Loxias-Colloques |  16. Représentations littéraires et artistiques de la femme japonaise depuis le milieu du XIXe siècle 

Christine Lévy  : 

Les femmes nouvelles au Japon face à la caricature

Résumé

La caricature des membres de la revue Seitô (1911-1916), prend une tournure agressive lorsque celles-ci sont accusées de transgresser les mœurs. Manifestation des craintes et préjugés que suscitent le mouvement féministe et l’engagement des femmes, c’est une arme pour réduire les femmes nouvelles à l’insignifiance et au silence. Celles-ci, Hiratsuka Raichô (1886-1971) en tête, répondent à ces attaques par l’affirmation de leurs ambitions à explorer de nouvelles voies pour les femmes, créatrices de valeurs, en revendiquant leur propre vision qu’elles élaborent à partir de diverses lectures et recherches. Ainsi elles vont créer autour d’elles un milieu dynamique, un collectif d’où jailliront nombre de figures féminines de premier plan dans les divers domaines, culturel, politique, médiatique, artistique et littéraire dans les décennies suivantes.

Index

Mots-clés : femme nouvelle au Japon , Hiratsuka Raichô, Itô Noe, Seitô

Géographique : Japon

Chronologique : ère Taishô , XXe siècle

Plan

Texte intégral

Naissance de la revue Seitô

Le mensuel Seitô a vu le jour en septembre 1911, 52 numéros s’ensuivirent jusqu’en février 1916. Parmi les nombreuses couvertures, celle de son premier numéro est restée célèbre, comme un emblème du désir d’expression et d’émancipation des femmes (fig.1). Ce portrait d’une femme au style Art déco fut dessiné par Naganuma Chieko1 (1886-1938) à la demande de Hiratsuka Raichô (fig.3), l’initiatrice de l’association et de la revue éponyme.

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Fig.1 : Couverture de la revue Seitô

Les premiers numéros n’indiquaient pas la date de parution. Sur cette page les sceaux de diverses bibliothèques auxquelles a appartenu la revue. On y voit le tampon Tsuda bunko daté du 10 septembre 1911. Il s’agit de la bibliothèque personnelle de l’historien Tsuda Sôkichi (1873-1961) transmise en dons par sa veuve. (Photo C. Lévy)

Raichô qui avait connue Chieko à la Nihon joshi daigakkô (Ecole supérieure pour filles du Japon2), lui avait rendu visite en août 1911 pour lui demander de concevoir la couverture de la revue à naître, représentant une femme habillée dans un drapé rayé. On aurait pu se demander si cette tunique était inspirée par les tenues de style gréco-romain, symbole de la démocratie, que certaines suffragettes portaient dans les manifestations, comme on pouvait en voir une illustration sur le numéro de juin 1913 de la revue Taiyô consacrée aux femmes nouvelles.

Les premiers tirages de la revue ne portaient pas les rayures que l’on voit sur la photo : on raconte que la police exigea que le dessin fût revêtu de motifs parce qu’il suggérait la transparence. Mais en découvrant le modèle qui a servi à Naganuma Chieko, on voit que ces rayures existaient dans l’original : un dessin pour une marqueterie de bois réalisée par un artiste autrichien Joseph Engelhart (1864-1941), en 1904, pour l’exposition universelle à Saint Louis en Louisiane (fig.4). Chieko a repris la figure de la fée Viviane (ou la Dame du Lac), un personnage mythique des légendes arthuriennes3, probablement sans le connaître, mais qu’elle a peut-être rencontré lors d’un de ses ateliers pratiques à l’École supérieure des Beaux-Arts. Nogami Yaeko (1885-1985), contributrice aussi de la revue Seitô traduisit La légende d’Arthur réécrite par l’auteur américain Thomas Bulfinch (1796-1867), en 1942 et la rendit assez populaire par la suite au Japon.

Cette image représentait probablement aux yeux de Chieko un personnage féminin aux multiples facettes, ouvert à toutes les imaginations. Mais l’observation de ces deux images nous permet de revenir à l’anecdote sur la police des mœurs ; placées côte à côte, on aperçoit une nette différence : celle d’Engelhart montre le corps nu à travers le drapé, les seins, le sexe, les jambes avec les genoux et le pied sont très distinctement tracés alors que Chieko n’a pas repris cette nudité explicite.

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Fig.2 Josef Engelhart, Ein Wiener Maler erzählt... Wilhelm Amdermann Verlag, Vienna, 1943, p. 116 

https://www.dorotheum.com/en/l/1292206/ (Consulté le 30/10/2019).

« Une pépinière de Nora japonaises » 

Dans le contexte de répression idéologique et politique de l’année 1911 qui débuta par l’exécution des douze militants socialistes et anarchistes condamnés dans l’Affaire du crime de lèse-majesté4, il y avait peu de place pour des revendications politiques des femmes. Les premières revendications de l’égalité des droits entre hommes et femmes qui apparaissent dans la décennie 1880, furent sévèrement réprimées en même temps que le Mouvement pour la Liberté et les droits démocratiques5. Les femmes en particulier s’étaient vu interdire toute activité politique par la loi de 1890. Kishida Toshiko (1863-1901) fut une des représentantes la plus emblématique et son portrait en train de tenir un discours politique fut reproduit dans des estampes. Son discours politique le plus connu est celui intitulé Hakoiri musume6 dans lequel elle prônait la nécessité de l’éducation pour toutes les filles.

Si ces personnalités avaient été oubliées au début de l’ère Taishô, certaines étudiantes de la Nihon joshi daigakkô s’abonnèrent à la revue créée par Fukuda Hideko (1865-1927) – devenue féministe après avoir assisté à un discours de Kishida Toshiko. Mais cette revue Sekai Fujin (Femmes du Monde) n’était pas exclusivement dirigée par des femmes, des militants socialistes et réformistes comme Sakai Toshihiko (1870-1933)7, Abe Iso (1865-1949)8 y publiaient aussi des articles. Cet héritage, Katô Midori (1888-1922), actrice, écrivaine, puis journaliste, le rappelle dans son article sur les femmes nouvelles paru en janvier 1913. L’originalité de Seitô est d’avoir été créé uniquement par des femmes, et d’avoir constitué une communauté des femmes désireuses de s’exprimer, de créer, d’avancer sur la voie de leur propre émancipation. Le désir de devenir une femme nouvelle y est explicitement exprimé par ses contributrices.

La réalisation de soi par la création est un des moteurs des débats, elle passe par la contestation du rôle et de l’image dévolus à la femme au sein de l’institution familiale. La reconnaissance de la femme en tant qu’individu indépendant, constitue la préoccupation centrale de l’association Seitô. Raichô répondait dès le premier numéro aux moqueries que cette volonté ne manquerait pas de susciter :

Ce que font les femmes, pour le moment, ne suscite que rires moqueurs.
Je sais parfaitement ce qui se cache derrière ces rires moqueurs.
Mais je ne crains rien9.

Son manifeste, « À l’origine la femme était le soleil », publié dans le premier numéro de la revue Seitô, en septembre 1911, devint le symbole du féminisme. Cette phrase est souvent citée dans les Congrès nationaux ou internationaux, comme lors de la Conférence mondiale sur les femmes à Mexico, en 1975. Elle fait sensation à l’époque par sa détermination à accorder les paroles aux actes. Elle ne se contente pas de critiquer le système familial, elle décide de vivre en couple sans se marier, puis d’assumer la naissance de ses deux enfants hors mariage. C’est une attitude exceptionnelle au Japon non seulement à cette époque, mais encore aujourd’hui10.

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Fig. 3 Hiratsuka Raichô (1886-1971)

http://www.cc.matsuyama-u.ac.jp/~tamura/hiratukaraityou.htm (Consulté le 30/10/2019).

Il leur fallut beaucoup de courage pour élever la voix, parler, organiser des réunions publiques pour parler de leur projet, et même si au départ la revue Seitô affichait surtout sa vocation de développer des talents littéraires féminins, elle fut rapidement assimilée à une « pépinière de Nora japonaises », et le comportement de ses membres, scruté attentivement. Cette photo tirée de la revue Seitô (prise en janvier 1912 pour une réunion du nouvel an, fig.4) fut reproduite dans le numéro de Taiyô qui comparait ainsi les femmes nouvelles en Grande-Bretagne (fig.5) à celles du Japon.

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Photos couverture intérieure, Taiyô du 15 juin 1913, (Photo C. Lévy)

Fig.4. à gauche : cette photo a été fournie par l’association Seitô à la revue Taiyô. La photo est sous-titrée : The So Called “New Women”. On voit Naganuma Chieko, assise, au centre, Raichô la 2e personnes à partir de la droite, la seule en hakama.

Fig.5. à droite, Christabel Pankhurst (1880-1958) ; en haut à droite Mary Gawthorpe (1881-1973), en bas à droite, Emmeline Pethick-Lawrence (1867-1954), et en bas à gauche Dora Marsden, (1882 - 1960).

La revue arborait les portraits des suffragettes anglaises, on y voit au centre Christabel Pankhurst (1880-1958), fille d’Emmeline Pankhurst (1858-1928), jouée par Meryl Streep dans le film très réussi de 2015 Les Suffragettes11, retraçant le militantisme des nombreuses femmes de toutes classes sociales.

Le temps des caricatures

Les caricatures ne tardèrent pas. Comme on le voit dans l’image ci-dessous (fig.6), une parodie dessinée par Tanaka Hisara, Seitô gagne une réputation sulfureuse, surtout par les récits qu’Otake Kôkichi (1893-1966) rapporte aux journalistes.

Elle s’était rendue dans un bar (Mêzon kô no su – La Maison, Au nid des cigognes), à la mode dans le milieu littéraire pour leur proposer d’insérer une publicité dans Seitô ; à cette occasion, on lui proposa de goûter un cocktail. Elle raconta dans le numéro de juillet 1912 de Seitô qu’elle avait bu cul sec un verre de cocktail aux cinq couleurs12 chatoyant comme un arc-en-ciel. Il n’en fallut pas plus pour que la presse en fît un scandale. Puis elle proposa à Raichô et quelques membres une visite de Yoshiwara13, à l’instigation de son oncle, un peintre connu, Otake Chikuha qui les introduisit dans une des maisons les plus chic du quartier. Elles discutèrent avec une oiran14 et dormirent dans une pièce attenante, mais la presse rapporta que plusieurs membres de Seitô étaient allées à Yoshiwara pour acheter les services sexuels d’autres femmes. Elle colporta également que Raichô avait pour amant un très jeune homme15.

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Fig.6 L’apparition de la femme nouvelle (Tanaka Hisara, 1891-1974)

http://rikukaigun.tuzikaze.com/meiji-taisyou-syouwa-daiemaki..m29-m45.html (consulté le 19/10/19).

On y voit ici l’illustration de ces épisodes : une étudiante, reconnaissable à son kimono de couleur sobre et au port du hakama16, serre la main d’une oiran en trinquant avec elle un verre à la main. Ce dessin résume ce par quoi arriva le scandale, l’alcool et la visite au quartier de plaisirs de Yoshiwara. La banderole rouge, recouverte de phrases en alphabet latin souligne l’origine occidentale du mouvement, derrière, une étudiante en hakama brandit un sabre sur lequel apparaît en lettres sanglantes, le mot joken17, (les droits des femmes) : le premier caractère chinois signifie femme, mais ken a été laissé en hiragana18, pour un jeu de mots, car phonétiquement il signifie aussi sabre, ce qui permet de donner une image agressive et effroyable à cette revendication.

Sous le titre, L’apparition des femmes nouvelles, le premier commentaire sur la droite de l’estampe énonce :

Les mouvements occidentaux d’émancipation des femmes proclament « nous, les femmes, devons désormais nous libérer de la vie humiliante qui nous est imposée et fonder une vie nouvelle dans un monde nouveau » ; leurs étincelles irradient jusque dans notre pays lointain : l’association Seitôsha, en les personnes de Hiratsuka Akiko19 et Otake Kôkichi, réclame haut et fort l’émancipation des Japonaises, elles n’hésitent pas à fréquenter des cafés pour y clamer l’élargissement des droits des femmes, tout en buvant les cocktails à cinq couleurs. Ce n’est pas fini, quel ahurissement d’apprendre qu’elles sont allées rendre visite au quartier des plaisirs ! Voici les pionnières des femmes nouvelles dans notre pays.

Le terme de femme nouvelle atarashii onna avait fait son apparition avant la parution de Seitô, surtout à partir des articles des deux correspondants de presse à Londres, Kikuchi Yûhô (1870-1947) et Hasegawa Nyozekan (1875-1969). Ils relatèrent le mouvement des suffragettes dans la presse japonaise durant l’été 190820. Aux caractères chinois de shinfujin (新婦人) fut associée la lecture nyû ûman (ニューウーマン) en katakana21. Nyozekan relate dans son article la manifestation des suffragettes qui s’était déroulée le 21 juin 1908 (« Joken kakuchô ji.i undô [Manifestation pour l’élargissement des droits des femmes] » Tokyo Asahi shinbun, publié du 1 au 3 août 1910). Alors que la presse rapportait en général le mouvement des suffragettes en termes péjoratifs, Nyozekan, en journaliste libéral, décrit avec beaucoup d’émotion et de sympathie cette manifestation, impressionné par son ampleur : trois femmes à cheval qui ouvrent la marche, des centaines de femmes en costume grec les suivent, une grande bannière est déployée en l’honneur de toutes celles qui furent arrêtées, une quarantaine de groupes de musiciennes animent la manifestation. Il explique que celle-ci s’étend sur une distance de trois kilomètres, parsemée de centaines de pancartes. Il décrit aussi la réaction favorable du public dans la rue. C’est peu de temps après, que le dramaturge Tsubouchi Shôyo (1859-1935), en 1910, entama une tournée de conférences, intitulée « La femme nouvelle dans le théâtre moderne »22. Après avoir énuméré les fantasmes et les idéalisations qui l’entoure, il se pose la question de savoir comment la femme nouvelle fera son apparition au Japon. La société était dans l’expectative, et cette figure lui paraissait a priori énigmatique.

Leur apparition est d’abord physique : dans le roman Baien (Suie)23, dont le titre fut directement inspiré, de Fumée de Tourgueniev, c’est une femme habillée en hakama rayé24, l’habit typique des étudiantes comme on l’a vu dans la caricature. Et cette étudiante, Tomoko, pour tout lecteur de l’époque, était le portrait de Hiratsuka Raichô, décrite comme une femme au comportement énigmatique, incompréhensible, parce que non conforme à la modestie féminine. Morita Sôhei fait dire à son personnage Yôkichi qu’elle avait un visage inoubliable mais qu’on ne pouvait désirer voir tous les jours25. C’est donc une figure d’exception, qui suscite une sorte de crainte, un recul sans qu’on puisse se l’expliquer. Il compare l’héroïne, Tomoko (Raichô donc), à Nora, mais comme une femme plus sûre d’elle, et dont l’intelligence plonge l’homme dans l’incompréhension, le désarroi. Cette femme n’est d’ailleurs pas une femme nouvelle ordinaire26. C’est dire le caractère exceptionnel de l’aventure27.

Le refus de l’esclavage domestique

Qu’en était-il des intéressées elles-mêmes ? À quelle exception aspiraient-elles ? Au fond si on devait résumer leur aspiration, on pourrait dire que c’est le refus de l’esclavage domestique, de la réduction de leur univers aux tâches monotones et aux obligations familiales, afin de pouvoir réaliser des vocations créatrices ou intellectuelles. Cela signifiait pour elles deux choses, le droit à l’amour dans la relation conjugale, et la liberté d’évoluer dans une carrière choisie. Alors que l’accès à l’étude est vécu chez ces jeunes femmes comme un désir de s’élever et de faire naître aspiration et ambition, les dirigeants politiques veulent surtout les en empêcher pour qu’elles ne dévient pas de la « vocation première de la femme », celle de donner des enfants à la nation en construction pour devenir « Un pays riche, une armée forte ».

Otake s’était fait une idée de Raichô avant de la connaître en chair et en os, par la lecture du roman qu’avait tiré Morita Sôhei, Baien dont nous avons parlé28. Or chez les lecteurs et lectrices surtout, Raichô était Tomoko, l’héroïne du roman Baien se superposant à l’image de la femme nouvelle. Lorsque les anciennes étudiantes de Nihon joshi daigakkô se réunirent autour d’elle dans l’association Seitôsha, elles furent perçues comme leurs représentantes au Japon. Jamais on n’aura autant parlé des femmes nouvelles au Japon que durant les années 1911-191329. Dans les allusions à Raichô, « l’étudiante zen (zen gakureijô)30 », connue de tous désormais, est présentée à la fois comme un type nouveau de femme qui ne cède en rien aux féministes occidentales (le 30 mai 1911, « Atarashiki onna », 8e article de la série, Tokyo Asahi shinbun), mais aussi comme une personne moralement condamnable. Le premier de la série de trente-cinq articles, présentait le mouvement féministe comme un mouvement inexorable à l’échelle mondiale. Le second article poursuivait en présentant les thèses et l’historique du féminisme à travers le monde. Le ton, neutre au départ, se fait de plus en plus critique au fur et à mesure que les articles abordent la réalité japonaise, en particulier lorsqu’il est question de la surveillance par les directeurs des établissements des fréquentations des lycéennes. Le contrôle des mœurs fut un des soucis majeurs de la politique publique en direction des écoles secondaires et supérieurs et les directeurs d’école pour filles érigeaient des règlements stricts pour empêcher les contacts avec des hommes sur le chemin de l’école.

Ces articles montrent que si l’apparition de la femme nouvelle était attendue au Japon, ce n’était pas sans susciter anxiété et rejet. La femme moderne devait avant tout passer par le moule de « la bonne épouse, mère avisée (ryôsai kenbo) », et si on attendait de la « femme nouvelle » qu’elle soit vive, jeune, pleine d’esprit, elle devait rester moralement irréprochable. Or la moralité de la société de l’époque pour la femme se résumait à la défense de sa virginité avant le mariage puis à la fidélité à l’époux après. Les membres de Seitô vécurent leurs relations amoureuses au grand jour, en dehors du mariage et abordèrent des questions liées à l’amour et à la sexualité. Or, sur le plan des relations sexuelles, il existait à côté de cette institution du mariage, un territoire réservé aux hommes, celui de la prostitution. Il n’y avait pas de place pour la femme libre, même si la notion de l’amour libre commençait à être discutée passionnément par certains intellectuels.

Les attaques ne viennent pas que de la presse, mais aussi du milieu académique, Naruse Jinzô (1858-1919), le fondateur de Nihon joshi daigakkô, écrit par exemple :

Les femmes nouvelles qui commencent à faire leur apparition au Japon… je pense qu’il s’agit d’une manifestation maladive et d’une folie. Il existe des personnes qui ne veulent se préoccuper que d’elles-mêmes et qui ne veulent même pas s’occuper des parents ou de la famille. Je pense que ce sont des personnes qui ont des défauts physiologiques31

L’époque n’était pas vraiment prête à accepter l’existence de femmes nouvelles.

Tracer des perspectives nouvelles

Quel sens donner à leur existence ? La réponse apportée par Itô Noe à ces caricatures dans son introduction au recueil de textes d’Emma Goldman, décrit l’état d’esprit des femmes de Seitô :

Je dédie ce recueil à vous tous, jeunes frères et sœurs, en espérant qu’il servira de nourriture spirituelle à chacun d’entre vous. « L’émancipation » ne consiste pas à changer de coiffure, à se vêtir d’un manteau, encore moins à boire un cocktail aux cinq couleurs. Mais ceux et celles qui prennent des airs de grands seigneurs en s’offusquant des nouvelles tenues vestimentaires, en insultant les femmes qui boivent de l’alcool comme si c’était là un crime effroyable, sont décidément incapables de comprendre ce qu’est l’émancipation. Le vêtement chez celui ou celle qui a de la personnalité est une expression de goût, chez le vulgaire, une simple mode. Le vin n’est qu’une question de préférence de chacun. Cela n’a rien à voir avec une authentique émancipation. L’émancipation doit faire de la femme une personne authentique. Toutes les femmes qui aspirent à s’affirmer et à agir doivent pouvoir acquérir cette pensée. Tous les obstacles artificiels doivent être abolis. Toute trace de soumission et d’esclavage multiséculaires doit être éliminée de la grande voie vers la liberté32.

Montrer l’importance de leur mouvement, le caractère essentiel de leur engagement pour l’avenir des femmes, convaincre qu’elles combattent préjugés et arriération qui nuisent à la liberté des femmes et des individus sont les principaux objectifs des deux suppléments consacrés à la question de la femme nouvelle en janvier et février 1913.

Donner un sens à la femme nouvelle

Si Raichô comme Itô Noe définissent les femmes nouvelles par leur rupture avec le passé, « Les femmes nouvelles ne supportent pas de marcher sur les traces des anciennes », « les femmes nouvelles ne se satisfont pas de la vie des femmes davant, abêties, réduites en esclavage et corrompues à cause de légoïsme des hommes », écrit Raichô, elles sont conscientes des obstacles qui se dressent pour se débarrasser de « lancienne morale et [d]es vieilles lois élaborées pour la commodité des hommes33 ». Ces obstacles, ce sont d’abord tous « les fantômes qui se sont emparés de la tête des femmes dautrefois », pour proposer de « construire un nouveau royaume, avec une nouvelle religion, une nouvelle morale, de nouvelles lois » : loin des caricatures qui les réduisent à des femmes aux mœurs légères, elles s’arment de lectures, proposent des traductions pour renforcer leurs inspirations et provoquent des débats.

Elles ne savent pas encore où mène cette voie, mais Raichô répond : « Les femmes nouvelles ne le savent pas encore. Mais elles étudient, se forment, multiplient les efforts et souffrent pour ce qu’elles ne connaissent pas encore ». Les unes comme les autres cherchent à étudier, à trouver des réponses aux questions que suscite leur vocation et les trouvent à travers la découverte d’écrits féministes occidentaux. Cette quête aboutit, entre autres, à des traductions d’auteures féministes dans Seitô, comme Ellen Key (1849-1926) par Hiratsuka Raichô (De l’amour et du mariage34), d’Emma Goldman (1869-1940) par Itô Noe (La tragédie de l'émancipation féminine, Mother Earth, mars 1906, traduit en 1913)35, Rêves36 d’Olive Schreiner (1855-1920) par Yamada Waka (1879-1957)37, en 1913, Kamichika Ichiko (1888-1981)38 traduit en entier La femme et le travail39 de la même auteure, puis plus tard, Yamakawa Kikue (1890-1880)40 traduit Edward Carpenter (1844-1929), Love's Coming-of-Age : A Series of Papers on the Relations of the Sexes41, en 1916 et en 1921.

Cette recherche théorique venait prolonger la période où les personnages du théâtre moderne servaient de modèle et de point de départ d’une réflexion sur ce qu’est la femme moderne. Parmi les pièces de théâtre c’est à Une maison de poupée et au personnage de Nora qu’elles se sont le plus intéressées (cf. note 21). Ces exemples donnés par le théâtre leur permirent de réfléchir sur le processus individuel de naissance des femmes nouvelles comme l’écrit Katô Midori :

Je voudrais maintenant essayer de considérer les choses au niveau individuel, c’est-à-dire la naissance des « femmes nouvelles » en raison de circonstances, c’est bien le cas par exemple de la Nora de la Maison de poupée d’Ibsen ou de Magda de Pays natal42, n’est-ce pas ? Des femmes éveillées à la conscience de façon inévitable par divers événements et la pression qui naissent du foyer familial – ce sont ces « nouvelles femmes » que les circonstances engendrent. D’un autre côté, c’est de façon quasi innée que la Hilda de Solness le constructeur d’Ibsen ou Hedda Gabler dans la pièce éponyme possède les caractéristiques des femmes nouvelles… Nous voudrions pouvoir nous observer nous-mêmes de l’extérieur, et nous ne regardons plus les hommes avec respect comme avant. Parfois il nous arrive de les considérer avec horreur.

Les héroïnes de ces pièces de théâtre ont servi de modèle : la femme nouvelle est celle qui refuse l’autorité du mari (Nora), le pouvoir paternel (Magda), l’éducation pour préparer la jeune fille au rôle de bonne épouse (Hedda Gabler), et ces pièces semblent leur indiquer quelles sont les circonstances qui les ont faites naître, qui les ont amenées à la prise de conscience, mais elles n’indiquent pas toujours leur futur :

Ci-dessus j’ai parlé des causes de l’apparition des nouvelles femmes. Alors quelle attitude ces femmes adoptent-elles dans la vie ? Quelle nouvelle voie doivent-elles emprunter en tant que nouvelles femmes de notre époque43 ?

C’est ainsi que les numéros consacrés à la femme nouvelle, pour répondre aux caricatures, vont être le point de départ de recherches plus approfondies sur leur devenir à travers l’exploration d’écrits théoriques de féministes. Les discussions sur ce point les amènent à constater que la première condition pour être une femme nouvelle est de conquérir l’indépendance économique grâce à l’acquisition d’un métier. Katô Midori déclare que les choses ne sont pas sérieuses tant qu’on vit auprès de ses parents.

Raichô quittera le domicile de ses parents l’année suivante pour gagner son indépendance ; elle rend publique la lettre envoyée à ses parents. Les membres de Seitô seront nombreuses à être soumises à de rudes épreuves dans leurs aventures amoureuses, alors qu’elles prônent l’amour et le respect mutuel. La jeune fille doit-elle renoncer à ses rêves et illusions pour entrer dans les rangs avec le mariage ? L’harmonie entre l’homme et la femme peut-elle durer ? Ne serait-elle pas que passagère et superficielle ? Pour certaines, comme Katô Midori, la solitude, un grand thème du roman contemporain, semble être le destin inévitable de la femme nouvelle. Selon elle, la femme nouvelle doit être prête au célibat, condition presque inévitable pour garder son autonomie.

L’indépendance économique comme l’indépendance intellectuelle sont des thèmes développés par d’autres membres de Seitô : citons Ueno Yô (1886-1928), Iwano Kiyo (1882-1920). Ueno Yô, enseignante, membre dès le mois de décembre 1911 de Seitô, avait déjà rédigé un texte « Fujin mondai to monbushô no taido (La question féminine et l’attitude du ministère de l’Education) », en 1910. Elle publia de nombreux textes dans Seitô, sa vision désenchantée du mariage et son témoignage sur l’existence du désir sexuel détaché des sentiments amoureux chez la femme, font d’elle une figure d’exception parmi les intellectuelles japonaises de l’époque qui pensent que le désir sexuel est inséparable des sentiments amoureux chez la femme, contrairement à l’homme.

Iwano Kiyo avait déjà publié dans Nijûseiki no fujin (Femmes du XXe siècle), revue fondée en 1904, de nombreux essais sur les questions féminines. C’est avec un grand enthousiasme qu’elle rejoint l’association Seitôsha dès sa création en 1911. Elle publia dans la revue Seitô, dix-sept textes, de 1911 à 1916, et donna, à l’occasion de la première conférence organisée par l’association, en février 1913, une conférence qui fit date, dans laquelle elle soumet étroitement la liberté intellectuelle des femmes à la conquête d’une indépendance économique.

À côté des auteures féministes que nous avons citées, elles s’intéressent aussi aux nouvelles sciences sociales, comme la sociologie Lester Frank Ward (1841-1913, botaniste et sociologue), Hiratsuka Raichô et Yamada Waka (1879-1957) traduisent ses textes les plus féministes tirés de Dynamic Sociology (1883, 1897), et de Pure Sociology. (1903). À ce propos il faut citer ici le rôle de Yamada Kakichi, le mari de Yamada Waka, qui séjourna vingt ans en Europe et aux Etats-Unis et qui en avait ramené toute une bibliothèque44. Il ouvra une école fréquentée par des membres de Seitô à qui il fit découvrir de nombreux auteurs.

L’essor de la sexologie

La période de parution de la revue Seitô correspond aussi à un moment particulier de l’histoire des sciences sociales et médicales au Japon : l’essor de la sexologie.

Les engagements progressistes et réformistes de ces sexologues permettent de comprendre leurs liens avec des figures féministes, autour notamment de la question de l’éducation des filles et du contrôle des naissances. Hiratsuka Raichô connaît Yamamoto Senji (1889-1929)45 et Ogura Seizaburô (1882-1941)46, seul contributeur masculin régulier de Seitô et qui lui fit découvrir le médecin et sexologue britannique Havelock Ellis (1859-1939) dont elle traduira dans le numéro d’avril 1914, un extrait des Études de psychologie sexuelle (Studies in the Psychology of Sex).

La sexologie pour ses injonctions normatives fait l’objet de critiques et de remises en cause aujourd’hui47, mais à l’époque il s’agissait d’une démarche novatrice pour trouver des réponses aux questions qu’elles se posaient sur la sexualité.

Si l’élément essentiel et le point commun aux membres de Seitô est de poursuivre la voie tracée par son propre moi, ce qu’elle nomme le jiga, la prise de conscience de soi, la question sexuelle comme celle des relations amoureuses préoccupent beaucoup ses membres puisqu’elles veulent imaginer, créer de nouvelles relations, plus égalitaires, qui ne soient plus celles de la soumission à l’homme, pour pouvoir donner une manifestation concrète à ce moi, le jiga.

Certaines voient clairement que cela doit d’abord reposer sur une indépendance économique et intellectuelle, d’autres tâtonnent à travers des relations complexes avec leur compagnon qui leur apporte aussi de nouvelles connaissances (Ôsugi pour Itô Noe, Iwano Hômei pour Kiyo, Yamada Kakichi pour Waka etc.).

Des hommes assistent aux réunions publiques, des hommes favorables à l’émancipation féminine, mais qui veulent aussi y trouver leur place, voir influencer le mouvement. Or « La femme nouvelle désire détruire l’ancienne morale, les anciennes lois fabriquées pour les commodités de l’homme », mais le moindre vide peut favoriser le retour de la soumission. « La femme nouvelle doit ainsi se battre tous les jours contre les fantômes du passé » pour faire advenir un monde nouveau et inconnu. Pour cela elle doit trouver les forces nécessaires, et quoi de plus risqué que les relations amoureuses pour la disperser ?

Qu’il s’agisse de Raichô, de Tamura Toshiko, d’Itô Noe, et d’autres, elles ont conscience de la persistance de la « femme ancienne » dans leur cerveau et dans leur cœur parce que leur ennemi ne se trouve pas seulement dans la société et la famille, mais aussi dans leurs propres désirs et sentiments. Ce sont ces émotions et sentiments que la société scrute pour comprendre ce qui change dans l’intimité des rapports. Raichô gagna en célébrité après l’affaire dite Shiobara jiken, Itô Noe avant la rencontre avec Ôsugi Sakae se fait connaître du public par une relation amoureuse épistolaire et fictive avec un critique littéraire connu à son époque, Kimura Sôta. Chacun en tira un récit publié dans une revue, Noe dans Seitô, et Kimura dans Seikatsu (Vie quotidienne).

Ces nouvelles relations amoureuses et tumultueuses pour certaines, ont contribué à créer des mythes autour de ces femmes, à commencer par le roman dont nous avons parlé, celui de Morita Sôhei. L’ouvrage que Setouchi Jakuchô consacre à Itô Noe, Bi wa ranchô ni ari48, tourne autour de l’analyse de ses relations amoureuses avec Itô Jun, puis Ôsugi Sakae.

Si Itô Noe n’est pas très connue de nos jours, toute personne qui s’intéresse à la période Taishô connaît sa fin tragique, son assassinat au lendemain du grand tremblement de terre du Kantô, en septembre 1923, avec son compagnon Ôsugi Sakae, accompagné de son neveu.

Conclusion

La fin de Seitô fut symbolisée par cette relation qu’Itô noua avec Ôsugi, à cause du scandale provoqué par la tentative d’assassinat de ce dernier par Kamichika Ichiko. C’était aussi la fin d’une période de passion fulgurante pour toute une génération de femmes talentueuses. Les membres de la revue Seitô ont renvoyé l’image de femmes éveillées qui, ayant rejeté sans concessions les anciennes morales et traditions, voulurent affirmer et manifester leur propre moi. Elles furent aussi remarquées pour leurs passions, leurs relations amoureuses souvent exposées au public, volontairement ou non, car elles refusaient la dépendance sans renoncer à l’amour. La dynamique des rapports de forces dans les relations amoureuses se déployait dans un cadre inédit. Leur partenaire pouvait les épauler pour les encourager à déployer leurs propres talents comme Yamada Kakichi avec Waka, elles pouvaient aussi les attaquer lorsqu’elles se sentaient trahies comme Iwano Kiyoko, qui exposa son point de vue dans Ai no sôtô (La bataille de l’amour)49, rédigée sous la forme d’un journal intime pour exposer son conflit personnel et juridique. Elle y voyait un moyen de revendiquer les droits des femmes en général. Elles voyaient les unes dans l’art, la littérature, les autres dans la révolution, un lieu où elles pouvaient s’exprimer elles-mêmes. Elles ont ainsi posé les jalons de futures revues artistiques, littéraires comme Nyonin geijutsu (Artistes féminins), ou d’organisations culturelles, associatives, politiques dans l’entre-deux-guerres.

Elles ont été largement redécouvertes et réétudiées après l’avènement de la seconde vague du féminisme dans les années 1970, et leurs œuvres analysées et traitées sous des angles divers.

Si aujourd’hui les historiennes et féministes s’attachent davantage à ce qui fait la différence avec les problématiques actuelles, notamment sur le plan des revendications politiques, sur les questions de féminité et de genre, ou encore à montrer leurs limites sur le plan idéologique ou politique, il n’en demeure pas moins qu’elles ont représenté de façon significative les courants du féminisme dans leur diversité, individualiste, démocratique, socialiste, anarchiste, et toutes ont fait preuve d’un radicalisme incontestable dans leur démarche pour avancer vers leur idéal.

Objet d’attaques de la presse, du milieu académique et de groupes conservateurs, la revue vécut contre vents et marées et reçut de nombreuses lettres d’encouragement de la part de ses abonnées ou lectrices. De cinq à la création de leur association, le nombre de contributrices passa à pas moins de cent cinquante tout au long de son existence, ce qui en fit la communauté littéraire féminine la plus importante de son époque. Si son tirage, trois mille exemplaires, est loin de rivaliser avec celui des revues féminines commerciales50, c’est que le contenu de la revue était bien loin de correspondre à la dépravation sexuelle51 dont les descriptions auraient pu attirer une clientèle avide de textes excitants. Le but de la revue était de promouvoir une littérature écrite par les femmes, encourager le développement du génie féminin comme annoncé dans le premier numéro, et effectivement, nombre de ses lectrices sont devenues des autrices. Presque toutes les contributrices de Seitô, à l’exception de certaines poétesses ou écrivaines comme Yosano Akiko, Ueno Yaeko, Okada Hachiyo dont les noms étaient déjà bien établis sur la scène littéraire, beaucoup se lancèrent grâce à cette revue dans la vie littéraire. Seitô fut ainsi un lieu d’expérimentation collectif où beaucoup trouvèrent à s’y déployer. À travers les études biographiques réalisées par des féministes de l’après-guerre sur Hiratsuka Raichô, Itô Noe, Otake Kôkichi, Hasegawa Shigure, Iwano Kiyoko etc., leurs auras grandirent au cours des décennies 1970-90 à la recherche d’une assise historique au féminisme japonais créant des figures, sinon mythiques, fondatrices de l’idée d’un féminisme spécifique au Japon.

Notes de bas de page numériques

1 Elle épousa le sculpteur Takamura Kôtarô (1883-1956), connut une fin difficile, internée en hôpital psychiatrique. Elle y réalisa au moyen de découpage de papier, une œuvre originale, exposée dans la maison familiale reconstituée en musée à Nihonmatsu dans le département de Fukushima. Son mari lui consacra un recueil de poèmes très populaire au Japon, Chieko-shô.

2 Fondée par le pédagogue réformateur Naruse Jinzô (1858-1919) en 1901, c’est la plus ancienne et la plus grande université pour femmes du Japon. Le statut d’université date de 1948 (Nihon joshi Daigaku, Japan Women University).

3 Elle donne l’épée Excalibur au Roi Arthur. Elle enchante Merlin, guide le roi mourant vers Avalon après la bataille de Camlann.

4 Christine Lévy, « Autour de l’Affaire du crime de lèse-majesté : modernité politique et répression », Tokyo, Ebisu, n°44, 2010, pp. 87-109.

5 Ce mouvement prit naissance à la suite de la première crise gouvernementale de Meiji, en 1873, lorsque Itagaki Taisuke (1837-1919), un des cinq membres démissionnaires du gouvernement, lança une pétition pour demander la convocation d’une Assemblée nationale élue.

6 « Les filles enfermées dans les boîtes », expression de la région du Kansai pour désigner l’éducation en vue de les préparer au mariage.

7 Fondateur avec Kôtoku Shûsui (1871-1911) de l’hebdomadaire Heimin shinbun (1903-1905), opposé à la guerre russo-japonaise, dirigeant du premier Parti communiste, il fonde avec d’autres le courant connu sous le nom de Rônô-ha (courant ouvrier-paysan), dissident du PCJ.

8 Fondateur du premier Parti socialiste interdit aussitôt en 1901, professeur à l’université Waseda, c’est un socialiste réformateur chrétien.

9 Texte traduit dans Christine Lévy (dir.), Genre et modernité au Japon – La revue Seitô et la femme nouvelle, PUR, Archives du féminisme, 2014, p. 53.

10 Les naissances hors mariage restent l’exception avec environ 2% des naissances.

11 Film britannique historique de Sarah Gavron.

12 Une mode venue de France : on verse dans un verre, par ordre de densité d’alcool, crème de cassis, menthe, marasquin, vanille et cognac, ce qui permet d’obtenir un verre aux cinq couleurs rayées, rouge, bleu, blanc, vert, châtaigne.

13 Depuis l’époque Edo (1603-1868), chaque ville avait son quartier de prostitution fermé d’où les filles ne pouvaient sortir sans autorisation de la police.

14 Il s’agit de « courtisanes » de haut rang, qui se comptaient sur les doigts d’une main dans les quartiers de prostitution et ne prenaient que des clients très riches, en rivalité pour acheter leurs services.

15 Kôkichi, amoureuse de Raichô, s’était désignée comme un jeune homme dans un compte rendu.

16 Le hakama réservé aux hommes, est autorisé aux femmes fréquentant des écoles privées pour des raisons pratiques par le gouvernement au tout début de Meiji. C’était un vêtement porté par les femmes au service de la Cour impériale, mais qui leur était interdit dans l’espace public. Interdit à nouveau en 1879, il est réintroduit dans le lycée pour jeunes filles de l’aristocratie dans les années 1890. Il se répand chez les étudiantes au début du vingtième siècle mais disparaît assez vite avec le modernisme.

17 女権: dans joken, ken signifie pouvoir, droit. Le sabre s’écrit 剣.

18 Un des deux syllabaires, indispensable à la transcription du japonais pour marquer tous les éléments grammaticaux de la langue japonaise et rendre le texte fluide.

19 Akiko est son prénom de naissance, Raichô son nom de plume.

20 En juin 1908, 250 000 personnes marchèrent sur Hyde Park pour le vote des femmes, une des manifestations la plus importante de l’Angleterre.

21 L’autre syllabaire qui sert surtout à retranscrire les mots d’origine occidentale de nos jours, ou certaines onomatopées.

22 Voir : Christine Lévy, « Le premier débat public de Seitô : autour d’Une Maison de poupée », Ebisu [En ligne], 48 | automne-hiver 2012, mis en ligne le 21 mai 2014, consulté le 19 octobre 2019. URL : http://journals.openedition.org/ebisu/569 ; DOI : 10.4000/ebisu.569

23 Roman écrit par Morita Sôhei après une affaire de double suicide raté avec Hiratsuka Raichô. Celle-ci vécut très mal la parution de ce roman qui prolongeait ainsi à ses dépens le scandale dont elle avait été l’objet.

24 Morita Sôhei, Baien, Tokyo, Iwanami bunko p. 73.

25 Morita Sôhei, Baien, Tokyo, Iwanami bunko, p. 75.

26 Morita Sôhei, Baien, Tokyo, Iwanami bunko, p. 221.

27 La première partie du roman est la description de la vie et des rapports sociaux, familiaux à la campagne d’où il vient. Toutes les relations, notamment celles avec sa femme (p. 230) apparaissent en contraste avec la relation nouée avec Tomoko. Femme fatale ?

28 Dès 1908, comme son maître Natsume Sôseki, il se préoccupait de savoir à quoi pouvait ressembler la femme nouvelle. Intrigué par la nouvelle écrite par l’étudiante Hiratsuka Akiko, il pense avoir trouvé chez elle un modèle japonais.

29 En plus des 35 articles de Tôkyô Asahi shinbun, le quotidien Yomiuri en publie 25 articles à partir du 5/5/1912, Le Kokumin shinbun 4 articles, du 12-15 juillet 1912. Les revues Shinchô, en septembre, Chûô kôron, Rikugô zasshi, en juillet, consacrent chacune un numéro. Ton général de la presse est celui de la critique, malveillance, ironie, et moquerie.

30 Morita qualifie de fanatique la pratique zen de son héroïne : Morita Sôhei, Baien, Tokyo, Iwanami, p. 220-221, p. 250.

31 Naruse Jinzô, « Ôbei fujin-kai no shin keikô (Les nouvelles tendances des associations féminines occidentales) », Chûô kôron, avril 1913.

32 Itô Noe, Itô Noe zenshû (Œuvres complètes d’Itô Noe), vol. 2, Tokyo, Gakugeishorin, p. 64 ; Seitô, mars 1914, p. 120.

33 Toutes les citations de cette page : Raichô, Seitô, no janvier 1913, supplément, p. 1-3.

34 L’ouvrage d’Ellen Key comprend neuf chapitres, Hiratsuka publie les traductions des cinq premiers chapitres entre janvier et juillet 1913.

35 Chez Tôundô shoten, l’éditeur de Seitô.

36 Seitô, novembre 1913.

37 Réduite à la prostitution par tromperie, elle fuit Seattle, puis à San Francisco se réfugie au Cameron House. Elle s’y convertit au christianisme et travaille comme interprète pour les nouvelles arrivées. Pour se perfectionner en anglais elle fréquente l’école tenue par Yamada Kakichi (1865-1934) avec qui elle se marie en 1905. Les époux revinrent au Japon en 1906 après le grand tremblement de terre de San Francisco. Waka s’éloigna des positions féministes après les années 1920, devint de plus en plus conservatrice.

38 Journaliste et membre de Seitô, elle est connue entre autres pour l’affaire dite Hikagejaya : elle poignarda dans l’auberge de ce nom, en novembre 1916, Ôsugi Sakae, un dirigeant anarchiste, qui prônait les principes de l’amour libre et qui s’était engagé dans une relation quadrangulaire, avec sa femme, Itô Noe et elle-même. Elle fit deux ans de prison. Après 1945, députée socialiste (faction de gauche) de 1947 à 1969, elle joue un rôle central pour faire adopter la loi de prévention contre la prostitution en 1956.

39 Editions San.ikusha, 1917.

40 Lectrice de la revue Seitô, elle publie en 1916, ses deux premiers articles (sous le nom d’Aoyama Kikue) en réponse à Itô Noe qui a critiqué le mouvement abolitionniste de la « prostitution publique » pour montrer le bien-fondé de cette revendication. Son intervention dans le débat sur la protection maternelle (Bosei hogo ronsô) qui oppose Hiratsuka Raichô à Yosano Akiko dans la revue Fujin kôron (Le Forum des femmes), en mars 1918, la rend célèbre. En 1948, elle occupe le poste de chef du Bureau des mineurs et des femmes (Fujin shônen kyoku) au ministère du Travail, jusqu’en 1951.

41 Sous le titre Ren.airon (Théories sur l’amour), aux éditions Daitôkaku.

42 Titre japonais de la pièce de Hermann Sudermann (1857-1928), Magda.

43 Texte traduit dans Christine Lévy et Brigitte Lefèvre (dir.), Parcours féministes dans la littérature et dans la société japonaise de 1910 à 1930 : de Seitô aux modèles de politique sociale, Paris, L’Harmattan, collection « Des Idées et des Femmes », 2016, p. 141.

44 Bien qu’une bonne partie ait brûlé lors du tremblement de terre de San Francisco en 1906 (cf. note 37).

45 Biologiste, il promeut l’éducation sexuelle. Il est exclu de l’Université de Kyôto en 1924, pour ses conférences prônant la contraception, assassiné en 1929 par un groupe d’extrême-droite pour ses sympathies communistes.

46 Il fonde, en 1911, un groupe d’études sur la sexualité fréquenté par Raichô, Itô Noe entre autres, et lance une revue Sôtai qui parut jusqu’en 1944, malgré les censures fréquentes, sa femme poursuivit sa publication après son décès en 1941.

47 Voir « Réception de la sexologie et présentation de l’homosexualité féminine dans la revue Seitô », dans Parcours féministes dans la littérature et dans la société japonaises de 1910 à 1930 : de Seitô aux modèles de politique sociale, Christine Lévy et Brigitte Lefèvre (dir.), Paris, L’Harmattan, collection « Des Idées et des Femmes », décembre 2016, p. 123-142.

48 Beauty in Disarray pour la traduction anglaise par Sanford Goldstein and Kazuji Ninomiya.

49 Publié en novembre 1915.

50 Shufu no tomo (L’amie de la ménagère) passe de dix mille en 1917 à 230.000 en 1924, Fujin kôron à 70.000 exemplaires en 1919 etc.

51 Cette image est reprise aussi dans un ouvrage publié en 1913 par un certain Higuchi Reiyô, Atarashiki onna no rimen (L’envers de la femme nouvelle), Tokyo, Ikemurashôyôdô, qui conclut que ce sont des folles érotomanes droguées à la littérature occidentale malsaine.

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Pour citer cet article

Christine Lévy, « Les femmes nouvelles au Japon face à la caricature  », paru dans Loxias-Colloques, 16. Représentations littéraires et artistiques de la femme japonaise depuis le milieu du XIXe siècle, Les femmes nouvelles au Japon face à la caricature , mis en ligne le 21 avril 2020, URL : http://revel.unice.fr/symposia/actel/index.html?id=1542.

Auteurs

Christine Lévy

Maîtresse de conférences, Université Michel Montaigne, membre du Centre de Recherches sur les Civilisations d’Asie Orientale (UMR8155). Ses principaux champs de recherche concernent l’histoire des idées politiques, l’histoire du féminisme et études de genre dans le Japon moderne et contemporain. Lévy Christine (dir.) 2014, Genre et modernité au Japon : la revue littéraire Seitô (1911-1916) et la femme nouvelle, Archives du féminisme (PUR), 382 pages.