme de Pierre Loti Les Désenchantées. Roman des harems Turcs contemporains, Paris, Calmann Lévy, 1906, l’un des plus célèbres romans du harem inventés par l’imagination d’un écrivain masculin.

51 Noëlle Roger, La Route de l’Orient, p. 240.

52 Demetra Vaka, Haremlik, p. 25. « But that is just what I want », she retorted. « I am tired of my humdrum life, when such delicious things as one reads of in books might be happening to me. ». This girl in her youth and simplicity was really revealing the cause of their malady. They were all fed on French novels ».

53 Demetra Vaka, Haremlik, p. 151.

54 Demetra Vaka, Haremlik, p. 153, dans le titre du VIIe chapitre. « The Suffragettes of the harem ». (trad. pers.).

55 Demetra Vaka, Haremlik, p. 166. « George Sand, George Eliot, and others ». (trad. pers.).

56 Demetra Vaka, Haremlik, p. 163-164. « A few minutes later Houlmé and I, in company with an old slave inside the carriage with us, and an old eunuch, who was the shadow of Houlmé, sitting on the box by the coachman, were driving to Hanoum Zeybah’s house, where the meeting was to be held. It was half-past ten o’clock when we reached there, and we were the last to arrive. Inside the door stood two gray phantoms, to whom we gave the password, ‘Twilight’. In a large hall stood the rest of the gray symbols of dawn, all so closely veiled as to be unrecognizable. Without a sound they saluted us in the Turkish fashion; and then we were all conducted to a large room. It was very mysterious and conspirator-like. The nine windows of the room were tightly shuttered, that no ray of unromantic sunlight should fall upon the forerunners of a new epoch. We all sat crosslegged and motionless on a bare settee which ran around two sides of the room. Over our heads hung a banner of sky-blue silk, embroidered in silver with ‘Freedom for Women! Beneath that hung another of black, bearing the words ‘Down with the Old Ideas!’ in fiery red. There were no chairs. The beautiful oak floor was partially covered with Eastern rugs, and on some fat cushions in the middle of the room sat our hostess, the originator and president of the society. » (trad. pers.).

57 Citée par Elaine Showalter, « Feminist Criticism in the Wilderness », Critical Inquiry, Vol. 8, n° 2, Writing and Sexual Difference (Winter, 1981), The University of Chicago Press, p. 197. « I consider women’s literature as a specific category, not because of biology, but because it is, in a sense, the literature of the colonized ». (trad. pers.).

Bibliographie

Corpus

ROGER Noëlle, La Route de l’Orient, Paris, Perrin et Cie, 1914.

VAKA Demetra (Mrs Kenneth Brown), Haremlik. Some Pages from the Life of Turkish Women, Houghton Mifflin Company, Boston and New York, 1909.

VAKA Demetra, The Heart of the Balkans, Boston/New York, Houghton Mifflin Company, 1917.

Autres œuvres de voyage

CONWAY Ethel Agnes, A Ride through the Balkans. On Classic Ground with a Camera, London, Robert Scott, 1917.

LANE POOLE Sophia, The Englishwoman in Egypt: letters from Cairo, written during a residence there in 1842, 3, & 4, with E.W. Lane, Esq. author of 'The modern Egyptians'. By his sister, 2 vol., London, C. Knight, 1845.

MUIR MACKENZIE Georgina, IRBY Adeline P., Travels in the Slavonic Provinces of Turkey-in-Europe, Second Edition Revised, London, Daldy, Isbister & Co, 2 vol., 1877.

Études

DIDIER Béatrice, L’Écriture-Femme, Paris, Presses Universitaires de France, 1981.

ELLISON Grace, An English Woman in a Turkish Harem, London, Methuen and Co. Ltd, 1915. http://openlibrary.org/books/OL7158861M/An_Englishwoman_in_a_Turkish_harem. (consulté le 24.7.2013).

HAMON Philippe, Du Descriptif, Paris, Hachette, 1993.

HULME Peter, YOUNGS Tim (éds.), The Cambridge Companion to Travel Writing, Cambridge, Cambridge University Press, 2002.

LEWIS Reina, Gender, Modernity and Liberty: Middle Eastern and Western Women’s Writings. A critical Sourcebook, London, Tauris, 2006.

LEWIS Reina, Rethinking Orientalism: Women, Travel and the Ottoman Harem, London, Tauris, 2004.

ROBERTS Mary, Intimate Outsiders. The Harem in Ottoman and Orientalist Art and Travel Literature, Durham, Duke University Press, 2007.

SHOWALTER Elaine, « Feminist Criticism in the Wilderness », Critical Inquiry, vol. 8, No. 2, Writing and Sexual Difference (Winter, 1981), The University of Chicago Press. http://www.jstor.org/stable/1343159 (consulté le 20.7.2013).

Journaux et catalogues en ligne

Boston Evening Transcript, 19 mai 1909

http://news.google.com/newspapers ?id =U0NfAAAAIBAJ&sjid =fFQNAAAAIBAJ&hl =it&pg =2040 %2C2425948 (consulté le 20.7.2013).

Catalogue en ligne de la Hathi Trust Digital Library. http://catalog.hathitrust.org/Record/006583827. (consulté le 20.7.2013).

Papiers Noëlle Roger, Genève, BGE, 2013. http://w3public.ville-ge.ch/bge/odyssee.nsf/Attachments/roger_noelleframeset.htm/$file/roger_noelle.pdf (consulté le 29.7.2013).

Pour citer cet article

Olimpia Gargano, « Sur les traces de Lady Montagu. Femmes ottomanes du XXe siècle dans les récits de voyage de Demetra Vaka et Noëlle Roger  », paru dans Loxias-Colloques, 5. L’expérience féminine dans l’écriture littéraire, II., Sur les traces de Lady Montagu. Femmes ottomanes du XXe siècle dans les récits de voyage de Demetra Vaka et Noëlle Roger , mis en ligne le 30 mai 2014, URL : http://revel.unice.fr/symposia/actel/index.html?id=547.

Auteurs

Olimpia Gargano

Enseignante d’Italien et Latin au lycée de Vintimille (Italie), Olimpia Gargano est doctorante en Littérature Comparée sous la direction de Mme Odile Gannier ; sa thèse, en cotutelle franco-italienne entre l’Université de Nice et l’Université de Naples « L’Orientale », porte sur l’image de l’Albanie dans la littérature européenne des XIXe et XXe siècles. Dans le cadre de la thèse, elle a publié : « Le voyage en Albanie d’Isadora Duncan, entre autobiographie et fiction romanesque », Loxias 38, CTEL, Université Nice Sophia Antipolis, http://revel.unice.fr/loxias/index.html ?id =6866 ; « Visualisations du réel. Images et figures dans les reportages narratifs des écrivains-journalistes en Albanie (1910-1930) », Loxias-Colloques, 30 janv. 2013, http://revel.unice.fr/symposia/actel/index.html ?id =378 ; « Illyria, Syldavia, Elbonia e altrove : la reinvenzione narrativa dell’Albania fra spazi immaginari e distopie », Actes du Colloque « Landscapes and Mindscapes », Università di Napoli « L’Orientale », 2011 (en cours de publication) ; L’Albania delle donne. Immagini e studi albanesi nella letteratura di viaggio femminile (1864-1953), Palaver, Università del Salento, marzo 2014, http://siba-ese.unisalento.it/index.php/palaver/article/view/13776