Loxias-Colloques |  5. L’expérience féminine dans l’écriture littéraire 

Olimpia Gargano et Aylar Hassanpour  : 

L’expérience féminine dans l’écriture littéraire

Journée d’études des Doctorants du CTEL, Université Nice Sophia Antipolis, 25 octobre 2013

Texte intégral

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Christine de Pisan. Probablement Paris, 1410-15. British Library BL Harley 4431, f. 4

Le prix Nobel de littérature 2013 vient d’être décerné à une femme, la Canadienne Alice Munro. Elle n’est certes pas la première, mais ce succès ne doit pas faire oublier le faible nombre des prix Nobel décernés aux femmes par rapport aux hommes (en effet, entre 1901, l’année de la première attribution du Nobel littéraire, et 2013, les lauréates ne sont que 13 sur un total de 110).

Or, depuis deux mille ans, la littérature mondiale nous a donné une précieuse collection de vers, nouvelles, romans et essais rédigés par des femmes. Pour s’en tenir à la littérature de la Grèce ancienne, il faut en évoquer au moins l’exemple le plus célèbre, la poétesse Sappho, qui sur l’île égéenne de Mytilène au VIe siècle av. J.-C. composa des véritables hymnes à l’amour. Au fil des siècles, son image inspira de nombreux écrivains, peintres et musiciens (majoritairement des hommes) qui en firent une héroïne romanesque, une amoureuse malchanceuse, éternellement sans contrepartie. De son œuvre entière il ne reste aujourd’hui que quelques fragments, du fait que, pour des raisons d’ordre moral, la plus grande partie de son œuvre lyrique aurait été jetée aux flammes sur ordre des autorités religieuses.

Par contre, la figure de l’écrivaine « professionnelle » est récente, celle de la femme dont les œuvres ont circulé librement dans des contextes éditoriaux officiels, traditionnellement réservés aux hommes. Prenons comme exemple Christine de Pisan, l’auteur dont le portrait illustre ce colloque. Née à Venise en 1364, elle est considérée comme la première Européenne à avoir gagné sa vie en écrivant. Dans son récit allégorique La Cité des Dames, la protagoniste se moquait de la misogynie qui régnait en ce temps-là et disait regretter que Dieu ne l’ait pas faite naître homme, de manière à être parfaite à tous égards, comme les hommes prétendaient l’être.

Pour sortir du silence et franchir les multiples barrières, certaines écrivaines ont décidé de se faire passer pour des hommes. Plusieurs ont publié leurs écrits sous un pseudonyme masculin, certaines ont pris des habits d’homme et d’autres ont choisi, selon Béatrice Didier, de « vivre en marge du système familial » et enfin quelques-unes sont allées plus loin et ont fait le choix de vivre comme des hommes tout en assumant leur féminité.

Dans le cadre européen, les événements historiques comme les deux guerres mondiales ont renforcé la participation de la femme dans la vie sociale et économique et lui ont octroyé un statut égal à celui de l’homme. C’est à ce moment-là que la femme a pu faire son entrée dans le monde de la création littéraire.

Heureusement, de nos jours la situation est assez différente par rapport à il y a tout juste un siècle, même si on ne peut pas parler de conditions tout à fait égalitaires. Il y a toujours de vastes régions du monde où les femmes sont privées de droits fondamentaux tels que le droit d’exprimer publiquement leurs opinions ou même le droit à l’éducation. Dans ces conditions, il faut encore bien des efforts pour que l’on fasse aux femmes toute leur place dans la création littéraire.

En somme, il a fallu de longues périodes de lutte pour que les femmes puissent s’exprimer, parler de leurs sentiments et de leurs préoccupations en toute liberté et quitter le rôle d’« objet » du récit pour en devenir la créatrice. Les travaux présentés ici s’interrogent sur la place des femmes dans le monde de la création littéraire et le chemin qu’elles ont parcouru pour gagner leur place dans ce monde. Vu ses attributs biologiques et son statut social, différents de ceux de l’homme, y a-t-il des spécificités de « l’écriture-femme1 » ? Si oui, lesquelles ? Quelles difficultés la femme croise-t-elle lorsqu’elle est en voie d’affirmation de soi et de son écriture ? La condition de la femme, différente selon les époques et les lieux, influe-t-elle sur son écriture ? Enfin, est-il possible de distinguer une création littéraire féminine d’une création littéraire masculine ?

C’est bien le sens du récent Dictionnaire universel des créatrices, que vient de boucler Béatrice Didier avec Antoinette Fouque et Mireille Calle-Gruber : l’entreprise, colossale, n’allait pas de soi mais elle permet de donner une nouvelle visibilité aux femmes artistes, écrivaines, et créatrices dans tous les domaines. Linda Sahmadi et Aude Marquis-Petit s’intéressent à deux écrivaines du XIXe siècle britannique, Charlotte Brontë et George Eliot, qui ont toutes deux montré les difficultés de la condition féminine dans le contexte social qui était alors le leur, avec les problématiques du mariage, de la maternité, de l’indépendance vis-à-vis des hommes. Olimpia Gargano et Aylar Hassanpour suivent des voyageuses qui se sont révélées comme écrivaines à l’occasion de leur périple en Orient à la fin du XIXe siècle ou au début du XXe, en compagnie de leur frère ou de leur époux, sur les brisées de la célèbre Lady Montagu : Demetra Vaka, Noëlle Roger, ou encore Jane Dieulafoy. Les trois dernières contributions, respectivement d’Elaheh Salehi Rizi, Fatemeh Samiei et Mariane Bitar, évoquent des écrivaines contemporaines d’origine iranienne en ce qui concerne Zoyâ Pirzâd (dont l’œuvre est comparée avec celle d’Annie Ernaux) et Shirin Ebadi, prix Nobel de la Paix en 2003 ; et l’auteure renommée dans tout le monde arabe, Ahlam Mostaghanemi.

L’ensemble de ces contributions adopte ainsi des perspectives dynamiques et, tout en esquissant un panorama historique, elles sont résolument tournées vers des problématiques contemporaines.

Notes de bas de page numériques

1 Pour reprendre le titre de l’ouvrage de Béatrice Didier, L’Écriture-femme [1981], Paris, PUF, 3e éd. 1999.

Documents annexes

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Pour citer cet article

Olimpia Gargano et Aylar Hassanpour , « L’expérience féminine dans l’écriture littéraire », paru dans Loxias-Colloques, 5. L’expérience féminine dans l’écriture littéraire, L’expérience féminine dans l’écriture littéraire, mis en ligne le 30 mai 2014, URL : http://revel.unice.fr/symposia/actel/index.html?id=504.

Auteurs

Olimpia Gargano

Aylar Hassanpour