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Loxias-Colloques | 10. Figures du voyage

Figure de l’inversion et altérité dans les récits des voyageurs québécois

De tout temps, le récit de voyage a pris appui sur diverses figures de discours pour rendre compte de l’altérité. Parmi ces figures, l’inversion, que François Hartog (1980) considère comme « une fiction qui fait “voir” et qui fait comprendre », témoigne d’une étonnante adaptabilité selon les époques. En effet, si elle a longtemps été liée à des processus de négation et d’exclusion inhérents à l’ethnocentrisme, « de l'inversion à la conversion » comme disait Francis Affergan (1987), elle a tout autant étayé, dans la seconde moitié du XXe siècle entre autres, la volonté de se désaliéner d’une perception ethnocentrée et la promotion d’une meilleure connaissance et reconnaissance de l’Autre. À l’aide d’un corpus de récits de voyageurs québécois, le présent article consiste précisément à montrer comment l’inversion est une figure indissociable de la pratique du récit de voyage qui a servi tantôt à dévaloriser et à instrumentaliser la culture de l’Autre, tantôt à idéaliser la différence de l’Autre, voire à l’investir de valeurs que l’on se reproche de ne pas avoir. Enfin, notre article tente de montrer qu’avec le tournant du XXIe siècle, certains écrivains voyageurs prennent de plus en plus conscience qu’une approche fondée sur la dépréciation ou sur l’idéalisation entretient une projection en miroir qui risque de les détourner d’une véritable tentative de connaissance de l’Autre. Le défi consiste alors à « s’ouvrir à l’Autre sans se perdre soi-même », pour reprendre l’expression d’Édouard Glissant (1996). Dans ce contexte, la figure de l’inversion acquiert un nouvel usage qui correspond notamment à « l’Esthétique du Divers » telle que la proposait Victor Segalen, c’est-à-dire qu’elle ne vise plus à favoriser « la compréhension parfaite d’un hors soi-même qu’on étreindrait en soi, mais la perception aiguë et immédiate d’une incompréhensibilité éternelle ». Historically, the travel narrative has relied on various speech figures to account for alterity. Among these figures, inversion, which François Hartog (1980) considers as « une fiction qui fait “voir” et qui fait comprendre », shows an astonishing adaptability according to the different times. Indeed, while it has long been linked to negation and exclusion processes inherent to ethnocentrism, from "inversion to conversion" as Francis Affergan (1987) used to say, it has been equally supporting in the second half of the twentieth century among others, the desire to disengage from an ethnocentric perception and the promotion of a better knowledge and recognition of the Other. From a corpus of Quebec traveler's stories, this article will focus on showing how inversion is an inseparable part of the travel narrative that has sometimes been used to devalue and exploit the culture of Other, sometimes to idealize the difference of the Other, or even to invest in it values ​​that we blame ourselves for not having. Finally, our article will attempt to show that with the turn of the twenty-first century, some travel writers are becoming more and more aware that an approach based on depreciation or idealization cultivates a mirrored projection that risks distracting them from a real attempt to know the Other. The challenge then is to "open oneself to the Other without losing oneself", to use the expression of Édouard Glissant (1996). In this context, the figure of the inversion acquires a new use which corresponds in particular to the "Aesthetics of the Diverse" as proposed by Victor Segalen, that is to say that it does not aim anymore to favor « la compréhension parfaite d’un hors soi-même qu’on étreindrait en soi, mais la perception aiguë et immédiate d’une incompréhensibilité éternelle ».

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